[Français]
Je souhaite la bienvenue à tous.
[Traduction]
Au cours de cette séance, encore une fois convoquée conformément au Règlement, nous allons pouvoir examiner trois points qui figurent à l'ordre du jour, chers collègues.
Le premier point, auquel nous allons passer immédiatement, consiste à examiner le certificat de nomination de madame Jennifer Stoddart au poste de Commissaire à la protection de la vie privée. Son mandat a été renouvelé pour une période de trois ans. Comme c'est la coutume, elle comparaît devant le comité au sujet de sa nomination à ce poste par le gouvernement pour une période supplémentaire de trois ans.
Le comité est très heureux d'accueillir la Commissaire à la protection de la vie privée. Elle est venue à la suite d'un préavis très court et nous l'en remercions. Nous allons maintenant lui demander de présenter ses commentaires d'ouverture et nous passerons ensuite aux questions des membres du comité.
Selon le temps qui nous restera, nous passerons ensuite à l'étude Google. Ensuite, à 16 h 30, nous entendrons M. , le député pour la circonscription .
Cela dit, madame Stoddart, je vous invite à nous livrer vos commentaires d'ouverture.
:
Merci, monsieur le président.
[Français]
Mesdames et messieurs les députés,
[Traduction]
Bonjour. C'est un honneur pour moi de me retrouver ici parmi vous, pour répondre à vos questions au sujet du renouvellement de ma nomination à titre de Commissaire à la protection de la vie privée du Canada.
J'apprécierais grandement que le Parlement me témoigne sa confiance en renouvelant mon mandat, et qu'il me donne ainsi l'occasion de poursuivre sur la lancée des importants travaux déjà accomplis par le Commissariat. Ce fut un grand privilège pour moi au cours des sept dernières années d'offrir mes services aux Canadiens et au Parlement.
Comme vous le savez, j'ai eu le plaisir d'être appelée à témoigner devant ce comité à de nombreuses reprises au cours de mon mandat et je suis très contente de voir tous ces visages familiers aujourd'hui.
Ce fut tout un parcours au cours de ces sept années. En 2003, j'ai pris la tête d'un organisme qui commençait à peine à se remettre d'une période extrêmement difficile. Nos pouvoirs administratifs avaient été considérablement réduits. Une partie de notre budget était sur le point de disparaître. Nous faisions l'objet d'enquêtes menées par la GRC, la vérificatrice générale et d'autres intervenants.
Je dois dire qu'il nous a fallu accomplir un gros travail, mais nous avons remis de l'ordre dans nos affaires, ce qui nous a permis de ramener notre attention là où elle devrait être: sur la protection du droit des Canadiens à la vie privée.
Et j'avoue aussi que le défi s'est avéré considérable en raison du changement de cap radical observé dans le domaine du droit à la vie privée ces dernières années. Les progrès technologiques et l'esprit d'innovation ont collectivement ouvert la voie à une multitude de nouveaux services en ligne et de dispositifs électroniques qui ont des répercussions importantes sur notre vie privée: on pense aux réseaux sociaux, à YouTube, à Foursquare et aux téléphones intelligents, pour ne nommer que ceux-là.
Parallèlement, nos données personnelles deviennent une denrée très précieuse, tant pour le secteur public que pour le secteur privé. Les entreprises ont recours de plus en plus à des profils détaillés pour nous offrir des publicités de mieux en mieux ciblées, alors que les gouvernements de partout au monde considèrent les données personnelles comme un élément clé pour contrer le terrorisme et la criminalité.
Nous vivons dans un monde où la circulation des données est mondiale, instantanée et perpétuelle. Je suis extrêmement fière de nos réalisations face à ces changements rapides. Mais les menaces qui continuent de planer sur la vie privée demeurent considérables, et il reste beaucoup de pain sur la planche.
Si mon mandat était renouvelé, je mettrais l'accent sur quelques éléments précis: le leadership pour les questions prioritaires liées à la protection de la vie privée — nous en avons quatre et je pourrais vous en dire davantage à ce sujet tout à l'heure; soutenir les Canadiens, les organismes et les institutions, afin qu'ils prennent des décisions éclairées dans le domaine de la protection de la vie privée, et, bien sûr, et toujours, la prestation de services à l'ensemble de la population canadienne et, par conséquent, au Parlement également.
[Français]
Je passe maintenant à la question du leadership en matière de questions prioritaires.
Comme les Canadiennes et Canadiens passent de plus en plus de temps dans cet environnement numérique chaque jour, il est clair que c'est là que nous devons concentrer une bonne partie de nos efforts.
Vous êtes, bien sûr, au courant de nos discussions suivies avec les géants en ligne que sont Facebook et Google. À l'heure actuelle, nous faisons enquête sur d'autres plaintes relatives à Facebook, de même...
:
Chers membres du comité, je vais reprendre là où je me suis arrêtée.
[Français]
Il s'agit d'enjeux d'une importance cruciale lorsqu'on prend en considération le rôle central que joue Internet dans notre quotidien, disais-je. J'ai lu récemment qu'un couple américain sur quatre qui s'est formé en 2007 ou après est composé de personnes qui se sont rencontrées en ligne.
Plus tôt cette année, nous avons été l'hôte de consultations publiques sur le suivi en ligne des consommateurs et sur l'infonuagique afin d'en apprendre davantage sur certaines pratiques de l'industrie, sur les conséquences de ces dernières sur la vie privée et sur les attentes de la population canadienne à cet égard.
En considérant ce qui se profile pour l'avenir, nous devons nous efforcer de comprendre plus en profondeur les questions de vie privée dans l'univers numérique. Nous devons également continuer de bonifier les compétences du commissariat en recrutant davantage de spécialistes de la technologie de l'information et en établissant des liens avec des spécialistes externes. Il sera également essentiel à notre succès futur de poursuivre la coopération avec nos collègues des provinces et avec nos collègues ailleurs dans le monde.
Je passe maintenant à la question de la sécurité publique. Les incidences potentiellement graves pour la vie privée des mesures liées à la sécurité nationale et à l'application de la loi sont une autre priorité stratégique qui demeure d'actualité.
Le droit à la vie privée n'est pas un droit absolu. En effet, il peut y avoir des situations où la protection de la vie privée doit céder la place au bien commun. Cependant, on ne devrait demander aux Canadiennes et aux Canadiens de faire ce sacrifice que lorsqu'il est clair que le résultat promis, que ce soit une amélioration de la sécurité du transport aérien ou la capture de blanchisseurs d'argent, serait atteint et qu'il n'existe pas d'option moins envahissante pour arriver au même résultat.
Nous avons travaillé avec de nombreux ministères et organismes gouvernementaux pour renforcer les mesures de protection de la vie privée prises dans le cadre d'initiatives comme le Programme de protection des passagers, mieux connu sous le nom de liste des personnes interdites de vol, des scanners dans les aéroports et les fichiers impossibles à consulter de la GRC. Nous devons maintenir notre vigilance à cet égard.
[Traduction]
Pour relever le défi que présente la protection de la vie privée, il faut également s'assurer que les Canadiens possèdent de solides compétences en culture numérique.
Nous utilisons les outils en ligne pour aider les Canadiens à mieux comprendre leurs droits et à faire des choix éclairés dans le domaine en rapide évolution qu'est le droit à la vie privée. Nous avons un blogue et un site Web destiné aux jeunes. Nous « tweetons » et nous affichons sur YouTube des vidéos sur la protection de la vie privée. Nous effectuons la plus grande partie de notre travail de sensibilisation du public en collaboration avec un vaste éventail d'intervenants, comme les enseignants, les groupes de consommateurs, les associations commerciales et également les organismes gouvernementaux.
C'est peut-être en partie parce que j'ai été moi-même commissaire provinciale, mais j'ai toujours considéré qu'il était utile de nouer de solides liens avec nos homologues provinciaux et d'autres intervenants dans le pays. Je veux m'assurer que le Commissariat à la protection de la vie privée n'est pas perçu comme un organisme trop centré sur Ottawa ou ne connaissant pas les questions qui se posent à l'extérieur de la région de la capitale nationale.
Nous avons récemment ouvert un bureau à Toronto, où sont situées un grand nombre des organisations visées par les plaintes qui nous sont soumises. Il sera également crucial de continuer à rayonner dans toutes les parties du pays et à maintenir la diversité culturelle et linguistique au Commissariat pour répondre véritablement aux besoins des Canadiens à qui nous offrons nos services.
En fin de compte, le plus important pour moi, c'est que notre travail réponde aux besoins et aux attentes des Canadiens. Comme je le disais au début, cela veut dire que nous devons continuer à répondre aux besoins des entreprises, du gouvernement et du Parlement.
Mon rôle de haut fonctionnaire du Parlement m'accorde une position très privilégiée et, à mon point de vue, j'estime avoir eu, au cours des sept dernières années, une relation très positive et constructive avec le Parlement. Comme vous le savez, je dois rendre des comptes au Parlement. Par exemple, je me présente au Parlement chaque fois que les parlementaires me le demandent pour commenter un projet de loi renvoyé pour étude à un comité.
Une fois par année, le Commissariat soumet ses plans et priorités à l'approbation du Parlement, ce qui veut dire habituellement celle de votre comité. Si le Parlement considère que nous devrions nous donner une priorité en particulier, il a l'occasion de le faire dans le cadre de ce processus. J'ai déjà déposé plusieurs rapports annuels sur nos travaux au Parlement et à votre comité.
Je serais très heureuse d'avoir l'occasion de discuter davantage avec les membres de ce comité, et avec les parlementaires en général, au sujet du rôle du Commissariat et des enjeux que soulèvent les préoccupations concernant le droit à la vie privée.
Pour terminer, j'aimerais souligner que je serais heureuse d'avoir l'occasion de continuer à mettre à profit les réalisations des dernières années et je vous remercie d'avoir bien voulu écouter mon exposé. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
:
Oui. Merci d'avoir posé cette question.
Premièrement, je crois avoir beaucoup de choses à faire, malgré les paroles très aimables qu'a eues pour moi l'honorable membre du comité, Madame , et le profil que les médias ont donné à notre bureau sans que nous l'ayons vraiment voulu. Il y a beaucoup de choses très concrètes à faire, en particulier pour améliorer la prestation de nos services aux Canadiens, suivre les tendances, et essayer de donner une orientation à nos interventions. C'étaient là les deux très, très grands dossiers, d'après moi, sur lesquels ont travaillé beaucoup de gens et nous avons encore beaucoup de travail à faire sur ces dossiers.
Le choix d'un mandat de trois ans vient du fait que j'ai pensé qu'il s'était écoulé environ trois ans entre le moment où j'ai été nommée à la fin de 2003 et 2006, année au cours de laquelle nous avons finalement récupéré ce qu'on appelle la « délégation des pouvoirs de dotation ». Sans cette délégation, nous ne pouvions pas embaucher nos propres employés sans l'approbation de la fonction publique. Lorsque vous fonctionnez de cette façon pendant deux ans et demi, vous ne pouvez pas faire grand-chose. On vous soupçonne de tout et il y a beaucoup de gens qui ne souhaitent pas travailler pour vous.
Une fois dissipée cette atmosphère de soupçon, nous avons pu nous attaquer à la deuxième chose qui était obtenir un budget approprié. Notre budget avait été gelé à son niveau de 2000 et ensuite, à cause de tout ce qui est arrivé, le Conseil du Trésor nous avait simplement dit de mettre de l'ordre chez nous et qu'il s'occuperait ensuite de notre budget, ce qui paraissait encore une fois logique. Je ne mentionnerai pas les autres enquêtes dont nous avons fait l'objet.
De sorte que pendant cette période... Comme vous le savez, il est très inhabituel qu'une agence du secteur public se trouve dans ce genre de situation, de sorte qu'à cause du temps que j'ai consacré personnellement à toutes ces questions, qui ne font pas vraiment partie de la mission normale d'un commissaire à la vie privée, je n'ai pas eu le temps de m'occuper de certaines autres questions de fond. C'est ce que j'aimerais faire. J'aimerais récupérer une période équivalente à celle que j'ai consacrée à la remise en ordre du commissariat et profiter des grandes compétences des personnes que nous avons maintenant avec nous, depuis que nous avons amélioré la situation.
Nous sommes désormais en mesure d'attirer un groupe d'employés vraiment extraordinaires, jeunes pour la plupart, qui font un travail vraiment étonnant. J'aimerais utiliser leurs talents dans de nombreux domaines, en particulier dans ce qui se passe sur Internet et les relations entre Internet, la société et toutes les technologies de l'information de façon à aider les Canadiens à aborder ces problèmes.
:
Nous le faisons de nombreuses façons. Je pourrais peut-être vous parler des quatre priorités que nous avons en matière de protection de la vie privée, qui touchent toutes maintenant le monde en ligne. Je vous les présente comme elles me viennent.
La première est l'information génétique. Avec la prolifération des sites Web génétiques, des tests génétiques et des progrès médicaux reliés à notre composition génétique ainsi que les questions d'éthique qu'elles posent, il faut bien avouer que notre information génétique constitue bien sûr notre information la plus personnelle. C'est bien évidemment une grande question qui va se poser à notre société. Nous constatons que certains aspects sont déjà commercialisés. Ce domaine est visé par nos deux lois. Nous continuons de suivre l'évolution de ces questions. Nous aimerions faire enquête sur un site Web génétique. Nous n'avons pas encore reçu de plainte, et cela soulève toutes sortes de problèmes. Voilà une question.
La deuxième est bien sûr la sécurité nationale. Même si la question des renseignements personnels est devenue une question très grave depuis le 9 septembre, il est difficile de savoir si les choses vont vraiment s'améliorer dans un proche avenir. Elles risquent en fait de s'aggraver énormément, parce que nous parlons de drones qui surveilleraient les frontières, d'augmenter les échanges entre des bases de données, par exemple. Nous estimons très important de continuer à suivre les questions liées à la sécurité nationale. De plus en plus, cette question fait appel à des transferts en ligne. Je crois que c'est la question qui vous intéresse.
L'intégrité de l'identité est une autre priorité. Cela découle du fait que nous avons des identités multiples en ligne et de la mesure dans laquelle nous sommes obligés de fournir des renseignements en ligne lorsque nous furetons d'un site à l'autre, et également la mesure dans laquelle les annonceurs ou les hôtes de site Web peuvent nous sous-tirer des renseignements personnels lorsque nous passons chez eux, voire éventuellement les vendre, par exemple. C'était là le sujet de notre consultation permanente qui portait sur la publicité axée sur les comportements cette année.
Enfin, les technologies de l'information sont une priorité générale et nous tentons de suivre les répercussions qu'ont toutes ces évolutions technologiques sur la protection des renseignements personnels. Peut-être le cas le plus frappant de nos jours est la technologie de la reconnaissance faciale, qui fait appel encore une fois à Internet. Il y a le réseau intelligent, un aspect à propos duquel la Cour suprême vient de rendre une décision il y a quelques jours. Cette décision a été prise à la majorité simple, mais la Cour a néanmoins déclaré que le service de police de l'Alberta avait le droit d'utiliser les renseignements provenant du système hydro-électrique albertain concernant la consommation d'électricité par quelqu'un qui utilisait cette électricité pour faire pousser de la marihuana.
Ce sont là quelques-unes des façons dont nous examinons les applications d'Internet.
:
C'est une excellente question à laquelle je réfléchis depuis des années, et bien évidemment, parce que ce bureau vient tout juste d'ouvrir. La présence physique est de moins en moins importante, mais elle conserve toujours une certaine importance.
Idéalement, si nous avions des ressources suffisantes, nous serions présents dans chacune des provinces, parce que les rapports humains comptent toujours beaucoup. La présence humaine compte beaucoup. Le fait d'être physiquement proche d'autres personnes dans un contexte plus spontané et informel, plutôt que d'avoir à organiser une conférence vidéo ou d'échanger des courriels me paraît encore préférable.
Pourquoi avons-nous choisi Toronto? C'est parce que les trois quarts des organisations concernées par notre loi sur le secteur privé, la LPRPDE, se trouvent à Toronto. Nous ne prévoyons pas occuper un édifice ailleurs au Canada, mais qui sait? Je vais d'abord voir ce que cela nous apporte.
Nous avons été présents au palier régional. Nous avons retenu les services d'une personne à temps plein pendant deux ans dans les Maritimes. Elle travaillait chez elle et se déplaçait dans la région pour établir des liens, nous représenter, prendre la parole dans les écoles secondaires, ce genre de choses. Nous avons une relation permanente avec le commissaire à l'information et à la vie privée de l'Alberta et nous avons même utilisé son bureau à un moment donné. Ce sont des liens informels, qui varient selon la région, selon les ressources dont nous disposons, et selon les possibilités qu'offre notre budget. Ce sont des initiatives créatrices.
C'est le deuxième point à notre ordre du jour.
Premièrement, je devrais informer les membres du comité que nous avions bien sûr l'intention, si cela était possible, d'examiner le rapport Google cet après-midi. Cependant, il y a eu quelques problèmes techniques et nous ne pourrons pas le faire cet après-midi. Ce point sera remis à l'ordre du jour, peut-être pour une durée d'une demi-heure, à une des séances prévues la semaine prochaine.
Avant d'ajouter quoi que ce soit, je vais demander à toutes les caméras de quitter la salle, s'il vous plaît, maintenant. Je vous remercie.
Le point suivant qui figure à l'ordre du jour du comité est la comparution de monsieur , député de . Monsieur Ménard a répondu à une demande écrite que lui avait faite le comité.
Je dois vous signaler qu'en tant que député, il n'est pas un témoin contraignable. Il existe un groupe de personnes triées sur le volet qui ne sont pas contraignables: les membres des autres assemblées législatives, les députés, les sénateurs, les juges et le gouverneur général.
Il a néanmoins accepté de son propre chef notre invitation et il est ici parce qu'il le veut bien.
Bienvenue, monsieur Ménard. Comme le veut la pratique du comité, nous allons vous accorder une dizaine de minutes pour vos remarques d'ouverture, si vous voulez en présenter.
Vous avez la parole.
:
Merci, monsieur le président.
Lorsque l'affaire pour laquelle vous m'avez convoqué a été déclenchée, j'ai décidé, pour des raisons que je vais vous expliquer à la fin, que je ne donnerais qu'une seule interview, à Christian Latreille de Radio-Canada. Cependant, j'ai aussi fait savoir que j'étais prêt à collaborer avec toutes les autorités compétentes qui voudraient enquêter sur ces faits, et c'est pourquoi je suis ici.
Vous m'avez convoqué pour en parler, et je comprends par les remarques qui ont été faites à la Chambre que vous voulez que je vous explique pourquoi j'ai pris tant de temps à en parler en public. Dès que j'ai été engagé dans ces événements, j'ai compris que, si j'en parlais, ça causerait d'abord l'explosion médiatique que ça a causée, mais que ce serait ma parole contre celle d'un autre. Or, je n'avais aucune preuve indépendante pour déterminer laquelle était vraie.
Ce qui est aussi important, c'est de se rendre compte qu'il n'y a eu aucune tentative de corruption. D'abord, je n'étais pas encore élu, donc je n'étais pas compris dans la définition de « fonctionnaire public », qui est assez large pour couvrir les députés, mais pas les candidats à un poste de député. En plus, on ne me demandait absolument rien en échange de l'argent qu'on me proposait. Au pire, c'était une tentative d'infraction à la Loi régissant le financement des partis politiques. Toutefois, comme on le sait depuis récemment, même cette tentative ne constitue pas une infraction.
Quoi qu'il en soit, je n'avais pas de preuve indépendante, et c'est certainement ce qui a commandé mon silence. J'ai vu quelques infractions de corruption poursuivies durant ma carrière d'avocat, et jamais je n'ai vu d'actions prises sans qu'il y ait une preuve indépendante pour justifier les dires du dénonciateur.
À présent, voici dans quelles circonstances ça s'est produit. C'était avant la première élection de décembre 1993. Ça faisait déjà un certain temps que j'avais été choisi comme candidat, et je cherchais à rencontrer beaucoup d'acteurs à Laval, dont le maire de Laval. Il semble qu'il était aussi intéressé à me rencontrer. Il m'a donc donné un rendez-vous. Je me suis rendu un soir, je crois, à son bureau.
Il était assis à son bureau. Je me suis assis devant lui. On a parlé de Laval, de beaucoup de choses — de politique, bien sûr. Il m'a parlé de son conseil municipal au sein duquel il y avait des souverainistes comme des fédéralistes, et on a surtout parlé des dossiers de Laval. Après un bout de temps, il m'a fait me déplacer vers une petite table sur le côté de son bureau. Il a parlé un peu des dépenses de la campagne électorale. Ensuite, il a sorti une enveloppe qui s'est ouverte à peu près à moitié et qui contenait une liasse de billets de banque. Il m'a dit qu'il y avait 10 000 $ qu'il voulait m'offrir pour m'aider à financer ma campagne électorale.
J'ai tout de suite repoussé l'enveloppe en lui disant qu'il devait bien connaître la loi et savoir que ce n'est pas la façon dont on contribue à une caisse électorale. Il faut que les dons soient faits par chèque, qu'ils soient d'un maximum de 3 000 $ et qu'ils proviennent d'électeurs dont les noms vont être diffusés. Il a répondu qu'une petite caisse d'argent comptant durant une campagne électorale pouvait être très utile. Je lui ai dit que si j'avais besoin d'une petite caisse électorale, elle serait comptabilisée et déclarée. J'ai ajouté que je ne voulais pas de son argent. Je pense qu'on ne s'est pas...
Je l'ai vu devenir épouvantablement rouge, la sueur lui perlait au front, la main lui tremblait. Il a ramassé son argent et j'ai pris la porte tout de suite ou quelques instants plus tard.
Je me suis bien demandé... Au fond, je suis parti avec la preuve. Je voyais comment ça sortirait en public, si je déclarais quelque chose à qui que ce soit. J'étais absolument convaincu qu'il nierait avec énormément d'énergie, qu'il ferait aussi probablement tout pour me discréditer. J'étais convaincu qu'une dénonciation semblable ne conduirait nulle part. Je me disais qu'il serait probablement acquitté si jamais il était accusé, et même, très probablement, qu'il ne serait jamais accusé en vertu d'une preuve aussi faible. Alors, j'ai décidé de ne pas en parler.
À présent, 17 ans plus tard, M. Christian Latreille de Radio-Canada cherchait à me rencontrer. On a échangé quelques appels téléphoniques. Il voulait me parler de Laval en général, puisque j'étais un élu de Laval depuis tant d'années. J'ai décidé de l'inviter à venir me rencontrer pendant la semaine de relâche. Il est donc venu le lundi. Il a commencé à parler de façon générale de Laval. Puis, soudainement, il s'est arrêté, il m'a regardé dans les yeux, et il m'a demandé s'il était vrai que j'avais refusé 15 000 $ en argent comptant du maire Gilles Vaillancourt.
C'est vrai qu'il y a eu un long silence. Plus mon silence durait, plus je m'apercevais que je lui avais donné une réponse, parce que si la réponse avait été non, j'aurais dit que non, ce n'était pas vrai. Cependant, je voyais bien qu'il était informé, même si le montant était inexact. Je voyais bien qu'il était informé, alors je me suis finalement tourné vers lui et je lui ai demandé comment il l'avait su. Moi, je n'en avais jamais parlé. Il m'a dit qu'il avait recueilli des informations confidentielles dont il avait promis de protéger la source.
Je voyais qu'il était très professionnel comme journaliste d'enquête, et qu'ayant obtenu des informations d'une source confidentielle, il devait s'assurer de leur véracité avant de les diffuser. Je savais qu'au fond, je venais de lui donner la preuve que ses informateurs lui avaient transmis la vérité. Je l'ai d'abord corrigé quant au montant: ce n'était pas 15 000 $, mais 10 000 $.
Puis, je lui ai raconté ce que je viens de vous raconter. Je lui ai expliqué pourquoi je n'en avais jamais parlé, principalement par manque de preuves, mais aussi parce que je savais que le maire de Laval n'avait pas commis de crime. Même l'infraction à la Loi régissant le financement des partis politiques n'avait pas été commise, puisque j'avais refusé le montant.
À ce moment-là, il m'a dit qu'il avait assez d'informations pour diffuser ce dont on venait de parler, que j'allais devoir répondre à cette révélation, que je serais interrogé au Parlement, au sein de mon parti, à mon bureau, lors d'un événement public, que je risquais de voir ma version rapportée par petits morceaux, tronquée, et que ce n'était pas la façon idéale d'exposer mon point de vue. Il m'a dit qu'il m'offrait une interview, si je le voulais, et qu'il me garantissait de la diffuser au complet, de sorte que ma version ne soit pas amputée et soit reçue au complet par le public.
J'ai réfléchi. Ce n'est pas moi qui ai demandé un délai, c'est lui qui me l'a offert. J'ai réfléchi, j'ai consulté des gens. Il faut dire que les opinions étaient divisées. Certains me disaient de laisser le journaliste dévoiler l'information et d'y répondre par la suite.
Finalement, après que j'ai eu consulté mon dernier chef de cabinet en qui j'ai bien confiance, on a décidé que la meilleure façon était de faire ça, effectivement, c'est-à-dire donner ma version au complet à un journaliste qui la rapporterait correctement, puis de ne plus parler. C'est pour ça que j'ai refusé les interviews avec les journalistes depuis ce temps.
Évidemment, votre convocation est d'une nature différente, surtout en raison de ce qui a été mis en doute à la Chambre.
Je n'avais rien déclaré relativement à M. Vaillancourt parce que j'étais convaincu que cela n'irait nulle part. Par contre, ma réputation aurait été sérieusement mise en doute, parce qu'il n'aurait pas été accusé, et beaucoup de gens auraient interprété cela comme si j'avais menti.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Bonjour, monsieur Ménard.
J'aimerais tout de go dire exactement ce que M. Coderre a dit. Je suis un peu inquiet et un peu troublé par ce qui se passe depuis quelques temps et surtout par votre déclaration faite au journaliste Latreille.
Premièrement, j'aimerais commencer par ceci. Vous êtes avocat depuis 1968, vous avez prêté serment. Vous avez été ensuite le bâtonnier du Barreau du Québec. Vous avez aussi été député. À ce titre, vous avez prêté serment pour représenter le peuple du Québec. En toute justice, vous avez aussi été ministre de la Sécurité publique et ministre de la Justice.
J'aimerais revenir sur une des premières choses que vous avez mentionnées. M. Vaillancourt, qui était maire, a tenté, d'après ce qu'on peut voir, de vous soudoyer ou de vous corrompre. Vous dites que vous n'en êtes pas certain. On était en 1993, à l'époque, et il venait à peine d'être élu, en 1990.
Compte tenu du fait que vous saviez qu'il avait fait ça, pourquoi votre premier réflexe n'a-t-il pas été d'aller voir la police? Vous savez que la police recevra une plainte, fera un constat et indiquera que vous êtes venu la voir. Ça ne veut pas dire qu'il y aura condamnation, ça ne veut pas dire que vous allez gagner la cause, ni quoi que ce soit d'autre. Avez-vous fait cette simple petite démarche d'aller voir la police, de lui dire qu'il venait de se produire un événement et de faire constater cela par la police? Avez-vous fait cela?
:
Vous allez voir où je veux en venir. Vous avez parlé à plusieurs de vos collègues autour de vous. À un moment donné, leur avez-vous dit de faire attention, de ne pas s'embarquer là-dedans?
Il n'y a qu'un seul maillon faible dans l'affaire. Vous avez fait ce que vous aviez à faire. En effet, comme je l'ai dit au début, rien ne me prouve que je doive douter de votre parole. Cependant, vous lui avez envoyé des lettres de remerciement et de félicitations, puisque vous vouliez quand même travailler avec M. Vaillancourt, étant donné que vous étiez élus tous les deux.
Par contre, à un moment donné, ne vous êtes-vous pas gardé une petite gêne? M. Chevrette était ministre des Affaires municipales, avec tout ce que cela comporte. Je le connais, je connais son tempérament, car c'est mon cousin. Vous parliez-vous, entre vous?
En passant, je précise, à l'intention des médias, que c'est un petit cousin.
Une voix: Il a un petit peu mal tourné, d'après moi.
L'hon. Denis Coderre: Moi, j'ai bien tourné. Il y en a qui ont d'autres défauts, c'est leur problème.
Mais revenons aux choses sérieuses. Car c'est effectivement une chose sérieuse: il est question de deux réputations confrontées, d'une réalité où on a le pressentiment de mettre tout le monde dans le même bain.
Entre ministres, ne vous êtes-vous pas dit que si l'un ne pouvait pas s'en occuper, on pourrait porter l'affaire au palier municipal? Vous n'avez pas fait de confidences à quiconque à l'échelle ministérielle ou entre collègues?