:
Merci, monsieur le président.
J'ai apporté un document écrit que j'ai distribué, je crois, à tous les membres du comité, en anglais et en français.
Je remercie le président, ainsi que les membres du comité, de m'avoir invité à comparaître ici encore une fois dans le cadre de votre étude sur les demandes d'accès à l'information et le privilège parlementaire.
Vous vous rappellerez que, lorsque M. Bosc, le sous-greffier, et moi-même avons témoigné le 16 octobre 2012, nous avons expliqué le contexte de la situation particulière ayant donné lieu à l'étude de votre comité, nous avons examiné le concept de privilège parlementaire et nous avons discuté de la façon de mettre en place un processus qui permettrait aux comités de traiter les demandes d'accès à l'information présentées à la Chambre à titre de tiers à l'égard de documents protégés par le privilège parlementaire.
[Français]
Depuis, le comité a entendu les témoignages de la commissaire à l'information du Canada, Mme Legault, et de M. Drapeau, de l'Université d'Ottawa, qui ont expliqué le cadre juridique du régime d'accès à l'information.
[Traduction]
Je comprends que le comité, qui a entendu des témoignages mettant en évidence les contraintes imposées par le régime d'accès à l'information mais n'a pas encore obtenu toute l'information sur les répercussions juridiques et constitutionnelles du privilège parlementaire, se demande maintenant comment concilier ces deux réalités.
Je note qu'une question juridique précise a été soulevée un certain nombre de fois par des membres du comité et des témoins, mais à laquelle, à ce que je sache, il n'a toujours pas été répondu directement ou pleinement. En termes clairs, la question est la suivante: Étant donné qu'aucune disposition de la Loi sur l'accès à l'information n'exclut ou n'exempte expressément la communication de renseignements visés par le privilège parlementaire, quels sont les fondements juridiques qui justifieraient de ne pas communiquer ces renseignements?
[Français]
La réponse est que la Loi sur l'accès à l'information, comme toutes les lois, doit être interprétée et appliquée d'une manière qui ne contrevient pas à la Constitution.
Comme le précisent le préambule et l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, le privilège parlementaire fait partie de la Constitution et, au même titre que tout autre élément de la Constitution, aucune loi ne peut avoir pour effet d'y contrevenir ou d'y porter atteinte.
[Traduction]
Le concept de privilège parlementaire n'est pas aussi connu de la population canadienne ou de certains fonctionnaires que la Charte canadienne des droits et libertés, mais il possède le même statut que toutes les autres dispositions constitutionnelles.
À deux reprises, la Cour suprême du Canada a confirmé que le privilège parlementaire a le même effet constitutionnel et la même valeur que la Charte, et que celle-ci ne peut l'emporter sur le privilège parlementaire. D'abord dans l'arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), où le privilège parlementaire avait dû être comparé à la Charte, et encore dans l'arrêt Chambre des communes c. Vaid, où il avait dû être comparé à la Loi canadienne sur les droits de la personne, il a été conclu que le privilège parlementaire avait préséance.
[Français]
Comme le savent les membres du comité, rien dans les dispositions de la Loi sur l'accès à l'information n'indique que les renseignements ne doivent pas être communiqués lorsque leur divulgation contreviendrait à la Charte. Pourtant, je crois que les ministères et la commissaire à l'information accepteraient sans difficulté le fait qu'ils sont tenus de respecter les droits protégés par la Charte, même si la loi est muette à ce sujet.
[Traduction]
Il doit en aller de même avec le privilège parlementaire: le privilège parlementaire possède un statut constitutionnel égal à la Charte et doit être traité avec le même respect.
Depuis toujours en droit canadien, lorsqu'il y a contradiction entre une loi et la Constitution, c'est cette dernière qui l'emporte et sa suprématie est respectée. Ce principe est énoncé expressément à l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui est rédigé ainsi:
La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
Cette disposition ne vise pas seulement la Charte, mais tous les éléments de la Constitution, y compris le privilège parlementaire, qui est enraciné dans le préambule et l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, comme je l'ai mentionné précédemment.
[Français]
Ainsi, même si la Loi sur l'accès à l'information ne mentionne pas expressément que le privilège parlementaire représente une exemption ou une exception à la communication, elle doit être interprétée et appliquée de manière à accorder la primauté au privilège parlementaire.
[Traduction]
En outre, le privilège parlementaire doit être reconnu, que les textes législatifs sur l'accès à l'information soient modifiés ou non.
Dans l'arrêt Vaid, précité, la Cour suprême du Canada a conclu que la Loi canadienne sur les droits de la personne s'appliquait généralement à la Chambre des communes. Cependant, la cour a également conclu que cette loi n'avait pas pour effet de porter atteinte au privilège parlementaire.
Comme je l'ai indiqué lors de mon témoignage précédent, il y a eu au moins une affaire au Canada où l'on a considéré que le privilège parlementaire constituait une « exception » ou faisait l'objet d'une « exemption » à la législation en matière d'accès à l'information, qui était muette sur la question. Il s'agit de l'arrêt Assemblée nationale du Québec c. Bayle, en 1998. L'équivalent québécois de la Loi sur l'accès à l'information prévoit que le régime d'accès à l'information s'applique à l'Assemblée nationale. Il avait été demandé à l'assemblée de produire des documents qui étaient protégés par le privilège parlementaire. Or, même si la loi s'applique à l'assemblée, et malgré l'absence d'exemptions expresses concernant les documents protégés par le privilège, la cour avait conclu que la loi ne pouvait pas avoir pour effet de porter atteinte à des privilèges consacrés dans la Constitution.
[Français]
Les mesures prises par notre bureau l'été dernier s'inscrivaient donc dans ce cadre constitutionnel et juridique.
J'espère que ces renseignements seront utiles au comité pour la réalisation de son étude. Par ailleurs, j'aimerais soumettre à votre examen quelques autres points juridiques.
Les privilèges collectifs des députés n'appartiennent qu'à la Chambre et à elle seule. Il lui incombe donc de déterminer de quelle manière seront exercés ces privilèges. Seule la Chambre peut décider de ne pas insister sur ces privilèges dans une situation donnée.
[Traduction]
Ce qu'il importe de souligner, c'est que dans la mesure où les privilèges lui appartiennent, c'est la Chambre qui est seule habilitée à les exercer ou à déterminer comment ils le seront. Le rôle du Président de la Chambre, ainsi que de ceux qui travaillent sous son autorité, est de préserver et de protéger ces privilèges.
En résumé, le privilège parlementaire fait partie intégrante de la Constitution canadienne. Cela étant, toutes les lois doivent être interprétées et appliquées de façon à respecter le privilège parlementaire, tout comme elles doivent être interprétées et appliquées d'une manière qui ne contrevient pas à la Charte.
Enfin, au cours de vos travaux, on a laissé entendre que le seul moyen de résoudre ces questions était d'apporter des modifications à la Loi sur l'accès à l'information. À mon avis, vu le caractère constitutionnel du privilège parlementaire, ce n'est pas nécessaire. Néanmoins, compte tenu de l'incertitude exprimée par certains quant à la façon d'appliquer le privilège, il y aurait lieu d'envisager un autre modèle législatif. Si le comité juge souhaitable d'emprunter cette direction, mon bureau est à sa disposition pour lui indiquer comment cela pourrait être réalisé, en veillant à protéger les intérêts et l'indépendance de la Chambre et de ses députés.
[Français]
Je vous remercie beaucoup de votre attention. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
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Certainement. Merci monsieur le président.
Examinons tout d'abord les conséquences non intentionnelles que pourrait avoir une modification de la Loi sur l'accès à l'information. Pour commencer, j'aimerais dire qu'il est exact que la loi telle qu'elle se présente actuellement pose certains problèmes, étant donné qu'elle ne traite pas de la question du privilège parlementaire, question qui fait justement l'objet de notre débat aujourd'hui: nous ne savons pas exactement comment s'applique ce concept. Mais, la modification de la loi contribuerait uniquement à clarifier le régime de l'accès à l'information, alors que le privilège de la Chambre pourrait être affecté dans d'autres situations générales.
Sans trop entrer dans les détails, on peut penser à des conséquences dans le domaine des droits de la personne ou de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ainsi que dans le domaine de l'administration financière. Les privilèges de la Chambre pourraient soulever d'autres questions dans le contexte général du droit législatif. Par conséquent, la modification de la Loi sur l'accès à l'information permettrait de résoudre un problème, mais d'autres problèmes pourraient surgir.
Nous en avons répertorié quelques-uns que je peux brièvement vous lire aux fins du compte rendu. En vertu de la loi et de la Constitution, c'est à la Chambre qu'il incombe de déterminer quels sont les documents protégés par le privilège. Le cas échéant, la question pourrait-elle être soumise à une révision judiciaire? Voilà également un aspect sur lequel il faudrait se pencher.
L'autre problème que cela entraînerait... Souvenez-vous que l'étude consiste essentiellement à déterminer s'il est possible de rejeter ou d'exclure certaines demandes faites à la Chambre par des tiers. La question continuerait de se poser, puisque tout cela se situe dans le contexte de la définition des délibérations parlementaires et de la nature même de ces travaux. Un rapport du comité permettrait de clarifier la portée du privilège ainsi que la quantité ou le type de documents qui pourraient être demandés, mais ce type de questions continuerait de se poser régulièrement.
Je veux dire qu'en se contentant de modifier la Loi sur l'accès à l'information, on limite la solution.
Parmi les solutions proposées, nous en avons envisagé d'autres que celle qui consiste à modifier la loi. La Loi sur le Parlement du Canada contient des dispositions qui reconnaissent les privilèges de la Chambre. Permettez-moi de citer brièvement l'article 5 qui se lit comme suit:
5. Ces privilèges, immunités et pouvoirs —
— tels qu'énoncés à l'article 4 —
sont partie intégrante du droit général et public du Canada et n'ont pas à être démontrés, étant admis d'office devant les tribunaux et juges du Canada.
Une façon de régler la question ou de proposer une modification consisterait peut-être à ajouter dans la Loi sur le Parlement du Canada une disposition reconnaissant d'une certaine façon l'obligation de reconnaître la nature du privilège. De cette manière, nous pourrions proposer au comité une formulation qui permettrait d'exiger de façon générale de prendre en compte le privilège parlementaire dans l'application de toutes les dispositions du droit législatif. Ainsi, la Loi sur le Parlement du Canada comporterait une disposition maîtresse qui couvrirait la plupart des situations.
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Merci. J'en suis très flatté.
Je m'intéresse depuis longtemps à la notion de liberté d'information. J'avais justement l'intention de soulever le même point que M. Scott au sujet du caractère quasi constitutionnel du renvoi dont nous avons souvent entendu parler.
Cela nous pose une sorte de dilemme, même en tant que députés. En effet, notre devoir de parlementaires nous impose d'appuyer le concept de privilège parlementaire. Mais en tant que représentants du grand public nous avons aussi le devoir de protéger et de défendre le public, et ce que nous percevons comme l'intérêt du public a préséance sur le privilège. En cas de conflit, c'est l'intérêt du public qui devrait primer, je pense, et le droit du public devrait être considéré comme absolu.
L'accès à l'information est l'oxygène qui permet à la démocratie de respirer. C'est la pierre angulaire fondamentale de notre démocratie. Quant à savoir si nous devrions imiter d'autres autorités législatives et mettre en place une exception discrétionnaire par opposition à une exclusion absolue, je ne pense pas que nous ayons à débattre très longtemps de cette question. Je pense que l'idée d'exception discrétionnaire codifiée devrait avoir plus de poids que la notion d'exclusion et la nécessité de se battre pour protéger le droit du public à l'information. Je pense que les députés devraient considérer ce droit comme absolu. Le public a le droit de savoir ce que fait son gouvernement à très peu d'exceptions près, comme pour protéger la sécurité nationale, les renseignements commerciaux, etc.
Comment concilier le fait que d'autres autorités législatives sont parvenues à codifier ces intérêts contraires et quelles sont, à votre avis, celles qui le font le mieux?
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Je m'efforce d'être le plus aimable possible, puisque j'ai encore besoin de votre collaboration.
Je suis tout à fait pour la défense du principe du privilège parlementaire, mais il faut savoir que, dans certains cas, le privilège parlementaire peut mener à des excès.
Je viens tout juste de terminer un livre de Joseph Maingot qui met en parallèle le privilège parlementaire et l'inviolabilité parlementaire. Dans certains pays de l'Union européenne, des fugitifs recherchés par la justice profitent de leur statut d'élus, car en tant que députés, ils ne peuvent être poursuivis. Ils se servent donc de leur immunité parlementaire pour échapper à la justice.
La population en a tout simplement assez de telles combines. Nous vivons dans un environnement politique. Des individus comme Berlusconi échappent aux poursuites grâce à leur immunité parlementaire. Le privilège parlementaire permet à certaines activités du Parlement de rester dans l'ombre.
Ce ne sont pas de bons thèmes pour une campagne électorale. Je pense qu'il faut se rappeler de temps en temps la Loi sur la transparence du gouvernement de John Reid, l'ancien commissaire à l'information.
Scott, je pense que vous vous en souvenez probablement. Le Parti conservateur l'avait adoptée intégralement dans sa plate-forme de 2006. John Reid affirmait que l'intérêt public primait sur toute autre considération dans l'administration de la liberté d'accès à l'information, comme il le disait.
Je pense que nous nous éloignons de ces concepts fort louables.
Je viens d'avoir une conversation avec Dominic. Des personnes comme David Dingwall se sont attiré des ennuis lorsqu'elles ont tenté d'expliquer le privilège à la population. Ce n'est vraiment pas facile d'expliquer cette notion au grand public. Il continue de se faire traiter de « privilégié ».
Je crois que nous devons être vraiment prudents. Il serait peut-être possible de codifier dans un texte législatif la notion de pouvoir discrétionnaire relativement à certaines activités du Parlement susceptibles d'être soumises à l'accès à l'information dans certains cas ou réservées, à juste titre — comme le fait quotidiennement la commissaire à l'information lorsqu'elle prend ses décisions... C'est la notion d'exclusion complète et — quel est l'autre terme? — l'exception...