HRPD Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON HUMAN RESOURCES DEVELOPMENT AND THE STATUS OF PERSONS WITH DISABILITIES
COMITÉ PERMANENT DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES ET DE LA CONDITION DES PERSONNES HANDICAPÉES
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 13 mai 1998
[Traduction]
Le président (M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.)): La séance est ouverte. Bienvenue donc à la séance numéro 36 du Comité permanent du développement des ressources humaines. Je vous remercie tous d'être parmi nous cet après-midi.
• 1550
Peu de temps après la première réunion du comité à l'automne,
en plus du travail normal que doit accomplir le comité—notre
travail étant nécessairement tributaire du programme de la
Chambre—que ce soit les projets de loi, les prévisions budgétaires
ou d'autres activités, les membres ont commencé à discuter, d'abord
entre eux, et ensuite plus officiellement avec leurs collègues et
les attachés de recherche qui assurent leurs services aux divers
partis, de certaines questions qui découlent des changements
apportés à ce qu'on appelle traditionnellement le réseau des
services sociaux.
Les modifications apportées au programme d'assurance-emploi ont donné lieu à toute une série d'événements. Premièrement, nous constatons que beaucoup moins de gens que précédemment peuvent accéder à ces services. Au cours de la dernière législature, les membres du comité et certains des députés d'en face ont fait une analyse assez poussée de l'évolution du milieu de travail et des changements à apporter éventuellement à notre législation ouvrière afin de mieux protéger les travailleurs qui ne sont plus syndiquables au sens traditionnel du terme. Voilà justement l'une des questions que nous avons abordées dans le cadre de notre examen du projet de loi C-19: comment rejoindre les personnes qui travaillent à domicile ou sur une base contractuelle?
De plus, au cours de la dernière campagne électorale, certaines déclarations ont été faites, y compris par le premier ministre, concernant la possibilité, une fois que le budget serait équilibré et que nous aurions un excédent budgétaire, de réinvestir une portion de ces crédits dans de nouveaux programmes. Cela nous amène donc à nous demander dans quoi nous voulons réinvestir? Si nous avons enfin la possibilité de voir comment notre réseau de services sociaux devrait évoluer au cours des prochaines années, il conviendrait de parler des investissements qui nous semblent les plus appropriés.
Vu la diversité d'opinions autour de cette table—et je vais demander aux membres de se nommer dans quelques instants, et à vous aussi, avant qu'on commence—l'un des problèmes que nous rencontrons au Parlement—et vous le savez certainement si vous avez déjà assisté à des réunions comme celle-ci—c'est cette bataille politique constante qui caractérise le travail parlementaire et les positions assez bien définies des divers partis. Alors nous essayons de nous éloigner de ce modèle d'interaction pour examiner les questions qui, à notre avis, pourraient éventuellement faire l'objet d'un consensus.
Le travail que nous entreprenons maintenant, et l'étude à laquelle nous vous demandons de participer, ont été proposés par le comité et non pas par le gouvernement. Cette étude découle donc de la décision des membres du comité de chercher sincèrement un terrain d'entente sur la façon de restructurer, de réorienter, de rétablir ou, pour certains, de démanteler, le réseau des services sociaux.
La méthode que nous avons retenue par le passé pour faire ce genre de travail—et elle a donné de très bons résultats jusqu'à présent—consiste à prendre le temps qu'il faut pour bien analyser la question. En général, nous invitons quelqu'un à venir nous faire un exposé, pour amorcer un peu notre réflexion. Cette fois-ci, notre invité est John Richards, de l'Université Simon Fraser, qui a fait des recherches assez exhaustives et a récemment publié un livre. Nous allons demander à John de faire quelques remarques liminaires pour situer un petit peu la problématique et nous demanderons ensuite à nos autres invités de participer à la discussion. Mon rôle consistera à aiguiller un peu la discussion sur les enjeux les plus importants.
• 1555
Les membres du comité connaissent tous le dossier et ont déjà
des positions assez tranchées sur la question; par conséquent,
notre discussion sera certainement des plus fructueuses.
Quand la première partie de la discussion tirera à sa fin, on nous apportera un dîner des plus somptueux, et nous continuerons à discuter jusqu'à épuisement du sujet et des députés.
Nous prévoyons de terminer vers 20 heures ou 20 h 30. Nous ne sommes pas obligés de continuer aussi longtemps si nous estimons avoir vraiment fait le tour de la question ou avoir répondu aux questions soulevées par les participants.
Au terme de nos discussions, nous les membres du comité nous réunirons à huis clos, non pas ce soir mais à une réunion ultérieure, pour déterminer quels éléments de la discussion pourraient faire l'objet d'un consensus, consensus dont nous ferons ensuite part à la Chambre des communes.
Peut-être pourrions-nous commencer par Libby.
Libby, auriez-vous la gentillesse de vous présenter? Nous allons faire le tour des députés, des attachés de recherche, et ensuite nous passerons au professeur Verge et aux autres invités. Ça vous va?
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Bonsoir, je m'appelle Libby Davies. Je suis députée néo-démocrate et porte-parole du parti sur tout ce qui concerne les enfants, les jeunes, l'éducation postsecondaire et les programmes sociaux.
[Français]
M. Paul Crête (Kamouraska—Rivière-du-Loup—Témiscouata—Les Basques, BQ): Je me nomme Paul Crête et je suis le porte-parole du Bloc québécois en matière de ressources humaines. Je suis particulièrement préoccupé par la question des trous dans le filet de protection sociale.
M. Jean Dubé (Madawaska—Restigouche, PC): Jean Dubé, député progressiste-conservateur, critique parlementaire des ressources humaines et du travail.
[Traduction]
Mme Diane Ablonczy (Calgary—Nose Hill, Réf.): Je m'appelle Diane Ablonczy, et je suis porte-parole de l'opposition officielle sur les questions touchant le développement des ressources humaines et membre du comité représentant mon parti.
[Français]
La greffière du comité: Danielle Bélisle, greffière du comité.
[Traduction]
Le président: Je m'appelle Reg Alcock, et je suis député de Winnipeg-Sud et président du Comité du développement des ressources humaines.
[Français]
M. François Bastien (attaché de recherche auprès du comité): François Bastien, associé principal chez Tremblay, Guittet Communications. Notre firme a aidé le comité à organiser cette rencontre.
[Traduction]
Mme Sandra Harder (attachée de recherche): Je m'appelle Sandra Harder. Je suis l'une des attachés de recherche du comité.
Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.): Je m'appelle Bonnie Brown. Je suis la députée d'Oakville, en Ontario.
[Français]
M. Nick Discepola (Vaudreuil—Soulanges, Lib.): Nick Discepola, député libéral de Vaudreuil—Soulanges.
Mme Claudette Bradshaw (Moncton, Lib.): Claudette Bradshaw, députée libérale de Moncton, Riverview et Dieppe.
M. Pierre Verge (Université Laval): Pierre Verge, Faculté de droit, Université Laval.
M. Serge Brault (président d'Adjudex inc., Services d'arbitrage et de médiation; membre du Comité consultatif sur le milieu de travail en évolution du ministère du Développement des ressources humaines): Je me nomme Serge Brault et je suis arbitre et médiateur. J'ai été membre du comité qui a fait le rapport de la réflexion collective sur le milieu de travail en évolution.
[Traduction]
Mme Lara Edwards (stagiaire en droit, cabinet Heenan, Blaikie): Je m'appelle Lara Edwards. Je suis stagiaire en droit au cabinet Heenan, Blaikie à Toronto.
M. Brian W. Burkett (avocat spécialiste du droit du travail, cabinet Heenan, Blaikie): Je m'appelle Brian Burkett. Je suis avocat chez Heenan, Blaikie de Toronto et je me spécialise dans le droit de la gestion et du travail.
M. John Richards (Université Simon Fraser): Je m'appelle John Richards.
[Français]
Mme Jocelyne Côté-O'Hara (chef, C20—Consultant en communications): Je me nomme Jocelyne Côté-O'Hara et je suis consultant dans le secteur des télécommunications et des communications à la radiodiffusion pour une gamme de secteurs. Je suis directeur de plusieurs sociétés.
[Traduction]
Mme Arlene Wortsman (directrice, Études du travail, Centre canadien du marché du travail et de la productivité): Je m'appelle Arlene Wortsman, et je suis directrice des études du travail au Centre canadien du marché du travail et de la productivité.
M. Eugene Kostyra (directeur régional, Manitoba, Syndicat canadien de la fonction publique): Je m'appelle Eugene Kostyra, et je suis directeur régional du Syndicat canadien de la fonction publique au Manitoba.
Mme Nancy Riche (vice-présidente à la direction du Congrès du travail du Canada): Je m'appelle Nancy Riche, et je suis vice- présidente à la direction du Congrès du travail du Canada et coprésidente (représentante des syndicats), du Centre canadien du marché du travail et de la productivité.
[Français]
Mme Michelle Tremblay (présidente, Tremblay, Guittet Communications): Michelle Tremblay. Je suis conseillère auprès du comité.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup.
Y a-t-il des questions sur la procédure que nous allons suivre?
John, voulez-vous commencer?
M. John Richards: Merci.
Si je comprends bien vos règles, je vais pouvoir parler pendant une vingtaine de minutes avant que vous commenciez à vous impatienter.
Une voix: Avant qu'on vous coupe la parole.
M. John Richards: Oui, c'est ça.
Où devrais-je commencer? Évidemment
[Français]
je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui. Hier, j'étais à Québec en train de parler d'unité nationale,
[Traduction]
et nous voilà réunis cet après-midi pour parler de l'unité sociale. Il s'agit de deux notions indissociables.
• 1600
Je voudrais tout d'abord vous parler brièvement de mes
antécédents. Dans ma jeunesse, j'ai été pendant une courte période
député du N.P.D. en Saskatchewan, mais à l'âge de 25 ans, je savais
tout sur la façon de diriger le monde. Maintenant, j'ai 50 ans, et
je me rends compte que je sais très peu de choses. J'enseigne un
cours sur la politique gouvernementale à l'Université Simon Fraser,
et pour que vous compreniez bien la nature des contradictions qui
me caractérisent, j'ai codirigé la préparation d'une grande série
d'études sur la politique sociale pour l'Institut C.D. Howe à
Toronto—les grandes sociétés canadiennes en prière; si vous
voulez. Nous avons produit 15 volumes avec une cinquantaine de
collaborateurs. Et j'ai récemment préparé un volume de synthèse,
soit un résumé des analyses d'une cinquantaine de personnes plus ma
propre analyse. Aujourd'hui, je vais essayer en 20 minutes de vous
résumer ce livre qui résume les analyses d'une cinquantaine de
personnes.
Quelle sera ma contribution dans ce contexte? D'abord, c'est une question de modestie. Si vous me permettez, je suis ravi d'avoir pu ce matin, dans l'avion entre Québec et Ottawa, lire les trois principaux journaux canadiens. Je ne devrais peut-être pas dire que ce sont les principaux journaux, mais je voulais parler du Globe and Mail, de La Presse et du Devoir. Dans le Globe and Mail, Bob Rae fait son mea culpa en déclarant que l'État providence a des problèmes et que les politiques traditionnelles du N.P.D., qui consistent à dépenser davantage, ne marcheront pas. Je vous invite tous à lire ce que dit Bob Rae dans le Globe and Mail d'aujourd'hui. Si vous ne l'avez pas encore fait, lisez-le, car il s'agit d'une des meilleures auto-analyses qu'ait faites Bob depuis un moment.
Je passe maintenant aux propos de mon ami Alain Dubuc. Alain, qui est mon contemporain et qui, comme moi, est un homme de gauche, écrivait ceci aujourd'hui, et je le cite:
[Français]
-
Les gouvernements, tant fédéral que provincial, ont
choisi de modifier la philosophie de leurs programmes
sociaux. Ottawa a voulu, en resserrant les critères du
chômage, casser la culture de la dépendance à
l'assurance-chômage, surtout en région. Les provinces
ont voulu combattre la «trappe de la pauvreté» créée par
des programmes conçus de telle façon que l'aide sociale
était préférable au travail.
-
Le pari de ces réformes
est qu'elles forceront l'émergence de nouveaux
comportements et qu'elles aideront ainsi les gens à
sortir de façon durable du cercle vicieux de la
pauvreté. Mais il est assez évident que si les effets
bénéfiques ne sont pas immédiats, le choc, lui, a été
instantané. En changeant les règles du jeu, ces
réformes ont affecté le niveau de vie et la qualité de
vie des bénéficiaires.
[Traduction]
Et sans vouloir répéter le même message, Sansfaçon dans Le Devoir dit essentiellement la même chose. En cette fin de décennie, il s'agit pour moi d'une sorte de tentative encourageante de la part des gens des médias, des politiques et des universitaires, pour voir de quelle façon on peut assurer le succès de l'État providence.
Le premier élément de mon exposé sera justement les défauts de l'État providence. Évidemment, nous pourrions passer tout un trimestre à l'université à analyser chacun de ces éléments, surtout que ces éléments sont nombreux. Mais ayant été moi-même politique, je comprends que vous manquez vraiment de temps et que vous devez nécessairement lire beaucoup de choses et réfléchir à de nombreuses questions simultanément.
Je vous invite cependant à examiner les résultats d'une recherche faite en Suède, cet État providence connu pour sa générosité même si, comme le Canada, elle a été forcée, face à une sérieuse crise financière cette décennie, à repenser ses programmes sociaux. Je me permets de vous recommander les écrits d'Assar Lindbeck, une personne qui a justement participé à tout ce processus de réexamen en Suède et que je respecte beaucoup. Cela vaut la peine de lire ses écrits sur le sujet, surtout qu'il a découvert ce qu'il appelle la dynamique dangereuse des États providence, dynamique qui peut s'identifier en fonction de diverses caractéristiques dont les quatre caractéristiques suivantes qui sont le fruit de son analyse.
La première de ces caractéristiques est la possibilité d'aller trop loin en concevant ces politiques. Au départ, les résultats et les changements de comportement sont mineurs, mais il faut attendre une dizaine d'années sinon plus avant que les véritables conséquences d'une politique se manifestent.
Deuxièmement, des programmes sociaux trop généreux peuvent donner lieu à une certaine macro-instabilité.
• 1605
Troisièmement, pour réussir, l'État providence a besoin
d'administrateurs comme Allan Blakeney. Permettez-moi d'être
partisan pendant quelques instants et de vous parler de ma province
d'origine, qui est la Saskatchewan. Si on perd la culture qui sous-
tend une gestion professionnelle de programmes sociaux fort
complexes, tels que les programmes d'assistance sociale, les
hôpitaux et les écoles, les programmes eux-mêmes ne peuvent plus
remplir les fonctions pour lesquelles ils ont été conçus.
Quatrièmement, dans le cas de certains programmes, il y a le risque que ce qui est au départ une instabilité économique, que les pouvoirs publics souhaitent corriger au moyen de programmes sociaux, se transforme en instabilité politique qui est en réalité pire que l'instabilité économique que vous souhaitez éliminer. Un exemple classique de ce genre de problème serait le secteur des pêches sur les deux côtes du Canada. La source principale de l'instabilité n'est plus la présence ou non du saumon, mais plutôt la nature des programmes de subventions fédéraux.
Cela dit, je voudrais surtout attirer votre attention—et rappelez-vous que j'essaie de vous faire une synthèse—sur deux grandes difficultés qui surgissent actuellement dans la société civile. Si la première partie de la discussion doit porter sur la façon de gérer les programmes sociaux, eh bien, au cours du prochain millénaire, nous aurons à faire face à deux grandes difficultés.
La première de ces difficultés est la polarisation des salaires, notamment chez les hommes. Il s'agit d'un phénomène assez généralisé dans tous les pays industrialisés: les travailleurs peu spécialisés gagnent moins maintenant qu'il y a une génération. Au Canada, il est vrai que d'après diverses évaluations de l'écart au niveau de la répartition des gains—et là je ne parle pas des gains plus les transferts, mais de ce que les gens peuvent gagner sur le marché du travail—l'écart s'est vraiment creusé, pas tellement chez les femmes, mais certainement chez les hommes, et les conséquences sont assez graves. Je dirais qu'une autre généralisation qu'on peut faire à ce sujet c'est que les inégalités associées à l'âge sont encore plus présentes. Les jeunes ont toujours gagné moins que les personnes plus âgées, même quand on tient compte du niveau d'éducation. Eh bien, cet écart s'est encore creusé.
Deuxièmement, la récompense pour ceux qui terminent leurs études est plus substantielle, ce qui veut dire que les jeunes ont vraiment intérêt à terminer leurs études. Tout cela est confirmé dans les résultats du recensement de 1996, qui ont été publiés, et dont on parlait une fois de plus dans le Globe and Mail d'aujourd'hui que j'ai lu en venant à Ottawa.
Mais pour conclure ce résumé assez grossier, la répartition des revenus au niveau des familles n'a pas beaucoup changé, parce que, dans les familles à plus faible revenu, les transferts sociaux, dont la moitié sont versés par la province, ont permis de combler les lacunes. Il s'agit là d'un changement remarquable qui, à mon sens—et j'y arrive dans quelques instants—a eu des conséquences fort négatives. Il y a 25 ans, la source des deux tiers des revenus des familles considérées pauvres, selon certains critères, était les gains provenant d'un emploi. À l'heure actuelle, il s'agit d'un tiers. Autrement dit, les transferts sociaux représentent les deux tiers des revenus des familles pauvres.
La deuxième grande difficulté—et en tant qu'homme de race blanche issu de la bourgeoisie anglaise, j'hésite à le dire—c'est que quelque chose de grave touche actuellement les familles. À mon avis, nous ne pouvons pas tolérer que les politiques gouvernementales continuent d'être aussi indifférentes à la stabilité des familles biparentales.
Je suis tout à fait conscient du fait que les gens vont tout de suite penser, en m'entendant dire cela, que je vais me lancer dans une sorte de tirade misogyne, et comme je n'ai pas le temps de préparer une défense complète, je vais me contenter de vous citer une seule preuve, qui me semble très inquiétante—à savoir que la proportion de familles monoparentales a doublé, de telle sorte qu'une famille sur six, selon le dernier recensement est une famille monoparentale. Environ 60 p. 100 de ces familles sont pauvres; ainsi, l'augmentation de la pauvreté est très étroitement liée à l'augmentation du nombre de familles monoparentales. Et pour vous donner un exemple encore plus saisissant, exemple dont j'ai une certaine connaissance personnelle pour avoir travaillé dans ce domaine, environ la moitié des familles autochtones vivant dans les villes des Prairies sont des familles monoparentales, et il existe des quartiers entiers à Winnipeg, Regina, Saskatoon, Edmonton et Calgary où résident surtout des familles monoparentales touchant l'assistance sociale.
• 1610
Alors que faire? J'ai déjà pris 10 minutes, et il ne me reste
plus donc que 10 minutes pour vous dire ce qu'on doit faire.
Je voudrais aborder cinq grands thèmes, que nous pourrons ensuite analyser plus en profondeur.
Le premier de ces grands thèmes, c'est que nous avons pris la bonne décision, nous les Canadiens, notre gouvernement et les provinces, en équilibrant les budgets, décision qui nous a tout de même forcés à réduire les dépenses des programmes. Par contre, nous avons commis de nombreuses erreurs individuelles.
[Français]
Mais, de façon générale, c'était la bonne décision, que ce soit M. Bouchard qui veut atteindre le déficit zéro l'année prochaine, Roy Romanow qui a équilibré ses comptes en 1995—sa province a été la première à le faire—ou Ralph Klein qui l'ait fait, ou que ce soit Paul Martin qui l'ait fait ici. C'était une tâche qui, dans l'ensemble, était tout à fait nécessaire.
[Traduction]
Ce qui ressort de tout cela, c'est qu'il faut bien tenir ses livres en respectant les principes comptables, et qu'il faut éviter que les programmes sociaux fassent l'objet d'une comptabilité indépendante. Si le Régime de pensions du Canada pose problème actuellement, c'est parce que du point de vue comptabilité, les journalistes, les politiques et même les citoyens ordinaires ont toujours eu du mal à comprendre exactement ce qui se passait dans ce régime parce qu'il était justement hors circuit.
Deuxièmement, il est essentiel que le gouvernement assume la responsabilité de ces programmes. Je suppose que mes propos feront le bonheur des députés du Bloc québécois et du Parti réformiste. Mais le fait est que nous devons respecter davantage la répartition des compétences et, d'une manière générale, il faut qu'un seul palier de gouvernement soit responsable de certains programmes.
Je suis donc content que nous ayons mis un terme en quelque sorte à ce modèle du fédéralisme financier qui consistait à accorder des subventions conditionnelles. À son apogée, soit vers le milieu des années 80, ce modèle de fédéralisme financier englobait la péréquation, le Régime d'assistance publique du Canada, le FPE, et le programme d'assurance-chômage. Tout cela représentait environ 6 p. 100 du PIB, une somme, sous forme de transferts fédéraux, beaucoup trop importante à mettre entre les mains des citoyens. Il est résulté de nombreuses motivations perverses, non seulement chez les particuliers, mais au niveau des administrations provinciales, qui ont compromis la bonne gestion de notre État providence.
Donc, pour résumer, il faut d'abord équilibrer son budget. Deuxièmement, la responsabilisation est essentielle. En général, un seul palier de gouvernement doit être responsable de chaque programme.
Troisièmement, tenir compte des avantages comparatifs. Les gens d'Ottawa ne seront certainement pas ravis d'entendre cette recommandation. Mais à mon avis, les programmes de transferts directs par le biais du régime fiscal, par exemple, sont relativement avantageux pour le gouvernement fédéral. Pourtant, la grande majorité des programmes sont complexes sur le plan administratif, et quels que soient les défauts de certaines provinces, en règle générale, elles les administrent mieux.
Par conséquent, je suis en faveur du transfert aux provinces de la majorité des services sociaux. Je n'invite donc pas le gouvernement fédéral, maintenant qu'il n'a plus de déficit, à envisager de créer des nouveaux programmes sociaux. Pour vous dire vrai, la Fondation des bourses d'études du millénaire était à mon avis une erreur, tout en constituant une ingérence injustifiée dans un secteur—l'éducation—qui relève de la responsabilité des provinces et un affront tout à fait inutile pour le Québec.
Permettez-moi de vous en donner un exemple très concret: les programmes de prestations pour enfants. Les gens s'accordent en général pour dire que nous avons réussi à féminiser la pauvreté. L'accroissement du nombre de familles monoparentales et la polarisation des gains font que les familles qui ont des enfants—et notamment les familles monoparentales qui ont des enfants—représentent une proportion croissante des personnes pauvres. Que faire pour rectifier la situation?
Je suis content que le gouvernement fédéral ait mis en place un impôt négatif modeste sur le revenu qui sera l'assise d'autres initiatives provinciales. Nous ne savons vraiment pas quelles politiques vont permettre d'aider les familles pauvres qui ont des enfants.
Je dirais qu'en général, nous prenons les bonnes mesures au Canada à l'heure actuelle, puisque le gouvernement fédéral a décidé de créer cet impôt négatif simple et relativement modeste—l'assise dont je parlais tout à l'heure—alors que les provinces font ce qu'elles ont envie de faire.
• 1615
La Colombie-Britannique a décidé d'améliorer l'impôt négatif
fédéral sur le revenu en créant son programme de prestations
familiales.
L'approche de l'Alberta est plus dure et n'a pas encore été bien évaluée. Essentiellement, l'Alberta cherche à limiter l'accès des jeunes à l'assistance sociale.
Le gouvernement de la Saskatchewan, celui avec lequel j'ai les liens les plus étroits, a lancé une grande initiative ce printemps, y compris une importante aide permanente à l'emploi dont bénéficieront les parents faiblement rémunérés de familles qui ont des enfants. Il s'agit d'un projet très complexe qui sera difficile à bien administrer.
Dans ce domaine, l'un des premiers programmes de ce genre à être lancé au Canada était
[Français]
APPORT, un programme québécois d'aide aux parents pour le revenu de travail. Voilà, à mon avis, un programme d'une grande importance pour encourager les familles à faible revenu à retourner au travail. J'y reviendrai plus tard et expliquerai pourquoi je le juge tellement important.
[Traduction]
Le Québec a non seulement le programme APPORT, qu'il est en train de réexaminer, mais il a aussi lancé un grand programme destiné aux enfants en bas âge qui est assorti d'un programme très généreux de garde d'enfants.
Voilà donc quatre exemples de nouveaux programmes intéressants qu'il faut vigoureusement évaluer d'ici quelques années pour voir s'ils donnent les résultats escomptés.
Pour ceux et celles qui s'intéressent à mon grand domaine de spécialité, c'est-à-dire la mesure dans laquelle les supplémentas de revenu aident les familles pauvres, j'ai apporté l'ébauche de mes plus récents écrits sur le sujet, qui vont être publiés sous forme de livre par l'Institut C.D. Howe.
Jusqu'à présent, j'ai parlé de trois grands thèmes: d'abord, l'équilibre budgétaire; deuxièmement, la responsabilisation; et troisièmement, la prise en compte des avantages comparatifs.
Le thème numéro quatre, c'est que la politique gouvernementale doit davantage favoriser les familles biparentales ordinaires de la classe moyenne, qui ont des enfants. Il n'est même pas nécessaire de préciser «biparentales».
Examinons ce que nous avons fait, avec les meilleures intentions, au cours de la dernière génération. Encore une fois, cette question est assez controversée. Mais je vous invite à penser à la situation d'une famille pauvre typique où les deux parents ont fait très peu d'études. Il y a une génération, si elle tombait enceinte, est-ce qu'ils se mariaient? Est-ce qu'ils décidaient de fonder une famille en misant sur les gains potentiels du partenaire de sexe masculin? Ou inversement, devenaient-ils chefs de famille monoparentale?
Les incitations fiscales qui se rattachent à l'une ou l'autre des deux solutions ont radicalement changé. L'assistance sociale est ciblée à présent. La somme versée sous forme d'assistance sociale est soit inchangée, soit plus généreuse, selon la province concernée, qu'il y a 30 ans. En Ontario, par exemple, malgré les compressions budgétaires réalisées en 1995 dès l'arrivée au pouvoir du gouvernement Harris, l'assistance sociale est à présent plus généreuse qu'elle ne l'était dans les années 70.
Par contre, comme je l'expliquais tout à l'heure, nous sommes en présence d'un phénomène nouveau, à savoir la baisse des gains potentiels du dernier quartile, notamment chez les hommes. Ce phénomène a eu d'importants effets, voire même des effets catastrophiques du point de vue des taux marginaux d'imposition des personnes qui cherchent à réintégrer la population active au lieu de continuer à toucher l'assistance sociale. Dans le cas de l'assistance sociale, pour chaque dollar que vous gagnez, on vous reprend un dollar. Il s'agit donc d'une récupération fiscale de 100 p. 100 sur les revenus d'emploi.
En Saskatchewan, seulement 10 p. 100 des familles qui reçoivent l'assistance sociale déclarent des revenus d'emploi. Ce qu'on essaie de faire par le biais du supplément de revenu, pour être très franc avec vous, c'est réduire le degré de récupération fiscale. Ce n'est d'ailleurs pas nouveau. Le gouvernement travailliste en Grande-Bretagne, dans son premier budget ce printemps, a annoncé qu'il entend dépenser jusqu'à 12 milliards de dollars canadiens pour élargir le programme de supplément de revenu en Grande-Bretagne.
Donc, après la catégorie des assistés sociaux qui, dans la plupart des provinces, sont visés par une mesure de récupération fiscale de 100 p. 100, on arrive à la catégorie des revenus modestes de la classe moyenne. Il s'agit là d'un concept très élastique, évidemment, mais disons que les revenus des personnes de cette catégorie sont entre 20 000 $ et 40 000 $. Pour bon nombre de familles dans cette tranche de revenu, le taux marginal d'imposition est effectivement de plus de 50 p. 100. Pourquoi? Eh bien, tout d'abord, nous payons beaucoup d'impôts au Canada en raison de la folie de nos 20 ans de déficit, et deuxièmement, nous réimposons les prestations prévues en vertu des programmes ciblés. Par exemple, le programme de prestations familiales de la Colombie- Britannique prévoit que si vous êtes parent de deux enfants, vous allez payer 16 p. 100 de plus d'impôt si vos revenus dépassent la limite fixée. Autrement dit, on ne s'en sort pas.
• 1620
En réfléchissant à la façon d'utiliser les dividendes de la
lutte contre le déficit—et je ne vous cache pas que là je fais un
peu de lobbying—il conviendrait que vous envisagiez de réduire le
degré de récupération fiscale de ces prestations ciblées, et ce
pour réduire le fardeau fiscal des familles modestes qui ont des
enfants, dont les revenus se situent entre 20 000 $ et 40 000 $ par
année, et qui sont visées par des taux marginaux d'imposition trop
élevés.
Sur le plan politique, une initiative de ce genre serait très bien accueillie parce que vous pourriez dire aux citoyens qu'ils paieraient moins d'impôts. Par contre, ce serait une mesure sociale très positive, car il est tout à fait inadmissible de prévoir des taux marginaux aussi élevés pour des familles dont les revenus se situent entre 20 000 $ et 35 000 $, qui arrivent à peine à joindre les deux bouts, si nous voulons vraiment que les parents puissent réintégrer le marché du travail.
Le cinquième et dernier thème ne prête pas du tout à la controverse. Il s'agit de la nécessité, pour toutes les administrations, de mettre en place des programmes d'intervention directe sur le marché du travail qui facilitent beaucoup la transition de l'école secondaire à la population active pour ceux qui n'optent pas pour la formation professionnelle. Il faut développer ces programmes, beaucoup plus qu'ils ne le sont à l'heure actuelle pour aider les assistés sociaux qui ont justement du mal à réintégrer le marché du travail.
Tout cela va évidemment poser de graves problèmes pour les syndicats et forcer ces derniers à se réorienter, étant donné que le nombre de syndiqués ne cesse de diminuer depuis une dizaine d'années.
Et le gouvernement a certainement un rôle très important à jouer au niveau de l'évaluation de ces programmes—et encore une fois, je parle en mon propre nom, plutôt que pour les universitaires, qui veulent toujours évaluer et réévaluer. Ça représente du travail pour nous.
La grande lacune de nombreux programmes sociaux bien intentionnés est justement l'absence d'évaluations indépendantes. Le gouvernement fédéral est très bien placé pour entreprendre des évaluations exhaustives qui seraient accessibles au public, ce qui n'est pas aussi simple que cela puisse paraître à première vue.
En même temps, ces évaluations doivent être rigoureuses. Il faut qu'elles soient faites de manière à pouvoir être communiquées aux personnes qui s'y intéressent, et ce n'est pas chose facile. Un certain nombre d'organisme ont acquis une réputation internationale grâce au travail qu'ils ont accompli dans ce domaine, entre autres, la Manpower Development Research Corporation, et l'Institute for Research on Poverty, à l'Université du Wisconsin. Voilà deux exemples américains d'organismes dont le travail d'évaluation leur a valu une réputation internationale.
[Français]
Monsieur Alcock, je me rends bien compte que j'ai pris cinq minutes de trop. Alors, je me tairai. Je vous remercie de m'avoir écouté. Maintenant, place à la discussion.
[Traduction]
Le président: Quatre minutes et 12 secondes, pour être précis, car je suis bien obligé de l'être de temps en temps.
Je vais d'abord demander aux députés s'ils souhaitent obtenir des éclaircissements. Bonnie, voulez-vous...?
Mme Bonnie Brown: Oui, avec plaisir, Reg.
Le président: À propos, avant de vous donner la parole, je vous signale que je vais avoir un peu plus de mal à tenir une liste d'intervenants aujourd'hui; par conséquent, si vous voulez intervenir, vous devez absolument me faire signe.
Une voix: On ne vous voit pas bien.
Le président: Je vais demander à Danielle et aux autres de surveiller.
Bonnie, vous avez la parole.
Une voix: À titre d'information, de combien de temps disposons-nous pour ce premier tour?
Le président: Pour le moment, je vous demande de vous limiter à des questions d'éclaircissement, et ensuite je demanderai à nos autres invités d'intervenir.
Mme Bonnie Brown: Un de vos derniers commentaires m'a intéressée: vous disiez qu'il faut envisager un degré de récupération fiscale moindre pour ce qui est des prestations versées aux familles dont les revenus se situent entre 20 000 $ et 40 000 $. Mais si je me fonde sur ce que vous disiez tout à l'heure, dois-je conclure que vous parlez uniquement des familles biparentales?
M. John Richards: Non. C'est une question tout à fait pertinente. Je ne propose aucunement que ce soit limité aux familles biparentales. Mais soyons honnêtes: si nous élaborons un crédit d'impôt à l'intention des familles, celles qui vont en bénéficier seront majoritairement des familles biparentales.
La plupart des familles monoparentales ont des revenus inférieurs à 35 000 $. Je ne veux pas faire du tort aux familles monoparentales, mais—et vous m'excuserez mon franc-parler—si le gouvernement suivait mes conseils, c'est-à-dire s'il décidait de consacrer 5 milliards de dollars par année à un programme de crédits d'impôt de grande envergure, il en résulterait une diminution considérable des taux marginaux visant les familles dont les revenus se situent entre 20 000 $ et 40 000 $.
Il ne faut pas s'illusionner sur les catégories de familles qui en seraient les principaux bénéficiaires. C'est tout.
Mme Bonnie Brown: Vous avez parlé tout à l'heure de comptabilité indépendante, mais je ne sais pas au juste ce que signifie cette expression. Vous avez dit que le problème que pose le RPC, c'est qu'il fait l'objet d'une comptabilité indépendante. Que voulez-vous dire au juste?
M. John Richards: C'est du jargon comptable. Tous les gouvernements sont tentés d'administrer certains programmes comme s'ils n'étaient pas financés par le Trésor; par conséquent, ils essaient de trouver des raisons d'établir des comptes distincts pour ces programmes.
Ainsi dans le cadre du débat public—débat qui est essentiel pour assurer la survie de nos bons programmes sociaux—sur les taux d'imposition, le coût de nos programmes sociaux, et l'existence ou non d'un excédent ou d'un déficit, ce qui compte pour tout le monde, c'est tout ce qui se trouve au-dessus de la ligne, c'est-à- dire dans le budget ordinaire. Donc, si un programme social de grande envergure ayant des conséquences financières très importantes pour les taux d'imposition futurs n'est pas officiellement reconnu, du fait de faire l'objet d'une comptabilité indépendante, non seulement cela déforme complètement le débat public, mais les gens réagissent avec cynisme face à la démarche budgétaire.
Les gouvernements de toutes les allégeances politiques ont d'ailleurs recouru à cette méthode, qu'on parle du gouvernement néo-démocrate en Colombie-Britannique, qui établit une comptabilité indépendante pour la construction des écoles, des conservateurs en Saskatchewan, qui étaient connus pour leur recours à cette technique, ou du gouvernement du Québec qui a décidé cette année de faire un grand ménage dans bon nombre de ses comptes. C'est une observation non partisane que je vous fais là.
Mme Bonnie Brown: Combien de rapports avez-vous préparés pour l'Institut C.D. Howe?
M. John Richards: Je prépare des volumes pour l'Institut depuis 1993. Jusqu'à présent, je suis coéditeur de quelque 13 livres différents. Dans le cas d'autres livres, ma contribution s'est limitée à des analyses.
Mme Bonnie Brown: Et vous vous considérez toujours comme un universitaire?
M. John Richards: En effet.
Une voix: C'était bien une question, non?
Mme Bonnie Brown: Oui.
Le président: Jean Dubé.
M. Jean Dubé: Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt vos remarques sur l'écart grandissant entre les familles en général et les familles monoparentales qui sont pauvres. Cet écart ne cesse de se creuser. Et vous avez parlé également de la nécessité de faire de bonnes études, car là aussi, l'écart entre les gens ne cesse de s'élargir. Vous avez dit que les hommes seuls qui n'ont pas fait beaucoup d'études n'arrivent pas à trouver des emplois, et surtout de bons emplois.
Si je comprends bien ce que vous nous dites, vous estimez que les Canadiens paient trop d'impôts. À votre avis, le crédit d'impôt de base devrait-il passer à 10 000 $? Pensez-vous que nous devrions prélever des impôts auprès des personnes qui gagnent moins de 10 000 $?
M. John Richards: Premièrement, vous me demandez si nous payons trop d'impôts? Eh bien, nous ne payons pas trop d'impôts, compte tenu de ce que nous avons fait au cours des 20 dernières années. Collectivement—c'est-à-dire le gouvernement fédéral et les administrations provinciales—nous avons dû assumer le coût de nos activités. Donc, il n'y avait pas d'autre solution: il fallait bien augmenter les impôts. Mais nous avons également réduit les dépenses au cours des 10 dernières années.
Donc, je ne n'accepte pas votre prémisse; à mon avis, nous ne payons pas trop d'impôts étant donné les programmes que nous avons décidé de créer. Par contre, je suis tout à fait d'accord pour dire que nous payons trop d'impôts si nous voulons créer une certaine stabilité, et pour cela, il faut nécessairement réduire les impôts.
• 1630
Mais je me défie beaucoup de toute proposition de réduction
supplémentaire des dépenses de programmes du secteur public. Nous
avons déjà réussi à diminuer considérablement la proportion du PIB
qui correspond aux dépenses publiques—soit des trois paliers,
fédéral, provincial et municipal—puisque la part de ces dépenses
est passée d'un maximum de 50 p. 100 à environ 43 p. 100. À mon
avis, il ne convient pas de faire baisser davantage cette
proportion. Au fur et à mesure que nous réduirons le coût du
service de la dette, nous pourrons obtenir davantage de services
pour chaque dollar que nous versons sous forme d'impôt, et le
gouvernement aura donc la possibilité de procéder à des réductions
fiscales.
Mais pour en revenir à votre dernière question, sur l'opportunité ou non de prélever des impôts auprès des familles qui gagnent moins de 10 000 $, je pense qu'il ne serait guère utile que je réponde à cette question-là. Ce n'est pas que je veuille éviter de parler en détail de mesures fiscales précises, mais disons que généralement, je suis d'accord avec vous pour dire que nous imposons les citoyens à partir d'un seuil qui est à présent trop bas.
Deuxièmement, nous ne faisons pas suffisamment de distinction, dans le cadre du régime fiscal, entre les familles qui ont des enfants et celles qui n'en ont pas. Par conséquent, notre régime fiscal doit prévoir des impôts moins élevés pour les familles qui ont des enfants, par rapport à celles dont les revenus sont comparables mais qui n'ont pas d'enfants.
Donc, il convient, dans le contexte d'une éventuelle réduction des impôts, de tenir compte d'impératifs sociaux, et ce, en essayant de réduire les taux marginaux pour les familles dont les revenus se situent entre 20 000 $ et 40 000 $. Est-ce que cette réponse vous suffit pour le moment?
M. Jean Dubé: Oui. J'aurai d'autres questions tout à l'heure.
Le président: Allez-y, Diane.
Mme Diane Ablonczy: J'ai deux toutes petites questions. D'abord, nous étions surpris d'apprendre en comité il y a quelques semaines, quand des responsables de Statistique Canada ont fait un exposé devant nous, que même si les familles deviennent plus pauvres au Canada, l'écart entre les riches et les pauvres ne s'élargit pas. J'aimerais donc savoir ce que vous en pensez, puisque vous avez parlé des familles, de leurs revenus, et de l'écart de revenus en général. Avez-vous également étudié ce phénomène-là?
M. John Richards: Eh bien, là aussi, je dois m'appuyer sur le travail d'autres personnes. Nous avons publié un volume de 250 pages sur la répartition des revenus dans le cadre d'une série d'analyses sur la politique sociale préparée par Charles Beach, qui est économiste à l'Université Queen's—et je vous invite évidemment à le lire si cela vous intéresse. J'espère que vous ne m'en voudrez pas de toujours faire des résumés, mais son étude présentait une analyse de la répartition des revenus entre 1971 et 1992, donc elle n'englobe pas les cinq dernières années de données.
Un autre travail dont j'aimerais vous donner les grandes lignes est une étude de Statistique Canada sur les familles qui ont des enfants dont le revenu global était de moins de 50 p. 100 du revenu médian, c'est-à-dire grosso modo du revenu moyen. Les auteurs de l'étude en question ont conclu qu'au cours de cette période de 20 ans, la répartition des revenus est restée plus ou moins la même en ce sens que la part des revenus des familles dont le revenu total était inférieur à 50 p. 100 du revenu moyen, comme celle des familles dont le revenu global se situait entre 50 p. 100 et 150 p. 100 du revenu médian, est restée relativement inchangée. Par contre, l'étude de Statistique Canada indique que chez les familles les plus pauvres, les transferts sont devenus relativement plus importants à cause de ce phénomène de la baisse des gains.
Mme Diane Ablonczy: J'ai une deuxième question très rapide. Mais je ne peux pas vous garantir, monsieur le président, que la réponse sera aussi rapide.
Le président: Je vais commencer à insister pour que les réponses soient plus courtes.
Mme Diane Ablonczy: Vous avez dit que le modèle de l'État providence est actuellement à l'étude. C'est ce en quoi consiste votre travail, d'ailleurs, si j'ai bien compris. Vous avez parlé de la Suède, d'autres États et du Canada. Il me semble que si le gouvernement s'éloigne de plus en plus du modèle de l'État providence en faveur d'une formule qui crée moins de dépendance et prévoit une aide plus ciblée, c'est-à-dire pour les personnes les plus vulnérables, les attentes des citoyens vis-à-vis du gouvernement et des élus vont nécessairement changer, et c'est évidemment quelque chose qui nous intéresse.
Par exemple, si le modèle de l'État providence est celui que nous suivons actuellement, il est évident que c'est le gouvernement qui promet de se montrer le plus généreux envers ses citoyens qui va être le mieux vu. Si ce modèle doit évoluer, il est clair que les attentes des citoyens à l'égard de leur gouvernement et de leurs décideurs politiques vont nécessairement changer aussi.
• 1635
Avez-vous cherché à savoir si la situation a déjà commencé à
évoluer de ce côté-là? Et dans l'affirmative, pourriez-vous nous
dire ce que vous avez constaté?
M. John Richards: Reg voudrait que je vous dise tout cela en 30 secondes, et si je ne le fais pas, il va venir me battre.
La réponse courte à votre question serait oui, l'État providence est en voie d'évolution, mais à ma propre décharge, j'ai décidé que le premier chapitre du livre serait intitulé «The Welfare State is a Good Thing» [«L'État providence est une bonne chose»]. Je ne veux surtout pas qu'on m'associe à une certaine tradition selon laquelle l'application de ce modèle est une grave erreur.
Nous avons réussi à faire passer la part du PIB que représentent les dépenses publiques à environ la même proportion qu'elles représentaient au début des années 80. À mon avis, à un point ou deux près, c'est la proportion qu'il faut. Si l'on se compare aux pays industrialisés moyens, on constate que des programmes publics relativement généreux sont encore possibles, compte tenu des niveaux d'imposition actuels.
Puisque nous avons enfin accepté, en tant que Canadiens, qu'il y a tout de même certaines limites et que le modèle de l'État providence a justement atteint ces limites, collectivement nous attachons beaucoup plus d'importance à l'efficacité des programmes, et cela ne peut être qu'une bonne chose.
Le président: Je vais permettre encore deux questions d'éclaircissement, d'abord de Libby, et ensuite de M. Asselin. Ensuite je voudrais faire participer nos autres invités. Je vous laisserai le soin de décider qui sera le premier à intervenir.
Mme Libby Davies: Monsieur Richards, j'ai lu certains de vos écrits avant de vous rencontrer aujourd'hui, et je vous ai également entendu à la radio. Je dois dire que vos cinq thèmes ne correspondent en rien à la réalité de ma circonscription de Vancouver-Est, où il existe énormément de pauvreté et de chômage.
Quand j'examine les différents thèmes que vous présentez, j'ai vraiment l'impression que votre objectif n'est pas du tout de régler le problème de l'inégalité des revenus. Vos propositions semblent au contraire attaquer justement les personnes qui ont de très faibles revenus.
Par exemple, pourquoi voudrions-nous augmenter la prestation fiscale pour enfants que touchent les familles biparentales de classe moyenne, alors que ce sont les familles pauvres, qu'elles soient monoparentales ou biparentales, qui connaissent les plus graves difficultés? Pourquoi voudrions-nous mettre l'accent sur le travail obligatoire, qui victimise les chômeurs et part du principe que c'est de leur faute s'ils n'arrivent pas à trouver un emploi?
Pour moi, votre approche ne permet aucunement d'éliminer les inégalités qui sont si manifestes dans ma circonscription et dans beaucoup d'autres localités. Elle ne fait que renforcer le statu quo et suppose que si nous aidons la classe moyenne, tout ira pour le mieux. Je ne vois vraiment pas comment une telle approche pourrait permettre de faire évoluer le moindrement notre modèle de l'État providence.
M. John Richards: D'abord, Libby, je dois vous dire à quel point je respecte le travail que vous avez fait. Je ne l'ai pas fait, ce travail-là. J'habite à Vancouver-Est, et je suis tout à fait conscient de tout ce que vous avez fait. Je fais ce que je peux, mais non pas à la base, si vous voulez, comme vous l'avez fait.
Deuxièmement, dans mes 10 secondes qui me restent avant que Reg me coupe la parole, je me permets de dire que votre conception d'une bonne politique sociale et la mienne sont diamétralement opposées. Je ne cherche pas à m'esquiver, mais je pense qu'il existe un désaccord fondamental entre vous et moi, et à certains égards, vous vous trompez complètement à mon avis.
Mme Libby Davies: À quels égards? Pouvez-vous me le dire?
M. John Richards: Eh bien, Reg va...
Le président: Vous pouvez répondre.
M. John Richards: Je ne veux pas abuser de mes privilèges d'invité.
Le président: Mais elle soulève une question qui me semble bien importante.
M. John Richards: Eh bien, pour vous donner une réponse honnête et complète à votre question, Libby, j'estime que la politique sociale au Canada—et dans d'autres pays également; le Canada n'est pas unique... C'est-à-dire qu'au cours des 25 dernières années, les grands défenseurs de la politique sociale, comme vous—et ce n'est pas une attaque personnelle contre vous; c'est une simple observation—ont surtout défini leurs objectifs dans l'immédiat en fonction de la préservation des paramètres de certains programmes, que ce soit les règles en matière d'assurance- chômage, les programmes d'assistance sociale, sous leurs différentes formes, ou les subventions au logement, encore une fois sous leurs différentes formes. Dans toute discussion publique sur la politique sociale—discussion qui est d'ailleurs essentielle—les défenseurs de notre politique sociale ont toujours refusé de réfléchir sérieusement à la question de la gestion des programmes sociaux.
• 1640
Je suis très conscient du fait que je vous dis cela à titre
d'universitaire issu de la classe moyenne qui a des liens étroits
avec un certain nombre de personnes haut placées au sein du
gouvernement de la Saskatchewan—je vous rappelle d'ailleurs qu'il
existe en Saskatchewan une forte tradition d'administration du
secteur public, qui remonte à l'époque de Tommy Douglas et d'Allan
Blakeney—et que ce que je vous dis là n'est pas toute la vérité.
Mais voilà pourtant ma réponse: que les défenseurs de la politique
refusent de réfléchir sérieusement aux conséquences négatives à
long terme des politiques qu'ils défendent.
Le président: Voulez-vous expliquer un peu plus votre question?
Mme Libby Davies: En fait, vous n'avez pas vraiment répondu à ma question, à mon avis, parce qu'en fait, je suis d'accord avec vous. Je pense que bon nombre d'entre nous qui faisons de l'action sociale avons justement des objectifs à court terme parce que nous revendiquons certaines choses. C'est vrai; nous revendiquons le maintien du programme d'assurance-chômage, par exemple, ou du Régime de pensions du Canada, et donc sur ce plan-là, ce que vous dites est tout à fait juste. Mais ce n'est pas là-dessus que porte le débat. Je pense que nous pouvons parler de nos objectifs à long terme à titre de démocrates sociaux ou de gens progressistes.
Vous dites que l'État providence pose problème, même si vous y croyez. Très bien. Mais je vois difficilement comment les solutions que vous proposez vont permettre d'enrayer les inégalités qui existent; elles ne font que renforcer la notion selon laquelle si nous protégeons la classe moyenne, tout ira pour le mieux. Mais je ne suis pas du tout d'accord, car je ne vois rien qui étaye cette thèse. Je n'ai encore rien vu qui me permette de croire que tout ira mieux si nous optons pour cette solution-là. Donc, vous n'avez pas vraiment répondu à la question, du moins en ce qui me concerne.
M. John Richards: Je m'en remets à vous, monsieur le président.
Le président: Je vous invite à répondre.
M. John Richards: Si j'ai répondu au départ de cette façon, c'est parce que vous avez dit que j'attaquais les pauvres. Si vous me parlez sur ce ton émotif, il est évident que je vais être sur la défensive.
Mme Nancy Riche:
[Note de la rédaction: Inaudible]
M. John Richards: Maintenant je pourrais peut-être essayer de répondre à votre question.
Nancy, je vais quand même essayer.
Dans mes remarques liminaires, j'ai parlé d'une politique en particulier, parce qu'elle concerne directement le gouvernement fédéral et c'est une possibilité intéressante que vous, les élus fédéraux, devriez examiner sérieusement. Je fais évidemment allusion au régime fiscal et à son incidence sur les familles.
Permettez-moi de vous donner un autre exemple qui concerne davantage les administrations provinciales. Le Québec et maintenant la Saskatchewan vont consacrer des fonds considérables à l'établissement d'un supplément de revenu important à l'intention des familles à faible revenu. Le programme lancé dans la province de la Saskatchewan ce printemps—et il s'agit d'un programme permanent, plutôt que d'une initiative à court terme—prévoit un versement allant de 20 p. 100 à 40 p. 100 à tous les éventuels bénéficiaires, soit un maximum de 12 000 $ de supplément par année, en fonction du nombre d'enfants.
L'idée, c'est de «rentabiliser le travail» en quelque sorte pour aider tout particulièrement les enfants de familles à faible revenu, qui ont besoin de parents qui travaillent et qui puissent leur servir de modèle. Augmenter le salaire minimum n'est pas une bonne solution en général, car l'accès au marché du travail devient encore plus difficile pour les personnes qui ont des compétences limitées.
Par contre, nous ne pouvons certainement pas accepter que la répartition des revenus reste inchangée, justement à cause de ce phénomène de la polarisation. Je ne prétends pas que je vous propose-là une solution magique. Par contre, il y a toutes sortes de nouvelles idées qu'il convient d'examiner sérieusement, idées auxquelles les groupes d'action sociale s'opposent à court terme.
Le président: Claudette, voulez-vous poser une question?
Mme Claudette Bradshaw: Oui, une question très rapide.
Le président: Est-ce sur le même sujet ou... parce que M. Asselin voudrait également poser une question rapide.
Mme Claudette Bradshaw: Très bien. Il n'y a pas de problème; moi, je vais l'avoir après.
Une voix: Vous allez l'interroger, pas «l'avoir».
Mme Claudette Bradshaw: Non, je vais l'avoir.
Le président: Je voudrais invoquer mes privilèges de président pendant quelques instants pour faire une brève intervention avant de céder la parole à M. Asselin, et ensuite, John, vous aurez l'occasion de répondre.
Quelqu'un a dit il y a très longtemps—ce n'était pas Eugene Kostyra, à mon avis, mais c'était certainement un de ces collègues qui a déclaré une fois que...
M. John Richards: Je n'ai pas bien compris... vous parlez de quel gouvernement?
Le président: J'essaie de me rappeler dans quel contexte j'ai entendu cette déclaration. En tout cas, cette personne disait que faire évoluer la politique sociale, c'est un peu comme si l'on essayait de changer le pneu d'une voiture en mouvement. Pour moi, c'était ça la question de Libby.
• 1645
Vous nous avez présenté un cadre conceptuel qui englobe un
certain nombre d'éléments intéressants, à mon avis, mais ce que
disait Libby, à mon avis, c'est que nous parlons ici du problème de
la récupération fiscale qui vise les familles de la classe moyenne,
alors qu'il y a des milliers de personnes qui ont besoin d'aide
immédiatement. Et votre cadre conceptuel n'aborde pas du tout la
situation de ces gens-là.
Libby, ai-je bien résumé votre question?
M. John Richards: Me permettez-vous de répondre?
Quiconque prétendrait, que ce soit Libby, vous ou moi, comprendre à fond les problèmes de l'humanité ou savoir ce que devraient ou ne devraient pas faire les gouvernements serait pour le moins présomptueux.
Je vous parais peut-être immodeste, dans cette auguste salle, sous ces chandeliers. Nous parlons ici de la pauvreté chez les familles monoparentales et d'autres phénomènes, et tout ce que je peux vous offrir, c'est le fruit de mon travail universitaire et les analyses que j'ai préparées pour un institut d'étude des politiques. Et si je change de caquette, je peux vous parler des problèmes que j'ai connus dans ma clinique communautaire à Vancouver-Est et des efforts que nous avons dû faire pour pouvoir continuer à la financer. Je ne prétends pas du tout que le travail social qu'a fait Libby, ou vos propres efforts, sont moins importants ou plus importants que ce que je fais. Je vous dis simplement qu'il faut examiner tous ces différents éléments.
Le président: Très bien. Nous allons en rester là pour le moment. J'ai l'impression que nous reviendrons sans doute sur certains éléments.
Monsieur Asselin, vous avez la parole.
[Français]
M. Gérard Asselin (Charlevoix, BQ): En tant que député du Bloc québécois, je vous souhaite la bienvenue au Comité du développement des ressources humaines.
Je dirai d'entrée de jeu que le temps va sûrement bien faire les choses. En 1980, lors d'un référendum, de 30 à 32 p. 100 des Québécois avaient voté en faveur de la souveraineté. En 1995, on a été à quelques centaines de votes de la souveraineté du Québec. Pourquoi?
Nous, on n'a pas grand-chose à faire. Le gouvernement fédéral s'en charge. Il n'agit pas en vue d'essayer de sauver le Canada, mais au détriment des Québécoises et des Québécois. Vous avez parlé du gouvernement fédéral qui essayait de réduire le déficit à zéro, mais il l'a fait au détriment de l'ensemble des provinces du Canada, et principalement du Québec. Cette année, il a réduit de 11 milliards de dollars ses paiements de transfert aux provinces, au Québec. Pendant que le Québec vit des difficultés financières et essaie lui aussi d'atteindre ce déficit zéro, le gouvernement fédéral sabre dans les transferts aux provinces en matière de santé, d'éducation et d'aide sociale.
Lorsque le gouvernement fédéral décide de ne pas indemniser et aider les personnes devenues victimes de l'hépatite C de 1986 à 1991, ce sont les provinces qui doivent payer les frais d'hospitalisation et d'assurance-médicaments. Encore là, les provinces vont payer.
Lorsque le gouvernement fédéral décide de sabrer dans les transferts aux provinces en matière d'éducation et se propose d'émettre un chèque portant un drapeau rouge, ce qui s'appelle la bourse du millénaire, j'appelle cela de l'ingérence dans le système d'éducation et de formation professionnelle des provinces, et particulièrement du Québec.
Lorsque le gouvernement fédéral sabre de façon draconienne dans l'assurance-emploi, c'est encore le principe des vases communicants qui prévaut. Si un travailleur sur deux n'a plus accès à l'assurance-emploi, monsieur et madame, on créera beaucoup de pauvreté. On forcera ces travailleurs à se retrouver à l'aide sociale et à vivre des difficultés financières et familiales très grandes.
Le Québec paie 28 milliards de dollars d'impôts directs et 4 milliards de dollars en TPS, tandis que le gouvernement fédéral donne de moins en moins leur dû aux provinces, tant au Québec qu'aux autres.
Quand il a été question de rapatrier la main-d'oeuvre et la formation professionnelle, plusieurs résolutions unanimes ont été adoptées, que ce soit par le Parti québécois, l'ADQ, le Parti libéral ou l'Assemblée nationale. De plus en plus, l'Assemblée nationale adopte des résolutions unanimes par lesquelles le Québec réclame ses droits en matière de gestion.
Une municipalité taxe ses électeurs en percevant des taxes foncières et des taxes d'affaires et elle donne des services directs à ses citoyens. Une province devrait être en mesure de faire la même chose, soit taxer ses citoyens et donner des services directs.
• 1650
Le gouvernement fédéral est un gouvernement de plus en
plus centralisateur, et c'est là l'erreur. Il ne devrait
gérer que les services communs, dont la
Défense nationale, Postes Canada et tout autre service
dont l'ensemble des provinces voudra bien lui confier
la gestion.
Je ne sais pas si vous êtes d'accord avec moi, mais quand on parle de santé, d'éducation, d'aide sociale, de formation et de main-d'oeuvre, je pense qu'il serait tout à fait normal, afin d'empêcher les chevauchements et les dédoublements, que ces domaines soient strictement de juridiction provinciale. Vous verrez qu'on adoptera de plus en plus de résolutions unanimes à l'Assemblée nationale, même avec Jean Charest, lui qui a connu l'appareil fédéral et qui connaîtra aussi l'appareil provincial. Je suis convaincu que Jean Charest saura défendre à l'Assemblée nationale du Québec les électeurs qui lui auront fait confiance.
Voici ma question. Êtes-vous d'accord avec moi que le Québec a tout à fait raison de réclamer son dû sur les 28 milliards de dollars d'impôt et les 4 milliards de dollars de TPS qu'il a versés et que le gouvernement fédéral a eu tort de sabrer dans les transferts aux provinces? De nombreuses provinces, dont la nôtre, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, éprouvent des difficultés financières, tandis que le gouvernement fédéral est très à l'aise pour combler son déficit. Il n'a qu'à continuer d'empocher.
M. John Richards: Je vous remercie de votre intervention. Je ne vais pas pouvoir vous donner entièrement satisfaction. Je suis au fond un fédéraliste, mais il y a quand même des éléments de votre intervention sur lesquels je suis entièrement d'accord. Précisons.
Je suis d'accord qu'il existe trop de chevauchements dans les programmes sociaux et que cela mine la crédibilité des programmes et rend irresponsables de temps à autre—et je pourrais en citer des exemples—les politiciens aux deux paliers de gouvernement qui parlent des avantages de ce qu'ils font, sans parler des coûts inévitables. Alors, sur ce point, je vous donne raison. Le programme des bourses d'études du millénaire a été mal conçu et il en est un exemple.
À mon avis, la formation de la main-d'oeuvre, d'une façon beaucoup plus claire et nette qu'actuellement, devrait résider au niveau des provinces. Mais je ne voudrais quand même pas continuer dans ce train. Je pense qu'il y a un certain manque de logique dans votre critique quant à ce qu'a fait le gouvernement fédéral en 1995, lorsqu'il a éliminé certains programmes de transfert et réduit les paiements. Cela a certainement été un coup dur pour toutes les provinces. Ce fut une coupure unilatérale, sans négociation. Mais pensons-y. Dans l'ensemble, le fédéral dépense à peu près un quart pour les transferts aux provinces, un autre tiers ou quart pour ses propres programmes sociaux et l'autre partie pour les programmes qui restent. Le gouvernement fédéral devait couper; c'était pénible, mais il l'a fait. Selon vos propos, on serait porté à croire que le fédéral aurait peut-être dû effectuer des compressions budgétaires du même ordre dans des programmes comme les pensions de vieillesse. En gros, les réductions des transferts aux provinces ont été de l'ordre de 20 à 25 p. 100, selon sa façon de calculer, de 1994 jusqu'à aujourd'hui. Ce n'est pas gai pour une gouvernement provincial.
À part les transferts et les programmes sociaux, les coupures dans le reste des autres programmes sont d'à peu près 20 p. 100. Les programmes qui restent, et qui n'ont pas subi de compressions budgétaires aussi importantes, sont ceux à l'intention des autochtones, les pensions de vieillesse et l'assurance-emploi, bien que ce dernier ait subi des réductions. Mais le montant de ces trois éléments—et je sais qu'il y en a beaucoup d'autres—a été plus ou moins constant.
On fait preuve d'un certain manque de logique quand on critique le fédéral parce qu'il a coupé les ingérences dans les domaines provinciaux en coupant les transferts conditionnels qui limitaient la liberté d'action des provinces. En tant que bloquistes, qui défendez les juridictions provinciales, vous devriez en quelque sorte remercier Ottawa de s'être retiré des distorsions créées par les programmes antérieurs.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Richards.
Je lance maintenant une invitation aux personnes assises de l'autre côté de la table. Monsieur Kostyra, aimeriez-vous vous joindre à la discussion?
Je devrais également mentionner, pour la gouverne des membres, notamment les membres qui se trouvent de ce côté-ci, que Eugene, en plus de représenter le SCFP, était de mon temps ministre des Finances du Manitoba, où il était très respecté.
Vous étiez conservateur à l'époque, n'est-ce pas? Nous sommes ravis de pouvoir vous accueillir parmi nous, et je suis sûr que votre contribution au débat sera des plus intéressantes.
M. Eugene Kostyra: Je voudrais poser quelques questions à votre conférencier. Peut-être devrais-je attendre qu'il revienne.
Le président: Je ne veux pas que vous vous laissiez obnubiler par une seule idée.
Mme Nancy Riche: Mais Reg, vous n'avez invité qu'un seul conférencier.
Le président: Mais j'ai une table complète de conférenciers.
Mme Nancy Riche: Oui, mais ce n'est qu'une optique. Une personne, qui présente une seule optique, a eu droit à 20 minutes.
Le président: Et vous en voulez combien, Nancy?
Mme Nancy Riche: Non, non; vous avez dit que vous ne vouliez pas qu'on se laisse obnubiler par... alors que c'est vous-mêmes qui avez organisé tout ça.
Le président: Très bien. C'est juste.
Mme Nancy Riche: Absolument.
M. Jean Dubé: Entendons maintenant le point de vue des autres...
Le président: Bien sûr.
Mes excuses, Nancy, mais au départ, c'était ça notre critère de sélection.
Eugene, je vous cède la parole pour poser une question, faire une remarque ou précision, réorienter la discussion, ou ce que vous voulez.
M. Eugene Kostyra: Je voudrais commencer par poser quelques questions. J'ai vu l'ordre du jour, et je présume donc que tous les invités vont participer à un débat général sur la question. Mais dans un premier temps, je voudrais poser des questions sur deux points précis.
Le premier concerne la proposition que vous avez faite concernant la nécessité d'assurer la responsabilisation des divers paliers de gouvernement. Vous avez dit que, pour y arriver, il faut que chaque palier de gouvernement assume la responsabilité d'éléments bien précis de la politique sociale.
Je crois aussi avoir lu un article où vous disiez que si un palier de gouvernement assume une responsabilité précise, il devrait avoir à réunir la totalité des fonds nécessaires pour supporter les dépenses de cet élément de la politique sociale. Dans ce cas-là, comment régler le problème des énormes différences entre les paliers de gouvernement en ce qui concerne leur capacité de réunir des fonds, et entre les diverses régions, en ce qui concerne les besoins auxquels ils doivent répondre?
M. John Richards: Monsieur le président, voulez-vous que j'y réponde?
M. Eugene Kostyra: J'ai deux questions. Je m'en tiens là pour l'instant... et après je poserai l'autre question.
Une voix: Monsieur le président, je ne voudrais pas que les personnes qui sont venues partager leur expertise avec nous se mettent maintenant à interroger M. Richards, qui a déjà utilisé une bonne partie de leur temps de parole—plus que prévu. J'aimerais donc les entendre, qu'ils décident de répondre à ces observations ou qu'ils présentent leur propre analyse de la problématique du travail.
M. Eugene Kostyra: Oui, donnons aux autres l'occasion de parler. Il serait bon que ceux qui sont de l'avis contraire nous disent ce qu'ils en pensent.
Une voix: Nous voulons entendre tout le monde.
Le président: Eugene, pourriez-vous nous parler un peu de tout ce qui sous-tend ce débat? Élargissons un peu le cadre de la discussion. Ensuite, si quelqu'un de ce côté-ci de la table veut prendre la parole, je vais continuer en alternant à chaque fois, de sorte que chacun ait l'occasion d'intervenir; nous verrons ensuite où cela nous amène.
M. Eugene Kostyra: Dans un premier temps, je voudrais réagir à trois éléments de la discussion qui m'ont semblé particulièrement préoccupants.
D'abord, pour en revenir à ma question d'il y a quelques instants, si je la pose, c'est parce que je crains que si nous acceptions cette idée qu'un palier de gouvernement puisse assumer la responsabilité d'un domaine précis, comment allons-nous régler le problème des inégalités qui existent au Canada pour des raisons géographiques et à cause de toute une série d'autres facteurs? Pour moi, une telle orientation serait tout à fait catastrophique. À mon avis, elle ne ferait qu'aggraver les inégalités qui existent déjà au Canada. D'ailleurs, ce sont les plus pauvres qui en seraient les plus durement touchés. Donc, j'ai très peur que si nous optons pour une telle orientation, nous allons accroître les injustices dont souffrent les gens, de sorte que leur situation va s'aggraver au lieu de s'améliorer.
• 1700
Deuxièmement, je voudrais réagir à la notion selon laquelle
les familles biparentales—c'est-à-dire les enfants et les
parents—s'en tirent mieux que les familles monoparentales. C'est
certainement vrai, mais prétendre que la solution consiste à aider
seulement les familles biparentales, c'est faire fausse route. Ce
serait négliger les besoins des familles monoparentales et les
moyens qui vont nous permettre de les aider à avoir une vie plus
productive et à mieux s'occuper de leurs enfants. Pourquoi n'ont-
ils pas fait d'études? Comment se fait-il qu'ils n'aient pas
l'occasion de faire des études ou de suivre des cours de formation
ou de recyclage? S'il s'agit de personnes qui sont sorties du
marché du travail ou qui n'ont pas réussi à l'intégrer, à quels
obstacles se heurtent-ils?
Pour moi c'est un peu trop simpliste de dire que si nous offrons des incitations qui permettent d'augmenter le revenu des familles biparentales, nous allons du même coup régler les problèmes des familles monoparentales. L'analyse est peut-être juste, mais les solutions ne vont guère aider à corriger le vrai problème, et je dirais même qu'à certains égards, elles partent du principe qu'il faut pénaliser ces personnes en raison de leur situation.
Pour moi, c'est une approche malavisée face au vrai problème que vivent certains membres de la société. Pour moi, c'est vraiment faire fausse route, et ce n'est pas le genre d'approche qui va nous aider à trouver des solutions viables aux difficultés qui préoccupent ce comité et bon nombre de Canadiens.
Le président: Pourriez-vous préciser un peu plus votre réflexion sur la question du transfert aux provinces des responsabilités du gouvernement fédéral?
M. Eugene Kostyra: Eh bien, je crains vraiment que les régions les plus pauvres du pays aient encore plus de mal à maintenir des programmes qui soient relativement comparables à ceux qui existent dans d'autres régions. D'ailleurs, ce phénomène commence déjà à se manifester, car il est évident que toutes les provinces n'ont pas la même capacité de réunir des fonds. À mon avis, certaines responsabilités doivent être partagées, et il y a lieu de s'assurer que les programmes de péréquation peuvent non seulement continuer d'exister mais être même élargis éventuellement.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas chercher à savoir quel palier de gouvernement est le mieux placé pour exécuter les programmes. Mais la solution ne consiste certainement pas à décider que telle question relèvera désormais de tel palier de gouvernement, qui fera ce que bon lui semble. Pour moi, c'est une solution trop simpliste à préconiser face à des problèmes aussi complexes que ceux auxquels nous sommes confrontés.
[Français]
Le président: Monsieur Verge.
M. Pierre Verge: Le professeur Richards nous a parlé avec beaucoup de compétence et d'expérience des ajustements qui pourraient s'imposer à notre conception canadienne de l'État-providence. Dans son exposé, il parle essentiellement de vues relatives aux politiques publiques dans le domaine social en général.
J'essaie simplement de faire un lien entre, d'une part, ces préoccupations qu'il a exposées et, d'autre part, plusieurs éléments contenus dans la documentation qui nous a été transmise en vue de la séance de cet après-midi. Cette documentation insiste beaucoup sur les changements dans les milieux de travail. On sait que traditionnellement, les politiques sociales, notamment, misaient sur la situation classique du travailleur ou de la travailleuse qui avait un emploi stable.
• 1705
Or, ici, on a une abondante documentation.
Je fais allusion en particulier au rapport du Comité consultatif
sur le milieu de travail en évolution, comité que mon
voisin de ce soir présidait. Donc, on voit dans
cette documentation que l'emploi stable continue
d'exister, mais a perdu beaucoup d'importance.
Toutes sortes de nouvelles formes de travail ont cours maintenant. On a un travail pseudo-indépendant dans certains cas, celui de l'entrepreneur qui n'est pas véritablement un entrepreneur, mais qui travaille sous le couvert de ce statut d'entrepreneur dit indépendant. Il y a tous les cas de personnes qui n'ont qu'un travail très court en vertu de contrats de travail à durée déterminée, qui se retrouvent le lendemain en chômage.
D'autre part, cette documentation insiste beaucoup sur la nécessité de s'engager à l'avenir dans des périodes de formation professionnelle en cours de travail, lesquelles périodes pourraient suivre une période de chômage, etc.
Donc, pour une bonne part, l'emploi n'est plus l'emploi stable que nous connaissions. Pour faire un lien avec les propos du professeur Richards, je poserai la question suivante. Comment nos politiques sociales et nos lois peuvent-elles s'ajuster à ce nouveau contexte, qui n'est plus majoritairement un contexte d'emploi stable?
[Traduction]
Le président: Arlene Wortsman, voulez-vous intervenir?
Mme Arlene Wortsman: J'avais plutôt une question...
Le président: Je pense que je vais interrompre un peu cette discussion pour permettre aux autres de s'exprimer avant que nous—
Mme Arlene Wortsman: Très bien, Reg.
Je présume que si vous m'avez demandé de participer à cette table ronde, c'est à cause de l'organisme que je représente, organisme auquel siègent les représentants de l'entreprise privée et des syndicats. Nancy en est la coprésidente, et nous avons consacré beaucoup de temps à l'étude des problèmes qui découlent de l'évolution du travail, c'est-à-dire la situation dans différents milieux, des cas d'espèce, et des pratiques exemplaires novatrices, pour voir de quelle façon les entreprises, les syndicats, les employés et les employeurs s'adaptent à la nouvelle réalité.
Notre travail nous a permis de constater qu'il y a certain problème important dont vous devriez tenir compte. Il est vrai que de plus en plus, c'est la minorité des travailleurs, plutôt que la majorité, qui ont un emploi standard ou traditionnel. Il existe maintenant des emplois de type non standard, que ce soit les contrats à temps partiels, ou le travail temporaire ou aléatoire. C'est justement ce type de travail qui correspond de plus en plus à la norme.
Nos lois du travail—celles de toutes les administrations—ne reflètent pas cette réalité. Elles ont été rédigées à une époque où l'on tenait pour acquis que les gens travaillaient de 9 heures à 17 heures et avaient un emploi traditionnel. Il nous faut donc un cadre législatif qui corresponde à la nouvelle réalité.
Il y a aussi toute la question des prestations sociales. Par le passé, les gens s'attendaient à ce que l'État leur verse des prestations, mais c'est de moins en moins le cas. Quant aux avantages sociaux offerts par les employeurs, le fait est que l'évolution du travail standard a entraîné une réduction du nombre de travailleurs qui ont des avantages sociaux par le biais de leur emploi. Alors que faire au sujet des soins de santé, des soins dentaires, des pensions et des personnes qui sont à leur propre compte? Que faut-il prévoir comme avantages ou prestations pour les différents types de travail qui existent à l'heure actuelle?
La dernière question que je vous demande d'examiner est celle de la formation. Nous avons mené une étude des technologues et techniciens en 1993, et dans le cadre de cette étude, nous avons découvert que ce genre de travailleurs doivent se recycler tous les trois à sept ans pour pouvoir connaître et appliquer les plus récentes technologies; ça, c'était en 1993. Vu les progrès techniques réalisés dernièrement et la rapidité avec laquelle les technologies évoluent, ce recyclage sera certainement nécessaire de plus en plus fréquemment.
La plupart des gens sont formés en cours d'emploi. Si vous êtes travailleur indépendant, employé temporaire ou contractuel, comment faites-vous pour obtenir de la formation? Est-ce quelque chose qui relève entièrement de votre responsabilité? Comment faites-vous pour actualiser vos connaissances?
De plus, les travailleurs doivent être de plus en plus qualifiés pour obtenir un emploi; les compétences exigées ne cessent de croître. Et comme nous avons un taux d'analphabétisme assez élevé au Canada, les personnes qui n'ont pas ces compétences- là ne peuvent même pas accéder à la formation.
Voilà donc le genre de problèmes dont je voudrais discuter, plutôt que de répondre aux observations de M. Richards.
Le président: Monsieur Burkett.
M. Brian Burkett: Je voudrais faire quelques observations en rapport avec ce que disait Arlene. Elle soulève justement des problèmes qui me préoccupent ces dernières années.
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt l'étude menée par l'OCDE en 1994-1995 sur l'emploi, où il était question des contraintes qu'imposent au marché du travail les diverses lois adoptées par les gouvernements. Mon analyse des modèles à la fois européen et américain m'a permis de constater que ces contraintes et cette rigidité sont à l'origine d'un taux de chômage structurel élevé dans les pays d'Europe, par opposition aux États-Unis. Au Canada, donc cela nous amène à examiner de plus près notre législation ouvrière—non pas les lois qui traitent des relations de travail, mais celles qui concernent plutôt les normes d'emploi, par exemple. Voilà le genre de choses qui doit nous intéresser.
Je voulais également vous dire que, pour moi, la formation est une question tout à fait critique. Je me suis toujours placé, dans mon analyse de la question, du point de vue de l'éventail des modèles dont les deux extrêmes sont celui du Japon, où l'on garde son emploi toute la vie, et celui du sud profond des États-Unis, où ton emploi peut disparaître le lendemain.
Mais ce qui a complètement disparu, à cause de l'influence de gens comme Robert Reich et de l'administration Clinton, c'est la notion selon laquelle les employeurs doivent assurer à leurs employés non seulement de la formation mais une formation polyvalente pour qu'ils se sentent en sécurité dans leur emploi. Ils ne vont peut-être pas toujours travailler pour cette entreprise-là, mais ils auront des compétences monnayables dans la nouvelle économie. Voilà donc une question qui me semble essentielle et à laquelle j'invite les autres à réagir.
Le président: Serge, voulez-vous intervenir?
[Français]
M. Serge Brault: Je vous remercie de m'avoir invité à être des vôtres aujourd'hui. Si je peux faire un lien entre les questions qui me préoccupent, sur lesquelles je prétends avoir un minimum d'expertise, et les propos du professeur Richards, je dirai qu'il est nécessaire de procéder périodiquement à l'évaluation des programmes sociaux au sens large: l'encadrement du travail et de l'emploi.
Les travaux que nous avons faits dans notre groupe l'an dernier nous ont permis, entre autres, de constater qu'on est en présence de changements fondamentaux dans la façon que nous allons gagner notre vie. Donc, la façon de travailler change parce que l'économie fait face à des changements structurels durables.
Par exemple, lorsqu'on s'intéresse aux questions du travail—et je fais suite, entre autres, à ce que disait Me Burkett—, on s'aperçoit qu'un grand spectre de lois qui sont de votre responsabilité ont une incidence directe sur le revenu, l'emploi, la mobilité et la formation, et que ces lois-là ont été faites très souvent en fonction d'un modèle économique qui est en voie de disparition. Il ne va pas mourir demain matin, mais il est en voie d'extinction dans la mesure où nous pensons à l'économie du savoir, à une économie qui est davantage axée sur les services que sur la grande entreprise.
On constate, par exemple, que la législation du travail en matière de rapports collectifs de travail, en matière de droit de représentation pour les travailleurs ou en matière de financement de certains programmes sociaux est fondée sur la prémisse que les gens vont toujours travailler au même endroit, pour un seul employeur et pendant un nombre d'heures suffisant pour financer un certain nombre de programmes.
Or, nous observons—et j'ai remarqué que l'on avait reproduit ici, dans la documentation pour les travaux du comité, un des chapitres de notre étude sur l'évolution de l'économie—que les gens qui travaillent beaucoup travaillent de plus en plus et que les gens qui travaillent moins travaillent de moins en moins. Il se produit une espèce de clivage. Il apparaît également de nouvelles formes de travail pour lesquelles l'assiette de notre législation n'a pas été conçue.
Les questions qui nous interpellent comme société, que l'on agisse à n'importe quel titre et à n'importe quel niveau, sont entre autres la nécessité de bien voir la profondeur de ce changement, qui est un changement colossal, durable, historique et non pas conjoncturel. Ce n'est pas un événement en passant, une mode ou un cycle, mais bien quelque chose de durable. Donc, nous sommes confrontés à cela et cela nous interpelle dans un comité comme le vôtre, tant en matière de législation sur les pensions qu'en matière de législation sur la formation de la main-d'oeuvre, les normes du travail, comme le disait Me Burkett, et l'organisation des rapports collectifs de travail.
• 1715
Si on marginalise de plus en plus les
travailleurs par rapport à notre système, à
un moment donné, notre système va devenir caduc dans
la mesure où la clientèle qu'il va desservir et,
inversement, la clientèle qui va le financer ne seront
plus à l'intérieur du modèle, mais à côté.
Ce sont là des questions qui nous
interpellent tous et dont il serait peut-être
intéressant de discuter.
Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Brault.
Madame Côté-O'Hara.
[Français]
Mme Jocelyne Côté-O'Hara: Il est difficile d'ajouter quelque chose. Je devrais peut-être commencer par dire merci à monsieur, parce qu'il a très bien détaillé ou évoqué le véritable défi.
[Traduction]
Nous faisons face à présent à des défis de taille, et pour vous dire vrai, je ne sais pas au juste pour quelle raison vous m'avez invitée. Quelqu'un d'autre disait qu'il n'était pas sûr de savoir pour quelle raison il avait été invité. J'avoue que je me sens un peu entre l'arbre et l'écorce, mais je suis tout de même contente de pouvoir participer à cet effort de réflexion.
Je travaille depuis une quinzaine d'années dans le secteur de la haute technologie, et plus précisément des télécommunications et d'autres domaines connexes, et avant cela, j'ai passé une quinzaine d'années dans le secteur public. J'ai toujours été intéressée par la question de l'évolution du travail. Je pense que le plus important défi que vous—c'est-à-dire le gouvernement et le comité—aurez à relever dans le cadre de cette étude sera d'analyser à fond l'ampleur de la transformation du travail à laquelle nous assistons actuellement.
Comme j'ai des liens avec de nombreuses grandes sociétés, même à titre d'administratrice, je sais que les sociétés ne vont pas aller en s'agrandissant. Elles vont au contraire se rétrécir, et en même temps, elles ont une attitude très différente à l'égard de la nature du travail. Par conséquent, le travail évolue à présent dans un contexte très différent, qui est à la fois dynamique et embryonnaire.
Le pire—et je le constate tous les jours—c'est que nous ne disposons toujours pas du système d'éducation ou de formation qui va nous permettre de relever ce défi. Il faudra surveiller de près la situation pour voir où se situeront les acteurs les plus concurrentiels.
Pour vous raconter une petite anecdote, les Américains sont en train de mettre sur pied des universités et des écoles de formation à but lucratif. Ils ont déjà entamé des discussions sur la possibilité de se faire accorder des chartes—en vertu desquelles ils pourront conférer des diplômes—afin d'assurer le genre d'éducation que nous devrions nous-mêmes envisager de fournir ici au Canada, car pour le moment, ce sont eux qui ont l'avantage concurrentiel.
Si je ne m'abuse, c'est l'Université de l'Arizona qui envisage d'adopter un tel système. Je vois que certains d'entre vous hochent la tête; peut-être êtes-vous déjà au courant de cette nouvelle tendance. Je trouve ça tout à fait étonnant. Je dis «étonnant» parce qu'ils ont déjà cinq campus aux États-Unis et maintenant ils envisagent de venir s'établir au Canada. Ils offrent justement le genre de formation dont parlait Arlene, et cette formation va être offerte dans les villes, là où travaillent les gens, ou encore en banlieue, où se trouvent des groupements de petites entreprises ou des opérations gérées à partir du domicile.
Donc, ce que vous devez faire, c'est mettre à contribution un maximum de personnes qui vont analyser à fond les forces créatrices et novatrices qui se manifestent de plus en plus, qui vont s'intéresser au problème de l'éducation et de la formation et examiner à fond le cycle du travail—c'est-à-dire le cycle de vie des personnes qui travaillent—car ce cycle n'est plus du tout ce qu'il était pour la plupart d'entre nous qui sommes de la même génération ou presque.
Le défi a été... J'aime beaucoup ce qu'a dit quelqu'un tout à l'heure, car la question que nous devons nous poser est celle-ci: qu'est-ce que le travailleur de nos jours attend de son gouvernement? Ses attentes ne sont plus ce qu'elles étaient il y a une dizaine d'années. Et les lois vont devoir tout prévoir, c'est- à-dire où s'exerce le travail, dans quel milieu les gens vont travailler dans une dizaine d'années et la nature du travail qu'ils vont accomplir. La situation va changer de façon encore plus radicale qu'elle ne l'a fait jusqu'à présent.
Le président: Nancy, je vais vous donner la parole, mais je voudrais d'abord dire deux choses.
L'une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés dans ce comité, et que nous cherchons constamment à régler, est en quelque sorte reflétée dans les observations des invités jusqu'à présent. Il y a, par exemple, la position du Bloc, qui s'appuie sur une position politique relativement à la place du Québec au Canada, ce qui ajoute nécessairement une certaine dimension à nos discussions, bien que les bloquistes qui siègent au comité s'intéressent beaucoup à des questions comme l'assurance-emploi, les mesures qui permettent de soutenir les travailleurs et les autres questions qui sont à l'origine de notre présence ici, tout en se plaçant d'un point de vue un peu différent.
Mais le problème que nous avons pu faire ressortir grâce à cette réflexion collective, et la nécessité de modifier la législation et la politique ouvrière—et le genre d'éléments dont vous parliez tout à l'heure, Arlene et Serge—voilà justement ce qui nous a poussés à approfondir davantage la question. Nous avons cet instrument qu'est le programme d'assurance-chômage—ou plutôt le programme d'assurance-emploi, bien que certains d'entre nous aient encore du mal à l'appeler ainsi. Cet instrument n'assure plus le genre de soutien qu'il offrait précédemment, et qu'on soit ou non d'accord sur les changements qui ont été apportés au programme, d'après ce qu'on a pu observer, le soutien qu'il offre à présent n'est plus ce qu'il était. Voilà qui nous amène à essayer de répondre à la question d'Arlene concernant l'éventuelle évolution de ce programme et la possibilité de modifier le programme pour qu'il assure le genre de soutien qui nous semble souhaitable. Est- ce quelque chose que nous devrions envisager de faire pour soutenir les travailleurs?
Ensuite il y a la position de M. Richards, qui dit que le gouvernement, tout en conservant certaines responsabilités, ne devrait plus du tout intervenir sur le marché du travail, mais plutôt laisser le soin de le faire aux provinces et jouer plutôt le rôle de répartiteur des fonds. Eugene nous rappelle cependant l'autre facteur qui complique les choses: c'est très bien tout cela, mais est-ce que cela signifie que l'Alberta se débrouillera sans difficulté aucune par ce qu'elle dispose des crédits nécessaires pour faire toutes ces choses-là?
Et Arlene disait: comment je fais pour obtenir de la formation si je n'ai pas d'argent pour me payer cette formation ou pour fréquenter une université privée? Faut-il simplement abandonner les provinces qui sont plus petites et moins nanties ou celles dont les populations ont moins de ressources, ce qui me ramène à ce que disait Libby au sujet de notre rôle et nos responsabilités vis-à- vis des personnes qui ont besoin de pain aujourd'hui?
M. John Richards:
[Note de la rédaction: Inaudible]
M. Reg Alcock: John, je voudrais donner la parole à Nancy, car en général, elle n'a pas d'opinion bien tranchée et elle pourrait sans doute faire une contribution intéressante à notre discussion. Disons simplement, pour résumer, que nous sommes constamment appelés à concilier ces deux éléments contradictoires; et la cause de tout cela n'est pas simplement la pression qu'exerce le Bloc québécois en disant constamment qu'il veut s'en aller.
Nancy, puis-je vous demander...?
Mme Nancy Riche: Est-ce le moment de faire la pause? Merci, Reg.
Je veux intervenir, et je suis bien contente qu'on réoriente la discussion, mais je suis tout de même disposée à passer sous silence certaines des affirmations de M. Richards. J'estime que l'exposé qu'il nous a fait aujourd'hui était des plus simplistes. Comme je le disais tout à l'heure en essayant de me faire entendre par les autres participants, je suis très déçue que le comité ait décidé d'inviter M. John Richards. Nous savons tous quelles sont ses prémisses et ses solutions, si nous en jugeons d'après ses écrits. Il prétend nous offrir des solutions mais il n'est pas objectif. Il essayait peut-être de faire un portrait équilibré de la situation, mais il n'a malheureusement pas réussi.
Je voudrais donc réagir à certaines de ses affirmations, car il est essentiel que tout le monde comprenne bien la situation. On ne peut pas rester passif quand quelqu'un affirme que nous avons féminisé la pauvreté, comme si nous, le gouvernement, et l'État providence sommes les seuls responsables de la féminisation de la pauvreté, alors qu'il convient aussi de parler du nombre de femmes qui ont dû quitter des partenaires qui les battaient, qui vivent dans des refuges et qui ont dû s'occuper de leurs enfants en l'absence de leur conjoint.
Nous ne pouvons pas non plus rester passifs quand nous entendons M. Richards parler de familles qui sont composées uniquement d'un homme et d'une femme, sans chercher à comprendre la réalité des familles homosexuelles. Nous avons fait énormément de progrès au Canada dans le domaine de l'égalité, et nous savons à présent qu'une famille n'est pas forcément composée d'un homme, d'une femme et d'enfants. Une famille peut également être une mère seule ou un père seul, ou encore un couple homosexuel, que les partenaires soient de sexe masculin ou féminin.
Il n'a pas dit non plus dans son exposé que d'autres facteurs influencent le bien-être des enfants et la façon dont ils évoluent—des facteurs comme le quartier où ils vivent et le niveau de revenu de la famille. Non, il se contente de nous parler de familles biparentales composées d'un homme et d'une femme, et il n'est pas juste de le laisser affirmer que cette réalité-là est la seule qui doit nous préoccuper.
Il ne mentionne pas non plus l'écart de salaire entre les hommes et les femmes, en rapport avec le principe de la parité salariale pour fonctions équivalentes, principe qui est maintenant consacré dans nos lois et bien reconnu, ni du nombre d'hommes qui ont quitté leur femme sans jamais payer leur juste part des dépenses des enfants.
• 1725
Donc, ne faisons pas comme si tout était tellement évident,
tellement simple... Voilà justement un bon terme pour décrire
M. Richards.
Parlons de la pêche. Puisque je viens de Terre-Neuve, vous comprendrez que je ne peux pas m'empêcher de réagir à l'affirmation selon laquelle les prestations versées par le gouvernement sont à l'origine de la crise du secteur de la pêche. Il sait très bien que c'est parfaitement faux.
On ne peut par parler de la crise du secteur de la pêche à Terre-Neuve sans parler aussi de la mauvaise gestion, des impératifs politiques, de la rigueur ou du manque de rigueur des scientifiques, ou de l'incapacité des responsables de prévoir les graves difficultés qui devaient toucher la pêche de la morue. Si maintenant, parce que les gens disent qu'ils veulent avoir de l'argent pour vivre, on va commencer à remettre en question les subventions ou la SCPFA, à mon avis, ce n'est pas juste.
Nous avons sans doute tous vu le reportage au bulletin de nouvelles télévisées The National où on voyait les pêcheurs qui occupaient les bureaux de Revenu Canada, et qui disaient, tous, qu'ils veulent travailler. Voilà ce que disent les Canadiens. Ils veulent travaillent. Ils veulent toucher un salaire décent.
L'analyse que présente la documentation qui nous a été envoyée—un peu trop tard, malheureusement, mais j'ai tout de même réussi à en lire une partie—est excellente parce qu'elle contient des données très intéressantes dont le comité devrait tenir compte. Il y est question des faibles salaires. Notre pays est en réalité le deuxième au monde du point de vue du nombre de faibles salariés. Qu'est-ce qui se passe?
Eh bien, cela tient à beaucoup de facteurs différents. Mais ce qui est très positif pour les Canadiens, c'est qu'ils peuvent être membres d'un syndicat. Je ne dis pas ça dans l'espoir de syndiquer les députés, mais après tout, ce serait une bonne idée. Peut-être que vous pourriez obtenir un régime de soins dentaires, n'est-ce pas? Les faits démontrent clairement que si vous êtes membre d'un syndicat, vous vous en tirez mieux du point de vue des soins de santé, de la pension et du salaire. Malgré tout—et c'est là qu'il est important de voir les liens de cause à effet—bon nombre de provinces ont changé leur législation ouvrière pour que ce soit plus difficile de devenir membre d'un syndicat. Il y a donc des liens importants entre certains de ces éléments qu'il ne faut pas négliger.
Cette question des familles biparentales me préoccupe beaucoup, comme je le disais tout à l'heure. Cela m'inquiète aussi d'entendre parler du transfert des responsabilités et de la possibilité que les provinces soient tenues de supporter toutes ces dépenses. Qu'on le veuille ou non, nous n'avons toujours pas réussi à régler le problème des provinces moins nanties. J'aimerais mieux qu'on en discute, plutôt que de vous entendre dire que vous faites une croix dessus ou alors qu'elles vont devoir se débrouiller toutes seules.
Vous vivez peut-être à Vancouver-Est, mais j'ai l'impression que vous ne savez rien sur la situation des gens qui vivent dans les petits villages isolés de Terre-Neuve. C'est bien beau les théories d'universitaires, mais ce n'est pas ça qui va leur mettre du pain sur la table. On a voulu laisser entendre que les gens qui font de l'action sociale ne s'intéressent qu'au court terme—c'est- à-dire l'assurance-chômage et c'est vrai que nous avons voulu en profiter, parce que le régime était là pour ça. L'assurance-chômage partait du principe que les périodes sans travail seraient courtes, parce que le marché allait créer toutes sortes de nouveaux emplois que les gens pourraient obtenir, et nous avons donc cru bon de créer un programme qui soit axé sur le court terme.
Donc, ne parlons pas de l'assurance-chômage, de la destruction de ce régime et de la situation des familles sans parler des raisons pour lesquelles il a été détruit. Il a été détruit pour faire travailler les gens ou les encourager à travailler. Il a été détruit pour permettre au gouvernement fédéral de baisser son déficit. Or, le compte d'assurance-chômage a maintenant un excédent de presque 20 milliards de dollars qui reste inutilisé alors que certains Canadiens meurent de faim. Cela me dépasse.
M. Richards aime bien insister sur certaines réalités, mais pour moi, la seule réalité dont il faut tenir compte c'est l'augmentation du nombre de personnes qui vivent dans la pauvreté. J'ai peut-être mal compris un de ses commentaires, mais j'ai noté ce qu'il a dit au sujet de la pauvreté chez les enfants, à savoir que notre action est tout à fait appropriée. Il a peut-être lu les journaux ce matin, mais il aurait dû lire le Globe and Mail d'hier où on parlait justement de la hausse du taux de la pauvreté au Canada. C'est tout à fait inadmissible. Voilà le genre de problème que le comité devrait attaquer. On peut analyser toutes sortes de théories d'universitaires, mais à un moment donné, il faut trouver des solutions concrètes aux problèmes que vivent les gens. Et la solution ne consiste pas seulement à augmenter le salaire minimum—même si cette mesure pourrait être d'une certaine utilité puisque les gens auraient au moins un peu plus d'argent.
Mais il a dit une chose qui n'a paru juste, et c'est qu'il faut évaluer les programmes. Je suis parfaitement d'accord pour dire que cela n'a pas été fait jusqu'à présent, alors que nous avons tout à fait la capacité de le faire. S'il nous est possible d'être non partisans et d'examiner objectivement ces programmes, peut-être pourrons-nous trouver de véritables solutions.
Et ma dernière remarque sera la suivante: il est vrai que M. Richards était député néo-démocrate il y a très longtemps. Mais à titre de présidente associée du parti, je dois vous signaler que je ne le considère pas comme un membre du parti.
Le président: Je vois mal les applications concrètes, du point de vue de nos politiques, de vos observations, Nancy.
Plusieurs députés voudraient participer à la discussion. Je vais donner la parole à Nick, et ensuite à Claudette.
M. Nick Discepola: Merci, monsieur le président et merci d'avoir prévu un peu de temps pour calmer les esprits. Vous n'avez rien compris, n'est-ce pas?
J'aimerais m'en tenir à une discussion générale, mais je ne peux m'empêcher de réagir à certaines remarques de mon collègue, M. Asselin, et aux réponses de M. Richards. Alors je vais essayer d'être aussi délicat que possible.
La première question que j'aimerais poser—et elle s'adresse à M. Richards—est la suivante: pensez-vous que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer dans les programmes de soins de santé, d'éducation et sociaux, oui ou non?
Le président: C'est une question intéressante. J'aimerais cependant la situer dans un contexte plus large et l'adresser à d'autres que John Richards. Je voudrais donc entendre le point de vue de certains de nos autres invités sur le genre de soutien qu'il faut accorder aux participants au marché du travail.
Voulez-vous une réponse tout de suite?
M. Nick Discepola: J'aimerais avoir une idée générale de la position des gens, car c'est une question fondamentale, en ce qui me concerne. Si nous n'avons pas de rôle à jouer dans ce domaine, autant laisser tomber ces initiatives et faire autre chose. Mais si nous avons un rôle légitime à jouer, j'aimerais savoir en quoi consisterait ce rôle.
Le président: Très bien. Je vais donner la parole à M. Richards, mais je voudrais que d'autres y répondent également.
M. Nick Discepola: Oui, par seulement M. Richards; j'aimerais bien entendre le point de vue de tout le monde, et après je reviendrai sur certaines de ses affirmations car c'est lui qui a été un peu...
Le président: Celles de John, oui.
M. John Richards: Je suis venu cet après-midi dans l'intention, du moins partiellement, de présenter une position qui est sans doute moins nuancée qu'elle ne l'aurait été si j'avais écrit un livre de 300 pages là-dessus, mais d'un autre côté, je ne cherche aucunement à me dérober.
Pour moi, le rôle fédéral dans le domaine de la santé, de l'éducation et des services sociaux est beaucoup moins important que celui des provinces. Le rôle fondamental du gouvernement fédéral est d'assurer la redistribution des revenus—et c'est tout à fait crucial—à la fois aux particuliers, par le biais de programmes comme la prestation fiscale pour enfants et la prestation pour aînés et—et là je réponds à la question du premier intervenant, M. Kostyra—aux provinces pauvres.
L'une des importantes politiques sociales que le gouvernement fédéral doit absolument maintenir est celle de la péréquation. Le régime de péréquation n'est pas parfait. Nous pouvons toujours en parler plus en détail, mais il s'agit d'un programme tout à fait essentiel dans un pays comme le Canada, c'est-à-dire une fédération où les provinces, de par la Constitution, l'histoire du pays et l'accord qui a toujours existé entre les deux paliers de gouvernement, assument la responsabilité de ces programmes. Il faut s'assurer, conformément à l'article 36 de la Constitution, que les gouvernements provinciaux disposent de revenus sensiblement comparables par l'entremise d'une fiscalité, elle aussi, sensiblement comparable.
Le président: Eugene, Serge, pensez-vous que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer dans ce domaine?
Une voix: La réponse est oui.
Le président: S'agit-il du rôle que vient de nous décrire M. Richards?
M. Brian Burkett: C'est justement là où je veux en venir. À titre d'avocat qui se spécialise dans la gestion et le droit du travail, je dois admettre que ce n'est pas vraiment mon domaine d'expertise. Mais en tant que citoyen canadien, je peux tout de même vous faire part de ma perception de la situation actuelle, à savoir que les provinces doivent assumer de plus en plus de responsabilités à l'égard de notre système de soins et d'éducation...
Une voix: ... et même de la législation ouvrière.
M. Brian Burkett: ... et même de la législation ouvrière. C'est-à-dire que 90 p. 100 de la population active est régie par les lois du travail provinciales, alors que seulement 10 p. 100 relèvent de la responsabilité fédérale.
Mme Bonnie Brown: Est-ce que cela vous semble satisfaisant? Dans d'autres localités que nous avons visitées, les gens nous ont dit qu'ils veulent que le gouvernement fédéral joue un rôle plus prépondérant, parce qu'ils commencent à ne plus faire confiance à leurs gouvernements provinciaux, notamment ceux qui sont de droite.
M. Brian Burkett: En tant que citoyen canadien, je sais que je ne suis pas en faveur de la balkanisation de la société canadienne.
Mme Bonnie Brown: Mais c'est justement ce que vous allez avoir si vous confiez toute la responsabilité aux provinces.
M. Brian Burkett: Peut-être, mais M. Richards—et là je me contente de répéter ce qu'il a déjà dit—répondrait qu'il y a un seuil au-dessous duquel aucune province canadienne n'oserait passer, et si c'est le cas, cette balkanisation dont vous parlez ne pourrait se produire.
M. Nick Discepola: Permettez-moi de vous donner deux petits exemples. Vous m'autorisez à le faire, monsieur le président, ou voulez-vous donner la parole à d'autres?
Le président: Nick, il me semble que l'acceptation de M. Burkett du rôle du fédéral dans ce domaine est différente de celle de M. Kostyra. Est-ce que je me trompe, Eugene?
M. Eugene Kostyra: Je crois que oui. En fait, je me demande comment il pourrait ne pas jouer un rôle dans ce domaine. Revenons à la question fondamentale: nous sommes censés être réunis cet après-midi pour parler de la nature changeante du travail et de l'incidence sur les gens de cette évolution. S'il y a des barrières artificielles entre les responsabilités et les programmes des divers paliers de gouvernement, qui empêchent au moins une certaine intégration, je me demande comment nous pourrons jamais agir sur les problèmes associés à la nature changeante du travail. Il s'agit là d'une problématique assez vaste qui ne touche pas uniquement certains programmes sociaux ou certains secteurs; il faut absolument que toute la gamme des mesures—la formation, la politique sociale, l'assistance sociale, etc.—soit intégrée si nous espérons arriver un jour à enrayer les problèmes. Ce que je crains, c'est que tous ces programmes vont devenir de plus en plus dissociés et que nous aurons par conséquent de moins en moins d'intégration.
Le président: Serge.
M. Serge Brault: J'aurais un très bref commentaire à faire, et c'est que l'évolution à laquelle nous assistons de nos jours est tellement vaste qu'il y a nécessairement un rôle pour l'État dans tout cela; il faut que le gouvernement y soit mêlé. Personnellement, je ne dirais pas que c'est un rôle qui convient uniquement au gouvernement fédéral ou encore aux provinces; c'est une question qui reste à débattre. Mais l'un des grands enjeux qu'il faut absolument approfondir, parce que c'est tout à fait fondamental, est l'éventuel rôle de l'État dans le contexte des changements fondamentaux qui s'opèrent et auxquels j'ai fait allusion tout à l'heure.
Donc, ma réponse à la question serait oui, le gouvernement a un rôle légitime à jouer dans ce contexte. Et si nous essayons d'approfondir la question, nous pouvons essayer de définir, à partir de la situation actuelle, le rôle que doivent jouer les deux paliers de gouvernement. Nous nous trouvons face à un train qui arrive à grande vitesse et nous pouvons soit nous asseoir sur la voie ferrée en espérant qu'il arrivera quelque chose qui permette de rectifier la situation, soit être proactifs et nous demander, dès maintenant, face à ce train qui arrive à grande vitesse, quelles mesures nous devons mettre en place pour éviter qu'il nous écrase. C'est un train qui arrive vite. Alors, il est tout à fait évident, en ce qui me concerne, que l'État a un rôle à jouer dans ce contexte—un rôle important, d'ailleurs.
Le président: Nick, voulez-vous intervenir?
M. Nick Discepola: Oui, je voudrais poursuivre un peu la discussion, car je suis fermement convaincu que nous avons effectivement un rôle important à jouer dans ce domaine. Si je comprends bien ce que disent mes collègues d'autres régions du pays, ils nous confirment que nous avons un rôle très important à jouer, et que nous ne devons pas hésiter à le faire. Cela me rassure, parce que je suis convaincu, monsieur Richards, que si vous faites une étude d'autres fédérations, vous verrez que dans ces autres pays, l'État joue un rôle très important dans la définition des politiques sur le régime des soins de santé, l'éducation et les mesures d'intervention sociale. La seule différence entre ces fédérations-là et notre pays, c'est que malheureusement, à mon avis, nous sommes les seuls à avoir accordé aux provinces le droit d'être indemnisées si elles décident de ne pas participer aux initiatives fédérales; voilà l'erreur que nous avons commise.
Mme Bonnie Brown: Exactement.
M. Nick Discepola: Si je me fonde sur vos analyses, et encore une fois, vous me corrigerez si je vous interprète mal—tout le monde, non seulement le Bloc québécois, Reg, mais le Parti réformiste aussi, estime que la solution consiste à décentraliser et à transférer les pouvoirs aux provinces. Ce principe fait partie intégrante de la plate-forme du Parti réformiste aussi.
Pour ce qui est de la proportion des dépenses supportées par les administrations municipales et provinciales, par rapport à la part fédérale, vous semblez dire, monsieur Richards, que la proportion actuelle est tout à fait appropriée et que la part fédérale ne devrait pas diminuer. Si j'ai bien évalué le degré de centralisation qui existe actuellement, je ne crois pas me tromper en disant que si vous comparez la situation actuelle avec celle qui existait il y a 10 ou 15 ans, en ce qui concerne les dépenses fédérales, vous verrez que nous avons beaucoup décentralisé.
J'aimerais que vous répondiez à une question, cependant. Je ne sais pas combien de temps vous m'accordez, Reg. Je pourrais continuer pendant longtemps.
Si nous avons effectivement un rôle à jouer dans le secteur de l'éducation, je vous demanderais d'élucider votre observation de tout à l'heure, car le programme canadien de prêts aux étudiants existe depuis un bon moment, si je ne m'abuse, et encore une fois, ma province d'origine a décidé de se retirer et d'établir son propre programme. Alors j'accepte mal que vous qualifiez l'initiative des bourses d'études du millénaire d'«affront pour le Québec». Pourquoi serait-ce un affront uniquement pour la province du Québec, si vous estimez que l'éducation relève des provinces? Pourquoi ne s'agirait-il pas d'un affront pour toutes les provinces? Essayez de ne pas tomber dans le piège que vous tendent les séparatistes.
M. John Richards: M'autorisez-vous à faire une brève réponse, monsieur le président?
Le président: Non, pas encore. J'ai pas mal de... Jocelyne.
Mme Jocelyne Côté-O'Hara: Je voulais dire que nous avons beaucoup de chance d'être en présence du professeur, parce que c'est une bonne cible, et que ses remarques sont assez provocatrices. Il a réussi à susciter une réaction de la part de tout le monde, et quand le coeur bat plus fort, cela ne peut qu'être positif.
Je voulais également dire que chaque fois que M. Brault prend la parole, c'est moi qui le suis, et je suis obligée de déclarer: voilà justement ce que je voulais vous dire. Cela me rappelle l'époque où j'étais à l'école. Je disais toujours: on ne me donne jamais ma chance.
Mais j'ai une petite idée des raisons pour lesquelles vous avez voulu m'inviter à participer. Si j'ai été invitée, c'est parce que j'ai commencé ma carrière dans le secteur des affaires fédérales-provinciales à l'époque de Robarts en Ontario, c'est-à- dire dans les années 60. J'avais 23 ans, et c'était le baptême du feu. Mais ce feu ne m'a jamais quitté; il est présent depuis toujours.
Par rapport à ce que disait M. Discepola, il me semble qu'on ne peut pas avoir un pays qui s'attend à ce que sa population se déplace en l'absence totale de politique nationale. Et même si j'ai plusieurs questions à soulever, je voudrais surtout parler des programmes. Je suis d'accord jusqu'à un certain point avec ceux qui disent qu'il devrait y avoir moins de programmes fédéraux.
Par contre, au niveau de la politique, nous avons besoin de leadership national. Quelle que soit l'application de cette politique à un autre niveau, le fait est que... Les Canadiens veulent pouvoir se déplacer et travailler dans différentes localités sans que ce soit trop compliqué. Mais c'est effectivement compliqué, et le gouvernement fédéral a donc la responsabilité de simplifier les choses pour les travailleurs ou de créer, si vous voulez une population active mobile, et bien formée qui peut facilement se déplacer.
Parlons justement du fait que les universités sont contrôlées par les provinces; combien d'entre vous ont des histoires à nous raconter concernant les problèmes qu'ont connus vos enfants ou vos nièces quand ils ont essayé de changer d'université? C'est un vrai cauchemar. Nous ne créons pas au Canada le genre de normes... Nous ne faisons pas de test du tout.
J'ai récemment fait une étude du télé-apprentissage, et des possibilités que présente l'apprentissage en réseau. Le plus grand obstacle dans ce domaine est justement les provinces. Alors, pensez-vous vraiment que je voudrais leur donner plus de pouvoirs et de responsabilités? Vous vous imaginez bien que je suis contre. Je suis fermement convaincue que le Canada peut faire oeuvre de pionnier, mais il va falloir un certain leadership. Donc, je ne suis pas d'accord pour qu'on transfère quoi que ce soit tant que nous n'aurons pas établi des normes nationales, et des normes bien rigoureuses.
Le président: Très bien. Nancy, voulez-vous exprimer votre point de vue sur la question?
Des voix: Oh, oh!
Mme Nancy Riche: Non. Je suis tout à fait d'accord avec ma consoeur.
Par contre, entamer maintenant une discussion sur la décentralisation, alors qu'elle est déjà en vigueur, me semble un peu inutile. Car à mon avis, la décentralisation est déjà une réalité en ce qui concerne les rapports du fédéral avec les provinces... À l'heure actuelle, l'égalité s'appuie sur le principe que voici: qui paie les violons choisit la musique.
Par le passé, le gouvernement fédéral pouvait souvent refuser de transférer des fonds si les provinces ne respectaient pas leurs obligations ou refusaient de suivre les principes de la Loi canadienne sur la santé, par exemple. Mais plus nous avons réduit les transferts, plus les provinces se sont mises à déclarer—et c'est une réaction tout à fait humaine—si c'est moi qui paie les violons, je veux également choisir la musique.
Donc, ce processus de décentralisation est déjà bien en cours. Je suis contre, évidemment, et ma réponse à votre question serait un oui définitif.
Je trouve également inquiétant qu'on parle d'un plancher ou d'un seuil qu'on ne peut dépasser, car à mon avis, les provinces les moins riches vont toujours rester bloquées à ce seuil. C'est un peu comme les programmes d'action positive pour les femmes; ce qui est au départ un plancher devient ensuite un plafond. Quand on fixe des critères trop rigides... À mon avis, il faut un cadre plus large.
L'Alberta est sur le point de déposer un projet de loi visant à privatiser les soins de santé. Le gouvernement provincial a reporté à l'automne le dépôt de ce projet de loi, mais il est déjà prêt. Tout ce qui l'empêche de l'adopter tout de suite, c'est la question des transferts. Nous savons très bien comment ce genre de chose peut se produire, et il faut donc se méfier.
Je voudrais aussi réagir à l'idée du train qui arrive à grande vitesse. Pour moi, le train est déjà arrivé. Si vous examinez les documents qui ont été préparés en prévision de cette table ronde, vous verrez qu'on y parle des lieux de travail des Canadiens, de leurs emplois, de ce qu'ils gagnent, et de tous les changements qui surgissent—il est fréquent que les gens proposent de travailler 24 heures sur 24 pour pouvoir nourrir leur famille... Ils ont souvent trois emplois, notamment les infirmiers et infirmières, et nous avons toutes sortes d'informations anecdotiques à ce sujet.
• 1745
Un cas que j'ai trouvé particulièrement choquant était celui
du professeur d'université qui enseigne à deux universités à temps
partiel. Elle gagne moins de 20 000 $ par année, et elle passe son
temps à courir d'un bout de la ville à l'autre.
Donc, le train est déjà en gare, et personne ne semble s'en rendre compte. Ce qu'il faut faire, et je reviens encore là-dessus, c'est essayer de nous débarrasser d'une législation ouvrière trop rigide.
L'aspect le plus intéressant du débat qui s'est déroulé au Canada à ce sujet a été la demande de certains de se débarrasser complètement des règlements. Ils souhaitent un marché parfaitement libre... Nous le savons tous, d'ailleurs, et donc je ne vais pas lancer un autre débat là-dessus.
Mais pour une raison ou une autre, cet argument-là ne vise pas la législation ouvrière. Là, nous avons été beaucoup plus restrictifs. Nous avons opéré toutes sortes de changements dans des secteurs où nous avons au contraire besoin de règlements. Nous avons démantelé nos programmes d'indemnisation des accidents du travail, nous avons refusé de permettre...
Malgré tout, on ne semble pas avoir compris, surtout la droite, que ces crédits qui financent les programmes, notamment le programme d'assurance-chômage, sortent des poches des employeurs et des employés—c'est-à-dire des employés en réalité—et permettent justement aux entreprises que ces partis appuient de continuer à mener leurs activités. À votre avis, qui dépense cet argent dans les localités si ce n'est les travailleurs?
Donc, le train est déjà arrivé, et nous nous engageons dans une voie bien dangereuse qui pourrait avoir des conséquences négatives pour tout le monde, même pour la droite, si nous ne nous remettons pas très rapidement sur le bon chemin.
Donc, la réponse à votre question est oui.
[Français]
Le président: Monsieur Verge.
M. Pierre Verge: La réalité, c'est que le Canada est un État fédéral. Pour ce qui est des lois du travail, on a employé tout à l'heure le mot «balkanisation». Je pense que c'est le professeur Frank Scott qui avait utilisé cette expression la première fois. On n'y peut rien: il y a balkanisation des lois du travail au pays. On a mentionné aussi le fait qu'environ 90 p. 100 de la main-d'oeuvre active relevait de la compétence des législateurs provinciaux.
Nous parlions tout à l'heure du rôle de l'État en matière de travail. C'est un aspect qui s'impose et qui découle du caractère fédéral de notre pays. Mais ce n'est qu'une dimension du rôle de l'État, et j'aimerais en ajouter une autre.
Indépendamment de la question de la répartition des compétences fédérales ou provinciales, et même si le Canada est un État unitaire, où est le pouvoir en matière de relations de travail et d'intervention en matière de travail? Le Canada et les autres États ont-ils encore vraiment leur pouvoir étatique traditionnel face aux entreprises transnationales, face aux entreprises multinationales?
C'est un problème qui a été étudié par des économistes et des sociologues. Il y a eu beaucoup d'écrits là-dessus. Où est véritablement le pouvoir? Est-ce que le Canada a encore véritablement tout son pouvoir en matière de travail, ou est-ce que, dans les faits, les entreprises transnationales ne sont pas le siège du pouvoir réel dans certains cas, vu l'énormité des moyens dont elles disposent?
Pensons simplement à des questions comme la fermeture d'un établissement dans un pays. Techniquement, l'établissement relève d'une filiale canadienne, qu'elle soit provinciale ou fédérale, mais le centre de décision, très souvent, n'est pas au sein de cette filiale canadienne, mais à l'étranger, aux États-Unis la plupart du temps et parfois en Europe. Or, sur le plan juridique du moins, les lois canadiennes, qu'elles soient provinciales ou fédérales, ne peuvent pas atteindre le centre de décision, qui est au siège social de l'entreprise transnationale.
Il faut retenir cet aspect-là parmi d'autres lorsqu'on considère les milieux de travail et les problèmes auxquels ils font face. Cela nous conduit peut-être à une seule réflexion générale. Le thème de cette journée, comme on nous l'a bien dit dans les documents, n'est pas tellement le présent, mais bien l'avenir. Aussi énormes que soient déjà nos problèmes, ils ne peuvent être envisagés isolément, par rapport au seul Canada. Ils doivent être envisagés en tenant compte des relations que le Canada entretient avec d'autres pays et par rapport à des organisations internationales. En partie, les solutions de l'avenir doivent tenir compte de cet élément-là.
• 1750
Pensons simplement à la participation du
Canada à l'Organisation internationale du travail.
Pensons également à la participation du Canada à
l'ALENA et aux aspects du travail qui relèvent de
l'ALENA.
Si on pense au rôle de l'État, il faut songer, d'une part, aux entreprises multinationales par rapport à l'État. D'autre part, les législateurs canadiens doivent aussi envisager les relations du Canada avec les pays avec lesquels il est en rapport étroit économiquement.
[Traduction]
Le président: Merci, professeur Verge.
Je voudrais intervenir brièvement pour parler de l'organisation de notre séance. Il est maintenant 18 h 50. Claudette voudrait poser une question, et je pense qu'elle doit partir à un moment donné. Ensuite j'ai sur ma liste les noms de M. Wilfert, Jean Dubé, M. Godin, M. Antoine Dubé, et Diane Ablonczy, qui attendent patiemment de pouvoir poser des questions.
Monsieur Richards, je vous donnerai l'occasion d'intervenir après ce dernier échange, et le dîner devrait également arriver bientôt.
Je propose maintenant de donner la parole à Claudette pour qu'elle pose sa question. Ensuite, nous pourrions peut-être faire une pause, prendre notre petit repas, qui sera à votre disposition dans l'autre salle, et le rapporter ici. Vous pouvez aller faire un tour, aller aux toilettes et ramener votre repas dans cette salle. Ensuite nous allons reprendre notre discussion.
Oui, monsieur Godin.
[Français]
M. Yvon Godin (Acadie—Bathurst, NPD): À 18 h 30, j'ai un late show. C'est mon seul problème.
[Traduction]
Le président: Donc, vous aussi vous aimeriez...? Très bien. Yvon, voulez-vous poser votre question, dans ce cas-là?
M. Yvon Godin: Oui.
[Français]
Le président: Une courte question.
[Traduction]
Très bien. Je vais d'abord donner la parole à Claudette, et ensuite, ce sera à vous. Claudette, vous avez la parole.
Mme Claudette Bradshaw: D'abord, Reg, je voudrais faire une remarque au sujet de la responsabilité du gouvernement fédéral.
J'ai beaucoup réfléchi avant de me décider à faire une carrière politique et quand je me suis demandé si je voulais être élue au palier municipal, provincial ou fédéral, j'ai vite compris qu'il fallait que je me présente aux élections fédérales. J'avais la ferme conviction que nous devions apprendre à travailler ensemble au Canada. Et à titre d'élue fédérale, j'estime qu'il m'incombe d'écouter le point de vue des gens de toutes les régions du pays, de chercher à comprendre leur position et à m'assurer que toutes les provinces sont sur un pied d'égalité.
Si je n'aime pas visiter les États-Unis, c'est parce que je constate qu'il n'y a pas d'égalité là-bas. Dans certaines régions, les gens sont très pauvres, alors que dans d'autres, ils sont très riches.
Et je n'ai pas envie d'entendre... c'est-à-dire qu'on peut voir la même chose au Canada, car je voyage aussi au Canada. Mais je n'ai jamais vu au Canada ce que j'ai vu aux États-Unis. Donc pour moi il était clair que je devais me faire élire au niveau fédéral.
Arlene et Jocelyne, si vous venez participer aux discussions du Comité des ressources humaines sur la question de l'emploi et de la main-d'oeuvre vous avez tout à fait raison de dire que le train est déjà arrivé. Vos remarques étaient tout à fait à propos. J'espère que vous reviendrez nous parler, et que nous pourrons vraiment approfondir les points que vous avez soulevés.
Jocelyne, vous travaillez déjà dans le secteur de la haute technologie, alors vous savez déjà quels sont les besoins. J'espère que vous, aussi, reviendrez nous parler, parce que comme vous, j'estime que l'éducation est tout à fait fondamentale. Il va bien falloir trouver le moyen de répondre aux besoins, et les besoins ne se situent pas nécessairement au niveau universitaire.
Monsieur Richards, je ne peux m'empêcher de vous dire que pendant une trentaine d'années, j'ai fait un travail très difficile. Tous les jours de ma vie, je travaillais avec des enfants qui avaient fait l'objet de sévices ou qui avaient faim.
Au cours de la dernière année où j'occupais ce poste, je travaillais avec les parents de ces enfants-là, parce que j'étais convaincue qu'ils cesseraient de maltraiter leurs enfants si nous pouvions les aider par le biais de programmes de longue durée. Le fait est que 92 p. 100 des parents avec qui j'ai travaillé au cours de cette dernière année avaient été maltraités lorsqu'ils étaient enfants, et presque tous avaient fait l'objet d'abus sexuels sous forme de coït anal forcé.
Ces parents-là ne veulent pas maltraiter leurs enfants. Il faut arriver à les réintégrer dans la population active.
• 1755
Ce qui me frustre un peu au sein du comité, c'est que quand on
fait venir des spécialistes qui ont fait des études ou écrit des
livres, il arrive rarement qu'ils aient fait de la recherche sur
les moyens à prendre pour aider les adultes qui veulent être actifs
mais qui n'ont jamais été acceptés à l'école du fait d'avoir été
maltraités ou d'être atteints du syndrome d'alcoolisme foetal
(SAF). Nous ne nous intéressons pas à ces gens-là. Et comme les
mères se retrouvent souvent seules et que les pères finissent en
prison, nous ne nous demandons pas ce que nous pouvons faire pour
les aider à redevenir actifs.
Alors, ce que je veux faire au sein du comité—et c'est la raison pour laquelle je suis venue à Ottawa—c'est voir comment nous pouvons réintégrer sur le marché du travail les parents qui sont seuls et les parents qui ont des enfants et vivent dans la pauvreté.
Depuis une trentaine d'années, je constate que ces personnes voudraient être actives. On a implanté une entreprise à Moncton dont un certain nombre des employés à plein temps sont des gens comme ceux que je viens de décrire. Quant aux personnes atteintes du SAF, nous leur avons donné les machines à couper le tissu. Alors elles coupent du coton à longueur de journée, et ce sont les plus grands négociants de l'industrie du vêtement dans toutes les provinces de l'Atlantique.
Et qui plus est, je suis vraiment fière de ces gens-là. Ils font quelque chose d'utile. C'est la première fois dans leur vie qu'ils ont du succès, parce que nous leur avons trouvé un travail qu'ils sont capables de faire.
Donc, j'écoutais votre exposé, et au début, ça allait très bien. Ce que vous disiez me semblait parfaitement sensé, mais à un moment donné, j'ai commencé à ne plus être d'accord.
Je vais vous dire ce qui m'a dérangée—là, c'est un peu plus personnel. J'ai été coprésidente du Conseil national de la prévention du crime, où j'étais chargée des dossiers concernant les enfants de l'âge de zéro à six ans. Pendant deux ans et demi, je n'ai pas arrêté de dire au Conseil que nous devions aller faire un exposé devant l'Institut C.D. Howe. Je me disais que si on pouvait convaincre l'Institut C.D. Howe de la nécessité de faire de la prévention, nous pourrions vraiment élaborer une vision intéressante et être le premier pays du monde à fermer nos prisons en l'an 2020 parce que nous aurions trouvé la solution.
Je sais que si nous ne pouvons pas convaincre des gens comme vous et l'Institut C.D. Howe de commencer à faire de la recherche sur la façon de réintégrer les parents et leurs enfants sur le marché du travail... Si vous ne faites pas passer ce message et si vous n'essayez pas de convaincre d'autres du bien-fondé de cette solution, cela n'aboutira jamais. Il faut que ce soit vous qui le disiez.
Voilà donc ma question. Je suis un peu contrariée. Quand vous écrivez des livres et que vous faites des études pour l'Institut C.D. Howe, est-ce qu'il vous arrive de faire de la recherche sur la façon de réintégrer les familles d'assistés sociaux de longue date sur le marché du travail? Avez-vous fait des recherches sur cette question? Et avez-vous fait des recherches sur le syndrome d'alcoolisme foetal et les possibilités d'intégration dans la population active des enfants atteints de ce syndrome?
Le président: Merci, Claudette.
Yvon Godin doit absolument partir. Yvon, je vous cède la parole pour faire vos commentaires, et ensuite nous ferons une pause.
[Français]
M. Yvon Godin: Il semble que j'ai perdu une bonne partie de la discussion, qui portait sur le discours de M. John Richards. En tout cas, en suivant la discussion, j'en ai saisi une bonne partie. Tout le monde est fâché. C'est dommage que je n'aie pas été ici au commencement. Je me serais peut-être fâché aussi. Malgré les commentaires des autres, je n'ai réussi à me fâcher.
Je vais faire quelques commentaires et ensuite poser quelques questions. Le problème au Canada, c'est que dans le passé, il y avait des fermes et de la pêche. C'étaient des humains qui ruinaient le Canada. Maintenant, c'est l'industrie, les gros patrons, les gens qui ont de l'argent, et le côté humain a complètement disparu. C'est juste la piastre qui compte. L'humain ne compte plus.
J'ai très peur qu'on soit en train de complètement détruire notre pays. Je vais poser une petite question rapide. Combien de gens ici viennent du Nouveau-Brunswick, d'Halifax, de la Nouvelle-Écosse, de l'Île-du-Prince-Édouard ou bien de Terre-Neuve? Je pense qu'il n'y en a pas un seul à part Nancy.
Tout le monde est fâché contre les provinces de l'Atlantique. On dit que leurs habitants sont une bande de paresseux, de lâches qui ne veulent pas travailler. Certaines études qui viennent juste d'être faites disaient même qu'il fallait baisser le taux de bien-être social et les prestations d'assurance-emploi et forcer ces gens à quitter les provinces de l'Atlantique.
• 1800
On voudrait les forcer à se relocaliser dans
l'Ouest ou dans le centre du Canada. Je vous
dis qu'on ne s'en ira pas. On va rester chez nous.
En tout cas, peut-être que quatre provinces
vont se joindre au Québec et se séparer du Canada si
le Canada n'a pas besoin d'elles.
Chez nous, on a toujours vécu de la pêche. Il y a des gens qui ont vécu de la forêt. On a des gens qui ont vécu des mines, des ressources naturelles. On parle de la pêche, des forêts ou des tourbières. Le poisson ne s'attrape pas sur la glace. Quant à la tourbe, avez-vous déjà essayé de ramasser cela sur la neige?
Le poisson est bon quand vous allez chez les banquiers et que vous mangez du homard. Les tourbières, c'est bien quand vous voulez avoir une belle pelouse verte. La forêt, c'est bien intéressant, mais chez nous, on ne bûche pas l'hiver quand il y a cinq ou six pieds de neige. On n'est pas à Vancouver. On aime bien les deux par quatre au Canada. Ce sont des ressources naturelles que l'on a dans l'Atlantique et il va falloir que notre pays vive avec cela.
On a eu des problèmes de pêche dernièrement à cause de la mauvaise gérance du gouvernement fédéral. Dernièrement, des politiciens de chaque parti sont allés dans l'Atlantique et ont fait une tournée. Ils ont unanimement signé un rapport qui dit que la pêche a mal été gérée et qu'on a maintenant des responsabilités envers ces gens-là.
Je reçois de 50 à 60 appels par jour de gens qui sont sur le bien-être social. Ils en sont rendus là. Ils n'ont plus rien à manger sur la table, et les enfants en souffrent. C'est là que je dis que les gens ne sont pas traités comme des humains.
Qu'est-il arrivé? Eh bien, on a laissé des propriétaires ou des président de compagnies retirer des bonis quand la compagnie faisait plus d'argent. Ils mettent les gens à la porte pour faire de l'argent. Moins de gens travaillent. C'est dans cette direction que l'on s'en va, quand on a des présidents de compagnies qui sont payés 10 millions, 3 millions ou 1 million de dollars par année. C'est là qu'est le problème au Canada.
Le gouvernement a la responsabilité d'investir dans les gens et de ne pas les laisser souffrir entre-temps. Ce n'est pas au gouvernement de créer de l'emploi. Je ne sais pas si vous êtes d'accord avec moi, mais c'est ce que le gouvernement dit. Ce n'est pas au gouvernement de créer de l'emploi. Cependant, ce n'est que le lendemain des élections que le gouvernement dit que ce n'est pas à lui de créer de l'emploi. Pendant les 35 jours précédant les élections, il dit qu'il va créer de l'emploi. Je suis d'accord avec le gouvernement là-dessus, mais le gouvernement est responsable de la mise sur pied de l'infrastructure nécessaire à la création d'emplois. C'est la question que je vous pose. N'est-ce pas la responsabilité du gouvernement que de mettre sur pied, dans les régions, l'infrastructure nécessaire à la création d'emplois?
Dans l'Atlantique, on n'a pas l'argent nécessaire pour les infrastructures. On donne plutôt cet argent à certaines personnes qui ne devraient pas y toucher. C'est ce qui se produit chez nous. Je viens de là et je sais qu'on vit ce problème à tous les jours.
En plus, j'ai des preuves que les gens de Bay Street, à Toronto, disent aux investisseurs: «N'allez pas investir de l'argent dans l'Atlantique, car vous allez le perdre. Investissez-le ici, à Toronto.» Tant qu'on va avoir des gens qui vont diriger les affaires du Canada de cette façon, on va manquer le bateau. On a perdu le sens de l'humain. N'est-il pas vrai qu'on a perdu le sens de l'humain? Même ici, aujourd'hui, il n'y a personne de l'Atlantique, à part Nancy qui représente le CTC, pour exprimer le point de vue de l'Atlantique. Merci.
[Traduction]
Le président: Merci, Yvon.
Il est 18 h 5. Faisons maintenant une pause et nous reviendrons à la table à 18 h 20.
Le président: Reprenons notre discussion.
Je pense que le temps qui nous reste va rapidement disparaître, surtout que certains de nos invités vont devoir partir à divers moment au cours de la prochaine heure et demie pour prendre leur vol. Je vais donc être un peu plus strict et limiter le temps que j'accorde pour les questions et les réponses.
Je vais tout d'abord permettre à M. Richards de répondre à certaines des observations faites tout à l'heure, et ensuite je vais donner la parole à Jean Dubé, qui est encore dans le corridor; ensuite à Antoine Dubé, qui va le remplacer provisoirement; ensuite à Diane, et enfin à Bryon Wilfert.
M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.): En fait, vous avez inversé l'ordre.
Le président: C'est vrai?
La greffière: C'est-à-dire que M. Wilfert était là, mais il est parti; donc, vous pourriez le mettre au haut de la liste.
Le président: Oui, je vois; c'est exact. Notre très estimé greffière a remarqué que vous vous êtes absenté pendant un moment, et par conséquent, elle vous a mis au bas de la liste.
M. Bryon Wilfert: Eh bien, si elle a fait une telle chose, elle ne peut être très estimée, n'est-ce pas?
Des voix: Oh, oh!
M. Bryon Wilfert: Elle est toujours greffière, mais je laisse tomber le «très estimée».
Le président: Bon, d'accord.
Soyez donc bref et précis en essayant de donner un maximum d'information le plus rapidement possible, et nous verrons où tout cela nous amène.
Monsieur Richards.
M. John Richards: Ce que j'aimerais faire, en une ou deux minutes, c'est donner une réponse très générale, et ensuite, si vous m'accordez encore une ou deux minutes, je voudrais aborder un certain nombre de points en détail.
[Français]
Vous avez été certainement éloquents, sinon émotifs, ce qui est tout à fait légitime, pendant les deux dernières heures, dans vos critiques de ce que j'ai présenté. Les problèmes que vous avez soulevés, les difficultés des enfants dont on abuse, les difficultés des femmes qui ont dû quitter des maris abusifs, les chômeurs, la pauvreté, sont tous réels et durs. Je vais à mon tour être un tout petit peu émotif.
Hier, j'ai passé toute la journée à Québec, à l'Université Laval, à un colloque sur la question de l'unité nationale, et j'ai défendu la thèse fédéraliste contre les souverainistes en disant qu'il y a d'abord des problèmes graves sur le plan social au Canada, ainsi que sur le plan culturel et des institutions du pays. Si—et c'est un grand SI—on arrive à préserver cette fédération, il faudra beaucoup de compromis et beaucoup de respect. En effet, le compromis entre anglophones et francophones est à la base de la fédération que nous avons créée au XIXe siècle.
• 1840
Qu'est-ce qui est essentiel pour une fédération? La
première leçon en sciences politiques, dans toute université,
est que «fédération» veut dire «division des compétences».
Il y a beaucoup de problèmes aigus dans le marché du travail, dans la santé, dans l'éducation. Le gouvernement a un rôle à jouer, mais cela ne veut pas dire que vous, autour de cette table, au plan fédéral, vous devriez vous occuper de tous ces problèmes.
Seul M. Verge a soulevé le fait que le Canada est une fédération. Ce n'est pas une coïncidence, je crois, que ce soit un francophone qui ait soulevé ce fait. Tous les autres ont parlé des problèmes bien réels. Je ne suis pas là pour les nier, mais à part lui, aucun n'a abordé le fait que le Canada est une fédération qui dépend de la division des compétences qu'on doit respecter. Si on ne les respecte pas, le pays va s'éclater.
Je le dis en tant que Canadien de l'Ouest, bilingue, qui apprécie le fait de vivre dans un pays bilingue. À mon point de vue, les difficultés et les problèmes de ce pays tiennent à la fois au refus du compromis de la part des souverainistes purs et durs et, de l'autre côté, au refus de la part de certains à Ottawa de reconnaître les limites de ce que peut faire le gouvernement central dans une fédération.
Je pense que, collectivement, vous avez fait preuve d'une certaine inconscience de ce qu'est une fédération. Cela suffit. Je reviens aux questions pragmatiques.
Première observation de M. Kostyra: il faut qu'on prenne conscience des limites fiscales des provinces pauvres. Je suis entièrement d'accord sur cela. Je répète que la péréquation est un élément crucial d'une politique sociale convenable à travers le pays.
Ma deuxième observation porte sur la dévolution.
[Traduction]
Est-ce que le résultat sera la balkanisation ou l'amenuisement de nos programmes sociaux? C'est possible. Il n'y a rien de sûr dans la vie, à part les impôts et la mort. Mais je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que les programmes de formation à l'intention des personnes qui ne souhaitent pas faire de formation professionnelle sont insuffisants. Dans bon nombre de cas, les assistés sociaux se voient condamnés à vivre de l'assistance sociale.
À mon avis, dans une dizaine d'années, nous serons sans doute très contents d'avoir transféré aux provinces la responsabilité première de l'élaboration des nouveaux programmes de formation. Il convient d'incorporer dans notre discours public la notion selon laquelle la formation est étroitement liée à l'éducation, qui relève des provinces et que le rôle du gouvernement fédéral devrait donc être surtout un rôle d'évaluation. Je n'essaie pas d'être puriste. Le gouvernement fédéral peut certainement lancer des projets pilotes très intéressants, notamment dans le domaine de la réforme de l'assistance sociale, un secteur qui m'intéresse beaucoup.
Voilà donc pour cette première thèse.
Le président: Monsieur Richards...
M. John Richards: Enfin, j'aimerais insister sur ce qu'a dit M. Burkett. Il y a un compromis douloureux à faire entre la préservation des conventions actuelles touchant le marché du travail, comme en Europe continentale—où il faut être prêt à accepter que les taux de chômage dépassent 10 p. 100, et la libéralisation à outrance du marché du travail, dont l'exemple serait les États-Unis, qui peuvent se vanter d'avoir des taux de chômage inférieurs à 5 p. 100. Mais on ne peut considérer ni l'une ni l'autre de ces deux solutions comme étant adéquate.
Le président: Merci, monsieur Richards.
Je vais maintenant donner la parole à Jean Dubé. Mais il n'est pas là.
M. Wilfert.
M. Bryon Wilfert: J'étais sur le point de dire que mes propos au sujet de la greffière s'appliquaient également au président.
Le président: Vous avez remarqué, je suppose, avec quelle rapidité je me suis corrigé.
M. Bryon Wilfert: En effet. C'est très impressionnant, monsieur le président. C'est justement pour ça que vous êtes mon président favori.
Je voudrais vous parler d'une initiative qui n'a pas encore été mentionnée, et à laquelle je tiens beaucoup. Les problèmes qu'on est en train de décrire touchent les grandes villes, les petites villes et les villages. Je ne sais pas si vous connaissez le système de rapports sur la qualité de la vie mis sur pied par la Fédération canadienne des municipalités. En 1996, la FCM a établi un système de rapports sur la qualité de la vie afin de pouvoir faire des contrôles comparatifs de la qualité de la vie, étant donné que les administrations municipales, qui se sont vu transférer diverses responsabilités qui relevaient précédemment des gouvernements fédéral et provinciaux, doivent désormais établir des priorités en matière de besoins et de croissance locaux. Ce système doit permettre de contrôler les politiques et services destinés à maintenir et surtout à améliorer la qualité de la vie.
• 1845
Ce système permet, par exemple, d'examiner des indicateurs
généraux, tels que le degré d'accession à la propriété dans les
différentes localités et leur degré d'attractivité. On peut
également tenir compte de mesures de création d'emploi, de
statistiques sur le marché du travail, des besoins des différentes
localités, des problèmes liés à la santé, de la capacité d'assurer
des services, de l'infrastructure sociale et de l'exécution des
programmes ou encore de l'absence de programmes. Il y a d'autres
facteurs qui sont également pris en compte, mais je ne vais pas les
énumérer tous.
Des villes comme Vancouver et Halifax et d'autres situées d'un bout à l'autre du pays se sont inscrites au programme afin de suivre un ou plusieurs de ces indicateurs et de connaître ainsi les effets des changements sociaux et de l'évolution démographique sur nos villes. Par exemple, nous savons que la ville de Toronto est aux prises avec le problème des sans-abri et a mis sur pied un groupe de travail qui est chargé d'étudier les conséquences pour la ville de cette population importante de personnes qui n'ont pas d'abri permanent.
Quand nous parlons du système fédéral, nous devrions également mentionner que même si les villes ne sont pas reconnues dans la Constitution—ce qui est pour moi une grossière erreur—il reste que les villes sont appelées à composer avec tous ces problèmes, que ce soit les problèmes d'immigration, qu'elles ne peuvent pas vraiment régler, où des problèmes sociaux causés par l'arrivée de personnes déplacées ou de travailleurs licenciés.
J'avoue que j'ai certains préjugés, étant ex-président de la FCM et président du caucus des affaires municipales. Ce que nous essayons de promouvoir, c'est l'idée que le règlement de ces problèmes dépend de la volonté de toutes les administrations de travailler de manière coopérative, plutôt que de simplement se décharger sur les autres. Après tout, c'est dans les villes que nous sommes vraiment confrontés à ces problèmes et traitons avec les organismes et les particuliers qui ont des outils à nous offrir ou inversement ont besoin d'outils.
J'aimerais bien connaître vos réactions à ces quelques commentaires.
Le président: Merci, monsieur Wilfert. Je vais donner la parole à Antoine, et ensuite ce sera le tour de Diane Ablonczy.
[Français]
M. Antoine Dubé (Lévis, BQ): Cela reste presque dans la famille. M. Jean Dubé est du Nouveau-Brunswick et moi, je suis du Québec. Donc, c'est Dubé et Dubé.
Parfois, on a l'occasion d'entendre ou de lire M. Richards. Je ne suis pas surpris que son intervention d'aujourd'hui ait suscité des réactions. En tout cas, je trouve que son approche est adéquate compte tenu de la situation actuelle. Moi, je suis souverainiste. Je suis du Bloc québécois, mais j'ai bien aimé que vous disiez que, pour qu'il y ait des changements, il faut qu'il y ait des gens qui changent d'idée.
Lorsqu'on parle, si on a juste envie de convaincre l'autre et qu'on n'accepte pas du tout d'écouter ses arguments, ce n'est pas utile de discuter. Quand des opinions différentes, contraires sont débattues, c'est enrichissant. Je pense qu'il faut toujours se rappeler cela. Je connais M. le président ainsi que son ouverture à ce genre de situation.
Je ne suis pas actuellement un membre permanent du Comité permanent du développement des ressources humaines et de la condition des personnes handicapées. Cependant, pendant mon premier mandat, j'ai participé à la consultation sur la refonte des programmes sociaux, et je viens de temps en temps pour discuter de problèmes de relations de travail, etc. L'un de mes collègues, un jeune, a fait un coup d'éclat. Je ne dis pas qu'il faut nécessairement l'applaudir pour le geste qu'il a fait. Il a sorti son fauteuil de la Chambre pour attirer l'attention sur la question suivante: les députés, tous partis confondus, peuvent-ils contribuer à changer les choses?
• 1850
Plus tôt, M. Verge de l'Université Laval a bien fait de
nous rappeler qu'il y a des transnationales. On
assiste à un
phénomène de mondialisation.
Pour revenir à la question des normes nationales en éducation, lors de la tournée du comité, n'étant pas sourd, j'ai été forcé de constater que la plupart des gens des provinces autres que le Québec disaient: «Il faut que le fédéral affirme davantage son leadership en ce qui a trait aux normes face aux changements et aux relations avec les autres pays.» Après tout, on est membre de l'OCDE et, à cause de la mondialisation, il le faut.
C'est là-dessus que je veux une réaction de ceux des participants qui veulent réagir. M. Richards nous rappelait qu'on était dans une fédération, de même que M. Verge, et c'est vrai. La Constitution dit que c'est comme cela, mais il y a plus de 100 ans qu'elle existe. Donc, les choses ont peut-être changé.
La question à se poser est celle-ci: comment les structures devraient-elles s'adapter aux nouveaux besoins? Je vais me limiter à l'éducation et au travail. En ce qui a trait aux normes, si les gens voulaient vraiment, notamment les provinces... Il existe des forums sur l'éducation, sur la santé et dans divers autres domaines. Si ces gens-là acceptaient volontairement de travailler ensemble sur des normes dites nationales—le fédéral pourrait aussi donner son point de vue là-dessus—, il s'agirait de choses consenties volontairement.
Il me semble que ce n'est pas un processus si étrange. Que font les pays membres de l'OCDE lorsqu'ils discutent de normes? Les pays de l'Union européenne, que font-ils? Ils ont ce genre de discussions. Ils essaient de trouver ensemble des normes.
On parlait plus tôt des codes du travail. Somme toute, les normes du travail ne sont pas si différentes d'une province à l'autre. Je reviens à la mondialisation. Si les pays membres de l'AMI, tout en facilitant l'accès au commerce international, adoptaient des normes communes dans les domaines de l'éducation ou du travail, ce serait la voie de l'avenir. Donc, il faut en parler, mais pas trop longtemps.
[Traduction]
Le président: Merci, Antoine.
Mme Diane Ablonczy: Cette discussion me semble très intéressante.
Je voudrais d'abord remercier M. Richards de sa présence. Après avoir vu son livre et son curriculum vitae, je m'attendais à quelque chose de bien réfléchi de sa part, mais je ne savais pas s'il aurait des idées nouvelles à nous présenter.
Ce qui m'a beaucoup intéressée dans votre analyse, c'est que vous êtes arrivé exactement aux mêmes conclusions—et je ne veux pas vous insulter en vous disant ça—que le Parti réformiste. Chacune de vos cinq conclusions cadre parfaitement avec la politique que nous avons élaborée au moment d'analyser l'orientation future de nos programmes sociaux.
Si je suis devenue active au sein du Parti réformiste, c'est tout simplement parce que j'étais convaincue que les régimes actuels et nos modèles en matière de sécurité sociale ne répondaient plus à nos besoins. Vos conclusions m'ont donc beaucoup intéressée, et je trouve également très intéressante la réaction des participants à ces conclusions-là. À mon avis, il est toujours bon de pouvoir entendre plusieurs points de vue, mais vos conclusions semblent néanmoins avoir suscité une réaction très hostile. Je dois dire que j'ai eu cette même expérience à titre de militante au sein du Parti réformiste.
• 1855
Je tiens également à faire une autre petite mise au point en
réponse à l'observation d'un autre député; le Parti réformiste n'a
jamais préconisé la décentralisation. C'est quelque chose qu'on
raconte au sujet des politiques de notre parti, mais c'est faux.
Ce que nous préconisons, c'est précisément ce que souhaite M. Richards, c'est-à-dire la répartition appropriée des pouvoirs en fonction des responsabilités prescrites dans la Constitution: l'exercice ferme des pouvoirs du fédéral mais en même temps l'exercice libre et énergique des pouvoirs provinciaux, dans les secteurs qui relèvent de la responsabilité des provinces. À mon avis, il serait certainement utile de tenir un débat sur la répartition la plus opportune des diverses compétences. Voilà le débat qu'il convient d'ouvrir, mais je tenais à faire ces quelques précisions au sujet de notre position.
Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que l'État a un rôle à jouer dans tout ce qui touche la population active, le travail et notre stabilité sociale. Je ne crois pas me tromper en disant qu'aucun des participants à cette table ronde—en tout cas, certainement pas moi—ne dirait le contraire. L'une des choses qui m'a poussée à me lancer dans la politique était ma préoccupation au sujet de l'approche que nous avons adoptée jusqu'à présent; je craignais que cette approche compromette notre capacité de maintenir nos programmes sociaux, à cause d'une dette et d'un déficit très élevés, et que les conséquences pour la population soient très négatives. D'ailleurs, ces conséquences ont déjà commencé à se manifester.
À mon avis, les membres du Parti réformiste ont peut-être été de mauvais communicateurs, en ce sens que nous donnons l'impression de nous attacher uniquement à l'argent, aux budgets équilibrés et à la responsabilité financière; nous négligeons d'expliquer que si nous attachons autant d'importance à ces éléments, c'est parce que nous craignons que la stabilité sociale à laquelle nous tenons et les programmes que nous valorisons ne soient menacés. En fait, voilà justement la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement.
Je reviens à ma question originale. Étant donné qu'une évolution qu'on peut trouver positive ou négative est en cours, parce que les fonds dont nous disposons pour financer le genre de programmes typiques de l'État providence, et dont nous avons profité par le passé, sont limités, voire même à la baisse—et je tiens à préciser que je n'y vois pas un sens péjoratif. Quand j'utilise ce terme, ce n'est pas dans un sens péjoratif.
Nous tenons tous à notre régime de soins de santé. Il nous arrive à nous tous de tomber malades. Nous voulons avoir de bons régimes de pension parce que nous souhaitons tous prendre notre retraite un jour. Mais si nous devons changer notre approche et la façon d'exécuter des programmes, comme le font d'autres pays qui sont confrontés à ces difficultés dont je parlais il y a quelques instants, dans quelle mesure les attentes de la population vis-à- vis de l'État vont-elles changer?
Par le passé, on estimait que l'État faisait fonction de nanny: depuis le berceau jusqu'à la tombe, l'État était censé satisfaire tous nos besoins. Nous avons tous entendu les prières des participants autour de cette table, qui nous implorent de prendre des mesures pour aider des gens de toutes sortes qui sont dans le besoin. Mais vu la situation globale, situation que M. Richards a étudiée en profondeur, comment devons-nous nous y prendre pour opérer des changements? Et quels changements faut-il faire?
À mon avis, il ne faut pas approcher ce problème en ayant des idées préconçues, et pour ma part, je n'en ai pas. Je pense que nous pouvons tous reconnaître que nous souhaitons une société sûre et sécuritaire, qui satisfait nos besoins en matière de soins de santé, et qui nous offre une main-d'oeuvre bien éduquée et toutes les autres choses dont nous avons déjà parlé. Mais nous devons discuter du rôle du gouvernement et des changements à opérer.
Si nous continuons notre petit bonhomme de chemin, sans rien changer, il est clair que nous allons finir par avoir les résultats qui nous inquiètent tous à des degrés différents. Par exemple, Serge disait que les personnes qui sont les plus fortement rémunérées font de plus en plus d'heures pour le même salaire ou peut-être même un salaire inférieur, alors que les gens faiblement rémunérés travaillent moins. Je me demande pourquoi c'est comme ça. Je me demande s'il existe des problèmes structurels sur lesquels nous devrions essayer d'agir.
Plutôt que de nous disputer sur les mesures à prendre et les mesures qui n'ont pas été prises jusqu'à présent, il me semble que pour être productifs, les débats devraient porter sur les changements que nous, en tant que décideurs politiques, devons apporter au régime actuel pour obtenir les résultats escomptés. Voilà une chose sur laquelle nous pouvons tous nous entendre.
Monsieur le président, j'invite tous les participants à se concentrer sur un certain nombre d'éléments très concrets. Arlene a justement parlé d'un certain nombre de mesures que le gouvernement peut et devrait prendre pour corriger les problèmes actuels.
Le président: Merci beaucoup, madame Ablonczy.
Eugene.
M. Eugene Kostyra: Je voudrais amener le débat à un niveau différent pendant quelques minutes, si vous me le permettez.
Diane a parlé des suggestions faites par Arlene de tout à l'heure. J'aimerais justement revenir sur un certain nombre d'entre elles et les analyser plus en profondeur, si possible.
Pour moi, la question de la législation ouvrière est très importante, et d'autres intervenants en ont justement parlé. C'est peut-être un domaine où il convient de réexaminer la répartition des pouvoirs fédéraux et provinciaux, vu les changements qui doivent s'opérer pour que nous puissions répondre aux besoins changeants des travailleurs. À un niveau, il y a notre interaction avec les organismes internationaux, et à un autre niveau, nous avons cet ensemble disparate de lois du travail. Ce n'est pas un dossier facile, mais c'est justement dans ce genre de dossiers qu'un groupe comme celui-ci peut peut-être faire preuve de leadership.
L'autre question importante, en ce qui me concerne, est celle des prestations sociales et leur importance dans le contexte de l'évolution du travail. Encore une fois, il existe un certain nombre de programmes, comme le Régime de pensions du Canada et le programme d'assurance-emploi, qui sont contrôlés par le gouvernement fédéral.
Un autre secteur très important est celui de la formation, et je voudrais justement prendre quelques minutes pour vous parler de mes propres expériences de la question.
Permettez-moi de revenir sur ce que je disais au début au sujet de l'information qui nous a été envoyée sur cette table ronde, c'est-à-dire le texte résumant les expériences des divers organismes et les problèmes qu'ils connaissent à l'heure actuelle. Je dois vous dire, en toute honnêteté, qu'en tant que syndicat, nous avons énormément de mal à nous adapter à la nature changeante du travail.
Nous ne sommes pas bien équipés pour nous adapter à des changements aussi radicaux et pour répondre aux besoins de nos membres dans ce contexte-là. La demande de formation et de recyclage est très élevée, et nous n'avons pas les moyens de les fournir. Nos employeurs ne sont pas non plus bien équipés pour les offrir.
Voilà donc quelques bons exemples. À l'onglet 5 de la section sur l'innovation, vous trouverez également un certain nombre d'exemples de bons programmes de formation en milieu de travail qui commencent à être offerts un peu partout au Canada, mais il ne s'agit pas de grandes initiatives. Voilà justement un domaine où il y aurait lieu de faire preuve de leadership.
Je dois également admettre que le transfert aux provinces de la responsabilité de la formation me préoccupe, parce qu'à mon sens, elles offrent à présent moins de possibilités de formation polyvalente ou multidisciplinaire. En tout cas, au Manitoba, c'est ce que je constate de plus en plus, et par conséquent, cette tendance m'inquiète.
Par ailleurs, notre régime de soins de santé subit actuellement des changements très importants, et je pourrais peut- être vous donner un exemple très récent.
Nous avons maintenant un comité mixte d'aide à l'adaptation qui est chargé d'examiner les changements qui s'opèrent actuellement au Manitoba au niveau de notre régime de soins. Un organisme centralisé devait être mis sur pied pour assurer la prestation de services d'alimentation aux hôpitaux de Winnipeg.
D'ailleurs, vous êtes sans doute déjà au courant, Reg. Notre syndicat a protesté vivement contre certains aspects de ce projet.
Le président: L'histoire des toasts cuits au micro-ondes à Toronto.
M. Eugene Kostyra: Oui, exactement. Remarquez-bien, je n'ai rien contre les toasts de Toronto, mais je préfère que les miens soient préparés sur place.
Nous avons donc entamé des discussions détaillées, au fur et à mesure qu'avançait ce projet, sur la possibilité que les produits soient livrés par camion. Au départ, ils voulaient sous-traiter le travail, mais ils ont fini par accepter que cela reste à l'interne. Mais nous n'arrivions à trouver de programme de formation pour les camionneurs. Nous avons enfin obtenir de la ville de Winnipeg, un autre employeur, qu'elle nous donne les ressources nécessaires pour dispenser un programme de formation aux camionneurs qui devaient travailler pour ce nouvel établissement centralisé.
Mais aucun organisme central n'est chargé de régler ce genre de problème. Tout le monde travaille de son côté et essaie de trouver des solutions qui sont plus ou moins efficaces. À mon avis, c'est dans un domaine comme celui-ci que le gouvernement aurait un rôle important à jouer.
Pour ce qui est de créer un véritable partenariat entre les syndicats, les entreprises et les gouvernements, il existe déjà un organisme de ce genre—celui pour lequel travaille Arlene—qui a fait preuve de leadership. Pour trouver des solutions, il faut une action concertée entre ces trois partenaires, et même avec des non- travailleurs. Encore une fois, le comité et peut-être même le gouvernement pourrait faire preuve de leadership dans ce domaine.
Le président: Arlene, j'ai votre nom sur ma liste, de même que ceux de Jean Dubé et de Rob Anders, mais avant de vous donner la parole, je vais abuser brièvement des privilèges de mon poste en essayant de pousser un peu plus loin le raisonnement d'Eugene.
• 1905
Je me rappelle d'un commentaire de M. Brault tout à l'heure,
quand nous avons posé la question de savoir si le gouvernement
fédéral a un rôle à jouer dans ce domaine. Il a dit que l'État a
effectivement un rôle à jouer. Notre problème, c'est que nous
sommes un comité fédéral chargé du développement des ressources
humaines, et quand nous regardons autour de nous, nous constatons
que quand nous avons laissé aux provinces le soin de régler
certaines problèmes, elles n'ont pas souvent eu beaucoup de succès.
Citons, à titre d'exemple, le commerce international.
En ce qui concerne le transfert des responsabilités—et je dois avouer que je comprends que ce transfert puisse être approprié dans certains cas. J'estime qu'il est préférable de dispenser certains services le plus près possible des personnes qui les reçoivent. Sur le plan philosophique, disons que je n'ai rien contre, sauf que tous les changements apportés à la Fédération vont toujours dans le même sens. On s'éloigne du concept d'un gouvernement central en faveur d'un rôle accru pour les provinces et les régions. On parle du fait que les divers paliers se déchargent sur les autres, mais tout ce que j'entends, c'est: «Donnez-nous l'argent.» On nous dit constamment: «Ne nous parlez pas de normes nationales ou de soins de santé; donnez-nous l'argent; c'est tout.»
Et cela nous inquiète, forcément. Nous entendons toutes sortes de choses sur l'évolution du travail et du milieu de travail. Nous avons déjà un instrument national—je préfère l'assurance- chômage—dont les travailleurs et les employeurs peuvent se prévaloir, un instrument qui offre quelque chose aux travailleurs. Mais nous avons beaucoup diminué le rôle de ce programme.
Quand j'entends les propositions qui découlent de cette réflexion collective, je me dis que nous devrions peut-être commencer par nous demander s'il y a lieu de remplacer notre rôle actuel par autre chose ou peut-être de l'élargir pour que les travailleurs puissent commencer à acheter un certain nombre de ces services et de ces protections. Je me demande si nous ne devrions pas réorienter notre action pour mettre l'accent sur la formation permanente en offrant aux travailleurs la possibilité de quitter le marché du travail pendant un certain temps pour se recycler, selon la structure qui nous semblerait la plus appropriée.
Dès que je commence à réfléchir à cette possibilité-là—et bon nombre d'entre nous avons déjà eu ce genre de conversation au caucus ou en prenant un café—donc, dis-je, dès qu'on commence à réfléchir à la façon de réorienter le système fédéral, on se heurte à la position de M. Richards, de Diane et du Parti réformiste. Je suis parfaitement d'accord avec Diane. Par contre, le Bloc a des motifs différents, et c'est pour ça que j'ai parlé du Bloc tout à l'heure. Le Bloc a des raisons politico-philosophiques de vouloir exacerber le conflit entre les deux. Mais nous sommes constamment confrontés au transfert des responsabilités aux provinces.
Et on ne peut même pas ouvrir une discussion sur le degré d'élargissement de notre rôle qui serait souhaitable, parce que ce n'est pas uniquement le Parti réformiste ou le Bloc québécois qui font ça. Nous, aussi, nous le faisons. Nous, les libéraux, nous faisons ça.
Elle a l'air un peut ésotérique, mais cette question du transfert des responsabilités et de notre rôle fondamental est tout à fait critique.
Bon. Puisque j'ai dit ce que j'avais à dire, je vais donner la parole à Arlene, qui sera suivie de Jean Dubé, et de Rob Anders.
J'ajoute votre nom à la liste, Libby. Je vous signale que je tiens deux listes, une pour nos invités, et une pour les membres du comité. Je vais essayer de passer constamment de l'une à l'autre.
Arlene, vous avez la parole.
Mme Arlene Wortsman: Malheureusement, je dois partir, mais nous discutons maintenant de la question que nous devions, dans mon esprit, aborder dans le cadre de cette table ronde.
Je voudrais donc faire quelques remarques à ce sujet.
D'abord, la formation n'est pas la seule responsabilité du gouvernement fédéral ou des administrations provinciales. Les organismes que nous appelons conseils sectoriels font un excellent travail dans ce domaine. Le gouvernement fédéral leur accorde les ressources dont ils ont besoin, c'est-à-dire des crédits et différentes formes de soutien.
Il s'agit en général d'organismes auxquels sont représentés les employeurs et les syndicats qui ont été créés dans un secteur donné. Ils se chargent de répondre aux besoins de ce secteur, que ce soit au niveau de l'adaptation, du perfectionnement ou de l'aide accordée aux personnes qui doivent se trouver une nouvelle profession. Ces conseils ont énormément de succès.
Il y a parfois des problèmes au niveau de la stabilité du financement qui leur est accordé, mais ils ont tout de même mis au point des programmes qui répondent aux besoins des travailleurs de ces différents secteurs de l'économie. Par exemple, ce n'est pas utile d'envoyer dans un collègue communautaire ou à l'école secondaire un travailleur âgé de 40 ans qui a un faible niveau d'éducation et qui, face à l'évolution rapide des technologies, doit absolument acquérir de nouvelles compétences pour pouvoir continuer à travailler. Ce genre de personnes a besoin de formation en milieu de travail, et c'est l'encadrement des collègues qui offre la meilleure solution dans ce contexte.
Le CTC commence à développer un programme dans le cadre duquel les collègues des travailleurs les aident à acquérir les compétences dont ils ont besoin. Ce genre d'initiative a tendance à donner de bien meilleurs résultats et le taux de maintien des étudiants qui y participent est bien supérieur. Par contre, il conviendrait que le gouvernement fédéral examine les différents moyens qui s'offrent à lui pour faciliter ce genre de choses, car ces initiatives se sont avérées extrêmement utiles et bénéfiques au Canada.
• 1910
L'autre question que je désire aborder est celle de la
participation de ce qu'on appelle en Europe les partenaires
sociaux, à savoir les entreprises et les syndicats. Quel est leur
rôle? Ce n'est pas une démarche qui concerne uniquement les
différents paliers de gouvernement. Ce sont les employeurs et les
syndicats qui ont l'expertise voulue, et qui comprennent la
situation sur le terrain. Mais quel doit être leur rôle? Comment
les mettre à contribution et profiter de leur expertise?
Les gouvernements ne représentent pas seulement une source de financement. Ils peuvent également jouer le rôle de facilitateur. Ils peuvent diffuser de l'information. Il y a toutes sortes d'informations intéressantes sur les pratiques exemplaires. Par exemple, quel genre d'aide peut-on offrir aux syndicats pour leur permettre de s'adapter aux changements qui s'opèrent? Que peut-on faire pour aider les employeurs à s'adapter, et notamment ceux qui connaissent actuellement le taux de croissance le plus rapide, à savoir les entreprises ayant 20 employés ou moins? Ces employés n'ont pas les ressources internes qu'il faut pour mettre au point le type de programme de formation que peut élaborer une entreprise qui a plus de 500 employés. Par conséquent, il faut aligner toute une série de programmes et de ressources sur ces besoins-là, car ce sont ces entreprises-là qui ont actuellement le taux de croissance le plus rapide.
Je dois absolument partir. Excusez-moi.
Le président: Merci infiniment.
Je donne la parole à Jean Dubé.
[Français]
M. Jean Dubé: J'ai manqué un peu de ce qui s'est passé depuis l'heure du souper et j'espère que je ne changerai pas trop l'orientation de la discussion.
Je suis entièrement d'accord sur ce que Mme Jocelyne Côté-O'Hara a dit de M. Brault. Il semble bien connaître la situation.
Nous avons parlé des problèmes de la société, mais il faut aussi commencer à parler de solutions. Je vais commenter un peu les commentaires de mon collègue du Nouveau-Brunswick. Contrairement à ce qu'il dit, on ne se joindra pas au Québec, pas du tout. C'est sûr qu'au Canada, il y a des provinces qui sont en difficulté et que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer.
Le gouvernement fédéral, pendant plusieurs années, a essayé de trouver des solutions aux problèmes, mais c'étaient des solutions à court terme. Ils ont mis des diachylons sur les problèmes. Aujourd'hui, on voit plusieurs diachylons mais aucune solution. Des régions du Canada, y compris l'Atlantique et le Québec, ont un taux de chômage élevé. C'est une problématique canadienne, qui n'est pas propre à l'Atlantique. C'est un problème urgent.
Vous avez dit plus tôt que vous pensiez que la discussion d'aujourd'hui devrait porter sur l'avenir. Je pense aussi qu'il y a aujourd'hui un problème urgent, celui des personnes sans emploi, des Canadiens qui souffrent. Il faut trouver des outils pour régler notamment le problème de la formation et celui du transfert du fédéral au provincial au niveau de l'éducation. Je vous le dis, cela a été transféré au Nouveau-Brunswick, monsieur le président.
Le ministère du Développement des ressources humaines a transféré la responsabilité de l'éducation au provincial, comme pour le Québec. C'est sûr qu'il y a encore beaucoup de questions, mais cela semble bien fonctionner. Donc, il faudrait peut-être chercher des solutions régionales, mais il doit aussi y avoir des responsabilités fédérales.
Donc, je suis entièrement d'accord que notre fédération a un rôle important à jouer, mais nous devons trouver des solutions immédiates et urgentes. C'est ce que je retiens.
[Traduction]
Le président: Merci, Jean.
Je vais passer à Rob Anders, et ensuite à Nancy Riche.
Rob.
M. Rob Anders (Calgary-Ouest, Réf.): Dans un esprit de partage, monsieur le président, je vais présenter une idée que je tourne dans mon esprit depuis un moment, en invitant tous les participants à y réagir, s'ils le désirent.
Ce serait peut-être une expérience intéressante à faire—si je peux le présenter de cette façon—que de décider que le salaire de base d'un député serait équivalent au salaire médian au Canada—c'est-à-dire ce que gagne le travailleur moyen—et de prévoir un plafond salarial qui correspondrait à un multiple fixe de ce salaire médian. Je ne sais pas si ce serait un multiple de trois, de deux ou de quatre, mais disons qu'il y aurait un plafond salarial fixe.
• 1915
Ensuite, pour calculer le montant qu'il toucherait en plus du
salaire médian—que ce soit 50 p. 100 de plus, deux tiers de plus
ou trois quarts de plus, selon ce qui serait décidé—on tiendrait
compte de facteurs tels que le taux de mortalité infantile, le taux
d'analphabétisme, le taux d'homicide ou de criminalité, les impôts
en tant que pourcentage du revenu, le taux de chômage, peut-être
les suicides, le taux de croissance du PIB, les arrêts de travail
causés par des conflits, les listes d'attente pour obtenir les
soins et les services de santé, l'inflation, etc.
Si on avait un système de ce genre, peut-être que davantage de députés commenceraient à chercher des solutions concrètes. Ce serait une expérience tout à fait fascinante.
Une voix: Une incitation, quoi.
M. Rob Anders: Oui, c'est çà: un système d'incitation à l'intention des députés.
Je pense que très rapidement, on verrait un changement d'attitude; les députés commenceraient à s'ouvrir aux idées nouvelles et à chercher des solutions concrètes en ce qui concerne la façon d'analyser et d'aborder ce problème. Je pense que certains d'entre eux seraient même prêts à laisser de côté les conflits de compétence entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinces, etc. Ce serait une expérience tout à fait fascinante, monsieur le président.
Donc, je vous lance l'idée et j'attends vos réactions.
Le président: Merci, Rob. Nous attendons avec impatience le dépôt de votre projet de loi d'initiative parlementaire.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Madame Riche.
Mme Nancy Riche: Je voudrais développer quelque peu ce que disait Eugene tout à l'heure.
Le comité a l'occasion... Je pense que c'est à l'automne que débutera l'examen du projet de loi modifiant la partie III du Code canadien du travail, qui concerne les normes minimales. Il y a eu un autre report. Le comité doit savoir que la partie I du Code a été rédigée par un comité tripartite composé de représentants des employeurs, des syndicats et du gouvernement. Il est possible de faire ça, donc...
Mais la partie III concerne les travailleurs non syndiqués, et par conséquent, elle nous offre l'occasion à nous tous d'examiner les normes minimales et d'envisager même de préparer une sortie de loi modèle, comme le disait Eugene, qui pourrait faire l'objet de discussions dans le contexte fédéral-provincial...
Mais ce qui m'inquiète encore plus, c'est nos faibles chances de succès au sein d'un Parlement aussi fragmenté. Cinq partis différents, qui ont tous des opinions assez différentes, sont maintenant représentés à la Chambre des communes. Par conséquent, je pense qu'il y aurait peut-être lieu d'adopter une approche quelque peu différente.
Les problèmes du Québec sont les mêmes qu'ailleurs au Canada dans ce domaine. Tout le monde a le même problème. Le Québec n'est pas différent du reste du pays pour ce qui est de l'évolution du travail. Si les députés pouvaient laisser de côté les intérêts partisans et attaquer avec sérieux le problème de la révolution industrielle des années 90 ou du nouveau millénaire...
Pour moi, c'est tout à fait essentiel. Peu importe que le pays reste uni ou non; les femmes vont toujours gagner 70 cents pour chaque dollar que touchent les hommes, et les femmes vont continuer d'être concentrées dans des secteurs où les emplois sont faiblement rémunérés surtout que les secteurs industriels et tertiaires connaissent maintenant une baisse d'activité.
Nous sommes dangereusement proches des conditions qui existaient juste avant la Révolution française, alors qu'un tout petit groupe de membres de la haute société étaient extrêmement riches. Peu importe le taux de suicide à Toronto, le vice-président de la Banque de Montréal continue à gagner énormément d'argent, comparativement à... Donc, nous allons nous retrouver avec un tout petit groupe de dirigeants et toute une armée de personnes qui leur fournissent des services. C'est ce que dit votre document—peut- être pas de la même façon, mais on parle bien de services personnels: le nettoyage à sec, les hôtels, les restaurants, les services alimentaires, etc. Et nous allons tous être touchés, peu importe notre position sur le séparatisme ou la souveraineté.
Il y a tout de même une différence entre les normes nationales et l'exécution des programmes. Il est possible d'élaborer des normes au niveau fédéral et de faire exécuter les programmes au niveau provincial.
Au Canada, nous avions l'habitude de consacrer des milliards de dollars à la formation. Encore une fois, je suis d'accord avec John Richards: le programme que nous avons mis sur pied n'a pas été bien évalué. Il n'est guère étonnant qu'il soit mal vu. À trois reprises, la population de Terre-Neuve a reçu de la formation pour pouvoir faire de la soudure. C'est tout à fait étrange.
• 1920
Pour ma part, je suis un produit du système des collèges
communautaires. J'appuie vigoureusement le système parlementaire et
le rôle de l'État, mais je peux vous dire que, dans le temps, si
les gens fréquentaient les collèges communautaires, c'est parce
qu'on leur donnait 200 $ par semaine pour y aller. Peu importe
qu'on n'ait pas de plan de carrière; tout le monde s'en fichait.
Ça, c'était l'ancien système de formation de la main-d'oeuvre.
Et maintenant, au lieu de faire une évaluation rigoureuse et de prendre des mesures correctives, le gouvernement a simplement décidé de ne plus dépenser un sous pour la formation; voilà des milliards de dollars qui disparaissent du secteur de la formation. Le programme de la planification de l'emploi a également disparu. Arlene parlait tout à l'heure des conseils sectoriels, et selon le secteur concerné, il est vrai qu'ils ont réussi à faire des choses tout à fait étonnantes. Ils sont actifs. Le gouvernement a éliminé le financement de ces activités-là, mais ils sont actifs quand même.
Le CCCES et des tables rondes comme celles qui ont été organisées par le passé devraient être réactivés. Comme je le disais au président, j'aimerais bien préparer de l'information sur le sujet. Par exemple, le Syndicat des métallurgistes et l'industrie sidérurgique ont réussi ensemble à faire des choses très intéressantes dans le cadre des conférences organisées par le Conseil canadien du commerce et de l'emploi dans la sidérurgie—Yvon est certainement au courant de ça—pour ce qui est du recyclage des travailleurs et des mesures qui vont leur permettre de sortir de cette industrie.
Donc, il y a eu un certain nombre de réalisations, et au moment de faire l'évaluation, il faudrait en tenir compte. Mais il faut absolument se lancer. Personne ne prétendrait à présent que le monde du travail ne subit pas des changements profonds. Il est vrai que nous avons peut-être essayé d'y résister pendant un moment.
Une voix: Pas peut-être.
Mme Nancy Riche: Et heureusement que nous l'avons fait. Ce livre parle des innovations—par exemple du travail réalisé par le Centre canadien du marché du travail et de la productivité dans le domaine des pratiques exemplaires et l'évolution du milieu de travail—autrement dit, la façon dont les travailleurs, leurs syndicats et... Là où ils ont essayé d'imposer une certaine chose aux travailleurs, sans leur demander leur avis, le résultat a été tout à fait catastrophique. Citons, à titre d'exemple, la compagnie de téléphone de l'Île-du-Prince-Édouard, qui a dû faire marche arrière et accepter de tenir compte des préoccupations des uns et des autres, et une fois qu'elle l'a fait, la situation a changé. Il y a toutes sortes de projets novateurs en train en ce moment. Voilà donc un premier aspect important.
L'autre aspect important, c'est qu'il y a des changements encore plus profonds qui s'opèrent en ce moment. Ces changements sont d'une telle ampleur que nous n'osons même pas nous y attaquer. Il est beaucoup plus facile de se disputer au sujet de la souveraineté. Il est beaucoup plus facile aussi d'attaquer la droite ou la gauche et de perdre son temps à discuter d'imbécillités. Tout cela est plus facile, car nous assistons en ce moment à une transformation qui est plus importante encore que celle qu'a amenée la révolution industrielle. Nous allons peut-être devoir décider à un moment donné que toutes sortes de personnes ne pourront plus jamais travailler. Et qu'est-ce qu'il faut en faire? Avons-nous un supplément de revenu garanti à leur offrir? Qu'est-ce qui se passe? Voilà le genre de problèmes auxquels le comité devrait s'attaquer.
Le mouvement syndical serait ravi de participer à ce genre d'étude, et on peut espérer que ce sera possible sans confrontation. Nous pourrions ne pas être d'accord, mais rappelez- vous que je suis la représentante des syndicats au sein du Centre canadien du marché du travail et de la productivité. Nous siégeons à la même table avec les représentants des entreprises. Et vous seriez peut-être surpris de constater que nous sommes souvent sur la même longueur d'onde. Nous avons justement élaboré une position conjointe au sujet du programme d'assurance-chômage; le comité n'en a pas du tout tenu compte.
À mon avis, personne au Canada ne pensait que les syndicats et les entreprises trouveraient un terrain d'entente en ce qui concerne l'assurance-chômage. Mais cela se produit de plus en plus. Ce n'est pas dans les grandes réunions que cela peut se faire; là les gens se croient obligés de prendre des attitudes. Dans ce contexte, c'est l'esprit de clocher qui règne. Mais quand les gens mettent de côté leurs intérêts personnels, toutes sortes de choses intéressantes peuvent se produire, et ce dans le monde entier.
Arlene continue à dire: «On ne peut pas toujours se comparer aux États-Unis.» Dieu nous en garde. Il faut surtout éviter de se comparer aux États-Unis. Le taux de pauvreté, le salaire minimum, et tout le reste—c'est vraiment incroyable.
Mais ce n'est qu'un début. Il existe toutes sortes d'informations et de projets intéressants qui sont déjà en cours.
Je ne veux pas monopoliser la discussion. Je voulais simplement vous dire que c'est cette approche-là qu'il faut adopter. Ensuite vous pourrez toujours parler du transfert des responsabilités, du financement, etc. Mais il faut d'abord décider de ce qu'on veut faire.
Le président: Très bien. Je donne la parole à Libby, et ensuite ce sera à Jocelyne.
Mme Libby Davies: D'abord, permettez-moi de m'excuser d'avoir manqué une bonne partie de la discussion, mais j'ai dû retourner à la Chambre.
Je voulais revenir sur une remarque de Nancy, et sur ce que disaient Eugene et Arlene également, au sujet de la formation et de l'évolution dans ce secteur.
Depuis un certain nombre de mois, j'organise des tables rondes dans ma circonscription électorale pour discuter du chômage chez les jeunes, tables rondes auxquelles participent également des jeunes. Bon nombre d'entre eux sont des jeunes qui travaillent avec les enfants de la rue et qui participent donc à différents programmes. Certains vont à l'école et d'autres suivent différents cours de formation.
Mes discussions avec eux ont été vraiment intéressantes, et l'élément qui revient sans cesse, c'est le manque de continuité. Les jeunes participent à un programme pendant six semaines, et après c'est fini. Ensuite ils vont s'inscrire à autre chose dans une école, et après c'est fini. La fois suivante ils participent à un programme d'apprentissage, et après c'est terminé. Alors ce manque de continuité constitue vraiment un problème, à leur avis.
• 1925
Nancy parlait des collèges communautaires d'il y a une
vingtaine d'années, du système de formation de la main-d'oeuvre et
du fait qu'il n'y avait pas d'orientation claire. Mais c'est encore
le cas. C'était assez décourageant d'entendre tous ces jeunes,
parce qu'ils étaient assez cyniques et pessimistes; ils n'avaient
pas l'impression que leur perspective d'avenir était très
encourageante et qu'ils arriveraient à se trouver un emploi.
C'était d'ailleurs assez choquant de les entendre. Donc, pour moi
ce dossier est extrêmement important et mérite d'être débattu avec
sérieux; il faut non seulement parler de la nature du travail mais
envisager d'élaborer une sorte de norme nationale.
Je suis très inquiète quand je pense à la possibilité qu'il existe un ensemble de mesures disparates d'un bout à l'autre du pays, et que selon la région où l'on habite, on peut ou non avoir accès à la formation; si vous avez un peu de chance, vous pourrez bénéficier de bons programmes, mais sinon, tant pis. Il me semble que c'est au fédéral d'établir ce type de normes. Alors je voulais simplement proposer que cet élément-là fasse partie de la discussion.
Le président: Merci, Libby.
Mme Jocelyne Côté-O'Hara: Merci. Je pense que le comité peut se féliciter d'avoir pu bénéficier de l'excellent travail réalisé par certaines des personnes dont vous avez parlé. Si vous lisez le texte à l'onglet 4, vous verrez qu'il résume de façon tout à fait exceptionnelle la situation actuelle. Il présente un diagnostic qui me paraît très convaincant. À mon avis, vous pouvez vous appuyer là-dessus pour élaborer votre plan de travail.
Mais par rapport aux points soulevés par d'autres intervenants, je voulais simplement dire que pour moi, le travailleur intellectuel de nos jours correspond au travailleur des chaînes de montage d'autrefois. À mon avis, le travail du comité doit absolument être coordonné avec les autres initiatives qui se déroulent au sein du gouvernement, en dehors des discussions sur la Constitution, le transfert des responsabilités, etc.
Si je comprends bien—je suis de Toronto mais je me déplace beaucoup au Canada—vous avez une grande plate-forme, et même si c'est celle du Parti libéral, d'autre l'appuie. Et personne ne conteste sa validité. Quand on parle d'un Canada branché, on parle nécessairement des travailleurs intellectuels et de la nécessité pour le Canada de jouer un rôle de chef de file dans la création de ce genre d'emplois.
Il faut bien comprendre que tout ce secteur est en pleine crise. Nous n'avons pas les travailleurs qu'il nous faut. Nous sommes obligés de les faire venir d'Asie. Aux États-Unis, il paraît, d'après les derniers chiffres que j'ai vus cette semaine, qu'ils ont besoin de deux millions de travailleurs. Donc, il est sûr et certain que la fuite est déjà bien amorcée. Les diplômés sortent de nos universités et ils partent aussitôt après. L'industrie américaine a conclu des ententes spéciales avec nos universités au Canada pour mettre la main sur les gens les plus compétents, et ils n'hésitent pas un instant à partir.
Je ne veux pas faire le prophète de malheur, mais à mon avis, il faut absolument une stratégie. Si le comité ne prend pas l'initiative de dire: «Vous là-bas, qui êtes au gouvernement, vous dites que vous voulez que tous les Canadiens soient branchés. Et vous là-bas, vous dites que vous avez une excellente méthode de livraison. Pour sa part, le gouvernement peut faire fonction de centre de collecte et de diffusion d'information. Il va assumer un nouveau rôle et sera ouvert au public.» Si vous voulez faire toutes ces choses, il va bien falloir que vous élaboriez une stratégie appropriée pour obtenir les travailleurs qu'il vous faut.
Quels sont les éléments constituants de votre boîte d'outils—les changements législatifs, la promotion, les politiques qu'il faut débattre? Le fait est qu'il n'y a pas eu de débat. Il n'y a pas eu de Davos sur l'avenir des travailleurs intellectuels. On se contente de parler de questions économiques, et je trouve vraiment inquiétant qu'on ne juge pas bon de tenir compte de la dimension humaine dont parlait Yvon.
En ce moment des pourparlers importants se déroulent sur la possibilité de fusions. Mais si vous analysez les fusions du passé en vue de déterminer les facteurs qui ont contribué au succès de certaines grandes fusions, vous verrez que là où la démarche a été une réussite, c'est parce que l'on a accordé énormément d'importance à la dimension humaine. Il va y avoir toute une transformation, car ce n'est pas uniquement dans le secteur financier que les fusions se réalisent, il va y avoir des regroupements dans tous les secteurs des communications. Et on peut s'attendre aussi à ce que le même phénomène touche le secteur des services publics. Tout cela va changer radicalement le travail.
• 1930
Comprenez-vous le travailleur intellectuel? Voilà la question
que je vous pose en tant que comité. C'est vous qui élaborez les
lois, mais avez-vous bien compris les besoins de cette...? Avez-
vous posé les bonnes questions?
Je suis inquiète. Je suis là ce soir parce que je connais un certain nombre de personnes dans ce milieu, mais mes collègues, les personnes avec lesquelles je travaille dans mon secteur, ne sont pas venues. Vous devez donc vous demander pourquoi ces personnes n'ont pas voulu venir?
Vous excuserez mon audace, mais je sais, à titre d'ex- lobbyiste pour l'industrie du téléphone, qu'il ne faut jamais perdre une occasion de discuter avec les législateurs des dispositions qui risquent d'influer sur mon entreprise. Donc, vous devez vous demander ce qu'il faut faire pour encourager les personnes dont elle parle ici d'établir un partenariat avec vous?
En tout cas, j'espère que ces quelques commentaires sont utiles. On vous lance des idées à explorer. Je me ferais un plaisir de jouer le rôle d'intermédiaire ou de vous aider dans la mesure du possible, même si mon rôle dans la vie a changé, et continue à changer, comme le vôtre, d'ailleurs.
Le président: Cela m'intéresse, je pense à cette histoire des travailleurs intellectuels, et à ce que disait Nancy au sujet des soudeurs de Terre-Neuve; quand nous avons fait notre étude de la sécurité sociale, on a vu que c'était les coiffeurs et... La liste était interminable, selon la région du pays concerné et les personnes disponibles pour faire de la formation. En tout cas, cela n'avait rien à voir avec les besoins de quiconque.
Je donne la parole à Yvon, et ensuite ce sera à nouveau le tour de John.
[Français]
M. Yvon Godin: J'aurais aimé une réponse à la première question.
Je ne sais pas si vous êtes d'accord avec moi là-dessus, mais j'ai fait partie du comité national de formation dans les mines, un comité formé d'employeurs et de syndicats. On s'est mis ensemble pour élaborer des programmes de formation pour les gens dans les mines. J'ai fait partie de ce comité-là.
J'ai fait partie du comité national de formation dans les pêches du Pacifique et de l'Atlantique. Ce comité comptait des gens de Terre-Neuve, de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard, de la Gaspésie et de Vancouver.
J'ai trouvé cela vraiment intéressant. C'est là que je vois le rôle du gouvernement fédéral. Le fédéral peut s'asseoir avec les gens de toutes les provinces et élaborer des programmes de formation, et ensuite s'asseoir avec les provinces en vue d'améliorer les choses selon les besoins de chacune des provinces. Cela coûterait bien moins cher.
Je vais vous donner un exemple. Un forklift se conduit partout de la même manière, qu'on soit à Vancouver ou à Terre-Neuve. Pourquoi élaborerait-on un programme pour conduire un forklift à Terre-Neuve, un autre à Vancouver et encore un autre à Sudbury? Ce serait de l'argent gaspillé.
Finalement, les employeurs et les syndicats se sont assis ensemble et on dit: «C'est cela qu'on va faire et on va les ramener dans les régions.» Je vois une bonne participation du fédéral. On devrait être capables de le faire. En tant que gouvernement fédéral, on pourrait réunir toutes les provinces afin de mettre sur pied des programmes.
Je suis obligé d'être d'accord avec Jocelyne quand elle dit qu'on est en retard dans les programmes. Je vais vous donner un exemple.
Il y a eu des changements à l'assurance-emploi. Les gens de chez nous qui travaillent dans une usine de poisson ont de la misère à faire leurs 420 heures. Ils reçoivent à peu près 26 semaines d'assurance-emploi. L'assurance-emploi finit au mois de janvier pour ne reprendre qu'en mai. Je vous ai dit que le poisson ne se prenait pas sous la glace. On n'est pas sur le lac Ontario, avec des petites lignes et un trou grand comme cela à essayer de sortir le poisson. Il faut des bateaux sur l'eau. Dans l'Atlantique, Il faut le pêcher, le poisson.
Le gouvernement sait que depuis les changements à l'assurance-emploi, il y a chez nous un problème qu'on appelle le trou noir. Il est très noir, ce trou. Il y a plusieurs personnes qui n'ont pas mangé pendant cette période.
Le gouvernement fédéral arrive à la dernière minute et dit: «Oui, oui, on va vous aider. On va vous donner 5 millions de dollars. Occupez-vous des gens.» J'ai parlé avec les collèges de ma région et ils me disent: «Pourquoi ne nous disent-ils pas à l'avance qu'ils vont être là l'année prochaine? On pourrait préparer nos professeurs, nos collèges et nos cours de formation.»
• 1935
Au Nouveau-Brunswick, comme tout le monde le sait, on
commence à avoir des centres d'appels. On pourrait
prendre ces gens-là pendant cette période de 8
ou 12 semaines et leur donner de la formation
pour qu'ils soient capables d'aller travailler dans ces
industries-là. Cela attirerait l'industrie. On
pourrait alors dire: «Écoutez, vous pouvez venir au
Nouveau-Brunswick. Vous êtes bilingues, vous parlez
français et anglais, et il y a un bon
potentiel pour ce genre de jobs». On pourrait attirer
des compagnies qui feraient travailler
les gens.
Mais, comme mon collègue le dit, l'argent arrive toujours à la dernière minute et il n'y a pas de programmes. Ces gens arrivent au collège, on leur trouve un local et il s'assoient.
Je vais vous raconter une histoire, mais vous ne me croirez peut-être pas. C'est terrible. Vous allez peut-être rire et dire que je suis un menteur, mais je vous assure que c'est tout à fait véridique.
Là où il y a des cours, ils prennent les gens et leur font faire un petit avion. On fait faire cela à des dames de 54 ou 60 ans, juste parce qu'il faut que ces gens vivent. On leur fait faire un petit avion et celui dont l'avion va aller le plus loin va gagner un candy. Pensez-vous que c'est intéressant pour une personne de 54 ans de s'amuser à ces jeux-là? S'ils ne s'amusent pas à ces jeux-là, ils n'ont pas d'argent pour vivre.
Vraiment, le fédéral manque complètement le bateau. Il va falloir qu'il se mette dans la tête que le problème est là, que du mois de janvier au mois de mai, il va falloir que les gens vivent et qu'on leur donne de l'argent. Voici une belle occasion de mettre des programmes en marche pour créer de véritables emplois pour ces gens. Il faut cesser de s'amuser à leurs dépens.
Je ne sais pas si vous êtes d'accord sur les commentaires que je viens de faire et je ne sais pas si cela a du sens, mais c'est une façon de faire. Il y en a une autre: le fédéral peut rassembler les gens de toutes les provinces pour mettre sur pied des programmes afin que cela coûte moins cher au pays et aux provinces. Il ne faut pas réinventer la roue. Merci.
[Traduction]
Le président: Merci.
Je sais que notre temps sera bientôt épuisé, étant donné que les gens doivent prendre des avions ou partir pour d'autres raisons.
Monsieur Richards, je vais vous donner la parole maintenant, et après je ferai moi-même une remarque ou deux avant de lever la séance.
M. John Richards: J'ai quatre points à soulever très rapidement.
Monsieur Godin, je reconnais ne pas connaître tellement les difficultés que vous connaissez au Canada atlantique. Je suis tout à fait prêt à faire confiance au comité pour ce qui est des détails. C'est lui qui examine ces problèmes en profondeur. Donc, je ne pourrai pas apporter grand-chose au débat ce soir sur cette question-là.
Deuxièmement, puisque Nancy et moi sommes d'accord sur quelque chose pour une fois, profitons-en. Disons que l'évaluation des programmes sociaux est une activité difficilement critiquable... un peu comme la maternité. Je suppose qu'on va m'accuser de défendre des valeurs familiales traditionnelles. Mais comme la maternité, l'évaluation des programmes est très importante, alors que ce n'est pas facile à faire. Il faut pouvoir réunir les compétences d'un bon chercheur universitaire et celles d'un bon communicateur. Il faut faire participer les groupes communautaires, les universitaires, les évaluateurs de programmes et les fonctionnaires. Il faut pouvoir en diffuser les résultats aux universitaires et aux citoyens. Pour faire de bonnes évaluations, il faut d'abord examiner en profondeur les méthodes des organismes qui ont connu du succès dans ce domaine. Voilà un autre sujet d'étude pour le comité, y compris les améliorations éventuelles à apporter aux méthodes d'évaluation actuelles.
Troisièmement, quand quelqu'un commence à parler d'un ensemble de mesures disparates et de la nécessité de normes nationales, je me hérisse tout de suite, car je sais que ce qui va suivre, c'est l'accusation que les gouvernements provinciaux administrent mal les programmes et qu'il faut aller leur secouer les puces.
Une voix: Nous savons déjà ce que vous en pensez.
M. John Richards: Permettez-moi de vous citer un exemple très optimiste. Vous devriez aussi penser à l'alternative, à savoir que la concurrence entre les provinces finit souvent par créer de bonnes politiques sociales, justement parce qu'il n'y a pas de normes nationales et qu'on peut expérimenter. Souvent les normes nationales imposent la conformité, c'est-à-dire le respect de normes définies par une génération précédente, ce qui fait obstacle à l'innovation.
Maintenant mon quatrième et dernier point, c'est qu'il faut mettre l'accent sur ce qui est vraiment important, c'est-à-dire ce qui se passe à l'heure actuelle, et plus précisément les négociations interprovinciales au sujet d'un accord-cadre sur l'union sociale. Qu'on le veuille ou non, le gouvernement fédéral n'a plus un levier financier suffisamment puissant pour jouer un rôle aussi prépondérant dans la politique sociale qu'il pouvait le faire il y a une génération. Qu'on le veuille ou non—et moi, je suis plutôt favorable—les provinces vont nécessairement prendre les initiatives.
• 1940
Par contre, la plupart des provinces ont le sens politique
suffisamment développé pour savoir qu'elles doivent le faire tout
en rassurant les Canadiens quant à la possibilité que la situation
devienne invivable si nous nous retrouvons avec un ensemble de
mesures disparates.
Étant donné que c'est dans votre intérêt à vous tous de disposer d'une bonne politique sociale, je pense qu'il serait tout à fait approprié que vous exposiez clairement au cours des prochains moins quels sont les éléments essentiels à prendre en compte, par exemple, pour assurer la transférabilité des compétences et une meilleure mobilité interprovinciale.
S'il y a deux fantômes dans toute cette démarche, le premier serait certainement le gouvernement du Québec, qui s'intéresse à la souveraineté et veut éviter de participer à une démarche essentiellement fédéraliste. L'autre fantôme serait Ottawa, car pour vous dire vrai, Ottawa semble préférer avoir les mains libres. C'est-à-dire que si telle initiative sociale se révèle populaire, et que c'est une initiative provinciale, le gouvernement fédéral aimerait bien y participer.
Pour moi, ce n'est que de l'opportunisme politique. Je trouve malheureux que nous n'ayons pas réussi jusqu'à présent à enrayer ce genre de problème. Le résultat, c'est que les administrations provinciales de toutes les allégeances politiques, qu'elles soient de gauche, de droite ou centristes ou qu'elles défendent la souveraineté au Québec ou ailleurs—ont une certaine réticence à l'égard du Parlement, parce qu'elles craignent justement qu'une plus grande liberté financière s'accompagne d'interventions fédérales opportunistes dans la politique sociale. Ces dernières risquent de nous faire répéter les erreurs du passé en rétablissant le modèle de l'unilatéralisme fédéral en matière d'octroi ou de retrait de crédits, ce qui n'est guère positif pour la politique sociale.
Puisque ce sera certainement ma dernière intervention, monsieur le président, je tiens à vous remercier tous de m'avoir invité. J'espère que mes propos ne vous ont pas trop ennuyés et que vous aurez réussi à rester éveillés. Une fois de plus, merci infiniment. Je vais devoir bientôt partir si je veux pouvoir attraper mon avion et me présenter au siège social de l'Institut C.D. Howe.
Le président: Je pense qu'on peut affirmer sans risque de se tromper que le comité ne vous a pas trouvé ennuyeux. Certains trouveraient peut-être d'autres adjectifs plus appropriés pour vous décrire, mais ce n'est certainement pas celui-là qu'ils choisiraient.
John, je vous permets de faire une dernière remarque, et après...
M. Jean Dubé: Je voudrais faire une brève remarque au sujet de l'évaluation des programmes avant que vous ne leviez la séance. Nous avons tous constaté les effets sur la population canadienne de la réforme du programme d'assurance-emploi. Donc, il faut faire attention avant d'apporter d'autres changements à nos programmes, et s'assurer que ces changements ne vont pas influer de la même façon sur les Canadiens. Nous sommes actuellement en train d'évaluer le résultat de la réforme du programme d'assurance- emploi, et le premier rapport publié ne présentait absolument aucune solution. Entre-temps, les gens souffrent beaucoup. Donc, avant d'envisager de modifier les programmes actuellement en vigueur, assurons-nous que ces changements ne vont pas nuire à la société canadienne.
Mme Nancy Riche: Pourrais-je faire un petit commentaire sur l'évaluation? D'abord, certains des programmes n'avaient vraiment pas évolué suffisamment pour qu'on puisse les évaluer.
Il faut continuer à faire cette évaluation pendant les cinq prochaines années, si nous voulons éviter d'imposer des changements de manière trop définitive... c'est-à-dire que nous pourrions continuer d'y apporter des changements pendant cette période. J'en ai déjà discuté avec le sous-ministre, et nous allons justement proposer de nous y inclure.
Après tout, les intervenants, les personnes directement concernées, n'ont pas été consultés; on ne leur a pas demandé leur avis avant de faire cette évaluation. Nous sommes d'ailleurs en train de faire notre propre évaluation en quelque sorte au Canada atlantique seulement, mais nous serions très heureux de partager les résultats avec vous.
J'hésite à vous dire ça, mais les gens sont assez satisfaits de certaines conclusions. Mais si je ne m'abuse, elles concernent surtout les projets pilotes dont parlait Yvon concernant la semaine de travail réduite, etc... De toute façon, nous nous ferons un plaisir de partager les résultats de cette évaluation avec vous. Il faut absolument que les évaluations qui vont être préparées au cours des quatre prochaines années reflètent le point de vue des intéressés.
En réalité, c'était un rapport assez honnête.
Le président: Je voudrais ajouter quelque chose. Vous dites que vous avez des documents concernant les provinces de l'Atlantique que vous pouvez partager avec nous, mais j'aimerais savoir s'il nous serait possible de les avoir bientôt?
Mme Nancy Riche: Non, ce travail n'est pas encore terminé, mais une réunion est prévue pour la fin juin. Je m'attends à recevoir un rapport à ce moment-là, et je m'engage à vous le transmettre.
Le président: Nous avons convenu de consacrer une autre journée au programme d'assurance-chômage et au rapport sur le sujet avant l'ajournement de la Chambre en juin. Mais peut-être pourrions-nous en discuter à l'automne.
Mme Nancy Riche: Eh bien, si le rapport est prêt avant... De toute façon, je vais vérifier. Il y a déjà eu des rencontres entre notre personnel, celui du CTC...
Le président: Donc, vous allez vous renseigner et nous le faire savoir?
• 1945
En terminant, je voudrais simplement vous remercier tous. Je
vous suis très reconnaissant d'avoir accepté de prendre le temps de
venir discuter de ces questions avec nous. Dieu seul sait sur quoi
tout cela va déboucher, mais il nous le dira peut-être un jour.
Une voix: J'ai trouvé la discussion très utile. Juste pour rassurer les gens au sujet des résultats de toute cette démarche... Après tout, si cela se terminait en queue de poisson, ce serait terrible.
Donc, à titre de membre du comité, j'aimerais savoir ce que nous avons l'intention de faire pour ne pas perdre le contenu que nous avons réussi à créer et pour poursuivre ces discussions au fur et à mesure de cette démarche. Il serait bon que le comité communique à nouveau avec les personnes qui ont pris le temps de venir nous rencontrer, pour les tenir au courant des progrès que nous aurons accomplis.
Le président: Oui, absolument. Nous avons pris beaucoup de notes. Elles seront remises à un groupe d'attachés de recherche représentant tous les partis en vue de rédiger un document qui satisfera tout le monde.
C'est ça l'objectif. Nous voulons essayer de dégager un consensus sur certaines questions. Donc, les notes seront remises à notre groupe d'attachés de recherche, et quand nous aurons un document, fondé sur les notes que nous avons prises, qui satisfait tous les membres du comité, nous le diffuserons à tous les autres.
Une voix: Va-t-il y avoir des discussions à ce sujet?
Le président: Le président s'en remet à la volonté des membres du comité. Par conséquent, nous allons en discuter à la prochaine réunion du comité directeur, et j'attends vos conseils à ce sujet.
Une voix: Je pensais que vos intentions étaient déjà bien arrêtées.
Le président: M'accusez-vous d'avoir des intentions cachées?
Des voix: Oh, oh!
Le président: Mais cela me rappelle quelque chose; je ne sais pas si j'ai vraiment expliqué ça aussi clairement que je l'aurais dû. Ce que nous essayons de faire, avec beaucoup de mal parfois, c'est de faire progresser le comité dans les domaines où les cinq partis sont d'accord. Comme vous l'avez vu vous-même, il existe déjà un bon terrain d'entente sur certains éléments. Alors, nous verrons bien.
Merci infiniment. La séance est levée.