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Merci, monsieur le président et merci de nous accueillir aujourd'hui. Je suis sous-ministre adjointe au secteur de la politique stratégique d'Industrie Canada. J'aimerais vous présenter Helen McDonald, qui est sous-ministre adjointe au secteur du spectre, technologies de l'information et télécommunications, et Mme Anne-Marie Lévesque, qui est notre avocate générale principale.
Avant de répondre aux questions, j'aimerais aujourd'hui donner au comité un aperçu des restrictions imposées par le Canada à l'investissement étranger dans le secteur des télécommunications et expliquer un peu comment elles se comparent à celles d'autres pays, quelles études ont été faites sur le sujet et quelles en ont été les conclusions.
[Français]
Le secteur des télécommunications, d'une valeur de 40 milliards de dollars, représente un élément clé de l'économie numérique de l'ère moderne et fait partie intégrante de l'ensemble de la société. Nous en sommes tous venus à compter sur l'accès Internet à large bande, sur les BlackBerry, les messages texte et la télévision par satellite.
En raison de l'importance de ce secteur, nous devons nous assurer que, du point de vue de la réglementation, nous faisons notre possible afin que les Canadiens reçoivent des services innovateurs à des prix concurrentiels. En 2006, le gouvernement a donné des instructions de politique au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Ces instructions visaient à compter le plus possible sur le libre jeu du marché et de ne réglementer les télécommunications que lorsque c'était nécessaire.
En 2008, dans le cadre des enchères du spectre des radiofréquences, une partie du spectre a été mise de côté pour donner aux nouveaux venus la possibilité de déposer des soumissions uniquement pour favoriser une concurrence plus vive sur le marché des services sans fil.
[Traduction]
L'objectif du gouvernement est de veiller à ce que les Canadiens puissent profiter d'une concurrence accrue et d'investissements plus élevés dans le secteur des télécommunications, pour offrir davantage d'innovation, des prix plus compétitifs et des services accessibles aux consommateurs.
Ceci m'amène à notre sujet — les restrictions à l'investissement étranger dans les télécommunications. On craint que ces restrictions ne nuisent à la croissance et à la compétitivité de l'industrie au détriment des consommateurs et de l'ensemble de l'industrie.
J'aimerais préciser d'emblée que, lorsque je parle de restrictions à l'investissement étranger dans le contexte canadien, je fais référence aux exigences législatives concernant la propriété et le contrôle canadiens, dont je parlerai en détail plus tard, mais qui prennent la forme de restrictions sur les actions avec droit de vote et sur le contrôle de fait détenu par des entités étrangères.
Les restrictions formelles imposées par le Canada à la propriété et au contrôle des télécommunications sont relativement nouvelles. Même si elles ont été annoncées en 1987, elles n'ont été officiellement adoptées qu'en 1993. La décision d'adopter ces restrictions a été prise pendant les négociations de l'Accord de libre-échange Canada-É.-U., en fonction des restrictions imposées par les É.-U. et pour veiller à ce qu'elles puissent être maintenues dans l'ALE.
En annonçant les intentions du gouvernement à la Chambre des communes en 1987, la ministre des Communications de l'époque, Flora MacDonald, avait dit qu'elles étaient nécessaires pour préserver la souveraineté nationale dans ce secteur vital de l'économie canadienne, pour des raisons de sécurité nationale et de bien-être économique, social et culturel.
La Loi sur les télécommunications, qui contient ces restrictions, est entrée en vigueur en 1993. L'article 16 de cette loi stipule que les entreprises de télécommunication doivent appartenir à des Canadiens et être contrôlées par des Canadiens, et que pour respecter cette exigence, elles doivent satisfaire à trois critères: 80 p. 100 au moins des actions avec droit de vote doivent être détenues par des Canadiens; 80 p. 100 des membres du conseil d'administration doivent être des Canadiens; enfin, la société ne doit pas par ailleurs être contrôlée par des non-Canadiens, ce qu'on en est venu à appeler le critère du contrôle de fait.
Ces dispositions, comme la plupart de celles de la Loi sur les télécommunications, sont administrées par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, qu'on appelle également le CRTC.
La Loi sur les télécommunications est assortie d'une série de dispositions réglementaires contenues dans le Règlement sur la propriété et le contrôle des entreprises de télécommunication canadiennes de 1994. Ce règlement détermine qui peut être considéré comme un Canadien pour les besoins de la loi — par exemple, dans le cas de fiducies, de caisses de retraite et de partenariats. Dans le cas des sociétés par actions, le règlement exige qu'au moins 66 2/3 p. 100 des actions avec droit de vote soient détenues par des Canadiens et que la société ne soit pas par ailleurs contrôlée par des non-Canadiens.
Je devrais signaler que les entreprises de sans fil sont visées par des exigences relatives à la propriété et au contrôle qui sont pratiquement identiques à celles de la Loi sur les télécommunications. Ces exigences découlent du Règlement sur la radiocommunication, en vertu de la Loi sur la radiocommunication. Il s'agit de la loi qui régit la gestion du spectre des radiofréquences et qui est administrée par Industrie Canada. Avant de délivrer des licences du spectre, Industrie Canada doit confirmer que ces exigences relatives à la propriété et au contrôle sont respectées.
[Français]
Le développement majeur qui a suivi en rapport avec ces restrictions des investissements a été, en 1998, l'Accord sur les télécommunications de base, dans le cadre de l'Accord général sur le commerce des services de l'Organisation mondiale du commerce. Le Canada était signataire de cet accord historique. Au moment des négociations, une pression considérable s'exerçait sur le Canada et sur d'autres pays pour les inciter à autoriser la concurrence étrangère sur leurs marchés. En fin de compte, la plupart des pays de l'OCDE se sont engagés à libéraliser leurs marchés, notamment en éliminant les obstacles s'opposant à la participation étrangère. Mais le Canada ne l'a pas fait. Nous avons accepté de libéraliser les services internationaux.
Pour donner suite à cet engagement, en 1998, on a modifié la Loi sur les télécommunications en éliminant les restrictions à l'investissement dans le cas des stations terriennes de satellites et des câbles sous-marins internationaux.
[Traduction]
Cette grande libéralisation initiale de la participation étrangère aux marchés des télécommunications a été suivie par une libéralisation progressivement plus poussée de la part d'autres pays. L'OCDE actualise tous les deux ans les données à ce sujet dont les plus récentes remontent à 2008. Cette année-là, 18 des 30 pays de l'OCDE n'imposaient aucune restriction à la propriété étrangère dans leur secteur des télécommunications. Seulement neuf pays imposaient des restrictions importantes, dont six qui limitaient leurs restrictions à leurs anciennes sociétés d'État monopolistiques.
D'après l'OCDE, le Mexique, la Corée du Sud et le Canada ont les marchés les plus fermés à l'investissement étranger. Toutefois, depuis 2008, le Mexique et la Corée du Sud ont commencé à assouplir leurs restrictions. Le Mexique autorise maintenant la propriété étrangère intégrale pour le sans-fil et un projet de loi visant à libéraliser le marché filaire a été présenté à son Congrès. La Corée autorise une participation étrangère de 49 p. 100 mais pourrait se libéraliser encore davantage dans le contexte de ses négociations commerciales en cours avec les États-Unis.
De tous les pays de l'OCDE, le Canada possède maintenant le régime le plus restrictif à l'égard de l'investissement étranger dans les télécommunications. Un certain nombre de groupes se sont penchés sur cette question au cours des dernières années. Le premier à l'avoir fait est ce comité même, qui a procédé à un examen approfondi en 2003. Il a constaté que les télécommunications étaient un élément clé de l'économie mondiale du savoir. En ce qui concerne les restrictions, le comité a déterminé qu'elles freinent la productivité et la croissance économique du Canada, qu'elles empêchent de nouveaux venus du secteur des télécommunications d'investir et qu'elles inhibent la diffusion des nouvelles technologies de communications ainsi que l'accès des Canadiens à des services de télécommunication modernes.
Le Groupe d'étude sur le cadre réglementaire des télécommunications s'est à son tour penché sur la question en 2006. On a demandé à ce groupe, présidé par Mme Gerri Sinclair (Ph. D.), d'examiner la politique cadre des télécommunications du Canada et de formuler des recommandations sur la manière de la moderniser pour rendre l'industrie solidement concurrentielle à l'échelle internationale. On a déterminé que, parmi les pays de l'OCDE, le Canada avait maintenu l'une des séries de règles les plus restrictives et les plus inflexibles à l'égard de l'investissement étranger dans le secteur des télécommunications. Ce groupe a accordé une attention particulière au secteur du sans-fil. Il a constaté que le Canada était l'un des rares pays de l'OCDE où il n'y avait pas de grand fournisseur de sans-fil international et il a conclu que la qualité, le prix et la disponibilité des services sans fil s'amélioreraient beaucoup si les restrictions relatives à l'investissement étranger étaient assouplies. Le groupe a recommandé une libéralisation graduelle, en proposant que les investissements étrangers dans les entreprises possédant moins de 10 p. 100 du marché canadien des télécommunications soient libéralisés immédiatement, et que la libéralisation de l'ensemble des télécommunications soit retardée jusqu'à ce que soit résolue la question du traitement des câblodistributeurs dans le contexte de l'examen des politiques canadiennes en matière de radiodiffusion.
Plus récemment, le Groupe d'étude sur les politiques en matière de concurrence a présenté son rapport en 2008. Ce groupe s'est penché sur une large gamme de questions, pas seulement sur les télécommunications, mais il a formulé un certain nombre de commentaires au sujet de l'impact des restrictions imposées aux entreprises de télécommunications sur l'industrie. Il a constaté que ces restrictions influent sur les entreprises nouvelles ou existantes en les incitant moins à réduire ou à éliminer les sources d'inefficacité dans leurs méthodes de travail et dans leurs activités, en limitant les sources de financement, en faussant les structures de financement et en empêchant le transfert technologique. Le Groupe d'étude de la concurrence a fait écho aux recommandations du Groupe d'étude des télécommunications en recommandant une libéralisation graduelle.
Avant de vous céder la parole, j'aimerais vous parler brièvement des difficultés particulières que suscitent ces restrictions pour le secteur des satellites. Comme vous le savez, le budget de 2010 a indiqué l'intention du gouvernement d'éliminer les restrictions existantes visant les satellites.
Les fournisseurs canadiens de services par satellite font face à des difficultés immédiates. J'ai parlé des changements apportés en 1998 pour libéraliser les services internationaux. Depuis cette époque, un grand nombre de fournisseurs étrangers de service par satellite ont été approuvés pour offrir un service au Canada, en concurrençant directement des fournisseurs canadiens, comme Télésat. Cette situation est inéquitable parce que les fournisseurs canadiens doivent rivaliser avec ces fournisseurs étrangers, à la fois au Canada et à l'étranger. Le problème vient du fait que les fournisseurs étrangers ne font pas l'objet de restrictions à l'investissement, que ce soit au Canada ou chez eux.
L'industrie des satellites est de portée internationale. L'élimination des restrictions à l'investissement étranger permettra aux entreprises canadiennes d'avoir accès au capital et au savoir-faire étrangers, d'investir dans des technologies nouvelles ou avancées et de développer des relations stratégiques mondiales qui leur permettront de faire des économies d'échelle et de participer pleinement sur les marchés étrangers.
Le discours du Trône contenait un engagement plus vaste et je cite:
Notre gouvernement ouvrira davantage le Canada au capital de risque et à l’investissement étranger dans les secteurs clés, notamment ceux des satellites et des télécommunications, donnant ainsi aux entreprises canadiennes un accès aux fonds et à l’expertise dont elles ont besoin.
Cette question a des répercussions potentielles importantes à la fois pour ce qui est de la compétitivité de l'industrie des télécommunications et de la qualité et du prix des services offerts aux consommateurs. II est important que le gouvernement prenne le temps de consulter et d'étudier à fond les options avant d'agir.
Merci beaucoup, monsieur le président, de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui pour parler de cette question d'importance.
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Merci, monsieur le président.
On est convoqués ici, aujourd'hui, en raison d'une motion de mon parti qui visait à aborder deux enjeux importants. Il s'agit d'abord de la décision prise par le gouvernement concernant Globalive. Le CRTC a jugé que le contenu de Globalive n'était pas suffisamment canadien, tandis que le gouvernement a pris position différemment. Alors, je veux certainement mieux comprendre cela, mais je ne vais pas vous poser ces questions moi-même, parce que j'espère pouvoir les porter devant le CRTC et, idéalement, les poser au ministre, plus tard.
L'autre raison de notre réunion aujourd'hui est d'explorer la question de la propriété étrangère, et vous avez parlé de cela dans votre allocution.
[Traduction]
Il y a un certain nombre de questions que j'aimerais vous poser au sujet de la propriété étrangère, car comme vous pouvez le constater, cette question particulière suscite des opinions marquées de part et d'autre.
J'aimerais d'abord connaître la raison qui a motivé l'imposition de restrictions à la propriété étrangère en premier lieu. Permettez-moi de citer les principaux objectifs de la politique canadienne en matière de télécommunications: affirmer le caractère essentiel des télécommunications pour l’identité et la souveraineté canadiennes. Je crois qu'il est important de déterminer si les arguments invoqués lorsque la loi a été rédigée sont toujours valides. Je crois qu'il s'agit d'un exercice très valide.
J'aimerais savoir si, dans le contexte de la Loi sur les télécommunications, vous êtes d'avis que si nous permettions davantage la propriété étrangère dans le secteur des télécommunications, cela risquerait d'influer sur notre identité et notre souveraineté.
Madame Morgan, la phrase que j'aime le mieux, de toute votre présentation, est la dernière. C'est celle où vous dites que le gouvernement va prendre son temps pour consulter et étudier à fond les options avant d'agir. Le problème est très important.
La différence entre les télécommunications et la radiodiffusion, que vous avez présentée plus tôt, n'est plus évidente. Les télécommunications sont la tuyauterie et la radiodiffusion est ce qui passe dedans. Celui qui contrôle les tuyaux contrôle ce qu'ils contiennent; celui qui contrôle l'accès contrôle le contenu. C'est de plus en plus évident en ce qui concerne les téléphones sans fil, etc. Je ne vous ferai pas un dessin, ce serait une insulte à votre intelligence. On sait que la sonnerie, par exemple, est l'oeuvre de musiciens. Ce sont eux qui décident de la langue utilisée et on peut même, avec notre téléphone, regarder une vidéo. Même le groupe Wilson, dont vous citez l'étude, dit à la première page que c'est de plus en plus difficile de faire la différence entre les télécommunications et la radiodiffusion. Plusieurs personnes vont sans doute venir dire ici que c'est impossible. Il y a des gens qui le pensent et qui le disent.
Vous faites également la comparaison avec l'Union européenne mais, malheureusement, on n'est pas dans la même situation qu'elle. Le Canada — et le Québec dont la superficie est si fois celle de la France — est un vaste pays avec d'autres problèmes, à côté d'un empire culturel extrêmement imposant et divertissant. On est dans une situation où il faut protéger notre culture. Il faut la protéger dans nos appareils de télécommunication, entre autres, et de toutes les façons.
Avant de vous poser ma question, je ferai une parenthèse, car c'est tellement évident que vous avez mis la charrue devant les boeufs. Vous avez décidé d'appliquer la loi que vous désirez avant même de l'adopter. Ça va à l'encontre de toute évidence que Globalive était en effet contrôlé par Orascom.
À quel genre de mesures songez-vous actuellement, pour votre futur projet de loi, qui assouplirait la propriété étrangère dans les télécommunications, pour protéger la culture québécoise et canadienne?