HRPD Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON HUMAN RESOURCES DEVELOPMENT AND THE STATUS OF PERSONS WITH DISABILITIES
COMITÉ PERMANENT DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES ET DE LA CONDITION DES PERSONNES HANDICAPÉES
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 26 février 1998
[Traduction]
Le président (M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.)): Si nous sommes prêts, je déclare la séance ouverte.
Bienvenue à tous à cette 17e séance de notre comité, qui est en réalité notre deuxième séance consacrée à la nature du travail.
Pour votre gouverne, sachez qu'après les exposés et les discussions, nous devrons rester quelques minutes pour débattre de certaines motions qui nous ont été envoyées par le comité directeur.
Nous accueillons ce matin M. Frank Graves, président de Ekos Research, et M. Patrick Beauchamps, son associé. Nous accueillons également de Statistique Canada M. Bruce Petrie, statisticien en chef adjoint, Statistiques sociales des institutions et du travail, et Mme Deborah Sunter, directrice adjointe aux Enquêtes des ménages.
Je vois qu'il y a aussi d'autres gens dans la salle. Sont-ils ici pour vous dépanner, au cas où vous auriez besoin d'aide? Vous n'aurez qu'à les présenter si le besoin s'en fait sentir.
Nous commencerons par l'exposé de M. Graves.
Dès que M. Graves aura fini son exposé, les membres du comité pourront lui poser des questions, après quoi nous entendrons les représentants de Statistique Canada. Quand tout le monde aura participé, nous verrons où nous en serons. Les membres du comité qui veulent poser des questions n'ont qu'à me le signaler, et je commencerai à dresser une liste.
Monsieur Graves.
M. Frank Graves (président, Les Associés de recherche Ekos Inc.): Merci beaucoup. J'ai grand plaisir à être ici pour vous parler du monde assez flou des perceptions et des attitudes, et...
Le président: Pardon, monsieur Graves. Je viens de remarquer que l'on vient de nous apporter le projecteur d'acétates. Voulez- vous nous montrer vos diapositives?
M. Frank Graves: Je crois bien, ce qui permettra à tous de voir. Je vais tout de même commencer, et les acétates nous rattraperont au fil de mon exposé.
Le président: Bien.
M. Frank Graves: Cela fait déjà quelque temps que nous étudions en profondeur l'attitude que peuvent avoir les Canadiens vis-à-vis du marché du travail, particulièrement vis-à-vis du rôle des gouvernements; nous nous demandons comment leur attitude évolue et dépend de facteurs tels que leur insécurité face à l'avenir dans un monde en évolution très rapide. Par conséquent, ce que je...
[Français]
M. Paul Crête (Kamouraska—Rivière-du-Loup—Témiscouata—Les Basques, BQ): J'invoque le Règlement, monsieur le président. Nous n'avons pas de document en français de la firme Ekos sur la présentation de cet après-midi. Il m'apparaîtrait essentiel qu'on ait ce document-là.
Une voix: On est dans un pays bilingue.
[Traduction]
Le président: La politique de la Chambre des communes ne s'applique pas aux témoins, qui viennent à titre personnel, et qui ne représentent pas le gouvernement. Les témoins ont donc le droit de choisir l'une ou l'autre des langues officielles. Nous avons également pour politique de traduire les documents. N'avons-nous pas adopté une motion en ce sens?
Le greffier du comité:
[Note de la rédaction: Difficultés techniques]
Le président: Bien.
[Français]
M. Paul Crête: Il ne s'agit pas d'un témoin d'un organisme communautaire mais d'une firme professionnelle qui savait depuis longtemps qu'on devait étudier ce dossier. S'il n'y a pas de document en français, quant à moi, il n'y aura pas d'étude du document aujourd'hui.
[Traduction]
Le président: Monsieur Crête, je comprends et je vous fais mes excuses pour la situation dans laquelle nous nous trouvons. Que souhaitez-vous faire? C'est nous qui avons invité M. Graves à comparaître. Il est donc notre invité et personne ne le paie pour témoigner. Il vient partager sa recherche et ses connaissances.
Si vous refusez de prendre part à la séance en raison de la langue, c'est bien dommage. Je puis néanmoins vous assurer que je ferai en sorte, dans la mesure du possible, que la situation ne se reproduise plus jamais.
[Français]
M. Paul Crête: S'il n'y a pas de version française, on va tout simplement quitter la réunion.
[Traduction]
Mme Brenda Chamberlain (Guelph—Wellington, Lib.): Monsieur le président, on peut suivre la discussion en français grâce à l'interprétation.
Le président: En effet.
Mme Brenda Chamberlain: Nous devrions pouvoir continuer. À défaut de ne pouvoir suivre le document, vous pourrez toujours vous exprimer soit en anglais, soit en français. C'est ce qui se passe dans toutes nos séances.
Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): Il suffit de nous retirer les documents.
Mme Brenda Chamberlain: En effet, reprenez vos documents et nous suivrons ce que nous dira le témoin verbalement. N'est-ce pas équitable?
[Français]
M. Paul Crête: Non, monsieur le président. Imaginez-vous qu'une firme francophone ait présenté un document en français seulement. Vous auriez sauté par-dessus la table pour montrer que vous étiez choqués. Il a une limite à nous traiter comme si on était des citoyens de seconde zone. Il va falloir que vous appreniez qu'il y a deux langues officielles dans ce pays et que quand un comité reçoit un témoin, il ne doit pas en être ainsi. Ces témoins ne représentent pas un organisme communautaire de Terre-Neuve. Je serais capable de comprendre cette situation si tel était le cas. Mais dans le cas présent, ça fait trois mois qu'on parle de cette étude et qu'on étudie des dossiers sur cette question. Vous nous traitez comme si on était des citoyens de seconde zone. Si vous ne voulez plus du bilinguisme, dites-le donc officiellement et publiquement, et on va vivre avec ça. C'est inacceptable. Je suis incapable de vivre dans cette situation-là.
[Traduction]
Mme Brenda Chamberlain: Monsieur le président, je réitère ma proposition que vous nous enleviez les documents et que nous puissions continuer l'audition des témoins, soit en français soit en anglais.
[Français]
M. Paul Crête: Faites-le donc tout seuls, votre pays! Allez-y, amusez-vous donc tout seuls!
[Traduction]
Mme Brenda Chamberlain: Oui, en français et en anglais.
[Français]
M. Paul Crête: Je vais m'en aller, madame. Non, je ne me ferai pas insulter comme cela ce matin. Vous avez un comportement inacceptable.
[Traduction]
Mme Brenda Chamberlain: Personne ne vous a insulté. J'ai dit: «en français et en anglais».
[Français]
M. Paul Crête: Vous me faites penser à John Diefenbaker. Vous avez un peu son allure.
[Traduction]
Le président: Cela vous va-t-il, monsieur Crête?
[Français]
M. Paul Crête: Bonjour. Je vais m'en souvenir, je vous le promets.
[Traduction]
M. Robert D. Nault (Kenora—Rainy River, Lib.): Allons, peut- on poursuivre?
Le président: Je m'excuse auprès de nos témoins.
M. Frank Graves: C'est moi qui vous fais mes excuses. J'avais pourtant informé le comité que je ne pourrais pas me présenter ici avec des documents traduits. Mais mon collègue, M. Beauchamps, pourra vous répondre en français, car je ne parle malheureusement pas votre langue. Nous tenterons de vous faire parvenir le plus rapidement possible tous les documents traduits.
Le président: Bien. Mme Chamberlain a tout à fait raison: nous offrons les services de traduction simultanée, et il arrive fréquemment que les témoins ne fassent leur exposé que dans l'une des deux langues officielles. Voilà pourquoi nous avons des services d'interprétation. La solution proposée par Mme Chamberlain me semblerait tout à fait acceptable. Mais j'ai l'impression qu'il y a anguille sous roche et que nous saurons bientôt de quoi il retourne.
Des voix: Oh, oh!
M. Frank Graves: Je vous réitère néanmoins mes excuses.
Le président: Les membres du comité veulent-ils poursuivre?
M. Dale Johnston (Wetaskiwin, Réf.): Bien sûr, monsieur le président. Ces gens-là ont fait l'effort de se déplacer pour venir témoigner.
J'aimerais également présenter mes excuses aux témoins pour cette interruption.
Le président: Monsieur Nault.
M. Robert Nault: Je voudrais que ce qui suit soit consigné au procès-verbal: il est faux de prétendre, comme le fait M. Crête, que l'inverse ne s'est jamais produit. Au contraire, cela s'est déjà produit à maintes occasions. L'année dernière, lorsque nous avons étudié longuement l'assurance-emploi, nous avons accueilli nombre de témoins québécois qui n'ont parlé que français. Or, nous n'avons jamais interrompu la séance, nous n'avons pas fait de crise ni agi comme un enfant de quatre ans. Ma fille me fait des crises de ce genre de temps à autre, mais elle n'est pas aussi impolie que l'a été tout à l'heure M. Crête.
Il faut préciser que l'inverse se produit parfois, et que c'est justement pourquoi on nous offre des services de traduction instantanée. Il est malheureux que certains soient aussi intransigeants lorsque des situations de ce genre se produisent.
Pourquoi ai-je demandé que cela soit consigné au procès- verbal? Parce que la précision a son importance et que je voulais rétablir les faits avant la reprise de la séance. Merci.
Le président: Madame Chamberlain.
Mme Brenda Chamberlain: Monsieur le président, je remercie M. Nault de sa précision, parce que je me rappelle en effet avoir assisté à nombre de réunions au cours desquelles la seule langue parlée a été le français; et nous n'avons rien dit puisque ces gens-là étaient nos invités et qu'ils avaient choisi de parler en français.
C'est une question de respect, mais le respect doit se faire sentir de part et d'autre. Quand il se produit des cas comme celui- ci... la solution reste toujours de retirer les documents.
Le président: Merci.
Monsieur Graves, vous avez la parole.
M. Robert Nault: On ne vous paye pas à l'heure pour être ici.
M. Frank Graves: On ne me paye rien du tout.
J'aimerais vous parler des priorités des Canadiens pour ce qui est des questions de marché de travail, notamment, et comparer ces priorités à d'autres, particulièrement à ce qu'ils attendent des gouvernements et à la satisfaction qu'ils éprouvent devant la façon dont ceux-ci répondent à leurs attentes.
J'aimerais ensuite dire quelques mots sur la compétence et les niveaux de connaissance des Canadiens, et la façon dont ils se répartissent dans la société canadienne; puis j'illustrerai la façon dont l'insécurité se traduit dans une économie de plus en plus axée sur le savoir. Enfin, j'aimerais m'interroger sur les sources et les moteurs de cette insécurité, en faire une petite analyse, et essayer de démontrer comment les Canadiens perçoivent le rôle des gouvernements et celui des autres intervenants, à la fois ceux du secteur privé et eux-mêmes, pour ce qui est de leurs responsabilités vis-à-vis de ces problèmes.
La première diapositive illustre les priorités du gouvernement fédéral. Je vous signale qu'elles sont très proches de celles des gouvernements provinciaux, puisque nous leur avons également posé la question. En fait, les Canadiens ne font pas toujours la différence entre le palier fédéral et le palier provincial. Ils voudraient d'ailleurs que ces deux paliers collaborent et s'épaulent pour s'occuper de ces grands secteurs. Plus l'enjeu est important, et plus ils chérissent ce niveau de coopération.
Vous voyez énumérées ici les préoccupations et les priorités du gouvernement fédéral. Le sondage a été mené à la fin de novembre dernier auprès de 3 000 foyers canadiens. La situation n'a pas évolué beaucoup depuis. Les grandes priorités se trouvent dans ce que nous appelons l'investissement humain, soit les soins de santé, l'éducation, les emplois et l'emploi chez les jeunes. Ce sont des préoccupations axées sur le capital humain qui dominent la scène, et ce depuis déjà un certain temps.
Si nous reprenions cette même liste au fil des ans, vous constateriez que les grands enjeux sont restés les mêmes et ont même pris plus d'importance au cours des dernières années. Nous avons voulu suivre ces grands thèmes de février 1994 à octobre 1997, ce qui illustre bien l'importance accordée à ce que nous appelons les priorités dites actives, comme le marché du travail et les soins de santé, par rapport à ce que l'on pourrait appeler les priorités dites financières, comme les taxes et l'endettement.
Au haut du graphique se trouvent les soins de santé, le chômage, l'endettement et le déficit, tous des enjeux interreliés dans l'esprit des Canadiens en février 1994. Ces enjeux demeurent très préoccupants jusqu'au mois d'août 1994 environ. C'est à ce moment-là que l'on commence à voir chuter l'intérêt que représente la dette et qui se trouvait parmi les préoccupations les plus grandes.
Ce n'est pas parce que les Canadiens étaient moins préoccupés par la diminution de la dette. En fait, ils l'étaient même encore plus. Ce qui s'est passé, c'est que leur niveau d'inquiétude et d'angoisse au sujet des finances publiques a commencé à diminuer. Entre-temps, leurs préoccupations dans les domaines d'investissement actifs comme les emplois et les soins de santé qui sont demeurées élevées, quand elles n'ont pas augmenté.
Regardez maintenant au cours de la même période la préoccupation des Canadiens vis-à-vis de leur niveau d'imposition: vous constaterez que leur préoccupation n'arrête pas de baisser; ce n'est pas qu'ils ne s'en inquiétaient pas—car tous les Canadiens s'en préoccupaient—mais cette préoccupation n'était certainement pas aussi aiguë dans leur esprit que leurs préoccupations autour des soins de santé et des finances publiques.
La préoccupation des Canadiens vis-à-vis de leur niveau d'imposition a donc diminué progressivement, à chaque étape de notre sondage, et à chaque fois que nous leur posions la même question. Nous constatons maintenant un petit changement: alors que les Canadiens semblent moins s'inquiéter de l'état des finances publiques que des dommages causés d'après eux par le repli du gouvernement qu'ils ont fini par accepter tout en reconnaissant qu'il a tout de même engendré des problèmes dans leur milieu—ils semblent aujourd'hui vouloir opter à nouveau pour des mesures collectives de redressement dans le marché du travail et de la santé, par exemple. Notre dernier sondage remonte à janvier dernier, et il semble que la tendance se poursuive.
Demandons-nous maintenant quelles sont les priorités des Canadiens et s'ils sont satisfaits de la façon dont les choses évoluent. D'une façon globale, si l'on regarde la plupart des domaines, on se rend compte que les notes qui sont données au gouvernement vont de très moyennes à carrément mauvaises.
• 1120
Nous n'allons pas nous pencher sur les soins de santé
aujourd'hui, mais vous remarquerez une chose: la barre horizontale
du bas montre la satisfaction en 1995, alors que celle du haut
montre le pourcentage de Canadiens qui se satisfaisaient du
système, en novembre 1997. Force nous est de constater que la
satisfaction dans les soins de santé a diminué de façon
catastrophique.
Cependant, regardez au bas de la liste pour ce qui est du marché du travail, de la création d'emploi, du chômage, de la formation professionnelle et même de l'éducation, mais particulièrement les domaines de la création d'emploi, du chômage et de la formation professionnelle. Ces domaines ont suscité énormément d'intérêt, mais un Canadien sur cinq seulement est satisfait de la performance des gouvernements—en l'occurrence, il s'agit des gouvernements fédéral ou provinciaux—en ce qui a trait à leur capacité de gérer certaines des insécurités des Canadiens et d'y réagir ou d'aider à générer les débouchés qui, à leurs yeux, sont associés au marché du travail très différent d'aujourd'hui. Il n'y a guère eu de changements à cet égard au cours de la période visée.
Passons maintenant aux compétences. Les gens estiment-ils posséder le savoir, les connaissances technologiques et les ressources humaines fondamentales pour se faire une place dans cette nouvelle économie dont tout le monde reconnaît qu'elle diffère qualitativement de l'économie d'il y a 10 ou 20 ans? On constate une bonne mesure de confiance et d'optimisme. Surtout récemment, les Canadiens adoptent en grand nombre une vision plus optimiste de cette nouvelle économie fondée sur le savoir. Plus de gens y voient une source d'occasions plutôt que de risques.
Il ne faudrait pas en conclure que cette confiance et cet optimisme nouveaux ne sont pas fragiles. Ce n'est pas une conviction profonde. Plus tard, je vous montrerai qu'il existe passablement de turbulence et de mouvement liés au sentiment d'insécurité des gens. En fait, même s'il y a des fluctuations de ce sentiment de sécurité relativement à la perspective de conserver un emploi ou de pouvoir contrôler leur avenir économique à long terme, le fait que bon nombre de personnes oscillent entre un sentiment de sécurité et d'insécurité montre que la confiance qui se manifeste n'est pas profondément ancrée chez un grand nombre de Canadiens. En réalité, près de la moitié de la société canadienne ressent un sentiment d'insécurité assez élevé au sujet du marché du travail, et particulièrement du marché à long terme.
Voici une illustration du nombre de personnes qui affirment posséder les compétences nécessaires pour se débrouiller aisément dans le marché du travail d'aujourd'hui. Bien que 61 p. 100 des Canadiens soient d'accord avec l'énoncé, approximativement 40 p. 100 d'entre eux ne sont pas d'accord ou sont indifférents. Voilà qui constitue une variable prédictive de la confiance.
La prochaine question mesure la perception des gens quant à la durée de conservation de leurs compétences, à savoir s'ils estiment qu'elles vont durer à long terme. Comme on peut le voir, environ 30 p. 100 reconnaissent d'emblée que leurs compétences seront périmées dans cinq ans, et la moitié des Canadiens seulement estiment posséder des compétences de base permanentes susceptibles de leur permettre de tirer leur épingle du jeu, ne serait-ce qu'à moyen terme. Si l'on regarde un peu plus loin, on constate que ces craintes s'accentuent.
Encore une fois, il appert que la moitié des Canadiens environ ressentent un certain malaise au sujet de leur avenir. On constate que leur nombre s'accroît si nous repoussons l'horizon de cinq à dix ans. À ce moment-là, 35 p. 100 avouent penser que leurs compétences seront dépassées.
Voilà qui nous amène à mettre l'accent sur l'éducation permanente, la capacité de se recycler périodiquement pour s'adapter à ce qui n'est pas considéré comme un emploi unique que l'on conserve depuis le début de sa carrière jusqu'à la fin, auprès d'un même employeur, mais comme une série de postes intermittents exigeant des compétences diverses dans des contextes professionnels divers, notamment l'autonomie pure et simple à titre de travailleurs indépendants.
Ces perceptions sont divisées de façon très marquée selon les classes sociales. De façon générale, les personnes peu scolarisées et à faible revenu considèrent que ces problèmes sont plus aigus que celles issues de milieux plus aisés et confortables de la société canadienne.
Il y a aussi certaines différences régionales, quoiqu'elles ne soient pas tellement frappantes dans cet indicateur en particulier. Par exemple, dans certains indicateurs, on constate que les Québécois affichent plus de confiance en leurs compétences que les autres Canadiens, mais ces différences ne sont pas très profondes.
En ce qui a trait aux mesures de l'insécurité économique, que nous examinerons un petit peu en profondeur tout à l'heure, on note des différences régionales assez prononcées. Essentiellement, si l'on prend la rivière des Outaouais comme ligne de démarcation, les habitants qui sont à l'est sont très inquiets de leurs perspectives économiques à court et à long terme, alors que ceux qui sont de l'autre côté sont en général plutôt sereins, du moins en termes relatifs.
Voici la question qui porte sur la confiance liée à la technologie et l'employabilité. De plus en plus de gens considèrent que leur succès sur le marché du travail dépend de leur capacité d'utiliser de nouvelles technologies. La technologie de l'information est rapidement en train de devenir une caractéristique envahissante du marché du travail. La pénétration de ces nouvelles technologies se produit à un rythme quasi exponentiel.
• 1125
Par exemple, dans notre plus récente enquête sur l'inforoute,
37 p. 100 des Canadiens ont affirmé avoir eu accès à Internet,
l'autoroute de l'information, au travail, chez eux, à l'école ou
ailleurs, au cours des trois mois précédents, ce qui représente une
augmentation sensible.
Le président: Quel pourcentage?
M. Frank Graves: Il s'agit de 37 p. 100, soit un pourcentage énorme. Si l'on faisait une ventilation, pour la catégorie des moins de 24 ans, ce pourcentage augmenterait à plus de 60 p. 100, comparativement à 7 p. 100 pour les plus de 60 ans. S'il y a un fossé profond entre les générations au sein de la société canadienne, c'est au sujet de la technologie. On voit également des répercussions sur le fonctionnement du marché du travail car bon nombre de gens se servent de cette technologie.
L'une des raisons qui expliquent cette croissance de l'usage des nouvelles technologies—et non seulement d'Internet—, c'est que cela n'est pas perçu comme un jouet, mais comme un outil sérieux—en fait, c'est l'image dominante—qui permet d'assurer son autonomie professionnelle ou d'accéder au télétravail. Cela est considéré comme une nouvelle façon de négocier son chemin à travers le labyrinthe de la nouvelle économie. Les jeunes Canadiens, beaucoup plus que les Canadiens âgés, ont cette conviction, conviction à laquelle s'associent des niveaux élevés de compétence et d'optimisme.
Vous pouvez voir ici une ventilation. La compétence technologue individuelle liée à l'employabilité est relativement élevée pour les hommes. C'est en Ontario que ce pourcentage est le plus élevé. D'ailleurs, ces compétences ont un lien direct avec le statut socio-économique, la scolarisation et le revenu. Il n'est pas étonnant de constater certaines différences dans certains de ces indicateurs. Dans celui-ci en particulier, on constate de façon assez étonnante que les jeunes ne possèdent guère de compétences technologiques, mais bien d'autres indicateurs font état d'un grand enthousiasme chez eux au sujet du rôle de la technologie.
J'aimerais examiner maintenant les préoccupations relatives à l'incidence à long terme de la technologie sur l'emploi. Comme c'est le cas pour n'importe quel autre changement fondamental dans l'ordre économique, cette transition d'une société industrielle à une société post-industrielle fait qu'un grand nombre de personnes s'inquiètent de trouver leur place dans ce nouvel ordre des choses. La situation évolue très rapidement.
Nous constatons ici qu'un nombre considérable de répondants n'expriment pas leur désaccord avec cette proposition. Il n'est pas tellement difficile d'imaginer que mon travail puisse être fait un jour par un ordinateur ou une machine. Les personnes qui sont un peu plus au fait de la technologie sont légèrement plus susceptibles de dire que c'est une possibilité.
Par conséquent, bien qu'elle tend à générer une vision positive et optimiste, la technologie apporte un cortège de préoccupations liées à la suppression d'emplois, au recours à des machines pour assumer des tâches auparavant réservées à des êtres humains.
Vous pouvez voir ici que les préoccupations sont les plus vives parmi les membres les plus vulnérables de la population active—les femmes, les petits salariés, les travailleurs peu scolarisés. Ceux qui affichent les résultats les plus faibles en réponse aux questions liées aux connaissances technologiques expriment également des préoccupations élevées à cet égard.
Je trouve le prochain acétate fascinant. On constate chez les économistes un consensus selon lequel le scénario de Rifkin est sans fondement et n'a absolument rien à voir avec ce qui se produit concrètement sur le marché du travail. Voyons ce qu'il en est du taux d'emploi et du produit intérieur brut. Cela contredit carrément la thèse qu'épouse Jeremy Rifkin. Si vous examinez cet indicateur, vous comprendrez pourquoi on se presse aux conférences de M. Rifkin. Nonobstant ce que nous disent les économistes et l'augmentation du PIB, les Canadiens s'inquiètent énormément des conséquences à long terme de cette nouvelle transition, notamment pour ce qui est des emplois permanents.
En somme, la thèse sur le travail futur, la vision apocalyptique de la fin du travail fait énormément d'adeptes parmi les Canadiens. Ce qui est encore plus dérangeant, c'est qu'au printemps dernier, le pourcentage de répondants qui avaient dit estimer qu'il y aurait sans doute une pénurie très sérieuse et permanente d'emplois à l'avenir s'élevait à 24. L'automne dernier, ce pourcentage a grimpé à 42 p. 100, malgré le fait que le marché du travail était censé aller mieux, que le PIB était en hausse et les finances publiques plus saines.
Il y a donc des craintes largement répandues. Même si l'on constate des améliorations à court terme, quand les gens envisagent l'avenir à plus long terme, ils se demandent s'il y aura du travail pour eux. Cette image d'un avenir sans emploi perturbe énormément un grand nombre de Canadiens.
Encore là, on voit la même ligne de démarcation entre ceux qui sont vulnérables et ceux qui ne le sont pas, comme nous en avons parlé tout à l'heure.
Il y a une chose qui est moins évidente. Après avoir posé cette question aux Canadiens, lorsqu'on leur demande qui devrait gérer cette transition vers ce nouveau monde effrayant, dénué d'emplois, plus de la moitié, forcés de faire un choix, ont désigné le gouvernement fédéral à cause de sa vue d'ensemble. Même si ce n'est pas l'instance responsable de la création d'emplois, même s'il n'est pas en mesure de réaliser tout ce qu'il avait promis de faire, c'est vers cet ordre de gouvernement que se tournent les Canadiens pour les guider, pour leur fournir un plan ordonné de transition de l'ancienne économie à la nouvelle.
• 1130
Les gouvernements provinciaux viennent au second rang, mais on
passe de 50 à 16 p. 100. Ensuite, chose plutôt étonnante, la
solution qui consiste à confier cette responsabilité au secteur
privé, aux particuliers eux-mêmes, ne recueille qu'une poignée
d'adhérents. Les Canadiens souhaitent que ce soit le gouvernement
fédéral qui se charge de la fonction de planification, qui soit le
guide qui nous amène à bon port. Soit dit en passant, ils ne sont
pas convaincus—quoique les avis soient partagés—qu'il travaille
en ce sens à l'heure actuelle.
Voici un tableau curieux. On a demandé aux répondants s'ils étaient d'accord avec une proposition plutôt brutale: j'estime avoir perdu tout contrôle sur mon avenir économique. Il est plutôt déprimant de noter que périodiquement, de 30 à 50 p. 100 des Canadiens sont d'accord avec cet énoncé. De 20 à 30 p. 100 seulement d'entre eux estiment pouvoir exprimer leur désaccord avec l'énoncé et affirmer ainsi qu'ils n'ont pas perdu tout contrôle sur leur avenir économique.
Même si nous avons constaté certaines améliorations—autrement dit, un déclin constant—ce tableau mesure le pourcentage des Canadiens qui se sont dits d'accord du début de 1994 au début de 1998. Comme vous pouvez le constater, le tableau fait état de fluctuations assez importantes. D'ailleurs, ce sentiment d'avoir perdu le contrôle sur son avenir économique n'est pas uniquement lié aux inquiétudes relatives à une perte d'emploi immédiate. Il est aussi issu de préoccupations plus vastes concernant, par exemple, l'état des finances publiques, la valeur de notre dollar, l'évolution des tendances internationales et la mondialisation. Et de façon moins flagrante, l'un des indices de prévision importants dont je parlerai un peu tout à l'heure est un sentiment d'insécurité culturelle. On se pose les questions suivantes: comment vais-je m'intégrer, quel rôle vais-je jouer, trouverai-je une niche confortable dans ce monde qui semble évoluer à un rythme un peu trop rapide à mon goût?
Vous pouvez voir ici un niveau élevé d'insécurité économique fort répandu au Québec parmi les personnes peu rémunérées et peu scolarisées.
Dans cet acétate, les oscillations sont encore plus prononcées. S'il s'agissait d'un polygraphe auquel avait été soumise la population canadienne, il faudrait en conclure qu'elle nous menait un bateau. Lorsque nous avons demandé aux Canadiens s'ils estimaient qu'il y avait de bonnes chances qu'ils perdent leur emploi dans les deux prochaines années, nous avons constaté que malgré... Au cours de cette période, encore une fois de 1994 jusqu'à la fin de novembre, l'augmentation a été constante. Le PIB augmente, les choses vont mieux, l'économie se redresse. Pendant ce temps-là, le pourcentage de personnes qui craignent de perdre leur emploi augmente constamment. Si le PIB est en hausse, pourquoi les Canadiens sont-ils pessimistes? On a largement tendance à ne pas tenir compte d'un grand nombre de mesures objectives de la performance économique—particulièrement dans notre recherche qualitative. Les gens estiment que ces paramètres n'ont rien à voir avec eux—leurs salaires stagnent, ils ont perdu leur emploi, leurs collectivités ne semblent pas reprendre du poil de la bête. On se dissocie de cette idée que la croissance économique se traduit nécessairement par la croissance de l'emploi ou le bien-être personnel. Les profits des grandes entreprises, la rémunération des cadres, la restructuration sont tous des facteurs qui renforcent cette conviction que la croissance de l'économie ne se traduit pas nécessairement par un mieux-être personnel.
Il y a eu un déclin assez marqué de l'incidence du nombre de personnes qui ont dit craindre de perdre leur emploi, suivi d'un autre déclin qui nous a donné à penser qu'enfin, les Canadiens commençaient à réagir au fait que le marché du travail commençait à mieux se comporter. Ensuite, en novembre 1997, c'était reparti à la hausse de plus belle, peut-être sous l'influence de la crise financière asiatique. Il y a eu une nouvelle baisse en janvier 1998.
Quelles que soient les raisons, il n'en reste pas moins que cette sécurité qui existe n'est pas vraiment stable. Elle est très superficielle, très fragile, pour la moitié des Canadiens au moins. Encore une fois, nous retrouvons les mêmes tendances, ainsi que des divisions régionales très marquées, la rivière Outaouais étant la ligne de démarcation. À l'est de cette ligne, les gens ont davantage le sentiment qu'ils pourraient perdre leur emploi alors que ceux qui sont à l'Ouest, sont beaucoup plus sereins. Enfin, on constate le ratio habituel entre les gens bien payés et fortement scolarisés et ceux qui sont mal payés et peu scolarisés.
Il ne faut pas se le cacher, ces craintes existent. Ce qui était intéressant, c'est que certaines de ces craintes coexistent avec un bel optimisme. Les gens ne restent pas chez eux à se tordre les mains de désespoir en se disant qu'ils vont prendre leur emploi. Ils croient aussi que de façon générale, il y a davantage de raisons d'être optimistes que pessimistes au sujet de l'avenir, même s'il y a une démarcation assez nette sur le plan du revenu et de l'éducation. Les gens ont tendance à être plus optimistes et une des choses qu'il faut comprendre c'est qu'un certain optimisme peut cohabiter avec un niveau assez élevé d'inquiétude au sujet de l'évolution des perspectives à long terme dans le marché du travail.
• 1135
En conclusion, je voudrais vous communiquer les résultats de
certaines analyses que nous avons faites au sujet des motifs, des
facteurs qui semblent immanquablement causer ce sentiment
d'insécurité, une fois faite l'analyse et prise en compte
l'influence de diverses choses.
L'une des choses les plus surprenantes que nous constatons lorsque nous faisons une modélisation statistique pour montrer quelles choses produisent immanquablement ce sentiment d'insécurité, c'est que cela va au-delà des préoccupations concernant le marché du travail et le statut de ces personnes comme participant au capital humain. Les prédicteurs les plus importants étaient liés à ce que nous appelons l'insécurité culturelle. Ainsi, les gens estimaient que le monde changeait trop vite, que le Canada traditionnel disparaissait, ils se sentaient nostalgiques, tristes face à la perte de ce qu'ils considéraient comme un pays plus prospère, moins divisé... Selon eux, les convenances et les valeurs communautaires étaient en train de disparaître. Autrement dit, des éléments qui, intuitivement, ne semblent pas directement reliés à l'économie se trouvaient être les indices de prévision les plus fiables pour cerner ceux qui avaient également le sentiment d'avoir perdu le contrôle de leur avenir.
Les deux sont donc entremêlés, et je pense vraiment que c'est un point très important. Ce n'est pas seulement un calcul rationnel, il y a là un élément de valeurs. Où est ma place? Comment serai-je considéré? Quel genre de rôle jouerai-je dans l'avenir? Ce sont des facteurs clés.
L'autre chose est l'importance des changements technologiques. Les gens les voient. Ce n'est plus de la fiction, les gens y voient une réalité. Ils voient que ces changements amènent un ensemble d'éléments positifs et négatifs—ils voient plus d'éléments positifs, mais ils éprouvent aussi des inquiétudes, et c'est le cas plus particulièrement de certains des groupes qui ne se pensent pas dans une position tellement bonne pour participer à cette nouvelle économie du savoir.
Ils estiment aussi que leurs compétences et leurs connaissances sont relativement éphémères. Un important segment de la société canadienne se dit certainement que ces nouvelles connaissances ne seront pas longtemps utiles et qu'elles ne conviennent même peut-être déjà plus maintenant. Ils veulent donc avoir accès à des programmes de formation, de recyclage, de perfectionnement. Ce sont des questions extrêmement pertinentes et extrêmement importantes pour beaucoup de Canadiens. Ces questions remplacent maintenant certaines des demandes traditionnelles de mesures visant la création d'emplois, par exemple. Les Canadiens demandent maintenant qu'on leur donne un tremplin, les outils qui peuvent les aider. Ils demandent de l'aide, mais ils ne veulent pas qu'on fasse tout pour eux, ils veulent qu'on les aide en leur indiquant par exemple les compétences à acquérir et en leur donnant les moyens de le faire.
Cela concerne peut-être aussi le travail autonome, qui est une solution de rechange extrêmement pertinente pour les Canadiens, en particulier les jeunes. Ils ont ainsi le sentiment de prendre eux- mêmes les choses en main et c'est aussi relié à des éléments comme la classe sociale. Nous constatons que les Canadiens sont très préoccupés par ce qu'on peut qualifier de niveaux de polarisation, mais pour eux il s'agit de l'écart grandissant entre les riches et les pauvres. Environ 80 p. 100 des Canadiens disent que cela leur fait vraiment peur et ils estiment que nous nous américanisons de plus en plus, et que nous sommes de plus en plus divisés.
Pour résumer encore une fois les facteurs les plus importants dans différents types d'analyses que nous avons faites, nous avons constaté que l'insécurité culturelle était un indicateur prévisionnel important, ce qui n'était pas évident. Il y avait également l'élément capital humain, tant en ce qui concerne le succès dans les études formelles que la compétence et les aptitudes. Nous avons constaté également qu'il y avait une différence entre les sexes à cet égard, les femmes se sentant moins sûres d'elles que les hommes.
Il y avait quelques autres éléments moins évidents, comme la connaissance du domaine politique. Ceux qui connaissaient mieux le fonctionnement du gouvernement, indépendamment d'autres facteurs, se sentaient plus confiants quant à leur réussite sur le marché du travail de l'avenir, peut-être parce qu'ils estimaient pouvoir trouver dans une certaine mesure leur chemin dans ce labyrinthe qu'est l'aide gouvernementale. Nous avons constaté que la confiance dans les réalisations du gouvernement... Les gens qui estimaient que les gouvernements avaient un impact positif sur leur vie, c'est-à-dire qu'ils faisaient du bien plutôt que du mal se sentaient généralement aussi plus confiants quant à leur capacité de s'en tirer dans l'économie de l'avenir.
Je mentionne en passant que ces effets sont indépendants des effets habituels de l'éducation, de la classe sociale et d'autres facteurs.
Je pense que c'est un lien intéressant qui souligne encore une fois qu'en dépit du fait que les Canadiens disent savoir que les emplois sont créés dans le secteur privé, ils estiment que les gouvernements doivent au moins être l'un des partenaires stratégiques lorsqu'il s'agit de les aider à gérer ensemble leur situation, à contrôler leur insécurité et à profiter de certaines occasions qui se présentent.
Est-ce qu'il y a d'autres éléments à ajouter en conclusion? Est-ce assez? Je pense que c'est probablement suffisant. Je peux certainement vous donner des renseignements, si vous avez des questions. Je voudrais laisser du temps à mes collègues. Merci beaucoup.
Le président: J'ai quelques questions à poser. Je pense que nous allons demander pour l'instant des précisions, et nous passerons ensuite à l'exposé de Statistique Canada, après quoi nous pourrons poser des questions aux deux groupes.
Madame Ablonczy.
Mme Diane Ablonczy (Calgary—Nose Hill, Réf.): J'ai une question à poser au sujet de vos diapositives. Elles ne sont pas numérotées, mais je veux parler du scénario de Rifkin. Comment interprétez-vous le scénario de Rifkin, selon lequel il y aurait une pénurie très grave et permanente d'emplois? Il parle de la mort du travail. Qu'entend-il par là, d'après vous?
M. Frank Graves: Je suppose que cela varie sur une période continue. M. Rifkin présente l'une des versions plus extrêmes. On peut répartir ceux qui regardent l'avenir du travail selon qu'ils sont relativement optimistes et pensent qu'il y aura une merveilleuse transition vers de nouveaux types d'emplois, vers de meilleures économies et un meilleur marché du travail, et ceux qui y voient un recul, en ce qui concerne les répercussions sur l'emploi. M. Rifkin présente la position plus apocalyptique, l'aspect négatif de l'équation, mais pas tout à fait. Il a tendance à considérer que la technologie aura pour effet de détruire des emplois, c'est-à-dire qu'elle mettra fin littéralement au travail, selon lui. Ce n'est pas du tout nécessairement le cas, mais pour une très forte proportion de la population, il estime qu'il n'y aura pas d'emplois.
Mme Diane Ablonczy: C'est ce que j'ai cru comprendre également. Je ne saisis pas très bien pourquoi vous dites que cet aspect de l'enquête peut être relié au scénario de Rifkin. La question ne concerne pas du tout le scénario de Rifkin, c'est-à- dire qu'on ne demande pas si les gens pensent que le travail tel que nous le connaissons cessera. On demande plutôt s'ils pensent qu'il y aura une pénurie permanente et grave d'emplois—ce qui n'est pas le scénario de Rifkin, de la façon dont je l'ai compris ou que vous l'avez décrit. Je pense que vous extrapolez en disant que cela confirme que les gens acceptent le scénario de Rifkin, n'est-ce pas?
M. Frank Graves: Même si M. Rifkin présente une image plutôt sombre de l'avenir, je ne pense pas qu'il affirme littéralement que ce sera la fin du travail. Il dit que ceux qui travaillent dans ce que Robert Reich appelle la catégorie symbolique de l'analyse réussiront très bien. Pour eux, la croissance se poursuivra et il y aura de bonnes perspectives économiques. Il dit qu'un pourcentage d'emplois peu spécialisés qui existaient auparavant en Amérique du Nord, par exemple, dans les économies occidentales, disparaîtra.
Il ne dit pas que le travail comme tel disparaîtra. Ce serait mal interpréter ses prévisions. Il dit essentiellement qu'il y aura une pénurie grave et permanente d'emplois—et c'est vraiment la question que nous avons étudiée. Je n'ose pas prétendre que c'est une opérationnalisation parfaite de son hypothèse, mais je pense que nous examinons essentiellement la même idée que lui.
Mme Diane Ablonczy: Il me semble seulement que dans une société qui a connu un taux de chômage de 10 p. 100, environ, pendant des décennies, cette possibilité qu'il y ait une pénurie permanente d'emplois pourrait signifier seulement qu'on reconnaît qu'il y a eu une pénurie permanente d'emplois, ou du moins assez permanente, et que la situation est grave. Mais nous ne voudrions probablement pas extrapoler à partir de l'étude que les Canadiens éprouvent les mêmes inquiétudes que Rifkin, n'est-ce pas?
M. Frank Graves: Nous discutons réellement de ces questions dans les groupes. Je dirais qu'un très grand nombre de Canadiens... et je mentionne en passant que lorsqu'ils disent qu'il y aura une pénurie permanente et grave d'emplois, ils ne veulent pas nécessairement dire qu'ils n'auront rien à faire. Ils pensent qu'il y aura peut-être d'autres choses à faire que d'occuper un emploi et ce n'est pas inclus dans cette question. Rifkin lui-même, par exemple, met beaucoup l'accent sur les autres possibilités comme l'utilisation du secteur tertiaire ou du secteur bénévole, peut- être sous une forme différente, comme une façon de combler une partie du vide qu'il prévoit.
Mais je ne pense pas en effet qu'il serait faux d'affirmer—en particulier lorsqu'on pense aussi qu'à un certain moment, il y a 50 p. 100 des Canadiens qui estiment avoir perdu toute maîtrise sur leur avenir économique—qu'une très forte proportion de Canadiens croient vraiment, dans une certaine mesure, que l'avenir du travail n'est pas nécessairement clair ou qu'il n'y aurait peut-être pas de place pour eux. Ce sentiment n'est peut-être pas aussi intense chez eux que chez Jeremy Rifkin, mais une très forte proportion de gens le pensent peut-être d'une manière beaucoup plus aiguë, par exemple, que les économistes qui commentent la situation actuelle du marché du travail ou certains décideurs. Que leurs craintes soient exagérées ou non, il est important à mon avis de ne pas oublier qu'il ne s'agit pas seulement de dire que nous savons que le chômage se situe autour de 10 p. 100 depuis longtemps. Dans les groupes de discussion, les craintes sont nettement plus profondes que cela.
Mme Diane Ablonczy: Les renseignements que vous avez présentés sont fondés sur les résultats de l'enquête et non sur ce qu'ont dit les groupes de discussion, n'est-ce pas?
M. Frank Graves: En effet. Mon collègue Patrick Beauchamps a organisé une foule de groupes de discussion approfondie, parlant justement de ces questions avec des Canadiens de toutes les régions du pays. Il pourrait peut-être ajouter des commentaires quant au niveau de craintes ou d'appréhension qu'ils éprouvent face à l'avenir. Il a organisé une bonne centaine de ces groupes de discussion au cours des dernières années.
Mme Diane Ablonczy: Ce serait intéressant, mais tout d'abord, vous parlez de gens qui disent avoir perdu la maîtrise de leur avenir économique. Cela pourrait signifier simplement que peu importent nos efforts pour mettre de l'argent de côté ou bien gérer nos finances, le fardeau fiscal continue d'augmenter. Il y a différents facteurs économiques en jeu.
Mais je ne suis pas certaine de pouvoir accepter que l'on déduise ou conclue de façon catégorique que les gens ont peur de voir le travail disparaître, d'après ce que vous nous avez dit jusqu'ici—à moins qu'il y ait d'autres choses que vous ne nous avez pas encore dites.
M. Patrick Beauchamps (directeur, Recherche qualitative, Les Associés de recherche Ekos Inc.): Si vous le permettez, il y a deux choses que je peux ajouter, étant donné que j'ai moi-même parlé à ces gens, ainsi qu'à ceux qui ont répondu à nos enquêtes téléphoniques.
Premièrement, lorsque les gens parlent de leur préoccupation, il s'agit d'une préoccupation plutôt viscérale pour beaucoup d'entre eux. Ils ne s'inquiètent pas seulement de ne pas pouvoir faire de voyage, peut-être, ou quelque chose du genre. Pour une grande partie des gens, c'est leur survie qui les préoccupe.
De plus, je peux ajouter au sujet de la pénurie d'emplois, qu'au cours des dernières années, les gens ont pensé que le taux de chômage était élevé et qu'on devrait certainement pouvoir le faire baisser. Ce qu'on voit maintenant montre peut-être que les gens commencent à se demander s'il est vraiment possible de remédier à la situation, et c'est ce qui les inquiète.
Le président: Madame Ablonczy, il y a encore quatre membres du comité qui veulent poser des questions. J'aimerais qu'on passe maintenant à l'exposé de l'autre groupe, après quoi nous pourrons reprendre cette discussion.
Mme Diane Ablonczy: Je pense que c'est juste. Je n'y vois pas d'inconvénient.
Le président: Monsieur Wilfert.
M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je ne suis pas certain, mais je pense entendre des messages contradictoires dans votre présentation. D'après votre tableau sur l'optimisme en matière d'économie, dans presque tous les groupes d'âge, de niveaux d'instruction et de revenu, les gens semblent être assez optimistes quant à l'avenir. Vos commentaires ne concordent pas avec le tableau, à mon avis, car vous avez dit que les gens perdent la maîtrise de leur avenir économique.
D'après le tableau, 50 p. 100 n'étaient pas d'accord alors que 34 p. 100 étaient d'accord, et pourtant il y avait des fluctuations. Vous avez mentionné la situation du marché asiatique. On ne peut pas déceler de tendance, je suppose, bien qu'on semble pouvoir détecter que les gens commençaient à se sentir plus satisfaits de leur sort. Que la question du marché asiatique soit une anomalie passagère ou non, il est clair que cela serait relié à leur optimisme sur le plan économique, si les taux avaient été généralement plus élevés en ce qui concerne leur sentiment général d'être maîtres de leur sort.
Vous dites aussi qu'en particulier dans le domaine de l'acquisition des compétences, le gouvernement fédéral doit jouer un rôle plus important que celui qu'il se reconnaît, à mon avis. Voici donc ma question: Les gens ont-ils dit ce qu'ils pensaient que le gouvernement fédéral pouvait faire?
M. Frank Graves: Je répondrai à la première partie, si vous le permettez. Ceux d'entre nous qui étudient l'opinion publique et les attitudes de la population doivent accepter le fait que les gens puissent avoir en même temps toute une variété d'opinions apparemment contradictoires. Il faut essayer de comprendre ce que cela signifie et comment ces opinions s'équilibrent.
Tout ce que je peux comprendre, c'est que cet optimisme coexiste avec des niveaux importants d'appréhension et d'inquiétude. De fait, certains oscillent régulièrement entre l'optimisme et l'inquiétude d'une semaine à l'autre, et peut-être même d'un jour à l'autre.
Il y a quelques facteurs que nous devons garder à l'esprit, à mon avis. Il y a un bon noyau de Canadiens—au moins un tiers—qui se sentent très anxieux la plupart du temps au sujet de leurs perspectives à court et à long terme sur le marché du travail. Il y en a probablement encore de 15 à 20 p. 100, disons, qui peuvent entrer dans la catégorie des gens anxieux et inquiets, ce qui donne environ 50 à 60 p. 100. Il ne s'agit pas seulement du marché du travail, mais de toutes sortes de questions plus générales dont nous avons parlé. Il y a donc seulement un tiers des Canadiens, environ, qui se sentent essentiellement confiants, optimistes et satisfaits de leur situation.
La tendance générale au cours des dernières années montre qu'on a un point de vue un peu plus optimiste, mais cela ne signifie nullement... Disons que le niveau de confiance des Canadiens n'est probablement pas aussi solide ou optimiste qu'on le penserait en lisant par exemple ce que les économistes et les courtiers disent. Il existe donc un écart entre ce que pensent M. et Mme Tout-le-Monde et les financiers de la rue Bay.
• 1150
Pour ce qui est de ce que les Canadiens attendent des
gouvernements, on voit vraiment émerger des points de vue
distincts. Ils ne veulent plus du modèle de gouvernement qui
envahit tout et contrôle tout, de gouvernements qui vont créer tous
les emplois et leur fournir toutes les compétences nécessaires.
Ce qu'ils veulent de plus en plus, c'est un type de partenariat. Cela peut sembler être un cliché, parce qu'on en entend parler tout le temps, mais c'est très pertinent pour la population. Les gens croient qu'il faut répartir davantage les responsabilités; ils ne croient pas qu'il existe une formule magique ou une panacée.
Ils aiment qu'il y ait un mélange de différents types de stratégies. Ils croient assez fortement, par exemple, qu'il faut mettre en place les principes fondamentaux de macro-économie et assainir nos finances publiques. C'est essentiel, mais ils ne pensent pas que cela entraînera automatiquement une croissance économique ou la création d'emplois. Ils estiment que c'est une condition nécessaire, mais pas suffisante.
Pour ce qui est de la situation actuelle, ils mettent davantage l'accent—beaucoup plus que par le passé—sur ce que nous qualifions «d'outils actifs», qu'on les aide par exemple à acquérir les compétences nécessaires et à se recycler régulièrement, mais qu'on les aide aussi à lancer une petite entreprise, à créer leur propre emploi et à se réinstaller, si c'est ce qu'ils veulent.
Les gens disent qu'on doit d'abord prendre des mesures actives. Ils ne nient pas qu'il nous faudra aussi des mesures passives pour réparer ce qu'on reconnaît comme des dommages collatéraux dans cette nouvelle économie, comme par exemple le cas des travailleurs âgés qui ne reviendront pas sur le marché du travail et celui des jeunes qui n'ont pas beaucoup de compétences et qui éprouveront maintenant de la difficulté à entrer sur le marché du travail. Ils ne disent pas qu'on ne peut pas utiliser des mesures traditionnelles comme le soutien du revenu pour aider ces gens, mais on préfère maintenant de beaucoup qu'on ait d'abord recours à des mesures qui fourniront une sorte de tremplin, et en cas d'échec, on pourra examiner d'autres possibilités.
Je pense qu'il y a là des messages qui se tiennent. Nous les avons réunis, nous leur avons donné des jetons et nous leur avons demandé de répartir 100 jetons entre les diverses stratégies à la disposition du gouvernement, y compris l'ancienne stratégie de création d'emplois, la formation ou la réduction de la dette.
C'est surprenant. Lorsqu'on leur donne le temps d'y penser et d'y réfléchir en groupes, ils présentent un modèle très semblable aux solutions que le gouvernement propose. Ils se sentent vraiment mieux parce qu'ils ont participé à cet exercice. L'un des problèmes, selon eux, vient du fait qu'on ne leur en dit pas assez. Ils ne s'opposent pas aux plans du gouvernement, mais ils estiment qu'on ne leur en parle pas assez. Ils disent qu'on ne les voit pas suffisamment de façon concrète, dans leur vie de tous les jours.
M. Bryon Wilfert: J'aimerais bien un jour avoir plus de détails sur l'insécurité culturelle. Je trouve cela intéressant.
M. Frank Graves: Oui.
Le président: Merci, monsieur Wilfert.
Monsieur Johnston.
M. Dale Johnston: Merci, monsieur le président. Je ne sais trop comment appeler cela autrement que par le nom que vous lui avez donné: participation du gouvernement fédéral à l'acquisition du savoir. Vous semblez avoir sauté cette page.
Le président: Peut-être que c'était si positif, Dale, qu'ils se sont dit que ça se passait d'explication.
Des voix: Oh, oh!
Mme Diane Ablonczy: C'était parmi les deux ou trois dernières diapositives.
M. Dale Johnston: On y dit: «Dans l'ensemble, dans le domaine du savoir, que devrait faire le gouvernement à l'avenir?». Cinquante-neuf pour cent ont déclaré souhaiter que le gouvernement fédéral augmente sa participation. Dans quoi précisément? Dans la formation?
M. Frank Graves: Oui, entre autres, mais lorsqu'on parle d'aptitudes et de connaissances, on parle aussi d'éducation; les gens considèrent que l'éducation et la formation sont des éléments des connaissances et des compétences.
M. Dale Johnston: Est-ce ainsi que les questions étaient formulées?
M. Frank Graves: Oui, la question était formulée exactement comme cela. Les répondants avaient alors le choix de dire qu'ils souhaitaient que le gouvernement augmente, diminue, maintienne ou élimine sa participation.
Il y a deux ou trois choses—que je n'ai pas eu le temps d'aborder—que vous devriez garder à l'esprit pour bien interpréter cette question.
Si je pose cette question au hasard et que certains répondants parlent du gouvernement fédéral alors que d'autres parlent plutôt des gouvernements provinciaux, la réponse est essentiellement la même. Seulement 3 p. 100 des Canadiens ont dit, par exemple: «Cessez de nous aider à acquérir des compétences». Ils ne réclament pas des gouvernements qu'ils fassent tout pour eux, mais ils aimeraient avoir un peu d'aide. Ils ne veulent courir aucun risque et, par conséquent, souhaitent que les gouvernements provinciaux et fédéral continuent de jouer un rôle à ce chapitre.
Soit dit en passant, il en va de même pour bien d'autres domaines. Le public rejette la théorie du cloisonnement étanche, l'idée selon laquelle un palier de gouvernement fera ceci alors qu'un autre fera cela. En fait, ils ne font confiance ni aux politiciens fédéraux, ni aux politiciens provinciaux.
Des voix: Oh, oh!
M. Frank Graves: Ils ne veulent courir aucun risque. Ils ne voient pas d'objection à ce que les compétences soient partagées de façon à ce qu'il y ait une certaine complémentarité, car peut-être qu'un des paliers de gouvernement connaît bien la région alors que l'autre connaît mieux le marché du travail. Ils aimeraient qu'on tente différentes choses, mais ils veulent aussi qu'il y ait une certaine uniformité à l'échelle du pays.
Dans toutes les régions du Canada, on préfère nettement une forme ou une autre de partenariat égal. Selon la région, on préfère toutefois que ce soit le fédéral ou le provincial qui tienne les rênes: les Québécois et les Britanno-Colombiens préfèrent que le gouvernement provincial prenne les devants. Mais dans l'ensemble, partout, on préconise la coopération entre partenaires égaux et respectueux les uns des autres pour aider les Canadiens à s'aider eux-mêmes. On en a assez des guerres de clocher. Les gens disent: «Cessez de vous chicaner et cherchez plutôt des solutions à nos problèmes.».
M. Dale Johnston: Il serait intéressant de demander aux gens s'ils estiment que le gouvernement peut réagir assez rapidement ou s'il tente continuellement de rattraper le marché; si le gouvernement réussit à rattraper le marché et est en mesure de prévoir les besoins en matière de biens, de services, de produits, etc.
M. Frank Graves: J'ai des informations à ce sujet—pas dans ces documents, mais nous avons demandé aux gens dans quelle mesure les gouvernements sont prêts à dispenser des prévisions et des informations sur le marché du travail, des renseignements sur l'offre d'emplois, et s'ils étaient satisfaits de ce qu'on leur offre actuellement. Les réponses étaient mitigées. Très peu de gens mettent tous leurs oeufs dans le même panier et jugent qu'il incombe au gouvernement seul de régler leurs problèmes concernant le marché du travail. Toutefois, ils attendent ce genre d'information, de prévisions du gouvernement. Personne d'autre ne peut les leur fournir et, même si ce que leur offre le gouvernement n'est pas parfait, ils se disent que c'est mieux que rien. Ils aimeraient que le gouvernement améliore son rendement à cet égard, qu'il leur dispense des renseignements stratégiques, par exemple, sur les emplois qui sont offerts, sur les compétences dont ils ont besoin et sur la façon de les acquérir.
M. Dale Johnston: Vous avez probablement étudié cette question—vous avez des données ici sur les derniers mois—mais au cours des dernières années, la confiance de la population a-t-elle augmenté ou baissé?
M. Frank Graves: À l'égard des capacités du gouvernement?
M. Dale Johnston: Oui.
M. Frank Graves: C'est intéressant. Il y a en fait eu une légère reprise. On est encore très blasé et sceptique à l'égard du gouvernement, de sa rentabilité et de son rendement. C'est une autre de ces anomalies apparentes. En dépit du fait que les Canadiens ont une piètre opinion du rendement des gouvernements— comme vous l'avez constaté, on est peu satisfait du rendement des gouvernements en matière de marché du travail—ils ne réclament pas le retrait de l'État, mais plutôt une amélioration de son rendement.
Au cours des trois ou quatre dernières années, la tendance a voulu qu'on invite le gouvernement à reprendre le collier et à aider les Canadiens dans ce domaine. Cette invitation s'est accompagnée toutefois d'avertissements et de conditions, mais les Canadiens veulent voir le gouvernement jouer un rôle à ce chapitre, à la condition que cela se fasse dans le cadre de partenariats, que le plan soit connu du public et qu'on se donne des objectifs. Cela témoigne du fait qu'on souhaite le retour du gouvernement.
Soit dit en passant, ce phénomène s'est accompagné d'une baisse de la confiance à l'égard du secteur privé, du moins des grandes entreprises, au cours des dernières années. Les gens en ont contre les gouvernements et les grandes sociétés, mais depuis quelques années, leur colère s'adresse surtout aux grandes entreprises, peut-être en raison des profits élevés des sociétés et des salaires des présidents de banque, qui sont devenus des irritants. Dans l'ensemble, on estime que le marché et l'État exercent une influence corrosive sur la société canadienne, mais qu'on devrait permettre au gouvernement de jouer un plus grand rôle.
M. Dale Johnston: Une dernière remarque, brièvement. Au sujet des priorités du gouvernement fédéral, il est intéressant de noter que ces sept ou huit grandes priorités, jusqu'à la gestion des ressources naturelles, reçoivent essentiellement la même cote. Je crois que le diagramme en bâton l'illustre mieux que l'autre graphique, qui porte à croire que la différence est plus grande. En fait, en ce qui concerne le niveau d'imposition, par exemple, on constate que la préoccupation des gens à ce sujet n'a baissé que d'environ 17 p. 100. Il m'apparaît important de noter les priorités de la population.
M. Frank Graves: Lorsque j'ai dit que la préoccupation des gens à l'égard du niveau d'imposition est moins importante qu'à d'autres sujets, je ne veux pas pour autant dire qu'elle n'est pas importante. La plupart des Canadiens vous diront qu'ils paient trop d'impôts et qu'on devrait leur accorder une réduction. Mais lorsqu'on compare ces préoccupations aux autres priorités, les Canadiens reconnaissent qu'il faut aussi réduire la dette et aider ceux qui souffrent ou qui ont besoin d'aide en matière d'éducation. Les résultats ne sont pas alors tout à fait les mêmes.
Le président: Merci. Bien sûr, ces questions ont été posées avant le dépôt du budget historique de mardi.
M. Frank Graves: Évidemment.
Le président: Monsieur Nault.
M. Robert Nault: J'ai l'impression que l'insécurité prévaut depuis longtemps, surtout chez les jeunes. Je suis encore assez jeune pour me rappeler avoir connu moi-même cette insécurité lorsque j'étais à l'université ou à mon arrivée sur le marché du travail.
Suivez-vous cette tendance depuis plusieurs années? Les entreprises comme la vôtre surveillent-elles cette tendance depuis, disons, la période difficile des années 80? Ou avons-nous commencé à examiner cela dans les années 60? Pouvons-nous vraiment voir une tendance? J'ai l'impression que la situation n'a pas beaucoup changé pour certains groupes.
La classe moyenne souffre peut-être un peu plus d'insécurité car elle estime que le gouvernement ne dirige pas bien le pays et a perdu le contrôle. Lorsque je regarde votre diagramme, je vois cette baisse radicale sous l'énoncé: «J'ai l'impression de n'avoir aucun contrôle sur mon avenir économique». Ce chiffre était en chute libre en janvier 1998. Est-ce que cela ne nous indique pas que les gens, la classe moyenne, jugent maintenant que les gouvernements commencent enfin à se prendre en main?
En matière d'insécurité, l'attitude des gens et des pauvres ne changera jamais, à mon avis: elle est due à l'éducation, à l'absence de bons emplois et, dans le cas des jeunes, aux hormones. Quels que soient les efforts que fasse un gouvernement, il n'y changera jamais rien, à mon avis.
Pouvez-vous me donner une idée de la tendance à long terme?
M. Frank Graves: Certainement.
À ce propos, je vous ferai remarquer que pour la première fois les gens reconnaissent que les finances publiques ne sont plus en danger de déconfiture totale, que l'État ne risque plus de déposer son bilan. Cela ne suscite certainement pas leur enthousiasme, mais ils sont soulagés, tout au moins, que le FMI ne risque plus d'intervenir et de nous obliger à fermer boutique d'ici un mois. Il leur a fallu du temps pour reconnaître cette réalité, et c'est grâce à cela que nous constatons un certain relâchement de la tension et des doutes sur la capacité du gouvernement de mener sa barque. Ce soulagement s'accompagne d'une légère reprise d'intérêt pour les autres.
Le public est convaincu, dans l'ensemble, que la conjoncture actuelle ne représente pas une amélioration par rapport au passé. Que cela soit vrai ou non, nous constatons qu'un grand nombre de Canadiens estiment que la situation a considérablement empiré et que, d'après la plupart d'entre eux, il y a plus de gens pauvres maintenant qu'il y a deux ou cinq ans. Ils pensent qu'il y a dégradation de la situation économique.
Nous remarquons cependant des différences: on a examiné la question dans les années 60, 70 et 80: l'incertitude est certes un trait constant de notre société—on l'a constaté au cours du dernier demi-siècle—et on a fortement l'impression que cette insécurité a augmenté et qu'elle n'est plus liée aussi directement à des facteurs tels que les indicateurs économiques, en particulier certains des indicateurs macroéconomiques, comme ce l'était par le passé.
C'est ainsi qu'il y a plus de jeunes, actuellement, qui pensent qu'ils ne réussiront pas mieux dans la vie que leurs parents. Dans la génération précédente, la mienne, à une question de ce genre une majorité écrasante de jeunes disaient: «Je compte mieux réussir dans la vie que mes parents», alors que de nos jours les jeunes disent: «Je réussirai peut-être aussi bien qu'eux, mais certainement pas mieux».
Le passé a certes également connu l'anxiété et le manque de sécurité, mais ces sentiments se sont considérablement intensifiés. Après une période exceptionnellement longue de prospérité et de croissance, consécutive à l'expansion que nous avons connue après la Seconde Guerre mondiale et au cours de laquelle se sont mis en place un grand nombre de programmes sociaux au gouvernement et ailleurs, prospérité dont ont profité un grand nombre de Canadiens et de Nord-Américains, on a constaté, au cours des années 80 et pendant la première moitié de notre décennie, une sorte de contraction. On ne peut certainement pas constater un retour à l'optimisme, à la confiance et au dynamisme qui caractérisaient les années 60 et 70, et on peut se demander si cet optimisme n'a pas disparu à jamais.
Je vous ai donné là quelques aspects qualitativement différents, encore que partiellement il ne s'agisse là que de caractéristiques communes de l'anxiété qui règne depuis un bon moment déjà.
M. Robert Nault: Cette crainte de perdre son emploi, vous dites, dans la marge, qu'elle est plus présente au Québec et dans l'Atlantique, parmi les gens peu scolarisés et à faible revenu. Dans quelle mesure y a-t-il une différence à l'est de la rivière des Outaouais? C'est la chose importante, car on a l'impression que cette grande angoisse étreint tous les Canadiens alors qu'en Ontario et plus à l'Ouest, ce sentiment d'insécurité ne semble pas aussi prononcé.
Ma circonscription est la dernière de l'Ontario, tout à fait à l'ouest, et les gens y sont beaucoup plus optimistes: ils sont certains de pouvoir se débrouiller, ils veulent mettre la main à la pâte. J'aimerais savoir si cette différence est très marquée, et si elle se constate au fur et à mesure qu'on va vers l'ouest?
M. Frank Graves: La différence est assez marquée, probablement du même ordre que le taux de chômage, ou davantage. Le pessimisme tend à faire boule de neige, mais on constate effectivement des différences considérables dans la proportion de ceux qui, dans l'est du Canada, déclarent craindre de perdre leur emploi.
Les Ontariens, plus optimistes, sont en fait, avec les Albertains, les plus optimistes du pays. Les habitants de la Colombie-Britannique qui, pendant longtemps, étaient les plus actifs et les plus dynamiques du pays, ont été gagnés maintenant par l'anxiété et l'insécurité, beaucoup plus qu'avant. Ils n'en restent pas moins relativement optimistes, mais ils ont perdu cette avance, cet élan qu'ils avaient alors que dans le reste du pays c'était le marasme. Ce sont maintenant l'Alberta et l'Ontario qui sont gagnés par ce dynamisme, par cette confiance dans l'avenir.
La tendance générale, comme vous le disiez, marque une légère amélioration, une reprise de confiance; sur le marché du travail, l'optimisme l'emporte sur le pessimisme, mais il n'en subsiste pas moins des poches importantes de gens qui...
M. Robert Nault: Dernière question que je voudrais vous poser à cet égard: pourquoi alors n'y a-t-il pas d'insistance sur le développement régional dans les priorités du gouvernement fédéral? Si c'est ce qui se passe dans des régions comme le Québec et les Maritimes, pourquoi ne met-on pas davantage l'accent sur ces questions dans le cas de ces régions? Si l'incertitude règne à ce point, on pourrait penser que le gouvernement chercherait davantage des solutions dans le développement régional, par exemple.
M. Frank Graves: C'est là une bonne question.
Je ne vous ai pas montré le tableau, mais c'est une question que nous avons explorée et où nous avons observé des changements considérables sur une courte période. Nous avons constaté que le pourcentage de Canadiens en faveur d'une nouvelle répartition régionale des richesses a baissé de façon assez marquée au cours des dernières années.
Ce n'était certainement pas l'une des premières priorités, mais l'un des fondements de l'économie politique du Canada, c'était de redistribuer la richesse, par le truchement des paiements de transfert, afin d'aider au développement de certaines régions économiquement plus faibles, de leur assurer un certain niveau de protection et de reconnaître que certaines régions sont en proie à un marasme saisonnier. Ce que nous avons constaté dans la réalité, au cours des dernières années, c'est qu'on se détourne de plus en plus de ce modèle.
On constate également une diminution du soutien donné non seulement aux régions, mais également aux particuliers, par le biais des transferts de richesse. Cela ne tient pas tant à un fléchissement de la solidarité ou à un endurcissement des Canadiens qu'à l'impression que ce n'est pas la bonne façon de remédier aux problèmes. Bien au contraire, beaucoup d'entre eux ont l'impression que loin de résoudre ces problèmes, de telles mesures n'ont fait que les perpétuer.
On vous dira donc, beaucoup plus souvent qu'avant, que les mesures sociales adoptées dans le passé ont encouragé la dépendance, qu'il s'agisse de la dépendance des gens ou des régions, et qu'il serait peut-être bon de changer notre fusil d'épaule. C'est peut-être la raison pour laquelle le soutien en faveur de certains aspects du développement régional a diminué, les gens ayant associé ces mesures avec l'ancien modèle de redistribution de la richesse et n'étant nullement convaincus que cette solution est la bonne.
M. Robert Nault: Je vous remercie, monsieur le président.
Le président: Je vous remercie, monsieur Nault.
Avant de vous donner la parole, madame Brown, je constate qu'une heure tout entière a passé; il faut dire que nous avons mis un certain temps à démarrer, pour certaines raisons évidentes.
Nous allons donc vous demander, monsieur Graves, de bien vouloir répondre un peu plus brièvement, afin que nous ayons le temps d'entendre l'exposé de Statistique Canada.
Je sais que vos questions sont toujours succinctes, madame Brown.
Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président. Vous faites bien de me prévenir, car la concision n'est pas mon fort.
Je vais donc poser mes trois questions l'une à la suite de l'autre, et M. Graves pourra ensuite y répondre.
Je suis contente d'avoir deux sondages juxtaposés dans certains de ces tableaux, montrant l'évolution avec le temps, mais j'aimerais savoir ce qu'il en est des deux qui sont intitulés «Sondage sur l'autoroute de l'information, octobre 1997» et «Repenser le gouvernement, janvier 1997». S'agit-il de deux sondages que votre firme a effectués pour deux clients différents? Au sujet du sondage sur l'autoroute de l'information, par exemple, j'ignore s'il s'appelle comme cela parce que le client portait un nom de ce genre, ou bien parce que vous avez fait ce sondage via Internet et que les répondants étaient tous utilisateurs du réseau et s'y connaissaient donc dans les nouvelles technologies.
C'est ma première question. L'une des raisons pour lesquelles je la pose est que dans tout cela, je ressens une certaine dichotomie, à savoir que la crainte de perdre son emploi est assez élevée parmi les jeunes, ce qui peut être attribuable aux hormones, comme mon collègue l'a insinué, mais je trouve cela très étrange, compte tenu du fait que les jeunes sont également ceux qui sont les plus à l'aise avec la nouvelle technologie. Par conséquent, il me semble qu'à l'aube de l'économie du savoir, ils devraient être les plus optimistes quant aux chances de conserver leur emploi.
• 1210
La véritable question est celle-ci: compte tenu de cette
dichotomie, serait-il possible que les jeunes, qui ont déjà fait
l'expérience de la nécessité d'acquérir de nouvelles connaissances
pour rester dans la course—de nouveaux logiciels, du nouveau
matériel, du nouveau ceci et cela—se rendent compte que le marché
du travail subira des changements tellement nombreux que personne
ne sera vraiment à l'abri? Autrement dit, les jeunes en sauraient-
ils plus long là-dessus que d'autres personnes qui sont optimistes,
mais dont l'optimisme est fondé sur l'ignorance des véritables
changements qui sont imminents?
Ma troisième question porte sur les graphiques 1 et 2, au sujet de l'insécurité financière. Je trouve inexplicable ce bond extraordinaire enregistré en novembre 1997. J'ai beau me triturer les méninges, je ne me rappelle pas ce qui a bien pu se passer en novembre, pas plus que ce qui s'est passé en janvier pour faire chuter ce niveau d'insécurité.
Vous avez laissé entendre que c'était peut-être l'effondrement asiatique. Étant donné le niveau de connaissance des Canadiens en matière d'économie, je trouve difficile à croire qu'un Canadien moyen, répondant à des questions qu'on lui pose, dise «Seigneur, je ferais mieux d'enterrer mon argent dans mon jardin», à cause d'un problème qui a surgi à Singapour. Je ne crois pas que les Canadiens ont fait ce lien. Je pense que cela a plutôt à voir avec leur propre vie. Il n'y a pas eu de mises à pied massives en novembre 1997.
Avez-vous d'autres éléments d'information à nous offrir pour comprendre tout cela?
M. Frank Graves: Je vais essayer de répondre brièvement aux trois questions.
Premièrement, quand on compare les deux sondages, le premier sur le réaménagement du gouvernement et l'autre sur l'autoroute de l'information, les différences ne sont pas attribuables à des différences de méthodologie. On a utilisé le même échantillonnage aléatoire par téléphone et on a posé les questions de la même manière. Les deux sondages sont commandités par un consortium de partenaires. Pour celui qui porte sur l'autoroute de l'information, c'était des partenaires des secteurs public et privé, et quant à l'autre, c'était plusieurs gouvernements des deux niveaux. Je pense donc que les différences sont bien réelles.
Quant à la deuxième question, à savoir si les jeunes en savent plus long sur la technologie, la réponse est oui, absolument. Sont- ils par conséquent plus conscients des fluctuations à la hausse et à la baisse de la technologie? Oui, je crois que c'est le cas. Nous le constatons dans certains groupes.
Il est important de se rappeler que la population active n'est pas homogène chez les jeunes. Il y a des différences très marquées entre un groupe très qualifié—ceux-là se débrouillent aussi bien sinon mieux que leurs parents, quoiqu'ils éprouvent quelques problèmes en termes de délai d'entrée sur le marché du travail—et un autre groupe de jeunes qui ne possèdent pas beaucoup de compétences. En fait, les jeunes hommes peu outillés enregistrent de très mauvais résultats, ils prennent beaucoup de retard.
Donc, les problèmes que nous constatons ici s'expliquent peut- être en partie par la segmentation de la jeune population active, mais ce que vous dites est en partie vrai.
Il y a aussi le fait que dans les groupes que nous avons étudiés, les jeunes font la distinction entre un emploi traditionnel et leur survie financière dans la nouvelle économie, en mettant par exemple davantage l'accent sur du travail contractuel intermittent et à temps partiel, le travail indépendant, etc. Donc, les écarts dans les réactions enregistrées peuvent s'expliquer par le fait qu'ils se demandent, non pas tellement s'ils pourront survivre financièrement, mais plutôt s'ils pourront avoir un emploi à plein temps. Cela peut expliquer certaines différences apparentes.
Quant à la troisième question, au sujet des fluctuations des niveaux d'insécurité, je ne crois pas que cela s'explique simplement par le fait que les gens se disent, par exemple: «Seigneur, la grippe asiatique va faire fondre mes économies». Ce genre de choses peut avoir une certaine incidence momentanée quand c'est amplifié par les médias et par le bouche-à-oreille. Donc, même si les gens ne sont pas directement au courant, cela peut avoir un effet de contagion et une certaine influence.
Je dirais toutefois que le plus important, ce ne sont pas les fluctuations à la hausse et à la baisse, c'est plutôt qu'il y a une tranche de Canadiens—disons 20 p. 100 de ces 30 à 50 p. 100 qui font partie ou sont exclus de cette classe de Canadiens qui disent «Je me sens insécure»—qui ne se sentent pas vraiment tellement en sécurité. Quel que soit l'effet, il ne peut pas être tellement profond s'il incite les gens à passer de la sécurité à l'insécurité de façon chronique. On peut soutenir, sans trop de risque de se tromper, que cette sécurité-là n'est pas très stable. C'est une sécurité assez fragile quand elle existe.
Le président: Merci, monsieur Graves.
Je vais accorder une très brève intervention à Mme Bradshaw.
Mme Claudette Bradshaw (Moncton, Lib.): Il n'arrête pas de me dire cela, mais habituellement, je ne l'écoute pas.
Ce que Rifkin disait, si j'ai bien compris, c'est que c'est très dangereux pour nous, en tant que politiciens, d'écouter seulement les universitaires et les gens d'affaires, surtout ceux de la technologie de pointe. Il nous dit fermement et clairement: si vous n'écoutez pas les gens de la base et si vous n'instaurez pas un sentiment d'appartenance à une communauté, alors ce sera la fin de tout. Voilà ce que j'ai compris de Rifkin.
• 1215
Je vois et j'entends beaucoup de présentations comme membre du
comité... En fin de compte, nous devons faire des recommandations
au ministre et j'ai donc deux questions à vous poser. Premièrement,
quand vous faites cela, écoutez-vous les gens de la base?
Interrogez-vous le jeune à risque, la personne à risque qui est sur
le marché du travail, et qui ne l'est pas en même temps?
Interrogez-vous les assistés sociaux? Ce sont ces gens-là qui nous
coûtent de l'argent, ce sont eux que nous ne semblons pas pouvoir
remettre au travail, et c'est d'eux que Rifkin nous parle, à mon
avis. Combien d'entre eux figurent dans votre document?
C'était ma première question. Voici ma deuxième. Si nous retournons en arrière, à l'époque où nous sommes entrés sur le marché du travail, il y avait alors beaucoup d'emplois et aussi beaucoup d'occasions pour nous. Les gens de ma ville me disent que les banques refusent de leur prêter de l'argent; qu'ils ne sont pas assez importants pour obtenir un petit prêt. Cela revient-il à dire que les petites entreprises vont créer des emplois, mais qu'en même temps, il n'y a rien dans le système pour créer des occasions? Ai-je bien compris?
M. Frank Graves: En réponse à la première question, les échantillons sont aléatoires. Ils sont conçus pour refléter les diverses classes de la société dans les mêmes proportions. Par exemple, 10 p. 100 des gens touchent de l'assurance-chômage et nos échantillons en comportent donc 10 p. 100; c'est ainsi que dans un échantillon de 3 000 personnes, nous aurons 300 personnes au chômage, etc. Comme c'est fondé sur des échantillons nombreux et à répétition, nous avons une assez bonne représentation des divers types ou groupes dont vous avez parlé.
Au cours des séances de discussion en groupe et d'analyses qualitatives dont nous avons parlé, alors que nous réunissons 10 personnes dans une salle, la représentation est encore plus forte, parce que nous réunissons spécifiquement, par exemple, des groupes de jeunes à risque et de jeunes défavorisés sur le plan de l'emploi. Nous faisons une présélection en choisissant par exemple des gens qui disent, je crains de perdre mon emploi. J'ai eu des groupes constitués de ces gens-là seulement et ils sont surreprésentés dans l'interrogatoire en profondeur que nous faisons à cette occasion. Nous avons une assez bonne compréhension de leur situation et de leur point de vue dans tout cela.
Cela m'amène à votre deuxième question; on a certes l'impression que le marché du travail va être très différent. Par le passé, des possibilités existaient dans certains des domaines étudiés.
Un des domaines que j'ai trouvés fort intéressants—cela peut changer—c'est que dans la vingtaine de groupes que nous avons menés auprès de la jeunesse l'an dernier, au sujet de l'emploi, presque personne n'a invoqué la possibilité d'une carrière dans le secteur public. Bien que cela représente presque la moitié de l'économie, on a l'impression qu'il n'y a pas d'emploi du tout. Cela peut peut-être changer avec l'assainissement des finances publiques et plus d'activités dans le secteur public—qui sait?— mais la jeunesse ne mise pas là-dessus.
Rifkin, par exemple, invoque le besoin de faire démarrer et augmenter le secteur du travail volontaire et communautaire. C'est une possibilité intéressante, mais la réaction est mixte. Certains disent que ce ne sera qu'un type de gouvernement à rabais, ou une façon d'économiser, ou un bassin d'emploi pour des travailleurs peu qualifiés en remplacement de... et puis ils s'inquiètent. Mais en général, en considérant l'avenir il y a un niveau élevé de réceptivité envers le secteur tertiaire comme une façon de réaliser des choses qui ne se feraient pas normalement—par exemple, les questions environnementales, et de créer sont un pont vers le marché de travail ou quelque chose relativement plus permanent pour ceux qui n'y auront pas accès.
Pour ce qui est des banques et du travail autonome ainsi que des prêts de démarrage, beaucoup de gens en veulent à leur banque et ils ont dit ce que vous dites, mais il y a beaucoup d'appui pour l'idée du travail autonome. En fait, l'intérêt du public à cet égard dépasse les vraies possibilités, mais il existe aussi une bonne possibilité de faire plus dans ce sens. Des éléments tels que le micro-crédit et des prêts se révèlent assez intéressants.
Le travail rigoureux d'évaluation de cette idée, que nous faisons sous une autre forme, est assez positif. Le travail autonome donne d'assez bons résultats. Cela prévient des débours futurs prélevés sur des comptes sociaux, réduit la possibilité de chômage à l'avenir, et l'idée plaît vraiment aux gens.
Nous avons constaté dernièrement qu'il y a une augmentation importante dans le pourcentage de gens qui signalent qu'ils travaillent à la maison, font du télétravail etc. Ce qui n'est pas évident c'est que, malgré le fait que certains disent que cela constitue du temps supplémentaire non payé et qui gâche la vie familiale, quand nous leur posons des questions, ces gens disent dans une large majorité, «j'aime ça, cela me met en charge de mon avenir, améliore ma vie familiale, mon travail et ma situation économique». Alors je crois qu'il faut se tourner encore davantage vers cette possibilité, surtout parce que la technologie augmente les possibilités à cet égard.
Le président: Madame Chamberlain, nous avons de loin dépassé notre temps.
Mme Brenda Chamberlain: Je voulais simplement vous demander c'est quoi l'âge de la jeunesse? Qui sont «les jeunes»?
M. Frank Graves: Nous utilisons différents seuils, cela comprend les moins de 30 ans et parfois les moins de 24 ans. Dans certains sondages, nous descendons jusqu'à 14 ans, mais normalement, il s'agit de 16 à 30 ou de 16 à 24. J'ai remarqué qu'une agence des services sociaux dans l'Est maintenant définit les jeunes jusqu'à l'âge de 39 ans. Je me suis dit, mais allez «continuez ainsi et je vais revenir à la catégorie des jeunes!»
Des voix: Oh, oh!
Mme Brenda Chamberlain: J'ai trois garçons qui se trouveraient dans cette catégorie. C'est curieux, vous avez dit que les jeunes n'estiment pas qu'ils réussiront aussi bien que leurs parents, mais vous savez, il y a un deuxième aspect à cette question. Si on posait la question à mes enfants maintenant, à leur âge, ils donneraient cette réponse, mais ils ajouteraient en disant, «ce n'est pas cela que je veux». C'est un élément intéressant de cette deuxième question, parce que beaucoup de jeunes disent qu'ils ne veulent pas la nouvelle voiture ou la grosse maison. Cela peut fort bien changer au fur et à mesure qu'ils vieillissent, mais je veux simplement dire qu'il y a un deuxième élément intéressant lié à cette deuxième question, si vous n'y avez jamais pensé.
M. Dale Johnston: Vous devez avoir une grosse maison.
Des voix: Oh, oh!
Mme Brenda Chamberlain: Effectivement, c'est le cas. Nous avons beaucoup d'enfants.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Graves.
M. Frank Graves: Merci beaucoup.
Le président: Nous allons maintenant passer, si je peux me permettre de le décrire ainsi, de la forme au fond, de l'abstrait au pratico-pratique.
Monsieur Petrie.
M. D. Bruce Petrie (statisticien en chef adjoint, Statistiques sociales des institutions et du travail, Statistique Canada): En guise d'introduction, monsieur le président, nous avons essayer de vous préparer une trousse d'information qui indique les tendances globales dans le marché du travail en ce qui concerne l'emploi, le chômage et la participation—les types de tendances qui se reflètent dans l'évolution des sentiments, des attitudes et des opinions dont Frank a parlé.
Ces tendances sont assez familières, mais en présentant ces tendances globales, nous avons tâché d'indiquer certains des changements sous-jacents, moins bien connus, en particulier dans le domaine de l'emploi, qui pourraient vous intéresser.
L'exposé sera présenté par ma collègue, Mme Sunter, qui gère le sondage mensuel sur la population active, dont découlent les chiffres que vous voyez chaque mois sur l'emploi et le chômage.
[Français]
Si vos questions s'avèrent trop difficiles pour nous, deux de nos collègues qui sont ici présents pourront sans doute nous aider. Deborah.
[Traduction]
Mme Deborah Sunter (directrice adjointe, Enquête des ménages, Statistique Canada): Merci, monsieur le président.
Par nécessité et en raison du temps très limité dont nous disposons, je vais vous présenter un tableau assez général, un macro-portrait très global. Il y a beaucoup d'autres éléments qui pourraient être rajoutés dans chaque cas, et j'essayerais d'en signaler certains au fur et à mesure.
Les premiers tableaux ne font que donner le contexte du marché du travail au cours des dernières années. Le premier tableau indique le PNB et la croissance du nombre d'emplois au cours des années 90. Comme tout le monde le sait, il y a un lien étroit entre ces deux tendances. En 1994, le PNB a beaucoup augmenté, et le nombre d'emplois a surgi aussi. En 1997, nous avons vu une croissance très forte au niveau de la production et du nombre d'emplois.
Le tableau suivant montre que cette croissance d'emplois n'a pas été répartie de façon uniforme dans les différents groupes d'âge et les sexes. Comme le comité le sait bien, les femmes adultes s'en sont tirées beaucoup mieux que les jeunes et encore mieux que les hommes adultes en ce qui concerne le taux d'emplois, c'est-à-dire la proportion de la population qui détient un emploi. Cette mesure est utile parce qu'elle fait abstraction des changements de population. La proportion de femmes âgées de 25 à 54 ans a fléchi à peine pendant la récession et augmente maintenant vers des niveaux records. Par contre, la proportion des jeunes au travail a chuté de façon dramatique pendant la récession et n'a pas repris du tout depuis.
Le tableau suivant porte sur le chômage chez les adultes et chez les jeunes; vous voyez qu'il y a des écarts importants entre les deux groupes. Les tendances sont bien connues; le chômage chez les jeunes est traditionnellement plus élevé que chez les adultes. Une des questions qu'on nous pose souvent, c'est si cette tendance ne devrait donc pas nous préoccuper. Est-ce que le chômage chez les jeunes est plus élevé que d'habitude, par rapport au chômage chez les adultes?
Le tableau à droite montre le rapport entre le chômage chez les jeunes et chez les adultes respectivement. Il y a quelque 20 ans, le taux de chômage chez les jeunes était généralement plus élevé que chez les adultes—plus de deux fois plus élevé—mais il faut se rappeler qu'à ce moment-là le chômage chez les adultes était très peu élevé et que les jeunes essayaient d'entrer sur le marché du travail, ce qui fait toujours monter le taux de chômage. Ce qui est intéressant de voir dans ce tableau, c'est l'écart grandissant entre le taux de chômage chez les jeunes et celui chez les adultes, au fur et à mesure que le taux de chômage chez les adultes s'améliore et que le taux chez les jeunes ne bouge pas.
• 1225
Une des tendances importantes dont on parle beaucoup—et on
l'a soulevé à plusieurs reprises ici—c'est l'augmentation du
nombre de travailleurs autonomes. Le nombre de personnes qui
travaillent à leur propre compte augmente depuis un certain temps.
Cette forme de travail connaît un regain depuis environ 20 ans.
Cependant, l'accélération avant était plus lente que celle au cours
des années 90. En effet, le travail autonome représente 80 p. 100
de la croissance du nombre d'emplois pendant les années 1989 à
1997. Il représente maintenant 18 p. 100 de tous les emplois.
Il vaut la peine de signaler que cette augmentation du travail autonome au cours des années 90 a certainement entraîné également un changement dans la nature du travail autonome. Au cours des années 1980, le travail autonome était également à la hausse. Cependant, 60 p. 100 de la croissance visait les personnes qui en employaient d'autres. Il y avait donc des retombées sur le plan de la création d'emplois. Or, au cours des années 1990, seulement 10 p. 100 de l'augmentation du travail autonome avait trait à des personnes qui étaient elles-mêmes des employeurs et qui créaient des emplois pour d'autres. La nature du travail autonome a donc évolué.
Nous nous sommes penchés sur l'aspect qualitatif de ce type de travail, et nous ne l'envisageons pas essentiellement comme un travail de marchands ambulants. En grande partie, on constate la même répartition de catégorie professionnelle qu'ailleurs dans le marché. Ce sont des emplois plutôt bons, mais ils sont occupés par des gens qui travaillent à leur propre compte.
Le prochain tableau nous donne les principaux secteurs auxquels on peut attribuer la croissance de l'emploi pour les années 1990. Rien d'étonnant, compte de la croissance du travail autonome, de constater que les services aux entreprises arrivent en tête, avec plus de 300 000 emplois créés au cours de la période. La croissance nette a eu lieu entièrement dans le secteur des services. Certains secteurs ont nettement perdu du terrain. On songe en tout particulier à l'administration publique. Les secteurs de la fabrication, de la construction, continuent de traîner de l'arrière par rapport au nombre de personnes employées durant les années 1980. Cependant, on constate un revirement, tout particulièrement pour la fabrication, où les anciens sommets ont pratiquement été atteints à nouveau.
Le prochain graphique nous donne la ventilation de l'emploi par professions. Il en ressort très nettement que presque toute la création d'emplois à temps plein au cours des années 1990 a été attribuable aux catégories professionnelles et direction et administration. Les postes de travail de bureau ont beaucoup diminué en nombre et, pour les autres catégories, les augmentations ou les diminutions n'ont été que fort modestes. Voilà qui confirme certainement que les emplois reviennent à ceux qui ont les plus fortes compétences.
Le prochain graphique illustre l'importance des emplois destinés aux travailleurs du savoir. À DRHC, on a divisé les compétences professionnelles en quatre groupes. D'après les données, les travailleurs du savoir ont connu une croissance au moins deux fois supérieure à celle des travailleurs des données et cette croissance a été certainement beaucoup plus forte que pour les travailleurs qui participent à la transformation de matériaux en produits.
Pour l'avenir, on ne sera pas étonné de constater que la demande de travailleurs continuera d'être forte. Ainsi, par rapport au niveau de scolarisation, il est prévu que l'emploi augmentera à un taux moyen annuel de 2,5 p. 100 pour ceux qui ont un diplôme universitaire alors qu'il baissera annuellement pour ceux qui n'ont pas de diplôme d'études secondaires.
Aujourd'hui, lorsque l'on parle du marché de la main-d'oeuvre on parle souvent du taux d'activité. Le prochain graphique illustre d'une façon très générale les taux d'activité. Nous savons bien que dans une perspective à long terme, les hommes plus âgés quittent la population active en nombre croissant et réduisent ainsi leur taux d'activité. Celui des femmes adultes est par ailleurs à la hausse. Dans le cas des jeunes, on a constaté récemment une baisse d'activité.
• 1230
Si j'aborde cet aspect, c'est parce que j'aimerais m'attarder
sur certains fléchissements récents du taux d'activité pour essayer
de déterminer certains des facteurs explicatifs. Je crois que nous
comprenons assez bien la tendance à long terme. Cependant, elle
continue de susciter beaucoup de discussion. S'il est vrai que le
taux d'activité fléchit toujours lors d'une récession, on peut se
demander pourquoi il n'a pas augmenté. Peut-on croire, par
ailleurs, que la baisse nous signale l'existence de plusieurs
centaines de milliers de travailleurs découragés?
Le tableau de la page 11 donne une ventilation de la baisse récente du taux d'activité. Cette baisse est légèrement inférieure à 3 p. 100. Si nous supposons que la composition de la population ne varie pas, nous pouvons constater que pratiquement les deux tiers de la baisse du taux d'activité est attribuable aux jeunes, et que presquÂun autre tiers est attribuable aux personnes de 55 ans et plus. Seulement 10 p. 100 de la baisse est lié aux groupes d'âge intermédiaire.
Le prochain graphique nous permet de constater que la baisse du taux d'activité chez les jeunes est largement attribuable à la fréquentation scolaire. Il s'agit d'une tendance à long terme. Elle n'a pas pris plus d'ampleur au cours des dernières années, mais elle se poursuit certainement. En 1997, 62 p. 100 des jeunes fréquentaient l'école, soit une augmentation par rapport aux 50 p. 100 d'il y a sept ans. Il s'agit là d'une proportion record. De toute évidence, il est beaucoup moins probable que les jeunes participent à la population active, ce qui a un effet modérateur sur les taux d'activité.
Pour ce qui est maintenant de l'autre extrémité de l'échelle d'âges, les personnes âgées de 55 ans et plus quittent également la population active. Comment cela se fait-il? S'agit-il d'un phénomène de découragement? Les occasions manquent-elles?
Nous savons certainement qu'il y a eu un fléchissement de l'âge de la retraite chez les Canadiens. Le graphique nous permet de constater que la baisse ne coïncide pas vraiment avec le phénomène de la récession et du manque d'occasions d'emplois puisqu'elle a commencé en 1997 lors d'une période de croissance économique. Par conséquent, le fléchissement est probablement lié de plus près aux possibilités de retraite qu'au marché de la main- d'oeuvre en tant que tel.
Nous disposons de certains renseignements au sujet des raisons qu'invoquent les gens lorsqu'ils prennent leur retraite. Au tableau suivant, nous pouvons constater que pour les personnes qui ont pris leur retraite au cours de la période 1983-1988, une période d'expansion, et celles qui ont pris leur retraite au cours de la période 1989-1994, soit une période surtout caractérisée par une récession ou une très faible croissance, les raisons invoquées pour prendre la retraite n'ont pas beaucoup changé d'une période à l'autre. Il vaut toutefois la peine de signaler que le chômage et l'incitation à une retraite hâtive occupent une place plus grande parmi les raisons invoquées. Elles continuent toutefois d'avoir relativement peu d'importance par rapport à l'ensemble des autres raisons.
L'enquête sur la population active nous donne une mesure directe du découragement par rapport au marché du travail. Dans le cas des jeunes et des adultes, il semble qu'il soit très difficile d'expliquer le découragement simplement en fonction de la baisse des taux d'activité. Comme mesure directe, on pose certaines questions à des personnes qui n'ont pas d'emploi. On leur demande si elles veulent du travail et pourquoi elles n'en ont pas cherché. Si elles déclarent qu'elles voulaient du travail mais n'en ont pas cherché parce qu'elles ne croyaient pas pouvoir trouver quelque chose d'acceptable, nous les qualifions de découragées. En 1997, cette catégorie comptait 110 000 personnes.
Il est donc intéressant de pouvoir ajouter ce facteur au taux de chômage pour obtenir une mesure plus générale du chômage. Le tableau suivant permet de constater que la différence est importante: à l'échelle nationale, on constate une augmentation d'à peu près 0,5 p. 100 du taux de chômage.
J'aimerais maintenant m'éloigner un peu de ces indicateurs macro-économiques d'ordre général et passer à certains aspects comme le volume, la distribution et la qualité du travail, tout en vous précisant une fois de plus que je ne vous brosse qu'un tableau général, puisqu'il serait trop long de vous donner tous les détails.
• 1235
Tout d'abord, la croissance de l'emploi à temps partiel est un
phénomène bien connu. Cette croissance ne date pas d'hier. L'emploi
à temps partiel augmente par paliers durant les périodes de
récession, mais il ne connaît aucun recul en période d'expansion.
Il s'agit donc d'un accroissement progressif et il s'est poursuivi
au cours de la présente décennie. Nous en sommes pour le moment à
une sorte de plateau en matière de travail à temps partiel. En
1997, environ 19 p. 100, soit pratiquement une personne sur cinq
occupaient un poste à temps partiel. Les personnes travaillant à
temps partiel sont définies comme étant celles qui travaillent
habituellement moins de 30 heures à leur emploi principal.
On peut se demander si cette proportion est relativement bonne ou mauvaise. Une façon de le savoir, c'est de demander aux gens s'ils souhaitent travailler à temps partiel. À cet égard, il vaut la peine de savoir que les deux tiers des personnes qui travaillent à temps partiel souhaitent le faire: il s'agit d'un travail complémentaire par rapport à des activités scolaires, des activités de garde d'enfants, ou autre chose. Cependant, nous avons pu constater avec le temps une augmentation progressive de la proportion des travailleurs qui occupaient involontairement un poste à temps partiel. En 1995, cette proportion était de l'ordre de 6 p. 100.
Le graphique suivant a trait au nombre d'heures de travail. La distribution englobe aussi bien le petit nombre d'heures que le grand nombre d'heures de travail. Nous pouvons constater une certaine polarisation. Environ 57 p. 100 seulement des personnes ont une semaine de travail qui pourrait être qualifiée de normale— comptant entre 35 et 40 heures de travail. Un grand nombre de travailleurs se situent à l'un ou l'autre des pôles. Lorsqu'on pense à modifier la distribution des heures de travail, on se demande inévitablement dans quelle mesure la chose est possible.
Certains indices montrent que si l'on voulait répartir les heures en faisant appel à des volontaires ce pourrait être assez difficile. Chose étonnante, très peu de gens veulent réduire leurs heures de travail: 7 p. 100 au total veulent travailler moins d'heures et 28 p. 100 veulent travailler davantage. Les autres sont satisfaits de leurs heures de travail.
J'ai divisé les groupes en travailleurs à temps partiel et en travailleurs à plein temps, parce que cette répartition serait nettement. On se serait attendu à ce que les travailleurs à plein temps veuillent réduire leurs heures, mais c'est le cas de très peu d'entre eux, un sur dix seulement. D'autres études menées par Statistique Canada ont porté sur la possibilité d'accorder ces heures à des gens qui en avaient besoin, mais il est si difficile d'assortir les postes de travail et les compétences et l'expérience qu'on ne peut pas de cette manière procéder à une vaste redistribution.
Un autre aspect de la question des heures et de la répartition du travail est le cumul d'emplois. Combien de travailleurs ont plus d'un emploi? Leur nombre augmente certainement. Il est maintenant d'environ 600 000. Il y a 20 ans, il représentait 2 p. 100 de tous les travailleurs et en constitue maintenant 5 p. 100. Leur nombre a atteint un plateau dans les années 90, peut-être en raison du peu de possibilités de décrocher un deuxième emploi. Quoi qu'il en soit, leur nombre croît maintenant moins rapidement.
Toutefois, de nos jours, le profil de ceux qui détiennent plus d'un emploi diffère grandement de celui de ceux qui faisaient de même dans les années 70. À cette époque-là, il s'agissait pour la plupart de travailleurs masculins à plein temps dans le secteur des biens, des travailleurs qui, pour la plupart, travaillaient le jour et dans la soirée. Dans les années 90, il peut très bien s'agir de femmes et il est beaucoup plus probable qu'elles travaillent dans le secteur des services. Bon nombre de ces travailleurs combinent des emplois à temps partiel pour travailler un nombre d'heures suffisant pour équivaloir à un emploi à temps plein.
Un autre aspect de la qualité du travail, naturellement, nous serons tous d'accord pour en reconnaître la grande importance, c'est la rémunération. La façon dont la rémunération est répartie entre les groupes importe beaucoup. Si la rémunération augmente mais qu'elle n'est pas également répartie, cela peut contribuer à l'intensification d'un sentiment d'insécurité et de recul sur le marché du travail.
Le premier tableau est une illustration d'une répartition indexée de la rémunération par groupes d'âge chez les travailleuses. Nous ne comparons donc que la situation de femmes par rapport à d'autres femmes et la situation des femmes au fil du temps. Ces taux de rémunération ont été rajustés pour tenir compte de l'inflation.
Mme Bonnie Brown: Pouvez-vous décrire ce tableau?
M. Robert Nault: Que signifie ce rapport de 200 à 80?
Mme Deborah Sunter: C'est un indice. Ce que nous cherchons vraiment à savoir, c'est, par rapport à 1969, ce qu'il est advenu de la rémunération de ces différents groupes d'âge. Par rapport à la situation d'un groupe d'âge donné en 1989, la rémunération réelle a-t-elle augmenté ou a-t-elle diminué? Constate-t-on des différences dans ces tendances parmi les groupes d'âge chez les femmes? Le point de repère n'indique pas de valeurs en dollars. Il n'est ici question que de tendances relatives.
Manifestement, il y a eu un étalement de cette répartition, ou un fossé grandissant, entre la rémunération des jeunes femmes et de leurs aînées. Chose certaine, ce qu'il faut souligner à propos de ce tableau, parce qu'on ne le verra pas sur le prochain, c'est que, pour un grand nombre de groupes d'âge, la rémunération des femmes a beaucoup augmenté comparativement à ce qu'elle était il y a 20 ans.
Si l'on passe au tableau suivant, il porte sur la même chose, c'est-à-dire que l'on compare la rémunération des hommes par groupes d'âge au fil du temps, et que ces données sont rajustées pour tenir compte de l'inflation. On constate à nouveau un important élargissement de l'écart entre la rémunération des jeunes travailleurs et de leurs aînés.
Toutefois, une autre chose distingue ce tableau de celui qui concerne les travailleuses, c'est-à-dire qu'il y a un véritable aplanissement ou une stagnation de la rémunération des travailleurs masculins adultes. Ce n'est pas parce que la rémunération des hommes adultes augmente et que celle des jeunes hommes n'augmente pas. C'est pire encore. La rémunération des travailleurs masculins adultes demeure inchangée et celle de leurs cadets diminue.
Ces taux de rémunération sont calculés pour tous les travailleurs, qu'ils travaillent ou non à temps plein et à longueur d'année. Il peut s'agir de travailleurs à temps partiel, de travailleurs saisonniers.
Il est bien certain que l'un des facteurs sous-jacents qui expliquent ces tendances est le nombre d'heures de travail. C'est un facteur important. De façon générale, les femmes travaillent de plus en plus d'heures et leurs semaines sont de plus en plus longues. Les hommes jeunes ont un peu plus de mal à obtenir les heures de travail qu'ils souhaitent. Pour les hommes jeunes, les taux de rémunération diminuent aussi. On pourrait ainsi expliquer en partie cet écart.
La rémunération ne se limite pas strictement aux salaires mais comporte aussi un autre aspect important, soit les avantages sociaux liés à son emploi. Nous n'avons pas de données sur les tendances qui pourraient me permettre de vous dire si les choses s'améliorent ou non, mais j'ai quand même quelques renseignements provenant d'une étude de 1995 qui donnent à penser que ceux qui sont mieux payés ont plus d'avantages, ce qui n'est pas étonnant. Plus vous montez dans l'échelle de la rémunération horaire, meilleures sont vos chances de bénéficier de toutes sortes d'avantages, des vacances payées à la caisse de retraite.
La dernière section de cet exposé porte sur la sécurité d'emploi. Nous avons beaucoup entendu parler de l'opinion que les gens se font de la sécurité d'emploi. Si l'on se fie à une étude qui permet de mesurer les changements au fil du temps, on comprend qu'il y a un fort taux de roulement. Une étude longitudinale montre qu'en 1994, sur toute l'année, 36 p. 100 des travailleurs ont obtenu un nouvel emploi, en ont quitté un ou ont changé d'emploi pendant l'année—ce qui est un taux de roulement considérable. Cette situation peut certainement contribuer à un sentiment d'insécurité.
Dans le tableau suivant, nous avons des données portant sur plusieurs années. Il indique la proportion de gens dans une entreprise quelconque qui au cours d'une année sont remerciés ou qui quittent l'entreprise ou qui ont été embauchés par cette entreprise dans cette même année. Il ne s'agit pas là des seuls cas de transition—je n'ai pas inclus les mises à pied temporaires dans ce tableau, ni les départs attribuables à d'autres raisons—mais ce sont là les principaux cas, parce qu'on semble avoir de plus en plus l'impression que les travailleurs risquent surtout d'être congédiés pour de bon alors que les données ne justifient pas vraiment cette impression. Le risque est élevé, mais il l'est quand ça va bien et quand les choses vont mal. Il en est ainsi depuis bien longtemps. On ne constate pas d'accentuation de cette tendance.
Ce qui est préoccupant, toutefois, c'est que si l'on perd son emploi, le taux d'embauche est faible. Il est sans doute beaucoup plus difficile de retrouver du travail.
• 1245
Quant au tout dernier tableau, encore là nous n'avons pas de
données longitudinales ni historiques montrant la proportion de
gens qui ont un emploi temporaire ou saisonnier ou qui travaillent
à contrat. Nous venons tout juste de commencer à recueillir ces
données de façon mensuelle et nous allons en réunir une série.
Néanmoins j'estime qu'il est intéressant de souligner qu'en 1997,
13 p. 100 de tous les travailleurs occupaient ce qu'on pourrait
appeler des «postes non permanents». Il s'agissait d'emplois
temporaires, d'emplois d'une durée déterminée, de travail à contrat
ou de travail saisonnier.
En moyenne, au fil de l'année, les travailleurs saisonniers représentent 3 p. 100 de tous les travailleurs. Je suis sûr qu'en été ce chiffre serait beaucoup plus élevé, mais c'est une moyenne pour l'année. Naturellement, tout dépend de la province où l'on se trouve, ou du fait que le travail saisonnier et le travail temporaire constituent une part plus ou moins importante de votre marché du travail. Il y a beaucoup de différences de l'est à l'ouest.
Cela dit, je conclus ici mon exposé. Merci, monsieur le président.
Le président: Très bien, je vous remercie.
Monsieur Nault.
M. Robert Nault: Je voulais vous poser des questions au sujet du travail autonome. À propos du taux de bénéficiaires par rapport au nombre de chômeurs, on constate que 42 p. 100 des Canadiens, ou 42 p. 100 environ ce mois-ci, sont admissibles à des prestations d'assurance-emploi. Nous n'arrivons pas à comprendre comment cela se fait. Naturellement, l'opposition laisse entendre que c'est parce que le régime d'assurance-emploi a été modifié en profondeur, et que par conséquent on n'est plus jugé admissible. Si les tendances sont si nettes du côté du travail autonome, est-ce que le travail autonome est inclus dans ces statistiques eu égard à cette équation que nous utilisons, soit les bénéficiaires par rapport aux travailleurs?
J'essaie de comprendre cette baisse frappante...sauf que quand on va dans les provinces atlantiques on constate que le taux est encore de 79 p. 100. Je ne vois vraiment pas comment le taux, à l'échelle nationale, peut être de 42 p. 100 environ et que dans les provinces Atlantiques, où le taux de chômage est le plus élevé et où l'on compte beaucoup de travailleurs saisonniers...est-ce qu'il n'y a pas une tendance vers le travail autonome, tout comme dans le reste du Canada?
Plusieurs questions s'entrecroisent ici. J'essaie d'éclaircir cette notion du travail autonome.
M. Bruce Petrie: Je pense que le rapport dont vous parlez c'est le nombre de personnes qui touchent régulièrement des prestations d'assurance-emploi...
M. Robert Nault: Les prestataires par rapport aux chômeurs.
M. Bruce Petrie: ...exprimé en pourcentage du nombre de personnes qui, dans l'étude sur la population active, sont considérées comme sans emploi. C'est actuellement un peu plus de 40 p. 100.
Dans l'étude sur la population active, nous ne recueillons pas d'information sur les prestataires d'assurance-chômage. Mais ce rapport ne signifie pas, quand nous disons que 1,5 million de personnes sont sans emploi à un certain moment, que 600 000 des personnes que nous considérons comme sans emploi touchent des prestations d'assurance-emploi. Certaines personnes que nous considérons comme sans emploi ne touchent pas de prestations. Certaines personnes que nous considérons comme ne faisant pas partie de la population active touchent des prestations.
Donc on compare deux chiffres. C'est un bon indicateur, mais ils ne proviennent pas de la même source, c'est pourquoi il faut se montrer prudent dans l'interprétation qu'on peut en donner.
Toutefois, évidemment, ce rapport a diminué, et il fluctue. Il est arrivé à maintes reprises qu'à Terre-Neuve il y ait beaucoup plus de personnes touchant des prestations d'assurance-emploi qu'il ne figure de chômeurs dans l'étude sur la population active. Dans d'autres provinces, il peut arriver au contraire que le pourcentage soit bien moindre.
Actuellement, le pourcentage global a diminué. Diverses raisons l'expliquent, qui ont trait à l'admissibilité aux prestations et à la durée de celles-ci et tout simplement aussi à la nature des changements administratifs apportés au programme. Mais à partir de l'étude sur la population active, nous ne pouvons pas, compte tenu des données que nous avons jusqu'à maintenant, dire exactement quels sont les facteurs qui ont contribué à ce déclin. Ils sont manifestes, mais nous ne pouvons pas les quantifier...
M. Robert Nault: Je voudrais savoir, étant donné l'importance frappante du travail autonome dans les statistiques sur l'emploi, si ce chiffre ne va pas continuer de diminuer parce que les travailleurs autonomes canadiens ne peuvent pas toucher de prestations d'assurance-emploi? Cette équation, ce pourcentage que l'opposition et les médias ne cessent de rappeler signifie que nous en tant que gouvernement ne nous préoccupons plus des chômeurs, parce que cela a beaucoup diminué dans les années 80 et 90, et c'est parce que le système d'assurance-emploi est structuré de telle manière qu'on ne peut pas toucher de prestations parce que les critères d'admissibilité sont beaucoup plus stricts. Est-ce que ce n'est pas, en réalité, parce que les travailleurs autonomes représentent une part de plus en plus grande de la population active? C'est ce que j'essaye de comprendre, étant donné que vos tableaux montrent nettement qu'on est passé d'un peu plus de 12 p. 100 en 1967 à 18 p. 100 en 1997. Cela représente un grand nombre de travailleurs autonomes, qui n'ont jamais eu droit à l'assurance-emploi.
M. Bruce Petrie: Cela pourrait avoir un certain effet, mais pas aussi important que vous semblez le penser, parce que la baisse du rapport dont vous parlez est survenue à une époque où l'on n'a pas enregistré une forte croissance du nombre de travailleurs autonomes.
M. Robert Nault: D'accord. Merci.
Le président: Madame Ablonczy.
Mme Diane Ablonczy: J'aimerais vous poser quelques brèves questions.
Cet acétate montre que le travail autonome est le moteur de la croissance de l'emploi, et vous avez ventilé les secteurs d'emploi. Est-ce que cela a encore trait au travail autonome?
Mme Deborah Sunter: Non. Le tableau suivant traite de l'emploi total, mais il est certain qu'étant donné qu'au cours de cette même période la croissance de l'emploi est attribuable à 80 p. 100 au travail autonome, il existe un rapport étroit entre la croissance du travail autonome et celle des services aux entreprises.
Mme Diane Ablonczy: Mais vous n'en avez pas fait la ventilation en tant que tel.
Mme Deborah Sunter: C'est juste.
Mme Diane Ablonczy: Pour ce qui est du tableau selon lequel la demande pour les travailleurs hautement qualifiés devrait continuer à augmenter le plus rapidement, est-ce qu'une étude montre dans quel secteur de l'économie ou pour quelles qualifications la demande sera la plus forte à l'avenir? Y a-t-il une étude à ce sujet?
Mme Deborah Sunter: Je pense qu'il faudra poser la question aux représentants du ministère du Développement des ressources humaines. Ils utilisent de l'information sur les tendances de l'industrie et les tendances de l'emploi et ils effectuent des projections de la demande en tenant compte des niveaux de qualifications et des groupes professionnels. Je pense qu'ils seraient en mesure de vous fournir des renseignements détaillés concernant l'évolution de la demande.
Mme Diane Ablonczy: C'est donc un autre groupe auquel nous poserons la question.
Mme Deborah Sunter: Oui.
Mme Diane Ablonczy: Sur ma diapositive où l'on voit que 110 000 personnes ont dit vouloir travailler mais n'ont pas cherché de travail, il y a deux barres: l'une indique qu'ils n'ont pas cherché parce qu'ils étaient découragés et l'autre parce qu'ils étaient sans emploi. Je ne vois pas très bien ce que vous vouliez dire par là.
Mme Deborah Sunter: Non, c'est simplement une barre qui montre la différence entre l'importance du groupe des travailleurs découragés et celle du groupe des sans emploi. Il s'agit ici de montrer l'ampleur du groupe des travailleurs découragés par rapport aux chômeurs.
Mme Diane Ablonczy: D'accord.
La dernière question que j'ai à poser n'a pas directement trait aux acétates. On a fait mention de l'écart entre les hauts salariés et les gagne-petit, les riches et les pauvres. Je sais que l'écart est en quelque sorte comblé par les transferts entre les groupes au moyen du régime fiscal et du filet de sécurité sociale et d'autres mesures, mais une fois qu'on a tenu compte de tout cela, pouvez-vous m'indiquer à quelle rapidité s'élargit cet écart?
M. Bruce Petrie: Je pense que vous faites allusion à la polarisation, si l'on peut dire, des revenus et à sa compensation, dans une certaine mesure, par le revenu tiré du système de transferts. Est-ce bien ce que vous voulez savoir?
Mme Diane Ablonczy: Non, mais une fois qu'on a tenu compte de tous ces facteurs, à quelle vitesse s'élargit le fossé entre les riches et les pauvres?
Mme Deborah Sunter: Le revenu après impôt.
M. Bruce Petrie: C'est une question difficile à laquelle un de mes collègues assis derrière moi est beaucoup mieux placé pour répondre. Si M. Picot veut bien venir à la table, il pourra probablement vous répondre étant donné qu'il a fait des études sur cette question.
Mme Diane Ablonczy: Cela peut être important quand on veut avoir une idée d'ensemble de la situation.
M. Garnett Picot (directeur, Direction de l'analyse du marché du travail et des affaires, Statistique Canada): Je m'appelle Garnett Picot, directeur de l'analyse du marché du travail et des affaires à Statistique Canada.
On constate qu'après avoir tenu compte de toutes les sources de revenu, y compris des paiements de transfert, il n'y a pas d'élargissement de l'écart entre les riches et les pauvres au Canada, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, où le fossé s'élargit de façon assez remarquable.
Ce que l'on constate au Canada, c'est que le marché du travail, la répartition des revenus, surtout au début des années 80, ont contribué à l'élargissement des différences entre les revenus gagnés sur le marché du travail, mais une fois qu'on inclut les transferts, ce fossé disparaît. Il n'y a donc pas d'accentuation de l'iniquité au Canada au niveau des familles une fois que l'on tient compte de toutes les sources de revenu.
Mme Diane Ablonczy: Je vous remercie pour cette information.
Le président: Madame Brown.
Mme Bonnie Brown: Je tiens à revenir sur ce point, monsieur le président. Le témoin nous dit que l'écart ne s'élargit pas entre les riches et les pauvres au Canada, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis.
De quand datent vos statistiques? Nous avons entendu un exposé—je m'en souviens d'autant mieux que c'était à une de ces séances à 7 h 30 du matin, que je déteste mais auxquelles je dois bien me rendre si je veux en tirer parti—un exposé donc d'un type qui disait qu'alors qu'autrefois les programmes sociaux du Canada, avant qu'on les réduise, avaient bien servi la société en empêchant un élargissement du fossé entre les riches et les pauvres, la réduction des programmes sociaux à laquelle le fédéral et les provinces étaient en train de procéder à l'époque, il y a 18 mois environ, commencerait à révéler avec le temps une accentuation de ce fossé, tout comme ce fut le cas aux États-Unis.
Autrement dit, les récents modes d'administration, qui s'inspirent davantage du modèle américain, mettront en lumière l'accentuation d'un écart entre les riches et les pauvres que de nombreux observateurs sociaux dénoncent déjà.
De quand datent vos statistiques qui montrent que l'écart ne s'accroît pas entre les nantis et les démunis?
M. Garnett Picot: Les données dont je parle remontent à 1995.
Mme Bonnie Brown: C'est intéressant.
M. Garnett Picot: Bien des gens partagent votre opinion, à savoir qu'on pourrait constater qu'il est survenu des changements en 1996 et en 1997 surtout. Nous n'avons pas les données concernant 1997.
C'est vrai qu'en 1995 et en 1996 aussi, me semble-t-il, la proportion de la population à faible revenu a augmenté, en effet, et c'est là un des aspects de l'inégalité. Cependant, s'il s'agit de l'écart entre les riches et les pauvres, c'est-à-dire de l'objet de nos propos, ou des manifestations de cette inégalité, il n'y en a vraiment aucun signe jusqu'en 1995 inclusivement. Je ne suis pas trop sûr pour ce qui est de 1996, à vrai dire.
Mme Bonnie Brown: Évidemment, tout ceci m'intéresse puisque je suis députée de l'Ontario et que nous avons devant nous les statistiques d'avant l'époque Mike Harris. Ce sera très intéressant de voir l'impact qu'aura l'importante population de l'Ontario sur les statistiques nationales.
Je ne sais pas si vous pouvez le faire mais, à l'avenir, si vous pouviez suivre l'Ontario pour nous, il serait très intéressant de voir l'écart qui s'est creusé pendant les quelques dernières années—enfin, quand vous réussirez à colliger l'information.
Le président: Si vous me permettez d'intervenir, je crois que d'après un article dans le Globe and Mail de lundi dernier, on disait qu'en étudiant la chose province par province, l'écart s'était, en effet, creusé dans toutes les provinces sauf le Manitoba.
M. Garnett Picot: Je n'ai pas vu cet article. Ça ne concorde certainement pas avec ce que nous avons pu observer.
Comme je le disais, cela dépend de l'interprétation que l'on fait de la distribution. S'il s'agit de la proportion de gens à faible revenu, elle a augmenté en 1995 et en 1996 même si, normalement, on se serait attendu à ce qu'elle diminue à cause du point où nous en sommes rendus dans le cycle des affaires. Lorsque les conditions s'améliorent, on s'attend à ce qu'elle diminue.
S'il s'agit de mesurer l'inégalité, soit l'écart entre les riches et les pauvres, cet écart n'augmente pas et n'a pas augmenté au Canada pendant la décennie des années 80 quand il y a eu une énorme augmentation aux États-Unis.
Mme Bonnie Brown: Mais il y a plus de pauvres parmi nous. L'écart est à peu près le même, mais il y a plus de gens en dessous du seuil de la pauvreté.
M. Garnett Picot: La proportion des gens à faible revenu augmente, en effet.
Mme Bonnie Brown: Merci.
Je reviens donc à la question que je voulais poser avant ce petit aparté. Il y a deux tableaux que je trouve particulièrement intéressants. Tout d'abord, celui selon lequel peu de travailleurs préféreraient une diminution du nombre d'heures de travail tandis que beaucoup aimeraient en faire plus.
Lorsque vous avez posé cette question, avez-vous pris le soin de demander combien d'argent cela pouvait représenter? D'après ce que je crois comprendre, il y a beaucoup de gens qui estiment travailler un nombre d'heures trop élevé. Si ces gens sont salariés, ils ont l'impression qu'ils ne peuvent pas se plaindre parce qu'on peut facilement les remplacer par quelqu'un qui travaillera 60 heures par semaine. Si ce ne sont pas des salariés, s'ils sont payés à l'heure, dans certains cas il n'y pas eu d'augmentation de salaire et la valeur de leur rémunération horaire a diminué à cause de l'inflation. Donc, pour pouvoir respecter leurs engagements financiers, comme une hypothèque ou encore nourrir et vêtir leurs enfants et ainsi de suite, ces gens-là doivent travailler toutes ces heures juste pour boucler le budget à la fin du mois.
• 1300
Je comprends donc pourquoi ces gens-là ne voudraient pas
travailler moins d'heures: ils ne veulent pas se dérober à leurs
obligations financières, ils ne veulent pas déclarer faillite et
ils ne veulent pas voir augmenter le fardeau de leur dette
personnelle tous les mois tout simplement parce qu'ils ne font pas
assez d'heures.
Mais avez-vous déjà demandé à des gens qui travaillent pour une compagnie, disons, s'ils étaient prêts à travailler moins d'heures pour, peut-être, un peu moins d'argent sans que cette diminution soit nécessairement proportionnelle au nombre d'heures.
J'ai vu des études selon lesquelles les gens préféreraient travailler quatre jours semaine, mais ils comprennent quelles répercussions cela pourrait avoir au niveau du chômage parce qu'il faudrait embaucher des gens pour faire tourner l'économie pendant cinq jours semaine. Ils seraient donc prêts à perdre un peu d'argent à cette fin.
Et quand on fait le lien entre ça et les salaires scandaleux comme ceux des présidents de banque et de gens qui vivent comme des potentats arabes chez nous tandis que d'autres sombrent dans la pauvreté, il me semble qu'il y a une marge de manoeuvre pour assurer une certaine redistribution de la richesse qui permettrait à plus de gens de s'intégrer à la main-d'oeuvre active tout en permettant à d'autres de ne travailler que 37,5 heures par semaine au lieu de 60. À quel point est-ce un reflet fidèle de ces diverses nouvelles idées qui circulent un peu partout?
Mme Deborah Sunter: Tout d'abord, dans le cas de cette question précise, j'ai oublié de dire que c'était à condition que le taux horaire reste le même. C'est donc dire que si l'on travaille moins d'heures...
Mme Bonnie Brown: On gagne moins d'argent.
Mme Deborah Sunter: ...on va perdre de l'argent.
Mme Bonnie Brown: Exactement.
Mme Deborah Sunter: Et si vous travaillez davantage, vous ferez plus d'argent. Voilà la clé lorsqu'il s'agit de comprendre comment les gens y ont répondu.
Nous colligeons des renseignements sur le nombre d'heures de surtemps travaillées sans rémunération et, dans notre pays, il y a autant de ces heures que d'heures de surtemps rémunérées. Je crois qu'il est important de se demander comment on pourrait répartir différemment le surtemps non rémunéré pour faire diminuer le chômage puisque le travail est effectué gratuitement et qu'il n'y a donc pas de rémunération à partager.
Mme Bonnie Brown: Et il y a la peur de l'insécurité économique. Les gens ne résisteront pas au patron en disant: «Non, j'ai déjà travaillé 48 heures cette semaine, ce qui est l'équivalent de six jours et je ne vous en donnerai pas 12 de plus». Ils savent qu'il y a un tas de chômeurs affamés, très bien formés et jeunes qui aimeraient bien travailler toutes ces heures, qui ont l'énergie de le faire, et qui veulent le faire. Ces jeunes les remplaceraient. Je crois que tout cela découle de l'insécurité économique.
Mme Deborah Sunter: Je suis sûre qu'il y a bien des histoires et bien des données et je ne peux certainement ni les réfuter ni les appuyer d'après ce que je sais. Mais il est difficile de comprendre comment on s'y prendrait pour avoir un rapport de remplacement de 1 à 1 en prenant quelques heures seulement du temps de chacun et en cherchant à trouver des chômeurs qui ont exactement les qualités et l'expérience de la personne qu'ils remplaceraient. Il y a donc d'énormes problèmes de répartition du travail même si les gens devaient accepter de diminuer le nombre d'heures travaillées.
Mme Bonnie Brown: Merci, monsieur le président.
Le président: Bon. Avant de commencer, Carolyn, pour la gouverne des membres, nous venons d'avoir un petit pépin. Le déjeuner devait arriver il y a une quinzaine de minutes environ. Il y a quelques minutes à peine, me dit-on il approchait de l'édifice. Il devrait atterrir sur la table incessamment. Voilà pour les mauvaises nouvelles. La bonne nouvelle, par contre, c'est que le déjeuner a été commandé par notre nouvelle greffière et la qualité devrait donc être semblable à la dernière fois. Donc ça vaut la peine de l'attendre. Je ne vous dis que ça.
Après avoir entendu tous nos témoins, nous devrons nous occuper de quatre ou cinq motions avant de pouvoir quitter la salle.
Mme Bennett peut finir de poser ses questions. Ensuite nous prendrons une courte pause, nous casserons une petite croûte et nous nous occuperons de nos motions. Cela vous convient-il?
Des voix: Oui.
Le président: Merci.
Mme Brenda Chamberlain: On commence à sentir la pression.
Le président: Carolyn.
Mme Carolyn Bennett: Ils ont très faim. Je le sens.
Le président: Cela va vous encourager à raccourcir vos questions.
Mme Carolyn Bennett: Je crois que nous aimons tous les statistiques parce qu'elles nous brossent un portrait, en réalité. Ceux et celles d'entre nous qui nous préparons avec impatience pour la prochaine élection provinciale en Ontario aimerions bien voir des statistiques préparées après l'arrivée de Mike Harris au pouvoir dans certains de ces domaines et j'ose espérer que nous en obtiendrons.
Quand nous voyons les gens qui ne travaillent pas et ceux qui sont découragés, je crois bien que j'aimerais savoir... Dans le cadre de la formulation des politiques, on dirait qu'il est très important d'avoir déjà fait partie de la main-d'oeuvre active. Qu'il s'agisse de femmes au foyer qui essaient maintenant de réintégrer le marché du travail ou de nouveaux Canadiens ou des jeunes, y a-t-il des statistiques sur les gens qui ne travaillent pas, qui n'ont jamais fait partie de la main-d'oeuvre active et qui pour cette raison ne peuvent pas participer à ces programmes déjà établis? Lorsque nous créons de nouveaux programmes, que faisons- nous? Y a-t-il d'autres chiffres qu'on pourrait nous donner qui nous aideraient à formuler des politiques qui permettraient aux gens d'accéder plus facilement au travail rémunéré?
Mme Deborah Sunter: Oui, nous avons des chiffres mensuels. Nous pouvons faire une ventilation des chômeurs selon les catégories suivantes: ceux qui n'ont jamais travaillé, ceux qui réintègrent le marché du travail après plus d'un an, ceux qui sont au chômage par suite d'avoir perdu leur emploi. Il y a des données sur la mobilité. C'est une analyse mensuelle par catégorie et elle n'offre donc qu'un profil très limité des caractéristiques des gens qui deviennent chômeurs, mais c'est sûrement plus détaillé que le résumé que je vous ai donné aujourd'hui. Nous avons aussi des sources de données longitudinales dont on peut se servir pour définir les caractéristiques de ceux qui perdent et retrouvent un emploi.
Mme Carolyn Bennett: J'ai trouvé intéressante la question de Mme Brown sur les gens qui disent ne pas vouloir travailler moins d'heures, car on voit que la plupart des ménages ont besoin de 1,7 revenu pour joindre les deux bouts. Serait-il possible de créer des emplois qui correspondent à ce chiffre de 0,7 pour permettre aux mères de petits enfants de rester chez elles ou de travailler à temps partiel et donc d'éviter des pertes financières considérables? Pourrait-on utiliser des congés de maternité prolongés ou une autre méthode pour encourager les gens à travailler à temps partiel, tout en assumant leurs responsabilités à la maison?
Mme Deborah Sunter: Vous laissez entendre que si l'on avait formulé la question de façon différente sans faire allusion à la perte de salaires, un plus grand nombre de répondants auraient peut-être été prêts à travailler moins d'heures. La question n'était pas formulée ainsi, et je n'ai pas la réponse.
Mme Carolyn Bennett: Ou quelle proportion de leurs salaires ils pourraient se permettre de perdre. À quel point ne pourraient- ils plus se permettre de travailler moins d'heures?
Il faut se poser aussi des questions sur l'esclavage des heures supplémentaires, et le degré d'intimidation... Même dans les milieux professionnels cela semble être un problème. Ce n'est pas forcément quelque chose qui leur plaît. Mais c'est le seul moyen de devenir associé ou d'éviter d'être le prochain sur la liste des licenciements. Il y a des gens qui semblent être contents de travailler 60 heures par semaine.
Le président: Chers collègues, nous prendrons une pause de cinq minutes avant de passer au huis clos.