:
Au nom de la greffière de la Chambre, Audrey O'Brien, qui n'est pas en mesure d'être ici aujourd'hui, je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à comparaître pour parler du privilège parlementaire et des demandes d'accès à l'information transmises à un tiers. Je suis accompagné de Richard Denis, légiste adjoint et conseiller parlementaire.
[Traduction]
Le but de notre comparution est de passer en revue certains principes fondamentaux du privilège parlementaire, en nous attardant particulièrement sur ce qu'on a traditionnellement considéré comme des « délibérations du Parlement », un concept qui revêt un intérêt de premier plan en ce qui concerne la question dont le comité est saisi.
J'aimerais également exposer une série de considérations d'ordre général dont le comité voudra peut-être tenir compte dans le cadre de son étude.
D’entrée de jeu, permettez-moi de revenir sur la déclaration faite le 17 septembre par le Président de la Chambre après l'adoption à l'unanimité, par la Chambre d'une motion de renonciation à son privilège dans un cas particulier d'accès à l'information. Le Président a alors décrit les faits relatifs à cette affaire ainsi que la série d'événements qui nous ont menés ici, ce matin.
En premier lieu, voici une description générale de certains principes fondamentaux du privilège parlementaire.
À la page 10 005 des Débats, le Président déclare ce qui suit:
[Français]
[...] les privilèges, immunités et pouvoirs de la Chambre des communes comprennent la liberté de parole et des débats garantie, notamment, par l'article 9 du Bill of Rights de 1689 qui stipule, et je cite:
La liberté de parole et des débats ou procédures au Parlement ne devrait être attaquée ou contestée devant aucun tribunal ni ailleurs qu'au Parlement.
[Traduction]
Comme il est affirmé à la page 227 d’Erskine May, 24e édition:
[…] le principe qui sous-tend le Bill of Rights est le privilège de chacune des deux chambres d’exercer une compétence exclusive sur ses propres délibérations. Chaque chambre a le droit d’être seul juge du caractère licite de ses délibérations et d’établir ses propres codes de procédure, ainsi que de déroger à ceux-ci.
L’ouvrage La Procédure et les usages de la Chambre des communes explique, aux pages 91 et 92, que le terme « délibérations du Parlement » comprend le fait de témoigner devant une Chambre ou un comité; la présentation d’un document à une Chambre ou à un de ses comités; la préparation d’un document à ces mêmes fins ou à des fins connexes; la rédaction, la production ou la publication d’un document, y compris un rapport, par suite d’un ordre d’une Chambre ou d’un comité et le document lui-même. Cette définition a été étendue aux témoignages, aux observations et à la préparation de quiconque participe aux délibérations de la Chambre des communes ou de ses comités, le tout étant protégé par l’ensemble des privilèges et immunités de la Chambre.
[Français]
Au sujet du privilège parlementaire et de ce qui constitue des délibérations du Parlement, Joseph Maingot a écrit ce qui suit, à la page 82 de son ouvrage Le privilège parlementaire au Canada, deuxième édition.
[Traduction]
Le privilège du Parlement est fondé sur la nécessité et il se compose des « droits indispensables à l'exercice normal de ses pouvoirs ». Certes, la nécessité devrait être la base de toute revendication de l'appartenance d'un événement aux « délibérations du Parlement », c'est-à-dire que tout ce pour quoi on invoque l'appartenance aux « délibérations du Parlement », et donc la protection du privilège, devrait nécessairement être accessoire aux « délibérations du Parlement. »
[Français]
Maingot poursuit en ces termes:
Au sens parlementaire, les « délibérations » désignent les événements et les actions conduisant à une mesure officielle, notamment une décision, prise collectivement par la Chambre. Ces actions et ces événements, ainsi que l'ensemble du processus par lequel la Chambre prend une décision (dont la partie principale est appelée « débats »), constituent des « délibérations ».
[Traduction]
Comme les membres du comité le savent, bien que les comités de la Chambre des communes ne soient pas assujettis à la Loi sur l'accès à l'information, ils reçoivent parfois des avis de tiers au titre de l'article 27 de la loi relativement à des demandes d'accès à l'information adressées à des ministères ou à d'autres organismes gouvernementaux soumis aux dispositions de la loi. Ce qui se produit normalement, c'est qu'on informe le ministère ou l'organisme concerné que les renseignements en question faisant partie de délibérations parlementaires sont protégés par le privilège parlementaire et, par conséquent, ne peuvent être communiqués au titre de la loi par ce ministère ou cet organisme. Habituellement, l'affaire est alors classée.
Or, en adoptant sa résolution le 17 septembre 2012, la Chambre a accepté de retirer son objection à la communication de renseignements dans un cas particulier. Autrement dit, la Chambre a choisi, dans ce cas, de ne pas invoquer ses privilèges. Le Président Scheer a rappelé ce qui suit aux députés:
[…] sa décision ne s'applique qu'à la présente affaire et qu'elle ne crée pas de précédent. La résolution de la Chambre n'a pas compromis les droits et privilèges de cette dernière, pas plus qu'elle n'a entraîné la cession de ses droits et privilèges traditionnels, notamment en ce qui a trait aux comités parlementaires.
[Français]
La déclaration du Président confirme que la résolution ne diminue en rien la portée des privilèges de la Chambre, tels qu'elle les conçoit, dans d'autres cas semblables qui pourraient survenir, mais également que les privilèges et immunités de la Chambre des communes doivent être affirmés et protégés. La Chambre demeure libre d'exercer sans entrave son privilège lui permettant d'insister pour que certains documents et certaines communications ne soient pas divulgués ou publiés par une autre partie.
[Traduction]
Cependant, comme l'a indiqué le Président, les comités de la Chambre et leurs fonctionnaires continueront fort probablement de devoir répondre à ce genre de demande concernant des tiers. Toutefois, nous savons que seule la Chambre peut décider si elle fera valoir ou non ses privilèges ou si elle les fera appliquer. En conséquence, vous pourriez examiner la question dont vous êtes saisis en vous posant la question suivante: existe-t-il une façon différente, plus simple, pour les parlementaires, en particulier ceux qui siègent à des comités, d'examiner de telles demandes concernant des tiers?
Je tiens à souligner que nous ne faisons ici allusion qu’à des documents qui sont demandés à des ministères ou à des organismes et qui sont déjà en leur possession; nous ne visons pas la gamme complète des documents des comités.
J'ai affirmé précédemment que les fonctionnaires de l'Administration de la Chambre devaient souvent répondre à de telles demandes, d'abord en déterminant si les documents demandés faisaient partie des délibérations parlementaires, puis, le cas échéant, en expliquant que ceux-ci étaient protégés par le privilège parlementaire et ne pouvaient dès lors être divulgués. Cet argument était le plus souvent accepté par les ministères et organismes et ne posait aucune difficulté. Je dois souligner que, dans de nombreux cas, les documents demandés étaient déjà publiés et que ce n'était donc pas la confidentialité qui était en cause, mais bien la nature privilégiée des délibérations.
Si le comité souhaite modifier ce qui a jusqu'ici été l'usage, il pourrait vouloir recommander un processus qui permettrait le traitement rapide des demandes d'accès à l'information de ce genre. Cependant, je mettrais le comité en garde contre les risques auxquels pourraient être exposés les comités de la Chambre à l'égard de telles demandes.
[Français]
Permettez-moi de présenter quelques questions pouvant être sources de préoccupation.
Premièrement, en ce qui a trait aux conseils confidentiels en matière de procédure, la correspondance entre le greffier du comité et le président du comité, le secrétaire parlementaire, les membres du comité ou les fonctionnaires des ministères pourrait révéler le contenu de conseils d'ordre procédural concernant les discussions ou les négociations sur l'admissibilité ou le rejet d'une motion ou d'un amendement à un projet de loi.
[Traduction]
Le deuxième point porte sur les témoins. La correspondance entre le greffier du comité et le président du comité, le secrétaire parlementaire, les fonctionnaires des ministères ou un témoin pourrait révéler le contenu de discussions concernant des projets, questions, intentions ou décisions du comité ayant trait à la sélection des témoins.
La correspondance comportant différentes versions des notes d'allocution, des notes d'information ou de la documentation d'un témoin avant sa comparution devant un comité pourrait causer du tort à sa réputation ou révéler des renseignements qui seraient autrement demeurés confidentiels. Les témoins pourraient hésiter à communiquer de l’information à l'avance s'ils avaient des raisons de craindre qu'elle devienne publique par la suite.
[Français]
Troisièmement, pour ce qui est de la protection des renseignements personnels, la correspondance entre le greffier du comité et un témoin qui refuse ou est dans l'impossibilité de comparaître, par exemple pour des raisons de santé, et qui en donne le motif dans sa correspondance, pourrait révéler des renseignements personnels sur le témoin.
[Traduction]
Le quatrième point concerne la divulgation d'éléments du rapport d'un comité. La correspondance entre le greffier ou le président du comité et un témoin au sujet du contenu ou des recommandations possibles d'un rapport pourrait révéler des éléments du rapport qui ont été examinés par le comité — mais non retenus — ou qui ont été abordés durant une réunion à huis clos.
[Français]
Cinquièmement, en ce qui touche les décisions et les projets d'un comité, les décisions que prend un comité lors de réunions à huis clos ou qui ne figurent pas dans les procès-verbaux des réunions pourraient être retracées par la correspondance, comme par exemple, des courriels échangés entre les fonctionnaires des ministères, le secrétaire parlementaire et le greffier du comité avant ou après la réunion.
La correspondance entre les fonctionnaires des ministères et le greffier du comité pourrait révéler des renseignements délicats concernant les projets de voyage du comité, les sujets qu'il étudie ou les questions qu'il entend aborder. Dans certains cas, il pourrait s'agir de questions de sécurité nationale ou cela pourrait compromettre la sécurité des députés, par exemple, dans le cas d'un déplacement vers une base militaire en Afghanistan.
[Traduction]
Ce que j'ai présenté ne constitue que des pistes de réflexion d'ordre très général. Il ne s'agit pas de problèmes insurmontables, et j'ai bon espoir que les discussions de fond entre les membres du comité mèneront à des recommandations utiles sur la marche à suivre à l'avenir.
Je terminerai en suggérant au comité que l'approche qu'il proposera pour résoudre la question devrait avoir comme principe de base la protection des privilèges de la Chambre et de ses députés et, par extension, celle de ses comités et de leurs témoins. En fait, je crois qu'en faisant cela, le comité apporterait une contribution précieuse aux pratiques de la Chambre des communes, ce qui permettrait à celle-ci d'évoluer de manière à répondre aux attentes en matière de transparence tout en protégeant ses droits et privilèges fondamentaux.
[Français]
Notre rôle en tant que fonctionnaires de la Chambre est de vous soutenir dans ce processus et de veiller à ce que vous ayez à votre disposition tous les renseignements nécessaires pour formuler les recommandations appropriées.
Je vous remercie de votre attention. Le légiste adjoint et moi-même sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.
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Si je puis me le permettre, monsieur le président, je pourrais vous donner quelques détails chronologiques aux fins du compte rendu, comme l'a déclaré M. Lukiwski.
Les cinq demandes originelles ont été adressées aux cinq greffiers de comités entre le 19 et le 21 juin. Je crois que la Chambre a ajourné ses travaux le 18 juin ou à peu près à cette date; en tout cas, c'était juste après l'ajournement de la Chambre.
Il s'en est suivi des discussions. Le 28 juin, notre bureau a communiqué par écrit au coordonnateur de l'AIPRP, au Bureau du vérificateur général, notre position concernant les courriels, à savoir, qu'à notre avis, ils étaient protégés par le privilège parlementaire.
Le 19 juillet, des conseillers juridiques se sont rencontrés pour discuter du dossier.
Le 14 août, nous avons fait d'autres représentations auprès du vérificateur général, en lui communiquant à nouveau les raisons pour lesquelles nous estimions que les courriels en question étaient protégés par le privilège parlementaire.
Quelques jours plus tard, le 21 août, le Bureau du vérificateur général a rendu sa décision. Il n'acceptait pas notre décision selon laquelle les courriels étaient protégés par le privilège et allait donc publier les documents.
Lorsque la tierce partie, en l'occurrence la Chambre, est avisée de la publication prochaine des documents, elle a la possibilité, en vertu de l'article 44 de la Loi sur l'accès à l'information, de solliciter un contrôle judiciaire de la décision. Autrement dit, nous pouvions demander à la Cour fédérale son avis sur la question de savoir si les courriels étaient protégés par le privilège parlementaire et s'ils devaient être publiés ou non.
À ce moment-là — et vous le savez —, la Chambre ne siégeait pas. La reprise des travaux était prévue pour le 17 septembre. Nous avons demandé au vérificateur général un délai qui ne nous a pas été accordé. Dès lors que l'article 44 est invoqué commence le délai de 20 jours pour solliciter un contrôle judiciaire. Ce délai est strict et ne peut être changé.
Finalement, le délai pour solliciter le contrôle judiciaire était le 10 septembre et la Chambre reprenait ses travaux le 17. Compte tenu de la situation, nous avons conseillé au greffier d'obtenir l'autorisation de s'adresser à la Cour fédérale pour contrôler la décision.
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Il serait peut-être utile que je donne un exemple.
En 2009, ce comité a déposé un rapport à la Chambre, à la suite d'audiences. D'ailleurs, la greffière et le légiste ont alors comparu. On y traitait justement des droits d'auteur liés à l'utilisation des comptes rendus des débats de la Chambre.
Comme vous le savez, à la dernière page, on trouve une déclaration relative à la permission du Président. Essentiellement, il y est mentionné que les comptes rendus des débats de la Chambre sont des documents privilégiés appartenant à celle-ci, mais qu'elle permet leur utilisation, sous certaines conditions. La protection est maintenue. Cependant, la Chambre permet aux utilisateurs, éducateurs et autres, d'en faire un certain usage sans devoir demander la permission à la Chambre à chaque occasion.
C'est un peu dans ce sens qu'on vous incite à aller. D'autres catégories de documents pourraient correspondre à ces catégories. La Chambre pourrait entériner un rapport produit et présenté à la Chambre par ce comité, qui déterminerait les critères qu'un comité devrait observer avant d'accepter une demande de la sorte. En d'autres mots, si une demande respecte les critères définis, le comité aurait à l'avance la permission de la Chambre de partager ces documents en tant que tierce partie. Si je m'exprime bien, je pense que c'est dans cette direction que vous voulez aller. Vous voulez déterminer les critères qui permettraient cela.
Je crois que nous comprenons tous le concept on ne peut plus nécessaire du privilège parlementaire. Dans votre exposé écrit, vous avez, je pense, extrêmement bien montré les dangers auxquels nous nous exposerions si nous accordions sans y réfléchir une dispense générale ou quelque chose du genre. Je pense qu'il faut être très prudent.
Compte tenu du fait qu'il n'y a eu qu'un seul exemple documenté de problème, celui qui nous occupe aujourd'hui, mais aussi du fait qu'il semble y avoir de plus en plus de demandes d'accès à l'information de la part de tierces parties, nous devrions peut-être envisager une procédure qui permettrait de traiter les demandes qui parviennent lorsque le Parlement ne siège pas. Je ne sais pas si c'est possible.
Je sais que vous répugnez quelque peu à donner des avis fondés sur des hypothèses, et je le comprends, mais il me semble que ce serait une solution extrêmement difficile, voire impossible, à trouver à un problème qui s'est très peu présenté jusqu'à maintenant, mais qui pourrait être plus fréquent à l'avenir. Pour les raisons évidentes dont vous faites état dans votre exposé, je ne crois pas que nous soyons disposés à toucher aux privilèges parlementaires qui sont les nôtres.
Pour moi, la solution évidente est de traiter les affaires au cas par cas lorsque le Parlement siège. Si le Parlement convient unanimement, comme il l'a fait dans ce cas-là, de lever le privilège, cela satisfait tout le monde.
Ce que vous proposez, je crois, c'est de trouver une solution dans les cas qui surviennent lorsque le Parlement ne siège pas, de façon à ce que le bureau du Président ou vous-même puissiez réagir conformément aux voeux de la Chambre.
C'est pour arriver à une éventuelle solution que nous allons avoir besoin de vos lumières, monsieur Bosc, et monsieur Denis. D'après vos constatations et votre expérience, avez-vous des suggestions que nous pourrions examiner? Loin de moi l'idée de vous mettre dans une situation difficile, je vous demande sincèrement si vous avez, sur la question, des avis qui nous permettraient de régler une situation quelque peu problématique.