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Comme nous avons le quorum, je déclare la séance ouverte.
Nous sommes le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous tenons aujourd'hui une séance d'information sur les armes légères.
Nous somme heureux d'avoir avec nous aujourd'hui des témoins d'un certain nombre d'organismes. Nous souhaitons la bienvenue à Mme Holguin, l'agente de représentation d'Oxfam Québec. Nous souhaitons également la bienvenue à Mark Fried, coordonnateur de communications et plaidoyer à Oxfam Canada. Représentant Amnistie internationale, nous avons avec nous Hilary Homes, responsable de la campagne Justice internationale, sécurité et droits de la personne. Et finalement, de Project Ploughshares, Ken Epps, associé principal de programme.
Nombre d'entre vous ont déjà comparu devant un comité, donc ce n'est rien de nouveau pour vous. Nous accordons généralement dix minutes à chacun des témoins, puis passons à une période de questions de cinq minutes.
Nous avons commencé un peu en retard en raison du vote, nous allons donc tenter de prolonger la séance un peu si possible.
La parole est à vous, madame Homes — à moins que vous ne vouliez commencer, madame Holguin?
Bienvenue.
[Français]
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je veux d'abord vous remercier d'offrir la possibilité aux membres de la campagne Contrôlez les armes et à Oxfam-Québec d'exprimer leur opinion au sujet de la prolifération des armes et de ce que le Canada peut faire pour contrer cette problématique, à la veille de la Conférence des Nations Unies chargée d'examiner les progrès accomplis dans l'exécution du Programme d'action en vue de prévenir, combattre et éliminer le commerce illicite des armes légères sous tous ses aspects.
Nous vous avons distribué de la documentation dans laquelle vous trouverez un rapport sur les munitions publié cette semaine, de même qu'un communiqué de presse sur un sondage que nous avons fait dans six pays sur la prolifération des armes et d'autres informations de base sur la campagne Contrôlez les armes et sur la pétition Un million de visages.
La conférence d'examen des Nations Unies aura lieu du 26 juin au 7 juillet, à New York. Elle évaluera la mise en oeuvre du Programme d'action sur les armes légères accordé en 2001.
Oxfam-Québec oeuvre dans des pays souvent frappés par des conflits et la violence armée. Notre travail nous a permis de constater que le commerce des armes est hors de contrôle et que le coût humain est immense. Aujourd'hui, on dénombre l'existence de plus de 600 millions d'armes légères dans le monde. De plus, 14 milliards de balles sont fabriquées chaque année, soit plus de deux balles pour chaque homme, femme ou enfant de la planète. Faute de mesures de contrôle adéquates, ces armes et ces balles aboutissent dans des zones de guerre et entre les mains de contrevenants aux droits de la personne.
En République démocratique du Congo et en Haïti, des partenaires d'Oxfam-Québec nous apprennent que même si ces pays ne produisent pas d'armes, on en retrouve partout sur le territoire. Dans ces pays, la violence armée a contribué à exacerber la pauvreté, la discrimination, les maladies et la malnutrition, et à limiter l'accès aux services sociaux. On constate que chaque année, des pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine consacrent en moyenne 22 milliards de dollars à l'achat d'armes. La moitié de cette somme permettrait à chaque enfant de ces régions d'aller à l'école primaire.
Dans plusieurs pays, Oxfam a aussi constaté que ce sont les femmes et les filles qui subissent le plus durement les répercussions directes et indirectes de la prolifération des armes. Au Darfour et en République démocratique du Congo, le viol est devenu un arme de guerre. À Port-au-Prince, en Haïti, la plupart des viols commis ont lieu sous la menace d'une arme.
Notre expérience nous a également appris qu'il est possible de réduire la violence armée au moyen du développement et de l'action humanitaire. Au Darfour, dans plusieurs camps de personnes déplacées, nous distribuons du bois pour éviter que les femmes soient forcées de sortir pour en ramasser au risque de se faire violer. Au Cambodge, Oxfam-Québec fournit une formation professionnelle aux victimes des mines antipersonnel afin de leur permettre de gagner leur vie et de se réintégrer à la communauté. Au Nicaragua, nous avons travaillé à la réintégration des ex-combattants. Au Rwanda, nous avons contribué à la prévention des conflits en assurant un meilleur accès à la terre à la population paysanne.
À Oxfam, nous croyons que le développement ne peut pas être réalisé dans un environnement rendu peu sûr à cause des conflits, de la violence armée et de la prolifération des armes. C'est pourquoi nous avons lancé en 2003, avec Amnistie Internationale et le Réseau d'action international sur les armes légères, la campagne Contrôlez les armes.
Cette campagne mondiale a pour but d'exhorter les États à conclure un traité international sur le commerce des armes qui régisse toutes les armes conventionnelles. L'adoption d'un traité fondé sur les principes du droit international permettrait de réduire le coût humain des transferts d'armes irresponsables et empêcherait des marchands d'armes sans scrupules de trouver des failles dans le système.
Près d'un million de personnes dans le monde ont signé la pétition Un million de visages de la campagne Contrôlez les armes. Ces centaines de milliers de personnes, incluant plus de 10 000 Canadiens dont plusieurs députés du Parlement, demandent aux gouvernements de réaliser de réels progrès à la conférence d'examen afin de lutter contre la prolifération des armes légères, véritable fléau pour l'humanité. La pétition Un million de visages sera présentée le 26 juin prochain au secrétaire général des Nations Unies.
Lors de cette conférence, OXFAM et la campagne Contrôlez les armes s'attendent à ce que les gouvernements intègrent une perspective de développement sur le contrôle des armes et qu'ils s'entendent sur les nouveaux principaux globaux visant à réglementer à la fois le transfert des armes légères et celui des munitions vers des lieux où ils risquent d'alimenter des conflits et d'entraver le développement.
Nous exhortons le Canada à faire preuve de leadership lors de la conférence d'examen en s'assurant que les principes globaux sur le transfert des armes fassent l'objet de discussions et qu'ils soient inclus dans le document final de la conférence d'examen.
Finalement, nous demandons au Canada d'appuyer la négociation d'un traité international sur le commerce des armes pour ainsi faire preuve de son engagement envers la paix, le développement et la sécurité humaine.
Merci.
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Je vais parler un peu plus des répercussions qu'ont les armes légères sur les droits de la personne.
L'approvisionnement en armes est un problème international qui a des conséquences locales. On trouve des armes légères dans tous les pays du monde. Elles sont utilisées dans tous les conflits armés, et de façon exclusive dans la plupart des cas. Malheureusement, les problèmes découlant du commerce non réglementé d'armes ne se limitent pas aux époques de guerre.
Nous avons été témoins d'abus généralisés des droits humains qui sont à la fois directement et indirectement attribuables à la prolifération des armes. C'est pourquoi Amnistie internationale s'est jointe à ses partenaires du secteur des ONG pour la campagne Contrôlez les armes, que Lina a décrite.
Lorsqu'elles sont utilisées conformément aux lois internationales, les armes peuvent être utilisées à des fins légitimes, et nous ne contestons pas cela. Mais trop souvent, des embargos internationaux et régionaux sont violés, ou les contrôles des exportations ne fonctionnent pas, et des armes sont utilisées à mauvais escient.
Les armes, y compris celles recueillies par l'intermédiaire de programmes de DDR (démobilisation, désarmement et réintégration), circulent d'une région à l'autre selon que les conflits se calment ou éclatent.
Nous avons constaté que la disponibilité des armes contribue à attiser la violence. De nombreuses armes légères peuvent être utilisées par quiconque a un minimum de formation, y compris des enfants soldats. Le manque de formation contribue à la mauvaise utilisation des armes, y compris un usage excessif de la force.
Plus les armes sont sophistiquées, plus elles sont létales. Quelques personnes bien armées peuvent maintenant causer la mort, des blessures et la peur à très grande échelle. Il est de plus en plus facile de tuer; on peut y arriver d'une plus longue distance, avec plus d'indifférence et avec moins d'efforts. Ce fait est illustré de façon convaincante dans les conflits armés qui persistent souvent après que le conflit ait officiellement pris fin, lorsque la sécurité est toujours difficile à assurer.
Les armes demeurent ou tombent entre de mauvaises mains — qu'il s'agisse de criminels, de seigneurs de guerre, de rebelles, d'agences de sécurité privées en pleine expansion ou de dirigeants corrompus au sein des forces de sécurité d'État. Dans ce contexte, il est difficile de convaincre les gens de remettre leurs armes, puisqu'il s'agit pour eux de la seule façon d'assurer leur sécurité.
La culture de la violence favorise la violence. Ça devient vraiment un cercle vicieux, puisque les gens décident de régler eux-mêmes leurs comptes. Bref, les armes qui se trouvent entre de mauvaises mains ne font rien pour aider la situation des droits de la personne et favoriser le développement. Au lieu de promouvoir le dialogue et la tolérance, elles favorisent les tensions et la poursuite des hostilités.
Je vais vous faire part de quelques données concernant la violation des droits de la personne.
On estime que plus d'un demi-million de civils meurent chaque année en raison de la mauvaise utilisation d'armes conventionnelles, ce qui représente une personne chaque minute. Davantage de gens sont tués ou blessés par des armes légères que par des armes lourdes.
Bien qu'on s'attarde souvent aux décès et aux blessures attribuables aux armes légères, les répercussions en matière de droits de la personne sont en fait d'une beaucoup plus grande portée. Les armes servent à la torture, soit littéralement, soit par la menace de l'utilisation de la force au moyen d'armes légères.
La violence sexuelle armée est répandue dans les milieux lourdement armés. Les armes peuvent faciliter le viol systématique, comme Lina l'a mentionné dans le contexte du Darfour. C'est un crime de guerre qui est utilisé pour accélérer l'expulsion de groupes nationaux, en dégradant les femmes et en propageant la terreur, la peur et l'humiliation dans la population en général.
Les personnes qui se retrouvent dans des camps de réfugiés ou dans des camps pour personnes déplacées vivent continuellement dans la peur et la violence armée, parce que de nombreux camps sont de plus en plus militarisés. Ils servent souvent de plaque tournante pour le trafic d'armes ou comme bassin de recrutement pour les forces rebelles ou les forces nationales.
Les armes légères sont aussi la cause de milliers de disparitions partout dans le monde. Par exemple, dans l'ex-Yougoslavie, plus de 20 000 personnes manquent toujours à l'appel. Dans ce contexte, des armes légères ont été utilisées pour faciliter leur disparition.
Des militants politiques, des journalistes, des syndicalistes et des manifestants pacifiques sont fréquemment attaqués par des gouvernements ou d'autres forces armées en vue de les priver de leur liberté d'expression et d'association. Par exemple, des élections ont été perturbées par la violence armée au Zimbabwe, au Cachemire et dans plusieurs autres pays.
Lorsqu'elles se retrouvent entre de mauvaises mains, les armes ont aussi des conséquences pour de nombreux droits sociaux et économiques. Elles empêchent l'accès aux hôpitaux et aux terres fertiles, ce qui a des conséquences pour les moyens de subsistance, l'éducation et les marchés.
Dans ce contexte, on constate des effets à court terme, comme la malnutrition et un taux plus élevé de mortalité juvénile. À long terme, on constate un plus haut taux d'analphabétisme, ainsi que des risques plus élevés d'épidémie, de pauvreté et de mauvaise gouvernance.
Enfin, la violence armée ou la menace de violence armée empêche l'aide d'atteindre les gens qui en ont le plus besoin.
Les parties en conflit peuvent délibérément bloquer l'aide humanitaire et se servir de la nourriture ou des fournitures médicales comme tactique militaire. Parfois, les personnes qui travaillent pour les organismes humanitaires, leurs convois, leurs bureaux et leurs programmes sont expressément ciblés. La situation qui prévaut actuellement au Darfour illustre bien ce phénomène. Évidemment, je pourrais vous dresser une très longue liste.
Je vais donner la parole à Ken; il vous parlera des solutions que nous proposons.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie le comité de nous avoir invités à faire une présentation ici cet après-midi.
Project Ploughshares est un centre de paix oecuménique du Conseil canadien des Églises, qui est basé à Waterloo. Nous tentons de faire adopter des contrôles plus stricts pour le commerce international des armes depuis que notre organisme a été fondé il y a 30 ans. Nous faisons partie des membres fondateurs de la campagne Contrôlez les armes.
Project Ploughshares publie notamment un rapport annuel sur les conflits armés. La dernière édition de ce rapport fera état en 2005 de 32 conflits armés dans 27 pays dans le monde. Grâce à nos recherches sur les conflits, nous savons que les transferts irresponsables d'armes favorisent les conflits. Ils augmentent l'incidence des conflits, ils prolongent les guerres une fois que celles-ci éclatent, augmentent la létalité et aggravent les coûts humains et environnementaux de la guerre. Tel que noté par ma collègue aujourd'hui, le commerce irresponsable d'armes mine le développement et favorise la violation des droits de la personne dans le monde.
Malgré les graves répercussions du commerce des armes, surtout le commerce d'armes légères et d'armes de petit calibre, il n'y a pas d'ententes mondiales pour contrôler les transferts d'armes conventionnelles. Comme les gouvernements sont les principaux responsables du commerce des armes, il leur revient donc de s'entendre sur les contrôles appropriés. La campagne Contrôlez les armes demande aux gouvernements, y compris celui du Canada, de prendre des mesures, et ce, à deux niveaux.
D'abord, à la Conférence d'examen de l'ONU sur les armes légères — dont on a parlé plus tôt — qui s'ouvre à New York le 26 juin, les gouvernements doivent s'entendre sur une série de principes universels pour régir l'autorisation de transferts d'armes légères par chaque État. Ces principes devraient être fondés sur les responsabilités actuelles des États en vertu du droit international humanitaire et des droits de la personne. Ces principes, une fois intégrés au programme d'action de l'ONU sur les armes légères, exigeraient que tous les gouvernements respectent les mêmes normes lorsqu'ils approuvent le transfert d'armes légères.
Deuxièmement, la campagne exige des gouvernements qu'ils entament des négociations relativement à un traité sur le transfert de toutes les armes conventionnelles, préférablement au moyen d'une résolution de la Première Commission des Nations Unies plus tard cette année. À titre de traité, la convention serait obligatoire en droit pour tous les États. Avec l'aide d'experts juridiques internationaux, la campagne Contrôlez les armes a rédigé une ébauche de traité, que nous appelons « Traité sur le commerce des armes », qui est fondé sur les mêmes principes généraux que nous défendons pour la Conférence d'examen de l'ONU.
Il convient de signaler que nous considérons ces deux pistes séparées mais complémentaires. On s'attend à ce que la convention sur le commerce de toute arme conventionnelle, obligatoire en droit, comporte la mise sur pied d'un nouveau processus à l'ONU, et un traité sur le commerce des armes pourrait prendre des années à négocier. Entre-temps, nous voulons que les gouvernements prennent des mesures relativement aux transferts d'armes légères et d'armes de petit calibre dans le cadre du processus actuel sur les armes légères — d'où l'attention portée par la campagne Contrôlez les armes à l'égard de l'introduction de principes universels régissant les transferts dans le programme d'action de l'ONU sur les armes légères. De plus, si de tels principes étaient adoptés à la Conférence d'examen qui commence la semaine prochaine, on augmenterait les chances de voir ces mêmes principes adoptés dans le cadre des négociations pour une convention sur les transferts d'armes.
Les ONG canadiennes qui participent à la campagne Contrôlez les armes demandent au Canada de faire preuve de leadership à ces deux égards. Nous exhortons le Canada à faire pression pour l'adoption de principes de transferts universels à la Conférence d'examen de l'ONU et à coparrainer une résolution de la Première Commission de l'ONU en octobre afin que commencent les négociations en vue de l'adoption d'un traité sur le commerce des armes.
Nous avons été très heureux d'apprendre que la semaine dernière, le comité permanent a approuvé une motion demandant au gouvernement d'appuyer ces deux initiatives.
Le Canada est bien placé pour assurer le leadership du contrôle du transfert des armes parce qu'il adhère déjà à plusieurs ententes et conventions multilatérales qui, prises ensemble, font en sorte que le Canada adhère aux principes de base du traité sur le commerce des armes proposé. Parmi ces ententes et conventions, on compte le Code de conduite européen sur le transfert des armes, auquel le Canada a adhéré en principe, et la Convention interaméricaine sur la transparence des transferts internationaux d'armes classiques, qui oblige légalement le Canada à rendre compte de ses exportations et de ses importations d'armes chaque année. Le Canada demanderait donc à d'autres États de prendre des engagements qu'il a déjà pris et d'adopter des normes qu'il respecte déjà.
Du même coup, pour renforcer un appel à des normes universelles plus strictes pour le transfert d'armes conventionnelles, le Canada doit apporter des améliorations à ses propres contrôles à l'exportation. En effet, bien que les contrôles à l'exportation militaire canadiens soient plus sévères que ceux de nombreux autres pays, ils ne respectent actuellement pas toutes les normes de ses engagements multilatéraux. En particulier, le Canada doit adopter des critères de contrôle à l'exportation d'armes qui reconnaissent et respectent ses responsabilités en vertu du droit international, comme son obligation de prévenir les génocides et les crimes contre l'humanité.
Le Canada pourrait aussi apporter des améliorations importantes concernant la transparence de ses exportations d'armes, y compris un rapport plus détaillé et plus officiel sur l'exportation de matériel militaire. On s'inquiète qu'un pays comme le Canada qui défend le contrôle des armes ait soumis son dernier rapport sur les exportations d'armes en 2002.
Ce qui importe peut-être le plus, c'est que le Canada corrige les plus importantes lacunes de ses contrôles d'exportation d'armes en exigeant des permis d'exportation et en documentant la vente de matériel militaire aux États-Unis. Les États-Unis sont de loin le plus important marché d'exportation militaire pour le Canada, mais ce fait ne figure actuellement pas dans la documentation officielle sur les ventes d'armes canadiennes.
Mesdames et messieurs les membres du Comité permanent, la campagne Contrôlez les armes a réuni des centaines d'organisations de la société civile et un million de personnes partout dans le monde, qui demandent que des mesures soient prises en ce qui a trait au fléau mondial que représente le transfert irresponsable d'armes. Nous croyons qu'il est temps que le Canada travaille avec d'autres gouvernements à cette fin.
Nous vous remercions.
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Merci, monsieur le président. Je sais que nous n’avons pas beaucoup de temps.
Je voudrais féliciter les trois groupes, Oxfam, Amnistie internationale et Project Ploughshares, pour l’excellent leadership dont ils font preuve pour sensibiliser la population.
J’aurais quelques petites questions, et je sais que nous devons conclure.
En ce qui concerne la conférence d’examen des Nations Unies qui aura lieu sous peu, y a-t-il une composante ONG, comme c’est habituellement le cas lors de la plupart des conférences des Nations Unies comme celle-ci, et est-ce que vos quatre organisations seront représentées?
Ensuite, à la suite de la conférence de 2001, le gouvernement canadien a présenté comme d’habitude son rapport pour donner sa position actuelle. Je sais que je devrais vraiment poser cette question au gouvernement, mais je ne peux le lui demander, alors je vais vous demander si vous avez été consultés à cet égard, ce qui est également une approche assez traditionnelle.
Corrigez-moi si je me trompe, mais je ne pense pas que le Canada soit un gros fabricant d’armes légères et de petit calibre. Je crois cependant que nous sommes un gros fabricant de balles. Donc je me demandais tout simplement si vous pouviez nous parler de cette question, et nous dire si les munitions font vraiment partie de la discussion au sujet des traités et des contrôles, et s’il y a des choses que le Canada devrait prendre plus au sérieux à cet égard.
Enfin, je me demande si vous pourriez fournir davantage d’information à notre comité. Vous avez dit brièvement que les exportations canadiennes vers les États-Unis échappent à toute transparence, et cela me préoccupe beaucoup. J’aimerais que vous nous en parliez davantage et que vous nous éclairiez le plus possible à ce sujet.
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Merci, monsieur le président, et merci à vous, membres du comité, de nous avoir invités à partager avec vous.
Tout d'abord, je voudrais dire, au nom des membres du conseil d'administration du Centre d'étude et de coopération internationale, le CECI, que nous appuyons sans aucune réserve les efforts de notre organisation pour aider Haïti dans son développement durable. Le CECI est l'ONG canadienne la plus engagée présentement en Haïti. Du point de vue du conseil d'administration, cette position comporte certains risques, parce qu'il est très difficile de faire du développement durable en Haïti, mais nous l'appuyons sans réserve, et je tenais à le dire aujourd'hui.
La deuxième chose que je voudrais vous dire — et je vous parle en tant qu'individu — est que dans une vie antérieure, j'ai été vice-président de l'ACDI. Pendant quatre ans, de 1993 à 1997, j'ai été vice-président pour les Amériques. J'ai donc été mêlé personnellement à toute la crise qui a amené le débarquement des Marines américains, le retour d'Aristide, l'élection de Préval et son assermentation. Ce sont tous des événements que j'ai vécus.
À l'époque, lorsque j'étais responsable de mettre en oeuvre un programme canadien de coopération avec Haïti, le défi était énorme. On ne savait pas vraiment par où prendre cette dynamique. Encore aujourd'hui, maintenant que je me repose un peu de ces choses en tant que président du conseil du CECI, j'ai les mêmes interrogations. Il est extrêmement difficile de faire des projets de développement durable en Haïti. C'est possible de faire de l'aide humanitaire. On est capable d'en faire à peu près n'importe où. Mais faire du développement durable, qui va mener à la transformation de la société haïtienne et de ses valeurs pour en faire une société qui chemine vers un développement durable, est extrêmement difficile.
Cependant, je ne crois pas que le Canada puisse choisir de ne pas s'engager en Haïti. Nous avons un programme d'aide, et Haïti est le pays le plus pauvre de notre propre hémisphère. Je pense que le Canada à des responsabilités particulières à l'égard d'Haïti et qu'il ne peut pas s'en dégager. Nous sommes donc dans une situation difficile où il faut essayer de trouver une façon d'aider les Haïtiens à se développer de façon durable. Après 30 ans d'expérience à l'ACDI, je crois que la seule façon de le faire est d'être patient, car il n'y a pas de raccourci. Il faudra agir tranquillement auprès des masses populaires pour essayer de les habiliter. En anglais, on dit empower et je trouve que ce mot décrit mieux ma pensée. Par un processus lent de partenariat, on pourra les amener à prendre conscience de leur propre capacité à se prendre en main et à établir tout doucement une vraie démocratie.
Présentement, à Haïti, on a les mécanismes d'une démocratie. Toutefois, on n'a pas une démocratie réelle dans la mesure où les gens n'ont pas une base suffisante de connaissances et de capacité à se renseigner. Ils ne se sentent pas habilités à voter, à prendre des décisions, à faire ce que nous, de la société civile, faisons en venant vous rencontrer et répondre à vos questions. Cela n'existe pas en Haïti, et c'est une chose que les ONG comme CECI peuvent apporter. C'est pourquoi le conseil d'administration appuie sans aucune réserve les efforts du CECI en Haïti.
Merci beaucoup.
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Merci, monsieur le président.
J'arrive d'Haïti, où je donnais de la formation en négociation à des paysans dans une zone particulièrement violente. Je vais en Haïti depuis 1965. C'est donc un pays qui me parle beaucoup et qui me demande très souvent d'avoir le courage de ne pas désespérer. J'aimerais vous parler du contexte politique et de stabilisation, ainsi que des défis du développement.
En ce qui a trait au contexte politique, j'aimerais d'abord dire qu'il y a actuellement un contentieux ou une certaine ambiguïté concernant les relations du Canada, ou la perception qu'ont les Haïtiens du Canada et la perception qu'ont certains Canadiens d'Haïti.
Il y a deux éléments. Le Canada a toujours été bien coté en Haïti, mais il y a deux éléments qui sont peut-être de l'ordre de la perception, ou de l'ordre de la prise de positions, qui font que certains pensent que le Canada a joué un rôle dans ce qu'ils appellent le coup d'État qui a chassé Aristide du pouvoir. Donc, pour certains, c'est un coup d'État, et le Canada n'a pas l'habitude d'agir comme cela. Les perceptions sont très importantes en Haïti, et c'est quelque chose qu'on devra gérer.
L'autre contentieux m'a été lancé en plein visage lorsque j'étais en Haïti, quand on m'a dit que le Canada allait accuser Jacques Édouard Alexis de crimes contre l'humanité. Je crois que le Canada devra clarifier ces éléments-là. En tant que militante des droits de la personne, je trouve qu'il ne faut pas abuser du terme « crimes contre l'humanité », car c'est un terme très lourd. Oui, il faut pourchasser ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité, mais il faut faire attention à l'usage qu'on fait de termes comme celui-là. Donc, il faudra probablement clarifier cette chose, car il y a des gens qui vont nous le remettre sous le nez dans le cadre de nos relations.
En tant qu'ONG canadienne, nous avons toujours bénéficié de la bonne image du Canada, mais nous pouvons aussi souffrir des perceptions ambigües que le Canada encourage par ce message. Le Canada doit donc clarifier sa position, et c'est peut-être un défi pour lui.
Maintenant, le CECI a fait un projet de dialogue politique de deux ans, en 1997 et 1998, avec les chefs des plus importants partis politiques en Haïti. Cela nous a fait connaître assez bien la classe politique haïtienne et les défis qui existent. S'il est possible de souligner quelque chose de positif au sujet des dernières élections, c'est la volonté exprimée d'inclusion des différents partis politiques. Je pense qu'on peut dire qu'il y a là un élément positif sur lequel on peut s'appuyer. Même qu'il y avait une trentaine de candidats à la présidence— il me semble que c'est tout un défi, en Haïti, de trouver 31 candidats qui pourraient jouer le rôle de président—, on peut voir que plusieurs partis politiques se sont fusionnés pour cette élection, ce qui est déjà un pas dans la bonne direction. Maintenant, dans le cabinet, au moins cinq ou six partis politiques sont représentés. C'est une chose que le gouvernement canadien et la coopération canadienne doivent encourager.
Le Parlement n'a pas de grandes habitudes et de culture politique de fonctionnement. C'est un autre défi, et il nous faudra appuyer les Haïtiens dans leurs efforts pour y faire face. Puisque nous avons appuyé les efforts de démocratisation et puisqu'on revient à la normalité constitutionnelle en Haïti, il est important que nous mettions en oeuvre les moyens nécessaires pour que cela réussisse. En démocratie, cela doit passer entre autres par la compétence des instances élues du Parlement haïtien. Il y a là une invitation à faire un travail de développement.
J'aimerais aussi parler de ce qui me semble être le plus grand défi, soit la stabilité en Haïti. Le groupe précédent a parlé avec beaucoup de compétence de la sécurité en Haïti, mais je crois que le plus grand obstacle à la sécurité, c'est la pauvreté. C'est pourquoi il faut que les programmes de développement aient, entre autres objectifs, celui de rendre justice aux plus pauvres, qui sont manipulés d'élection en coup d'État, qui sont toujours la cible des beaux parleurs. Il est temps que cela se fasse, car je ne sais pas jusqu'à quand ils demeureront non violents. Il y a une culture de violence en Haïti, et les paysans les plus pauvres la subissent encore. Il est très important, pour la sécurité à long terme du pays, de travailler aux causes de la violence.
Il y a aussi les bandes armées. C'est quelque chose d'assez paradoxal en Haïti. Il y a beaucoup d'armes qui circulent, et c'est devenu, à partir des années 1995, une « belle » industrie. C'est une industrie assez florissante.Quand votre business est de fournir des gardes de sécurité, c'est à votre avantage qu'il y ait de l'insécurité. Cela crée des emplois. Il faut regarder cela aussi. C'est relié à la question de la création d'emplois et du défi de trouver du travail. C'est un emploi intéressant et stable qui donne un certain pouvoir: les gardes de sécurité ont l'uniforme et le fusil. Donc, l'insécurité entraîne la création d'emplois, mais il y a toujours de l'insécurité. Je dirais que même s'il y a beaucoup d'armes qui circulent, il n'y a qu'un petit nombre de personnes qui en possèdent. Il y a beaucoup d'insécurité en Haïti, mais il ne faut pas croire que ce sont la majorité des Haïtiens qui sont source d'insécurité. C'est un petit noyau. On sait où ils sont et on sait quels sont leurs intérêts. C'est le grand paradoxe.
Dans le cadre de la MINUSTAH, il y a des armés du monde entier qui sont là et qui n'ont pas encore entrepris le désarmement. Qu'est-ce qu'on attend? C'est très important. Pourtant, on sait où sont les bandes. Il y a même des rues d'entrée dans ces quartiers. Je ne dis pas que c'est facile, mais ces gens sont préparés à faire la guerre. Qu'est-ce qu'ils attendent? Quel mandat leur donne-t-on? C'est le grand sujet de discussion entre les policiers, qui sont frustrés. Les policiers internationaux interviennent et la police nationale fait de son mieux. Elle est passée par différentes étapes et elle est bien appuyée par les policiers internationaux. Le Canada a fait un bon travail dans ce sens-là.
Quel mandat a-t-on donné à la MINUSTAH et qu'est-ce que ces gens attendent pour agir? Le rôle ambigu de la MINUSTAH est une des choses qui discréditent la communauté internationale, dont fait partie le Canada. Les gens se demandent ce qu'ils font.
On l'a vu ici, lorsqu'un citoyen canadien a été tué et que quelqu'un de la MINUSTAH s'est fait photographier à ses côtés. Cela est source de honte ici, mais imaginez ce que c'est là-bas, dans ce pays, quand les gens voient tous les jours l'impuissance de la MINUSTAH. Je pense qu'il faut se poser des questions. On se le demande et on peut se donner la réponse. La communauté internationale a le devoir d'intervenir pour protéger les populations, et c'est bien que les Nations Unies le fassent, mais on se demande si ce n'est pas devenu une industrie de placement de main-d'oeuvre pour les pays pauvres, qui envoient des soldats. J'ai le regret de dire que ce sont des gens qui, dans leur propre pays, ne sont pas efficaces et qui ont maintenant le mandat de protéger la population haïtienne. Il ne faut pas prendre les Haïtiens pour des moins que rien. Ils méritent, autant que les autres, la sécurité. Il faut leur envoyer des personnes compétentes pour faire le travail. En résumé, la MINUSTAH doit avoir un mandat clair, et le personnel affecté à la tâche doit être compétent. Donc, il y a moyen d'arrêter les bandes armées avec de la volonté politique.
Une des questions qu'il faut envisager à court terme est celle de l'intégration de la Famille Lavalas dans la politique. On sait qu'Aristide est à l'extérieur et qu'il a encore beaucoup d'argent pour faire marcher bien du monde. Il y a des gens de la Famille Lavalas qui pensent avoir gagné avec le gouvernement actuel. Même l'ancien président Aristide le pense, alors qu'une autre personne, M. Bazin, était censée représenter son parti. Il y a une ambiguïté chez les partisans d'Aristide: ils se demandent si ce gouvernement est le leur ou pas. On le saura lorsque sera prise la décision quant au retour d'Aristide.
C'est quelque chose dont Haïti ne pourra certainement pas décider seul. Ce n'est pas que les Haïtiens ne soient pas capables d'en décider seuls, mais la communauté internationale va certainement s'en mêler.
Il faut que le Canada réfléchisse bien à la façon d'intégrer l'ensemble des Haïtiens à la vie politique haïtienne sans ramener le chaos. À cet égard, il faut aussi examiner la question de l'impunité. Il est très important que les mesures prises soient justifiées en termes de justice, et non en termes de parti pris. L'impunité règne en Haïti depuis longtemps. Le système de justice est très faible. Il est donc important, pour la sécurité du pays, que les gens sachent que les décisions qui sont prises sont fondées sur le droit.
Il y a aussi le croupissement en prison d'un ancien premier ministre, M. Neptune, qui y est depuis plus de deux ans, je crois, et qui n'a pas encore été jugé. Il faut y voir. Est-ce qu'il paie pour d'autres? A-t-on vraiment des raisons de le garder en prison? Pour stabiliser le pays, il faut faire justice à la Famille Lavalas et aux personnes qui sont accusées.
Permettez-moi de revenir sur la question des défis du développement. Quand on parle de développement, on parle de développement social et économique, ce qui est important, mais on oublie la culture. Quand on parle de développement, on pense au changement. Parfois, il faut aussi changer des éléments de la culture. M. Racicot disait qu'il fallait demeurer en Haïti pour le long terme. Je dirais qu'il faut y demeurer pour le très long terme. On pense à renforcer les institutions gouvernementales et les institutions de l'État. C'est important, mais il faut aussi travailler au changement structurel des esprits. J'ose faire une interprétation de certaines composantes culturelles en Haïti. Haïti est fière, avec raison, d'avoir été la première république noire à s'affranchir et le premier pays en Amérique, après les États-Unis, à conquérir son indépendance. Mais la stratégie gagnante s'est mythifiée avec le temps. Ce qui, à un certain moment, était une bonne stratégie est devenu comme un mythe. Cela repose sur ce qu'on appelle le marronage, c'est-à-dire la fuite ou l'esquive. Si on veut bâtir la démocratie en Haïti, il faut la bâtir sur la confiance, sur la confiance de personnes qui se parlent, qui se disent les choses même si elles ne sont pas d'accord. Ce qui a été mythifié, qu'on appelle le marronage, est l'art de l'esquive, et c'est très valorisé en Haïti.
Imaginez le défi! Si on veut faire un développement durable en Haïti, il faut aussi toucher à certaines structures culturelles, et cela se fera à plus long terme. Je disais qu'une des causes de l'instabilité et de l'insécurité est la pauvreté et qu'il fallait donc travailler au développement. La décentralisation pour le développement local, qui est un élément du plan présenté par le nouveau premier ministre, nous semble une chose intéressante. Une décentralisation a été commencée en Haïti il y a quelques années, mais on n'y a pas affecté les ressources matérielles nécessaires. Il est très important que les gouvernements de proximité puissent avoir les ressources nécessaires pour agir et montrer aux personnes de leurs communautés que des changements peuvent s'opérer.
Je pense qu'il faut également travailler pour le long terme dans le domaine de l'éducation, tant à la formation des formateurs qu'à l'enseignement à la petite école. On a des projets de cet ordre. Par exemple, on aide les enfants à régler leurs propres conflits dans les écoles; les enfants sont des médiateurs entre eux. On cherche à développer une culture de dialogue, une culture de confiance, une culture d'ouverture, une culture de négociation.
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Je vais proposer quatre recommandations.
Voici le premier constat qu'a fait le CECI. Depuis les années 1970, nous avons été continuellement présents en Haïti et nous avons vu quatre cycles de relations bilatérales entre le Canada et Haïti. Lorsque le gouvernement est élu et légitime, toute l'attention se porte sur la relation avec le gouvernement. Lorsque le pays est en crise, l'attention est portée sur la société civile. Nous nous permettons de dire au gouvernement canadien qu'il doit reconnaître qu'une relation à long terme avec Haïti doit inclure à la fois le gouvernement et la société civile. Il faut cesser de penser que le pays n'est pas en crise parce qu'il a un gouvernement élu. Haïti est un pays en crise, et il le sera pour longtemps, et le fait d'élire un gouvernement n'y changera rien. C'est un premier constat, et j'aimerais qu'on puisse en débattre.
Deuxièmement, l'espace local est actuellement un espace d'action réel. Malgré les embargos et les crises, le CECI a toujours réussi à agir en Haïti parce qu'il avait décidé d'agir à l'échelle locale. Il est très important de maintenir des interventions qui appuient le développement local. C'est aussi dans cet espace qu'on trouve des lieux d'apprentissage de la démocratie. À court terme, ce n'est pas le Parlement, mais les organisations qui permettent aux gens de développer de l'estime de soi, de la collaboration, des projets communs. Ce sont des organisations qui existent beaucoup actuellement à l'échelle locale. C'est une dimension que nous proposons.
Troisièmement, il faut miser sur les femmes. Selon notre expérience, nos interventions d'appui aux organisations de femmes ont eu beaucoup plus de succès, même en temps de crise.
Finalement, il faut qu'il y ait un projet économique; il faut qu'il y ait de l'emploi pour Haïti. Trop d'attention est donnée à la politique et pas suffisamment à l'emploi. Donc, à court terme, appuyons les stratégies du gouvernement, qui veut faire un programme d'apaisement social, un programme d'emploi — la sécurité, on en a parlé —, et mettons en place des mesures d'accompagnement et de protection de l'économie haïtienne.
Nous travaillons en Artibonite dans le secteur de la culture du riz. Tant et aussi longtemps que les États-Unis feront du dumping de riz subventionné américain, l'apaisement et la paix en Haïti seront impossibles. La transposition du modèle économique international à Haïti va conduire à un échec, à une catastrophe économique. Il faut un dispositif spécial de protection de l'économie haïtienne.
Merci.
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Merci beaucoup de votre présence.
Ma question s'adresse aux trois représentants du CECI. Vous avez reçu de l'aide de Luck Mervil, qui a fait des levées de fonds dans la province de Québec, lors du désastre naturel. Pouvez-vous fournir au président du comité une liste de tous les endroits où vous travaillez en Haïti, dans tous les domaines?
Vous avez parlé de négociations avec les paysans. Vous avez parlé aussi de formation. Pouvez-vous nous dire dans quels domaines précis vous êtes présents dans toutes les régions d'Haïti? Je ne veux pas le savoir aujourd'hui, parce que cela prendrait trop de temps et que je veux poser des questions.
Ma deuxième question s'adresse à Mme Bouchard. Vous avez parlé des deux éléments de perception du Canada. Vous avez parlé d'Aristide. Était-ce un coup d'État ou pas? On sait très bien qu'Aristide est bourré d'argent et qu'il entretient, surtout dans la grande région de Montréal, des gens qui prônent son retour en Haïti. Vous avez dit qu'il fallait appuyer le retour en politique de la Famille Lavalas. Ces gens se sont présentés aux élections et seuls quelques députés ont été élus. Ils ne font pas partie du gouvernement parce qu'ils n'ont pas fait élire assez de députés. Vous avez dit qu'il fallait penser au retour. Ne croyez-vous pas que si Aristide revenait en Haïti, à Port-au-Prince, ce serait plutôt le retour au chaos?
Deuxièmement, concernant le premier ministre Jacques Alexis, vous avez dit qu'il fallait faire attention à l'usage que l'on fait des droits de l'homme. Étant donné la façon dont vous avez énoncé cela, j'ai cru comprendre que vous étiez en désaccord sur la décision du Canada de ne pas lui permettre de venir au Canada non pas en tant que premier ministre, mais en tant que citoyen pour visiter sa famille à Montréal. J'avais l'impression que vous étiez en désaccord sur la décision du gouvernement. Je ne sais pas pourquoi on a refusé qu'il vienne. On l'avait demandé il y a deux ans, et on nous l'a refusé. Êtes-vous au courant de choses que nous, les parlementaires, ne connaissons pas à ce sujet?
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Je tâcherai d'être bref. Le CECI travaille surtout dans les régions de l'Artibonite, des Gonaïves et à Saint-Marc. Ces régions, avec Port-au-Prince et le nord-est près de la République dominicaine, font partie des régions les plus chaudes, politiquement, en Haïti. Nous travaillons aussi à Port-au-Prince.
Nous oeuvrons surtout dans le cadre de programmes locaux de renforcement liés à l'agriculture avec des groupes de production agricole. D'autre part, nous travaillons aussi sur le plan de la gouvernance locale avec les élus locaux et les diverses structures de gouvernance locale. Cela représente un champ d'activité. Dans le cadre de ce champ d'activité, nous apportons parfois de l'aide humanitaire, s'il y a des crises. Nous faisons des campagnes importantes à ce niveau. À chaque année, nous mobilisons beaucoup de ressources pour Haïti, c'est-à-dire de l'argent et des bénévoles qui travailleront à Haïti. Le travail de ces bénévoles fournit de l'aide non seulement pour le développement local, mais aussi aux institutions haïtiennes. Une des stratégies est d'appuyer les organisations civiles et les institutions décentralisées de l'État dans les régions qui sont extrêmement démunies et très faibles.
Un autre de nos champs d'activité est le domaine de la démocratie, de la culture, de la paix, de la médiation et de la prévention des conflits. Nous travaillons surtout avec des organisations de défense des droits de la personne. De plus, nous travaillons dans le cadre de structures qui assurent de la formation, comme l'Université Quisqueya.
Notre troisième champ d'activité est le domaine de la santé. Nous travaillons notamment à la prévention du sida et au renforcement du ministère de la Santé.
Notre action est assez diversifiée et de grande envergure, puisque nous travaillons grâce à des fonds provenant de différentes sources canadiennes, de la Banque mondiale, de fonds européens et du gouvernement. Notre ONG est très opérationnelle.
J'aimerais terminer en disant que nous faisons souvent du travail de reconstruction à court terme dans le cadre de ce qu'on appelle le Programme d'Investissements à Haute Intensité de Main-d'Oeuvre, ou HIMO, afin de permettre la création d'emplois à court terme pour la population. Cela nous a permis de faire du travail d'infrastructures rurales et du travail dans le domaine de la construction d'infrastructures sociales.
L'action du CECI est très symbolique. Le thème de notre rapport annuel cette année était Haïti. Notre parrain et principal témoin de notre travail est un Canado-Haïtien, Luck Mervil. Haïti est extrêmement important pour nous. Le travail que nous y faisons inspire ce que nous faisons ailleurs, et ce que nous faisons ailleurs inspire notre travail en Haïti.
Nous avons fait, notamment, des expériences de sécurité communautaire en Amérique centrale et nous espérons pouvoir les répéter en Haïti. Il a été prouvé que l'approche militaire de la sécurité est un échec en Haïti. Cela n'a pas marché avec la MINUSTAH et les autres, mais cela marchera peut-être avec les citoyens.
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Cela va être très difficile, parce qu'il y a, je pense, beaucoup de questions sans réponse et nous voulons des réponses.
La première question est une simple question de fait, et peut-être que n'importe lequel d'entre vous pourrait y répondre.
Une conférence internationale des donateurs devait avoir lieu où, on l'espérait, un engagement sérieux allait être pris par la communauté internationale afin de faire ce dont M. Préval a parlé quand il est venu au Canada récemment.
Ceux d'entre nous qui sont allés à Haïti lors d'une mission parlementaire ont identifié la même priorité essentielle et la plus pressante, c'est-à-dire une grande activité économique ainsi qu'une action pour que les habitants sentent qu'il existait une possibilité de vraiment les sortir de leur marasme économique et de faire des progrès pour améliorer leurs conditions de vie. Pouvez-vous me dire si cela a eu lieu et quels sont les résultats à ce jour?
Deuxièmement, madame Bouchard, vous avez parlé de l'importance des perceptions. Je dois dire que ce que j'ai trouvé d'extrêmement difficile à Haïti était justement deux perceptions. La première, je l'appellerais « le syndrome de l'éléphant dans une pièce ». Tout le monde savait qu'il y avait d'énormes problèmes non résolus, dont on ne s'occupait pas, concernant les prisonniers politiques et d'autres détenus qui ne savaient pas pourquoi ils étaient en prison, car aucune accusation n'avait été portée contre eux. Encore une fois, on avait l'impression que ce problème allait se résoudre de lui-même.
Mais quelques-uns des chefs politiques du parti Lavalas sont encore emprisonnés et M. Neptune, l'ancien premier ministre, également. Il n'y a pas de progrès dans ce dossier, il n'y a pas de processus de vérité et de réconciliation, comme je l'appellerais. Parlez d'un problème de perception.
Le Canada ferme sa porte au nouveau premier ministre qui vient nous rendre visite. Pourquoi? Est-ce en raison de liens étroits avec le parti Lavalas? Nous n'avons entendu aucune allégation, justifiant cette position du Canada. Nous sommes donc impliqués dans cette affaire.
Que peut faire le Canada et que doit faire le Canada? Que doit faire le Canada pour résoudre ces problèmes de perception, voire ces problèmes juridiques internationaux? Ils doivent être résolus si nous voulons avoir les mains propres et si nous voulons être considérés comme un intermédiaire honnête et un partenaire véritable d'un nouveau Haïti, avec un nouveau chef, élu avec un mandat très fort.
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D'abord, il faut dire qu'Haïti est le pays le plus difficile où nous travaillons.
Deuxièmement, l'un des pays en crise où nous avons eu le plus de succès est le Népal. Nous avons réussi à travailler dans des zones contrôlées par les maoïstes. Qu'est-ce qui a fait le succès de notre intervention? Il y a deux choses. La première, ce sont des programmes très axés sur les besoins des gens, voulus par les gens, et donc très participatifs. C'est tout simplement faire du bon développement. Une bonne approche de développement est aussi possible en Haïti.
J'ai mentionné plus tôt le problème: la structure de l'aide déstabilise les interventions qui ont du succès sur le plan local, parce qu'on les aligne constamment sur des gouvernements qui changent et qui sont en crise. Au Népal, nous avons réussi à fonctionner avec les communautés locales tout en influençant des politiques nationales, malgré les crises gouvernementales. Mais cela exige beaucoup de continuité dans les actions.
Il faut donc la participation locale et une stratégie, mais avec ce que j'appellerais le policy feedback. Qu'est-ce qui, à l'échelle locale, a permis d'y arriver? Par exemple, nous avons influencé la politique nationale de crédit pour l'irrigation à partir de cette expérience. Nous avons influencé la Banque asiatique de développement dans son approche pour le Népal parce que cela fonctionnait. Je dirais que le critère de succès au Népal, ce sont les gens, incluant les maoïstes, qui disent que le projet fonctionne bien et donne des résultats, et qui veulent qu'il se poursuive.
A-t-on permis à la population haïtienne de dire à la communauté internationale que tel projet local est important pour elle et qu'elle veut qu'il se poursuive? Non. On s'adresse toujours à des gouvernements qui ont un tout autre agenda et qui cassent la dynamique locale.
C'est sans doute le message le plus fort que j'aimerais vous transmettre: le succès du CECI, partout dans le monde, a été attribuable à son arrimage avec les communautés. Sur le long terme, c'est ce qui assure le développement et qui a permis de bâtir des sociétés civiles et des logiques de développement, et de retourner ensuite au gouvernement. Ces populations finissent par avoir des choses à dire à leur gouvernement. Elles ont gagné une capacité d'influence, une capacité de dialogue ainsi que de l'estime. Cela s'est fait par le biais de l'alphabétisation des femmes.
Je vais vous faire part d'un court témoignage. Au Népal, une femme m'a dit que, depuis qu'elle savait écrire mon nom, elle existait. C'est de cela qu'on parle. C'est du développement, et non pas de la croissance économique. On parle du développement de la population. Je crois qu'il est possible de se servir de cette recette en Haïti. On arrive à travailler en Haïti, si la communauté internationale le permet.