:
Monsieur le président, merci beaucoup.
Mesdames et messieurs les députés, merci de nous accueillir et de nous donner la chance d'avoir cette conversation avec vous concernant peut-être la zone la plus pauvre du monde dans la région la plus riche du monde.
Tout ce que je vais dire découle pour nous d'une donnée qui est, à notre jugement, la plus importante de l'histoire récente d'Haïti et qui justifie, je crois, le maintien de l'intérêt du Canada. Le fait déterminant est l'exercice du droit civil et politique par les Haïtiens : 63 p. 100 de l'électorat d'Haïti s'est prononcé le 8 février dernier. J'étais personnellement en Haïti juste avant les élections, et tout le monde disait que ce n'était pas possible, que les risques de violence étaient considérables, que les listes électorales et tout le reste rendaient à peu près impossible l'exercice de ce vote et que les citoyens haïtiens auraient beaucoup de difficulté, également pour des raisons de pauvreté, de coûts de déplacement, d'attentes, etc., à se rendre voter. Et pourtant, 63 p. 100 de l'électorat haïtien s'est rendu voter, donnant ainsi à tous ceux qui depuis longtemps, et notamment ces deux dernières années, investissaient dans la transition une réponse considérable, à savoir que cette transition se terminerait dans le droit et dans l'affirmation des valeurs démocratiques. C'était, je crois, la volonté exprimée par nos amis haïtiens.
Même si cela peut sembler un peu rhétorique pour ceux qui étaient en Haïti à ce moment-là, je crois qu'on doit saluer et ne jamais perdre de vue cette dignité et cette responsabilité qui a été exercée par des gens qui vivent dans l'indignité la plus considérable.
Notre point de vue est que ces démocrates doivent être entendus et qu'à leur engagement doit correspondre un engagement de même niveau de l'État haïtien lui-même. Je ne dirais pas ici qu'on doit être sévère à l'endroit de l'État haïtien, mais certainement exigeant à son endroit. Donc, à l'engagement des Haïtiens doit correspondre un engagement de même niveau de l'État haïtien, du Canada et de la communauté internationale.
J'ai été très intéressé par l'affirmation du premier ministre Harper, lorsqu'il a parlé avec le président élu d'Haïti et affirmé que nous étions dans ce pays for the long run. J'ai lu aussi avec grand intérêt la réponse que le ministre MacKay a faite à la question de votre collègue M. Patry sur l'engagement à long terme du Canada. Vous êtes membres de ce comité et je ne vais pas vous citer la réponse du ministre dans sa totalité, mais il a dit :
[Traduction]
Le gouvernement compte rester en Haïti aussi longtemps que ce sera nécessaire pour achever le renforcement des efforts internationaux entrepris avec d'autres partenaires. Notre tâche n'est pas terminée. Le Canada y maintiendra par conséquent une présence pour une période indéterminée.
[Français]
Je crois que c'est la première chose qu'on doit rappeler : ce sera difficile, long et compliqué en Haïti, et le Canada est là pour y rester, selon les termes du premier ministre et du ministre des Affaires étrangères.
Vous comprendrez que nous abordons l'avenir d'Haïti. Dans les 10 minutes que vous nous avez généreusement octroyées, monsieur le président, je m'intéresserai assez peu à l'histoire et au passé d'Haïti. Je crois même que tous ceux qui s'intéressent à ce pays doivent faire un effort considérable pour se tourner vers l'avenir, plutôt que de s'engluer dans des analyses historiques des factions, des groupes, etc. qui n'en finissent plus.
Nous pensons que le Canada doit privilégier rapidement, c'est-à-dire d'ici la fin de la décennie — et nous ne sommes pas les premiers à le dire — la mise en place d'une gouvernance démocratique en Haïti. On doit apporter aux citoyens haïtiens la preuve que le choix qu'ils ont fait et la période dans laquelle ils se trouvent vont donner des résultats positifs, s'agissant notamment du respect des droits de chacun des Haïtiens, du fonctionnement de l'État et d'une gouvernance démocratique.
Que faut-il pour qu'il y ait une gouvernance démocratique en Haïti? Premièrement, deuxièmement et troisièmement, il faut la sécurité. Le gouvernement du Canada doit se battre à New York pour que le mandat qui sera donné par le Conseil de sécurité à la MINUSTAH contienne, dans les termes les plus exigeants, l'obligation de désarmer les groupes privés qui ont les moyens de renverser en quelques heures — on les voit à l'oeuvre en ce moment — les efforts d'un grand nombre en semant la terreur et en assassinant. Ces gens doivent être maîtrisés et contrôlés. La société haïtienne doit être débarrassée d'une façon forte de ces éléments qui peuvent défaire rapidement tout le travail que d'autres, dont le Canada, pourraient faire dans ce pays. C'est une absolue nécessité
L'expérience de la communauté internationale doit être mobilisée, les moyens rassemblés, les programmes mis en place soutenus, notamment par la Commission nationale de désarmement en Haïti. Le pays doit redevenir une société civile vivant d'une façon durable dans la sécurité. Je nous rappelle à nous tous que la sécurité est un droit humain. Ce n'est pas une manifestation du pouvoir, une force utilisée contre les uns et les autres, mais bien un droit humain fondamental.
Deuxièmement, il y a la question de l'impunité. Les prisons d'Haïti sont pleines d'hommes et de femmes qui vivent dans des conditions innommables. Certains sont peut-être coupables et d'autres ne le sont peut-être pas, nul ne le sait. Comment régler cette affaire et faire la preuve à nos amis haïtiens, ces démocrates dont je parlais tout à l'heure, que le système judiciaire en Haïti sera de nouveau intègre?
Il y a quelques idées qui ne sont pas très populaires actuellement, mais qui sont à mon avis essentielles. Le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies a évoqué la possibilité de faire venir en Haïti un certain nombre de magistrats des pays francophones pour initier les enquêtes judiciaires et constituer des dossiers de base à partir desquels la justice pourra travailler. Évidemment, on ne fera pas venir des magistrats de l'Afrique, du Canada, de la Suisse, de la Belgique, de la France, de Maurice ou du Cameroun sans le consentement du gouvernement haïtien. Je souhaite que le Canada travaille en vue d'obtenir ce consentement.
Lorsque j'étais secrétaire général de la Francophonie, nous avions fait venir au Rwanda, dans le contexte postgénocidaire, des magistrats francophones d'un grand nombre de pays d'Afrique, qui ont fait exactement cela, soit initier des enquêtes, et le processus judiciaire en a été accéléré.
Vous savez que sur ces questions de fonctionnement et de fiabilité du système judiciaire, nos amis haïtiens ont produit ces deux ou trois dernières années une réflexion extraordinairement intéressante. Il y a le Forum citoyen d'Haïti qui, je crois, est financé par l'ACDI et qui est le partenaire de Droits et Démocratie en Haïti. Il y a le Groupe 184, qui a fait une proposition d'un nouveau contrat social, aussi avec l'appui de l'ACDI, je crois. Ces gens ont fait, en matière de justice, des recommandations extrêmement intéressantes. Ils ont souhaité qu'en priorité soit établie et respectée ce qu'ils appellent « la chaîne judiciaire ». Quel est rapport entre la police et les juges? Quel est le rapport entre les juges et la prison? Quel est le rapport de la prison avec la police?
Deuxièmement, ils ont souhaité qu'on engage maintenant la formation de jeunes magistrats pour renouveler le stock des magistrats, dont certains devraient éventuellement, de l'avis d'un grand nombre, disparaître du décor de la justice en Haïti. Dans cet esprit, ils ont souhaité que soit constitué et conforté un conseil national de la magistrature, une espèce de juge des juges, qui permettrait justement de déterminer à quel moment une citoyenne ou un citoyen haïtien n'est plus digne d'occuper des fonctions judiciaires dans ce pays. Ils ont souhaité que soit aussi établi un mécanisme de consultation, une espèce de grand conseil où la société civile, notamment, pourrait être représentée.
Troisièmement, je crois que le mandat à venir de la MINUSTAH doit dissocier absolument les exigences de sécurité dont je viens de parler et celles découlant des besoins de promotion et de protection des droits humains. Ces deux dernières années, ces mandats de sécurité et de droits humains étaient confondus dans la même équipe, sous la même autorité, etc. Nous ne sommes plus dans une transition. Nous sommes dans la mise en place — nous l'espérons — d'un État de droit et d'une gouvernance démocratique. Nous le souhaitons.
Nous souhaitons que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme reçoive les ressources nécessaires pour ouvrir un bureau permanent à Port-au-Prince, établir un état des lieux, comme il l'a fait dans beaucoup de pays dans le monde — le dernier cas le plus intéressant dans l'hémisphère était en Colombie et cela a eu quelques effets importants — et, après avoir établi l'état des lieux, qui est largement connu, proposer la mise en place législative et institutionnelle de la protection et de la promotion des droits humains, selon les normes internationales. Je répète que le Haut-Commissariat l'a fait dans un certain nombre de pays. Je me réjouis de voir que la Francophonie a pris l'engagement de réformer l'Office du Protecteur du Citoyen, qui en a absolument besoin. C'est une formidable équipe dont le leadership, dit-on, a besoin d'être enrichi par un conseil d'administration et d'être soutenu par une autorité plus large que celle d'un seul individu. La Francophonie dit qu'elle s'en occupera. Le Haut-Commissariat pourrait contribuer à la création d'une commission nationale des droits en Haïti, comme 138 pays dans le monde l'ont fait ces 20 dernières années.
Je vois que le temps file. Je voudrais dire deux mots sur la police. Demain, dans 18, 24 ou 30 mois, ou dans cinq ans au maximum, la MINUSTAH quittera Haïti. À un moment donné, la MINUSTAH va partir. Il n'y a pas d'armée en Haïti, il n'y a pas de police. Je crois que la vice-présidente de l'ACDI, Mme Laporte, vous a donné des chiffres sur les ratios : un policier pour tant de citoyens au Canada, en Europe, en Amérique latine et en Haïti. Je ne vais pas les répéter. Cette situation n'a aucun sens. Après avoir fait un petit tour de certaines des ressources qui sont au Canada, et notamment au Québec, nous estimons que les 100 policiers que nous avons en Haïti, en plus des 25 policiers retraités, constituent une base minimale de l'action du Canada dans ce secteur indispensable.
Un jour, la police que nous devons former maintenant sera le seul élément capable de maintenir l'ordre et la stabilité dans la société haïtienne.
Je crois que le Canada devrait faire le tour de ses ressources. Je sais qu'il y a des implications financières considérables. Cependant, réussir tout ce que j'évoque dans cette décennie coûterait moins cher que recommencer en 2014 ou en 2015, comme on est en train de le faire parce qu'on a lâché Haïti trop tôt dans les années 1990. C'est absolument fondamental.
Le Canada doit absolument contribuer d'une façon directe et constante, dans les deux ou trois prochaines années, à la mise en place d'une police nationale professionnelle et dépolitisée disposant de l'ensemble des normes, des ressources et des équipements nécessaires pour accomplir sa mission et ses fonctions. Déjà le Canada intervient, et j'aurais dû le mentionner plus tôt, pour les palais de justice et pour certains commissariats de police. On ne parle pas de cela; on parle du besoin de former plusieurs milliers de policiers dans les deux ou trois prochaines années. On pourrait peut-être le faire dans le contexte de la Francophonie et aussi, évidemment, de l'OEA. Il y a là quelque chose qui est une nécessité absolue.
Monsieur le président, puisqu'il faut choisir, je dirai qu'il y a beaucoup de littérature sur l'appui du Canada et l'appui en général à la société civile haïtienne. Je crois qu'on ne peut pas maintenir ces programmes comme ils le sont, car nous ne sommes plus dans la transition, non plus que dans la crise qui a précédé la transition. Nous sommes dans la construction d'un État de droit et, nous l'espérons, d'une gouvernance démocratique. Il y a des éléments qui sont restés en Haïti, qui sont les groupes de femmes, les défenseurs des droits humains, les jeunes juristes et d'autres groupes. Je les ai vus, ils sont nos partenaires et je les connais. L'ACDI les connaît et les a beaucoup soutenus, et c'est très bien. Je souhaite que, plutôt que d'aider les individus ou les groupes un à un, nous ayons une politique visant à consolider des secteurs de la société civile. Il doit y avoir une fédération des femmes haïtiennes interne. Il doit y avoir une grande coalition des défenseurs des droits humains. Elle existe, mais elle a besoin d'être enrichie. Il doit y avoir un regroupement des associations de jeunes, dont je reparlerai, puisque 52 p. 100 des Haïtiens ont moins de 25 ans.
Il s'agit donc de soutenir d'une façon systématique la consolidation d'une société civile durable de ces grands secteurs, d'assurer sa cohésion pour trois ou cinq ans, de la rendre capable de faire des propositions en matière de politiques économiques, sociales et culturelles et de la rendre capable de jouer le jeu des règles démocratiques. Il me semble que l'on devrait réfléchir à des partenariats de trois ans ou de cinq ans pour nous assurer que ce que nous faisons ne sera pas défait dans deux ou trois ans.
Monsieur le président, au Maroc, Droits et Démocratie a organisé, en 2004-005, 12 forums régionaux sur la culture démocratique dans les 12 grandes régions administratives du Maroc et un forum national sur la culture démocratique à Rabat. Nous nous proposons de faire la même chose en Haïti entre 2006 et le début de 2009. Une éducation à la démocratie, à la culture démocratique doit être faite. Je termine, monsieur le président, en évoquant un dernier projet que nous sommes à finaliser.
Nous avons créé au Canada une série de 40 délégations de Droits et Démocratie dans 40 universités. Chacune de nos délégations est en train d'être jumelée avec des délégations que nous créons dans les pays en développement. Rabat est jumelée avec Sherbrooke, McGill avec le Kenya, Moncton avec Ouagadougou, etc. Nous sommes à imaginer un programme qui s'inspire de cette expérience, mais qui ne peut évidemment pas en être la copie. Ce serait un réseau de délégations qui s'appellerait Jeunes et démocratie en Haïti, de telle façon qu'il y ait, partout sur le territoire de ce pays, des lieux de discussions et de propositions pour cette génération de jeunes qui, je le répète, constitue une majorité considérable dans ce pays.
Monsieur le président, je n'ai pas de proposition particulière pour que soit réglé ce scandale extraordinaire. On parle de l'économie et du secteur privé. On a besoin qu'il y ait des investissements en Haïti, évidemment, mais il y a toujours près de 40 p. 100 des enfants en Haïti qui n'iront jamais à l'école de leur vie. En termes de droits sociaux, en termes de développement social, en termes de développement économique, en termes de comportements de toute nature, cette situation doit être absolument transformée, et rapidement. Des pays ont réussi des opérations de grande envergure en matière d'éducation de base.
Est-ce que le Sommet de Bucarest, où le premier ministre du Canada se rendra en septembre, est l'occasion de créer avec la communauté francophone, avec les pays européens, les pays africains, les pays de la région du Maghreb un grand programme décennal d'éducation de base, de telle façon qu'il soit mis fin à cette situation intolérable, scandaleuse de la non-scolarisation de 35 à 40 p. 100 des enfants en Haïti? Je sais que l'ACDI travaille à des projets de consolidation du ministère de l'Éducation, ce qui doit être fait, mais les enfants doivent être à l'école dans le monde dans lequel nous sommes en 2006.
Monsieur le président, je vous remercie.
:
Merci beaucoup. C'est un grand plaisir d'être ici.
M. Pétillon, à titre de directeur de Programme Haïti, a vécu en Haïti de 2001 à 2004. Il devrait être en mesure de vous donner quelques opinions d'un homme de terrain sur certains développements dont vous avez discuté au cours de l'heure précédente.
Je tiens à reconnaître également l'importance des travaux qu'a faits le comité à un moment critique pour Haïti. Nous suivons vos délibérations avec intérêt. Si nous pouvons vous aider de quelque façon que ce soit, ce serait avec grand plaisir que nous le ferions.
[Français]
Nous avons déposé au comité quatre documents : « Haïti-Cadre de Programmation Pays (CPP) »; « Synthèse des leçons apprises par les bailleurs en Haïti »; « Lignes directrices pour une coopération au développement efficace dans les États fragiles »; et enfin « Coopération canadienne avec Haïti : Réflexion sur une décennie de « partenariat difficile ». Ce dernier document, auquel vous avez fait allusion, a été préparé pour l'OCDE.
Mes remarques seront assez concises. Je ne dépasserai pas le seuil des cinq minutes, de façon à pouvoir céder la parole à mon collègue. Mes remarques porteront sur le dernier document. Celui-ci analyse le contexte de fragilité qui prévaut en Haïti, identifie certains des enjeux clés liés à la coopération aussi bien canadienne qu'internationale, et émet certaines conclusions et principes concernant notre approche globale à l'endroit des États fragiles.
[Traduction]
En ce qui concerne l'analyse que nous avons faite pour l'OCDE, je voudrais d'abord faire une observation fondamentale sur la fragilité et le développement.
La plupart des principes fondamentaux de l'efficacité de l'aide sont très clairs : l'importance de la prise en charge locale, la coordination entre les donateurs, la cohérence entre les priorités et les ressources, un engagement durable et la cohérence des politiques à tous les échelons du gouvernement. Je pense que vous avez déjà entendu des commentaires et eu des discussions sur la plupart de ces questions.
L'observation que je voudrais faire, et qui est tirée de cette étude, c'est que ces principes de l'efficacité de l'aide sont particulièrement difficiles à appliquer dans les États fragiles en raison de l'absence fondamentale d'autorité, de légitimité et de capacité. Ce sont ces carences fondamentales qui se manifestent sous des formes très différentes dans tous les États fragiles. Par conséquent, il n'est pas étonnant que nos études indiquent que la connaissance de la dynamique locale de la fragilité est un facteur déterminant pour un engagement efficace.
Ce qui est encore plus important — et je pense qu'un des membres l'a mentionné, monsieur le président —, c'est que cette compréhension doit être structurée; il est essentiel qu'elle soit constante, qu'elle soit partagée et que ses résultats soient très pertinents, sinon les résultats seront ponctuels, manqueront de coordination ou seront parfois incompatibles, comme nous avons pu le constater dans d'autres pays, mais surtout dans le contexte de Haïti.
Il s'agit d'un contexte qui diffère beaucoup d'un État fragile à un autre. Les seigneurs de la guerre, le terrorisme et la culture du pavot en Afghanistan font de ce conflit un conflit très différent de ceux qui se déroulent au Soudan, qui sont fondés sur les ressources ethniques et n'ont que très peu de rapport avec la dimension historique, socioéconomique, politique et environnementale de l'instabilité et de l'insécurité en Haïti.
Nous avons constaté par conséquent, en Haïti et dans d'autres pays, que des perspectives communes de la part des gouvernements et de la collectivité des donateurs, aboutissant à des engagements partagés à réaliser la stabilité et des progrès concrets vers les objectifs de développement pour le millénaire, sont des conditions fondamentales de la réussite. C'est notre première et principale conclusion, et elle a été adoptée ultérieurement à l'OCDE comme un des principes fondamentaux de l'efficacité de l'aide dans les États fragiles.
Notre deuxième conclusion, c'est que dans un contexte politisé, corrompu et à risque élevé, une attention encore plus grande est essentielle en ce qui a trait à une surveillance et une évaluation constantes pour s'assurer de la diligence raisonnable et de mécanismes de surveillance efficaces, car si quelque chose peut tourner mal dans les États fragiles, cela tournera mal la plupart du temps.
Il faut en outre fixer des objectifs réalistes. Dans certains cas, cela signifie seulement enrayer un déclin et pas réaliser des progrès. Il est toutefois essentiel de fixer ces objectifs réalistes et de déterminer au début du processus si l'on réalise des progrès suffisants et rectifier au besoin son tir, en ayant recours à des mécanismes d'intervention souples comme ceux que je mentionnerai dans quelques instants.
Il est en outre nécessaire d'assurer la reddition de comptes réciproque qui doit gouverner toute relation d'aide. C'était notre deuxième série de conclusions.
En ce qui concerne la troisième conclusion que nous avons tirée dans cette étude que nous avons faite pour l'OCDE, c'est que l'efficacité en Haïti et dans d'autres pays exige un engagement à long terme de ressources. Nous savons tous que le développement qui progresse se fait sur une longue période mais que la stabilisation des crises, l'édification d'institutions redevables et le rétablissement de la confiance et un contrat social sont parmi les principaux défis qu'il faut relever. Dans ce contexte, les relations interrompues puis rétablies, assorties de conditions mal appliquées, peuvent parfois causer plus de mal que de bien.
Monsieur le président, il ne s'agit pas de s'assurer que les budgets annuels soient dépensés; il s'agit de veiller à établir, avec souplesse et sensibilité, une relation constante fondée sur le dialogue, la reddition de comptes et la responsabilité réciproque.
La quatrième de nos cinq conclusions, c'est que des programmes efficaces ne suffisent pas pour faire une différence durable dans les États fragiles. Le dialogue diplomatique à l'échelle bilatérale et multilatérale, secondé par un soutien pour la sécurité élémentaire et par une approche activiste en matière d'action sociale, faisant intervenir des acteurs étatiques et non étatiques, est essentiel pour obtenir des résultats durables.
[Français]
Notre dernière conclusion, monsieur le président, souligne l'importance d'adopter des approches itératives en matière de mise en oeuvre. On parle ici de mettre à contribution divers partenaires, de prévoir des solutions de remplacement choisies parmi une gamme complète de mécanismes de livraison et de concentrer une masse critique de ressources afin d'obtenir des résultats tangibles.
[Traduction]
Nous avons vu en Haïti, comme dans d'autres pays, une communauté internationale qui a la responsabilité de faire de la prévention, de protéger et de reconstruire les pays en crise, y compris d'établir des partenariats difficiles dont la volonté ou la capacité, ou les deux, sont absents. Le présent gouvernement a mis en place des initiatives concrètes dans ce domaine, mais il y aura encore des défis d'envergure à relever dans des États fragiles comme Haïti. Par conséquent, le travail entrepris en rapport avec cette étude aide la communauté internationale et nous aide à prendre conscience de la nécessité d'adopter une approche différente et plus efficace en matière d'aide au développement dans les États fragiles.
Monsieur le président, ce sont là les principaux aspects de l'étude qui a été entreprise. Comme je l'ai mentionné, elle a été entreprise à la fin de 2004. Pour une brève mise à jour de 2004 jusqu'à présent et sur la mise en oeuvre pratique de ces principes, je passerai la parole, avec votre consentement, à mon collègue M. Pétillon.
:
Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant vous dans le cadre du débat sur la coopération canadienne en Haïti.
Comme le disait mon collègue, c'est un pays qui me tient beaucoup à coeur. J'y ai habité pendant quelques années, et je suis maintenant responsable de ce programme à l'ACDI.
[Traduction]
Le rapport en question a été préparé il y a deux ans et j'aimerais vous donner un aperçu de l'évolution de la coopération internationale, et plus particulièrement de l'évolution de la coopération canadienne depuis 2004.
Nous avons tenu compte de la plupart des conclusions que nous avons présentées au chapitre 6 du rapport, en ce qui concerne l'affectation de l'aide, la prestation des services, la prise en charge locale, la cohérence, l'harmonisation et la cohérence entre les politiques.
[Français]
En 2004, moins de trois semaines après de départ d'Aristide, le premier geste qu'a posé l'ensemble de la communauté internationale a été de se réunir à Washington pour décider des mesures à prendre. Pour une fois, la communauté internationale, les bailleurs de fonds, les banques et les organismes de coopération bilatérale ont décidé de travailler ensemble et d'établir un plan. Ça n'avait pas été le cas lorsque la coopération avait repris en 1994, au retour d'Aristide. En effet, chacun des bailleurs de fonds était parti de son côté, sans qu'il y ait de coordination entre ces organismes ou avec le gouvernement.
Ce qui était nouveau en 2004, c'était cette volonté profonde de coordonner les efforts et de n'établir qu'un seul plan. Nous avons tous ensemble proposé cette démarche au gouvernement de transition de M. Latortue et, en avril 2004, lors d'une réunion commune en présence du gouvernement de Port-au-Prince, on a décidé de concevoir ensemble, bailleurs de fonds et gouvernement, le Cadre de coopération intérimaire.
C'est ce Cadre de coopération intérimaire, qui a été basé sur une analyse de la situation dans le pays, qui a guidé le gouvernement de transition ainsi que tous les bailleurs de fonds pendant ces deux ans. Notre propre programme de coopération s'insère donc à l'intérieur du Cadre de coopération intérimaire. Cela n'avait jamais été vu en Haïti auparavant. Il y a donc eu un point de départ très important en 2004.
En outre, la coopération canadienne a défini, à peu près au même moment, une nouvelle approche stratégique pour Haïti. Vous avez d'ailleurs le document puisqu'on vous l'a distribué aujourd'hui. Il y a quatre idées clés dans cette approche stratégique.
Premièrement, il faut bâtir sur les acquis. Qu'est-ce qui fonctionne? Qu'est-ce qu'on a fait de bien? Sur quoi peut-on bâtir pour faire mieux, pour continuer ce que l'on a fait de bien?
Deuxièmement, il faut porter une attention particulière à la prévention et à la gestion des conflits, étant donné que c'est un pays qui est aux prises avec de multiples conflits sociétaux profonds.
Troisièmement, il faut contribuer à bâtir des consensus sociaux, étant donné la fragmentation qui existe dans ce pays.
Quatrièmement, il faut appuyer les agents de changement.
Tels ont été les quatre leitmotivs de notre orientation au cours des deux dernières années.
En matière d'affectation de l'aide, le rapport que vous avez lu mentionne et critique la grande fluctuation de l'aide en Haïti depuis 1994. Selon les circonstances, il recommande un engagement soutenu à long terme pour une meilleure prévisibilité des montants disponibles et une meilleure stabilité. Du côté de l'ACDI et du Canada, le montant de l'aide est passé de 26 millions de dollars en 2003-2004 à 99 millions de dollars en 2004-2005, puis à 98 millions de dollars en 2005-2006. Nous avons répondu d'une façon extrêmement rapide, et nous espérons que la conférence qui aura lieu en juillet prochain à Port-au-Prince va confirmer l'engagement du Canada à long terme, afin qu'il y ait une plus grande prévisibilité et que nos partenaires haïtiens aient une plus grande capacité de planification.
On nous a critiqués parce que nous avions trop de projets et trop de petits budgets. Nous avons donc entrepris la planification de projets à plus long terme. Actuellement, la grande majorité de nos projets sont planifiés pour une période de cinq à dix ans, et disposent de budgets variant entre 15 et 20 millions de dollars. Il s'agit d'un changement important dans la programmation de l'ACDI en Haïti.
Aussi, nous avons joué de notre influence auprès des autres bailleurs fonds, ce qui ne se mesure peut-être pas en résultats concrets. Grâce en partie au Canada, la Banque mondiale est revenue en Haïti. La Banque mondiale avait quitté carrément Haïti en 1999. Nous avons contribué à payer une partie des arriérés de la Banque mondiale, de telle sorte qu'elle a recommencé son programme en 2004. De plus, nous avons payé les droits d'entrée d'Haïti à la Banque de développement des Caraïbes. Par conséquent, il y a actuellement une nouvelle organisation de financement qui peut répondre aux besoins d'Haïti. Sans le Canada, cela n'aurait pas été possible.
En matière de prestation de services, le rapport de 2004 mentionne l'inefficacité des conditionnalités. Mon collègue l'a mentionné dans sa présentation. Permettez-moi de vous donner un exemple. De 1991 à 1994, durant le coup d'État militaire, on a imposé des conditionnalités extrêmes. On a décrété un embargo économique contre Haïti. Cet embargo n'a pas vraiment donné de résultats. Au contraire, il a contribué à enrichir ceux que nous entendions punir. Il a fallu d'autres méthodes pour que la démocratie soit rétablie dans le pays. Les conditionnalités en Haïti sont donc un problème à prendre avec délicatesse. Il faut plutôt opter pour un dialogue serré sur les politiques avec le gouvernement, en même temps que l'on appuie le développement des capacités des institutions pour leur permettre de rencontrer leurs obligations.
Le rapport recommande également de recourir à une gamme diversifiée de canaux et de modalités de livraison de l'aide, ainsi que de cibler des secteurs d'excellence.
[Traduction]
Une des principales leçons que nous avons apprises à la suite de notre coopération antérieure en Haïti, c'est qu'il est essentiel que nous soutenions la société civile et les institutions publiques. Par conséquent, l'ACDI soutient divers types de partenariats, faisant intervenir la valeur ajoutée des organisations canadiennes et haïtiennes ainsi que des organisations de la diaspora. Le réseau vigoureux de partenaires canadiens et locaux de l'ACDI à travers Haïti mérite d'être signalé car c'est une valeur ajoutée considérable de notre programme de coopération.
Enfin, en plus d'appuyer la société civile et les institutions publiques dans leurs rôles respectifs, nous apportons notre soutien au dialogue entre la société civile et le gouvernement. Je pense que ce type de soutien est très important.
[Français]
En ce qui concerne les mécanismes de livraison, lorsqu'il s'agit de livrer de l'aide humanitaire d'urgence ou de l'aide humanitaire tout court, nous faisons appel aux institutions multilatérales, comme le Programme alimentaire mondial, que nous finançons majoritairement en Haïti pour l'aide alimentaire, l'aide aux enfants et l'aide aux femmes enceintes.
Le rapport recommandait également que nous nous dotions d'un nouveau mécanisme basé sur les fonds locaux. C'est ce que nous avons fait. Nous avons mis en place, depuis 2004, un centre de gestion de fonds, qui est devenu un mécanisme extrêmement important de notre coopération, doté d'un budget d'environ 15 millions de dollars par année, qui nous permet d'intervenir d'une façon rapide et souple et d'appuyer rapidement les organismes qui sont porteurs de changement en Haïti quand l'occasion se présente. C'est un nouveau mécanisme qui est utile et qui bénéficie à beaucoup d'organisations. Par exemple, l'organisation de ceux qui nous ont précédés ici est financée en partie par ces fonds locaux.
En plus de financer des organisations et de gérer les fonds, cette équipe que nous avons à Port-au-Prince travaille au renforcement institutionnel des partenaires haïtiens, qu'ils soient du gouvernement ou de la société civile. Bien souvent, les projets qui sont présentés ne répondent pas aux critères parce que les organisations n'ont pas la capacité nécessaire. Il se fait donc un effort de développement des capacités en même temps qu'un effort de gestion des fonds, et également une mise en réseau des organisations. Trop souvent, les partenaires et les organisations sont isolés à droite et à gauche, et cet effort de mise en réseau d'organisations qui travaillent dans le même secteur, que ce soit en éducation, en santé ou en droits de la personne, est très important.
L'approche sectorielle était un des autres aspects soulevés dans le rapport. L'expertise canadienne est très reconnue dans des secteurs clés tels que l'énergie, le développement local, la santé, l'éducation et l'appui au mouvement des femmes en général pour le changement.
Depuis deux ans, l'ACDI a entamé l'élaboration de cadres d'orientation sectoriels afin de mieux cibler ses opérations dans chacun de ces secteurs d'excellence. En plus, lorsque cela nous paraît possible et lorsque nous pensons qu'il y a une valeur ajoutée, nous tentons de jumeler les fonds canadiens aux fonds d'autres bailleurs de fonds, ce qui peut avoir un effet multiplicateur. Nous avons utilisé cette méthode notamment pour les élections.Tous les fonds ont été mis ensemble et ont été gérés par le Programme des Nations Unies pour le développement, faisant en sorte que cela a été beaucoup plus efficace. Comme notre prédécesseur l'a dit, nous avons réussi tous ensemble cette opération électorale à laquelle peu de gens croyaient.
En ce qui concerne la prise en charge locale, la cohérence et la coordination,
[Traduction]
le rapport recommande d'adapter et d'appliquer les principes d'efficacité de l'aide, surtout en ce qui concerne la prise en charge, la cohérence entre les actions des donateurs et du gouvernement haïtien et la coordination entre les donateurs. Depuis 2004, des progrès considérables ont été réalisés dans ces domaines. La communauté internationale s'est mobilisée et les donateurs également, pour prendre un engagement à long terme en ce qui concerne Haïti afin que le pays puisse entreprendre un développement durable. Pour ce faire, tous les partenaires au développement ont reconnu l'importance de la collaboration pour élaborer une analyse commune. Dès mai 2004, les donateurs et les autorités haïtiennes ont préparé une évaluation très précise des besoins afin de régler les problèmes de stabilisation et de constriction. Un cadre de coopération intérimaire a été établi en se basant sur cette évaluation.
[Français]
En plus de travailler ensemble à cette analyse des besoins et à cette planification commune d'un plan commun, nous avons mis en place avec le gouvernement de transition des cadres sectoriels en santé, en éducation, etc., de telle façon qu'il y ait la meilleure coordination possible entre les bailleurs dans la mise en oeuvre du plan commun.
Je dois dire que le nouveau gouvernement Préval-Alexis, qui vient d'entrer en fonction, a confirmé la validité de ce modèle. Actuellement, avec le nouveau gouvernement, nous continuons l'élaboration de ce modèle et travaillons à la prolongation du Cadre de coopération intérimaire pour une année supplémentaire, avec à peu près le même cadre de coordination. C'est donc un acquis pris en considération par les nouvelles autorités. Je crois que c'est assez positif.
La prise en charge locale n'est pas seulement l'affaire du gouvernement. C'est aussi l'affaire des gens de la société civile. Nous travaillons beaucoup à appuyer ces gens et à élaborer des plans locaux de développement au niveau des communes et des sections communales. C'est ce qu'on appelle le Programme de développement local, qui est un des points forts de notre programme en Haïti.
Je vais résumer, car je crois que ma présentation est un peu longue.
Dans le rapport de 2004, on soulevait aussi la question de la cohérence entre les politiques canadiennes. On disait que le Canada avait réalisé des progrès notables dans la coordination de ses politiques en Haïti. Je dois dire que depuis 2004, la coordination entre les Affaires étrangères, la Défense nationale et la GRC s'est accrue. Les élections en constituent l'exemple parfait. Les efforts diplomatiques accomplis par les Affaires étrangères, l'assistance technique et le financement fournis par l'ACDI, l'accroissement de la sécurité fournie par la GRC, ainsi qu'un coordonnateur mis à la disposition des autorités de la MINUSTAH par la Défense nationale sont un très bel exemple qui démontre comment nous avons coordonné nos efforts ici, au Canada, pour atteindre le résultat que constituent ces bonnes élections. Je pense qu'elles ont été bonnes. Bien sûr, cela requiert un effort constant. Tous les gens de ces différents ministères se rencontrent au moins toutes les deux semaines pour échanger de l'information et pour mieux cibler l'avenir de notre coopération dans ce pays.
Je vous remercie.
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Je vous remercie beaucoup. J'aime parler de l'espoir en Haïti. Si vous le permettez, je dirai que l'espoir en Haïti réside d'abord chez les Haïtiens. Fort heureusement, la société haïtienne est en évolution; elle n'est pas statique. Cette évolution comporte plusieurs éléments positifs. À cet égard, laissez-moi vous donner quatre exemples.
Comme vous le savez sans doute, Haïti est sorti de la dictature il n'y a pas si longtemps, soit en 1986, officiellement. Il reste qu'il y a eu ensuite une succession de régimes militaires. Ça ne fait pas très longtemps qu'on est entre bonnes mains.
Voici mon premier exemple. Jusqu'en 1986, entre autres pendant la dictature de Duvalier, le droit d'association était totalement inexistant au pays. Il n'y avait aucune organisation dûment constituée. Qu'est-ce qu'on observe aujourd'hui? Des dizaines sinon des centaines d'organisations de jeunes, de femmes, de producteurs, de commerçants, de défense des droits et autres encore voient le jour. C'est une richesse. Pour Haïti, c'est important, d'autant plus qu'il a toujours été un pays déstructuré. Il n'y a pas, comme en Afrique, une structure traditionnelle fondée sur les chefs, par exemple. Rien de cela n'existe parce que cette société est issue de l'esclavage. Le fait que ces institutions se constituent petit à petit nous indique qu'un capital social est en train de se former. Pour nous, bailleurs de fonds, c'est très important. C'est, pour cette société, autant de nouveaux relais et d'agents de changement .
Voici maintenant mon deuxième exemple. Jusqu'en 1986, le droit à la communication était nul. Tout était contrôlé par l'État. Que constate-t-on aujourd'hui? Ceux qui sont allés à Port-au-Prince savent que, ne serait-ce qu'à cet endroit, il y a aujourd'hui au minimum 25 stations radio libres de communiquer. Il y a du bon et du mauvais, mais cela existe. Aujourd'hui, toutes les familles, aussi pauvres soient-elles, peuvent au minimum capter les nouvelles à l'aide de leur poste de radio. C'est un acquis très important. Bien sûr, ce droit a été chèrement acquis: des journalistes l'ont payé de leur vie. Il n'empêche qu'on ne pourra plus jamais enlever ce droit aux Haïtiens, à mon avis. Il constitue lui aussi le fondement de la démocratie.
Je passe maintenant à mon troisième exemple. Une partie du secteur privé des affaires a amorcé un changement. Jusqu'à maintenant, le secteur des affaires s'était toujours contenté de conclure des ententes avec n'importe quel gouvernement. Maintenant, de jeunes hommes et femmes d'affaires ont décidé de s'impliquer. Il s'agit même d'un niveau plus politique que social. C'est aussi un agent de changement très important.
Pour ce qui est du quatrième exemple positif, je dirai qu'il s'agit du mouvement des femmes. Les intervenants qui nous ont précédés en ont parlé. Ce phénomène est bien réel. Je suis heureux et fier de pouvoir dire que la coopération canadienne est celle qui a le plus appuyé la structuration du mouvement des femmes en Haïti. Il n'y a pas de doute: il s'agit là aussi d'un agent de changement. Tout le monde le reconnaît.
Il existe d'autres exemples positifs, mais je vous ai parlé de motifs d'espoir qui, selon moi, indiquent qu'il s'agit pour Haïti d'une étape cruciale menant vers quelque chose de plus positif encore.
Je suis, bien entendu, au courant des préoccupations du député au sujet du Zimbabwe et de Robert Mugabe. Cette motion pose toutefois deux ou trois difficultés.
Tout d'abord, en vertu du droit international, il n'est pas possible d'entamer une action en justice au Canada ou dans un autre pays contre un chef d'État en exercice. M. Mugabe est un chef d'État en exercice et le sera jusqu'en 2008, voire pour plus longtemps encore. Par conséquent, en vertu du droit international, nous ne pouvons pas prendre l'initiative que vous recommandez de prendre.
Ensuite, pour porter des accusations, la loi exige que l'accusé soit citoyen canadien. Il est en outre indispensable qu'une victime soit canadienne pour prendre l'initiative que vous recommandez de prendre — à savoir porter des accusations — ou que l'accusé soit au Canada.
Le président Mugabe n'est pas canadien et nous ne connaissons aucune victime canadienne des crimes contre l'humanité perpétrés par M. Mugabe. Depuis 2002, le Canada maintient une politique en vertu de laquelle les membres du gouvernement du président ne sont pas les bienvenus au Canada. Cela s'applique également au président Mugabe, qui ne viendra probablement jamais au Canada.
En outre, on estime qu'il n'est pas pratique de mener une enquête. D'après la loi, ce n'est pas possible. La deuxième partie de votre motion invoque un article du chapitre 7 pour intenter des poursuites contre le président Mugabe, alors que toute motion présentée au Conseil de sécurité doit l'être par un membre du Conseil de sécurité. Le Canada n'est actuellement pas membre du Conseil de sécurité. Par conséquent, nous ne pouvons pas lui soumettre une motion.
Le cas du Zimbabwe a déjà été porté deux fois à l'attention du Conseil de sécurité. Donc, on y attache de l'importance et la question a été portée devant le Conseil de sécurité. En juillet 2005, l'envoyée spéciale pour l'établissement humain au Zimbabwe, Mme Anna Kajumulo Tibaijuka, a donné au Conseil de l'information relative à son rapport sur l'opération visant à rétablir l'ordre pour 70 000 Zimbabwéens qui avaient perdu leur maison et qui procédaient au nettoyage de leur banlieue. Le secrétaire général a informé les Nations Unies de la crise humanitaire au Zimbabwe.
Le problème, c'est que cette question a été portée à l'attention du Conseil de sécurité à de nombreuses occasions. En fait, la motion n'a obtenu que neuf voix car les pays africains ne sont pas disposés à l'approuver. L'ennui, c'est que l'Union africaine ne reconnaît pas, contrairement à nous, que le Zimbabwe est un pays en crise. Par conséquent, les dirigeants africains et l'Union africaine sont très hésitants. Le Canada doit à notre avis collaborer avec l'Union africaine pour faire éclater la situation au grand jour. Les dirigeants africains sont très embarrassés.
M. Martin a mentionné les noms de M. Mandela et de M. Desmond Tutu. Cependant, M. Mbeki et M. Mkapa de Tanzanie ne reconnaissent pas cette situation. Par conséquent, certains dirigeants africains ne veulent pas la reconnaître non plus.
À la lumière de ces arguments, cette motion n'a donc pas tout le poids légal nécessaire, car il n'est pas possible de prendre une telle initiative.