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Je déclare la séance ouverte.
Bonjour. En ce jeudi 29 mars 2007, nous en sommes à la 47e séance du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
Je rappelle à chacun de nos membres que la séance d'aujourd'hui est télévisée. Dans la première heure, nous ferons le point sur la situation en Afghanistan, notamment peut-être sur le rôle et les responsabilités du Canada dans ce pays.
Nous entendrons également M. Barnett Rubin du Center on International Cooperation, figure bien connue au comité. Nous avons en effet pu faire sa connaissance à New York il y a quelques mois. Il est directeur des études et agrégé supérieur de recherches à l'Université de New York.
De l'Université de Victoria, nous accueillons M. Gordon Smith, directeur exécutif du Centre for global studies et professeur de sciences politiques. Je ne sais trop à combien de séances du Comité des affaires étrangères M. Smith a assisté — une centaine peut-être — en sa qualité d'ancien sous-ministre des Affaires étrangères.
Je rappelle aux députés que nous réserverons quelques instants à la fin de la séance d'aujourd'hui pour traiter de certaines affaires du comité.
Avant de commencer, j'encourage les membres du comité à prendre connaissance du document public sur la promotion de la démocratie rédigé par notre attaché de recherche, M. Gerry Schmitz. Angela, notre greffière, nous en a remis un synopsis accompagné des liens avec ce qu'il a rédigé en 2004.
M. Rubin, M. Smith, soyez les bienvenus. La formule du comité est de vous accorder entre 10 et 15 minutes pour une déclaration liminaire, après quoi nous vous poserons des questions. Chaque parti se voit attribuer une période de sept minutes pour la première série de questions et de cinq minutes pour la deuxième.
Soyez les bienvenus; nous avons hâte de vous entendre.
Monsieur Rubin.
Je tiens d'abord à remercier le comité. Je suis heureux de retrouver ceux d'entre vous que j'ai rencontrés à New York et de vous revoir ici.
Je suis aussi très heureux d'être ici en compagnie de Gordon Smith. J'espère que vous avez eu le temps de consulter sa communication, dans laquelle vous trouverez passablement d'idées dignes d'intérêt. Je crois que vous avez également reçu des copies de mon article récent publié dans Foreign Affairs.
J'aurais également tort de ne pas remercier le Canada de son engagement en Afghanistan et des sacrifices qu'il a consentis. Je ne veux pas dire que la vie d'un diplomate chevronné vaut davantage que celle d'un jeune soldat, mais je veux préciser que nous connaissions bien Glyn Berry au Center on International Cooperation. Il a travaillé avec nous à certains projets lorsqu'il était à la mission permanente du Canada à New York. J'habitais chez Chris Alexander, l'ancien ambassadeur, aujourd'hui RSSG, au moment où il a tragiquement trouvé la mort à Kandahar.
Je déplore que le rôle du Canada ne soit pas mieux compris aux États-Unis; je pense toutefois qu'il l'est en Afghanistan. J'ai rencontré là-bas vos commandants militaires, soldats, diplomates et travailleurs humanitaires, et ils remplissent très bien leurs fonctions.
Évidemment, je vous parle en mon nom personnel puisque je ne représente personne. Bien que citoyen américain, je ne représente pas ici les intérêts des États-Unis. Je m'occupe de l'Afghanistan depuis 1983. Je m'y suis rendu 29 fois et j'ai visité tous ses pays voisins et la plupart des pays aujourd'hui associés de près ou de loin à l'Afghanistan. J'en sais donc quelque chose, je ne suis pas étranger à l'ordre international et je suis au courant des erreurs qui ont été commises par beaucoup de gens, dont moi à l'occasion.
Je pensais dire quelques mots à propos du fait que je comprends, même si je n'en suis pas très bien informé — peut-être en apprendrai-je davantage ici —, qu'il y a une polémique ou un débat au sujet du rôle du Canada en Afghanistan. Je voulais dire quelques mots à ce sujet.
Premièrement, je veux dire que je comprends. Évidemment, ce sont les États-Unis qui dominent la mission là-bas. Les Américains fournissent environ la moitié de l'assistance économique. J'ignore quel est le pourcentage exact de la force militaire, mais je pense qu'à peu près 70 p. 100 des soldats étrangers en Afghanistan sont américains, ce qui signifie que la mission dans ce pays revient à coopérer avec les États-Unis dans ce que beaucoup estiment être une entreprise américaine. Je comprends que pour bien des gens il est très difficile de coopérer avec l'actuelle administration à Washington. Même pour certains membres éminents du propre parti du président au Sénat, c'est chose difficile.
Ce que je dis avec insistance, c'est que l'Afghanistan ne devrait pas pâtir de nos dirigeants. Il ne s'agit pas seulement d'une opération américaine.
Beaucoup de gouvernements dans le monde ont des réserves au sujet de divers aspects de l'opération mais aucun gouvernement dans le monde n'y est officiellement hostile. Cela inclut l'Iran, qui contribue activement à la reconstruction de l'Afghanistan et, officiellement au moins, le Pakistan, qui fait de même. Nous parlerons du rôle du Pakistan, qui est plus complexe.
Chose plus importante encore, tout ce que j'ai vu me porte à croire que la plupart des Afghans veulent que cet effort soit couronné de succès. Ils veulent un gouvernement national comptable même s'ils peuvent ne pas s'entendre — et soient effectivement d'un avis divergent — sur la structure qu'il doit adopter.
Éducation, soins médicaux, développement, sécurité et primauté du droit: voilà ce qu'ils attendent de ce gouvernement et de tous ses alliés étrangers, même s'ils sont en désaccord sur de nombreux points, notamment le rôle précis de l'islam dans l'appareil juridique, les liens entre les lois afghanes et le droit et les normes internationales ainsi que d'autres questions.
Ils veulent aussi un Afghanistan uni et multiethnique, même s'il existe une question épineuse rarement débattue ouvertement, qui fait l'objet de désaccords entre les Afghans et leurs voisins: l'emplacement exact de cet Afghanistan uni et la définition exacte de ce qu'est un Afghan.
Cela ne signifie pas pour autant qu'ils soient heureux de la communauté internationale ou de leur gouvernement. C'est tout le contraire et les appuis en faveur de la présence internationale et du gouvernement sont en chute libre depuis un an environ, quoique, je m'empresse de le préciser, la perte d'appui pour le gouvernement ne se traduit pas forcément par un appui direct pour l'insurrection, le taliban, ou tout autre élément insurrectionnel. Parfois c'est le cas; parfois ça ne l'est pas.
Mais le principal reproche n'est pas que nous, l'occident, ou la communauté internationale soyons en train d'imposer aux Afghans quelque chose dont ils ne veulent pas. On entend bien ces reproches venant d'éléments islamistes et de beaucoup d'autres à cause du cortège de conséquences créées par une grande présence d'étrangers qui ont beaucoup d'argent, qui le dépensent et qui vivent là, ce qui a créé des problèmes sociaux graves, en particulier à Kaboul.
La principale doléance des Afghans n'est pas que nous leur imposions ce dont ils ne veulent pas, mais plutôt que nous n'ayons pas rempli ce qu'ils pensent que nous leur avons promis, soit ce que je viens de mentionner. Pourquoi n'y sommes-nous pas parvenus? Parce que c'est extraordinairement difficile.
Je veux répéter une chose que j'ai dite quand j'ai rencontré certains d'entre vous à New York. On ignore souvent que l'Afghanistan est le pays le plus pauvre du monde à l'extérieur de l'Afrique subsaharienne et qu'il est plus pauvre que la quasi totalité des pays de l'Afrique subsaharienne. Son PIB par habitant est à peu près la moitié de celui d'Haïti, et ses indicateurs de scolarisation, de santé, de longévité et ainsi de suite s'apparentent à ceux du Burundi, de la Sierra Leone, etc.
Cela explique que son gouvernement et l'un des plus faibles au monde. Les recettes fiscales pour habitant du gouvernement afghan sont de 13 $ par année. C'est tout ce dont dispose le gouvernement afghan pour assurer sécurité, instruction, soins de santé, etc. Avez-vous imaginé l'étendue des services publics, même avec l'aide qu'il reçoit, qu'il arrive à offrir. Les difficultés sont grandes, auxquelles il faut ajouter l'histoire des 30 dernières années, que je n'évoquerai même pas.
Cela tient aussi aux politiques erronées du gouvernement américain, l'administration Bush. Dès le début, il a tenté de minimiser l'ampleur de la mission pour ménager les moyens qu'il destinait à d'autres choses, comme l'invasion de l'Irak. Je peux donc comprendre les sentiments de certains Canadiens, qui ne veulent pas que leurs soldats et leurs civils soient tués ou blessés à cause des erreurs des États-Unis.
Nous n'avons pas besoin de débattre de la question de savoir si le Canada devrait être là ou non — c'est votre droit à vous de le faire — mais il faut tenir un autre débat. Je voudrais demander au Canada et aux Canadiens de participer beaucoup plus activement — et je crois que l'audience d'aujourd'hui en est le signe — au débat concernant la question de savoir ce que devraient vraiment faire tous ceux d'entre nous qui sont en Afghanistan en vue de changer la démarche là où elle doit l'être.
Il est très difficile pour le Canada d'influer sur la politique des États-Unis mais j'ai visité la plupart des pays présents en Afghanistan — la Norvège, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni, la France — ces derniers mois et j'ai constaté qu'il y a beaucoup de pays qui sont acquis à l'Afghanistan d'une manière ou d'une autre, même si leur gouvernement a des réserves au sujet de la politique suivie. Dans chacun de ces pays, on trouve des partis d'opposition et des intellectuels indépendants qui partagent ces inquiétudes. Je crois qu'il y a même eu une réunion — peut-être organisée par la Norvège — il y a à peu près six mois de pays aux vues semblables en Europe.
Ce que je suggère en fait, c'est que le Canada — le gouvernement, le Parlement, l'opposition, les figures indépendantes tel mon collègue ici présent — fassent un effort pour collaborer avec des gens qui partagent leur avis dans d'autres pays, d'autres puissances moyennes, présentes en Afghanistan afin d'élaborer des propositions communes.
Vous constaterez je crois que les États-Unis vous accorderont une oreille très attentive — peut-être même au gouvernement — en raison de la réévaluation de la politique effectuée ces six derniers mois. Nous avons déjà vu des résultats: la rallonge budgétaire récente proposée envisage de doubler l'aide à la reconstruction en Afghanistan et la décision d'augmenter le nombre de soldats et d'en affecter davantage à la sécurité, au service de police, etc. Je suis en rapport constant avec des membres du Congrès américain, des démocrates surtout, mais aussi avec certains républicains, qui tiennent beaucoup à ce débat et qui espèrent que nous pourrons faire mieux que nous l'avons fait jusqu'à présent.
Où faut-il apporter des changements? Je ne veux pas énumérer nos propositions ici car elles figurent dans l'article que vous avez reçu et je suis sûr que vous voudrez me poser des questions sur le sujet.
Évidemment, les principaux changements portent sur le degré et le rythme du soutien économique, en particulier pour la création d'emplois, et la manière dont l'aide internationale finit en fait par diminuer l'autorité et la légitimité du gouvernement, la méthode de la communauté internationale dans la lutte contre les stupéfiants, qui est très dommageable, et je félicite d'ailleurs mon collègue pour ce qu'il a dit sur la question; les affaires régionales, en particulier le rôle du Pakistan et la manière de faire bloc dans nos rapports avec ce pays; ainsi que la nécessité d'adopter une démarche accélérée et coordonnée en matière de sécurité intérieure, à savoir la police, la justice et les établissements de détention.
Mes propositions détaillées sont dans l'article que vous avez reçu.
Je vous remercie et j'attends vos questions.
Je vous écoute. Merci.
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Merci, monsieur le président. J'allais justement vous lire ce passage — et je crois sincèrement à ce que je dis dans ces phrases.
Il est très important pour moi de mieux débattre de ces questions au Canada. Il est trop polarisé entre ceux qui, d'un côté, disent que nos soldats sont engagés, qu'ils trouvent la mort, qu'ils ne saurait être question d'être autre chose qu'à 100 p. 100 derrière nos soldats — et, de l'autre, ceux qui disent que c'est impossible, que nous perdons trop de gens et que nous devrions partir.
À mon avis, les deux ont tort. Il nous faut précisément le genre d'analyse que vient de nous donner le professeur Rubin. Je suis ravis que le comité ait décidé d'examiner la question et je suis honoré que vous m'ayez demandé mes vues.
Je précise d'entrée de jeu que les objectifs énoncés par le gouvernement du Canada pour l'Afghanistan sont à mon avis parfaitement méritoires. La question que je pose dans mon document est la suivante: Sont-ils réalisables? Est-il possible de faire ce que demande le rapport — non pas est-ce que ce ne serait pas une bonne idée, mais pouvons-nous le faire? Les moyens sont-ils là?
Je veux aussi préciser qu'à mon avis la performance de nos militaires est de tout premier ordre et que nous avons tous une dette envers ceux qui ont risqué ou perdu leur vie là-bas. J'ai aussi remarqué et je suis impressionné par la façon dont l'ACDI essaie de changer sa façon de faire de manière radicale pour qu'elle puisse opérer dans le monde réel de l'Afghanistan.
Mais la question dans mon esprit, que les Canadiens et le comité examineront j'espère, est de savoir si dans l'ensemble nous avons le moindrement les ressources nécessaires pour réaliser les objectifs énoncés, à savoir instaurer la démocratie, une économie de marché opérante et le respect des droits de la personne. J'ai été frappé par les comparaisons qui ont été faites avec la taille de l'effort dans les Balkans, en particulier dans l'analyse de James Dobbins, le premier ambassadeur des États-Unis en Afghanistan. Il signale que selon la façon dont on fait la comparaison, ce qui est consacré à l'Afghanistan représente le 25e ou le 50e de ce qui a été consacré aux Balkans.
Je viens de lire un article intéressant que je vous recommande dans le dernier numéro de Survival — celui d'avril 2007 — par le général Richards, le général britannique, qui a dit il y a quatre mois à peine: « Je n'ai pas assez de soldats pour gagner. » Je crois qu'il parlait avec franchise.
La première question à aborder est celle du nombre de soldats engagés et celle de l'aide au développement. Je sais que les niveaux ont augmenté et augmentent de manière spectaculaire, en provenance du Canada, y compris ceux destinés à la région de Kandahar.
Je tiens à souligner, et c'est ce que fait Seth Jones de la RAND Corporation, dans son article, le rôle déterminant joué par le Pakistan. Nous le savons tous. La frontière est ouverte. Les Pachtounes vivent des deux côtés. Je suis loin d'avoir voyagé autant que le professeur Rubin, mais je suis allé dans les zones tribales du nord du Pakistan et jamais le gouvernement d'Islamabad ne les a maîtrisées. Ce qui est très important, c'est ce que nous avons maintenant, et je vais citer une seule phrase de l'article de Seth Jones:
De nombreux éléments montrent que les talibans, Hezb-i-Islami Gulbuddin (HIG), al-Qaïda, et les autres groupes insurrectionnels se servent du Pakistan comme d'un sanctuaire où trouver des recrues et des appuis. En outre, les avis sont quasi unanimes: la Direction générale pakistanaise du renseignement interservice (ISI) continue de prêter main forte aux groupes insurrectionnels afghans.
Ces situations deviennent de plus en plus difficiles, ce qui rend plus compliqué de traiter avec l'Afghanistan comme un pays autonome. Ce n'est pas Haïti, qui est entourée d'eau et qui a une frontière relativement anodine. C'est un environnement beaucoup plus complexe, et nous pourrons en discuter pendant la période de questions si vous voulez, la question de savoir si le gouvernement pakistanais fait tout ce qu'il peut, mais il faudrait aussi discuter non seulement de l'Iran, comme l'a suggéré le professeur Rubin, mais aussi du rôle joué par l'Inde et la réaction du Pakistan au rôle joué par l'Inde en Afghanistan.
Je dis aussi dans mon document que j'estime important de ne pas oublier la raison première pour laquelle nous sommes allés en Afghanistan: combattre al-Qaïda. Le problème d'al-Qaïda n'a pas disparu. De fait, d'après les renseignements que j'ai pu obtenir, il y a une résurgence d'al-Qaïda dans le nord du Pakistan.
Dans le document, nous avançons l'idée que, tout d'abord, tout ce qui peut être fait doit être fait, même s'il n'est peut-être pas possible de dissocier al-Qaïda des talibans. Deuxièmement, essayons de réintégrer dans le processus politique plus de gens actuellement solidaires des talibans.
La clé, c'est la dimension politique, aussi bien au Pakistan qu'en Afghanistan. Je dis cela sachant très bien combien c'est difficile.
Il est certain que nous faisons plus que notre part. Je reviens d'une rencontre à Bruxelles il y a deux semaines, à laquelle participait l'ancien président du comité, M. Graham. On ne peut manquer d'être frappé par le fait qu'en Europe, on est loin d'avoir le même sentiment qui règne ici ou en Grande-Bretagne — si j'exclus la Grande-Bretagne de l'Europe ici — qu'il s'agit de leur guerre à eux. Ils y voient la guerre des Américains et la guerre des amis des Américains. Cela se voit dans le genre de restrictions nationales que je juge intolérables — le mot est fort — et qui sont imposées à la participation de nos alliés européens.
Pour terminer, je voudrais parler de la production de pavot évoquée par le professeur Rubin. Nous pourrons en parler davantage si la question vous intéresse, mais pour dire les choses simplement, je dirai que l'élimination de la culture du pavot est un échec et cause de graves problèmes politiques à cause de ses conséquences économiques. Que ce soit en achetant et en commercialisant l'opium à des fins pharmaceutiques ou autrement, il faut trouver un moyen d'en dissuader la culture. Il ne s'agit pas seulement de détruire la production de pavot. C'est un des éléments déterminants pour obtenir l'appui de la population afghane en faveur des efforts que nous et d'autres pays de l'OTAN et pays amis de l'OTAN faisons en Afghanistan.
Merci beaucoup.
Je veux partager mon temps de parole avec M. Martin, s'il revient, mais il doit être à la Chambre à midi.
Merci à vous deux. Je suis très heureux de revoir ici M. Rubin.
Il est très difficile de comprendre tous les joueurs présents en Afghanistan. La perception ici au Canada — ma perception, dans un certain sens, et celle de mes électeurs — c'est que ce n'est pas une guerre des États-Unis, et pas même une participation de l'OTAN, même si 36 pays sont engagés en Afghanistan.
Nous lisons que toute solution doit passer par la coopération du Pakistan, et que les Pakistanais ne font pas suffisamment. J'ai deux questions concernant ce point.
Au Pakistan, quel est le rôle exact du Renseignement pakistanais, l'ISI? Il semble que l'ISI appuie rigoureusement le taliban, et la solution passera par eux dans un certain sens.
Mon autre question concerne l'Inde. Avec le long conflit entre l'Inde et le Pakistan, je pense que c'est encore très présent dans cette guerre en Afghanistan contre les talibans et al-Qaïda. Pensez-vous que l'Inde devrait jouer un plus grand rôle, dans un certain sens, ou que l'OTAN et les États-Unis laisseront l'Inde jouer un rôle plus grand en Afghanistan? Cela amènera-t-il Islamabad à coopérer davantage avec les pays de l'OTAN?
Tout d'abord, au sujet du Pakistan, je ne saurais vous dire exactement quel est le rôle de l'ISI, puisque c'est un service secret de renseignement.
Évidemment, la politique officielle du gouvernement pakistanais, c'est qu'il appuie l'effort international, qu'il juge toutefois trop militaire et trop peu politique. Il est en faveur d'une démarche politique auprès des talibans et dans les zones tribales.
Il est certain qu'il existe au Pakistan une infrastructure de soutien à l'insurrection, d'abord dans les agences tribales et aussi dans des régions du Balouchistan, qui comprennent les madrassas, les camps d'entraînement, le recrutement, les vidéos et les DVD en vente libre, etc.
Ce n'est pas que je vois des rapports des services de renseignement, mais des gens m'en parlent. S'ils me disent la vérité, des rapports répétés affirment que des agents de niveau opérationnel de l'ISI ont contribué à soutenir les talibans; pendant des dizaines d'années auparavant, ils soutenaient les moudjahidines. Ils continuent d'apporter une certaine forme d'assistance, bien que cela ne se fasse plus ouvertement et officiellement comme c'était le cas antérieurement. J'ajouterai toutefois que le Pakistan avait nié qu'il appuyait les talibans pendant toute cette période, alors qu'il les soutenait effectivement, comme il l'a maintenant reconnu.
En ce qui concerne l'Inde, je ne pense pas que le Pakistan réagira positivement en accentuant sa perception d'être menacé par l'Inde en Afghanistan. De fait, la plupart des actes de non-coopération du Pakistan en ce qui concerne l'Afghanistan sont motivés par sa crainte de la présence indienne en Afghanistan.
Le Pakistan ne devrait pas avoir le pouvoir de veto sur les relations de l'Afghanistan avec l'Inde. Les deux pays peuvent avoir des rapports mutuellement avantageux. Mais les États-Unis, le Canada et d'autres qui sont là devraient essayer de faire ce qu'ils peuvent pour veiller à ce que le rôle de l'Inde ne soit pas une menace pour le Pakistan. Il y a certains problèmes particuliers que le Pakistan a évoqués, comme les consulats de l'Inde, et le Pakistan a essayé de favoriser certaines mesures de renforcement de la confiance et de transparence entre les deux pays au sujet de leurs activités en Afghanistan.
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Tout d'abord, le Pakistan a ses troupes à la frontière et se montre très actif face à Al-Qaïda. Évidemment, les membres d'Al-Qaïda ne sont pas des Afghans ni des Pakistanais, de façon générale, mais des Arabes ou ressortissants d'autres pays. Le Pakistan n'a pas intérêt à attaquer le World Trade Center ni le Pentagone. En fait, cela lui a créé des tas de problèmes en ce sens que les talibans seraient encore au pouvoir si ce n'était pas arrivé et c'est ce qu'ils préféreraient.
Ils sont donc prêts à faire cela mais ils n'ont pas utilisé ces groupes contre les talibans. Jusqu'à la visite récente du vice-président Cheney, ils n'avaient jamais arrêté de dirigeants talibans sur le sol pakistanais. Ils niaient même qu'il puisse y en avoir au Pakistan. Le président Musharraf lui-même m'a déclaré lors d'une réunion du Council on Foreign Relations qu'il n'y avait aucun dirigeant taliban au Quitta. Ils ont ensuite arrêté un ancien ministre de la Défense taliban au Quitta et l'on peut ainsi se demander s'ils sont réellement de bonne foi.
Les militaires, au Pakistan, disent toujours que la solution de rechange à un gouvernement militaire serait le chaos. Toutefois, j'estime qu'il y a très peu de Pakistanais qui le croient. J'ajouterais également que les dirigeants civils au Pakistan déclarent aux diplomates américains: « Nous devons faire ce qu'ils veulent, sinon ils seront remplacés par des islamistes radicaux, peut-être par des talibans ou autres », ce qui ne semble pas non plus vrai, d'après ce que j'ai observé au Pakistan.
Je pense que le gouvernement militaire pourrait trouver un autre général. Le système politique pakistanais a suffisamment de maturité pour cela, malgré tous ses problèmes, qu'on pourrait avoir un gouvernement civil élu au Pakistan. Il est assez clair que c'est ce que souhaiteraient les Pakistanais.
J'ajouterais, et ceci est plus controversé, qu'à mon avis un gouvernement civil au Pakistan serait plus favorable -- ou du moins pourrait être plus favorable -- à ce que nous essayons d'accomplir en Afghanistan car l'armée au Pakistan n'est pas simplement l'armée, c'est aussi le parti dirigeant. Elle a des alliances politiques et ces alliances sont avec les partis islamistes. Le parti de Musharraf est en coalition avec le parti pro-taliban dans le gouvernement provincial du Balochistan. Les partis Pashtun opposés aux talibans s'opposent en fait à l'armée et auraient vraisemblablement plus d'influence s'il y avait un gouvernement civil élu. Il y aurait certes quelques problèmes mais je ne pense pas que le chantage que fait l'armée Pashtun avec ses visiteurs étrangers soit crédible.
Pour ce qui est des talibans, je préfère parler de la sédition que des talibans, parce que les talibans sont une organisation parmi d'autres dans cette sédition. Il y a des tas d'autres gens qui se battent pour tout un éventail de raisons. Il y a certainement des gens que l'on peut neutraliser ou incorporer au sein du gouvernement d'une façon ou d'une autre. Je pense qu'il est beaucoup plus douteux qu'on puisse créer une division politique ou entre différentes factions au sein de la structure des talibans qui semble relativement unie sous la direction de Mullah Omar.
À la conférence de Bonn, le représentant iranien est venu voir M. Brahimi qui présidait pour l'ONU et lui a déclaré: « Je tiens à vous assurer qu'à partir de maintenant l'Iran ne s'ingérera plus dans les affaires internes de l'Afghanistan ». M. Brahimi lui a répondu: « Ne me parlez pas comme à un enfant. Il n'est pas possible pour l'Iran de ne pas s'ingérer dans les affaires internes de l'Afghanistan mais, ce que nous attendons de vous, c'est de vous y ingérer de façon positive. » Je crois que c'est en fait ce que vous proposez.
Une partie de la motivation derrière le cadre de coopération économique auquel vous avez fait allusion consiste à créer des incitatifs de coopération en Afghanistan pour les voisins de ce pays. Cela faisait partie de l'idée. Évidemment, l'Afghanistan, pays environné de terre en a absolument besoin.
Toutefois, permettez-moi de vous mettre en garde, je crois que l'expérience démontre que les pays tendent à considérer d'abord leurs intérêts en matière de sécurité. Il est certain que les pays qui ont des gouvernements militaires mettent la sécurité au premier rang. Je ne dirais pas que tous les pays manifestent de l'intérêt pour la stabilité en Afghanistan. Ils souhaitent tous que l'Afghanistan soit stable et dirigé par leurs amis. La deuxième solution aurait un effet déstabilisateur. La troisième viserait la stabilité mais il serait dirigé par les ennemis de leurs amis. C'est la raison pour laquelle nous avons ce problème.
Pour le moment, par exemple, il y a deux cadres différents de coopération économique en Afghanistan. Il y a le cadre pakistanais-afghan par Karachi, et un cadre indo-iranien, qui passe par l'Iran puis va dans l'ouest de l'Afghanistan. Ceux-là sont aussi associés à différents groupes ethniques en Afghanistan du fait du territoire par lequel passe le commerce.
Je pense qu'il est très bien d'essayer d'investir dans sa coopération internationale et le Canada a favorisé cela et devrait le faire davantage, mais je pense que les mesures visant à redonner confiance en matière de sécurité et sur les enjeux fondamentaux d'intérêt national sont ce qui rendra la coopération régionale possible.
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Monsieur le président et messieurs, c'est une conversation très intéressante que nous avons aujourd'hui.
Hier encore ou la veille, quatre membres du personnel de l'ISI ont été tués en déplacement dans cette région. Je ne sais pas si vous êtes au courant. J'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.
Par ailleurs, alors que j'étais en Afghanistan, j'ai eu une rencontre avec le général McNeill, commandant de l'ISAF, qui louait beaucoup les troupes canadiennes. Il les a également félicitées ainsi que le Canada du succès de l'opération Medusa et de participer à 100 projets que l'on est en train de construire à Kandahar.
Nous entendons dire que la population afghane croit que nous sommes une force d'occupation mais je puis vous dire qu'il y a beaucoup de gens là-bas qui m'ont dit qu'il n'en était rien. Les opinions divergent donc à ce sujet. Aux États-Unis, au Canada et partout ailleurs, il y a quelques fois des gens qui disent que nos gouvernements ne font pas le nécessaire. Je crois que nous devrions être prudents lorsque nous disons que de façon générale la population afghane n'accepte pas les troupes et les considère comme une force d'occupation.
Toutefois, j'aimerais également que vous me disiez ce que vous pensez de notre opération au nord-est de Kandahar sur la barrage de Kajaki. Certains ont considéré qu'il s'agissait d'une opération militaire mais c'est en fait pour fournir de l'électricité à deux millions de personnes -- à l'heure actuelle, cela en fournit à environ 300 000. Donc, on assure la sécurité, on participe au développement -- tout cela est réel et je m'inquiète un peu quand on tend à diminuer le travail de développement qui se fait.
J'aimerais également que vous me disiez si nos attentes ou nos vues étaient trop élevées et que nous attendions que les choses se fassent très vite dans un pays que l'on bombarde depuis 30 ans. Je crois qu'il faut réévaluer nos attentes.
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Si je ne me trompe pas, c'est dans l'agence tribale du Sud-Waziristan qu'ont été tués les agents de l'ISI.
Soyons bien clairs à propos des agences tribales. Ce n'est pas que le gouvernement du Pakistan n'ait pas un contrôle de fait sur elles. Il n'a pas de contrôle de droit. Elles ne relèvent pas de l'administration.
Le problème de frontière n'est pas de savoir où situe la ligne Durand ni de reconnaître la ligne Durand. C'est également que ces agences tribales ne sont pas des territoires administrés.
En outre, les gens qui vivent dans ces territoires déclarent qu'ils sont afghans et également qu'ils sont pakistanais. Ils ne croient pas qu'ils appartiennent à un seul pays mais ils ne participent pas au système politique afghan, sauf en tant que combattants. C'est donc un problème plus large.
Au Sud-Waziristan, à l'heure actuelle, il y a beaucoup de combattants du mouvement islamique d'Uzbekistan qui sont aillés à Al Qaïda.
Pour les tribus Pashtun locales, je ne sais pas quelles sont leurs opinions personnelles mais beaucoup d'entre elles sont organisées militairement pour soutenir les talibans et se battent en fait aujourd'hui contre les Ouzbeks d'Al Qaïda qui ne sont plus bienvenus dans la région.
L'ISI est impliquée dans ce conflit très complexe entre les Ouzbeks favorables à Al Qaïda et les Pashtun pro-talibans. Nous ne savons pas exactement qui a tué les agents de l'ISI dans cette région mais, évidemment, les actions du Pakistan sont multidimensionnelles.
Quant au barrage de Kajaki, c'est un projet extrêmement important. Je suis heureux d'entendre dire que le Canada aide là-bas. L'absence d'amélioration dans la production d'électricité ces cinq dernières années depuis qu'il y a des étrangers est certainement une des premières choses dont se plaignent les Afghans.
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Je dirais qu'il s'agit d'un modèle
sui generis.
Je dirais que, si nous essayons de le définir en des termes occidentaux et au regard de notre démocratie occidentale, nous finirons par nous empêtrer parce que ce ne sera pas crédible.
Le fait est que la population élit maintenant -- elle élit peut-être des personnes qui auparavant auraient simplement été choisies comme anciens du village, mais il reste que ces gens sont élus maintenant. Une fois qu'on est élu -- et je n'ai pas besoin de vous expliquer cela à vous, mesdames et messieurs, on a des comptes à rendre. La population exige qu'on lui rende des comptes.
L'idée d'élire ces conseils était, comme je l'ai dit, d'assurer la livraison de l'aide au développement, mais ce qui est en train de se produire maintenant, d'après ce qu'on me dit, c'est que ces conseils deviennent en quelque sorte des conseils villageois dont la responsabilité ne s'arrête pas à la livraison de l'aide au développement.
Quels que soient les progrès, cependant, ce n'est pas demain qu'on va passer là-bas à un système judiciaire comparable au nôtre, du moins d'après ce que nous pouvons constater; peut-être aussi que cela ne se fera jamais. Il reste que la justice traditionnelle là-bas ne se limite pas toujours à couper la main du coupable ou à lui imposer un châtiment semblable, ce qui est absolument inacceptable.
J'estime qu'il faut être prêt à faire fond sur la tradition et éviter d'imposer simplement des modèles venus de l'extérieur.
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Merci, monsieur le président.
Merci, messieurs, de vos témoignages.
Je crois qu'au début, vous avez sonné une note assez pessimiste quant à la perception qu'ont les Afghans des interventions militaires qui se sont succédé et, de façon plus importante peut-être, des efforts pour reconstruire leur pays et de la capacité de leurs institutions à eux de répondre à leurs besoins.
Si vous vous déplaciez dans les différentes régions du Canada pour vous entretenir avec la diaspora afghane, qui est nombreuse ici, on vous le confirmerait. Chaque fois que je parle de cela avec un de mes électeurs, et il s'agit assez souvent de chauffeurs de taxi de Toronto -- je ne cherche pas à faire une blague ici... Ces personnes communiquent tous les jours par téléphone avec les membres de leur famille et leurs amis là-bas. Ces dernières années, les Afghans sont devenus de moins en moins enchantés et de moins en moins optimistes quant à ce qui va ressortir de tout cela. Cette perception s'explique en grande partie par l'absence de sécurité et par les lacunes en matière de prestation des services, comme vous l'avez tout deux fait remarquer. La situation actuelle est attribuable au problème de la drogue. Cela ne fait aucun doute.
J'ai une question pour vous. Il est clair que toute cette question fait l'objet d'un vaste débat parmi les forces militaires aux rencontres de l'OTAN. Quel devrait être le rôle des militaires par rapport à celui des policiers locaux? Vous avez dit que le programme américain d'éradication ne donnera pas les résultats escomptés. Quelles sont les chances que le gouvernement américain renonce à ce programme? Le gouvernement américain impose ce programme par la force à tous les autres membres de l'OTAN, qu'ils le veuillent ou non. Si nous en jugeons par ce qui s'est passé en Colombie, il est peu probable que le gouvernement américain renonce à ce programme. S'il n'y renonce pas, quelle serait la prochaine étape pour nous?
Il y a aussi un problème connexe dont il n'a peut-être pas été fait mention jusqu'à maintenant. Il s'agit de la corruption endémique en Afghanistan qui est directement liée au problème de la drogue et qui en est une des conséquences, ce qui nuit énormément à la prestation de ces services dont vous avez dit qu'ils sont essentiels si nous voulons convaincre la population afghane du bien-fondé de notre intervention. La plupart des Afghans à qui on parle du problème de la corruption sont très sceptiques quant à la possibilité de le résoudre. Existe-t-il un mécanisme d'aide...? Avons-nous déjà réussi dans une société quelconque à assurer une aide suffisante pour les services publics qui permettrait d'éviter la corruption ou de l'éliminer? C'est là ma principale question.
J'en ai une autre. Nous n'avons pas beaucoup parlé de la Russie, même si nous avons parlé de presque tous les autres pays avoisinants. Chaque fois que je rencontre Sergei Ivanov ou quelque autre haut dirigeant russe, les deux insistent pour dire que leur service de renseignement appuie entièrement ce que nous sommes en train de faire en Afghanistan. Ils nous sont très utiles. Quand je dis cela, je veux parler de manière générale des puissances occidentales. Faut-il ajouter foi à ces propos, ou la Russie a-t-elle un autre objectif dans la région?
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Tout à fait, et c'est justement pour cette raison que la Russie est maintenant un obstacle à la poursuite de certaines initiatives politiques visant à incorporer les talibans et à négocier avec eux, car il y une liste de dirigeants talibans qui sont visés par les sanctions prises en vertu de la résolution 1267 du Conseil de sécurité et que certains de ceux qui figurent sur cette liste travaillent maintenant pour le gouvernement, comme le gouverneur de l'Orouzgan. La Russie refuse toutefois de radier quelque nom que ce soit de la liste des sanctions. Si la personne a son nom sur la liste, il est très difficile de l'inviter à participer, de lui donner de l'aide au développement, etc. Il serait donc utile de discuter de ce problème.
La liste des sanctions est aussi très utile maintenant comme moyen de contrer les stupéfiants. Aux termes d'une résolution adoptée en décembre, le Conseil de sécurité a adopté la proposition de M. Costa, de l'ONUDC, visant à ajouter à la liste des sanctions les noms des principaux trafiquants de drogues en Afghanistan, car le gouvernement afghan a manifestement beaucoup de mal à les arrêter.
En ce qui concerne la corruption, il convient de préciser que, dans un sens, le terme est trompeur, car il y a divers types de problèmes qui se posent. Il est absolument impossible d'utiliser l'aide au développement pour éliminer la corruption au sein du gouvernement afghan -- ou, si je puis me permettre, au sein du gouvernement américain. Je ne vais pas m'aventurer à parler du gouvernement canadien. Mais le véritable problème, ce ne sont pas les pots-de-vin ni la corruption. Le véritable problème est la mainmise des groupes armés illégaux et des trafiquants de drogue, essentiellement, sur les institutions gouvernementales. C'est un tout autre problème.
Le problème avec lequel on est aux prises, c'est essentiellement celui du crime organisé, en un sens. Résoudre le problème de la drogue, soit en mettant la structure en déroute soit en décriminalisant l'activité, est le seul moyen, à mon avis, de s'attaquer au principal problème que pose la corruption en Afghanistan, à savoir la mainmise sur les structures étatiques.
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Le processus jirga dont vous parlez avait été proposé à l'origine par le président Karzai, si je ne m'abuse. Et ce qu'il envisageait, c'était que les tribus pashtounes de deux côtés de la ligne Durand -- il refusait de parler de frontière -- se rencontreraient pour essayer d'assurer la sécurité dans la région. Bien entendu, ni les non-Pashtun en Afghanistan ni le gouvernement pakistanais n'ont accepté la proposition, et si bien qu'on essaie maintenant de trouver un autre mécanisme.
Mais il y a un problème fondamental. Le jirga est utilisé comme institution nationale en Afghanistan, mais pas au Pakistan, de sorte qu'il n'y a pas de symétrie de part et d'autre. Ils ont beaucoup de mal à décider comment ils pourraient s'y prendre, et je ne sais pas s'ils vont réussir.
En ce qui concerne le deuxième point, vous avez parfaitement raison de dire qu'il ne s'agit pas que d'un problème afghan, c'est un problème régional. La frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan ne se limite pas simplement à tracer une ligne entre les deux pays, car la frontière est quelque chose de plus complexe, comme vous l'avez dit. On parle là-bas de frontière à trois tracés parce que ce sont les Britanniques qui ont tracé la ligne de démarcation, de sorte qu'il y a une ligne qui sépare les territoires administrés du Pakistan et les zones tribales non administrées.
Soit dit en passant, le gouvernement afghan a certains droits dans ces zones tribales. Il avait l'habitude d'y recruter des soldats, et il entretient des relations avec les tribus. Les tribus envoient des messages au président Karzai pour lui dire ce qu'elles veulent qu'il fasse. Leurs membres vivent du côté pakistanais de la frontière et combattent des deux côtés en Afghanistan.
L'Afghanistan était autrefois suzeraineté britannique, et la limite extérieure des frontières séparant l'Afghanistan de la Russie et de l'Iran était considérée comme la bordure de sécurité de l'empire britannique. Elle est ni plus ni moins considérée aujourd'hui comme la bordure de sécurité du Pakistan. C'est ce qu'on appelle la doctrine de la profondeur stratégique.
Il y a donc une multitude d'enjeux liés à la structure du Pakistan, aux relations entre le Pakistan et l'Afghanistan et à la façon dont l'Afghanistan est installée dans la région qui doivent être réexaminées. Le pays est actuellement gouverné en vertu d'une entente coloniale de 1905 entre la Grande-Bretagne et la Russie. Le moment est tout indiqué pour revoir les diverses ententes, puisque la communauté internationale est présente en Afghanistan et qu'elle peut contribuer aux mesures de renforcement de la confiance, notamment en investissant dans le développement de cette zone frontière, ce qui permettrait à la population qui y vit d'avoir accès à un autre gagne-pain que la contrebande et les conflits armés.
Merci, monsieur Rubin, et merci, monsieur Smith, des observations très pertinentes que vous avez faites sur ce sujet très complexe.
Si je répète ce qui a déjà été dit, je m'en excuse, mais j'ai dû m'absenter un moment pour aller prendre la parole à la Chambre.
Je vois mal comment nous pourrions vaincre des insurgés dont les bases se trouvent à l'extérieur du pays où nous nous battons, en l'occurrence, Quetta, au Pakistan, comme nous le savons tous. Je ne vois pas non plus pourquoi nous n'avons pas investi davantage dans la police nationale afghane. Nos troupes font un travail exceptionnel contre les talibans, mais je crois que c'est à la force constabulaire que revient la tâche d'assurer le maintien de l'ordre et la sécurité pour les habitants des zones touchées.
Voici mes questions.
Premièrement, croyez-vous qu'il faut mettre à contribution, au sein d'un groupe de travail régional, le Pakistan, l'Inde, l'Iran et l'Afghanistan, pour relever les défis politiques dans cette région?
Deuxièmement, en ce qui concerne la culture du pavot et la production d'opium, que pensez-vous de l'idée d'amener ces agriculteurs à produire de l'héroïne qui servirait à la production de narcotiques de qualité pharmaceutique qui pourraient ensuite être vendus, surtout aux pays en développement où il y a un déficit de 80 p. 100, ce qui donnerait au pays une ressource à valeur ajoutée avec laquelle les agriculteurs pourraient obtenir un taux de rendement raisonnable. Cela permettait aussi de briser le lien économique entre ces paysans et les talibans.
Monsieur Rubin, si vous pouviez nous faire des conclusions de l'administration américaine par suite de son examen de l'Afghanistan, nous vous en saurions gré.
Merci.
Pouvons-nous gagner? C'est en fait le titre de notre mémoire, Est-ce que ça marche?, et je dis essentiellement qu'à l'heure actuelle, non, ça ne marche pas. J'ai brossé le tableau le plus noir possible délibérément car j'estime important d'attirer l'attention sur ce fait.
Je réponds aux deux questions à la fois parce que l'échéancier dont a parlé M. Wilfert met l'accent non seulement sur la présence militaire, mais aussi sur le niveau d'activité militaire en cours actuellement. Tout le monde à qui j'ai parlé m'a dit que, inévitablement, avec le temps, le niveau de tolérance baisse et c'est pour cela que nous sommes maintenant à une période cruciale. Même si on vivait en sécurité dans tout le pays, il y aurait encore une présence militaire externe même si nous n'avions plus à faire la guerre comme nous le faisons en ce moment. Comme je l'ai dit à Mme Lalonde, l'aide au développement, elle, se poursuivra encore très, très longtemps.
En ce qui concerne la création d'un groupe de travail régional, je présume que cela ne ferait pas de tort et que cela pourrait même être bon, mais je crois que, en dernière analyse, ce qui fera toute la différence, ce sera la pression qui viendra de l'extérieur. Ce sont surtout les États-Unis, quand ils se concentreront sur ces questions, qui pourront faire toute la différence.
Monsieur Martin, en votre absence, nous avons touché quelques mots du pavot et je suis d'avis, comme vous le savez pour avoir lu mon rapport, que l'éradication ne fonctionne pas. D'après votre question, j'en conclus que vous êtes d'accord avec moi. Que ce soit en créant un organisme de mise en marché qui se chargerait de l'achat et de la vente du pavot pour la fabrication de drogues légales ou que ce soit grâce à d'autres mesures, il faut encourager les agriculteurs à cesser de cultiver ou de vendre le pavot. Il ne faut toutefois pas que l'incitatif soit tel qu'il encourage ceux qui ne cultivent pas le pavot en ce moment à le faire.
Je crois savoir que seulement 4 p. 100 des terres agricoles en Afghanistan servent à la culture du pavot. Il faut faire en sorte de ne pas prévoir des mesures d'encouragement trop généreuses, sinon, vous risqueriez de vous tirer dans le pied.
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La seule chose que je dirai pour ce qui est de savoir s'il est possible de gagner, c'est que si nous définissons nos objectifs de façon raisonnable, alors il est possible de réussir. Il n'est pas possible, en peu de temps, particulièrement avec peu de ressources, de transformer l'Afghanistan en une démocratie moderne, prospère, stable et pacifique où le niveau de représentation des femmes en politique est supérieur à celui des États-Unis.
Je pense qu'il est très important de souligner qu'il ne sera pas possible de battre les forces insurgées sans avoir des bases à l'extérieur du pays. C'est l'une des conclusions à la suite de l'examen de la politique qui a été effectué par le gouvernement américain, je crois. Je n'ai pas vu l'examen de la politique, naturellement, mais j'en ai vu les résultats, qui consistent à accorder davantage d'attention au problème des talibans au Pakistan, à doubler le montant d'aide américaine qui a été demandé et en particulier, de mettre l'accent sur le renforcement des forces policières, comme vous l'avez suggéré. C'est tardif, et j'en explique les raisons, mais cela est tout à fait nécessaire, comme vous le mentionnez.
Naturellement, je voudrais souligner encore une fois que sans un système judiciaire qui fonctionne, on ne sait pas exactement ce que la police est censée faire sauf battre les gens, et c'est essentiellement ce que les policiers font.
En ce qui concerne la question de l'opium, je veux mentionner qu'il s'agit là d'un grave problème. Il existe un régime légal international sur les stupéfiants, et l'opium est une drogue illicite. Il y a des règles très strictes aux termes de ce régime, qui est administré par l'Organe international de contrôle des stupéfiants à Vienne, pour déterminer qui peut avoir un permis pour produire de l'opium licite. L'une des conditions consiste à avoir un système de police suffisant pour garantir qu'il n'y aura pas de fuite. Car vous pouvez facilement vous imaginer que si on leur dit en Afghanistan qu'il est maintenant légal de cultiver l'opium, tout le monde va commencer à en cultiver. Par ailleurs, il sera très difficile d'attribuer les permis pour produire de l'opium dans un pays où les gens ne sont pas inscrits auprès de l'État et où il n'y a pas d'arpentage. On n'a donc pas en Afghanistan le degré de contrôle nécessaire pour administrer un tel programme dans le cadre du régime international actuel.
Or, cela crée un cercle vicieux, car avec les stupéfiants et la corruption que cela entraîne, il n'est pas possible de créer une sécurité adéquate et étant donné le manque de sécurité, on ne peut pas partiellement légaliser la culture de l'opium. Je serais certainement en faveur d'examiner s'il serait possible d'adopter une approche différente, particulièrement dans les régions où il n'y a plus de conflit, afin de contrer les stupéfiants, mais cela exigerait en fait peut-être d'apporter certains changements au régime international. Je participe à un projet qui examine justement cette question.
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Nous reprenons nos travaux. Si j'ai bien compris, cette séance n'est plus télévisée, et c'est toujours bien. J'ai du mal à manger lorsque je sais que la séance est télévisée.
Nous allons revenir rapidement et aborder les travaux futurs du comité. Il y a quelques points à l'ordre du jour.
Vous n'avez pas un exemplaire de ce budget. Ce matin, à la séance du sous-comité sur les droits de la personne, on a demandé de distribuer ce budget. D'après la greffière, ce budget est tout à fait approprié pour faire une étude. On demande un montant de 9 900 $ pour l'étude sur les droits de la personne en Iran. Le comité l'a adopté à l'unanimité.
Nous faisons une étude sur la Chine, et maintenant une petite étude sur l'Iran. M. Cotler et plusieurs membres du comité ont présenté une motion et nous ferons donc une étude sur l'Iran.
Avons-nous un consensus pour adopter ce budget? Oui? Il est adopté.
Ce matin, il y avait trois rapports et encore une fois cela ne figure pas à l'ordre du jour qu'on vous a remis, car nous venons tout juste de recevoir cela du comité des droits de la personne qui s'est réuni de 9 heures à 11 heures. Le premier rapport a été déposé, alors nous pouvons en parler. Je ne dis certainement pas que nous allons l'adopter aujourd'hui mais, pour votre gouverne, on demande que le gouvernement du Canada entreprenne une enquête criminelle sur la participation du procureur iranien, le général Sayeed Martazevi, dans la torture et le meurtre de la citoyenne canadienne Zarah Kazemi, conformément à l'article... et cela continue.
Par ailleurs, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international a reçu ce qui suit:
Le Sous-comité des droits internationaux de la personne exprime sa profonde réprobation devant le non-respect par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international de la motion de Caroline St-Hilaire,
— c'en est une importante —
demandant une copie du rapport du professeur Charles Burton, motion adoptée par le sous-comité le 7 novembre 2006.
Pour ce motif, le sous-comité exige que lui soit communiquée sans condition avant le 26 mars 2007 la version intégrale et originale du rapport...
Cela vient de Mme St-Hilaire, et nous aborderons tout cela à la prochaine séance.