HRPD Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON HUMAN RESOURCES DEVELOPMENT AND THE STATUS OF PERSONS WITH DISABILITIES
COMITÉ PERMANENT DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES ET DE LA CONDITION DES PERSONNES HANDICAPÉES
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 26 mars 1998
[Traduction]
Le président (M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.)): La séance est ouverte.
Si les membres du comité veulent bien m'accorder leur indulgence... le comité directeur vient tout juste de se réunir pour examiner le budget pour la nouvelle année. M. Nault aimerait déposer une motion demandant que le comité entérine le budget tel qu'approuvé par le comité directeur, et je vais mettre tout de suite la question aux voix.
(La motion est adoptée—Voir Procès-verbaux et témoignages)
Le président: La deuxième motion demande que nous retenions les services du même groupe d'experts-conseils que pour la période précédente... La motion est proposée par M. Nault
(La motion est adoptée—Voir Procès-verbaux et témoignages)
Le président: Monsieur Martin, pour votre gouverne, c'est une question de politesse plutôt qu'une exigence, mais à la fin du processus des audiences, soit à la fin de la semaine prochaine, on donnera aux députés environ une semaine et demie, et si vous avez des amendements à proposer, on vous demanderait de les faire parvenir au greffier afin qu'il puisse préparer la liasse en prévision de l'étude article par article du projet de loi, qui débutera le 21 avril. Nous savons que vous pensez que c'est un si bon projet de loi que vous n'aurez peut-être pas d'amendement, mais nous vous donnons néanmoins la possibilité d'en déposer.
Bonjour et bienvenue. Je pense que Buzz a dit que c'était de nouveau du déjà-vu. J'ignore, Nancy, si vous étiez ici la dernière fois pour l'examen du projet de loi, mais vous connaissez le processus. Si vous voulez bien commencer, j'espère que nous aurons du temps pour des questions.
Mme Nancy Riche (vice-présidente-directrice générale, Congrès du travail du Canada): Merci beaucoup.
Je suis accompagnée de Murray Randall, qui est à l'heure actuelle adjoint exécutif auprès du président du Congrès du travail du Canada, M. Bob White.
Ai-je déjà comparu...? Juste avant la défaite des Tories en 1993, je suis venue présenter un mémoire, et le type à l'avant m'a demandé «Quelle salle, quel comité?», et j'ai répondu «Peu importe. Envoyez-moi n'importe où; je suis contre».
Dans le cas qui nous occupe ici, j'ai le sentiment que l'on est en fait en train de rédiger une convention internationale; on y travaille depuis si longtemps. Mais j'ose espérer que cette fois sera la bonne.
• 0905
J'ai une brève déclaration liminaire. Si j'ai bien compris,
nous ne disposons que d'une demi-heure, et certains des membres du
comité voudront entamer une discussion. Je vais donc lire le texte;
cela ne prendra même pas cinq minutes.
Le Congrès du travail du Canada est une nouvelle fois heureux d'avoir la possibilité de comparaître devant le comité permanent dans le cadre de son examen du projet de loi C-19. Nous avons préparé à votre intention un mémoire sur le projet de loi, et je pense qu'il a été distribué. Il n'est pas très différent du dernier que nous avons déposé auprès de vous. Nous y traitons de certaines des questions qui sont essentielles pour nous—le Conseil canadien des relations du travail, les travailleurs de remplacement, le processus d'accréditation et les droits du successeur—et d'autres articles que nous appuyons, d'articles qui nous préoccupent, et, enfin, de deux questions: la suppression du paragraphe 108.1, qui concerne le vote sur l'offre de l'employeur, et l'abrogation de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.
Notre mémoire reflète les opinions des syndicats affiliés au CTC, dont les activités et les membres sont, en tout ou en partie, touchés par la Partie I du code. Certains de ces syndicats ont déjà comparu ou vont comparaître devant le comité. Mes remarques ce matin seront brèves et de nature générale.
Le projet de loi C-19 et son prédécesseur, le projet de loi C-66, sont le produit d'un long processus de consultation et de compromis entamé vers la fin de l'année 1994. Ont participé à ce processus le gouvernement, un groupe de travail indépendant et des parties représentant le lieu de travail, principalement le CTC et l'ETCOF. Et le CTC et l'ETCOF ont déclaré publiquement qu'ils peuvent appuyer le résultat final du processus même s'ils reconnaissent en même temps que le projet de loi ne correspond pas à tous les égards à leurs positions respectives.
Il est intéressant de relever que lorsque le projet de loi C-19 a été déposé en novembre 1997, l'un des plus durs critiques du projet de loi C-66, la Chambre de commerce du Canada, avait fini par reconnaître l'esprit de compromis qui sous-tend le projet de loi en se rangeant du côté de ses partisans. Son appui est, bien sûr, venu suite à la modification du projet de loi initial dans certains domaines, notamment le recours à des travailleurs de remplacement et les communications avec les travailleurs à distance.
En ce qui concerne le contexte général, je pense qu'il importe de mentionner trois choses relativement au projet de loi C-19. La première est le préambule à la Partie I du Code canadien du travail du Canada, qu'il vaudrait la peine de répéter. Rares sont ceux et celles qui s'assoient pour faire une vraie lecture du préambule de quoi que ce soit, alors je pense qu'il serait important de répéter celui-ci aux membres du comité:
-
ATTENDU qu'il est depuis longtemps dans la tradition canadienne que
la législation et la politique du travail soient conçues de façon
à favoriser le bien-être de tous par l'encouragement de la pratique
des libres négociations collectives et du règlement positif des
différends;
-
ATTENDU que les travailleurs, syndicats et employeurs du Canada
reconnaissent et soutiennent que la liberté syndicale et la
pratique des libres négociations collectives sont les fondements de
relations du travail fructueuses permettant d'établir de bonnes
conditions de travail et de saines relations entre travailleurs et
employeurs;
-
ATTENDU que le gouvernement du Canada a ratifié la Convention no 87
de l'Organisation internationale du travail concernant la liberté
syndicale et la protection du droit syndical et qu'il s'est engagé
à cet égard à présenter des rapports à cette organisation;
-
ET ATTENDU que le Parlement du Canada désire continuer et accentuer
son appui aux efforts conjugués des travailleurs et du patronat
pour établir de bonnes relations et des méthodes de règlement
positif des différends, et qu'il estime que l'établissement de
bonnes relations du travail sert l'intérêt véritable du Canada en
assurant à tous une juste part des fruits du progrès.
Nous soulignons qu'il n'y a eu aucun amendement proposé au préambule. Le CTC pense que le projet de loi C-19 cadre avec ce préambule.
La deuxième chose—et cela arrive à point nommé—est la Déclaration universelle des droits de l'homme, dont le 50e anniversaire sera, je pense, fêté le 10 décembre de cette année, et ce sera également le 50e anniversaire de la Convention no 87, qui laisse entendre que tout de suite après que le monde eût approuvé la Déclaration universelle des droits de l'homme, l'une des premières conventions à être signée portait sur le droit à la libre négociation collective et la liberté d'association.
Le paragraphe 23.4 de la Déclaration universelle des droits de l'homme dit que chacun a le droit de créer des syndicats et d'y adhérer dans le but de protéger ses intérêts. Le CTC croit que le projet de loi C-19 cadre avec cet énoncé de principes.
Enfin, nous parlons de la perspective du président indépendant du groupe de travail que j'ai évoqué plus tôt, Andrew Sims, un intervenant neutre très bien respecté dans le domaine des relations patronales-syndicales, et qui a lancé le groupe de travail avec les trois observations que voici:
-
(1) le Code canadien du travail existant (Partie I) continue,
essentiellement, de bien servir ceux et celles qui sont couverts
par lui;
-
(2) il importe de mettre l'accent sur la stabilité, des changements
radicaux, de type mouvement de pendule, au Code n'étant ni
nécessaires ni souhaitables; et
-
(3) la réalisation d'un consensus entre les parties est la
meilleure base en vue de la prise de décisions relativement à des
changements législatifs.
Le CTC pense que le projet de loi C-19 cadre avec ces observations.
• 0910
En résumé, le CTC appuie le projet de loi C-19 et recommande
son adoption en vue de lui donner force de loi. Si nous en avons le
temps—je sais que je parle très vite pour moi, et je viens de
Terre-Neuve—nous voudrons peut-être discuter de l'article 107. Je
sais que les travailleurs canadiens de l'automobile en ont fait
état et nous appuyons tout à fait leur position là-dessus. Je pense
qu'il vaudrait vraiment la peine que le comité lise un article du
projet de loi qui, bien franchement, pourrait l'annuler dans son
entier.
Le ministre est doté de pouvoirs tels qu'il peut faire n'importe quoi. Je ne suis pas certaine que c'est ce que ferait le ministre, soit dit en passant, mais j'ai relu le texte ce matin et il dit bien «le ministre», et «il». Par conséquent, en plus de tout le merveilleux travail qu'il fait, le comité voudra peut-être veiller à ce que le projet de loi soit corrigé de façon à ce que son libellé soit neutre et ne fasse aucune discrimination fondée sur le sexe.
Le président: Voilà un amendement qui pourrait aboutir.
Mme Brenda Chamberlain (Guelph—Wellington, Lib.): C'est une remarque très pertinente.
Mme Nancy Riche: Oui, car j'ai l'appui du parti au pouvoir.
Le président: J'aimerais que vous en preniez bonne note.
M. Robert D. Nault (Kenora—Rainy River, Lib): Il y a pas mal de femmes de ce côté-ci.
Le président: Merci beaucoup. Vous avez par ailleurs été très efficace. Mais c'est toujours le cas lorsqu'il y a consensus, n'est-ce pas?
Monsieur Johnston.
M. Dale Johnston (Wetaskiwin, Réf.): Bonjour. Merci de votre exposé. Je constate que vous faites état à plusieurs reprises de libertés et de la prise de décisions en toute liberté. Je me demande si vous avez réfléchi au fait que le projet de loi va nécessiter le recours à un avocat pour obtenir que les noms et adresses des travailleurs à distance soient communiqués, sans leur consentement, aux dirigeants syndicaux, car ce sera une violation de leur vie privée ou de leurs libertés.
Mme Nancy Riche: Tout d'abord, le projet de loi n'exige pas que l'employeur fournisse les noms de ces personnes. Il dit que le Conseil peut décider de communiquer les noms, mais il n'est nulle part stipulé que l'employeur est tenu de le faire.
Deuxièmement, si j'ai bien compris, le projet de loi traite—et nous appuyons cela—de la réalité du nouveau lieu de travail. En fait, c'est là l'une des raisons pour lesquelles nous avons inclus ces droits dans notre mémoire.
À l'heure actuelle, tout travailleur a le droit de se joindre à un syndicat à son lieu de travail. Malheureusement, avec toute l'histoire qui entoure cela, le fait d'adhérer à un syndicat est perçu comme étant une activité subversive et la raison pour laquelle cela est fait en douce et en privé est que notre expérience montre qu'une fois que l'employeur apprend que des employés se joignent à un syndicat, toutes sortes de tactiques d'intimidation sont instaurées.
Il y a toujours tous ces travailleurs au lieu de travail et la possibilité pour le syndicat de les voir. Maintenant que le travail à domicile gagne de plus en plus—à telle enseigne que l'OIT vient tout juste de rédiger une convention sur le travail à domicile—et il y a également le télé-travail en même temps qu'il y a toujours les travailleurs du textile... ces travailleurs n'ont pas les droits dont il est question dans le préambule du Code ni dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Que faire pour englober ces situations?
Au début, bien sûr, vous pouvez vous imaginer que dans la discussion il était question que leurs noms soient fournis par l'employeur sans discussion aucune. Le léger changement intervenu entre le projet de loi C-66 et le projet de loi C-19 autorise le conseil à décider si les noms peuvent ou non être communiqués.
Si c'est une question de consentement, cela ne servira pas la fin de notre méthode d'organisation traditionnelle. Il est malheureux que le fait d'adhérer à un syndicat ne soit pas tout simplement considéré comme étant un choix tout à fait légitime: l'employeur n'interviendrait pas et laisserait tout simplement les choses se faire. Nous ne serions alors pas ici en train de discuter de cet article. C'est là notre histoire. C'est ainsi qu'il nous faut procéder, et cela équilibre le partage du pouvoir entre les syndicats et l'employeur, du point de vue organisation des travailleurs.
M. Dale Johnston: Je vous soumets respectueusement que je ne suis pas d'accord avec vous là-dessus. Vous dites, en gros, que vous rejetez la position du Commissaire à la protection de la vie privée, qui dit qu'il s'agit à son avis d'une atteinte à la vie privée.
Vous êtes donc en train de dire que bien que l'employeur ne remette pas tout simplement la liste des noms et des adresses à l'organisateur syndical, le conseil peut l'obtenir auprès de l'employeur et la lui remettre. C'est un petit peu comme dire que parce que vous vous êtes abonné à une certaine revue, celle-ci est autorisée à fournir votre nom et votre adresse à toutes sortes d'agences de télémarketing. Je pense qu'il y a un certain parallèle à faire ici.
• 0915
J'estime, comme le Commissaire à la protection de la vie
privée, qu'il s'agit là d'une atteinte à la vie privée. Ce qui
manque ici est le consentement de l'employé, dont les droits ont
par le passé, j'en suis certain, été défendus par votre groupe.
Mme Nancy Riche: Il y a deux choses ici. Votre réaction semble laisser entendre que l'employé va faire quelque chose dont lui ou elle ne veut pas sans leur consentement. C'est comme s'il allait y avoir coercition.
Au bout du compte, c'est l'employé qui décide s'il veut ou si elle veut signer une carte pour adhérer au syndicat. Il s'agit d'un acte volontaire. Il ne s'agit donc de rien de plus pour nous que d'avoir le droit d'aborder la personne pour lui demander si elle veut ou non se joindre à un syndicat.
Dire que le fait d'organiser un groupe de personnes et de leur donne le droit légitime d'adhérer à des syndicats puisse se comparer à la distribution de listes de courrier établies à partir des noms et des adresses d'abonnés à une revue vient à mon sens réellement diminuer le droit d'une personne d'adhérer à un syndicat et, en fait, porte atteinte à la légitimité même des syndicats. En plus, je pense qu'ils ont bel et bien le droit de donner votre nom à toutes les agences de télémarketing. Je reçois plein d'appels téléphoniques. Il y a quelqu'un qui obtient mon nom.
M. Dale Johnston: Précisément. Vous n'approuvez manifestement pas cela. Si vous aviez librement donné votre nom à certaines de ces personnes afin qu'elles puissent chercher à obtenir quelque chose auprès de vous...
Mme Nancy Riche: Ce n'est pas que je n'approuve pas.
M. Dale Johnston: Mais bien sûr que si.
Mme Nancy Riche: Non. J'ai tout simplement dit que l'analogie n'était pas bonne. Écoutez, c'est moi qui passe 45 heures au téléphone pour parler à un travailleur qui a un horrible emploi dans le cadre duquel il doit appeler des gens pour faire des sondages par téléphone. Vous ne pouvez pas vous imaginer le nombre de questionnaires auxquels j'ai répondu sur des produits de beauté que je n'utilise pas. Je respecte la personne qui a ce genre d'emploi qui ne lui rapporte que 6 ou 7 malheureux dollars de l'heure, mais c'est le seul emploi qu'elle arrive à se trouver. Non, cela ne me pose aucun problème. Je ramasse mes dépliants.
M. Dale Johnston: Nous nous écartons quelque peu du sujet.
Mme Nancy Riche: C'est vous qui avez fait cette analogie.
M. Dale Johnston: Eh bien, je remercie Dieu que je n'aie pas à participer à des sondages sur des produits de beauté.
En fait, à mon avis, ce qui manque dans le projet de loi—et je m'arrêterai là-dessus—est le consentement de la personne en vue de la distribution de renseignements personnels, notamment numéro de téléphone à la maison, adresse, etc.
Mme Nancy Riche: Je ne sais pas encore très bien. Nous ne savons même pas comment le conseil trancherait la question de la fourniture de listes. Le projet de loi dit que le conseil peut le faire, mais on s'en remet beaucoup plus maintenant au conseil qu'avec le projet de loi C-66, car on lui laisse le soin de décider.
Je ne dis pas que c'est ce qu'il devrait faire, mais je ne suis pas certaine que le conseil ne voudrait pas afficher un avis disant qu'il a rencontré le syndicat ou autre et qu'il compte donner les noms. Le consentement viendra, peu importe... Tout ce que la personne a à faire lorsqu'on lui téléphone est de dire ce que moi j'ai dit lorsqu'on m'a appelée pour un sondage: non, je n'ai pas envie de vous parler. Le consentement est donné lorsqu'on signe la carte. Chaque personne a le droit absolu de décider si elle veut ou non signer une carte syndicale.
M. Dale Johnston: Eh bien, c'est une bonne chose. Je pense que toute personne devrait également avoir le droit absolu de décider si elle veut que son nom et que son adresse soient donnés à quelqu'un d'autre.
Mme Nancy Riche: Quelle autre solution proposez-vous? Je suis certaine que vous conviendrez que les syndicats ont un droit légitime d'exister dans ce pays et d'organiser les gens. Quelle autre solution auriez-vous pour le nombre croissant de personnes dont le nouveau lieu de travail est leur maison, leur salon? Comment ce droit va-t-il être exercé? Quelle solution préconisez-vous? J'imagine que vous croyez que les syndicats ont le droit d'exister dans ce pays.
M. Dale Johnston: Eh bien, leur autre possibilité, bien sûr, serait qu'on leur demande s'ils veulent ou non que des renseignements personnels les intéressant soient communiqués à autrui. C'est la même chose que si on leur demandait si cela les intéresserait d'adhérer au syndicat A, et qu'ils répondaient que non. C'est comme votre analogie avec les sondages. Ils devraient avoir le même genre de droit de refus ici quant à la divulgation de leur adresse, etc.
Mme Nancy Riche: Au risque de me répéter, notre expérience et l'histoire du pays montrent que dès qu'un employeur sait qu'une campagne de recrutement est en cours, il y a tout de suite des tactiques d'intimidation. L'employeur fera tout ce qu'il peut pour éviter qu'un syndicat ne s'implante.
M. Dale Johnston: Je n'ai pas voulu me lancer là-dedans, mais pourquoi prétendez-vous que ce n'est jamais que l'employeur qui use de tactiques d'intimidation? Le syndicat fera tout ce qu'il peut pour obtenir que les gens prennent une carte de membre, et s'il n'obtient pas un nombre suffisant de signatures, il peut s'adresser au conseil et essayer d'obtenir une accréditation automatique. Je n'apprécie pas beaucoup que vous parliez sans cesse de tactiques fortes de l'employeur qui essaie de forcer la main aux gens.
Mme Nancy Riche: Si nous disposions de beaucoup de temps, vous pourriez me donner des exemples de cas où le syndicat a fait de l'intimidation et moi je pourrais rester ici pendant deux heures et vous fournir des exemples de cas où c'est l'employeur qui a fait de l'intimidation. Je me fonde sur mon expérience et sur le passé. Les tactiques d'intimidation que nous avons constatées dans ce pays autour des campagnes de recrutement syndical ont clairement été le fait d'employeurs.
M. Dale Johnston: Madame Riche, vous avez tout à fait raison. Nous pourrions en discuter pendant très longtemps.
Mme Nancy Riche: Oui, et je gagnerais.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Dans le but d'éviter un débat là-dessus, passons maintenant à M. Martin.
M. Pat Martin (Winnipeg-Centre, NPD): Merci, monsieur le président.
L'une des choses qui sont ressorties dans certains des témoignages faits devant le comité est qu'il y a des gens qui disent qu'ils n'ont pas été suffisamment consultés et qu'ils n'ont pas eu suffisamment l'occasion de participer. Je veux parler ici de groupes d'employeurs. Étant donné l'histoire que vous avez vécue relativement à l'élaboration de ces modifications, êtes-vous convaincus que les deux parties sont satisfaites de la participation qu'elles ont pu avoir?
Mme Nancy Riche: Le gouvernement a créé un comité consultatif auprès du groupe de travail Sims, et ils se sont rencontrés. J'essaie de me rappeler la taille du comité. L'ETCOF, qui, bien sûr, représente les employeurs fédéraux et les employeurs de régie fédérale, et le Congrès du travail du Canada et nos affiliés, qui comprennent des membres qui relèvent du palier fédéral, ont commencé à se réunir à l'automne 1995 et ont siégé jusqu'au lancement du comité qui a produit le rapport Sims.
L'ambiance de ce processus de consultation a sans doute été le meilleur que j'aie vu dans le milieu gouvernemental lorsqu'il a été question de consultation de clients. Nous autres, c'est-à-dire les employeurs et le syndicat, avions très clairement de gros différends à la table, mais nous avions néanmoins un niveau de professionnalisme tel que nous n'avons pas perdu de temps sur les questions dont nous savions qu'elles n'allaient pas pouvoir être réglées. Si j'avais pensé un seul instant que j'aurais pu obtenir de l'ETCOF qu'elle accepte une législation interdisant le recours aux briseurs de grève, nous serions toujours en réunion. Mais étant donné que cela n'avait absolument aucune chance d'aboutir, je pense que j'ai consacré un maximum de 30 minutes à cette question pour passer tout de suite à autre chose. La séance avait été présidée par Mike McDermott, du ministère du Travail.
Un processus tripartite a fonctionné pendant plusieurs mois. Le porte-parole de l'ETCOF à l'époque était Don Brazier. Don Brazier et moi-même avons en fait rencontré le ministre Gagliano pour lui dire que ce n'était pas chose facile, que nous n'étions pas fous de l'idée, ni d'un côté ni de l'autre, mais que nous avions convenu que c'était le mieux que nous puissions faire. Nous autres, l'ETCOF en tant qu'organisation et le CLC en tant qu'organisation, sommes prêts à l'appuyer...
Par la suite, le ministre Gagliano a fait le tour du pays et a tenu d'autres discussions de table ronde. Suite à ce processus, nous sommes allés à la Chambre, nous nous sommes adressés au comité—nous sommes allés aussi loin que le Sénat, n'est-ce pas?—puis le projet de loi a disparu. Aujourd'hui, nous recommençons le tout. S'il devait y avoir davantage de consultations...
M. Pat Martin: Une autre question qui a été soulevée—et j'aimerais connaître un peu vos réactions à cela—est qu'il y a des groupes qui disent qu'il devrait y avoir un vote obligatoire même dans les cas où 80 p. 100 des cartes ont été signées ou en tout cas lorsqu'il y a une très nette majorité, ce qui correspond plus ou moins, il me semble, au modèle américain. Pourriez-vous nous expliquer un petit peu quel impact cela pourrait selon vous avoir sur les campagnes de syndicalisation ou sur ce qui se passe entre le moment où les cartes sont déposées et la tenue du vote?
Mme Nancy Riche: Il s'agit, au fond, d'une question de respect pour la personne qui signe la carte. Ma position, au contraire de celle du député qui vient de parler, est que les syndicats ne font pas d'intimidation ni ne s'adonnent à des mesures coercitives pour obtenir des gens qu'ils signent. Et une fois qu'une personne a bel et bien signé... Ce que je veux dire par là, c'est qu'il s'agit d'une décision assez hardie dans le contexte actuel et vu la réputation qu'ont les syndicats. Nous ne sommes toujours qu'à un cran au-dessus des partis politiques. Nous n'occupons donc pas un rang très élevé sur l'échelle de légitimité.
• 0925
Il est vraiment très important que lorsqu'une personne décide
de signer une carte, nous respections son choix. En outre, le code
leur impose de verser 5 $, ce que nous contestons.
Dès que l'on dépasse les 50 p. 100, ce qui est, bien sûr, une majorité convenue—il y a un certain débat là-dessus dans ce pays, mais nous convenons que 50 p. 100 plus un constitue une majorité—c'est une question de respect envers ceux qui ont fait ce choix. Dire qu'il devrait y avoir un vote automatique pour chaque demande d'accréditation revient à dire que ces travailleurs qui ont signé une carte soit ne savaient pas ce qu'ils faisaient, soit n'avaient pas le droit de prendre cette décision. Je pense qu'il s'agit bien d'une question de respect. Cela ne nous ennuie guère qu'il y ait un vote lorsque le pourcentage est faible. En fait, cela nous étonnerait qu'un syndicat demande l'accréditation s'il n'a que 35 p. 100 de signataires. Cela ne tient pas debout.
Une fois que vous avez franchi les 50 p. 100, lorsque les gens commencent à s'interroger sur ce qui se passe—et vous savez que l'employeur a le droit de poser des questions relativement à chaque carte syndicale—alors le conseil a toujours le pouvoir discrétionnaire de demander un vote. Nous contestons donc le vote automatique.
Encore une fois, du point de vue des droits de la personne fondamentaux de celui ou celle qui a pris la décision, qui a donné 5 $ à quelqu'un et qui a signé une carte disant «je veux adhérer au syndicat», le fait d'opter pour un vote automatique revient à dire que cette personne ne sait pas de quoi elle parle.
M. Pat Martin: L'organisation d'avocats spécialisés dans le droit du travail qui nous a rencontrés hier a soulevé une question qui nous a elle aussi posé problème. Il incombe au syndicat de prouver qu'il y a eu des pratiques déloyales de travail ou de l'ingérence à un point tel qu'il n'est pas possible de déterminer la volonté des gens relativement à l'accréditation syndicale automatique, et je citerai Wal-Mart, et ainsi de suite.
En ce qui concerne l'accréditation automatique, s'il y a eu des pratiques déloyales de travail à un point tel qu'il n'était pas possible de tenir un vote parce qu'il aurait été impossible de déterminer les vrais désirs des employés, à cause de l'intimidation faite, alors leur recommandation renverserait quelque peu le fardeau de la preuve. Le changement intervenu entre le projet de loi C-66 et le projet de loi C-19 est qu'ils ont donné plus de poids à la nécessité pour le syndicat de montrer que ces pratiques déloyales de travail ont bel et bien eu lieu dans l'affaire en question.
Mme Nancy Riche: Mais dans ce cas, c'est en situation de grève.
M. Pat Martin: C'est ce que j'ai compris. Ce que disaient les avocats est que le fardeau de la preuve ne devrait pas retomber uniquement sur le camp des travailleurs.
Ce que je vous demande c'est de vous prononcer sur l'aspect accréditation syndicale automatique lorsqu'il y a eu ingérence dans le cadre d'une campagne de recrutement.
Mme Nancy Riche: Je peux comprendre que les gens aient des problèmes avec cela en théorie. Techniquement parlant, à cause d'intimidation ou de pratiques déloyales de travail de la part de l'employeur, le conseil peut obtenir une accréditation automatique. Puis, une fois révélé le résultat du vote, on apprend qu'en fait il y a une grosse majorité qui s'oppose au syndicat. Si vous le dites, cela donne l'impression qu'il y a quelque chose de très bizarre qui se passe au conseil, alors il faut replacer les choses dans leur contexte.
Premièrement, il faut qu'il y ait un certain respect à l'égard du conseil des relations de travail. Une fois établi un conseil des relations de travail, il nous faut respecter son droit de faire quelque chose. Si un conseil des relations de travail accorde une accréditation automatique pour un lieu de travail où il suppose que, si l'employeur n'était pas intervenu, s'il ne s'était pas adonné à des pratiques déloyales de travail, il y aurait eu un appui en faveur du syndicat—et c'est une question de jugement—alors il nous faut nous demander pourquoi le conseil rendrait une telle décision.
J'aimerais parler pendant quelques instants de Wal-Mart et de ce qui s'est passé lors de la campagne de syndicalisation. Wal-Mart a un public captif et tient tous les matins une réunion enthousiaste, style évangéliste, pour motiver ses employés pour la vente. C'est un plan de commercialisation qu'ils ont et qui peut fonctionner.
Ils s'en sont servi lors de la campagne de recrutement à Windsor. Ils avaient des membres du personnel à la porte d'entrée qui distribuaient des dépliants contestant le syndicat. Ils avaient des membres du personnel qu'ils ont fait parler lors de ces réunions avec ces auditoires captifs qui, autrement, auraient été membres du syndicat. Et l'on peut bien parler de public captif étant donné que les employés étaient tenus de se présenter et de prendre la parole lors de ces réunions.
• 0930
Vous pourriez répliquer que ces personnes étaient opposées au
syndicat, mais je dirais plutôt que ces personnes voulaient tout
simplement garder leur emploi. Je dirais que Wal-Mart a intimidé
ces personnes à un point tel... et ce n'était même pas subtil. Ils
se sont promenés dans le magasin—cela a été prouvé, et c'est
pourquoi ils ont obtenu l'accréditation—et ils disaient aux gens
que s'ils adhéraient au syndicat, alors le magasin fermerait et
irait s'installer ailleurs. Ils disaient, si vous adhérez au
syndicat, nous ferons ceci. Si vous adhérez au syndicat, vous
perdrez votre emploi.
Si nous voulons appuyer ce genre de tactique, ou si nous pensons que c'est là l'exercice de la liberté de l'employeur, alors nous avons de réels problèmes dans ce pays. Le seul recours, lorsque l'employeur intimide et terrifie les gens de cette façon, est que le conseil dise: «Il nous faut supposer que si vous n'aviez pas fait cela, les personnes raisonnables auraient voté majoritairement en faveur du syndicat». Ce n'est pas de cette façon que nous voulons obtenir l'accréditation, ce n'est pas de cette façon que nous voulons syndiquer les gens, mais il nous faut nous ménager une place où l'employeur ne pourra pas faire comme bon lui semble.
Quelle autre pénalité pourrait-il y avoir pour l'employeur qui traite les gens de la sorte, qui les intimide et les menace? Il est dommage qu'à propos de l'évolution du mouvement ouvrier, du droit de se syndiquer, j'ai utilisé le mot «pénalité», car pour les travailleurs, ce n'est pas une pénalité que d'être membre d'un syndicat. Regardez les statistiques et voyez quels avantages ont les travailleurs syndiqués de ce pays comparativement aux travailleurs non syndiqués. C'est loin d'être une pénalité que d'être membre d'un syndicat.
Le président: Merci, madame Riche.
Monsieur Nault, je vous demanderai de poser une de vos questions efficientes, je vous prie.
M. Robert Nault: Merci, monsieur le président. J'aimerais, si vous me le permettez, enchaîner là-dessus avec deux questions.
C'est très peu habituel, et les gens ont du mal à s'habituer au fait que dans l'arène fédérale l'on obtienne un consensus avant d'intervenir relativement au Code canadien du travail. Cela étant, nous avons devant nous un compromis entre travailleurs et patronat, de sorte que toutes les personnes que nous rencontrons s'opposent pour une raison ou une autre au projet de loi. Nous avons donc la vie dure. Nous allons entendre environ 60 témoins, et ils vont tous venir nous dire «Oui, je suis d'accord avec cela, mais voici ce que je préférerais que vous fassiez si vous êtes bêtes assez pour changer toute l'orientation du projet de loi et apporter des modifications».
Cela étant dit, je pense qu'il est important que le procès-verbal rende bien compte du fait que c'est là, en gros, la préférence des gens. Le CTC a demandé un certain nombre d'autres changements, par exemple du côté des droits de successeur. La suggestion est-elle que, dès que nous aurons fait cela, le gouvernement devrait entamer la deuxième ronde de consultations, ou bien ces consultations sont-elles déjà engagées? Allons-nous pouvoir revenir là-dessus une nouvelle fois?
Mme Nancy Riche: Les consultations ne sont pas en cours. Nous ne sommes engagés dans aucune consultation relativement à la Partie I. En fait, nous entamons à l'heure qu'il est une consultation sur la Partie III.
Cela ne m'inquiéterait pas si l'on se lançait dans des changements. Il nous a fallu 20 ans pour apporter des modifications à cette législation, alors je ne m'attends pas à recevoir un appel téléphonique de Mike McDermott la semaine prochaine m'invitant à parler de modifications à la Partie I.
Ce que vous disent en partie les intervenants, au sujet des compromis... certains disent qu'il s'agit d'une situation où tout le monde en sortira perdant. Je pense que nous savions où nous en étions. Si nous pouvions rédiger un article sur les travailleurs qui ne sont pas des travailleurs de remplacement, j'aurais un article là-dedans qui provoquerait l'apoplexie chez mon honorable ami, tant il serait exigeant. Nous n'avons pas obtenu cela, mais ce que nous disons... l'essentiel pour nous est que ceci soit adopté. L'ETCOF va dire que nous voulons que ce soit adopté, mais cela ne veut pas dire que nous n'allons pas continuer d'exprimer nos opinions et de faire du lobbying, par quelque moyen que ce soit, en vue d'obtenir d'autres changements.
Nous demandons depuis longtemps que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique relève du Code canadien du travail, et c'est ce que demandera l'Alliance de la fonction publique du Canada. Nous aimerions que les droits du successeur soient plus solides, et le projet de loi dit que vous allez revoir cela. Ces droits ne sont reconnus que dans certains endroits, et je songe notamment aux gardiens de sécurité à l'aéroport, mais nous allons nous pencher à l'avenir sur d'autres cas de figure. Si et quand le projet de loi est adopté, nous allons bien sûr revenir là-dessus, dans le contexte du projet de loi, et discuter des changements à proposer. C'est ce que nous faisons, mais notre espoir, néanmoins, est que ce projet de loi soit adopté tel quel.
M. Robert Nault: Je souscris pleinement à toute cette argumentation. Je sais qu'il est difficile pour les gens de penser qu'avec un compromis tout le monde en sort perdant, mais maintenir un équilibre dans ce pays en matière de relations de travail... Comme vous le remarquerez dans d'autres provinces, lorsque la situation n'est pas équilibrée, nombre d'autres problèmes peuvent s'ensuivre, et ce, que vous alliez à l'extrême droite ou à l'extrême gauche.
Mme Nancy Riche: Nous n'avons pas vécu de déplacement vers l'extrême gauche dans le domaine des relations de travail. Nous attendrons de voir ce qui se passera.
M. Robert Nault: Vous attendez donc de voir comment les choses vont aller.
Mme Nancy Riche: Peut-être en Nouvelle-Écosse, dans quelques mois.
M. Robert Nault: Peut-être. Nous attendons cela avec impatience.
Dans le contexte de toute la question de ceux d'entre nous qui sont au beau milieu politique de tout, je dois dire que je suis très intéressé par l'équilibre. Nous avons apporté d'importants changements au conseil lui-même. Le conseil a devant lui des tâches très importantes à accomplir. Comme vous l'avez dit dans votre déclaration, l'article 42 et toute cette question des travailleurs à distance devront être résolus par le nouveau conseil.
Êtes-vous à l'aise avec la nouvelle composition du conseil? Il sera différent. Comme nous le savons tous, dans 98 p. 100 des cas, l'affaire n'est pas renvoyée devant le conseil et les choses s'arrangent relativement bien entre les parties. C'est pour le tout petit pourcentage de cas restants qu'il vous faut un conseil qui réussisse bien. Quelles sont vos idées quant à la composition du conseil?
Mme Nancy Riche: Nous aimons l'idée d'un conseil représentatif. Nous n'en avons pas eu jusqu'ici. Il est quelque peu étonnant que nous n'ayons pas eu de conseil représentatif. Cela ne veut pas dire que les nominations... il n'y a pas eu d'effort visant à établir un équilibre. Nous disions qu'un tel a été nommé et qu'il n'a pas trop mal fait avec ses décisions en faveur des travailleurs. Le gouvernement n'a jamais nommé au conseil uniquement des personnes pro-patronat, mais le processus sera dorénavant transparent et clair.
Nous aurions préféré que ce soit le mouvement syndical qui nomme les représentants des employés. Nous les aurions nommés et le ministre aurait donné son appui—je suis certaine que l'ETCOF aurait préféré nommer les gens devant représenter son camp—puis il y aurait eu une consultation sur les membres neutres. C'était là notre position, mais nous n'avons pas obtenu gain de cause au bout du compte.
Nous supposons, et nous comptons sur la bonne foi des gens, qu'il y aura consultation relativement aux nominations du côté employés et que nous pourrons soumettre des noms. Lorsque le ministre Axworthy était là et que nous réfléchissions à une nomination, sa suggestion avait été—c'est vraiment lui qui a entamé la discussion sur les travailleurs de remplacement—qu'il choisisse quelqu'un à partir de notre liste. En d'autres termes, si nous soumettions trois noms qui leur convenaient, alors ils allaient les prendre. Mais ce n'est même pas aussi serré que cela.
Nous nous imaginons qu'il y aura consultation. Nous allons être extrêmement déçus si tous les membres neutres sont nommés sans qu'il y ait eu consultation. Cela est déjà arrivé et c'est dommage. En ce qui concerne le processus que nous avons vécu, je pense qu'il incombe au ministre de consulter le mouvement ouvrier et les organisations d'employeurs. Ce n'est que justice. Nous en disons qu'il s'agit d'un groupe représentatif, alors il n'est pas logique que le ministre choisisse nos représentants sans consultation.
Je ne suis pas en train de proposer un amendement au projet de loi. Nous aimerions le faire, mais nous n'allons pas essayer. Nous souhaiterions néanmoins que le comité recommande que le ministre consulte les parties prenantes.
M. Robert Nault: Très bien.
Le président: Merci. Je constate que nous avons dépassé, et de loin, la période de temps prévue. C'est un hommage à votre éloquence, madame Riche.
Merci beaucoup. J'apprécie le temps que vous nous avez consacré.
Mme Nancy Riche: Faites en sorte que ce projet de loi soit adopté, tout de même. Je ne veux plus revenir ici.
Le président: Je trouve le processus si intéressant. Nous voudrions peut-être continuer d'y travailler.
Mme Nancy Riche: Faites ce qu'il faut.
Le président: Faisons ce qu'il faut en ce qui concerne la présentation suivante.
J'aimerais dire, pour la gouverne des membres du comité, que le mémoire présenté par la CSN existe en français seulement, ce qui est tout à fait admissible en vertu du règlement applicable au comité. Cela a été un problème à une autre occasion pour les députés de l'autre côté, mais cette démarche est tout à fait appropriée. Le mémoire sera traduit et distribué à tous les membres du comité dès que le greffier aura eu l'occasion de s'en occuper. L'interprétation sera, comme toujours, assurée.
M. Robert Nault: Monsieur le président, j'aimerais moi aussi dire quelque chose.
La dernière fois que nous avons reçu un mémoire en anglais seulement, il y a un parti qui a fait toute une histoire. Bien sûr, de notre côté, nous n'allons pas faire d'histoire au sujet du fait que ce mémoire n'existe qu'en français, mais je tiens à ce qu'il soit clair qu'il faudrait que ce soit réciproque la prochaine fois que nous recevrons un mémoire en anglais seulement. Il y a deux semaines ou un mois, il y a eu toute une crise au sujet de ce processus. Comme je l'avais mentionné au comité à l'époque, il se présente des situations où c'est l'inverse qui se produit, et voici justement que le cas se présente pour la première fois depuis. Je tiens tout simplement à ce qu'il figure clairement au procès-verbal que nous ne nous opposons pas à ce qui se passe ici.
Le président: Merci, monsieur Nault. Non seulement nous ne nous y opposons pas, mais cela est prévu dans le règlement, qui autorise le dépôt de mémoires dans une seule langue. Le greffier entreprendra tout de suite de le faire traduire pour ensuite le distribuer à tous les membres.
Monsieur Rocheleau.
[Français]
M. Yves Rocheleau (Trois-Rivières, BQ): Sans vouloir provoquer un débat, je pense qu'il faut faire une distinction entre les organismes gouvernementaux qui témoignent et dont les documents pourraient n'être que dans une langue, et les organismes privés. Ici, par exemple, certains témoins ont présenté des rapports uniquement en anglais et je n'ai pas fait d'éclat à cause de cela. Alors, il ne faut pas avoir l'épiderme trop sensible.
[Traduction]
Le président: Monsieur Rocheleau, au lieu de laisser ce débat se prolonger—cela m'ennuie, messieurs, que cela arrive ici, mais c'est un exemple intéressant de ce qui peut se produire—je dirai que vous avez tout à fait raison, et c'est ce qui s'est passé l'autre jour. De simples citoyens ont comparu devant le comité avec un mémoire dans une seule des deux langues officielles, ce qui était leur droit, comme c'est le droit de ces messieurs que nous avons devant nous ici, mais deux membres de votre parti se sont levés et ont quitté la salle en flanquant la porte.
Une voix: Ils ont failli la casser.
Le président: C'était exactement la même situation que celle que nous avons ici. Nous estimons que ce qui se passe ici est absolument approprié et nous avons un règlement qui couvre ce cas de figure, mais je vous prierais de communiquer ce message aux autres. Merci.
Messieurs, ceci ne vous vise pas...
[Français]
M. Yves Rocheleau: Depuis que je siège ici, beaucoup de témoins sont venus témoigner avec des documents rédigés uniquement en anglais et je n'ai pas fait d'éclat à cause de cela. Je pense donc qu'on pourrait être plus raisonnable de l'autre côté.
[Traduction]
Le président: Absolument, monsieur Rocheleau.
Mme Brenda Chamberlain: Nous vous aimons. Nous tenons à ce que vous soyez ici tout le temps. Ne laissez personne...
Le président: Espérons que ce sera un compromis, tout comme l'est le projet de loi.
Monsieur Paquette, ceci n'empiétera aucunement sur le temps qui vous est alloué. Vous disposez d'une demi-heure. Si vous pouviez en l'espace de dix minutes nous faire un survol des questions dont vous aimeriez traiter, les membres du comité auraient ainsi la possibilité de vous poser des questions.
[Français]
M. Pierre Paquette (secrétaire général, Confédération des syndicats nationaux): Tout d'abord, je voudrais remercier le comité de nous recevoir aujourd'hui.
La Confédération des syndicats nationaux comprend 235 000 membres, principalement au Québec, répartis dans tous les secteurs d'activités, dans 2 200 syndicats locaux.
Je précise aussi que la CSN compte quelque 6 000 membres assujettis aux lois fédérales du travail, que l'on retrouve principalement dans les secteurs des communications, du transport interprovincial de marchandises et du transport de passagers, ainsi que dans certains secteurs reliés aux activités manufacturières et agroalimentaires comme celui des minoteries.
Je voudrais d'emblée dire aux membres du comité que nous ne pouvons cacher notre déception devant la timidité du projet de loi C-19, notamment en regard de l'utilisation de scabs durant les conflits de travail, de l'absence de renforcement de dispositions relatives au processus de négociation et à la transmission de droits et obligations lors de vente, de location, de transfert ou de toute autre forme de disposition de l'entreprise.
• 0945
Sur les divers ajustements au Code canadien du travail
relativement à la négociation collective, ce qui touche
l'avis de négociation et le droit de grève, la
CSN soutient que la structure de négociation doit être
modifiée.
Ainsi, devant le groupe de travail Sims, qui a mené au projet de loi C-19, nous disions:
-
La CSN estime que
l'avis de négociation doit être l'élément déclencheur
pour l'exercice du droit de grève. L'exercice du droit
de grève ne doit pas être discrétionnaire à la volonté
du ministre. Nous croyons que la mise en demeure de
négocier devrait suffire, comme c'est le cas
actuellement au Québec.
Cette demande fut écartée dans le projet de loi C-19. De plus, ce projet de loi ajoute deux conditions de légalité à l'exercice du droit de grève, ce qui est réellement inadmissible.
En premier lieu, l'exercice du droit de grève serait dorénavant assorti de l'exigence supplémentaire que le Conseil canadien des relations industrielles ait tranché une demande d'une partie ou le renvoi du ministre quant au maintien des services essentiels.
En second lieu, on oblige un syndicat à donner un préavis de 72 heures et surtout à tenir un vote au scrutin secret assorti de modalités se prêtant facilement à la contestation. Un mécanisme de demande de déclaration d'invalidité du vote accessible à tout membre mécontent de l'unité de négociation y est même prévu.
Nous rappelons que les syndicats qui nous sont affiliés ont comme pratique de tenir un vote de grève à scrutin secret, mais jamais un membre ne peut engager une contestation qui empêche le déclenchement d'une grève légale, contrairement à ce qui est prévu au paragraphe 87.3(4).
La conciliation: Devant le groupe de travail Sims, la CSN a mis de l'avant:
-
...que le recours à
la conciliation doit devenir une étape facultative. À
toutes les phases de la négociation, l'une ou l'autre
des parties peut cependant demander au ministre de
désigner un conciliateur pour aider les parties. Sur
demande, le ministre devrait désigner cette personne
dans les meilleurs délais. De plus, le ministre
pourrait exiger un rapport de ce dernier à toutes les
phases de la négociation.
Le projet de loi C-19 ne retient pas cette approche. Nous vous demandons donc de modifier les dispositions prévues à l'article 71 et suivants du Code canadien du travail afin de prévoir que le recours à la conciliation devienne une étape facultative.
Vote au scrutin secret sur les dernières offres patronales: Devant le groupe de travail Sims, la CSN a rappelé son opposition à ce que le ministre puisse, à sa discrétion, ordonner un vote au scrutin secret sur les dernières offres patronales. Cette disposition du Code doit être abrogée. Nous croyons que ce pouvoir octroyé au ministre est abusif et que cela constitue une insulte à l'endroit des organisations syndicales démocratiquement élues par les travailleuses et les travailleurs.
Le projet de loi C-19 maintient tel quel l'article 108.1, et nous réitérons notre demande d'abrogation de cette disposition.
Pour ce qui est du maintien des conditions de travail, la CSN a demandé une disposition spécifique dans le Code canadien du travail afin de permettre aux parties de reconduire les conditions de travail dans une convention collective et que ces conditions de travail prévues à la convention collective continuent de s'appliquer jusqu'à la signature d'une nouvelle convention collective. Il est inadmissible que le Code canadien ne contienne pas déjà une disposition comme l'actuel article 59 du Code du travail du Québec.
La jurisprudence du Conseil canadien a déjà statué sur l'illégalité des clauses de convention collective prévoyant le maintien des conditions de travail jusqu'au renouvellement de la convention collective, parce que le Code est muet sur cette question. Il y a le cas Paccar en Colombie-Britannique qui est allé jusqu'en Cour suprême et qui confirme cela. Donc, il faudrait modifier le projet de loi C-19 pour inclure une disposition de ce type.
Sur la question des changements technologiques, le projet de loi C-19 n'apporte aucune modification significative aux dispositions du Code canadien portant sur les changements technologiques. Nous demandons que les changements technologiques fassent l'objet d'ententes négociées avec exercice du droit de grève en cas de désaccord, et que la définition de «changements technologiques» soit assez large pour tenir compte de toute forme de modifications technologiques.
Sur la réintégration des salariés après un conflit, la CSN ne peut qu'appuyer l'obligation proposée à l'article 87.6 de réintégrer à l'unité de négociation tous les employés qui ont participé à une grève ou qui ont été visés par un lock-out, de préférence aux scabs, mais déplore qu'on permette encore aux employeurs d'utiliser des scabs. Nous y reviendrons un peu plus tard.
Sur la question de l'accréditation lors de pratiques déloyales, la CSN appuie l'introduction de l'article 99.1 autorisant le Conseil à accréditer, même sans preuve de l'appui de la majorité, des employés de l'unité lorsque l'employeur a contrevenu à l'interdiction de pratiques déloyales dans des circonstances telles que le Conseil puisse être d'avis que, n'eût été les pratiques déloyales, le syndicat aurait obtenu l'appui de la majorité des employés de l'unité. Donc, on est d'accord sur l'introduction de cet article.
• 0950
Sur la question de la transmission des droits et
obligations, le Code canadien du travail doit garantir
la transmission des droits et obligations dans tous les
cas où une entreprise ou une partie d'entreprise est
continuée par un autre employeur. Il faut en effet
faire en sorte que l'accréditation et la convention
suivent dans tous les cas de cession d'opération,
de concession, de sous-traitance, peu importe la
nature de la transaction et qu'il y ait ou non lien de
droit entre l'ancien employeur lié par l'accréditation
et la convention, et le nouvel employeur.
Il faut comprendre qu'exiger un lien de droit entre l'ancien et le nouvel employeur donne ouverture à une foule de manoeuvres juridiques, telles la création de nouvelles corporations ou entités juridiques, etc.
Pour ce qui est du transfert des compétences, nous saluons l'amendement contenu au projet de loi C-19 relatif au transfert de compétence ou de juridiction provinciale à une compétence ou juridiction fédérale.
Dispositions antibriseurs de grève et services essentiels: L'absence de dispositions antiscabs dans le Code canadien du travail permet à des employeurs de faire appel impunément à des briseurs de grève durant un conflit. Le recours à des briseurs de grève durant un conflit est à notre sens une négation des droits légaux de négociation et de grève, des droits acquis de haute lutte.
L'absence de dispositions antibriseurs de grève est une lacune fondamentale ayant pour effet la prolongation des conflits de travail et la création d'un déséquilibre qui bloque la tenue de libres négociations. L'embauche de scabs durant un conflit de travail est une source de frustration et de violence. La présence des briseurs de grève escortés par des agences privées de sécurité, quand ce n'est par les forces policières payées avec nos impôts, est choquante, provocante et inacceptable pour des employés qui ont bâti la réputation d'une entreprise ou d'une institution.
Le cas des travailleurs d'ADM-Ogilvie à Montréal a été une illustration récente de la nécessité de dispositions antibriseurs de grève. Durant le conflit qui a duré 16 mois, soit de juin 1994 à septembre 1995, ces travailleurs et leurs familles ont souffert de l'absence de mesures antibriseurs de grève. Pendant que l'employeur pouvait assurer impunément sa production, les travailleurs dépouillés de leur dignité de pouvoir exercer fièrement leur métier ont dû épuiser le vieux-gagné qu'ils avaient amassé au fil des ans afin d'assurer la vie quotidienne de leur famille et de ne pas perdre leur maison.
On ne peut que déplorer que le droit de grève, requis à l'équilibre envisagé au Code canadien, demeure en 1998 un droit sans disposition permettant d'assurer son respect intégral. On connaît les résultats des conflits violents ainsi que les problèmes occasionnés par la présence des scabs à la fin des arrêts de travail. Pensons notamment aux conflits miniers dans les Territoires du Nord-Ouest canadien.
Rappelons tout d'abord qu'au Québec, l'adoption de véritables dispositions antibriseurs de grève ne faisait pas consensus lors de leur promulgation. Les employeurs, les Chambres de commerce et le Parti libéral du Québec s'y opposaient de façon virulente, argumentant qu'une loi antiscabs augmenterait le nombre de conflits et prolongerait leur durée sous prétexte qu'une telle loi donnerait un rapport de force qui avantagerait le syndicat. Or, c'est tout le contraire qui s'est produit. Depuis, les conflits sont moins nombreux et généralement moins longs qu'auparavant.
Adoptée lors du premier mandat du gouvernement du Parti québécois, cette loi n'a pas été retirée par le dernier gouvernement du Parti libéral du Québec au pouvoir pendant neuf ans. Rappelons que le Parti libéral a conservé cette loi en dépit d'un rapport émanant de ses rangs, le rapport Scowen, qui recommandait l'élimination de cette loi. Donc, maintenant, c'est une loi qui fait consensus, y compris au niveau patronal.
Je rappelle que la cour avait permis au Conseil du patronat d'en appeler d'une procédure et que le Conseil du patronat s'était retiré de la procédure pour accepter l'existence de la loi. Cela a été voté en 1978.
Il faut innover et faire preuve de progrès social. L'actuel gouvernement fédéral doit remplir ses engagements pris tout d'abord alors qu'il était dans l'opposition, et ensuite devant les travailleurs d'Ogilvie auxquels je faisais allusion tout à l'heure, en octobre 1994, alors qu'il était au pouvoir. Si le gouvernement adopte une vraie loi antibriseurs de grève ou antiscabs, au Canada, comme nous l'avons vécu au Québec, il y a aura consensus dans quelques années sur les mérites d'une telle loi.
L'introduction de mesures antibriseurs de grève dans le Code canadien donnera aux syndicats et à leurs membres des outils pour se protéger contre certaines entreprises, américaines en particulier, désireuses de s'implanter au Canada mais peu respectueuses des traditions de concertation qui se sont développées ici depuis quelques années.
Ces dispositions indiqueront en effet clairement à ces employeurs qu'ils doivent respecter les lois et les traditions en vigueur au Canada. Autrement dit, l'adoption d'une loi antiscabs dans le Code canadien du travail est un rempart contre le modèle des conventions collectives américaines, qui sont pauvres en matière d'ancienneté, de formation professionnelle, de santé et de sécurité au travail.
• 0955
Une loi antiscabs est une garantie de paix
industrielle. Nous réclamons une loi antiscabs
modelée sur les dispositions de l'article 109.1 du Code
du travail du Québec et non sur les dispositions
prévues au projet de loi C-19, où on dit qu'il est
interdit d'utiliser des scabs «dans le but de miner la
capacité de représentation d'un syndicat». Par
définition, utiliser des scabs, c'est non seulement
miner mais annuler toute capacité de représentation
d'un syndicat. Mais en faire la preuve est
une opération trop difficile pour être efficace. Cela
mènerait à des débats interminables. Les scabs ne sont
pas et ne seront jamais représentés par un syndicat.
Nous croyons également que de réelles dispositions antibriseurs de grève devraient être insérées et être traitées comme pratiques déloyales aux articles 94, 97 et 99 du Code du travail.
Sur les services essentiels, nous ne comprenons pas que le projet de loi propose des dispositions relatives à la prestation de services essentiels alors que le même projet de loi ne propose pas de véritables dispositions pour proscrire l'utilisation de scabs. Il est indécent que des employeurs puissent, en plus d'exiger la prestation des services essentiels, utiliser des scabs. D'ailleurs, l'utilisation de travailleurs des services essentiels et de scabs en même temps conduirait à une confrontation non plus sur les lignes de piquetage, comme le vivent actuellement les travailleurs et travailleuses régis par le Code fédéral, mais dans l'établissement même.
Je conclurai en disant qu'à la suite de la grève des travailleurs des Minoteries Ogilvie, la CSN pense justifié de revendiquer que le Parlement prenne les dispositions nécessaires pour remettre les minoteries sous la juridiction des provinces. Il est inutile de faire de pénibles amendements constitutionnels pour cela. Le Parlement fédéral n'a qu'à modifier sa loi sur le blé et biffer toute mention des minoteries. Il peut même le faire par province si cela lui chante, comme il l'a fait dans le cas des meuneries. Nous sommes maintenant bien renseignés sur la différence entre minoteries et meuneries. Il l'a fait dans le cas des meuneries, c'est-à-dire ceux qui travaillent directement avec le blé. Le gouvernement du Québec n'aurait qu'à accueillir sous sa juridiction les minoteries tout en maintenant la continuité des conventions collectives.
Je remercie les membres du comité de leur attention. Nous allons maintenant répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup. Nous disposons de relativement peu de temps pour les questions, alors je vais ouvrir la période des questions avec une ronde de deux minutes, et la parole sera d'abord à M. Rocheleau.
[Français]
M. Yves Rocheleau: Merci, monsieur Paquette, de votre témoignage. Je voudrais vous questionner sur les dispositions à peu près non existantes concernant les briseurs de grève, les scabs. Est-ce que vous avez pris connaissance de la différence entre le texte du projet de loi C-66 et celui du projet de loi C-19? Dans le projet de loi C-19, l'article portant sur l'embauche de scabs se lit comme suit:
-
...dans le but établi de miner
la capacité de représentation d'un
syndicat plutôt que pour atteindre des objectifs
légitimes de négociation...
Tout cela est ajouté: «établi» et «plutôt que pour atteindre des objectifs légitimes de négociation». J'aimerais vous entendre là-dessus. Qu'est-ce qui a pu amener le législateur à ajouter ces nouveaux mots dans le projet de loi? Comment réagissez-vous?
M. Pierre Paquette: Je ne saurais dire ce qui peut amener le législateur à changer les mots. Je voudrais simplement dire que, de la façon dont l'article est écrit, il serait légitime de la part d'un employeur d'engager des scabs pour créer un rapport de force dans le cadre de la négociation. Dans le cas des dispositions antibriseurs de grève du Code québécois du travail, l'employeur a la garantie que s'il n'utilise pas de briseurs de grève, les employés en grève vont maintenir les installations en état pour éviter des problèmes lorsque la production reprendra. Il nous semble tout à fait légitime que, dans le cadre d'un conflit de travail, on s'assure que les instruments de travail puissent rester en bon état jusqu'à ce que la production reprenne.
Par contre, il nous semble complètement illogique de placer des dispositions sur les travailleurs de remplacement, pour reprendre l'expression de la loi. Dans le cadre de la négociation, c'est tout à fait contraire. Il faut centrer l'employeur sur la résolution de la négociation et non sur le maintien de ses activités.
Je ne sais pas si Maurice Sauvé, qui est adjoint exécutif et que je n'ai pas pu présenter, voudrait ajouter quelques éléments là-dessus.
M. Maurice Sauvé (adjoint au comité exécutif, Confédération des syndicats nationaux): Vous voulez savoir si l'amendement qui se trouve dans le nouveau projet de loi change quelque chose par rapport au texte qui se trouve dans C-66. Je pense que cela ne change rien quant au fond.
• 1000
L'ajout de l'expression «dans le but établi de miner» dans le
contexte de l'embauche de travailleurs de
remplacement et de «plutôt que
pour atteindre les objectifs légitimes de négociation»,
me semble indiquer clairement que le but d'une
négociation est d'atteindre des objectifs légitimes.
Pour dire qu'on ne peut pas en embaucher, on
dit:
-
(2.1) Il est interdit à tout employeur ou quiconque
agit pour son compte d'utiliser, dans le but
établi de miner...
On n'ajoute rien. L'utilisation des mots «dans le but établi» indique l'obligation d'établir le but, et je crois comprendre que cela repose sur les épaules du syndicat. Il est certain qu'aucun employeur ne va admettre que le but de l'embauche de travailleurs de remplacement ou de scabs est de miner la capacité de représentation d'un syndicat.
On ajoute ici qu'il faut établir cela. De toute façon, même si le mot n'avait pas été là, à notre avis, il reviendrait au syndicat de faire la preuve que l'employeur est de mauvaise foi.
Essayez donc de démontrer la mauvaise foi de l'employeur. Évidemment, c'est un ensemble de faits. On se rappelle certaines causes de négociation en Ontario. Il est extrêmement difficile de prouver la mauvaise foi de l'employeur. Il est très difficile de prouver de mauvaises intentions. C'est pratiquement impossible. Mais on sait une chose: c'est que toute initiative prise en exécution de cette disposition de la loi permet à l'employeur de gagner du temps, et pendant qu'on débat devant les tribunaux, les travailleurs de remplacement, les scabs, s'exécutent. Cela nuit aux relations de travail.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Sauvé.
Monsieur Martin.
M. Pat Martin: Merci, monsieur le président.
J'avais toujours eu l'impression que là où il y a des lois interdisant le recours aux briseurs de grève, les grèves durent moins longtemps, il y a moins de violence sur les lignes de piquetage et il y a en fait moins souvent de pertes de temps, de grèves et de lock-outs. On ne nous a pas fourni de statistiques là-dessus. Pourriez-vous nous éclairer sur des différences qui auraient été constatées entre l'époque où le Québec n'avait pas de loi anti-scabs et la situation actuelle?
[Français]
M. Pierre Paquette: Il est clair qu'il n'y a pas que la loi antibriseurs de grève ou antiscabs qui joue; c'est un facteur parmi d'autres. Mais il est très clair aussi qu'au Québec, on est passé, au début des années 1970, d'un niveau de grève à peu près identique à celui qui existait en Italie à l'époque, à un niveau de grève et de conflit qui est à peu près le moins élevé en Occident.
Je dirais que la loi comme telle change, non pas le rapport de force, mais l'objectif et, comme je l'ai mentionné, centre la question sur le principal problème, qui est le résultat de la négociation, plutôt que sur un problème secondaire, soit le maintien des activités pendant le conflit. Donc, l'employeur et le syndicat se concentrent sur le résultat de la négociation plutôt que sur d'autres éléments, ce qui maintient un respect mutuel qui n'existe pas dès qu'on utilise des briseurs de grève.
Je rappelle souvent que la première pancarte qu'on voit, quand il y a un conflit, ne porte pas sur des questions d'augmentation de salaire ou d'amélioration des conditions de travail, mais sur la question du respect. Le boss ne nous respecte pas. Nous ne sommes pas respectés. L'utilisation des briseurs de grève est la manifestation la plus choquante de cette absence de respect pour des gens qui ont souvent donné plusieurs années de leur vie pour construire l'entreprise.
Nous pouvons fournir des statistiques au comité. Il serait peut-être intéressant de voir aussi ce qui s'est fait en Colombie-Britannique et de consolider cet argument.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Paquette.
Le temps dont nous disposons est très court, étant donné la durée de votre déclaration liminaire.
[Français]
Madame Bradshaw.
Mme Claudette Bradshaw (Moncton, Lib.): Bonjour. Mon français va être du «chiac». Si vous ne comprenez pas, il n'y a pas de problème. Les interprètes vont vous aider à comprendre.
Pour ce qui est du projet de loi que nous étudions présentement, il va sûrement y avoir des pour et des contre parmi les groupes que nous allons rencontrer.
• 1005
Ma question est celle-ci: Faites-vous confiance au
bureau de direction qui est mis en place? Êtes-vous
satisfaits du pouvoir qu'on va lui donner?
M. Pierre Paquette: Je dois dire qu'en ce qui concerne ces aspects-là, nous avons fait confiance au Congrès du travail du Canada. Comme je l'ai mentionné, seulement une petite partie de nos membres sont couverts par le Conseil canadien des relations industrielles. Nous n'avons donc pas remis en question la décision du CTC, qui était d'accord sur la composition du nouveau Conseil canadien des relations industrielles.
Je sais très bien que le Conseil peut jouer un rôle par rapport à la disposition antibriseurs de grève. Cependant, à notre avis, comme Maurice le mentionnait, il sera extrêmement difficile, étant donné le libellé de ce qui est proposé dans le projet de loi, de prouver la volonté de l'employeur de briser la capacité de représentation du syndicat. Dans le cas de dispositions qui touchent à la négociation de bonne foi, on a parfois des résultats, mais seulement une fois que le conflit est réglé. Donc, la loi telle qu'elle est écrite actuellement ne jouera pas vraiment d'une façon ou d'une autre à l'avantage du syndicat dans ce rapport de force. Cela sera plus souvent au désavantage du syndicat. Donc, nous ne nous sommes pas prononcés sur la question de la composition du Conseil. Nous nous sommes fiés au CTC et aux représentants patronaux au niveau pancanadien.
[Traduction]
Le président: Merci. Monsieur Johnston.
M. Dale Johnston: Merci, monsieur le président.
Merci de votre exposé. Vous y traitez, en des termes très sentis, de législation anti-travailleurs de remplacement. Je devine la réponse, mais je me demande néanmoins si vous ne voyez pas que l'employeur a besoin ou a le droit de recourir à des travailleurs de remplacement, notamment des cadres, des personnes qui ne sont pas membres des unités de négociation, pour maintenir la viabilité de son service ou de son entreprise.
[Français]
M. Maurice Sauvé: Je crois qu'il y a deux éléments. Dans une loi comme celle du Québec, par exemple, il est prévu que les employés qui sont au travail avant le déclenchement du processus de négociation auront le droit de travailler pendant la grève.
Deuxièmement, il est prévu que l'employeur, même dans le cas d'une loi comme celle du Québec, a le droit de prendre des mesures telles qu'embaucher du personnel pour assurer la conservation de ses biens et s'assurer que des denrées périssables comme des aliments, par exemple, ne soient pas avariées. Le Code apporte donc une protection qui assure à l'entreprise qu'il n'y aura pas détérioration de ses biens et de ses actifs.
Le fait d'avoir une loi antiscabs permet aux parties de se concentrer sur la négociation. Il est clair qu'un employeur qui recrute des scabs est préoccupé par le rendement des scabs. Il en oublie la négociation.
Rappelez-vous que c'est arrivé au Québec après plusieurs conflits qui avaient engendré de la violence. Le principal a été celui de Pratt & Whitney, dans les années 1973-1974. Il y a eu une violence épouvantable. La police a dû charger. Certains ont fait de la prison, ce qui était tout à fait inadmissible. Des scabs ont été également recrutés dans l'affaire Gypsum, puis dans l'affaire Robin Hood. Des gardes de sécurité ont même tiré à la mitraillette chez Robin Hood et il y a eu des blessés. Il y a donc une violence de rattachée aux conflits de travail lorsque l'on recrute des scabs.
• 1010
Rodrigue Blouin, dans son rapport sur le rapport
Sims, expliquant en dissidence pourquoi il n'était pas
d'accord sur la proposition du rapport Sims qui était
le contenu de C-66, disait que c'était introduire des
tiers dans le processus de négociation. Il y a d'un
côté l'employeur, de l'autre le syndicat, et on fait
entrer les tiers que sont les scabs, qui vont fausser
tout le jeu de la négociation. J'espère que cela répond
à votre question.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup, monsieur Sauvé, et merci à vous, messieurs. J'apprécie le temps que vous avez pu nous consacrer.
Nous allons maintenant entendre l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques. On me dit que nous allons également avoir parmi nous M. Lachance, de Dow Chemical.
Messieurs, étant donné qu'il y a en fait deux organisations, allez-vous faire une seule présentation ou deux déclarations distinctes?
M. Richard Paton (président-directeur-général, Association canadienne des fabricants de produits chimiques): Il y aura une seule déclaration, et mes deux collègues la compléteront avec des observations.
Le président: Très bien. Nous avons prévu environ une demi-heure par groupe. Cela prend déjà quelques minutes pour qu'un groupe s'en aille et que le suivant s'installe. Je vous demanderai de faire vos remarques liminaires en veillant à ce qu'il reste suffisamment de temps pour que les membres du comité puissent vous poser quelques questions.
Monsieur Paton, veuillez, je vous prie, nous présenter les personnes qui vous accompagnent.
M. Richard Paton: Merci beaucoup, monsieur Alcock.
Eh bien, je suis très heureux de soumettre au comité les vues de l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques. Je suis président de l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques ou ACFPC. Je suis accompagné de Claude-André Lachance, directeur des affaires gouvernementales chez Dow Canada, et de David Shearing, qui est responsable du développement commercial à l'ACFPC.
Il avait été prévu que Detric Ostapyk, de Shell Canada, vienne ici aujourd'hui de l'Alberta, mais il a été bloqué par le fiasco de l'aéroport Pearson et des problèmes de radar, etc. Sa perspective est très importante car il travaille pour une société albertaine qui est, comme c'est le cas de Dow Canada, très touchée par tout ceci. Je demanderai donc à Dave Shearing d'exposer un petit peu le point de vue de Shell Canada là-dessus.
Avant que je ne vous lise ma brève déclaration, dont vous avez, je pense, tous reçu copie, j'aimerais dire quelques mots d'introduction au sujet des préoccupations de l'ACFPC relativement aux modifications, surtout celles proposées au paragraphe 87.7 du Code canadien du travail.
Bien franchement, nous sommes très mécontents du processus qu'a suivi le gouvernement dans l'élaboration de cette modification. Nonobstant notre intervention sur la question, conjointement à la Coalition des associations d'employeurs, nous avons le sentiment que le gouvernement n'écoute pas ou ne comprend pas la gravité des préoccupations que nous avons soulevées.
Par ailleurs, nous n'avons jamais obtenu de réponse satisfaisante aux questions que nous avons soulevées ni aux recommandations que nous avons proposées et qui sont le fruit de plusieurs enquêtes. En guise d'analogie, je dirais que nous voyons le projet de loi comme étant un train qui va tomber du haut d'une falaise, et personne ne semble être prêt à dire que la catastrophe nous guette.
Nous entendons donc vous entretenir un petit peu aujourd'hui de la catastrophe qui nous guette bel et bien et nous allons en parler avec conviction. Cette réunion est une occasion très importante pour nous de faire état des préoccupations de l'ACFPC relativement au projet de loi C-19, tout particulièrement parce que l'association s'était vu refuser la possibilité de comparaître devant le comité lorsque celui-ci était saisi du projet de loi C-66, bien que Claude-André ait réussi à rencontrer les sénateurs.
• 1015
Nous tenons à ce que vous sachiez que les modifications
proposées ne servent pas l'intérêt public, auront une grave
incidence sur le Canada et mettront sérieusement en péril les
industries chimiques et d'autres secteurs de l'économie canadienne.
D'autre part, ces modifications ne sont pas nécessaires, étant
donné qu'il n'existe à l'heure actuelle aucune crise. Hors, la
modification relative à l'exemption pour le grain pourrait bel et
bien déboucher sur une crise, ouvrir la voie à une augmentation de
l'agitation ouvrière et, partant, prolonger tout arrêt de travail
survenant au port de Vancouver.
Un tel arrêt de travail aurait une incidence dévastatrice sur la compétitivité des produits canadiens sur les marchés asiatiques et pourrait menacer plus de 4 milliards de dollars en nouveaux investissements dans le secteur pétrochimique qui ont été lancés en Alberta.
Je vais maintenant passer au texte que nous vous avons fourni. Notre mémoire porte sur une disposition particulière du projet de loi C-19, à savoir celle qui ajouterait le paragraphe 87.7 au Code canadien du travail, partie I.
L'ACFPC s'oppose fermement à cette modification, en vertu de laquelle les navires céréaliers continueraient de recevoir des services pendant les arrêts de travail dans les ports, tandis que les navires transportant d'autres importantes marchandises destinées à l'exportation, comme des produits pétrochimiques ou d'autres produits chimiques, ne pourraient pas profiter du même traitement. Nous tenons à préciser d'emblée qu'il n'existe aucune mésentente entre les expéditeurs de grain et nous. Nous sommes d'accord pour dire qu'il faut procéder à des réformes pour protéger et améliorer la réputation du Canada en tant que fournisseur fiable des grands marchés d'exportation. Néanmoins, selon nous, les solutions retenues devraient s'appliquer de manière uniforme, et ne pas être restreintes à une seule marchandise.
L'ACFPC représente 72 sociétés qui fabriquent annuellement des produits chimiques industriels d'une valeur de 15 milliards de dollars, dont 55 p. 100 sont destinés aux marchés d'exportation. Nos membres fabriquent des produits pétrochimiques, des produits chimiques inorganiques et des produits chimiques spéciaux. Les exportations qui passent par les ports de la côte ouest sont importantes pour chacune de ces catégories, mais elles le sont par-dessus tout pour les sociétés pétrochimiques de l'Alberta, dont les usines sont d'envergure mondiale, et qui comptent sur la vente en Asie d'une importante partie de leur production. Nous allons vous parler plus particulièrement aujourd'hui de deux de ces sociétés.
Pour soutenir la concurrence sur les marchés internationaux des produits pétrochimiques et autres produits chimiques, les deux principaux atouts sont de bons prix et des livraisons ponctuelles. À la moindre éventualité d'un arrêt de travail dans les transports au Canada, nos membres sont immédiatement pressentis par leurs clientèles de Chine, du Japon et de Corée, ainsi que par les autres marchés essentiels. Lorsqu'un arrêt de travail se produit effectivement, ce qui est arrivé beaucoup trop fréquemment par le passé, certains de nos membres perdent des ventes, parce que leurs clients les délaissent au profit de fournisseurs installés dans des pays où les mécanismes d'expédition sont rarement perturbés par des conflits de travail, les États-Unis ou l'Arabie saoudite, par exemple.
Certains autres de nos membres réussissent, dans une certaine mesure et non sans devoir engager des frais supplémentaires importants, à fonctionner malgré la désorganisation des transports, à condition que le gouvernement y mette un terme assez tôt.
Tous nos membres qui utilisent les ports de la côte ouest sont inquiets pour l'avenir. En effet, si les navires céréaliers ont droit au traitement spécial envisagé dans le projet de loi C-19, les pressions visant à mettre fin aux arrêts de travail seront, bien entendu, moindres.
À l'heure actuelle, les sociétés membres de notre association, comme Dow, Methanex, NOVA Chemicals, Shell, Union Carbide et d'autres expédient à l'étranger des produits chimiques évalués à environ 1,3 milliard de dollars par les ports de la côte ouest, Vancouver surtout.
Nos membres ont également annoncé qu'ils procéderaient bientôt à d'importants nouveaux investissements dans le secteur de la pétrochimie en Alberta, ce qui augmentera substantiellement les expéditions dans ce secteur au cours des prochaines années. En effet, pour être rentable, toute nouvelle usine doit vendre en moyenne 40 p. 100 de sa production sur les marchés étrangers. Déjà on annonce de nouveaux investissements dans les industries de l'éthylène, du polyéthylène, de l'éthylèneglycol, etc., qui représentent des immobilisations de près de 4 milliards de dollars, principalement en Alberta, et ce n'est qu'un début. Des interruptions dans le transport des marchandises provenant de ces usines coûteraient des millions de dollars à nos membres et pourraient déboucher sur un recul temporaire, et peut-être même permanent, dans l'emploi. Mais, et c'est peut-être le plus important, l'éventualité des arrêts de travail dans le système de transport est prise en considération par les investisseurs potentiels, au moment où ils songent au Canada comme endroit où lancer de nouveaux projets chimiques, et cette possibilité représente certainement un argument très négatif.
Nous recommandons que le paragraphe 87.7 du projet de loi C-19 soit supprimé et remplacé par la proposition de la Coalition des associations d'employeurs présentée en annexe.
Cette proposition s'appuie sur les résultats des enquêtes qui ont été réalisées le long de la côte ouest. Celle-ci n'a pas tout simplement été concoctée par nous. Elle s'appuie très solidement sur un vaste travail couvrant une bonne période de temps. Cette solution de rechange répondrait aux inquiétudes des expéditeurs de grain tout en faisant en sorte qu'en cas d'arrêt de travail toutes les marchandises passant par les ports seraient traitées de la même manière.
Nous vous remercions d'avoir entendu les opinions de l'association. Je vais maintenant céder la parole à Dave Shearing, qui va vous parler un petit peu des défis de Shell Canada, après quoi Claude-André dira quelques mots au sujet de Dow.
M. David J. Shearing (directeur de projet, développement commercial, Association canadienne des fabricants de produits chimiques): Comme l'a expliqué Richard Paton, Detric Ostapyk, de Shell Chemical, était censé venir aujourd'hui de Calgary, mais il a été arrêté au passage à Toronto et il lui sera donc impossible de faire sa déclaration devant le comité.
Depuis septembre 1984, Shell Chemical expédie du styrolène, qui est l'un des principaux produits pétrochimiques, à ses clients de la région Asie-Pacifique à partir du port de Vancouver. Le projet de loi C-19 menace la sécurité de l'approvisionnement, ce non seulement pour l'actuelle clientèle de Shell pour le styrolène, mais également pour de nouveaux clients de notre nouvelle usine de production de monoéthylèneglycol—il s'agit en gros d'un antigel—qui est censée livrer son premier produit dans le courant du troisième trimestre de l'an 2000. Il s'agit là d'une toute nouvelle usine de Shell.
Les deux usines chimiques ont ou auront la capacité d'entreposer environ 20 000 tonnes métriques de leurs produits respectifs dans des réservoirs stationnaires ou dans du matériel roulant qui ne bougerait pas en cas de grève. La période maximale tolérable de ralentissement serait d'environ 21 jours, avec le risque d'une fermeture complète de l'usine si elle devait tourner à moins de 50 p. 100 de sa capacité. Essentiellement, l'usine ne pourrait pas fonctionner pendant très longtemps à moins de 50 p. 100 de sa capacité avant de devoir fermer ses portes.
Le risque économique à court terme est la perte de ventes, la perte de l'utilisation de wagons de train, les frais de surestarie et le coût de la réouverture suite à un arrêt de l'exploitation.
Comptent parmi les risques à long terme l'incertitude à l'égard de l'exploitation de l'usine par suite de l'arrêt des opérations et, ce qui est plus grave encore, les dommages subis par les clients de la région Asie-Pacifique qui comptent sur nous pour s'approvisionner et qui seraient très vulnérables en cas de risque de fermeture. L'autre élément très réel est qu'il serait difficile de récupérer ces clients.
La société Shell Chemical estime que le marché de l'Asie-Pacifique est stratégique pour elle. La continuité et la régularité dans l'approvisionnement sont une exigence fondamentale des clients. Le projet de loi C-19 pourrait augmenter le risque-pays pour nos produits. Il nous faudrait envisager de recourir à d'autres installations de terminal, c'est-à-dire à d'autres ports canadiens ou américains, en vue de réduire ce risque.
Merci beaucoup.
Le président: Monsieur Lachance.
M. Claude-André Lachance (directeur, affaires gouvernementales, Dow Chemical Canada): Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité.
La question n'est pas théorique pour Dow Chemical. Elle mobilise nos cadres supérieurs depuis 18 mois au cours desquels ils ont eu d'innombrables réunions avec le ministre et d'autres intervenants. Nous sommes quelque peu frustrés, c'est le moins que l'on puisse dire, de constater que nous en sommes à la onzième heure et que nous continuons d'essayer de décrire ce qui est selon nous une grave erreur en devenir, ce, bien sûr, dans le contexte du maintien de notre capacité de livrer nos produits sur les marchés d'exportation.
Permettez-moi de vous décrire la situation. Dow a des installations de 2,5 milliards de dollars en Alberta. Il s'agit d'un site pétrochimique intégré. Il s'agit de ce que l'on appelle un site mondial, en ce sens qu'il doit compter sur des marchés d'exportation, principalement les pays de la région du Pacifique. Parce que nos installations sont enfermées dans les terres, il nous faut recourir au port de Vancouver.
Pour vous préciser un peu mieux les choses, nous expédions chaque année un million de tonnes de produits, d'une valeur de 350 millions de dollars. Nous sommes un très gros expéditeur à Vancouver. Les chargements quotidiens se chiffrent à plus ou moins 1 million de dollars. Nous n'avons aucune capacité d'absorber un arrêt de travail.
Nous fonctionnons dans le cadre d'un système de livraison en temps réel. Nous avons notre propre flotte de wagons. Chaque jour, nous envoyons 35 wagons au port de Vancouver. Il faut compter six jours entre le moment où nous chargeons ces wagons à Fort Saskatchewan, en Alberta, et le moment où ils reviennent à Fort Saskatchewan, après chargement de la marchandise à bord des navires. La boucle demande six jours.
Après six jours, en cas de conflit de travail, notre capacité de livrer nos produits est gelée. Il nous faut alors fermer nos usines à Fort Saskatchewan. Étant donné qu'il s'agit de produits chimiques, ces ventes de 1 million de dollars par jour sont perdues pour l'entreprise, mais elles sont également perdues pour le pays. Je ne vais pas vous parler de la perte de notre cote d'estime ni du fait que nos clients vont s'interroger sur notre capacité d'être un fournisseur fiable de ces produits.
• 1025
Lorsque nous parlons de la catastrophe qui nous guette, donc,
nous parlons de vrais dollars, de vrais problèmes et de vraies
inquiétudes pour nous.
Dans une lettre que notre président a envoyée au ministre l'été dernier, nous expliquons que nous allions envisager des solutions de transport de rechange au cas où cette disposition d'exemption pour le grain soit adoptée. Je vais vous expliquer pourquoi il nous a fallu faire cela.
C'est une question de risque commercial. Le problème avec cette disposition est qu'elle est fondamentalement défectueuse dans ce qu'elle vise à faire. Oui, il existe au port de Vancouver une situation difficile en matière de relations de travail. Cela est reconnu depuis longtemps. En fait, le gouvernement a créé une commission d'enquête sur les ports de la côte ouest qu'il a chargée d'examiner cette situation. Cette commission a passé des mois à entendre des témoins et elle a produit un volumineux rapport.
Ce rapport a été plus ou moins ignoré par la commission Sims. D'ailleurs, dans une lettre que nous avons reçue du ministre du Travail d'alors, Alfonso Gagliano, il reconnaissait que la recommandation de la commission Sims allait à l'encontre des recommandations de la commission d'enquête sur les ports de la côte ouest.
Ce qui se passera dans la pratique, advenant un conflit de travail... et mesdames et messieurs les membres du comité, ce n'est pas théorique, car le 21 décembre 1998, deux contrats devront être renouvelés, celui des débardeurs et celui des chefs d'équipe. Il y a au port de Vancouver une longue tradition de conflits qui débouchent sur des interruptions de travail et des grèves. Il y a une longue tradition de pressions exercées en vue d'obtenir du Parlement qu'il rouvre et qu'il rappelle les gens au travail.
Comment quelqu'un pourrait-il penser qu'avec ces 8 p. 100 du volume traité au port correspondant au grain, 92 p. 100 étant la part d'autres produits—pâtes et papier, produits miniers, produits pétrochimiques—il y aura moins de pressions exercées sur le Parlement pour qu'il s'occupe d'une question qui deviendra un gros problème pour les marchés d'exportation et notre capacité de livrer nos produits? Pourquoi penserait-on que les parties vont être amenées à négocier de bonne foi, sauf si l'on est prêt à prendre des risques?
En tant que société qui doit composer avec le risque, nous ne pouvons prendre ce risque-là, et c'est pourquoi nous avons proposé—mais, monsieur le président, le ministre n'a encore pas réagi—que le gouvernement examine la situation et adopte la proposition faite par la commission d'enquête sur les ports de la côte ouest, qui mettrait à la disposition du ministre une vaste gamme d'outils qui veilleraient à ce que l'intérêt public soit maintenu en cas de conflit de travail au port de Vancouver.
Nous espérons que le comité, en cette onzième heure, examinera de très près cette disposition et ce qu'elle vise. Elle vise à supprimer le problème du grain dans l'espoir que les parties vont négocier de bonne foi. Je souligne le mot «espoir», car il n'y a aucune garantie que cela va déboucher. Et si cela ne débouche pas, qui, pensez-vous, paiera pour l'agitation ouvrière? Ce sera des entreprises comme la mienne, qui perdront 1 million de dollars par jour après six jours d'interruption de travail.
Mesdames et messieurs les membres du comité, voilà le message que je voulais vous transmettre. Il s'agit d'une question réelle et d'un risque réel pour les entreprises, qui sont des victimes innocentes, des tiers innocents dans ces conflits au port de Vancouver. Merci.
Le président: Merci à vous tous.
Nous avons utilisé environ 18 des 30 minutes dont nous disposions. Étant donné que vous êtes trois, et afin qu'il y ait suffisamment de temps pour vos réponses aux questions que voudront vous poser des membres du comité, je demanderai à chaque député qui a indiqué vouloir intervenir de poser sa question, après quoi je vous inviterai à répondre à l'ensemble des questions, de façon rapide et efficace.
• 1030
Monsieur Martin, posez votre question, je vous prie.
M. Pat Martin: Merci, monsieur le président.
Je n'ai qu'une seule question, et elle vise à obtenir un éclaircissement. Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour examiner ce que vous avez fait distribuer. Votre premier choix serait-il que l'on supprime le statut privilégié pour le grain, ou bien que l'on applique ce même statut à toutes les autres marchandises qui passent par le port? En d'autres termes, votre préférence serait-elle qu'il y ait un article «d'interdiction de grève» pour toutes les marchandises passant par les ports de la côte ouest? Quelle solution recommandez-vous aujourd'hui?
Le président: Merci, monsieur Martin.
Madame Brown, posez votre question, je vous prie.
Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.): Merci.
Vous dites que votre association exporte 55 p. 100 de sa production totale qui se chiffre à 15 milliards de dollars. D'après mon calcul, cela donne une valeur de 8,25 milliards de dollars, et dans le courant de la discussion, il a été sous-entendu que tous ces produits passent par Vancouver. Quelle est la valeur en dollars des marchandises qui passent par Vancouver? J'imagine que vous exportez une certaine partie de votre production aux États-Unis ainsi qu'en Europe, alors pourriez-vous me préciser combien de vos exportations passent véritablement par Vancouver?
Le président: Merci, madame Brown.
Monsieur Johnston.
M. Dale Johnston: Merci, monsieur le président.
J'aimerais remercier le panel pour la présentation. Vous avez évoqué la commission d'enquête sur les ports de la côte ouest et certains des outils qui auraient été mis à la disposition du ministère pour résoudre les problèmes qui semblent surgir annuellement ou semi-annuellement dans les ports de la côte ouest et qui exigent toujours l'intervention du Parlement. Pourriez-vous nous parler un petit peu de ces options et nous dire tout particulièrement ce que vous pensez des mécanismes de règlement des différends en général?
[Français]
Le président: Monsieur Rocheleau.
M. Yves Rocheleau: Si un arrêt de travail était déclenché comme vous l'appréhendez, est-ce que votre entreprise utiliserait le Code canadien et la disposition qui permet l'embauche d'employés de remplacement?
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Rocheleau.
Messieurs, je vous demanderai de répondre rapidement à ces quatre questions.
M. Richard Paton: Merci, monsieur le président. Je réagirai à l'observation de M. Martin, tandis que Dave Shearing répondra à la question sur les exportations et Claude-André se chargera de la question sur l'enquête sur les ports de la côte ouest et enchaînera peut-être avec les autres questions.
Monsieur Martin, je pense que notre proposition, qui est à la première annexe... La réponse à votre question est que nous aimerions que l'article proposé 87.7 soit remplacé par l'approche préconisée par la Coalition des associations d'employeurs, qui est un mécanisme de rechange pour résoudre les différends, relevant du Code canadien du travail, qui surviennent dans les ports canadiens.
Cette proposition s'appuie sur la recommandation de la commission d'enquête sur les ports de la côte ouest. Elle n'élimine pas la possibilité d'une grève, mais elle offre au ministre la possibilité d'intervenir, de négocier, de désigner un arbitre, de marquer un temps d'arrêt, d'examiner les impacts et de mener à bien un processus ordonné de règlement des différends, par opposition au genre de dynamique que l'on voit habituellement, avec son enchaînement arrêt de travail, rappel de la Chambre, adoption de loi, etc.
Nous aimerions que cela s'applique à toutes les catégories de marchandises. Cela viendrait remplacer le paragraphe 87.7 et offrirait un mécanisme qui serait à notre avis plus équitable. Ce serait un moyen juste pour les entreprises et raisonnable pour les travailleurs. Nous ne recommandons pas que soit supprimé le droit de grève, mais seulement que l'on utilise au maximum des modes amiables de règlement de litiges.
M. David Shearing: Vous posiez des questions au sujet des exportations qui passent par le port de Vancouver. Dans notre mémoire, nous disons que des produits chimiques d'une valeur de 1,3 milliard de dollars passent par les ports de la côte ouest, surtout celui de Vancouver. En fait, les exportations totales de produits chimiques sont supérieures d'environ 25 p. 100 aux expéditions de grain qui passent par les ports de la côte ouest. Cela vous donne un ordre de grandeur. Nous exportons en fait 25 p. 100 de plus de produits qu'il n'y a de grain.
M. Claude-André Lachance: La solution de rechange proposée par la coalition que vous allez entendre, la Coalition des associations d'employeurs, comportera vraisemblablement deux éléments. Le premier volet sera l'élément analytique, en vertu duquel le ministère nommera un conseiller spécial qui surveillera la situation dans les ports canadiens, mais plus particulièrement à Vancouver, en vue de s'assurer que tous les faits, du point de vue tant des relations de travail que de la situation concurrentielle des expéditeurs, soient bien établis. Nous publierons un rapport sur les activités périodiques. Voilà pour la première partie.
En ce qui concerne le deuxième volet, le ministre se verra accorder différents pouvoirs, une gamme d'outils, allant de l'imposition d'une période de réflexion dans le calme à la désignation d'un médiateur, en passant par l'application de toutes les limites qu'il jugera appropriées quant à l'exercice du droit de grève ou de lock-out, jusqu'au recours à l'arbitrage des offres finales. C'est toute une boîte à outils, mais il n'y aura pas suppression du droit de grève. Il s'agira en fait d'habiliter le ministre à intervenir comme bon lui semble.
Nous croyons que cela protégerait nos intérêts, l'intérêt public ainsi que la capacité continue du Canada d'être perçu comme un exportateur fiable de produits.
Quant aux questions plus précises concernant le ratio des exportations, comme je l'ai dit, nos installations à Fort Saskatchewan sont des installations mondiales. Elles ont été conçues en fonction de l'exportation. Près de 80 p. 100 de notre production est destinée aux marchés d'exportation. Environ 50 p. 100 de ces exportations passent par le port de Vancouver et 80 p. 100 de ces 50 p. 100 sont destinés aux pays de la région du Pacifique. Encore 20 p. 100 vont aux États-Unis, à la côte du golfe du Mexique et en Californie. Vous voyez donc qu'une part importante de cette production passe par le port de Vancouver.
Merci, monsieur le président.
Le président: Je vous remercie, monsieur Lachance. En fait, merci à vous tous, messieurs. J'apprécie que vous soyez venus présenter cela. Je crois savoir que le ministre MacAulay a rencontré les cadres supérieurs de Dow et a écrit au président de Dow. J'espère que les renseignements ont été disséminés auprès des autres membres. Comme vous le dites, c'est un sujet important auquel il convient de réfléchir, et nous vous remercions donc d'être venus.
L'auteur de la disposition sur le grain est sur le point de prendre place à la table. Vous allez peut-être lui faire un croche-pied en vous croisant.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Madame Townsend.
M. Richard Paton: Nous allons peut-être rester pour écouter.
Le président: D'accord. Venez, Patty. Venez avec le groupe. Il s'agit de Prairie Pools, avec M. Pearson, M. Edie, M. Van Der Haegen et la redoutable Patty Townsend.
Commençons. Comme vous le savez déjà puisque vous avez suivi les comparutions, nous avons un peu moins d'une demi-heure par groupe. Si vous pouviez limiter votre exposé à une dizaine de minutes, cela donnera un peu plus de temps pour les questions des députés. Si vous pensez avoir besoin de plus de temps pour exprimer vos positions, nous ferons comme précédemment, c'est-à-dire n'autoriser qu'une question par député... et si vous prenez toutes les 30 minutes, il n'y aura pas de questions.
Qui va commencer?
M. John Pearson (président, Prairie Pools Inc.): Je vous remercie, monsieur le président Alcock. Vous avez notre mémoire. Je ne pense pas avoir besoin de vous présenter Prairie Pools. Nous représentons trois importantes coopératives céréalières de l'ouest du Canada, soit les syndicats du blé de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba. Nous représentons près de 100 000 agriculteurs des Prairies. Nous traitons plus de 50 p. 100 du volume du grain dans l'ouest du Canada. Nous possédons d'importants terminaux, tant à Vancouver qu'à Thunder Bay, où nous sommes confrontés quotidiennement à ce problème. Nous avons des relations de longue date avec tous les syndicats.
• 1040
S'il est une chose qu'il convient de signaler, c'est que nous
sommes actuellement en cours de négociations. Une convention vient
à échéance cette année et il importe donc de hâter l'adoption de ce
projet de loi. Il est important pour notre secteur.
De profonds changements sont intervenus dans notre industrie. En 1994, le ministre de l'Agriculture et de l'Agro-alimentaire et le secteur céréalier ont convenu d'une vision à l'horizon 2005 pour l'industrie. Cette vision prévoit, en substance, que l'industrie fournisse des produits céréaliers à ses clients en plus grande quantité, quand ils le veulent, là où ils le veulent et toujours à temps.
La difficulté pour le secteur céréalier est que la réputation du Canada en tant que fournisseur a été entachée par les négociations salariales, les grèves et les arrêts de travail. Le problème a été clairement mis en lumière lorsque le Comité sur la commercialisation du grain de l'Ouest a rencontré le dirigeant de l'office de commercialisation de la Chine. Il a émis l'avis que nous ne sommes pas un fournisseur de céréales fiable. Les Chinois ne peuvent se permettre d'arrêter leurs processus de fabrication, leurs moulins ou usines de maltage en attendant que nous réglions un conflit social. Ce n'est pas un problème avec lequel ils veulent avoir à se débattre; ils se fourniront ailleurs.
Comme nous le disons dans notre mémoire, le Japon achète déjà et organise des livraisons de canola en provenance d'autres pays où ce genre de problème ne se pose pas. C'est donc une question délicate pour le Canada si nous voulons conserver notre réputation de fournisseur fiable de produits de qualité sur le marché mondial.
Nous avons un long passé de conflits de travail. Au cours des dix dernières années, l'acheminement des céréales a été interrompu 16 fois, pour un total de 230 journées perdues.
Comme vous le savez, chaque fois qu'il se produit un arrêt de travail, il y a un délai considérable avant que tout le système se remette en marche. En fin de compte, qui paie la facture? Ce sont réellement les agriculteurs de l'ouest du Canada qui finissent par en faire les frais.
Plus de 60 p. 100 des grains et oléagineux sont exportés via la côte ouest, par les ports de Vancouver et Prince Rupert. Ainsi que le comité Sims et le Code canadien du travail l'ont fait ressortir, le secteur céréalier est très particulier. Il s'agit d'un produit périssable. C'est un produit alimentaire. Il provient d'un environnement très différent de celui des autres produits transitant par la côte ouest. C'est un secteur plus fragile en ce sens qu'il fait vivre beaucoup plus de gens au total, si l'on considère toutes les exploitations agricoles et les effectifs des diverses sociétés qui travaillent pour la céréaliculture dans l'ouest du Canada.
Nous avons du mal lorsque, dans les discussions, on oublie que les céréales sont un aliment. C'est une denrée vitale pour les clients auxquels nous vendons. Lorsque l'approvisionnement est interrompu, nos clients dans le monde entier s'en ressentent.
• 1045
Les exploitants des terminaux céréaliers n'ont réellement
aucun rôle dans les négociations entre dockers et employeurs. Tout
se fait en dehors de nous. La Commission d'enquête sur les
relations de travail a même recommandé que les céréales soient
chargées sur les navires directement, en contournant entièrement
les débardeurs.
Nous estimons que cette modification contenue dans le projet de loi est un compromis. Il est intéressant de noter que tant les syndicats que le patronat y souscrivent.
S'il est une chose que j'aimerais signaler, c'est que tout le processus de négociation collective finit presque par ressembler à une partie de poker, où l'as caché est la capacité de bloquer les exportations de céréales. Les parties se sont rendues compte il y a longtemps que si l'on bloque les exportations de céréales, si l'on est patient et refuse de négocier, et si les céréales sont immobilisées, le gouvernement va intervenir et imposer une loi de réquisition pour remettre tout le monde au travail.
Le grain est devenu un outil de négociation. Nous estimons avoir besoin d'une représentation égale par un mécanisme qui permette d'établir un climat de négociation propice avec les syndicats de la côte ouest.
Nous comprenons que les expéditeurs des autres produits en vrac ne soient pas ravis de cette disposition. Nous avons conscience que, le grain étant retranché de l'équation, tout le cadre des relations de travail dans lequel ils fonctionnent va changer.
Mais il est essentiel que ce projet de loi améliore le processus de négociation collective. C'est absolument essentiel.
Le retrait du grain de l'équation ne va pas seulement rendre efficaces les négociations collectives avec les débardeurs, il permettra aussi à l'industrie céréalière d'accroître sa compétitivité du fait qu'elle ne sera plus prise en otage dans d'autres conflits de travail. C'est un aspect que nous voulons faire ressortir très clairement aux yeux de votre comité.
En conclusion, l'industrie céréalière des Prairies est reconnue comme l'une des plus efficientes du monde. Nous fournissons un produit dont la haute qualité est constante, pour lequel notre clientèle internationale est prête à payer un prix supérieur.
Tout dans notre secteur n'est pas parfait. Il y a beaucoup de restructurations et de changements en cours. Les agriculteurs, dans l'ensemble, ont conscience que ces rationalisations et changements comportent des coûts très importants. Il est essentiel que nous comprimions nos coûts, alors que les arrêts de travail dans l'industrie céréalière les gonflent considérablement.
La qualité de notre produit et les efforts déployés par notre secteur pour accroître son efficience de façon à répondre à la demande du marché et améliorer la réputation du Canada en tant que fournisseur souffrent des arrêts de travail. Notre réputation a pâti des perturbations du transport du grain causées par les grèves.
Prairie Pools est partisan du processus de négociation collective et salue les dispositions du projet de loi C-19 qui vont créer un meilleur climat social. Nous espérons que la rationalisation du processus aboutira à un plus grand nombre de règlements négociés et à moins d'arrêts de travail.
Monsieur le président—je ne sais pas si Dennis ou Patty veulent ajouter quelque chose—voilà notre exposé.
Le président: D'accord. Puisque cela a si bien marché la dernière fois, je vais suivre la même procédure: je vous demande de sortir vos stylos et je demanderais à chacun des membres de poser ses questions à la suite, et vous pourrez y répondre ensuite. D'accord?
Une voix: Pouvons-nous faire quelques remarques?
Le président: Non, pas à ce stade.
Monsieur Nault.
M. Robert Nault: Je vous remercie, monsieur le président.
Votre exposé exprime très clairement votre position sur le projet d'article 87.7 et le fait que cette disposition vous met à l'abri des conflits de travail dans les ports. L'une des choses que j'aimerais mieux comprendre, c'est l'idée déjà avancée par d'aucuns ce matin qu'une crise se prépare si nous mettons cet article dans le projet de loi.
Vous qui êtes l'une des principales denrées, vous allez devoir nous aider à mieux comprendre cette situation. Est-il possible que si nous enlevons le grain de l'équation des relations de travail—l'atout caché, comme certains le disent—et enlevons cette couverture de sécurité aux autres denrées... parce que c'est cela que vous êtes depuis le début, une couverture de sécurité. Votre présence modifie artificiellement tout le système des relations de travail, car les autres n'ont pas besoin de négocier non plus; ils vont simplement attendre que vous arriviez dans l'équation, et alors tout le monde se verra ordonné par une loi de retourner au travail. C'est ce qui s'est passé fois après fois.
Est-il possible qu'une fois que vous ne ferez plus partie de cette équation une autre denrée devienne l'atout caché? Ou bien est-ce, pace que vous êtes si importants et que les agriculteurs crient si fort et qu'un arrêt de travail touche à peu près toutes les familles agricoles dans tout le pays, que les céréales représentent la considération majeure et qu'il n'y aura plus d'atout caché et que les relations de travail vont dorénavant suivre un cours normal, comme on l'escompte avec cette disposition? J'aimerais savoir si, à votre avis, il est possible qu'une autre denrée joue le rôle d'atout caché que vous avez mentionné.
Le président: Je vous remercie, monsieur Nault.
Monsieur Johnston.
M. Dale Johnston: Je vous remercie. Je suis ravi de revoir les témoins à ce comité.
Vous avez fait état de 16 arrêts de travail au cours des dix dernières années, et ce n'est certainement pas une statistique très enviable. Vous avez mentionné également les recommandations faites par la Commission d'enquête sur les ports de la côte ouest. Nous venons juste d'entendre ici un groupe qui s'inquiète des arrêts de travail dans les ports de la côte ouest et ce pour des raisons très similaires aux vôtres, à savoir que ces arrêts de travail nuisent à leur réputation d'exportateurs fiables dans le monde et que leurs clients se mettent en quête d'autres fournisseurs.
L'une des recommandations de la Commission d'enquête sur les ports de la côte ouest était d'établir un mécanisme de règlement des différends qui interviendrait dans ces situations monopolistiques. Vous n'avez guère de choix; vous ne pouvez pas vous adresser à un port un peu plus loin, car il n'y a qu'un seul port. Comment réagiriez-vous à un mécanisme de règlement des différends, pour que le Canada puisse maintenir sa réputation de fournisseur fiable, non seulement de céréales mais aussi de quantité d'autres denrées?
[Français]
Le président: Thank you. Monsieur Rocheleau.
M. Yves Rocheleau: Je voudrais simplement poser une question. Faisant partie du secteur industriel, vous faites l'objet d'une exemption particulière dans le projet de loi. Est-ce que vous considérez que cette exemption vous est octroyée parce que vous avez une activité industrielle importante, un impact économique important pour l'économie du Canada ou à cause des matières périssables que vous manipulez?
[Traduction]
Le président: Je vous remercie, monsieur Rocheleau.
Monsieur Martin.
M. Pat Martin: Étant de Winnipeg et ayant aussi des antécédents syndicalistes, j'ai eu à me débattre avec l'idée qu'un produit soit exempté ou bénéficie d'un statut privilégié. Mais, petit à petit, j'en suis venu à réaliser que c'est là une très bonne idée.
Ce qui me trouble un peu est que nous avons entendu hier la Chambre de commerce du Canada, qui argue maintenant que le grain ne devrait pas jouir d'un tel statut. Or, il me semblait que tout au long de ce processus de consultation, la Chambre de commerce du Canada a souscrit à cet ensemble de mesures dont nous sommes saisis.
Ma question est donc de savoir s'il s'agit là d'une contradiction, d'un retournement ou si vous étiez informé de la position exprimée par Sharon Glover hier?
Le président: Je vous remercie, monsieur Martin.
Je vais user de la prérogative du président pour poser également une question.
• 1055
Monsieur Pearson, dans certaines des choses que vous avez
mentionnées—les échéances, la fiabilité des livraisons, la
prévisibilité, toutes ces choses qui influent sur votre
compétitivité sur le marché—ce qui me frappe, c'est la similitude
avec les difficultés avancées par le groupe précédent. Si tout le
monde a les mêmes problèmes, tels que la fiabilité des livraisons
et ce genre de choses, qu'est-ce qui différencie le grain?
Mme Patty Townsend (directrice des communications, Prairie Pools Inc.): Mon tour?
Le président: Votre tour.
Mme Patty Townsend: Je vais commencer. Habituellement je m'abstiens, étant une employée, mais je voulais simplement...
Il semble y avoir un fil commun qui parcourt toutes ces questions et l'on ne cesse de dire que le grain reçoit un statut spécial. Mais il faut que les choses soient absolument claires: il n'y a pas réellement de statut spécial pour le grain. C'est plutôt que nous sommes aujourd'hui dans une situation très particulière et spéciale. Les conflits de travail, dans lesquels nous n'avons aucun mot à dire, entre différents secteurs de l'économie, dont il se trouve que nous dépendons à cause de la façon dont le transport est structuré sur la côte ouest, peuvent nous paralyser.
On ne fait pas du grain un service essentiel. Il n'y a pas vraiment d'exonération du grain. Nous devons continuer à négocier avec nos 930 employés, et des grèves et des lock-out sont toujours une possibilité dans ce cas. Nous négocions collectivement avec nos propres employés et nous sommes partisans de ce processus. Ce que fait cette disposition, c'est nous placer sur un pied d'égalité avec les autres expéditeurs en vrac. Cela nous permet de ne pas être pris en otage dans des conflits qui n'ont rien à voir avec nous.
Leurs préoccupations sont légitimes. Nous admettons qu'ils sont dans le même genre de situation, en ce sens que les conflits sociaux nuisent à leur compétitivité dans le monde, mais ils sont parties prenantes dans ces négociations. S'ils peuvent influencer le groupe patronal, parmi lequel figurent les exploitants des terminaux où leurs produits sont manutentionnés et qui parfois même appartiennent à ces producteurs, ils peuvent mettre fin au conflit. Nous ne pouvons le faire, car nous n'avons pas notre mot à dire. Tout ce que nous demandons, c'est d'être placés sur un pied d'égalité.
Nous sommes convaincus également que si le grain ne peut plus être pris en otage et s'ils ne peuvent plus compter sur une loi de réquisition visant le grain, ils vont, en fin de compte, s'apercevoir que la négociation collective fonctionne très bien.
M. Dennis Van Der Haegen (Prairie Pools Inc.): Si vous le permettez, monsieur le président, en tant qu'agriculteur très actif du nord-ouest de la Saskatchewan, je ressens les répercussions de ces arrêts de travail jusque dans la cour de ma ferme parce que le grain en souffrance s'accumule jusque dans les Prairies et à cause du temps qu'il faut ensuite pour éponger le retard. Mais ce qui devrait préoccuper le Canada, et ce qui préoccupe l'industrie, à juste titre, c'est la perte potentielle de débouchés à cause des garanties, sur le plan de la qualité et des échéances de livraison que nous avons souscrites envers un certain nombre de pays.
Nous ne sommes pas le seul fournisseur de cette denrée. C'est une denrée alimentaire. Elle est périssable, il faut donc qu'elle soit acheminée en temps voulu. Aujourd'hui, davantage de pays se font livrer au fur et à mesure de leurs besoins au lieu d'entreposer des stocks et, dans l'intérêt de la balance commerciale canadienne, dans laquelle les céréales jouent un rôle très important, il faut traiter nos clients avec la plus grande prévenance. Il y a donc cet aspect-là à considérer aussi.
Le président: Je vous remercie, monsieur.
Monsieur Pearson, avez-vous un dernier mot à dire?
M. John Pearson: Oui. En réponse à M. Johnston, nous reconnaissons que le règlement des différends fait partie du processus de négociation collective et qu'à un certain moment c'est par là qu'il faut en passer—de façon régulière, la plupart du temps—mais nous voulons être assurés d'être sur un pied d'égalité, d'avoir un rôle dans le processus afin que nos préoccupations soient prises en compte et qu'un bon processus de négociation se déroule. Nous pensons que, manifestement, si le grain n'est plus tenu en otage, il y aura de meilleures perspectives pour que le processus de négociation aboutisse.
• 1100
Lorsque vous avez un syndicat et un patron qui discutent des
conditions de travail, il faut un cadre qui permette aux deux
groupes de réellement dialoguer et de trouver une entente. Ainsi,
on peut espérer que les parties trouveront un accord où tout le
monde gagne, afin d'éviter que quelqu'un déclare que les intérêts
d'une partie valent mieux que ceux de l'autre. Nous sommes
convaincus que la négociation est le meilleur mécanisme à utiliser
dans cet environnement.
Le président: Bien.
Mme Patty Townsend: Désolée, nous avons oublié de répondre à la question de M. Rocheleau.
Je ne pense pas que ce que l'on nous donne soit dû à l'importance de notre secteur ou au fait qu'il s'agit d'un produit périssable, encore que cela entre dans l'équation. Ce que nous demandons, c'est simplement un bon système de négociation collective, un système efficace. Le fait d'enlever le grain de cette équation améliorera la négociation collective pour tout le monde.
Nous restons disposés à négocier collectivement, équitablement et honnêtement, avec le Grain Workers Union, qui transporte le grain, et l'association patronale dont nous sommes membres, et nous espérons certainement que le projet d'article 87.7 aidera les autres expéditeurs à négocier avec les débardeurs.
Le président: Merci beaucoup, et j'espère que ce sera la dernière fois que nous aurons une discussion sur ce projet de loi.
Nous allons entendre un point de vue opposé, celui de la Western Grain Elevator Association. Nous accueillons M. Cummings, M. MacKay et M. Guest.
[Français]
Oui, monsieur Rocheleau.
M. Yves Rocheleau: Pour faire suite au débat soulevé tantôt par mon collègue M. Nault, je voudrais faire remarquer que le témoin ne nous présente qu'un document en langue anglaise et que nous ne faisons pas un plat de cet événement.
[Traduction]
Le président: Monsieur Rocheleau, je ne puis vous dire combien nous vous en sommes reconnaissants.
Monsieur Cummings, vous avez vu comment nous procédons ici. Vous avez une trentaine de minutes. Si vous pouviez faire un exposé aussi concis que possible, il restera du temps pour les questions des députés.
M. Ed H. Guest (directeur exécutif, Western Grain Elevator Association): Monsieur le président, honorables membres, je veux d'abord présenter nos excuses pour le fait que notre mémoire ne soit qu'en anglais.
Le président: Il n'est pas nécessaire qu'il soit dans les deux langues. Nous traduisons tout. C'est un conflit qui sévit dans d'autres enceintes et vous n'avez pas à vous en inquiéter.
M. Ed Guest: Les membres de la Western Grain Elevator Association sont reconnaissants de cette occasion de comparaître devant vous. Nous n'allons pas nous prononcer sur l'ensemble du projet de loi et nous en tenir strictement au projet d'article 87.7.
Notre association a été fondée à la fin des années 1800. Nous représentons les dix compagnies céréalières qui possèdent près de 99 p. 100 de tous les élévateurs primaires de l'ouest du Canada. Le seul silo terminal de l'Ouest qui n'en fasse pas partie est le port de Churchill.
Les problèmes sur la côte ouest sont si importants que nous avons formé en 1957 un groupe intitulé British Columbia Terminal Elevator Operators Association, qui fait partie de la WGEA. Nous comparaissons au nom de l'association mère et de la BCTEOA.
• 1105
Cette question est d'importance si cruciale que nous avons
demandé à M. Cummings, le directeur général de l'Alberta Wheat Pool
et vice-président de notre groupe, de faire l'exposé. M. Murdoch
MacKay, qui nous accompagne également aujourd'hui, est président de
la Terminal Elevator Association, un autre groupe affilié.
Là-dessus, monsieur le président, je donne la parole à M. Cummings.
M. Gord Cummings (vice-président, Western Grain Elevator Association): Merci beaucoup, Ed. Bonjour, mesdames et messieurs et monsieur le président.
La plupart des Canadiens connaissent bien l'importance de l'industrie céréalière, bien que les intervenants précédents, du secteur des produits chimiques, n'ont pas tout à fait les bons chiffres. Les céréales représentent 20 p. 100 de tout le trafic des ports de la côte ouest, et non pas 8 p. 100, et un volume de 3,5 à 4,5 milliards de dollars, et non pas 1 milliard de dollars.
Il faut remonter un peu en arrière et se demander pourquoi le Code canadien du travail s'applique même au grain. Il s'applique parce que, contrairement aux autres denrées, les silos à grain ont été considérés par la Loi constitutionnelle comme à l'avantage général du Canada, si bien qu'un sort différent de tout le reste leur est fait. Dans la même veine, un arrêt récent de la Cour suprême du Canada statuait que: «Le mouvement de grain à partir des terminaux de Vancouver et de Prince Rupert a toujours été de haute importance économique pour le pays».
Des problèmes surgissent lorsque des conflits dans d'autres industries paralysent le transport de grain. Ces conflits n'ont rien à voir avec les forces concurrentielles mondiales pesant sur l'industrie céréalière et ne peuvent être résolus par les forces économiques qui s'exercent sur les parties de l'industrie céréalière. Ces conflits sont plutôt externes à l'industrie céréalière et débouchent invariablement, comme d'autres l'ont dit, sur la prise en otage du grain.
C'est pourquoi, il y a environ trois ans, la Commission d'enquête sur les relations de travail dans les ports de la côte ouest a été mise en place, sous l'autorité de Greyell et Jamieson. Elle a conclu que le secteur du débardage a, de longue date, la capacité de paralyser les exportations de grain et en a fait son atout maître.
Ce n'est donc pas du tout une situation normale, comme d'aucuns le prétendent. De fait, cela a été mis très clairement en lumière par des experts en relations de travail de la côte ouest, dont je cite les conclusions:
-
Dans ce contexte, la Commission s'est penchée sur l'état des
relations de travail dans les ports de la côte ouest. Dans le
secteur du débardage en particulier, nombre des éléments ordinaires
d'une relation de négociation collective, tels qu'envisagés par le
Code, sont absents. C'est particulièrement évident dans le domaine
critique du règlement des différends où, comme on l'a vu, les
parties éprouvent constamment des difficultés.
-
À cet égard, beaucoup voient dans l'ingérence gouvernementale
continue le principal facteur causal des maux de l'industrie et
disent n'avoir jamais pu s'attaquer à leurs propres problèmes de
fond. Cependant, il est plus proche de la vérité de dire que c'est
l'industrie elle-même qui a amené tout ce rituel d'intervention
gouvernementale. De plus, cette dernière est délibérément utilisée
par l'industrie pour camoufler son incapacité à résoudre ses
propres problèmes, de même que comme outil pour contrer
l'intransigeance si profondément enracinée dans ses stratégies de
négociation. Dans l'intervalle, au lieu d'engager des négociations
sérieuses et responsables telles qu'envisagées par le Code
—et pourquoi nous voulons un Code canadien du travail—
-
les parties se livrent généralement à ce que l'on appelle en jargon
des relations de travail des «négociations de surface». Le terme
décrit le faire-semblant, le fait de préserver l'apparence de
négociation mais sans l'intention de parvenir à une convention
collective. De fait, il nous apparaît que la négociation collective
dans ce secteur a été réduite à un rituel ressemblant davantage à
une partie de poker où la faculté de paralyser les exportations de
grain constitue l'as caché.
—et, j'ajoute, aucun produit autre que le grain—
-
Tout le monde sait que lorsque cette carte est jouée, elle garantit
presque automatiquement une intervention rapide du Parlement.
Celle-ci, à son tour, réduit le risque que les parties soient
confrontées aux rigueurs d'un arrêt de travail prolongé. Pendant
tout ce temps, elles jouent au mieux de leur position tactique pour
se préparer à l'inévitable intervention d'une tierce partie. La
négociation collective, en soi, n'existe tout simplement plus.
Ce n'est pas nous qui le disons. Ce sont là les mots des experts en relations de travail qui ont étudié à fond le problème.
La Commission a constaté que les céréales ont été touchées à maintes reprises en raison de l'incapacité des parties du secteur du débardage à conclure une convention collective. Par exemple, il a fallu légiférer encore en 1995 pour empêcher le blocage du grain après le lock-out des débardeurs, et en 1994 pour mettre fin à une grève de ces derniers.
Je signale que l'article 87.7 proposé ne s'applique qu'au débardage. Les négociations fonctionnent dans d'autres domaines, notamment avec nos employés des terminaux, lorsqu'il y a un équilibre économique entre les deux parties. D'aucuns prétendent que cela couvrira tous les syndicats du secteur céréalier, mais ce n'est pas vrai. Cela s'applique uniquement au débardage, à un problème qui a été identifié comme réfractaire à la négociation collective.
• 1110
Notre association estime qu'il est particulièrement important
de confiner les conflits de travail aux industries concernées, et
les conflits extérieurs au secteur céréalier... Permettre que le
grain soit pris en otage dans des conflits surgissant dans d'autres
secteurs nuit gravement à la compétitivité et à la fiabilité du
grain canadien dans l'économie mondiale. Mais je fais valoir,
monsieur le président, que le préjudice s'étend à d'autres
industries aussi.
Vous avez entendu l'industrie chimique, celle du charbon et d'autres militer contre le projet d'article 87.7. Je réponds que toute la charade du débardage conduit inévitablement à des grèves, alors que le but du Code canadien du travail est justement d'instaurer des négociations véritables et non pas des grèves et des lois de retour au travail imposées par le Parlement. Le projet d'article 87.7 supprime ce levier et amènera, à mon avis, des négociations véritables, le but même du Code canadien du travail.
Je ne vais pas tout couvrir dans mon exposé, mais il est clair que la réputation du Canada en tant que fournisseur de céréales souffre. D'autres argueront qu'il en est de même dans d'autres industries, et je ne le nie pas. La réalité est qu'à Vancouver et sur la côte ouest, le processus de négociation avec les débardeurs ne fonctionne pas. Il ne fonctionne pas et cela a été constaté tant par Jamieson et Greyell que par Andrew Sims.
Une proposition circule prévoyant une intervention et une observation ministérielles à de nombreuses étapes, etc. Tout cela est déjà possible, mais s'il n'y a pas des négociations sérieuses, le résultat est le même. Ces propositions ignorent les conclusions de Jamieson et Greyell, tout en prétendant s'appuyer sur elles. Jamieson et Greyell ont recommandé que le débardage soit retranché du grain. Seul un tiers de tous les débardeurs s'occupent de la manutention du grain.
Nous savons, tout comme Andy Sims savait, que les débardeurs affirment que si cette mesure était prise il y aurait une guerre à mort avec les dockers. Nous en avons conscience et considérons le projet d'article 87.7 comme un compromis. La seule autre option est de renoncer à l'article 87.7 et de ne plus confier la manutention du grain aux débardeurs, ce qui entraînerait des troubles violents à Vancouver, des dégâts matériels, voire des actes de violence physiques. Nous estimons que la disposition du projet de loi assurera des négociations réelles, ce qui est le but du Code canadien du travail.
Notre premier ministre a effectué des voyages en Amérique latine et en Asie, où les acheteurs ont déclaré que nous devenons un fournisseur moins fiable. Ce qui s'est passé, c'est que d'autres pays, comme l'Australie, l'Argentine et les États-Unis, ont su réduire la fréquence des arrêts de travail davantage que nous. C'est cette différence qui nous rend moins compétitifs. Nous voulons voir moins d'arrêts de travail sur la côte ouest. Nous voulons voir des négociations effectives et réelles débouchant sur des accords et nous sommes convaincus que le projet d'article 87.7 nous les donnera.
La Loi constitutionnelle déclare que l'industrie céréalière est d'intérêt national pour le Canada, contrairement à d'autres secteurs dont les représentants ont comparu devant vous. Si d'autres denrées peuvent être importantes, le grain a été reconnu dans des lois antérieures comme méritant un statut particulier. Tant la Chambre des communes que le Sénat ont reconnu que l'industrie céréalière est d'intérêt national pour le Canada, en promulguant la Loi sur les grains du Canada et la Loi sur la Commission canadienne du blé, le grain étant la seule denrée faisant l'objet de telles lois. Ainsi, le fait de traiter le grain différemment des autres denrées dans la législation n'a absolument rien de nouveau.
J'attire votre attention sur le rapport Sims, rédigé par un éminent spécialiste du droit du travail. Ce rapport est le précurseur du projet de loi dont nous traitons ici.
Nous ne sommes pas surpris que de telles mesures soient mal accueillies par les débardeurs et d'autres employeurs maritimes, de même que par les producteurs d'autres denrées exportées via la côte ouest, qui peuvent les juger discriminatoires. Cependant, l'industrie céréalière, en raison de son importance, a été déclarée d'intérêt national par la Loi constitutionnelle et c'est pourquoi elle est couverte par le Code canadien du travail. Ce n'est pas le cas de la plupart des autres denrées. Sims a admis la spécificité du grain et reconnu qu'il est à l'origine des difficultés dans les négociations. Encore une fois, c'est lui qui a recommandé l'article 87.7.
Ce projet de loi a pour but d'instaurer un cadre de négociation collective propice à des négociations équilibrées entre employeurs et employés, tel que ces négociations débouchent sur une entente dans la vaste majorité des cas.
• 1115
Ce n'est pas ce qui se passe aujourd'hui sur la côte ouest
dans le secteur du débardage. Nous avons des grèves régulières qui
nuisent à tout le monde. D'aucuns ont suggéré récemment d'attendre
pour agir que l'ex-juge Estey achève son étude du transport du
grain. Mais ce problème n'a rien à voir avec le transport du grain.
Il a tout à voir avec les relations de travail et la manière dont
les débardeurs et leurs employeurs traitent les uns avec les autres
et il a légitimement sa place dans le projet de loi.
Notre association considère que le projet d'article 87.7, qui exige le maintien du service aux navires céréaliers de la part des débardeurs, représente une contribution positive à la réduction des conflits de travail dans d'autres secteurs que celui des céréales. Elle donne acte du fait que le grain est employé comme moyen de pression, du fait que les négociations collectives dans le secteur du débardage sont un trompe-l'oeil et que cet état de choses ne peut plus durer.
Les modifications sont également conformes à la reconnaissance de l'industrie céréalière comme étant d'intérêt national dans d'autres lois, et à la reconnaissance qu'une bonne manutention du grain est importante pour l'économie canadienne et la réputation de fiabilité des exportations céréalières du Canada.
Nous avons maintenant fait parvenir le bon message aux acheteurs d'aliments canadiens. Nous craignons que si cette initiative achoppe, nos clients en concluront que le Canada n'est pas sérieux et qu'ils chercheront de plus en plus à s'approvisionner ailleurs.
Nous vous exhortons à adopter ce projet de loi aussi rapidement que possible. Je vous remercie de nous avoir permis de vous faire part de nos vues.
Le président: Je vous remercie, monsieur Cummings.
Nous avons dix ou douze minutes. Je pense que nous allons procéder de la même façon.
Monsieur Johnston, voulez-vous poser une question?
M. Dale Johnston: Je vous remercie.
Je vous remercie de votre exposé. Étant moi-même agriculteur, je suis évidemment partisan de tout ce qui peut contribuer au libre mouvement du grain depuis l'exploitation agricole jusque dans les ports et au-delà.
Est-ce qu'un autre produit deviendra à l'avenir l'as caché qui obligera le Parlement à revenir en séance pour ordonner le retour au travail? Bien que vous fassiez valoir de façon très convaincante la spécificité du grain—produit alimentaire périssable etc.—tous les autres groupes qui comparaissent ici soulignent qu'ils connaissent le même dilemme, la même obligation de préserver leur réputation de fournisseurs fiables de leur denrée. J'aimerais avoir votre avis sur quel sorte de mécanisme de règlement des différends interviendrait sous le régime de l'article 87.7
Le président: Monsieur Rocheleau.
[Français]
M. Yves Rocheleau: Dans votre document, vous rappelez à bon escient que c'est la Constitution canadienne qui décrit le grain et toute l'activité économique entourant le grain comme étant «to the general advantage of Canada». Historiquement, pensez-vous que cela a été dit à cause de l'importance économique du transport et de la culture du grain ou à cause du caractère périssable du grain?
Vous êtes au courant des représentations qui sont faites actuellement par d'autres secteurs industriels importants. Comment se situe-t-on là-dedans?
[Traduction]
Le président: Je vous remercie, monsieur Rocheleau.
Monsieur Martin.
M. Pat Martin: Je vous remercie, monsieur le président.
Votre mémoire était excellent et je pense comprendre la plupart de vos arguments. J'aimerais cependant préciser, puisque vous mentionnez à la page 4 l'arrêt de travail de 1995 des contremaîtres débardeurs, lorsque les négociations sont arrivées dans une impasse et que les employés envisageaient la grève, ils ont offert de continuer à manutentionner le grain, si ma mémoire est bonne. Ce n'est que lorsque le lock-out a été imposé que le grain a été touché. À mes yeux, cela montre que, depuis des années, les deux parties ont conscience qu'il vaudrait mieux, dans l'intérêt de la négociation collective, que le grain soit retranché de tout le tableau. J'aimerais que vous nous parliez un peu plus de cet aspect.
Le président: Monsieur Nault.
M. Robert Nault: Monsieur le président, j'aimerais que les témoins nous donnent une idée des consultations qui ont eu lieu. Certains témoins précédents ont dit qu'il n'y avait pas eu de concertation poussée. J'aimerais éclaircir cela. Je veux également dire que je conviens totalement qu'il n'y a pas eu de négociation collective sur la côte ouest depuis longtemps. Personne ne comprend réellement la situation là-bas. Il sera intéressant de voir comment les choses tourneront à l'avenir.
Je n'aime pas voir des exemptions dans le code. Ce n'est pas une bonne chose à instaurer, car quelqu'un, plus tard, demandera la même chose. C'est une épreuve très importante pour le code. Si cela ne marche pas, d'autres feront valoir qu'il faut un système complet d'arbitrage et supprimer la négociation collective telle que nous la connaissons. Il est donc très important de prendre la bonne décision. Je pense que vos arguments sont bons, mais je voudrais m'assurer que toutes les parties ont été écoutées et que tout le monde comprend bien le résultat ultime de cette mesure sur la côte ouest.
Le président: Je vous remercie, monsieur Nault.
M. Gord Cummings: Je vous remercie. Permettez-moi de répondre aux questions dans l'ordre.
La première était de savoir si un autre produit sera pris en otage, si ce n'est plus le grain. Je pense qu'il faut en revenir aux principes premiers et dire notre préférence pour des négociations n'exigeant pas des interventions gouvernementales incessantes. Notre conviction est que si le grain ne peut plus être pris en otage, tout le monde saura qu'il est beaucoup moins probable qu'une loi ordonne le retour au travail, et c'est ce qui amènera un règlement négocié.
M. Martin a souligné un aspect important du processus tel qu'il a toujours fonctionné. C'est toujours le même jeu. Le syndicat dit qu'il va manutentionner le grain. Il le fait pendant deux jours, puis l'employeur impose le lock-out. Il faut bien voir que l'employeur est dans une situation privilégiée en l'occurrence, car ce n'est pas lui qui supporte le coût. Le débardage est intégré dans le coût et l'employeur, le BCMEA, répercute ce coût. La comédie, c'est que le syndicat dit toujours qu'il laissera passer le grain et que l'employeur impose toujours le lock-out.
Monsieur Rocheleau, pour ce qui est de la Constitution et de la raison pour laquelle le grain y figure, il ne fait aucun doute que c'est lui qui a permis le développement de l'ouest du Canada et la construction du CP. C'est pourquoi il y est mentionné, mais il y a une autre raison encore. Les céréales sont produites par plus de 100 000 agriculteurs indépendants qui n'ont pas de pouvoir propre et qui doivent s'en remettre au gouvernement. Tous les autres produits—vous avez mentionné Dow Chemical tout à l'heure—sont de grosses sociétés qui peuvent se défendre. La différence entre le grain et tout le reste, c'est que les producteurs sont un groupe dispersé de petits exploitants et il est raisonnable qu'ils se tournent vers le gouvernement pour équilibrer la balance.
Monsieur Nault, pour ce qui est des consultations aux fins du rapport Jamieson-Greyell, les consultations ont été poussées. Tous les groupes de producteurs ont pu intervenir et il a été question, d'un bout à l'autre, de mettre le grain à part. Tout le monde le savait. Les interventions que vous avez entendues aujourd'hui ont été faites à plusieurs reprises devant divers groupes—depuis Jamieson et Greyell jusqu'à Andy Sims. Et, évidemment, c'est la deuxième fois que ce projet de loi est débattu. Ce projet de loi a été étudié pendant la dernière législature et ces mêmes groupes sont alors intervenus. Je pense donc que c'est faire preuve de naïveté que de dire qu'il n'y a pas eu de concertation.
Enfin, il me semble que tant d'autres représentants passent sous silence le fait que l'objectif est d'avoir un code assurant des relations de travail ordonnées au Canada, afin qu'il n'y ait de grève qu'en cas de divergences d'envergure entre un syndicat et un employeur. Sur la côte ouest, ce n'est pas ainsi que les choses se sont passées. L'idée qu'il suffirait d'un observateur pour que tout marche bien—il faudrait venir de la planète Mars et ne pas avoir vu ce qui s'est passé sur la côte ouest au cours des 20 dernières années, ne pas savoir que nous n'avons pas progressé sur la côte ouest, comme l'ont fait les autres ports du pays. Ceci est une solution de compromis dont j'espère que vous et tous les députés finiront par l'adopter.
Le président: Je vous remercie, monsieur Cummings. J'ai trouvé l'exposé très intéressant. Vous m'avez éclairé sur une chose. Je n'avais pas conscience des implications constitutionnelles. Merci beaucoup.
Représentant l'Association canadienne des entreprises de messagerie, nous avons M. Doug Moffatt et M. Denis Manzo.
Messieurs, vous êtes tout boutonnés et vos ceintures sont attachées. J'ai toujours un peu l'impression d'être en voyage organisé. Il est 11 h 30, ce doit donc être les sociétés de messagerie.
Vous étiez là pendant la comparution des témoins précédents. Vous avez une demi-heure environ. Si vous limitez votre exposé à une dizaine de minutes, nous aurons un peu plus de temps pour les questions. S'il vous faut un peu plus de temps pour votre présentation, nous ferons comme la dernière fois—toutes les questions seront posées à la suite et vous pourrez ensuite répondre.
M. Doug Moffatt (directeur général, Association canadienne des entreprises de messagerie): Je vous remercie, monsieur le président. Nous serons brefs et tenterons de présenter nos vues de manière aussi succincte que possible.
L'Association canadienne des entreprises de messagerie est heureuse de l'occasion de s'exprimer sur certains éléments du projet de loi ainsi que du temps et des efforts que vous consacrerez à rendre cette mesure plus équitable qu'elle ne l'est, à notre sens.
L'ACEM est une association d'entreprises de messagerie formée il y a 15 ans pour promouvoir les intérêts de ces sociétés, de leurs employés et fournisseurs. L'association compte environ 120 sociétés membres, allant d'entreprises d'une à deux personnes jusqu'à de très grosses sociétés multinationales. Il y a au Canada environ 2 200 entreprises de messagerie. Évidemment, toutes n'appartiennent pas à notre association, à notre grand regret. Toutes les grandes entreprises de messagerie n'adhèrent pas non plus à notre association, pour diverses raisons, mais il nous arrive de travailler avec elles sur divers sujets.
La concurrence dans le secteur est extrêmement vive. Toutes les petites entreprises ne grossissent pas et toutes ne survivent pas. Le secteur emploie plus de 40 000 personnes et constitue un lien de communication majeur tant à l'échelle nationale qu'internationale. Les services fiables, prévisibles et flexibles offerts par les différentes sociétés de messagerie constituent un atout important pour tous les secteurs de notre économie.
Certains des éléments du projet de loi C-19 sont une grande source de préoccupation pour nos membres. Nous sommes inquiets car certaines des dispositions ignorent le respect dû à la vie privée, perpétuent des règles non démocratiques et introduisent des mesures qui rendent moins compétitives les entreprises canadiennes assujetties à la législation fédérale en matière de travail.
Je vais esquisser notre position concernant les éléments du projet de loi qui nous préoccupent. À l'heure actuelle, les organisateurs d'un syndicat proposé ont une certaine obligation d'établir qu'ils ont l'appui des travailleurs. Le projet de loi modifie la loi à cet égard et notre position est que le projet de loi C-19 devrait être amendé par la suppression de l'article 46. Le nouveau Conseil canadien des relations industrielles devrait être obligé d'organiser des votes de représentation et ne devrait avoir en aucun cas la faculté d'accréditer un syndicat n'ayant pas reçu un appui majoritaire dans un scrutin secret.
Les pouvoirs supplémentaires donnés aux arbitres par l'article 27 du projet de loi nous paraissent excessifs. L'incertitude créée par la faculté donnée aux arbitres de prendre des décisions outrepassant le libellé de la convention est inacceptable et peut amener des situations où l'esprit de la convention est ignoré et limiter la capacité des employés et employeurs à travailler en harmonie. Si la convention est silencieuse sur un point, nous pensons que l'esprit de la convention devrait être le principe directeur.
• 1130
Droit à la vie privée: il n'existe actuellement aucune
disposition prévoyant la communication directe aux syndicats de
renseignements sur les employés, et notre position est que la vie
privée des employés doit être protégée. Toute obligation de
divulguer les noms et adresses des employés menace sérieusement le
droit d'un ou d'une employé à sa vie privée.
Lors des audiences du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie sur le projet de loi C-66, Bruce Phillips, le Commissaire à la protection de la vie privée, a exprimé son opposition à cette mesure. Il y a manifestement lieu de s'inquiéter lorsque l'autorité canadienne en matière de vie privée se dit en désaccord devant la perspective de tactiques aussi attentatoires à la vie privée.
À tout le moins, il faudrait obtenir le consentement individuel des employés avant communication de ces renseignements. À défaut, il faudrait supprimer cette disposition.
Le recours aux travailleurs de remplacement a suscité beaucoup de discussions dans le courant de la matinée et continuera de le faire, je n'en doute pas. Nous estimons que le Conseil canadien des relations industrielles ne devrait pas avoir le pouvoir d'interdire le recours aux travailleurs de remplacement. Les décisions prises par le conseil actuel démontrent que les employeurs ont toutes les raisons de craindre que le conseil qualifie régulièrement le recours à des travailleurs de remplacement de conduite illégale.
Dans un conflit de travail, il n'est dans l'intérêt de personne que les colis des clients restent bloqués dans le réseau d'une messagerie. Ce principe est appliqué dans le cas du secteur de la manutention céréalière. Il paraît rationnel d'appliquer un principe similaire aux biens des fabricants et autres qui pourraient être bloqués dans le circuit lors d'un conflit de travail. La conséquence pour le client pourrait être catastrophique et conduire à une perte de volume après une grève. Cela signifie qu'il y aura moins de postes à réintégrer après une grève.
Le texte ambigu du projet de loi C-19 nous laisse dans l'incertitude quant à la faculté d'une société d'utiliser des employés non membres de l'unité de négociation pour acheminer les colis déjà dans le réseau lors d'une grève. Le projet de loi devrait établir explicitement le droit de la direction de limiter le préjudice causé aux clients, tout comme il reconnaît explicitement le droit de grève du syndicat. Notre préférence serait que cette disposition soit supprimée.
Le versement des avantages sociaux pendant un conflit de travail tel que prévu à l'article 94.3 est un sujet difficile. Les avantages sont conditionnels à l'emploi et leur maintien pendant un conflit serait analogue, à notre sens, au maintien du salaire. La pression économique exercée sur un employeur est une conséquence d'une grève, de même que la perte de salaire est une conséquence pour l'employé. Le versement d'une indemnité de grève et le paiement des avantages pendant un arrêt de travail sont de la responsabilité exclusive du syndicat.
Notre préférence irait à la suppression du paragraphe. Cependant, si on le maintient, nous trouvons les mots «ait tenté» ambigus et il conviendra de les interpréter avec prudence.
En conclusion, nous sommes préoccupés par certaines des dispositions de ce projet de loi—pas toutes; nous pensons que vous avez fait un travail admirable—qui sont anti-démocratiques, qui empiètent sur la vie privée des personnes et qui établissent un terrain de jeu inégal, comme en témoigne la situation sur le plan de la manutention du grain et le désavantage infligé aux sociétés du régime fédéral par rapport à leurs concurrents provinciaux soumis à d'autres codes.
Le président: Je vous remercie. Vous avez été très efficace.
Je vais revenir à la méthode précédente pour le tour de question. Je vais commencer par M. Rocheleau et vous pourrez répondre aux questions à tour de rôle. Nous avons un peu plus de temps et donc de flexibilité cette fois.
Monsieur Rocheleau.
[Français]
M. Yves Rocheleau: Vous dites à la fin que ce qui est prévu pour les entreprises et les manutentionnaires céréaliers devrait être étendu aux autres secteurs industriels. Est-ce que vous êtes conscient que, dans la Constitution canadienne, l'industrie céréalière fait l'objet d'une exemption, d'un cas particulier, et qu'il faudrait modifier la Constitution canadienne si on voulait pousser le raisonnement jusqu'au bout?
[Traduction]
Le président: C'est facile.
M. Yves Rocheleau: Très facile.
M. Doug Moffatt: On ne m'a jamais demandé de me prononcer sur la Constitution dans une tribune comme celle-ci, et j'apprécie donc votre question. Nous sommes manifestement nombreux à avoir beaucoup appris ce matin sur certains aspects de la Constitution. Je ne pense pas que l'on aille jusqu'à modifier la Constitution pour changer cela.
Si nous soulevons cette question, c'est uniquement pour montrer qu'en dépit des nombreux éléments positifs contenus dans ce projet de loi, la possibilité subsiste d'établir un terrain de jeu plus équitable pour tous les éléments de notre secteur et d'autres. Il y a des similitudes et il y a manifestement des différences.
Le président: Monsieur Martin.
M. Patrick Martin: J'ai plusieurs questions. Tout d'abord, je ne suis pas surpris que l'accès aux employés hors-site intéresse particulièrement votre organisation. Nombre des employés ou sociétés membres entrent probablement dans cette catégorie, n'est-ce pas—travaillant de façon indépendante dans leurs véhicules propres etc.?
M. Doug Moffatt: Il y a deux éléments à cela qui nous préoccupent, et vous en avez souligné un.
Toutes les entreprises membres de mon association ne sont pas syndiquées, et pas non plus toutes les sociétés de messagerie. Certaines le sont, certaines non. Et dans celles qui sont syndiquées, ce ne sont pas tous les employés qui sont syndiqués. Il y a des travailleurs hors-site, des travailleurs éloignés et des entreprises qui, bien qu'aujourd'hui petites, vont grossir et faire l'objet à un moment ou un autre d'une tentative de syndicalisation, ce qui est légitime.
Nous estimons que tout ce domaine doit être traité avec beaucoup de prudence. Lorsque vous obligez un employeur à communiquer aux organisateurs d'une campagne de syndicalisation les listes d'employés—nous pensons qu'il faudrait demander le consentement des intéressés avant de communiquer la liste.
M. Patrick Martin: En quoi cela diffère-t-il, à votre avis, de la communication de la liste d'électeurs lors d'une campagne électorale, par exemple? Vous avez mentionné Bruce Phillips, le Commissaire à la protection de la vie privée. Il était ici hier et a argué que la différence est le fait que l'on peut, si l'on veut, ne pas s'inscrire sur la liste électorale et donc ne pas voir son nom publié. Mais ce qu'il n'a pas dit, c'est que vous perdez alors votre droit de vote, puisque vous n'êtes pas inscrit.
Dans l'intérêt de l'équité, ou pour donner aux travailleurs à distance les mêmes possibilités qu'aux employés sur place, comment feriez-vous...? Mon argument est que l'appartenance ou non à un syndicat reste la décision de l'employé, mais ne pensez-vous pas que tout le monde devrait avoir la même possibilité? C'est une question de justice naturelle d'avoir la même possibilité de prendre part à une campagne de syndicalisation ou non.
M. Doug Moffatt: Je suis d'accord avec cela, mais je pense qu'il est possible d'avoir le meilleur des deux mondes. Vous pouvez offrir la possibilité d'adhérer, de participer à la campagne ou de vous syndicaliser ou non... mais je pense que c'est à l'intéressé de faire ce choix. Si mon lieu de travail n'est pas dans les locaux de l'employeur et si mon nom et mon adresse ou numéro de téléphone va être divulgué à une autre personne pour indiquer que je travaille pour cet employeur, je devrais avoir la possibilité de dire «uniquement avec ma signature». Je signerai une carte, qui pourra être transmise par les réseaux de correspondance de l'entreprise. Une fois que j'ai donné cet accord, mon nom pourra être communiqué, mais si je ne le veux pas, il ne le sera pas.
M. Patrick Martin: Je vous remercie.
Le président: Je vous remercie, monsieur Martin.
Madame Brown.
Mme Bonnie Brown: Je vous remercie, monsieur le président.
Merci de cet exposé. Parmi les sociétés membres de votre organisation, quel pourcentage est syndiqué?
M. Doug Moffatt: Je ne peux vous donner de chiffre précis, mais selon mes renseignements les plus récents, qui valaient jusqu'en octobre dernier—je ne pense pas que le nombre ait sensiblement changé—environ 40 p. 100 des sociétés étaient syndiquées, ce qui représente environ 65 p. 100 des employés.
Mme Bonnie Brown: D'accord, donc environ 65 p. 100. Savez-vous quel est le salaire horaire moyen des travailleurs au sein de votre association?
M. Doug Moffatt: Je n'ai pas les chiffres ici. Nous avons effectué un sondage. Curieusement, le salaire moyen était légèrement inférieur au salaire moyen d'un employé de Postes Canada. Vous devrez m'excuser, car ma mémoire n'est pas toujours aussi bonne qu'elle l'était, mais je crois que le salaire moyen de Postes Canada est de l'ordre de 18 $ à 22 $ et le salaire moyen d'un employé de messagerie est de 16 $ à 18 $.
Mme Bonnie Brown: Bien.
Je vous remercie, monsieur le président.
Le président: Je vous remercie, madame Brown.
Monsieur Johnston.
M. Dale Johnston: Je vous remercie, monsieur le président.
• 1140
Je vous remercie de votre mémoire. Je vois que vous partagez
certaines de mes préoccupations. L'accréditation automatique en
fait certainement partie, de même que la protection de la vie
privée. Je partage l'avis du Commissaire à la protection de la vie
privée, à savoir que ce qui manque ici, c'est le consentement des
intéressés. On a fait la comparaison avec les listes d'électeurs,
mais je trouve qu'elle n'est pas valable. Mais je suis certain
qu'avec mes arguments très convaincants, je vais obtenir les
amendements à ce projet de loi que vous souhaitez.
Le président: Désolé, monsieur Johnston. Aviez-vous une question qui m'aurait échappé?
M. Dale Johnston: C'est une remarque. Ils peuvent répondre, s'ils le veulent.
Le président: D'accord.
La porte vous a été ouverte pour donner une réponse montrant à M. Johnston combien sa position est erronée, mais je vous laisse ce soin, monsieur.
M. Doug Moffatt: Monsieur le président, je me suis porté candidat en 1988 à la députation et ai été battu, et il ne me sied donc pas de contredire quelqu'un qui vient d'adopter une position similaire à la nôtre.
Le président: Très bien dit.
Merci beaucoup. J'apprécie que vous ayez pris le temps de venir nous rencontrer.
Membres du comité, il nous reste un dernier témoin. Nous avons quelques minutes d'avance, et je vais donc vous accorder une pause de cinq minutes. Nous reprendrons dans cinq minutes.
Le président: Nous allons reprendre.
Bienvenue, messieurs. Lorsque je notais des devoirs, les grands et les lourds généralement obtenaient une bonne note, et je pense que vous êtes tout à fait en haut de la liste de ce point de vue.
Mme Brenda Chamberlain: Nous n'avons qu'une demi-heure.
Le président: C'est juste.
Comme Brenda l'a signalé, nous avons une demi-heure. Vous connaissez la procédure car vous ne comparaissez pas pour la première fois. Je vous demanderais de limiter vos remarques liminaires à une dizaine de minutes. Si vous pensez qu'il vous faut plus de temps, prenez-le, mais cela réduira le temps disponible pour les questions des membres.
M. Dale Kinnear (analyste du travail, Association canadienne des policiers): Je vous remercie, monsieur le président et membres du comité, de votre invitation à comparaître aujourd'hui.
Je vous prie d'excuser l'absence d'une version française complète de notre mémoire. Nous avons dû nous préparer à bref préavis et notre traducteur n'a pas pu fournir le texte en temps voulu. Si vous le souhaitez, nous pouvons vous transmettre une version française dès que nous l'aurons. Comme je l'ai indiqué, certains des documents dans le mémoire sont originellement en français.
Je suis accompagné aujourd'hui de M. Joe Brennan, sergent d'état-major retraité de la GRC. M. Brennan a presque 40 années de service à la GRC et était le représentant divisionnaire des relations fonctionnelles pendant huit ans. M. Brennan pourra traiter des réalités de l'emploi à la GRC et des déficiences du programme de représentant divisionnaire des relations fonctionnelles et répondre à vos questions à ce sujet. M. Brennan parle couramment les deux langues officielles.
Nous comparaissons aujourd'hui pour traiter des modifications apportées à la Partie I du Code canadien du travail. Notre exposé traitera surtout de ce qui n'est pas dans le projet de loi.
L'Association canadienne des policiers représente environ 35 000 agents de police subalternes membres d'unités de négociation accréditées. La Loi constitutionnelle de 1867 donne aux provinces la compétence sur les relations de travail dans tout ce qui n'est pas considéré comme ouvrage ou entreprise fédérale. Pour cette raison, la plupart de nos membres ne sont pas visés par les modifications au code. Ceux de nos membres qui font partie de la police des chemins de fer, chez Canadien National et Canadien Pacifique, sont couverts par la Partie I du code, bien que l'article 26 et le paragraphe 26(7) imposent des limites à la représentation d'une unité de négociation de police ferroviaire.
Notre but aujourd'hui est de plaider pour les membres de l'ACP qui ne sont pas protégés par la Partie I du code. L'Association canadienne des policiers compte 2 500 agents de la GRC adhérant à quatre syndicats non reconnus. Leur employeur ne reconnaît pas ces syndicats. Le principal objectif de ces associations non reconnues de membres de la GRC est d'obtenir les droits d'employé et de négociation collective dont jouissent les autres fonctionnaires fédéraux et tous les autres agents de police canadiens.
• 1150
La GRC emploie 15 000 agents. Ils sont les seuls policiers du
pays auxquels on dénie le droit d'association et le droit syndical.
D'autres forces de l'ordre fédéral emploient des agents exerçant
des fonctions et des pouvoirs de police équivalents et qui parfois
excèdent même les pouvoirs de l'agent de la GRC. Ces agents
d'exécution ont le droit de se syndiquer. Ces agents de la paix et
de police fédéraux remplissent des fonctions et des responsabilités
à l'égard de l'intérêt et de la sécurité publics qui vont au-delà
de ce que l'on demandera jamais à la majorité des agents de la GRC
employés par le gouvernement fédéral. La GRC constitue, à toutes
fins pratiques, un corps de police national.
Nous parlons là d'agents d'exécution fédéraux déployés aux postes frontières, dans les aéroports, les ambassades, les missions diplomatiques et partout où une présence d'exécution des lois non policière est requise. Ces agents sont membres de syndicats et représentés par une unité de négociation. L'intérêt et la sécurité publics n'en souffrent pas.
La sécurité de ce bâtiment peut-être, et d'autres bâtiments de la région de la capitale nationale, et certainement les édifices du Centre, de l'Est et de l'Ouest et le gros des bureaux fédéraux, est aux mains d'agents qui jouissent de droits statutaires de négociation collective, qui appartiennent à un syndicat et qui bénéficient des avantages correspondants. Des organisations collectives représentent leurs intérêts dans les questions de relations de travail et peuvent demander un arbitrage d'une tierce partie neutre lorsque des différends surgissent.
Le Parlement a octroyé ce privilège à ses propres gardiens. Pourquoi le gouvernement ne manifeste-t-il pas le même respect envers son corps de police national?
Les agents d'exécution fédéraux, les gardiens de prison, les gardes de sécurité parlementaires sont syndiqués et d'autres importantes fonctions de sécurité publique et d'application des lois et règlements fédéraux sont assurées par des employés syndiqués. Tous les agents de police municipaux et provinciaux de ce pays ont des droits statutaires de négociation collective.
Plus de la moitié, 52 p. 100, des agents de la GRC sont affectés par le gouvernement fédéral à des fonctions de police provinciale et municipale, sous contrat avec les provinces et les municipalités.
Environ 28 p. 100 des agents de la GRC sont employés à des fonctions de police fédérale. La plupart de ces fonctions sont comparables au travail effectué par des agents d'exécution fédéraux syndiqués.
Les 20 p. 100 restants travaillent dans des fonctions administratives et de soutien.
Le ministère du Solliciteur général et le haut commandement de la GRC se cachent derrière l'écran de la sécurité publique et de l'intérêt public chaque fois qu'une révision de la législation fédérale en matière de travail aurait pu étendre les droits d'employé à la GRC.
Le rapport Woods de 1965 recommandait l'accès à la négociation collective pour les membres de la GRC, mais le Code canadien du travail, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, le projet de loi C-58, le projet de loi C-30 et maintenant le projet de loi C-19 ont omis de rectifier cette injustice flagrante dans les relations de travail de la fonction publique fédérale. Cette injustice n'a que trop duré. Pourquoi ce projet de loi n'apporte-t-il pas remède à cette inéquité?
M. Sims s'est penché sur la question et a formulé une recommandation qui aurait pu impulser le changement législatif. Vous la verrez à l'annexe E dans mon rapport. La Cour suprême a statué, dans cinq grandes causes relatives au droit du travail et invoquant la Charte, qu'elle n'allait pas se mêler de la conception des lois sur la négociation collective, estimant que cela relève du processus législatif, fédéral et provincial. Les juristes nous disent qu'une refonte radicale doit passer par le processus législatif.
Comment obtenir qu'un organe législatif comme celui-ci réagisse et agisse? Les membres de la GRC et l'ACP ont comparu à maintes reprises devant ce comité et d'autres. Nous sommes intervenus auprès du Parlement quatre années de suite sur cette question même des droits syndicaux pour la GRC. Est-ce quelqu'un écoute?
Les agents de la GRC réclament ce droit depuis que le code et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique les ont tenus à l'écart. Ces agents ont subi des mesures punitives à cause de leurs efforts pour s'organiser et arracher au gouvernement du Canada le droit de négociation collective. Mutations, sanctions, suspensions et traitement partial et injuste en matière de promotion ne sont que quelques exemples de la rétribution et des mesures punitives que ces membres ont subies pour leurs tentatives d'instaurer la démocratie dans leur milieu de travail. M. Brennan peut vous conter les horreurs.
Il n'y a aucune raison de refuser aux agents de la GRC le droit de se syndiquer et de négocier collectivement. La négociation collective existe dans la fonction publique au Canada depuis 1943. La Saskatchewan a été la première à traiter équitablement ses employés, suivie de près par l'Ontario. Dès 1974, tous les gouvernements, y compris le fédéral, sont allés au-delà de la liberté d'association des fonctionnaires et ont accordé le droit statutaire de négociation collective à tous leurs employés, hormis les cadres exclus.
Au moment d'adopter ces lois, ils avaient conscience de toutes les objections que la direction de la GRC invoque pour s'opposer à la syndicalisation de ses membres. La négociation collective dans le secteur public au Canada est caractérisée par des contrôles juridiques plus stricts que ceux applicables au secteur privé.
• 1155
Certains des éléments mis en place dans la fonction publique
englobent: l'arbitrage obligatoire des différends, des critères
étant parfois prescrits à l'intention des arbitres; des mesures de
temporisation telles que la conciliation, la médiation et la
recherche de faits dans certains régimes; la désignation de
services essentiels; des limites quant aux sujets pouvant être
négociés; enfin, des règles relatives au choix d'un agent
négociateur.
Ni la GRC, ni d'ailleurs le gouvernement, n'ont à inventer du neuf pour instaurer la négociation collective dans la GRC.
Pendant que le ministère du Solliciteur général et la direction de la GRC s'accrochaient à ces conceptions archaïques, d'autres, dont le gouvernement fédéral, élaboraient des lois et des régimes de négociation collective rationnels pour les agents de police. C'est une législation qui marche. C'est une législation qui ne limite pas les droits et libertés. C'est une législation et ce sont des pratiques de négociation collective qui n'ont jamais compromis la sécurité publique ou l'intérêt public.
Un autre épouvantail que le Solliciteur général et la haute direction de la GRC aiment à brandir est le droit de grève. Les agents de la GRC et leurs syndicats officieux qui réclament le droit de négociation collective clament toujours qu'ils ne demandent pas le droit de grève.
Le Solliciteur général et la haute direction de la GRC rétorqueront qu'il y a des provinces où les agents de police municipaux ont le droit de grève. Que se passerait-il si l'on permettait aux agents de la GRC de se syndiquer et qu'il faille les envoyer à la demande d'une province ou d'une municipalité maintenir la loi et l'ordre suite à un arrêt de travail des agents municipaux?
Il y n'y a pas là de mystère. Les agents de la GRC iraient et feraient la police dans la région concernée jusqu'à ce que l'employeur de la police municipale ou la province mette fin à la grève. Oui, l'employeur met fin à la grève. L'employeur exerce le contrôle ultime sur le droit de grève.
Dans toutes les juridictions, la législation provinciale régit le droit de grève de la police. Seules les lois de Nouvelle-Écosse et de la Saskatchewan donnent à la police le droit de faire grève au sujet du salaire. Ce n'est d'ailleurs un droit illimité dans aucune des deux provinces. Dans les deux cas, il y a une période de préavis et des autorisations préalables pour éviter que la sécurité publique ne pâtisse.
La législation provinciale ou fédérale peut prévenir cette crainte. Les agents de police prêtent serment de faire leur devoir et d'appliquer la loi. Les agents de police savent distinguer entre leur profession et leur activité syndicale.
Comme je l'ai indiqué, les provinces individuelles contrôlent le droit des agents de police à faire la grève. La Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse pourraient supprimer le droit de grève d'un trait de plume. Les membres de l'Association des policiers de ces deux provinces ont fait savoir à leurs gouvernements respectifs qu'ils préféreraient l'arbitrage obligatoire des différends et qu'ils renonceraient au système actuel en faveur d'un système mutuellement convenu d'arbitrage contraignant par une tierce partie neutre.
Leurs maîtres politiques sont satisfaits du statu quo. Ce n'est pas surprenant. Les deux provinces sont réputées pour ne pas faire de sentiment dans les négociations. Le droit de grève dans le secteur public n'est pas à l'avantage des employés. Ces derniers doivent arrêter le travail s'ils ne peuvent conclure un accord satisfaisant et doivent régler le différend à la table de négociation.
Les employés et leur syndicat subiront les foudres du public privé de services pendant une grève, ainsi qu'en témoigne la grève des enseignants ontariens de l'automne dernier. En outre, l'employeur fait des économies en n'étant pas obligé de payer les salaires, comme l'ont montré la grève des enseignants ontariens et la première grève que l'on n'ai jamais vue dans la fonction publique ontarienne en 1996.
La dernière grève de la police en Nouvelle-Écosse est intervenue en 1989. La GRC était de service à Dartmouth lorsque la grève a commencé. L'Association des policiers de Nouvelle-Écosse n'a pas mis de bâtons dans les roues de la GRC.
Le dernier syndicat de policiers de Saskatchewan à être en situation de grève était celui de la ville de Saskatoon en 1994. La GRC n'a jamais été appelée en renfort. L'Association des policiers de Saskatoon n'a pas retiré ses services. Les policiers répondaient aux appels. Le public ne s'est pas fâché. Les syndiqués n'ont pas perdu de salaire et la ville de Saskatoon n'a pas fait d'économies. Le problème a été réglé à la table de négociation.
Le fait que le droit de grève subsiste dans les lois de la Saskatchewan et de la Nouvelle-Écosse montre bien que la sécurité publique n'est un enjeu du syndicalisme policier nulle part, sauf à la GRC.
Une unité de négociation de la GRC et des unités de négociation municipales et provinciales peuvent coexister. Les organismes employeurs de la police coexistent en dépit de juridictions, de lois, de politiques, de pratiques et d'intérêts parfois contradictoires.
Les syndicats emboîtent tout naturellement le pas. À notre connaissance, aucun agent de police municipal ou provincial, aucun syndiqué ou syndicaliste n'a jamais fait l'objet de sanctions disciplinaires pour des activités syndicales qui auraient compromis la sécurité publique.
• 1200
Pour dire les choses simplement, les associations de policiers
ne mélangent pas le travail de police et les affaires syndicales au
détriment de ceux que leurs membres ont juré de servir. Montrez-nous un
seul exemple d'une action illégale d'un syndicat de
policiers qui aurait compromis la sécurité publique. Nous pouvons
vous apporter 50 fois plus d'exemples d'activités syndicales qui
ont renforcé la sécurité publique et contribué à l'intérêt public.
Comme je l'ai dit, les modifications apportées au code par le projet de loi C-19 n'ont guère d'effet sur la majorité de nos membres. Vous vous demandez peut-être pourquoi l'ACP se bat tant pour si peu de ses membres. C'est ce que veut la démocratie en milieu de travail. Ces derniers mois, notre vigilance a été renforcée par des décisions gouvernementales ayant des répercussions sur nos membres des polices municipales. Je veux parler des services de police à contrat de la GRC.
L'absence de droits syndicaux et de protection statutaire chez les employés de la GRC empiète maintenant sur les droits dont jouissaient précédemment les agents municipaux des services de police municipaux passant sous le contrôle de la GRC en vertu de l'article 20 de la Loi sur la GRC. L'exemption statutaire du Code canadien du travail et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique de la GRC annule les droits de successeur des agents municipaux et de l'unité de négociation de la police municipale. Les droits de négociation collective et le statut d'unité de négociation dont jouissait précédemment l'entité municipale aux termes de la loi provinciale sont abrogés par les contrats de police passés avec la GRC. Comment cela serait-il juste?
Le caractère aberrant de cette situation devient encore plus apparent et plus criant lorsqu'on considère que le paragraphe 20(4) autorise l'absorption par la GRC des agents de l'organisme municipal. S'il y a quelque chose de pourri ou d'infâme chez les agents de police syndiqués, comment se rachètent-t-ils et reçoivent-ils l'absolution lorsqu'ils sont absorbés par la GRC? La GRC n'a rien à craindre du syndicalisme.
L'arbitre ontarien réputé, le professeur Richard Jackson, de l'école de commerce de l'Université Queen's, décrit bien la réalité des syndicats policiers. Jackson a pris part à des centaines d'audiences d'arbitrage avec les policiers et pompiers, portant tant sur les droits que les différends, et il estime:
-
Ainsi, d'une certaine façon, du point de vue de leur conservatisme
collectif, de l'accent mis sur le professionnalisme et la
fraternité, de leur renonciation aux stratégies de négociation
syndicales traditionnelles, de la position patronale inhabituelle
et de la tradition militaire des deux services, la nature des
syndicats de pompiers et de policiers les place quelque peu à part
du restant du mouvement syndical; c'est particulièrement vrai des
syndicats policiers. De fait, de par leur comportement et leur
conception, les syndicats de policiers et de pompiers ressemblent
davantage aux corporations d'artisan d'antan ou aux ordres des
professions libérales actuels.
Voici toujours une situation de Jackson, où il dit:
-
Tandis que les syndicats de policiers et de pompiers se distinguent
collectivement du restant du mouvement syndical, les associations
de pompiers diffèrent de celles de policiers en ce sens qu'elles
ressemblent davantage à des syndicats.
Dans le rapport Middleton, A Study Report on Police Associations, vous verrez à l'annexe C les raisons pour lesquelles la GRC a refusé les droits syndicaux pendant toute ces années. Vous serez peut-être surpris d'apprendre qu'un incident survenu aux États-Unis en 1918-1919 est le principal facteur qui fait que ces employés publics restent englués dans une condition médiévale.
La grève de la police de Boston hante la GRC encore à ce jour. C'était une autre époque, d'autres temps, un autre pays. Si vous lisez le rapport, vous y trouverez la justification d'un syndicat policier. Vous y verrez des recommandations similaires à celles que Sims formulait dans son rapport. C'est un triste état de choses que la GRC, et tout le gouvernement du Canada, ne parviennent pas à dépasser un incident isolé qui s'est produit il y a 80 ans.
La grève de la police de Boston en 1918-1919 n'a rien à voir avec la GRC de 1998. La GRC, depuis la Commission MacDonald, n'est plus la gardienne du royaume qu'elle était jadis réputée être. La GRC est aujourd'hui véritablement un corps de police national, un corps de police à gages, guère différent de n'importe quel autre service de police de ce pays, du point de vue de sa responsabilité pour la sécurité publique et l'intérêt public.
Nous réalisons que votre comité n'apportera sans doute pas d'amendements drastiques à ce projet de loi pour rectifier les injustices que nous mettons en lumière. Nous serions ravis si vous le faisiez. Cependant, en tant que comité, vous pouvez faire la chose honorable et contribuer au processus législatif que la Cour suprême présente comme le mécanisme approprié de changement.
Votre comité peut, dans un rapport écrit, correspondre avec le gouvernement et demander que l'injustice soit levée par des moyens appropriés. Vous pouvez adresser le rapport au Solliciteur général et au Commissaire de la GRC et leur demander d'amener la GRC dans le XXe siècle avant que celui-ci ne prenne fin.
• 1205
Enfin, vous trouverez à l'annexe D de notre mémoire un rapport
et des conclusions du Comité mixte permanent d'examen de la
réglementation. Comme vous le savez peut-être, ce comité a pris une
décision audacieuse et recommandé que les articles 56 et 57 du
règlement sur la Gendarmerie royale du Canada soient abrogés
immédiatement.
Ces articles imposent ce que le comité a qualifié de restriction anticonstitutionnelle aux droits et libertés garantis des membres de la GRC. Nombre des objections élevées par l'Association canadienne des policiers contre l'absence de droits syndicaux des agents de la GRC sont exprimées dans le rapport du Comité d'examen de la réglementation déposé dans les deux Chambres.
Le comité a critiqué le Solliciteur général, le Procureur général et le Commissaire de la GRC pour leur omission de rectifier une injustice et une violation des droits et libertés établis par la Cour suprême dans la cause Osbourne c. Canada.
Comme vous le savez, la question fondamentale de la liberté d'association des agents de la GRC sera entendue par la Cour suprême fin 1998 ou début 1999. Si le processus législatif ne va pas assurer un traitement équitable à ces employés dévoués du gouvernement du Canada, peut-être la Cour le fera-t-elle. Si le gouvernement et le processus législatif ne vont pas rectifier cette situation ridicule et s'il faut que la Cour s'en charge, ainsi soit-il. Cependant, ce sera un triste constat quant à l'attitude du gouvernement dans une société libre et démocratique.
Des représentants du programme RDRF comparaîtront peut-être devant vous. Ils vous diront que tout va bien à la GRC, que les membres ne veulent pas du droit de négociation collective. Vous ne savez peut-être pas que c'est une infraction à la Loi sur la GRC pour un membre du RDRF de:
-
se livrer à des activités visant à [...] promouvoir des programmes
de remplacement en conflit avec le statut non syndical du programme
RDRF ou susceptibles de saper la crédibilité ou l'efficacité du
programme RDRF.
La seule chose qu'ils puissent faire, c'est venir en dire du bien.
Quelle serait la réponse si l'accréditation syndicale pouvait être demandée conformément à la Partie I du Code canadien du travail et si les organisateurs jouissaient de la protection contre les pratiques déloyales de travail et le libre accès aux membres?
Je vous en prie, ne croyez pas un syndicat-maison lorsqu'il dit que tout va bien dans le milieu de travail de la GRC. Vous avez le pouvoir de rectifier la situation. En avez-vous la volonté?
Je vous remercie.
Le président: Je vous remercie. Étant donné la durée de l'exposé, je vais demander à chaque député de poser sa question et nous verrons ensuite.
Monsieur Rocheleau.
[Français]
M. Yves Rocheleau: Je voudrais vous faire remarquer, avant de poser ma question, que nous avons encore une fois un témoin qui présente un document presque uniquement en anglais, mis à part des documents qui sont déjà bilingues. C'est d'autant plus décevant, monsieur le président, que cette association, pour laquelle j'avais beaucoup de sympathie, représente des membres qui viennent du Québec, qui sont francophones, et que le Bloc québécois a toujours appuyé cette association dans ses revendications. C'est ce qui est le plus frustrant.
Mais restons à l'essentiel, c'est-à-dire la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui et qui concerne les relations de travail et le Code canadien du travail. J'aimerais demander à M. Kinnear quelle est l'expérience de ses membres, compte tenu que c'est une association bona fide, car si je comprends bien, vous n'êtes pas reconnus légalement comme une association.
Qu'est-ce que cela signifie dans le quotidien? Comment se passent vos relations humaines et de travail avec votre employeur? Je crois que vous dénoncez le fait que la Gendarmerie, comme employeur, est juge et partie de tout. Pourriez-vous illustrer cela par des exemples pris dans le quotidien?
[Traduction]
Le président: Je vous remercie.
Monsieur Kinnear, je vais demander à chaque député de poser ses questions et, si vous voulez en prendre note, vous pourrez répondre à toutes à la fois, vu le manque de temps. Désolé, j'aurais dû vous le préciser.
Monsieur Martin.
M. Pat Martin: Merci, monsieur le président. J'aimerais avoir, et peut-être M. Brennan pourrait-il les fournir, quelques exemples concrets de sanctions disciplinaires ou autres répercussions subies par des agents pour avoir tenté d'obtenir des droits de négociation collective à la GRC.
Par ailleurs, avez-vous saisi l'OIT de cette question, comme nous l'avons récemment fait à l'égard du gouvernement Harris, ici, en Ontario?
Le président: Je vous remercie, monsieur Martin.
Monsieur Wilfert.
M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.): Monsieur Kinnear, si j'ai bien compris votre exposé, qui n'était certainement pas ambigu, vous demandez le droit à l'arbitrage, à titre de mécanisme approprié de règlement des différends, et non le droit de grève. Le groupe de travail Sims a estimé que les positions exprimées à l'époque méritaient certainement d'être examinées plus avant par le gouvernement.
Vous avez parlé de la cause judiciaire qui sera entendue plus tard cette année. Pouvez-vous m'indiquer quelles suites, le cas échéant, il y a eu depuis le groupe de travail Sims sur le plan d'une modification du Code pour vous donner le droit de vous syndiquer? Cela a été manifestement recommandé. Il semble y avoir là une lacune. Que s'est-il passé?
J'ai personnellement trouvé vos arguments très convaincants et je serais curieux de savoir ce qui s'est passé. Et si rien ne s'est passé, pourquoi, à votre avis?
Le président: Je vous remercie, monsieur Wilfert.
Monsieur Johnston.
M. Dale Johnston: Monsieur le président, ma question va dans le même sens que celle de M. Wilfert. Je me demandais si vous revendiquez ou non le droit de grève ou l'arbitrage. En répondant à la question de M. Wilfert, vous répondrez aussi à la mienne.
Le président: Je vous remercie, monsieur Johnston.
Permettez-moi également de poser une question, étant fils d'un sergent d'état-major de la GRC et jugeant notre Solliciteur général actuel comme un homme plutôt raisonnable. À la page 7 de votre mémoire, vous mentionnez à plusieurs reprises le Solliciteur général. J'aimerais savoir si le Solliciteur général actuel a réagi ou exprimé une opinion sur cette question.
Voilà donc quelques questions pour vous, monsieur Kinnear.
M. Dale Kinnear: Je vous remercie.
Pour commencer avec la première question, les meilleurs exemples de déficiences engendrées par l'absence de droits de négociation collective et de protection en vertu du Code canadien du travail concernent probablement le domaine des griefs.
M. Brennan et moi en parlions justement ce matin. Du fait qu'il n'y a pas de convention collective, la pratique, c'est-à-dire ce qui est appliqué à un agent de la GRC, est déterminée par le manuel d'administration, le règlement, ou les politiques et pratiques de la GRC. Toutes ces règles sont sujettes à interprétation par le supérieur immédiat ou le commandant, lorsqu'il s'agit d'accorder une promotion ou des heures supplémentaires pour une mission donnée.
L'absence d'un mécanisme de grief adéquat laisse toute latitude à la direction de la GRC. Il n'y a pas de tierce partie neutre qui puisse s'asseoir et voir ce que les parties voulaient dire ou faire lorsqu'elles ont inséré une clause donnée dans leur convention collective.
Comme vous le savez sans doute, il y a toute une industrie à Ottawa et dans tout le pays, dans les milieux des relations de travail, où des experts cherchent à déterminer précisément ce que signifie un article ou une clause donnés d'une convention collective, et ce aussi bien pour le secteur public que le secteur privé. L'absence de convention collective, l'absence de conditions convenues par la direction et les employés pour déterminer ce qui va s'appliquer dans une situation donnée, qu'il s'agisse de rémunération ou de promotion, est probablement la déficience la plus criante.
Dans ces situations, si l'agent est débouté au niveau de la GRC ou même si le mécanisme de grief interne donne raison à l'agent, le commissaire peut annuler la décision. Le commissaire a toute latitude. Le seul recours de l'agent est auprès de la Cour fédérale. Et comme vous pouvez l'imaginer, c'est une procédure très coûteuse et très longue qui oblige l'agent individuel a affronter toute la puissance de la GRC et, même, de tout le gouvernement fédéral.
M. Brennan pourra vous donner peut-être un exemple de cela en répondant à la question suivante sur les exemples de rétribution. Je le laisserai répondre à cela, mais je répondrai à la question sur l'Organisation internationale du travail car nous avons justement eu à en traiter l'autre jour.
La convention no 87 de l'Organisation internationale du travail, qui a été ratifiée par le Canada, contient une clause, à l'article 9, je crois, mais je ne peux vous en citer le texte précis. Elle dit en substance que la police et l'armée peuvent être assujetties aux règles du pays, c'est-à-dire qu'il y a une exemption à leur égard, contrairement à ce qui se passe dans le cas de la syndicalisation des travailleurs agricoles de l'Ontario.
• 1215
Je vais peut-être répondre aux questions restantes et je
laisserai Joe terminer en donnant les exemples demandés.
Pour ce qui est de la cause judiciaire en cours, soit la cause Delisle c. Canada (Procureur général), elle avance aussi rapidement que faire se peut. C'est une poursuite intentée par M. Delisle il y a presque dix ans.
Pour ce qui est des changements intervenus depuis le rapport du groupe de travail Sims, il n'y en a pas eu. La situation reste inchangée. C'est sans doute un oubli dans ce projet de loi. Pourquoi rien n'a-t-il été fait, je suppose que c'est par manque de volonté de la part de la GRC. La volonté est tout aussi absence au ministère du Solliciteur général.
Probablement le meilleur exemple de cette inertie est-il la cause Osbourne que j'ai mentionnée dans mon exposé. Elle porte sur l'activité politique dans la fonction publique fédérale. Le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation a mis en branle le processus d'abrogation de ces articles de la Loi sur la GRC.
Je crois que cela fait deux ans ou plus que la Cour suprême a statué dans la cause Osbourne. L'inertie, la lenteur bureaucratique, relativement aux droits d'activité politique dans l'arrêt Osbourne... la même chose vaut à l'égard des droits de négociation collective à la GRC. Il faudra peut-être que la Cour tranche une bonne fois pour toutes.
La réponse à votre question, en bref, est que la direction de la GRC n'en veut pas. Elle peut faire traîner les choses, elle peut paralyser le processus. Quant à savoir pourquoi cela ne figure pas dans ce projet de loi alors que M. Sims en a traité dans son rapport, le comité est mieux placé que moi pour le savoir. Nous ne sommes pas partie prenante au processus de rédaction du projet de loi. Nous ne pouvons intervenir qu'au stade actuel.
En réponse à la question de M. Johnston, non, les agents de la GRC ne demandent pas le droit de grève. La méthode applicable à 96 p. 100 des agents de police de ce pays est un arbitrage contraignant par une tierce partie neutre. C'est ce que recherchent les agents de la GRC. Je vous ai indiqué les deux provinces du Canada où le droit de grève existe encore. Si ces gouvernements choisissaient de l'abroger, ils le pourraient.
Monsieur Alcock, nous pouvons dire que nous n'avons eu aucune réaction de la part du Solliciteur général au sujet de nos revendications. Il nous dit que cela relève du commissaire. La réponse que nous avons eue de M. Gray est que cela relève entièrement du commissaire.
Si vous lisez le rapport du Comité mixte permanent d'examen de la réglementation à l'annexe de mon mémoire, vous verrez que ce comité a critiqué le Solliciteur général de l'époque, M. Gray, pour sa lenteur à donner suite à l'arrêt Osbourne, de même que le Procureur général.
Que ce soit intentionnel ou non, il est assez commode que le Solliciteur général puisse dire que c'est entièrement entre les mains du commissaire. Le commissaire peut dire que c'est entièrement entre les mains du Solliciteur général. Les deux se repassent la balle. Il faudra que le Parlement tape du pied ou sonne les cloches à ces personnes pour les remettre sur la voie et les amener à véritablement étudier la question.
Vous verrez à l'annexe C du mémoire un rapport commandé en 1974 par le commissaire de l'époque, le commissaire Nadon. Il a chargé un inspecteur de la GRC, du nom de Middleton, d'une étude au Canada et même aux États-Unis sur les syndicats policiers. Si vous lisez ce rapport, vous y trouverez des recommandations identiques à celles que Sims a formulées 20 années plus tard. Ils se sont penchés là-dessus; ils en ont étudié la faisabilité. La réaction aux recommandations de Middleton a été la même que celle aux recommandations de Sims, selon les idées préconçues de la GRC.
• 1220
Je trouve que ce rapport était très objectif, bien qu'il ait
été rédigé pour la direction de la GRC, au sujet des avantages d'un
syndicat et la différence entre un syndicat policier et les autres.
Ce n'est que dans les 10 derniers p. 100 du rapport qu'il semble
réaliser qu'il l'adresse au commissaire et épouse l'optique
patronale, si vous voulez, mais je pense que quiconque le lit
objectivement y trouvera les avantages et la justification d'un
syndicat de policiers.
C'est un dossier qui traîne depuis des années et mon instinct me dit que ce blocage est en rapport avec la tradition militariste dont tous les corps de police ont du mal à se débarrasser.
Cela vous fait peut-être rire lorsque je fais état de la grève de la police de Boston en 1918-1919. Tout ce que j'ai lu me dit que c'est probablement l'un des principaux facteurs. Effectivement, la grève de la police de Boston en 1918-1919 continue à hanter jusqu'à ce jour les syndicats de policiers aux États-Unis. Ce seul incident a amené une intervention de, je pense, Wilson, qui était le gouverneur du Massachusetts à l'époque, ou peut-être de Coolidge... Quoi qu'il en soit, vous verrez que le rapport fait état de propos de Coolidge, à titre de gouverneur, de Wilson, à titre de président, ou inversement, disant combien ils étaient atterrés par cette affaire.
Toute cette affaire, je le précise, n'avait rien à voir avec la rémunération. Il s'agissait du droit de former un syndicat. C'est là-dessus que portait la grève. Plus de la moitié des agents de police ont été congédiés, ce qui n'est pas sans rappeler la situation des contrôleurs de la circulation aérienne aux États-Unis, il y a quelques années.
Je vous incite à le lire et vous y verrez l'état d'esprit en 1974.
Je pense que cette frustration à l'époque était due à l'exclusion de la GRC du Code et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, et je pense que la situation est devenue assez envenimée à un moment donné. On leur a jeté un os avec le système RDRF. À la fin de la semaine on est censé leur annoncer leur majoration de salaire, la première depuis plusieurs années. J'ai l'impression qu'on va leur jeter de nouveau un os et, pour reprendre une expression utilisée, «acheter leur allégeance pour quelques années encore au moyen du chèque de salaire».
Je vais maintenant donner la parole au sergent Brennan. Il pourra traiter directement de...
Le président: Monsieur Kinnear, je crains que nous ayons déjà dix minutes de retard.
Monsieur Brennan, avez-vous un exemple succinct que vous pourriez donner?
M. J.W. Brennan (Association canadienne des policiers): Oui, monsieur le président.
Je suis retraité maintenant depuis un peu plus d'un an. J'avais 39 années et 88 jours de service. Depuis, j'ai été obligé de déposer des griefs. Hier, j'ai déposé une motion en Cour fédérale sur l'un de mes griefs, qui a été rejeté au deuxième palier. L'un de mes avantages, le congé de vacances—ils ne veulent même pas s'occuper du problème. Je suis en train d'essayer de voir ce que je dois faire de cela.
J'ai un autre litige sur les avantages devant le Comité d'examen externe. C'est dû au fait que notre employeur, le Conseil du Trésor, ne nous donne pas un ensemble de conditions de rémunération et d'avantages sociaux auquel nous puissions nous référer. Notre paie et nos avantages sont spécifiés dans le manuel d'administration de la GRC, laquelle en donne sa propre interprétation. Malheureusement, nous découvrons ensuite que l'interprétation ne reflète pas l'esprit des directives du Conseil du Trésor.
Les choses ont-elles changé depuis mon arrivée en 1957, monsieur Alcock? Oui. À cette époque, on envoyait les agents purger leur peine en creusant des caves et en verrouillant les cellules la nuit.
Aujourd'hui, on a des méthodes différentes pour s'occuper de ceux qui dérangent... ou qui amènent des changements. Aujourd'hui, nous sommes un corps moderne et l'on rançonne la famille des agents. On suspend les agents sans salaire. Pour quel crime? Eh bien, pour des infractions aussi odieuses à la Loi sur la GRC que de se porter candidat dans une élection.
Le sergent d'état-major Delisle en parlera le 1er avril, ce qui est un jour bien choisi. Il a passé 18 mois sans salaire. L'accusation a été retirée à cause d'une apparence de partialité. Eh bien, ses supérieurs, les mêmes qui ont porté les accusations, étaient aussi ceux qui faisaient les évaluations et formulaient les recommandations au juge d'audience.
• 1225
A-t-il été autorisé à réintégrer ses fonctions électives? Non,
non. Au lieu de cela, son commandant a pris des ordres au quartier
général, une autre élection a été tenue et, malheureusement pour la
direction, Delisle a été réélu avec près de 80 p. 100 des voix.
Vous n'avez pas beaucoup de temps. Je pourrais vous parler pendant des heures. J'ai toutes sortes d'exemples.
Le président: Je vous remercie, monsieur Brennan.
M. Joe Brennan: Juste une remarque pour terminer. Ne voyez pas en moi un vieil homme amer. Je suis un peu plus vieux que lorsque je suis entré à la GRC. J'ai beaucoup aimé le service. La majorité des membres sont de bons agents dévoués à la protection du public. Cela fait longtemps que je me suis fait à l'idée que, lorsqu'on fréquente les chevaux comme moi, eh bien, de temps en temps, on butte contre le cul d'un cheval.
Je vous remercie.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Oui, dans ces parages il faut toujours voir à quelle extrémité du cheval on s'adresse.
Merci beaucoup. Nous avons apprécié votre exposé.
Pour la gouverne des membres, ceci met fin à cette série d'audiences. Nous nous retrouverons à 15 h 25 précises pour reprendre nos travaux à 15 h 30, cet après-midi.
La séance est levée.