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Merci, monsieur le président.
Je crois savoir que vous allez entendre un peu plus tard aujourd'hui mon collègue, M. Axworthy, qui va vous parler de l'Institut canadien pour la démocratie. C'est un projet qu'il serait important que vous examiniez. La façon de fournir une aide au développement démocratique est une question importante. J'aimerais toutefois vous dire qu'il convient de se poser auparavant une autre question. Il faut d'abord décider ce que nous allons faire — définir le genre d'activités que le Canada devrait exercer.
Il n'est pas facile de répondre à cette question, parce que l'aide internationale au développement démocratique est une entreprise vaste et complexe. Si l'on compte les différents États, les organismes multilatéraux et les fondations privées, on constate qu'il y a plus d'une centaine de donateurs qui offrent de l'aide dans ce domaine. Les efforts collectifs internationaux portent sur des milliers de projets et des dépenses annuelles qui s'élèvent à des milliards de dollars.
Il est important de bien saisir toute la complexité de cet environnement si l'on veut élaborer une politique canadienne dans ce domaine. Il faut définir le rôle qui serait le nôtre dans ce contexte. Je vais dire quelques mots à ce sujet mais je voudrais d'abord préciser certaines choses.
Premièrement, je tiens à faire une différence entre les interventions à court terme dans les situations spéciales et les activités de développement démocratique à long terme. Par activités à court terme, j'entends la surveillance d'élections ou la prestation de services policiers dans les situations instables, par exemple. Ce sont des activités qui nous amènent à envoyer des gens dans un pays donné pour un temps limité qui doivent réaliser un projet précis ou exercer des activités précises. Les pays bénéficiaires sont pour l'essentiel passifs. Nous sommes là pour accomplir une tâche et nous nous retirons ensuite. C'est un genre d'activité important.
Les interventions à long terme sont très différentes. Leur élément essentiel est le transfert de connaissances — il s'agit de communiquer notre expérience pour aider un État à faire la transition vers la démocratie. Le développement de la démocratie est par sa nature même un exercice à long terme et j'insiste sur l'idée d'un transfert de connaissances. C'est la composante essentielle de ce genre d'activité. Cela est fort différent de l'activité que nous exerçons lorsque nous participons à la surveillance d'élections, par exemple.
De sorte que, pour comprendre l'étendue de ce domaine, il faut préciser ce que l'on entend par développement démocratique. Cela va peut-être vous surprendre, mais c'est une question qui est très débattue dans les milieux universitaires et c'est une question controversée chez les donateurs. Les gens utilisent des termes différents pour qualifier les interventions politiques.
Je vais vous donner une définition, parce que je pense qu'il existe une convergence entre les différentes définitions qu'utilisent les donateurs. Cette définition reflète, je crois, un consensus qui existe parmi les principaux donateurs. Formulé de façon très simple, je dirais que le développement démocratique est une activité qui vise à créer des systèmes de gouvernance reposant sur les valeurs de liberté, d'égalité et de justice associées aux fondements démocratiques et libéraux de notre propre système.
J'insiste sur le fait que nous parlons d'un système de gouvernance global. J'insiste sur ce point parce qu'il existe des différences au sujet des composantes du développement de la démocratie. Si vous prenez, par exemple, l'énoncé de politique de l'ACDI, vous constaterez qu'il existe une définition qui parle d'engagement dans le domaine de l'intervention politique qui touche ce qu'on appelle la bonne gouvernance, ce qu'on appelle la promotion des droits de l'homme, le principe de légalité, la démocratisation et la société civile.
Lorsque je parle d'un système global, je soutiens qu'il faut considérer que toutes ces choses sont des composantes du développement démocratique. Avec une telle définition, on constate que l'aide au développement démocratique est un domaine très général qui englobe une grande diversité d'objectifs et d'activités.
Dans la recherche que j'effectue à l'Institut de recherche en politiques publiques et dans mon travail avec mes collègues qui produisent des études faisant partie de cette série sur le développement démocratique que je dirige pour l'IRPP, j'ai recensé 50 types d'objectifs différents auxquels peut s'appliquer l'expression « assistance au développement démocratique ». Cela vous donne une idée de l'ampleur de cette approche. Compte tenu de l'ampleur des efforts collectifs internationaux et de la présence d'organismes multilatéraux, d'États individuels et de donateurs privés, comment le Canada peut-il optimiser son aide? C'est la question que j'ai posée à mes collègues qui travaillent à l'IRPP sur la série d'études. Je leur ai en fait posé deux questions.
La première question portait sur l'existence au Canada de domaines de compétences que nous devrions mettre en valeur et dans lesquels nous devrions peut-être nous spécialiser. En fait, je pense qu'il y a des domaines dans lesquels nous possédons des compétences spéciales, mais leur utilité peut varier selon le contexte. C'est pourquoi je ne pense pas que nous devrions nous spécialiser. Je pense que nous devrions nous inspirer de l'ensemble de l'expérience que nous avons acquise dans le domaine du développement et de la préservation de la démocratie.
La seconde question est de savoir s'il existe des domaines fonctionnels dans lesquels les autres donateurs font déjà un travail efficace et où les interventions du Canada auraient, au mieux, un effet marginal et au pire, seraient redondantes. C'est une question très importante parce qu'il y a des activités qui ont attiré un grand nombre de donateurs. Pour répondre à cette question, je pense qu'il est préférable d'examiner chaque situation de façon isolée. J'insiste à nouveau sur l'idée qu'il faut utiliser une approche fondée sur un système de gouvernance global pour définir ce que nous sommes disposés à faire.Nous devons prendre des décisions sur ce que nous allons faire dans un pays donné, en nous fondant sur une évaluation des besoins de ce pays et en tenant compte de ce que font les autres donateurs. C'est donc de cette façon que nous allons éviter de faire ce que d'autres font déjà. Cela ne veut pas dire que nous ne ferons rien, mais je pense qu'il faut tenir compte du contexte et comprendre la situation particulière du pays concerné avant de prendre ce genre de décisions.
Ce sont là deux réponses générales et ce ne sont peut-être pas celles que vous auriez souhaité entendre. Mais cela dit, je pense qu'à mesure que votre comité poursuivra ses travaux — et je connais certains organismes qui permettront, je l'espère, d'obtenir des informations beaucoup plus détaillées sur des choses particulières qui sont en train de se faire —, il faudra progressivement obtenir des précisions sur cette question.
Je tiens à ajouter qu'il existe, d'après moi, certains domaines dans lesquels le Canada peut apporter une contribution spéciale. Le premier est qu'il existe un grand besoin d'étudier les façons d'améliorer l'efficacité de l'aide démocratique. Il n'existe pas d'outil efficace permettant d'évaluer l'aide démocratique. Nous avons des outils pour évaluer la façon dont nous gérons les projets mais nous n'avons pas de catégorie d'analyse ou d'outils pour faire la recherche que nous avons besoin d'effectuer pour définir quels sont les résultats souhaités.
Je veux dire en fait que nous pourrions faire un apport utile si le Canada devenait un centre de recherche. Un tel centre répondrait à un besoin vital, celui de consolider les connaissances tirées des expériences acquises et permettrait de recenser les méthodes qui permettent de fournir ce genre d'aide. C'est un domaine dans lequel le Canada pourrait fort bien apporter une contribution unique.
Il y a une autre critique que l'on peut faire au travail effectué dans ce domaine, c'est la fragmentation des efforts déployés par les donateurs en raison du manque de cohérence des programmes mis en oeuvre dans divers pays. Nous pourrions élaborer au Canada des plans stratégiques d'assistance démocratique visant les pays dans lesquels nous souhaitons intervenir. Là encore, je souligne qu'à mon avis, il faut adopter une stratégie de gouvernance globale fondée sur la recherche relative à la situation particulière d'un pays particulier : les caractéristiques du pays, l'étape à laquelle il en est arrivé dans le processus de démocratisation, quelle était la situation antérieure et quelle est l'expérience que le pays a connue avant de démarrer le processus de développement démocratique.
Il nous faut des plans stratégiques; il nous faut de la planification stratégique. Si vous examinez la recherche critique qui vise à évaluer l'aide à la démocratie, vous constaterez que c'est une des questions qu'elle soulève. Je pense que le Canada pourrait faire quelque chose d'utile en effectuant ce genre de recherche. Si nous décidions de le faire, si nous commencions à mettre au point de genre de plans, cela répondrait, à mon avis, à une des critiques les plus pertinentes que l'on fait à l'aide au développement démocratique : le manque de coordination entre les donateurs, notamment le chevauchement des efforts et l'omission de prendre en compte des éléments importants dans le processus de développement démocratique.
La troisième chose que nous pourrions faire ici serait, à mon avis, de mettre sur pied un programme de formation pour les intervenants ou pour les gens qui veulent faire carrière dans ce domaine, dans la prestation de l'aide à la démocratie. Cela ne serait pas réservé aux Canadiens; il existe un besoin pour ce genre de programme au palier international. Pensez au grand nombre de donateurs et d'intervenants. J'estime qu'ils ont besoin d'aide et d'une formation spécialisée pour bien faire leur travail.
Sur ce point, j'aimerais faire un dernier commentaire, à savoir que, d'après mes observations sur le terrain et d'après ce que j'ai appris grâce à la recherche sur les activités des intervenants canadiens, la façon dont nous travaillons avec les pays bénéficiaires a été relativement efficace. Je n'irais pas jusqu'à prétendre qu'il existe un méthode typiquement canadienne, mais je pense qu'il y a des façons plus ou moins efficaces de fournir ce genre d'aide, et que notre façon de le faire a été efficace la plupart du temps. Nous sommes souvent perçus comme étant plus sensibles à la situation particulière des pays bénéficiaires, plus ouverts à la participation des organismes locaux, plus prêts à écouter leurs conseils et plus inclusifs dans nos relations avec nos partenaires.
Je pense que je vais arrêter là mes commentaires généraux.
Je crois savoir que le document que j'ai préparé sur ce que nous faisons en Ukraine a été distribué, et je serai donc heureux de répondre à vos questions. J'aimerais apporter une précision. La plupart des commentaires que je viens de vous présenter ne sont pas seulement fondés sur la recherche qui a été faite dans ce domaine, mais ils découlent également du travail sur le terrain que j'effectue en Ukraine depuis neuf ans.
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Bonjour. Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant votre comité aujourd'hui.
La promotion de la démocratie est un sujet d'une importance vitale et qui mérite que tous les Canadiens s'y intéressent. Je l'affirme en sachant que de nombreux Canadiens se méfient de la promotion de la démocratie. Pourquoi se méfient-ils? Cela est difficile à dire mais je pense que c'est parce que cela revient un peu à dire aux autres comment ils devraient se gouverner. Cette réticence est compréhensible mais elle n'est pas justifiée. Plutôt que de mettre de côté la promotion de la démocratie parce qu'elle serait anti-canadienne ou d'essayer de la comprendre en termes de droits de la personne préexistantes ou de responsabilité de protéger les autres, il faudrait que les Canadiens réfléchissent à ce que devrait être l'approche canadienne à la promotion de la démocratie et aux points forts que nous pourrions apporter à un tel projet.
Pourquoi les démocraties devraient-elles se soucier de promouvoir leur type de gouvernement dans d'autres régions du monde? La réponse n'est pas que cela correspond simplement à nos idéaux les plus élevés en matière de gouvernement, mais que c'est également dans notre intérêt national. Les pays démocratiques sont des pays paisibles. Ils gouvernent mieux leur économie et ce sont de meilleurs partenaires commerciaux.
Il est vrai que, pour de nombreux Canadiens, la promotion de la démocratie a mauvaise réputation. On l'associe souvent aux graves échecs que nous avons connus en Iraq. Promouvoir la démocratie dans le monde arabe n'a pas été et ne sera jamais chose facile. Je pense que c'est une leçon que nous avons tous apprise. Mais les difficultés auxquelles font face en Iraq nos démocraties amies, les États-Unis et la Grande-Bretagne, ne devraient pas nous amener à abandonner le projet à long terme qu'est la démocratisation du monde arabe.
Si les origines du 11 septembre se trouvent vraiment dans la crise de modernisation que connaît le monde arabe, dans leurs sociétés fermées et répressives, et surtout dans leurs gouvernements dictatoriaux, alors il faut en conclure que le défaut de démocratiser cette partie du monde ne pourra que prolonger et renforcer les dangers associés à l'islam radical, un aspect qui effraie à juste titre tous les Canadiens.
La promotion de la démocratie est importante pour une autre raison. Il existe aujourd'hui un ressac généralisé contre la démocratie. Au cours des dernières années s'est constitué un nouveau groupe de nations que j'appellerais un groupe international autoritaire. Parmi les principaux pays de ce groupe, je mentionnerais la Russie, le Venezuela, l'Iran, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Bélarus et la Chine. Ce qui fait que ce groupe de pays et d'autres sont si extraordinaires est qu'ils ne font pas que résister à la démocratisation mais que plusieurs de ces pays sont passés d'un régime démocratique à un régime carrément autoritaire ou semi-autoritaire. Plus grave même, ils ont commencé à collaborer les uns avec les autres — par exemple, avec la Shanghai Cooperation Organization (le groupe de Shanghai) — et peut-être de façon encore plus sinistre, ils s'empruntent mutuellement des mesures législatives destinées à saper le travail des ONG pro-démocratie financées par l'étranger et les organisations civiles.
Si cette tendance à long terme se poursuit, le monde deviendra plus dangereux, il comprendra de nombreux gouvernements qui ne sont aucunement contrôlés par leur population ou, encore pire, des gouvernements disposés à voir dans leur propre peuple un instrument, un outil dans une sorte de lutte contre des ennemis imaginaires.
Que devrait faire le Canada? Premièrement, il est important de distinguer, comme vient de le faire mon collègue, les avantages à court terme des avantages à long terme de la promotion de la démocratie. Il est toujours possible d'obtenir des victoires rapides, mais il est évident qu'il s'agit là d'une politique qui s'inscrit dans la durée. Les retombées ne vont pas se faire ressentir demain ou la semaine prochaine mais il faudrait plutôt compter en années, voire en dizaines d'années.
Deuxièmement, pour ce qui est des politiques concrètes, il est probablement utile d'examiner brièvement les succès et les échecs qu'ont connus les autres champions de la promotion de la démocratie dans le monde : les États-Unis et l'Union européenne. La promotion de la démocratie a été inscrite pour la première fois à l'ordre du jour des relations transatlantiques après 1989, pendant le déclin du communisme en Europe de l'Est et après sa chute. Les Américains ont considéré que l'année 1989 était principalement un phénomène émanant de la base, de la société civile. La promotion de la démocratie consistait alors à appuyer les groupes civiques, à organiser des élections et à rédiger des constitutions. Au début des années 1990, la plupart de mes amis du milieu universitaire et du gouvernement américain considéraient qu'en Europe de l'Est, les démocraties étaient solides et que la promotion de la démocratie avait été un succès.
Il est intéressant de noter que les Européens voyaient les choses de façon bien différente. Pour eux, 1989 et la chute du communisme marquaient un début et non pas la fin d'une époque. Au lieu de s'intéresser à la société civile, l'Union européenne a plutôt essayé de changer la nature même des États post-communistes. Elle a tout d'abord dit — et je place des guillemets même si personne n'a jamais prononcé ces paroles — « oui, nous allons vous laisser entrer dans l'Union européenne mais à la condition que vous modifiiez toutes vos lois nationales pour les rendre compatibles avec les lois de l'Union européenne concernant la politique, l'économie, la société, l'environnement, en bref, tout ». Tous les États qui souhaitaient devenir membres de l'Union européenne ont ainsi du adopter 80 000 pages de lois.
L'Union européenne se méfiait des grandes manifestations qui ont tant suscité l'intérêt chez les Américains en 1989, et bien entendu, chez les Canadiens. Elle voulait promouvoir la démocratie non pas à partir de la base mais à partir du sommet, et tout cela était dicté par Bruxelles. Pour l'Union européenne, la démocratie n'a été établie dans les pays post-communistes que le 1er mai 2004, date à laquelle huit nouveaux membres se sont joints à l'Union européenne.
Au cours des années qui ont suivi, voilà le cadre dans lequel les Américains et les Européens ont travaillé. Il explique les forces et les faiblesses de chacune des méthodes. Il est évident que les Américains voulaient reproduire en 2003 en Iraq le schéma qu'ils avaient appliqué en Europe de l'Est en 1989 : renverser le dirigeant, faire tomber sa statue et laisser la société civile prendre le pouvoir. Cela n'a pas donné de très bons résultats en Iraq, mais c'est un modèle qui a été très utile pour les révolutions survenues en Serbie en 2000, en Géorgie en 2003, en Ukraine en 2004 et au Kyrgyzistan en 2005 : des ONG bénéficiant d'une aide étrangère ont renversé des régimes autoritaires — point final. Il est pourtant facile de constater que ce modèle est insuffisant puisqu'aucun de ces pays n'est devenu une démocratie parfaite et que deux au moins ont connu des reculs et fait marche arrière.
Le modèle de l'Union européenne qui part du sommet donne, par contre, d'excellents résultats dans les pays qui ont la possibilité d'adhérer à l'UE mais ce modèle ne fonctionne pas dans les autres parties du monde dont les pays n'envisagent pas de se joindre à l'UE. Le résultat final est que, jusqu'ici, à part les nouveaux membres, l'UE ne possède pas de modèle viable de promotion de la démocratie.
Le Canada devrait tirer des leçons des forces et des faiblesses des approches des É.-U. et de l'UE. Nous devrions agir dans ces deux directions, à la fois en appuyant la société civile et les ONG, d'un côté, et en ayant recours aux outils puissants que sont les institutions multilatérales et intergouvernementales, de l'autre. Il est important de rappeler que la promotion de la démocratie n'interdit pas de communiquer avec les régimes non démocratiques. Il est toutefois essentiel, parallèlement, de transmettre le message qui convient. Ce sera le défi central auquel devra faire face le gouvernement canadien, quel qu'il soit.
Le Canada continue d'entretenir des relations commerciales avec des régimes peu démocratiques et il a des rapports avec les dictateurs qui les dirigent; il devrait aussi continuer d'appuyer les ONG et les groupes civiques dans ces mêmes pays, en particulier dans le monde arabo-musulman et dans les démocraties en recul dont j'ai parlé il y a un instant. Le Canada devrait continuer à favoriser les contacts entre les citoyens de notre pays et ceux des démocraties à risque dans les Balkans, en Asie, en Afrique, au Proche-Orient et dans l'ex-Union soviétique.
À ce sujet, j'ai été très déçu d'apprendre que le gouvernement actuel avait récemment annulé le programme international de formation de jeunes professionnels qui a permis à l'Université de Toronto — mon institution — et à d'autres organisations d'envoyer des douzaines de Canadiens faire des stages à l'étranger et qui, à son tour, a permis aux étudiants des institutions de ces pays de faire des stages au Canada. C'est le genre de travail à long terme qui doit se poursuivre et qui devrait faire partie de la trousse de promotion de la démocratie du Canada.
Je devrais également ajouter que le Canada n'a rien de comparable au programme de bourses Fulbright qui a permis à des centaines d'intellectuels provenant de pays autoritaires à passer quelque temps aux États-Unis. Cela est très regrettable, parce qu'il serait très facile de mettre en oeuvre un tel programme, de le faire fonctionner et les avantages à long terme sont incontestables. L'expérience directe du multiculturalisme canadien n'est pas un aspect que les étudiants étrangers oublient rapidement. C'est là notre force et nous devrions l'utiliser. Je devrais également ajouter que le Canada n'a rien de comparable à la National Endowment for Democracy. Cela serait également une bonne idée d'avoir un organisme de ce genre.
Parallèlement, étant donné que nous continuons d'avoir des relations bilatérales et commerciales avec les États autoritaires et d'être membre d'organisations multilatérales dont ils font également partie, nous devrions commencer à penser à créer de nouvelles instances qui accorderaient sur le plan international un statut privilégié aux démocraties, tant dans les organisations multilatérales qu'intergouvernementales, pour indiquer clairement à ces pays qu'ils doivent payer un prix à cause de leur comportement non démocratique. L'UE a obtenu d'excellents résultats avec un tel système avec ses candidats à l'Europe.
Pouvons-nous adopter ce modèle au Canada? Ici, si nous voulons prendre du recul, je proposerais un groupe ou une communauté de démocraties, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur des Nations Unies. Le Canada bénéficierait sans doute d'une grande crédibilité pour présenter ce genre de projet. Les Nations Unies sont une instance qui pourrait accueillir une telle organisation mais il est possible qu'elles soient discréditées pour ce qui est de la promotion de la démocratie — il faudrait avoir l'honnêteté de le reconnaître —, en particulier après l'effondrement du Conseil des droits de l'homme. Autre solution possible, dont j'ai parlé ainsi que plusieurs de mes collègues depuis quelque temps, on pourrait essayer de réactiver une organisation officielle, la Communauté des démocraties, qui a été créée à Varsovie en 2000. Je serais très heureux de vous en parler davantage tout à l'heure.
Permettez-moi de conclure en répétant que la promotion de la démocratie n'est pas une activité qui donne des résultats rapidement. Ce devrait être une politique multidirectionnelle, à long terme qui devrait s'intégrer aux autres moyens d'action de l'État. Si cette promotion est bien faite, je pense qu'elle constituera un idéal de réglementation utile pour le Canada et fera du Canada et de notre monde un monde meilleur où l'on peut vivre en sécurité.
Merci.
Mesdames et messieurs, permettez-moi de commencer. Il convient de féliciter le comité d'avoir entrepris une étude du rôle que joue le Canada dans la promotion internationale de la démocratie. Le sujet de la promotion de la démocratie — ses rapports avec les objectifs traditionnels en matière de politique étrangère et de développement, le recul occasionné par des autocrates comme le président Poutine, la répression récente des dissidents dans des dictatures puissantes comme la Chine, et surtout l'anarchie en Afghanistan et en Iraq, des pays où le développement de la démocratie fait face à une violente opposition — est maintenant une des questions centrales des relations internationales.
Le Canada a toujours reconnu en paroles l'importance de la promotion de la démocratie — y a-t-il un pays démocratique qui ne l'a pas fait? — mais à la différence de la promotion du commerce ou du principe de la responsabilité de protéger, cela n'a jamais été un des éléments essentiels de la politique étrangère du Canada. Il y a des Canadiens qui travaillent à l'étranger pour faire la promotion de la démocratie et un bon nombre d'entre eux travaillent pour des institutions créées par d'autres États ou organisations internationales. Il y a plus de 30 Canadiens qui occupent des postes de la haute direction au National Democratic Institute, un des instituts les plus connus au monde. Il y avait des Canadiens de la Saskatchewan qui travaillaient pour la fondation multilatérale IDEA, au moment où je leur ai parlé il n'y a pas très longtemps. Il y a donc des Canadiens qui travaillent à l'étranger pour faire la promotion de la démocratie.
Un manque de structure dans nos mécanismes de politique étrangère veut dire que ces gens ne travaillent pas directement pour un centre spécialisé dans la promotion de la démocratie au Canada. Comme dans de nombreux autres secteurs de la politique internationale, nous parlons très bien de la démocratie mais le gouvernement du Canada s'est donné des moyens très limités pour en faire la promotion.
Le comité a choisi trois sujets d'enquête vraiment excellents que vos témoins et vous-mêmes allez étudier, et je vais donc parler de ces trois sujets, même si cela sera trop bref. La première question est « Pourquoi la démocratie? » et les comparaisons internationales. Je consacrerai ensuite un peu plus de temps au rôle du Canada dans une institution particulière, Démocratie Canada, dont notre institut préconise la création. Au sujet de la question « Pourquoi la démocratie? », vous demandez comment la promotion de la démocratie peut s'intégrer, dans le contexte plus large de la politique étrangère elle-même, dans une politique étrangère générale, plutôt que les mérites intrinsèques de la démocratie.
Jusqu'à tout récemment, la démocratie n'a guère été une priorité pour les décideurs en matière de politique étrangère. En 1648, dans le traité de Westphalie, les puissances européennes ont fait de la souveraineté de l'État l'élément central des relations internationales. Les rois pouvaient fort bien traiter très mal leur population, mais la nature du régime intéressait peu les autres États. L'important était d'équilibrer les pouvoirs des différents États et non pas les caractéristiques internes de chaque régime.
Depuis Richelieu, l'époque du traité de Westphalie, jusqu'à Kissinger, notre propre époque, l'école réaliste des affaires internationales examine principalement les composantes du pouvoir et la façon dont il est utilisé. Ce genre de calcul accorde bien peu d'importance à la moralité et, jusqu'à tout récemment, à la démocratie. Comme Franklin Roosevelt l'a déclaré au sujet d'un dictateur local : « C'est peut-être un vrai bandit mais c'est un vrai bandit à nous ».
Ce consensus très général favorable à la realpolitik a toutefois été parfois contesté, habituellement du côté libéral ou radical du spectre politique. Le philosophe Emmanuel Kant est le premier à mentionner un point essentiel dans son fameux essai de 1795 intitulé Vers la paix perpétuelle, selon lequel la nature des régimes politiques, qu'il s'agisse de monarchies ou de républiques, d'empires ou de municipalités locales, avait une importance essentielle. Les républiques ont moins tendance à se mettre en guerre que les monarchies, étant donné que les citoyens savent que ce sont eux qui mourront sur le champ de bataille. Comme les témoins précédents l'ont dit, il existe une règle inviolable dans le domaine des relations internationales, et il n'y en a pas beaucoup, qui veut que les démocraties ne se fassent pas la guerre entre elles.
Au XIXe siècle, les libéraux anglais comme John Bright ont attaqué l'amoralité des maîtres de la realpolitik comme Palmerston ou Bismarck, et ont demandé que les monarchies européennes évoluent. Bright a expliqué :
Nous avons les principes éternels et immuables de la loi morale pour nous guider et ce n'est qu'en nous laissant guider par ces principes que nous pourrons demeurer une grande nation.
Gladstone, au cours de la fameuse campagne qu'il a menée dans le comté de Midlothian contre Disraeli, un des grands partisans de la realpolitik, s'est en pris aux abus commis par la Turquie contre ses propres sujets et a soutenu que la moralité devait l'emporter sur la souveraineté de l'État.
En 1917, Woodrow Wilson a lancé les États-Unis dans la Première Guerre mondiale pour faire un monde plus sûr pour la démocratie. Lester Pearson a mené un combat au sein de l'OTAN en 1948 et en 1949 au sujet de l'article 2, ce qu'on appelé la clause canadienne, pour que cette alliance ne se contente pas de ressembler à un pacte militaire traditionnel et s'attache à renforcer les liens culturels, sociaux et économiques entre les démocraties nord-américaines. Ce qui était important pour Pearson, c'était le fait que l'OTAN était un pacte entre des pays démocratiques respectueux de la liberté et pas uniquement un pacte militaire. Cela a commencé à changer avec l'adhésion de la Turquie, de la Grèce et d'autres pays au début de la Guerre froide.
La perspective idéaliste libérale s'est heurtée à la tradition réaliste prédominante pendant les XIXe et XXe siècles. Mais en 1982, un nouveau défenseur des principes démocratiques est apparu, ce qui a littéralement transformé le débat. Ronald Reagan était un anticommuniste convaincu mais au lieu de se contenter de limiter la puissance de l'Union soviétique, il voulait la transformer en faisant de la promotion de la démocratie un des aspects fondamentaux de la politique étrangère américaine.
En 1982, Reagan, un des plus grands conservateurs de l'histoire américaine, a fait un discours que n'aurait pas renié Woodrow Wilson. Il a déclaré ce qui suit au Parlement britannique, et je cite :
L'objectif envers lequel je m'engage est très simple à formuler : développer l'infrastructure dont a besoin la démocratie, un système où il y a la liberté de presse, des syndicats, des partis politiques, des universités qui permet au peuple de choisir sa propre façon de développer sa propre culture, de réconcilier ses différences en ayant recours à des moyens pacifiques.
L'administration Reagan a créé la National Endowment for Democracy. Les Anglais ont créé la Westminster Foundation. Les Allemands avaient déjà depuis longtemps leurs Stiftungs, comme viennent de nous le dire les témoins précédents ou des instituts de recherche des partis qui sont très actifs dans le domaine des programmes internationaux; et des organismes multilatéraux comme l'Institut international pour la démocratie et l'assistance électorale — IDEA — de Stockholm répandent les meilleures façons de faire dans le monde entier.
Si l'on regarde les États-Unis aujourd'hui, on constate que les fonds consacrés à la démocratie par les États-Unis s'élèvent à plus d'un milliard de dollars. Aujourd'hui, les études sur la démocratie sont en nombre considérable. Recherchons-nous une démocratie transformative, délibérative dans laquelle les citoyens participent eux-mêmes aux grands débats? C'est la question qu'a posée Mme McDonough au témoin précédent sur le genre de démocratie que nous souhaitions. Est-il suffisant d'avoir une démocratie procédurale, un système qui réserve aux seuls citoyens le dernier mot pendant les élections?
Il y a deux principes qui s'appliquent : le gouvernement par le peuple et les droits des citoyens. Comme le théoricien Larry Diamon l'écrit dans Squandered Victory,
« La démocratie est un régime politique dans lequel la population choisit ses dirigeants — et remplace ses dirigeants au cours d'élections libres, équitables et tenues à des intervalles réguliers. Les démocraties sont régies par des lois et non pas par des hommes et des femmes, le peuple est souverain et le gouvernement agit avec le consentement des gouvernés ».
Pour obtenir le consentement des gouvernés, il faut, d'après Challenge of Democratic Development, une excellente étude de l'Institut Nord-Sud qui remonte à 1991-1992,
... le suffrage universel pour les adultes dans des élections libres; le droit de poser sa candidature; la liberté d'expression, d'association, de créer des organismes politiques et d'opposition; des sources d'information indépendantes et de véritables choix; la responsabilité du gouvernement envers les électeurs.
La démocratie ne peut se développer que dans une atmosphère de liberté qui privilégie et développe le vote comme moyen de décider. La liberté exige à son tour une magistrature indépendante, l'égalité devant la loi et la protection des minorités. Les citoyens doivent respecter les droits des autres citoyens même lorsqu'ils exercent leurs propres droits. Le gouvernement du peuple et les droits des citoyens sont les éléments minimaux d'un régime démocratique fondamental.
Lorsqu'on passe à la démocratie transformative, le volet participation de la démocratie favorise le développement personnel, ce qui nous donne un minimum et un maximum. Le minimum à atteindre, ce sont les règles procédurales; le maximum, qui consiste à ce que chaque citoyen puisse développer toutes ses capacités, est un objectif permanent et immuable.
Les leçons à tirer du travail effectué dans les transitions démocratiques... Il n'y a pas de recette magique lorsqu'il s'agit de faire la promotion de la démocratie. Cette promotion doit tenir compte des circonstances particulières et des limites que doit respecter toute intervention de l'extérieur. Les agents de changement doivent interagir avec la population et non pas imposer quoi que ce soit.
Il n'y a pas beaucoup de lignes droites en histoire. Comme Kant, le premier libéral éclairé, l' a écrit : « Avec le bois noueux dont est fait l'homme, il est impossible de faire une planche droite ».
Il semble que les enseignements suivants, tirés des études de cas sur la démocratie du Centre for the Study of Democracy de l'Université Queen's, qui sont ici devant vous, semblent intéresser votre étude. Premièrement, il est vraiment très difficile d'essayer d'établir des norme démocratiques lorsqu'il n'y a pas d'État et que l'on a affaire à une situation anarchique. Depuis Platon, nous savons qu'il faut rétablir l'ordre pour qu'il puisse y avoir la liberté. Un État fonctionnel est un préalable à une démocratie fonctionnelle.
En Afghanistan, la décision initiale critique a été de tenir une Loya Jirga, ou une assemblée traditionnelle des notables afghans, dans le but de laisser les Afghans s'approprier le processus démocratique plutôt que de laisser la puissance occupante l'imposer. La transition afghane a bien commencé mais un manque de troupes, de fantassins, capables d'assurer la sécurité, menace aujourd'hui cette entreprise.
Le rapport entre le nombre des soldats internationaux et les habitants dans des pays comme la Bosnie était d'environ d'un soldat pour 50 citoyens. Ce chiffre n'a jamais été atteint en Afghanistan ni en Iraq. En un mot, les États-Unis et l'OTAN ont donné beaucoup plus d'importance à l'aspect sécurité en Bosnie qu'ils ne l'ont fait en Afghanistan et en Iraq.
Deuxièmement, il faut désarmer les milices. Dans une étude effectuée à l'Université Queen's qui porte sur la démocratie en Israël, une autre étude qui paraîtra au printemps, un des moments clés de son histoire a été la décision de Ben Gourion de désarmer les milices rivales et de créer les forces armées israéliennes. Ben Gourion a été jusqu'à canonner l'Altalena, un navire armé destiné à la milice Irgun de Menahem Begin. À une période où Israël luttait pour sa survie pendant la guerre de 1948, au moment où Israël était en guerre contre ses voisins arabes, Ben Gourion a refusé de conserver les milices internes privées. Autoriser le maintien des milices a été une des plus grandes erreurs commises en Iraq; il y en a eu beaucoup d'autres mais c'est peut-être la plus grave.
Troisièmement, les gouvernements locaux, les municipalités, constituent la base de la démocratie. À Taiwan, la décision qu'a prise, immédiatement après la guerre, le KMT de préserver l'innovation lancée par les Japonais de tenir des élections locales pour les municipalités a permis aux citoyens de s'habituer au processus démocratique et a fourni aux dissidents une façon non agressive d'exprimer leur mécontentement. Au cours d'une transition démocratique, nous avons tendance à privilégier presque immédiatement les élections nationales. Dans presque toutes les études que j'ai examinées, je suis convaincu qu'il faut investir dans les municipalités locales, les gouvernements locaux et les élections locales pour laisser s'épanouir et se renforcer la démocratie. Taiwan est un exemple très important de ce genre d'évolution. Le choix qu'a fait Taiwan a permis au KMT d'apprivoiser la démocratie et a fourni un exutoire aux dissidents qui ont ainsi pu apprendre la tolérance qu'elle requiert. Finalement, le KMT, un parti autoritaire au départ, a instauré sa propre démocratie. Le processus d'apprentissage a pris une génération.
Quatrièmement, il faut du temps pour que la démocratie s'enracine. Il n'y a pas de solution rapide. Les intervenants de l'extérieur doivent être prêts à faire des efforts pendant des années et à investir beaucoup. L'Union européenne, les Nations Unies et le Canada se sont engagés à reconstruire la Bosnie après la guerre civile. La Bosnie était la première fois que le Canada mettait en oeuvre sa politique des trois D, à savoir défense, diplomatie et développement. Il faut savoir que tous ces éléments sont nécessaires si l'on veut vraiment reconstruire un pays. Lorsqu'il s'agit de construire un pays ou d'instaurer la démocratie, il faut savoir dès le départ que cela prendra beaucoup de temps et beaucoup d'argent. Je suis désolé de constater qu'après avoir dépensé des sommes considérables et la vie de plusieurs de nos soldats dans les années 1990, nous sommes en train de nous retirer de la Bosnie après avoir fait cet investissement initial important, alors que de nombreux problèmes perdurent dans l'Europe centrale de l'Est.
Enfin, cinquièmement, les valeurs démocratiques sont universelles. Les régimes autocrates asiatiques ont défendu les valeurs asiatiques en tant que repoussoir des valeurs démocratiques et ils ont laissé entendre que la démocratie était une invention occidentale. Les études de cas effectuées par l'Université Queen's sur Hong Kong et Taiwan montrent que cet argument est intéressé. Taiwan est la première société chinoise en 5 000 ans à être devenue une démocratie solide et permanente. À Hong Kong, près d'un million de citoyens sont descendus dans la rue pour exiger que l'on respecte leurs droits démocratiques.
Amartya Sen, dans Development and Freedom, l'exprime très bien : « Les libertés ne sont pas les principaux objectifs du développement; ils comptent également parmi ses principaux outils. »
Le rôle du Canada — votre troisième domaine. Le comité a demandé aux témoins de présenter des commentaires dans trois grands domaines : l'assistance démocratique comme objectif, les leçons à tirer des comparaisons et le rôle du Canada. Voici quelle est ma réponse à ces trois questions.
En matière d'assistance au développement démocratique, la nature des régimes des différents pays est importante. Si Kant a raison et que les républiques ont moins tendance à se faire la guerre, il est dans l'intérêt de la sécurité que la démocratie se répande. Si Amartya Sen a raison, la diffusion de la liberté est un élément essentiel de la politique de développement. Si Lester Pearson a raison, quelle que soit l'alliance concernée, la démocratie doit progresser au même rythme que l'engagement militaire.
Pour toutes ces raisons de sécurité, de développement et de moralité, la promotion de la démocratie devrait être un élément clé de la politique étrangère canadienne et pas un élément décoratif. Par contre, les leçons qu'il faut tirer des passages à la démocratie montrent que la route vers la démocratie est longue et difficile. Il n'y a pas de démocratie à rabais et il faut que les objectifs soient clairs et la population, prête à s'engager.
Dans le troisième secteur des politiques et activités canadiennes, le point essentiel est qu'il n'existe pas au Canada d'organisme central d'assistance à la démocratie. Le Canada possède des connaissances et une expertise professionnelle considérables, fondées sur des valeurs canadiennes qui renforceraient grandement et utilement les initiatives d'assistance à la démocratie lancées à l'étranger.
Un institut canadien pour la démocratie — nous l'avons appelé Démocratie Canada — enraciné dans un pays fédéral, multiethnique, multilatéral et bilingue serait un complément très apprécié par la communauté internationale de promotion de la démocratie. Ce nouvel institut devrait comprendre les éléments suivants.
Démocratie Canada devrait être une organisation indépendante qui relèverait du Parlement et d'un ministre. Elle ne devrait pas faire partie d'un ministère.
Démocratie Canada aurait pour mission de promouvoir et de renforcer la démocratie à l'étranger. Démocratie Canada emploierait un réseau d'experts chargés de fournir une expérience et une aide concrète dans les domaines du développement démocratique à leurs homologues des pays associés.
Les activités de Démocratie Canada seraient principalement centrées sur l'assistance aux partis politiques, y compris la formation concernant les campagnes électorales, le processus électoral, les relations avec les médias; cela introduirait dans la politique étrangère canadienne un outil qu'elle n'a pas, et qui serait le renforcement du rôle des partis dans la démocratie, une question qu'ont également soulevée d'autres témoins.
Le programme devrait également comprendre, comme M. Perlin l'a mentionné, des investissements dans l'instruction civique, la transparence démocratique, la surveillance des élections, la participation, en particulier chez les femmes, et une aide pour la mise sur pied d'institutions démocratiques dans les assemblées législatives et les fonctions publiques.
Une mission axée sur l'assistance aux partis politiques, à la préparation des élections, à la formation et à la mécanique électorale distinguerait cet institut de la mission législative du Centre parlementaire, une de nos meilleures ONG dans le domaine, et de la mission d'instruction civique du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, qui fait de l'excellent travail dans le domaine des droits de l'homme et de l'instruction civique.
Le conseil d'administration de Démocratie Canada devrait comprendre 12 à 15 membres, choisis parmi des candidats présentés par les partis qui siègent à l'heure actuelle au Parlement, ainsi que des partenaires internationaux et des experts de la promotion de la démocratie. S'inspirant d'un élément très positif du Centre de recherches pour le développement international, un tiers du conseil de Démocratie Canada devrait représenter des partenaires internationaux. Le conseil assumerait une responsabilité fiduciaire à l'égard de Démocratie Canada.
L'institut serait également gouverné par un conseil consultatif de Démocratie Canada, composé des membres de la communauté canadienne de la gouvernance et de la démocratie.
Démocratie Canada organiserait une conférence annuelle qui réunirait la communauté démocratique internationale et canadienne en vue de promouvoir l'apprentissage en commun, de diffuser les meilleures pratiques et d'aider à coordonner les objectifs et les priorités futurs de Démocratie Canada.
Il y a beaucoup de gens qui travaillent dans ce domaine au Canada mais ils ont rarement la possibilité de se parler. L'institut aurait ses propres programmes et son propre personnel mais il s'associerait également à d'autres.
Nous avons suggéré un budget annuel de 50 millions de dollars, environ la moitié du budget du CRDI, qui servirait à financer des projets utiles réalisés par ses partenaires et à mettre en oeuvre ses propres activités.
Démocratie Canada serait également autorisé à financer des projets internationaux présentés par les partis politiques canadiens, comme le fait au R.-U. la Westminster Foundation. Démocratie Canada ne serait toutefois pas obligé d'affecter une partie de ses fonds à la structure des partis actuels.
Le personnel du bureau permanent de Démocratie Canada s'occuperait, outre la coordination des programmes, de la recherche sur la situation locale des pays associés à Démocratie Canada. Dans le but de renforcer l'efficacité de son action, Démocratie Canada travaillerait en collaboration avec les organisations internationales et canadiennes existantes comme le CRDI, ainsi qu'avec des organisations des pays partenaires.
Enfin, Démocratie Canada aurait pour rôle de coordonner l'action des délégations démocratiques d'Équipe Canada en fonction des objectifs clés de la politique étrangère canadienne. Avec Démocratie Canada, notre pays pourrait fournir une assistance coordonnée à un pays partenaire, qui comprendrait une aide aux partis politiques fournie par les partis canadiens, une aide législative fournie par le Centre parlementaire, une aide électorale apportée par Élections Canada et l'instruction civique par l'Institut international des droits de l'homme et de la démocratie. Cela permettrait de réunir plusieurs organisations, qui apporteraient chacune sa contribution et qui participeraient à une mission démocratique coordonnée dans un pays où notre action semblerait utile. Démocratie Canada veillerait à centrer l'action de la délégation et serait responsable des programmes de démocratisation dans le pays partenaire.
Pendant que j'étais en Ukraine pour étudier la révolution Orange, j'ai rencontré une jeune Ukrainienne qui m'a expliqué pourquoi, en se rendant d'Ukraine à Washington, elle avait attendu pendant des heures pour défiler devant la tombe de Ronald Reagan au moment où il était exposé à Washington après sa mort. Son appel « Monsieur Gorbatchev, détruisez ce mur » avait résonné dans tous les pays d'Europe centrale et de l'Est et avait laissé entrevoir aux jeunes que la tyrannie soviétique n'était peut-être pas permanente. Elle voulait rendre hommage à l'homme qui lui avait donné l'espoir.
Natan Sharansky, dans The Case for Democracy, raconte également ce que lui avait déclaré son professeur, Andrei Sakharov, et je le cite : « Le monde ne peut pas se fier à ses dirigeants qui ne se fient pas à leur propre peuple ». Sharansky écrit plus loin que : « Ceux qui veulent changer les choses sur terre doivent d'abord, comme l'a expliqué Archimède, avoir une place où s'y tenir ».
Le Canada doit appuyer tous les démocrates du monde. Nous avons la chance d'avoir une démocratie chez nous. Nous avons le devoir, tant pour nous que pour ceux qui partagent nos valeurs, de travailler sérieusement à promouvoir la démocratie dans le monde.