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HRPD Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON HUMAN RESOURCES DEVELOPMENT AND THE STATUS OF PERSONS WITH DISABILITIES

COMITÉ PERMANENT DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES ET DE LA CONDITION DES PERSONNES HANDICAPÉES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 24 mars 1998

• 1535

[Traduction]

La vice-présidente (Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.)): La séance est ouverte.

Bonjour, mesdames et messieurs. Il s'agit de la première séance publique du comité qui étudie le projet de loi C-19. J'ai le plaisir de vous présenter notre premier témoin, M. Gerald Chipeur, qui représente les Chambres de commerce de l'Alberta, de Calgary et d'Edmonton.

Monsieur Chipeur, vous avez la parole.

M. Gerald Chipeur (Chambres de commerce de Calgary, d'Edmonton et de l'Alberta): Merci, madame la présidente. Je représente aujourd'hui les Chambres de commerce de l'Alberta, de Calgary et d'Edmonton. Chacune a examiné le contenu du projet de loi C-19 et estime que les trois modifications proposées au Code canadien du travail dans le projet de loi même compromettent les principes fondamentaux d'une société libre et démocratique. Ces principes sont le droit à la vie privée, le droit à la démocratie et la liberté économique.

Chacune des chambres de commerce a adopté une résolution précise sur la question; elles vous seront remises séparément. Cet après-midi, j'aimerais vous résumer les préoccupations des trois organisations.

Mais d'abord, il est important que le comité comprenne que le projet de loi C-19, document que vous avez tous entre les mains, ne reflète pas l'opinion générale des employeurs et des employés canadiens. Cet ouvrage, Seeking a Balance, est à la source du projet de loi C-19, mais les deux ne se ressemblent pas. La preuve la plus évidente qu'il n'y a pas de consensus sur le projet de loi C-19 est le témoignage du Congrès du travail du Canada devant le comité de la Chambre des communes sur le projet de loi C-66 où ses représentants ont dit qu'on ne s'entendait pas sur la question des travailleurs de remplacement, ni sur la liberté économique; les témoins ont ensuite critiqué le projet de loi C-19 qu'ils estimaient ne pas aller assez loin pour protéger les travailleurs de remplacement.

Il importe aussi que vous compreniez que même ce document-ci est le produit d'une consultation restreinte et précipitée. La pratique du droit et du droit du travail, nous connaissons cela aussi en Alberta. On nous a avisés un mardi que des audiences auraient lieu le jeudi suivant à Vancouver, et on nous a demandé si nous pourrions y participer? Les gens occupés ne peuvent modifier leur emploi du temps pour aller dans une autre ville avec un préavis de 48 heures. Donc, ce document est le résultat d'une consultation restreinte et précipitée. On n'a pas procédé aux consultations nécessaires pour modifier une mesure législative qui est restée inchangée depuis 25 ans. Si l'on veut faire ce genre de refonte en profondeur, il faut consulter plus sérieusement les intéressés.

Cela dit, notre but n'est pas d'examiner devant vous toutes les dispositions du projet de loi C-19 sur lesquelles il y a consensus. Il est inutile de répéter tout cela. Nous sommes ici pour aider le comité et le gouvernement à améliorer le projet de loi afin qu'il reflète fidèlement la volonté du Parlement et l'opinion des Canadiens. La version actuelle du projet de loi C-19 ne représente pas le consensus atteint il y a trois ans, ni les opinions de la grande majorité des Canadiens.

Votre comité devrait également comprendre qu'il y a de bonnes raisons de modifier le projet de loi C-19, la première étant qu'il s'est écoulé trois ans et qu'il y a eu des élections générales depuis la publication de Seeking a Balance en 1995.

Votre comité n'a pas été consulté à l'étape de la rédaction. Vous ne l'avez pas été avant la deuxième lecture. Il n'y a pas eu de consultation initiale. On ne vous a pas donné l'occasion d'apporter votre contribution au projet de loi C-19 à l'étape de la rédaction.

Troisièmement, le comité sénatorial permanent qui a examiné le projet de loi antérieur, le projet de loi C-66, a recommandé des amendements dans trois domaines. Le comité a fait part de ses réserves dans un rapport déposé au Sénat le 25 avril 1997 dont nous vous avons remis des exemplaires.

• 1540

Quatrièmement, le ministre a effectivement tenté d'aborder les points soulevés par le comité du Sénat, mais d'après nous, les mesures proposées ne vont pas assez loin. De fait, en accordant un pouvoir discrétionnaire au nouveau Conseil canadien des relations industrielles, votre comité et le Parlement n'auront rien à dire sur la façon dont ces clauses seront interprétées; vous avez donc exactement le même problème avec ce projet de loi qu'avec le projet de loi C-66 au moment où le Sénat en avait été saisi.

Comme je l'ai déjà indiqué, la cinquième raison est qu'il n'y a pas de consensus en ce qui concerne ces trois questions.

Enfin, si votre comité répondait adéquatement aux trois grandes préoccupations soulevées par le Sénat et si les amendements recommandés au ministre allaient également dans ce sens, vous recueilleriez probablement un assez large appui dans tout le Canada, particulièrement chez les gens d'affaires.

Quelles sont donc ces trois préoccupations? Premièrement, la vie privée. À la page 1285 de son rapport, le comité sénatorial signale que l'article 50 pose un problème. Ses membres ont indiqué que toutes les mesures raisonnables devaient être prises pour informer les employés concernés de son champ d'application et leur permettre de faire valoir leurs inquiétudes quant à leur vie privée et à leur sécurité. À tout le moins, le Conseil devrait traiter très sérieusement le cas de tout employé qui demande qu'on ne fournisse pas certains renseignements qui le concernent.

Votre comité estime également que le Conseil canadien des relations industrielles doit se conformer à la Loi sur la protection des renseignements personnels. La seule façon de s'assurer de la protection de la vie privée est de retrancher l'article 50 du projet de loi C-19. Le ministre a tenté d'améliorer l'ébauche de l'article 50, mais il n'en demeure pas moins que le Conseil dispose actuellement du pouvoir discrétionnaire de communiquer le nom et l'adresse d'un employé à un syndicat qui n'a aucun lien avec cet employé ou l'entreprise, n'a été retenu ni par l'un ni par l'autre pour avoir un lien quelconque avec l'employé—bref, que le nom et l'adresse de l'employé peuvent, contre sa volonté, être communiqués au syndicat.

La solution est facile. Il faut soit supprimer l'article 50, soit y insérer une disposition prévoyant que si l'employé s'oppose à la divulgation de son nom et de son adresse, ces renseignements ne seront pas fournis.

Le but de l'article 50 était simplement de donner à chaque syndicat la chance de communiquer avec un employé. Qu'y a-t-il de mal si une disposition précise que l'employeur ou le Conseil remettra tous les renseignements, la documentation, les brochures d'un syndicat à un employé sans révéler au syndicat le nom et l'adresse de l'employé, et si l'employé souhaite communiquer avec le syndicat et établir un lien avec celui-ci, il le fera? Il n'est pas nécessaire de violer la vie privée de l'employé. Vous n'aimeriez pas cela non plus.

La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Il vous reste à peu près deux minutes et je vois que vous n'êtes pas encore très avancé, alors est-ce que vous pourriez accélérer un peu?

M. Gerry Chipeur: Très bien.

Est-ce que vous aimeriez que le Parlement se mette à distribuer votre adresse personnelle et vos numéros privés à une personne ou à une organisation qui veut faire des affaires avec vous ou tenter de vous faire changer d'avis sur une chose ou une autre?

J'espère que mon associé, Tom Wakeling, aura la chance de comparaître devant le comité, si bien que compte tenu du peu de temps qu'il nous reste, je n'aborderai pas la question de la démocratie.

J'aimerais passer directement à la question de la liberté économique qui rejoint celle des travailleurs de remplacement. Il est facile d'en venir à la décision politiquement correcte que ce serait vraiment bien si tous les employés avaient le monopole de leur emploi, et que personne d'autre ne pourrait le faire à leur place s'ils décidaient de ne pas le faire eux-mêmes.

Mais les entreprises doivent se conformer à la Loi sur la concurrence qui précise qu'elles ne doivent pas recourir à la collusion ni au monopole pour s'assurer des possibilités d'affaires au détriment de tous les autres. Les mêmes règles devraient s'appliquer aux employés. Si un employé ne veut pas fournir ses services, aucune politique ne devrait prévoir que son emploi lui soit garanti pendant qu'il décide de ne pas travailler.

• 1545

La raison la plus importante, probablement, de ne pas invoquer la clause sur les travailleurs de remplacement, soit le paragraphe 42(2), est qu'elle ne traduit pas le consensus établi entre le patronat et la main-d'oeuvre. Si le projet de loi C-19 recherche vraiment un équilibre, et s'il se veut le reflet du consensus de la collectivité, cette disposition ne reflète absolument pas ce consensus.

En outre, il faut bien se souvenir qu'il n'y a vraiment pas de compromis possible entre les deux parties, à savoir: doit-on autoriser les travailleurs de remplacement ou non? Si vous acceptez la recommandation du comité du Sénat et celle du ministre dans son témoignage de ce matin, à savoir que les travailleurs de remplacement ne sont pas en soi une mauvaise chose, la seule question qui se pose alors est de savoir si, dans un cas particulier où on a fait appel à des travailleurs de remplacement, leurs services ont constitué une pratique déloyale de travail.

Quelqu'un a dit ce matin que la seule façon d'en décider, c'est de recourir à l'article 94 et de voir s'il y a pratique déloyale de travail. Si c'est le cas, il n'est alors pas nécessaire d'aborder la question des travailleurs de remplacement. Le Conseil a le pouvoir d'imposer des amendes, la compétence pour interdire aux employeurs certaines pratiques déloyales de travail. Il n'y a pas besoin de donner au Conseil le pouvoir d'interdire les travailleurs de remplacement pour corriger un problème que votre comité ou le ministre pourrait percevoir dans une situation particulière.

Plus important encore, ainsi le comité et le Parlement ne délégueront pas au Conseil même le pouvoir d'établir des politiques sur les travailleurs de remplacement. Nous estimons que votre comité et le Parlement doivent adopter une position claire—ou bien les travailleurs de remplacement sont légitimes, ou bien ils ne le sont pas. Et s'ils le sont, le Code canadien du travail fournit amplement de protection contre les pratiques déloyales de travail. Dans le cas contraire, précisez-le et ne vous cachez pas derrière un Conseil de relations industrielles qui, vous le savez, ne tiendra aucun compte de cette loi et interdira les travailleurs de remplacement sans avoir le genre de preuves que le comité veut avoir pour établir qu'il y a eu pratique déloyale de travail.

Pourquoi est-ce que je prétends que nous savons bien que les conseils du travail agiront ainsi? Je vous ai donné l'exemple récent où un conseil du travail de Colombie-Britannique a dit qu'à son avis, un certain employeur n'avait pas agi comme il fallait. Il s'agissait de Wal-Mart. Wal-Mart avait dit à ses employés qu'il n'estimait pas qu'ils tireraient profit d'une représentation syndicale. Wal-Mart ne les a pas informés non plus de la situation qui s'était produite à Windsor, en Ontario. S'appuyant sur cette communication et sur cette omission, le Conseil du travail en est venu à la conclusion que le syndicat avait de fortes chances de recueillir l'appui de bon nombre—au moins 45 p. 100—d'employés de cette entreprise. Lors du vote quelques jours plus tard, on s'est aperçu que moins de 20 p. 100 des employés appuyaient le syndicat.

Je vous donne ce cas en exemple simplement pour insister sur le fait qu'il est important pour votre comité de ne pas accorder au Conseil de pouvoir discrétionnaire dans ces trois domaines, parce que si vous le faites, vous ne pouvez pas compter sur lui pour appliquer vos politiques et tenir compte de vos opinions dans ce genre de situations.

En conclusion, nous estimons que, pour l'instant, la meilleure attitude à adopter par votre comité à l'égard du projet de loi C-19, pour atteindre un équilibre et appliquer le consensus obtenu, est de supprimer le paragraphe 42(2) et les articles 46 et 50, ou de modifier l'article 50 pour accorder aux employés le droit de s'opposer à ce que leurs nom et adresse soient communiqués, contre leur consentement, à un syndicat.

• 1550

Voilà ce que nous pensons. Je vous remercie beaucoup de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.

Le président (M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.)): Merci, monsieur Chipeur. J'aimerais vous poser une question. Vous avez parlé de M. Wakeling au début. Est-ce que vous avez apporté un mémoire en son nom?

M. Gerry Chipeur: Oui. Je l'ai remis au greffier; il est là. Nous comprenons que les contraintes de temps peuvent s'avérer difficiles pour lui, mais s'il n'est pas en mesure de comparaître aujourd'hui, au moins vous aurez son opinion par écrit. Il aborde en détail la question des droits démocratiques des employés à l'autodétermination en milieu de travail.

Le président: Très bien, merci. Je voulais simplement m'assurer que ce document avait été distribué parce qu'il semble que M. Wakeling ne puisse pas témoigner.

Très bien. Nous passons maintenant à la période des questions. Nous manquons un peu de temps. Permettez-moi d'abord...

M. Dale Johnston (Wetaskiwin, Réf.): Je cède la parole à Rob Anders pour la première question.

Le président: Vous allez peut-être devoir le faire pour toutes les questions. Notre séance ne dure qu'une demi-heure, monsieur.

Monsieur Anders, allez-y. Nous essaierons de nous en tenir à des interventions de quatre minutes, et je verrai si je peux vous réserver un peu de temps, monsieur Johnston.

M. Rob Anders (Calgary-Ouest, Réf.): Très bien.

Vous avez parlé entre autres de certains problèmes qui résulteraient de l'abandon du scrutin secret, avec 50 p. 100 plus une voix, et de toute cette idée d'utiliser les cartes syndicales. Mais je crois que vous avez omis de dire une chose, et j'aimerais que vous en parliez parce que vous avez une certaine expérience en droit du travail. Moi je pense que cela ouvre la possibilité au maraudage, et que personne ne veut en arriver là. Il faut tenir compte de toute cette question de démocratie, de votes majoritaires, de scrutins secrets, de toutes ces autres choses importantes.

L'une des questions qui a été soulevée plus tôt ce matin est la possibilité qu'un syndicat, ou plusieurs, essaie de s'implanter en faisant signer des cartes à un certain endroit, mais si vous avez un vote avec 50 p. 100 des voix plus une, cela ne se produit pas.

Mais dans ce cas-ci, si on permet l'utilisation de cartes syndicales, tout à coup, il est possible que des syndicats fassent du maraudage chez vous, qu'ils se fassent concurrence l'un l'autre pour faire signer le plus de cartes possible. Ainsi, on a déjà vu des cas où le Conseil canadien des relations de travail a décidé que c'est la situation dans laquelle on se retrouve, et que c'est l'une des raisons pour lesquelles il a recommandé d'adopter le vote majoritaire au scrutin secret.

M. Gerry Chipeur: Presque tous les États ou provinces d'Amérique du Nord procèdent par scrutin secret. Ce serait déroger à l'usage. Je suis certain que si l'un d'entre vous se présentait dans sa circonscription pour se faire élire en demandant aux gens de signer des cartes, vous seriez tous élus, tout comme vos adversaires. Tout le monde finirait par être élu. Il est important de se rappeler que cette question recoupe toutes celles que j'ai abordées dans mon mémoire. Je n'ai pas pu vous donner beaucoup de détails, mais il y a deux problèmes que vous avez soulignés.

Premièrement, en ce qui concerne le processus initial d'accréditation, vous avez raison, ce serait le chaos total si, en réalité, tout le monde se présentait avec un nombre suffisant de cartes pour ordonner la tenue d'un vote. Aurions-nous alors trois scrutins ou plus? Y aurait-il trois noms ou plus sur le bulletin? La loi ne dit rien à ce sujet. Nous forcerions le Conseil à régler un problème qui n'est pas prévu dans la loi.

Deuxièmement, une fois un syndicat accrédité, si vous avez un beau jour un autre syndicat qui veut se faire reconnaître et perturber les relations tant entre le premier syndicat et l'employeur qu'entre le syndicat et les employés, ce processus permettrait bien plus facilement qu'une telle perturbation se produise. Si le syndicat sait qu'il lui faut 50 p. 100 des voix plus une lors d'un scrutin secret, il ne va pas tenter d'obliger à un vote à moins de pouvoir en sortir gagnant, parce qu'il ne voudra pas faire étalage de sa faiblesse.

Par contre, s'il peut intervenir et obliger la tenue d'un vote sur un caprice, sur un coup de chance, pourquoi alors ne pas perturber l'organisation actuellement en place? Il n'a rien à perdre. Moi je dis que ce sont là de graves problèmes.

Nous sommes ici au nom de la Chambre de commerce, nous n'avons pas vraiment de position officielle sur cette question, mais c'est ma réponse personnelle au problème que vous avez soulevé.

M. Rob Anders: Très bien. Donc, dans un premier temps, il y a ce problème de maraudage des syndicats. Deuxièmement, vous avez également abordé toute cette idée du dérangement du milieu de travail. Y a-t-il intérêt à créer une forme quelconque de nouvelle jurisprudence en matière de loi canadienne du travail? Nous avons l'exemple du scrutin secret, avec 50 p. 100 plus une voix.

• 1555

Cela recoupe plusieurs autres aspects, y compris toute l'idée des travailleurs de remplacement. Quels sont les avantages ici? D'autres provinces, par exemple, les interdisent totalement. Quel avantage y a-t-il à créer une nouvelle jurisprudence quelconque en matière de travail? Pourquoi devrions-nous aller dans cette direction?

M. Gerry Chipeur: Eh bien, je peux vous dire ceci: nous nous opposons catégoriquement à tout changement par rapport au statu quo dans l'un des trois domaines que nous avons nommés. C'est la première chose.

Deuxièmement, le système actuel fonctionne. Je crois que le principe qui veut que «si ce n'est pas cassé, il n'y a pas besoin de le réparer» s'applique ici.

On peut également examiner le cas d'autres provinces qui ont essayé d'interdire les travailleurs de remplacement. À vrai dire, elles ont tenté d'imposer l'accréditation de syndicats en dépit d'un vote majoritaire contraire, allant à l'encontre du processus d'accréditation syndicale. Dans toutes les provinces où cela s'est produit—et il n'y en a à vrai dire que deux, le Québec et la Colombie-Britannique—les répercussions pour les gens d'affaires et l'économie ont été dévastatrices. D'autres témoins vous en parleront probablement.

Il ne fait aucun doute dans notre esprit qu'une telle mesure serait très préjudiciable au Canada, le seul participant à l'ALENA, seul pays qui interdirait les travailleurs de remplacement dans sa loi. Non seulement cela aurait un impact sur les petites et moyennes entreprises, risquant d'être mises à la faillite par un syndicat qui ne reconnaîtrait pas la nécessité du compromis, mais cela empêcherait également les entreprises de s'installer dans une province où ce genre de règlement existe.

Le président: Merci, monsieur Chipeur.

Je cède maintenant la parole à M. Rocheleau.

[Français]

M. Yves Rocheleau (Trois-Rivières, BQ): Si je comprends bien le point de vue exprimé par la Chambre de commerce de Calgary et celle de l'Alberta, elles s'opposent à ce que la loi interdise les travailleurs suppléants. Est-ce que vous êtes conscients du déséquilibre que ça sous-entend dans le rapport de force entre l'employeur et les employés? Les employés syndiqués se retrouveraient vraiment dans un était d'impuissance et le rapport de force n'existerait plus. C'est pourquoi, au Québec notamment et ailleurs, on a interdit l'embauche de travailleurs suppléants, pour justement faire en sorte que les deux parties soient plus égales pendant la durée de la grève et que le conflit se règle plus vite.

[Traduction]

M. Gerry Chipeur: Si vous considérez que le but principal de l'exploitation d'une entreprise, ou d'être en affaires, est de créer des emplois et de générer des profits pour les employeurs, peut-être alors cela a-t-il du sens. Mais si vous considérez que le but principal d'une entreprise est de servir le public et les consommateurs, vous voudrez alors vous assurer que le public et les consommateurs sont bien servis, même si les employeurs et les employés ne sont pas d'accord sur une question précise.

On trouve le juste milieu sans interdire les travailleurs de remplacement. Si des employés ont les compétences et l'expérience de travail requises pour une entreprise en particulier, elle va en souffrir si elle n'a pas accès à ces personnes, si ces gens-là refusent leurs services. C'est là qu'est le bon équilibre.

Par contre, si vous choisissez l'interdiction des travailleurs de remplacement et dites qu'en cas de grève, les entreprises doivent fermer, les gros ne s'en feront pas. Ils iront simplement s'établir ailleurs, comme l'a fait Maple Leaf d'Edmonton.

• 1600

Ce qui se produira, cependant, c'est que le petit employeur, l'employeur moyen... N'oubliez pas que cette loi va s'appliquer dans les Territoires du Nord-Ouest, qu'elle va s'appliquer à toutes les petites entreprises de camionnage qui traversent les frontières des provinces. Dans ce cas, si le syndicat n'exerce pas de pouvoir discrétionnaire, alors non seulement l'employeur, l'entreprise ne serviront pas le public, mais ils feront également faillite. Non seulement l'employeur perdra les possibilités économiques, les avantages de son entreprise, mais ce sera une perte pour les employés mêmes et la collectivité.

Nous croyons que si le paragraphe 42(2) n'est pas supprimé du projet de loi C-19, cela créera un grave déséquilibre.

Le président: Monsieur Martin, vous voulez poser une question?

M. Pat Martin (Winnipeg-Centre, NPD): Oui, justement. Je sais bien que vu les règles à ces séances, nous n'avons pas à contester les témoins; je m'en abstiendrai donc, monsieur le président.

Le président: Fort bien.

M. Pat Martin: Nous n'en avons tout simplement pas le temps. Mais franchement, j'adorerais cela.

Toutefois, j'aimerais un éclaircissement. Au début de votre témoignage, vous avez dit que s'ils adoptaient le projet de loi C-19 dans sa forme actuelle, les députés ne pourraient pas donner leur opinion sur la façon dont le Conseil des relations industrielles interpréterait certaines clauses. Mais n'est-ce pas justement comme ça devait être? Le Conseil agirait seul, comme un organisme quasi judiciaire sans interférence du gouvernement ou des politiciens.

Ma question est donc la suivante: est-ce que c'est vraiment ce que vous vouliez dire, ou est-ce que je vous ai mal compris?

M. Gerry Chipeur: Ce que je voulais dire, et c'est ce que j'ai dit, je crois, c'est que la question des principes généraux a été laissée entre les mains du Conseil tant au paragraphe 42(2) qu'à l'article 46. Dans les deux cas, et dans une grande mesure à l'article 50, au lieu que le Parlement dise nous sommes pour ou contre les travailleurs de remplacement, pour ou contre le respect de la vie privée des employés, pour ou contre la démocratie...

Ce sont là des questions de principes généraux, et non des questions de jugement. Ce ne sont pas des questions d'application et d'interprétation des lois. Au lieu, ces importantes questions de principes sont laissées à la discrétion du Conseil car on a utilisé des termes ambigus qui lui donnent spécifiquement le pouvoir discrétionnaire de faire ceci ou cela. Le Conseil ne s'appuie pas sur une série de principes juridiques à respecter, mais au lieu de cela, dans le domaine de la vie privée, il lui suffit de déterminer ce qu'il pense être le mieux. Il jouit d'un entier pouvoir discrétionnaire pour décider si la vie privée d'une personne est respectée ou non.

Quant au paragraphe 42(2), pour ce qui est de savoir si oui ou non on a utilisé déloyalement des travailleurs de remplacement, eh bien, les syndicats prétendent que chaque fois qu'on recourt à ces travailleurs, cela constitue une pratique déloyale de travail. De leur côté, les employeurs prétendent que ce n'est jamais le cas. Il n'y a rien entre les deux. Donc, si le Conseil opte pour un ou pour l'autre, c'est une décision de principes généraux et non pas une décision juridique.

M. Pat Martin: Sauf que dans ce cas, il appartiendra au Conseil d'établir cette règle.

M. Gerry Chipeur: C'est exact. Donc, vous déléguez une décision de principe au Conseil.

M. Pat Martin: Tout comme les tribunaux ont la responsabilité de rendre des décisions, c'est la même chose pour les conseils de travail quand cela n'est pas...

M. Gerry Chipeur: Eh bien, mon argument serait le même si vous donniez aux tribunaux le pouvoir de prendre cette décision. Je dirais que le Parlement délègue une question de principe aux tribunaux, à savoir, est-ce que les travailleurs de remplacement constituent une bonne ou une mauvaise politique gouvernementale?

Je dis que le Parlement lui-même devrait prendre cette décision. Votre comité devrait...

M. Pat Martin: Pourrais-je poser une autre question avant que mon temps soit écoulé?

M. Gerry Chipeur: ...pas les tribunaux ou le Conseil.

Le président: Donnez-lui la chance de répondre à la question, s'il vous plaît.

M. Gerry Chipeur: Ça va...

Le président: J'aimerais assez que le Parlement devienne un tribunal et nous pourrions prendre toutes ces décisions.

Monsieur Martin, voulez-vous poser une autre question?

M. Pat Martin: La deuxième question porte sur la démocratie. Vous dites que dans les cas d'une demande d'accréditation, s'il n'y a pas de scrutin secret, la démocratie est respectée...

Supposons qu'un syndicat ait fait signer des cartes à 60, 65 ou 70 p. 100 des membres, ne serait-il pas antidémocratique que de lui demander d'ordonner un vote? Ensuite, quatre à six semaines s'écoulent, au cours desquelles il y a peut-être eu ingérence de l'employeur—je ne dis pas que cela se produirait, mais c'est une possibilité—et ensuite on demande un autre vote. En réalité, vous demandez aux gens de voter deux fois sur la même question, ce qui équivaudrait à une double incrimination.

• 1605

Si toutes les cartes doivent être clairement libellées, si bien qu'en la signant l'employé atteste que ce syndicat devrait le représenter dans toutes les discussions touchant les salaires, les conditions de travail, etc., c'est un énoncé assez clair que l'employé veut être représenté par ce syndicat.

En demandant aux gens de voter à nouveau lors d'un scrutin obligatoire... Là encore, je n'essaie pas de contester ce que vous dites, mais je vous le demande, cela ne serait-il pas moins démocratique de les forcer à voter deux fois? En fait, je voudrais savoir combien de fois allez-vous faire voter les gens avant d'obtenir la réponse que vous voulez?

M. Gerry Chipeur: Eh bien, je ne crois pas que l'article 3 de la Charte, qui décrit un vote, prévoie qu'un système de cartes se rapproche si peu que ce soit de ce que la loi exige d'un vote. Je pense qu'on n'a pas voté de cette façon depuis au moins deux cents ans. Alors je ne considérerais certainement pas la signature d'une carte comme un vote. Je verrais cela comme une expression de soutien à une organisation en particulier, mais seulement cela, et non pas la vraie décision prise par l'employé sur la question en cause.

Si, en réalité, il devait y avoir vote, disons quelques jours après que les cartes ont été signées, on pourrait éviter tous ces problèmes. En réalité, vous voyez d'après les exemples que nous avons donnés qu'un conseil peut agir très rapidement pour régler le problème de l'ingérence.

Le président: Merci, monsieur Chipeur.

Monsieur Dubé, vous vouliez poser une question?

M. Jean Dubé (Madawaska—Restigouche, PC): Je viens d'arriver.

Le président: Merci.

Monsieur Mahoney, voulez-vous poser une question très brève.

M. Steve Mahoney (Mississauga-Ouest, Lib.): Merci, monsieur le président.

Peut-on dire que vous vous préoccupez davantage de la création effective du Conseil des relations industrielles et de votre manque de confiance à l'égard de ce processus que de l'équilibre de la loi?

M. Gerry Chipeur: Je dirais ceci: nous n'arrivons pas à comprendre comment on pourrait à juste titre pénaliser des employés pour des pratiques déloyales de travail de la part de l'employeur. Autrement dit, il faut que la sanction réponde au crime. Si l'employeur a mal agi, c'est lui qu'il faut punir; ne privons pas les employés de leurs droits démocratiques.

M. Steve Mahoney: Ce n'est pas ce que je vous ai demandé.

M. Gerry Chipeur: Eh bien, pour vous répondre directement, c'est non, en aucun cas, le Conseil ne devrait avoir le pouvoir discrétionnaire d'ordonner l'accréditation sans la tenue d'un scrutin secret. C'est le premier point. Jamais non plus on n'a vu de pratique déloyale de travail se produire d'elle-même qui aurait justifié l'interdiction de travailleurs de remplacement.

Donc, la question n'est pas de savoir si le Conseil devrait avoir un pouvoir discrétionnaire, ou s'il pourrait y recourir à mauvais escient. Nous disons qu'il ne devrait pas jouir de ce pouvoir discrétionnaire, au départ, parce que de façon générale, il serait malvenu d'interdire les travailleurs de remplacement ou d'accréditer un syndicat contre la volonté de la majorité des gens qui ont voté contre.

C'est la position nette que nous défendons. Nous ne croyons pas qu'il lui soit possible d'exercer correctement ce pouvoir discrétionnaire.

Le président: Merci, monsieur Chipeur. Je vais maintenant permettre à M. Johnston de poser une question très bien ficelée.

M. Dale Johnston: Comme toujours, monsieur le président.

Monsieur Chipeur, dans le rapport sur les ports de la côte Ouest, on a recommandé un mécanisme de règlement des différends. À mon avis, cela éviterait la nécessité d'adopter une loi interdisant les travailleurs de remplacement ou de désigner un groupe d'employés pour assurer les services essentiels. Qu'en pensez-vous?

M. Gerry Chipeur: Vous parlez de l'offre finale...?

M. Dale Johnston: Ou quelque chose du genre. Il n'est pas nécessaire que ce soit exactement cela.

M. Gerry Chipeur: La Chambre de commerce ne s'est pas prononcée sur cette question dans les documents que vous recevrez, mais je peux vous dire que les gens d'affaires canadiens aimeraient bien pouvoir régler les différends dans le domaine du travail sans grève ou lock-out. Le Canada est mal servi par un système de négociation collective qui dépend de la coercition économique dans un sens ou dans l'autre.

Alors, s'il y avait une solution qui permettrait de régler les différends de travail sans grève et lock-out, ce serait utile aux syndicats, aux gens d'affaires, et à la population canadienne. S'il est impossible d'y parvenir grâce au projet de loi C-19, j'incite fortement le comité ou le ministre à créer une commission ou un conseil chargé d'examiner attentivement cette solution ou à adopter un mécanisme en ce sens, et de faire ensuite des recommandations au Parlement.

• 1610

Le président: Merci beaucoup, monsieur Chipeur, d'être venu de si loin, merci d'avoir passé du temps avec nous.

M. Gerry Chipeur: Cela me fait plaisir. Je remercie les membres du comité.

Le président: Le prochain témoin est un jeune homme... un certain M. Hargrove.

On est en train de vous remettre un mémoire.

Monsieur Hargrove, je sais que vous n'avez pas l'habitude de réunions comme celle-ci; nous vous donnerons quelques minutes pour faire une déclaration liminaire, après quoi, on voudra sans doute vous poser une question ou deux.

M. Buzz Hargrove (président national, Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada): Tout d'abord, merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, de me laisser comparaître aujourd'hui. On dit que dans la vie, on n'a jamais une deuxième chance; pourtant, voici une rare occasion où on nous donne une deuxième chance, tout comme au comité, d'améliorer le projet de loi dans certains domaines où il y avait des lacunes la première fois.

Je suis accompagné aujourd'hui de mon adjointe, Peggy Nash, qui s'occupe d'une très grande partie de nos syndiqués assujettis aux lois fédérales, ainsi que de Frank Luce, de notre service juridique, qui est l'auteur du mémoire et qui connaît beaucoup mieux le projet de loi que moi. Permettez-moi quand même de faire quelques observations.

Auparavant, je tiens à m'excuser auprès du comité et du président de vous présenter un mémoire qui n'est pas traduit. La majorité des documents produits par notre syndicat sont traduits à moins que l'on soit assujetti aux contraintes de temps que nous connaissons ici. Nous avons été prévenus des audiences il y a quelques jours seulement, et nous avons terminé le mémoire hier. Il sera traduit et envoyé aux membres qui souhaiteraient l'avoir en français; je m'en excuse et je vous demanderais d'être indulgent.

Je tiens à féliciter à nouveau le gouvernement d'avoir pris l'initiative et présenté à nouveau le projet de loi sur le travail dont la mort au Feuilleton lors du déclenchement des élections avait découragé beaucoup d'entre nous. À l'époque, nous étions sur le point d'intervenir dans le secteur du rail, et nous espérions que le projet de loi serait adopté avant les élections, ce qui, je crois, aurait accéléré les choses dans le domaine ferroviaire, mais cela n'est pas arrivé.

Aujourd'hui, on réétudie le projet de loi, et dans l'ensemble, nous appuyons les efforts du gouvernement. On semble reconnaître ainsi une ou deux choses importantes. L'une est le caractère changeant de l'économie et l'obligation qu'a le gouvernement de s'adapter aux fluctuations—de protéger les travailleurs soumis à l'évolution économique, mais sans oublier que la conjoncture actuelle favorise un déséquilibre de plus en plus important des forces en jeu.

À une époque où l'on signe des ententes commerciales internationales, où l'on ouvre nos frontières à de nouveaux investissements et à de nouveaux débouchés, d'énormes pressions s'exercent sur les travailleurs et les capitaux internationaux ou les grosses entreprises acquièrent d'énormes pouvoirs. C'est un point sur lequel je peux être d'accord avec l'intervenant précédent.

Les entreprises comme la Maple Leaf Foods du monde entier survivront. Qu'elles le fassent en fermant leurs usines à Edmonton ou en imposant des compressions salariales de 40 p. 100 à leurs travailleurs de Burlington, elles trouveront une façon de s'en tirer. La question que doit se poser le Parlement et, selon moi, l'obligation qui lui incombe, est de s'assurer que cela ne se fait pas aux dépens des travailleurs du pays.

C'est pourquoi je tiens à souligner qu'il est important que le gouvernement libéral ait reconnu aux travailleurs le droit d'améliorer leur situation et celle de leurs familles. L'économie est en pleine mutation. La mondialisation cause toute une série de nouveaux problèmes aux travailleurs. Il faut répondre à la demande des employeurs que les gens travaillent à la maison, et je suis heureux de noter que dans ce projet de loi, on trouve au moins une première mesure pour reconnaître aux travailleurs le droit de se syndiquer; le projet de loi le reconnaît effectivement.

• 1615

Comme nous l'avons dit l'an dernier lorsque nous avons comparu devant le comité, les dispositions du projet de loi sur les briseurs de grève devraient être resserrées, mais cette première mesure lance aux diverses provinces du pays le message qu'il faut reconnaître les droits des travailleurs. Si l'on se retrouve dans ces très rares cas—et je souligne que ce sont de très rares cas—où des conflits ne peuvent se régler par la négociation collective, ne peuvent se régler autour d'une table par des gens qui examinent à fond les problèmes, lorsque se produit une grève ou un lock-out... Très peu de ces cas relèvent de compétences fédérales ou provinciales dans le pays, et il y en a encore beaucoup moins, un nombre infime, où des employeurs recourent à des briseurs de grève pour remplacer des travailleurs qui exercent leurs droits.

Chaque fois que cela se produit, le public éprouve du mépris pour le législateur incapable de régler le problème. Il éprouve du mépris pour les parties impliquées dans la négociation quand tous les soirs le bulletin de nouvelles ne parle que de gens qui se battent, qui traversent un piquet de grève et d'autres qui essaient de les en empêcher pour protéger leur emploi. Pour moi—et en disant cela j'aurais voulu que mon collègue de Calgary soit encore là—c'est comme si quelqu'un entrait de force chez vous.

N'oubliez pas que votre emploi, c'est d'abord et avant tout ce qui vous permet d'avoir un foyer; il vous permet de nourrir, de vêtir et d'éduquer vos enfants, et lorsque quelqu'un le menace, vous réagissez, bien sûr. Ce n'est pas bien différent de l'irruption chez vous d'un inconnu avec une arme à feu. La plupart des gens réagiraient, même si c'est assez stupide de le faire; cela vient de cet instinct naturel de protéger ce qui vous appartient et de protéger votre famille. Et si vous, honorables députés, ne croyez pas que vous réagiriez vite, je vous inviterais simplement à étendre le bras et à prendre le portefeuille de votre voisin; vous verrez tout de suite comment il réagira.

Des voix: Oh, oh!

M. Buzz Hargrove: Inutile de vous rappeler que chaque fois que Bill Clinton a essayé cela, il s'est mis dans un beau pétrin.

C'est donc là un point important, un point où le Parlement, au lieu de défendre ce petit nombre d'employeurs qui n'ont aucun respect pour leur personnel, a l'obligation de dire que si un conflit légitime se produit, tous ceux qu'il touche doivent en souffrir. Les travailleurs, parce qu'ils perdent leur salaire, donc la capacité de payer leurs comptes, de nourrir, de vêtir et d'éduquer leurs enfants. Tout ce qu'ils ont en temps normal est perdu. Mais l'employeur lui aussi doit subir les conséquences fâcheuses d'une panne dans le système; c'est ce qui force les gens à revenir à la table de négociation et à trouver la solution.

Une fois encore, et je le dis au comité aussi fort et aussi sincèrement que je peux, nous avons connu, depuis que Mike Harris a été élu et qu'il a anéanti la législation du travail adoptée par les gouvernements antérieurs, un seul cas où un employeur a recouru à des briseurs de grève pour remplacer les membres de notre syndicat et qui a fait beaucoup de grabuge sur le piquet de grève.

À un moment donné, on s'est retrouvé avec 600 policiers de la ville de Toronto tout autour d'un groupe de travailleurs qui formaient un piquet de grève pour défendre leurs emplois. Ça a coûté des millions de dollars en services policiers pendant une période de huit ou neuf mois. Il faut tout de même se demander si cela a du sens commun. Est-ce que c'est comme ça que doit fonctionner une société raisonnable? Faut-il voir des gens en grève se battre pour avoir le droit de travailler? Moi j'estime plus sensé de trouver un système qui forcerait les gens à s'asseoir ensemble et à chercher des solutions aux problèmes. Là encore, je tiens à souligner que ce projet est un pas dans la bonne direction. Il ne règle pas tous les problèmes, mais c'est un pas dans la bonne voie.

• 1620

Cela étant dit, je tiens à soulever une véritable préoccupation à l'égard du gouvernement provincial et du Parlement qui est représenté ici, je crois, par tous les partis. Il s'agit du manque de respect de façon générale pour le droit de grève dans la fonction publique fédérale.

Je remonte à il y a trois ans—et le député Robert Nault le comprendra, il vient du secteur ferroviaire—nous avons fait grève au CP et cela n'a duré que quelques jours. Certains des autres syndicats ont fait grève au CN, et en quelques heures, le Parlement a été convoqué pour adopter une loi spéciale nous privant de notre droit de faire la grève et nous ramenant au travail.

On a eu l'exemple des manutentionnaires de grain qui ont été forcés de revenir au travail, les débardeurs, les travailleurs des postes, qui, après avoir exercé leur droit démocratique pendant quelques jours, se sont vu retirer le droit de grève.

Ensuite, on a assisté au conflit spectaculaire chez Canadien International où nous nous battions pour défendre la négociation collective libre et la convention collective que nous avions négociée selon les lois du pays. Nous l'avions soumise à nos membres, qui l'avaient ratifiée selon les lois du pays et elle n'expirait pas avant cette année. Pourtant, nous avons été forcés par le gouvernement... Le ministre du Travail, M. Alfonso Gagliano, a présenté une ordonnance aux termes d'un article du Code canadien du travail qui n'avait jamais servi—je crois que c'est l'article 107—qui stipulait qu'on pouvait on ne sait trop comment nous ordonner de mettre aux voix une entente de restructuration avec Canadien International en dépit du fait que nous avions une convention collective légale.

Nos membres ont été forcés de se prononcer par scrutin sur une compression salariale que la compagnie proposait après que nous avions déjà ouvert notre convention collective et qu'à trois reprises entre 1992 et 1996, nous avions négocié et accepté de réduire les salaires, les avantages sociaux et les conditions de travail pour tenter de sauver la compagnie. Les travailleurs et leur syndicat ont finalement décidé, dans notre parlement, que c'était insensé de continuer.

Donc, je tiens à soulever sérieusement cette question du code fédéral et du Parlement fédéral à l'égard du droit de vote. De par leur nature même, les grèves dérangent certains. Les droits démocratiques, les citoyens, les groupes de citoyens, les entreprises qui ferment une installation, lorsqu'elles polluent l'environnement... Je pourrais vous donner toute une série d'exemples. Il y a toutes sortes de droits à considérer, un groupe exerce des droits dont les effets affectent les droits d'autres personnes. Mais, cela ne fait aucun doute, le critère d'une démocratie est de pouvoir supporter certains inconvénients qui découlent de ce qu'un groupe ou un autre exerce ses droits et s'assure qu'ils sont protégés...

J'ai écouté l'exposé du témoin précédent. Il proposait tout simplement d'éliminer le droit de grève, un point c'est tout. C'est merveilleux pour les employeurs, mais cela n'aide certainement pas les travailleurs à exercer leur droit d'avancer des propositions pour améliorer leur niveau de vie.

Je ne veux pas passer beaucoup de temps là-dessus, monsieur le président, mais je tiens à dire que les gens qui travaillent dans la fonction publique fédérale sont très inquiets que notre gouvernement ne soit pas vraiment en faveur du droit de grève.

Je ne veux pas utiliser mon temps pour répondre au témoin précédent, mais je tiens à dire en réponse à cet argument que, d'une façon ou d'une autre, les travailleurs de remplacement vont encourager les entreprises à venir investir ici, que la tragédie de Mike Harris, ce conservateur-réformiste qui s'est attaqué aux droits des travailleurs en Ontario, la tragédie, dis-je bien, c'est qu'il n'y a pas eu de débat ni de discussion.

Personne n'a tenu compte du fait qu'à partir du moment où le projet de loi 40 a été présenté à l'Assemblée législative de l'Ontario, en dépit de tout le battage des gens d'affaires prétendant que cela ferait fuir les investissements de l'Ontario, et que sais-je encore, si l'on examinait simplement les chiffres, on constaterait que l'Ontario a connu une période de croissance des investissements sans précédent. La croissance des exportations depuis la loi 40 a été incroyablement importante. Il y a eu création d'emplois, augmentation de la production manufacturière là où normalement on aurait dû avoir le problème des travailleurs de remplacement. Mieux encore, les profits des entreprises ont augmenté de façon incroyable.

Il n'y avait absolument aucune preuve que le projet de loi 40 du NPD avait de mauvais effets sur l'économie de la province de l'Ontario. Mais cela n'avait pas d'importance pour Mike Harris. Il s'est fait élire en juin, et sans débat, dialogue ou discussion, sans justification, sans audience publique, le projet de loi 40 est entré en vigueur le 31 octobre 1995.

Donc, je dis que d'une façon ou d'une autre, la possibilité d'engager des travailleurs de remplacement est quelque chose qui attire les investissements ou les fait fuir. Je crois suivre d'assez près ce qui se passe dans le monde des affaires et ce que les gens d'affaires prennent en compte lorsqu'ils décident d'investir. Chaque fois, les lois du travail figurent au bas de la liste des considérations des gens d'affaires qui viennent s'installer dans une province ou un pays. Ils s'intéressent d'abord à la spécialisation de la main-d'oeuvre, aux infrastructures, et au coût de l'énergie pour leurs usines.

• 1625

Je vous signale simplement que la question de la législation du travail ne figure qu'en fin de liste... La plupart des entreprises estiment qu'elles s'installeront quelque part et respecteront les lois de la province ou du pays. Leur position est que le gouvernement fait les lois et qu'elles les respecteront. Interviennent ensuite les associations et les cabinets d'avocats qui tirent beaucoup d'argent des confrontations et des conflits en essayant d'imposer leurs idées aux entreprises.

Je terminerai en disant, monsieur le président, que si vous examinez notre mémoire, vous constaterez qu'on y déclare que ce projet de loi a reçu l'appui de l'association des employeurs tout comme du mouvement syndical. C'est important quand on tient compte de ce que des personnes comme le témoin précédent ont dit. Les gens d'affaires du pays ont compris exactement la valeur de ce projet de loi et l'ont appuyé.

Merci beaucoup de nous avoir écoutés.

Le président: Merci, monsieur Hargrove. Je crois que votre dernier argument consistait à se débarrasser des avocats. Je pense que vous trouveriez ici beaucoup de gens qui pensent comme vous.

M. Buzz Hargrove: Vous y arriveriez peut-être. Moi pas.

Le président: Je commence cette fois-ci par M. Rocheleau.

[Français]

M. Yves Rocheleau: Dans le mémoire qu'il a présenté, M. Hargrove a fait allusion à une modification qui semble anodine ou presque insignifiante à première vue. Mais en comparant attentivement le libellé du projet de loi C-66 et celui du projet de loi C-19 au sujet des travailleurs de remplacement, on constate qu'on a ajouté les mots «dans le but établi» et, dans la version anglaise, «for the demonstrated purpose».

Le paragraphe 94(2.1) proposé se lit donc comme suit:

    (2.1) Il est interdit à tout employeur ou quiconque agit pour son compte d'utiliser, dans le but établi de miner la capacité de représentation d'un syndicat plutôt que pour atteindre des objectifs légitimes de négociation, les services de toute personne qui n'était pas un employé de l'unité de négociation...

Est-ce que vous savez à quel paragraphe je fais allusion?

[Traduction]

M. Buzz Hargrove: Je l'ai sous les yeux. Je crois...

M. Yves Rocheleau: On dit: «Plutôt que pour atteindre des objectifs légitimes de négociation».

[Français]

Selon vous, pourquoi le gouvernement ajoute-t-il ces mots-là?

[Traduction]

M. Buzz Hargrove: Eh bien, je sais pourquoi le gouvernement ajoute cela. Il l'a fait à l'insistance des ETCOF. Il y a eu une petite rébellion au sein de l'association des employeurs, et alors le gouvernement a jugé bon d'y ajouter ça. Nous nous y sommes opposés, comme nous le faisons ici, parce que, d'après nous, ça complique encore ce qui était déjà une mesure législative compliquée dans ce domaine. Elle n'était pas claire. Ça va ouvrir la porte à toutes sortes d'arguments juridiques. Nous estimions que ça devait être plus clair et plus précis, mais cet ajout a rendu les choses encore plus compliquées.

Cela ne contribue certainement pas à simplifier les choses pour les travailleurs. Cela les oblige en plus, tout comme leurs syndicats, à faire la preuve, selon ce texte, que plutôt que pour atteindre des objectifs légitimes de négociation, il y a une autre raison pour laquelle un employeur voudrait engager des briseurs de grève.

[Français]

M. Yves Rocheleau: Est-il correct de penser qu'en ajoutant ces mots, le gouvernement accepte d'alourdir de façon très importante le fardeau de la preuve des syndicats, qui devront démontrer que l'employeur agit de telle ou telle façon?

[Traduction]

M. Buzz Hargrove: Non, cela aidera l'employeur. Ça ne fait aucun doute. Le fardeau est plus lourd pour les syndicats, comme vous l'avez signalé, monsieur Rocheleau.

[Français]

M. Yves Rocheleau: Est-ce que vous êtes satisfait de l'article qui porte sur le caractère supposément représentatif du Conseil canadien des relations du travail? Est-ce que vous avez l'assurance que votre mouvement syndical sera bien représenté, sachant que le ministre consultera les organisations patronales et syndicales qu'il jugera bon de consulter?

[Traduction]

M. Buzz Hargrove: À notre avis, il doit aussi y avoir des représentants des groupes intéressés, et ces gens-là doivent être représentatifs du pays tant dans la proportion hommes et femmes que de la géographie. Nous parlons de tout cela dans notre mémoire. Reste à voir si ça se produira avec cette loi. Nous ne le saurons pas tant que le gouvernement ne l'aura pas adoptée.

• 1630

Le Conseil canadien des relations de travail a connu certains problèmes, il en a toujours eu. Nous sommes ouverts au changement, mais cela doit respecter le rôle important des intervenants qui conseillent le président sur les problèmes. Personne n'a plus d'expertise ou n'est mieux à même de faire évoluer le système que les gens assis des deux côtés de la table qui vivent cette réalité au quotidien.

Le président: Merci, monsieur Rocheleau.

Monsieur Martin, est-ce que vous voulez vous attaquer à ce monsieur?

M. Pat Martin: Très bien, je vais essayer de ne pas être trop méchant.

Monsieur Hargrove, je vous remercie de votre exposé. C'était très bien. Quelques questions me viennent à l'esprit.

En tant que représentant d'un syndicat qui a la réputation d'être parmi les meilleurs organisateurs de syndicat du pays, pouvez-vous faire des commentaires sur l'un des points essentiels de ceux qui s'opposent au projet de loi. Il s'agit de l'article portant sur l'accréditation automatique accordée dans un cas où il peut être prouvé qu'il y a eu de la part de l'employeur pratiques déloyales de travail, ingérence ou coercition avec le résultat qu'il est impossible d'établir les souhaits véritables des employés parce qu'ils craignent les représailles. Est-ce que vous avez des exemples personnels à nous fournir, ou pouvez-vous nous parler de l'importance de cet article dans le projet de loi?

M. Buzz Hargrove: D'après mes souvenirs, nous n'avons invoqué la loi provinciale qu'une seule fois. C'était dans le cas d'une usine d'aimants à Scarborough en 1978. Les travailleurs à des postes de surveillance faisaient signer des cartes à leurs membres. Le surveillant en chef les a surpris et leur a ordonné de lui remettre les cartes. Il les a brûlées à l'extérieur de l'usine, mais quelques personnes qu'il n'avait pas remarquées l'ont vu. Lorsque nous nous sommes présentés devant le Conseil et que les témoins ont dit ce qui s'était produit, le Conseil nous a accordé automatiquement l'accréditation.

Je crois que dans ces cas, comme dans le cas récent de Wal- Mart à Windsor avec les travailleurs de l'acier, il faut que l'employeur ait l'obligation de ne pas toucher aux droits des individus.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de le rappeler aux membres du comité, mais je vais le faire pour que cela soit consigné au compte rendu. Je dirai d'abord qu'on assiste aujourd'hui à un incroyable déséquilibre des forces dans notre société, dans l'économie. Les multinationales ont le pouvoir de fermer leurs exploitations, de les déménager. On en a eu l'exemple le plus scandaleux avec la Maple Leaf Foods, à Edmonton, en Alberta, et à Burlington, en Ontario.

Si vous allez jusqu'au bout du raisonnement—et nous avons utilisé cet argument dans notre négociation avec General Motors, Ford et Chrysler en 1996—les employeurs sont les propriétaires des biens. Ils achètent les biens et ce sont eux seuls qui décident de ce qu'ils veulent en faire. Ils construisent une usine en fonction de ce qu'ils estiment être la dynamique des affaires. Ils apportent l'équipement et la technologie à utiliser sur les lieux de travail. Ce sont eux qui procèdent à l'embauche. Ils décident quels gens de la collectivité ils vont faire travailler. Ils décident de ce qu'ils produiront, combien ils produiront, quand ils produiront, quelles seront les heures de travail. Ils décident comment ils vont commercialiser leurs produits, combien de produits seront commercialisés. Ils décident de toutes ces choses.

Les employeurs ont un pouvoir énorme, mais, dans le milieu de travail, ils peuvent aussi rajuster les heures des travailleurs. S'ils ne sont pas satisfaits du travailleur, s'ils le prennent à essayer d'organiser un syndicat, ils peuvent lui faire faire un travail plus salissant, lui faire faire un travail plus fatigant. Ils disposent d'un pouvoir si grand sur les travailleurs que l'on doit imposer des conditions encore plus rigoureuses aux employeurs dans ce domaine, plus rigoureuses que celles que prévoit le projet de loi.

Je ne m'oppose pas au projet de loi. C'est une forme de protection, mais il devrait être encore plus sévère à l'égard des employeurs qui violent ce qui est le droit démocratique très limité des travailleurs. Les travailleurs abandonnent presque tous les droits démocratiques dont ils jouissent dans la collectivité et chez eux lorsqu'ils entrent au travail. Ça, les législateurs doivent le respecter.

Le président: Monsieur Martin, vous pouvez poser une autre petite question rapide.

M. Pat Martin: Je vais devoir en choisir une alors.

Les gens d'affaires ont dit qu'ils aimeraient que toutes les demandes d'accréditation soient appuyées par un vote obligatoire. Autrement dit, même si 60 p. 100 des cartes ont été signées, les entreprises veulent que se tienne également un scrutin secret, plus ou moins selon le modèle américain. Pouvez-vous nous dire en quoi cela pourrait compromettre la campagne d'organisation ou donner des possibilités d'interférence entre le moment où les cartes sont soumises et le vote?

M. Buzz Hargrove: Oui, nous en avons un bon nombre d'exemples, mais je ne peux vous donner de noms aujourd'hui. En Ontario, depuis que la loi a été modifiée, on a eu des cas où 80 p. 100 des gens avaient signé une carte, mais une fois la campagne de syndicalisation entamée, comme on doit tenir un vote, les employeurs entreprennent une campagne très sophistiquée d'intimidation et de menaces. Beaucoup d'entre eux utilisent des consultants américains qui sont des spécialistes dans la prestation de ce genre de conseils aux employeurs, et le résultat du vote finit par être très différent de l'indication démocratique que l'on avait lorsque les gens n'étaient pas soumis aux menaces.

• 1635

[Traduction]

Là encore, je vous renvoie aux observations que j'ai faites lors de votre première question, monsieur Martin. Il s'agit d'une question de pouvoir. Les gouvernements conservateurs de l'Ontario, et de nombreux gouvernements conservateurs dans tout le pays, ont toujours reconnu qu'il existe un incroyable déséquilibre de pouvoir au sein du milieu du travail par opposition à ce qu'on trouve même dans la collectivité. Ils ont toujours dit qu'il est impossible d'obtenir une expression libre ou démocratique des vrais désirs des travailleurs au moyen d'un vote sur le lieu de travail lorsque les travailleurs sont exposés à l'intimidation dont je viens de parler.

Le président: Merci beaucoup, messieurs Hargrove et Martin.

Monsieur Johnston.

M. Dale Johnston: Merci, monsieur le président. Bonjour.

L'article 50 porte sur la remise aux organisateurs syndicaux des noms et adresses des travailleurs employés à l'extérieur. Ce qui manque ici, à mon avis, c'est le consentement des travailleurs mêmes. Comme vous ne vous y êtes pas opposé, ça signifie donc que vous êtes d'accord que les coordonnées des travailleurs soient remises par l'employeur à l'organisateur syndical. Pouvez-vous nous en parler?

M. Buzz Hargrove: Monsieur Johnston, je vais établir une comparaison avec des pratiques parlementaires démocratiques auxquelles vous et moi participons, que nous appuyons, sinon nous ne serions pas là.

Lorsqu'on tient des élections dans votre province, fédérales ou provinciales, la liste électorale comprenant le nom et l'adresse des électeurs est remise à tous les partis. Elle est affichée à de nombreux endroits publics. On ne trouve pas cela choquant. Pourquoi croyez-vous qu'un syndicat qui veut aider les travailleurs, ou des travailleurs qui veulent être certains que le syndicat peut les joindre ne devraient pas avoir cette information? On voudrait en limiter l'application dans ce cas, mais pas dans les autres.

M. Dale Johnston: Eh bien, dans vos observations antérieures, vous avez parlé des pressions qu'un employeur pourrait exercer sur les employés. Mais ça ne se fait pas toujours dans le même sens. Il peut y avoir certains cas où le syndicat exerce des pressions pour faire signer des cartes aux gens. Si les gens sont au courant et donnent leur consentement, je suis tout à fait d'accord, mais ce qui fait défaut, c'est leur consentement.

M. Buzz Hargrove: Monsieur Johnston, nous pourrions utiliser le même argument dans le cas d'une élection. Beaucoup de gens viennent frapper à votre porte et vous demandent d'appuyer un parti politique quelconque. C'est la façon ordinaire de procéder dans une démocratie. Certaines de ces personnes pourraient, et c'est probablement le cas, recourir à l'intimidation. On en a eu des exemples au cours des années, mais on ne jette pas le bébé avec l'eau du bain, pour ainsi dire. On ne va pas permettre à un petit nombre de gens qui violent des droits démocratiques de dicter ce que seront les droits de tous les autres.

Là encore, je dirais que si on ne permet pas aux gens d'avoir accès aux syndicats ou aux syndicats d'avoir accès aux gens pour leur dire qu'ils peuvent les aider, plus particulièrement quand ils sont isolés à la maison, on n'aide vraiment pas les travailleurs et on cède beaucoup plus de pouvoirs aux employeurs qui en ont déjà beaucoup trop.

M. Dale Johnston: Je vois que nous avons ici une perception des choses fondamentalement différente.

M. Buzz Hargrove: Vous êtes cependant d'accord avec moi pour ce qui est des élections, n'est-ce pas? Vous êtes d'accord pour dire que la liste des électeurs doit être rendue publique?

M. Dale Johnston: Mais je ne suis pas d'accord pour dire que j'intimide les électeurs.

M. Buzz Hargrove: Je n'ai jamais prétendu que vous le faisiez.

Le président: Des points de vue différents entre vous et M. Hargrove—quelle surprise!

M. Dale Johnston: Oui, ce serait tout de même bien étonnant.

Je remarque que vous soutenez très solidement, comme on peut s'y attendre, que vous ne voulez pas que l'on empiète sur le droit de grève, et pourtant, vous ne relevez pas que l'article 87.7 du projet de loi fait de la manutention du grain un service essentiel. Vous n'avez fait aucun commentaire à ce sujet et j'aimerais savoir ce que vous pensez de cette disposition.

M. Buzz Hargrove: Dans mes commentaires généraux, j'ai mentionné que j'étais très inquiet du manque de respect dont fait preuve le gouvernement relativement à l'exercice du droit de grève. Je présume que le syndicat qui représente ces travailleurs défendra avec vigueur leur droit de grève en expliquant pourquoi ils doivent pouvoir s'en prévaloir. Je ne crois pas que je devrais aujourd'hui prendre la place de leur agent négociateur en essayant de défendre leur cause.

• 1640

Cependant, monsieur Johnston, j'ai clairement indiqué qu'en tant que Canadien et en tant que personne qui croit à la démocratie de notre gouvernement et de nos élections ainsi qu'à la façon dont nous faisons les choses, j'étais offusqué du manque de respect dont a fait preuve le gouvernement libéral au cours des dernières années envers le droit de grève des travailleurs qui relèvent du gouvernement fédéral.

Le président: Monsieur Anders.

M. Rob Anders: Monsieur Hargrove, l'article 46 du projet de loi C-19 pourrait engendrer des interruptions de travail et du maraudage syndical qui permettrait à plusieurs syndicats de se faire concurrence pour le recrutement de nouveaux membres. Je me demande si vous êtes en faveur de cela.

M. Buzz Hargrove: Je crois que la plupart des gens connaissent ma position. En ce qui a trait à l'article 18, je crois que dans certains domaines, plus spécifiquement au niveau fédéral, il y a trop de syndicats. Je crois qu'une mesure législative qui permettrait de réduire le nombre de ces syndicats de façon démocratique, en offrant aux travailleurs et à leur syndicat un droit de regard sur la façon dont cela serait fait, mérite l'assentiment du Parlement.

M. Rob Anders: Alors vous seriez en faveur de ce qui est généralement appelé du maraudage syndical tel que le permettrait le projet de loi C-19?

M. Buzz Hargrove: Encore une fois, je ne perçois pas cela comme du maraudage syndical. Je crois qu'un problème se pose quand on retrouve plusieurs syndicats sous un même toit ou qu'ils représentent des travailleurs d'une même entreprise. Cela pose un problème autant à l'entreprise qu'au syndicat. Cela crée une situation qui n'est pas très saine.

Je le répète; tant que le système du Congrès du travail du Canada ne changera pas, nous pourrons nous prévaloir de notre droit d'expression. Nous n'avons pas de règles contre le maraudage, mais nous avons une procédure qui nous permet de contrôler les contacts des syndicats qui cherchent à éliminer une situation malsaine qui, selon moi, n'est pas très bénéfique pour les travailleurs. Je crois qu'en ce sens, le projet de loi, tel que je le comprends, n'est pas choquant.

M. Rob Anders: Les interruptions de travail de courte durée pourraient donc permettre d'identifier un agent négociateur plutôt que de trouver plusieurs agents rivaux.

M. Buzz Hargrove: J'ai constaté que les élections syndicales et tous les votes du même genre sont source de perturbations et je crois que bon nombre d'employeurs utilisent des tactiques de cette nature. Je crois cependant que l'exercice démocratique qui permet à un travailleur de joindre les rangs d'un autre syndicat, comme le Congrès du travail du Canada a l'habitude de faire, est très sain.

M. Rob Anders: De la saine concurrence.

Le président: Monsieur Nault.

M. Robert D. Nault (Kenora—Rainy River, Lib.): Merci, monsieur le président.

M. Hargrove est le premier représentant du mouvement syndical. Parce que c'est du déjà vu, puisque nous revoyons le même projet de loi auquel on a apporté quelques amendements, j'ai l'impression que plusieurs employeurs nous diront que ce projet de loi n'a rien à voir avec l'entente qui avait été conclue lors des discussions avec les ETCOF. Au cours de votre exposé, vous avez affirmé le contraire.

Vous collaborez de façon très étroite avec le Congrès du travail du Canada et avec les groupes patronaux. Est-ce qu'il serait juste de croire que les gens viendront ici en leur nom personnel et non à titre de représentants des ETCOF pour dire que s'ils avaient agi seuls, ils auraient cherché à obtenir ce que nous proposons? En réalité, ils ont tous convenu qu'il s'agissait d'un compromis et, qu'en matière d'élaboration de lois du travail, cela est monnaie courante au Canada.

M. Buzz Hargrove: Oui. Cela est conforme à la façon de faire dans le domaine des relations de travail, notamment en ce qui a trait à la négociation collective et à la ratification des ententes. Si vous vous présentiez à une réunion de ratification et que vous demandiez à chaque travailleur de se prononcer sur chaque point négocié, comme les salaires, les pensions, les régimes de soins médicaux et les journées de congé, vous constateriez que plusieurs travailleurs se prononceraient en faveur de certains points et voteraient contre certains autres. Il en serait de même pour les groupes d'employeurs et pour les mouvements ouvriers qui sont ici.

Mais, en tant qu'employeurs et en tant que représentants des travailleurs, nous en sommes venus à un consensus sur ce que nous pouvions appuyer à l'assemblée législative. Je crois qu'il s'agit d'une initiative très importante. Le gouvernement ontarien, lui, n'a même jamais essayé de rapprocher les gens. Malgré les protestations d'honnêtes gens d'affaires qui dénonçaient cette injustice, il n'a jamais tenu d'audience, jamais écouté. Il a fait la sourde oreille. Je félicite le gouvernement libéral d'avoir à tout le moins tenu ces audiences et d'avoir donné une seconde chance de s'exprimer aux groupes d'employeurs, à nos syndicats et à tous les autres.

M. Robert Nault: Alors, seriez-vous d'avis que lorsque des gens se présentent devant nous, comme la dernière personne qui s'est adressée à nous et qui, de toute évidence, représentait la partie patronale, ils ne font que revenir à leur position de départ en ce qui a trait à leurs attentes relativement à la question qui nous intéresse? Il ne s'agit en quelque sorte que d'une liste de requêtes. Monsieur Hargrove, je n'approuve pas que l'on propose au comité de prendre ces suggestions en considération à ce stade-ci, alors que cette démarche a été entamée il y a de cela trois ou quatre ans.

• 1645

M. Buzz Hargrove: Oui. M. Gagliano était ministre. Mme Robillard lui a succédé, et c'est maintenant au tour de M. MacAulay. Des élections ont aussi eu lieu. Ce fut donc un processus long et pénible.

M. Robert Nault: J'aimerais donc prévenir les membres que nous entendrons une version quelque peu biaisée de ce que les ETCOF avaient convenu.

L'autre point qui m'inquiète vraiment a trait aux articles 87.2 et 87.3. Vous dites que la période de 60 jours proposée à l'article 87.3 et le préavis de 72 heures proposé à l'article 87.2 devraient être repensés parce que vous croyez qu'ils ne serviront seulement qu'à favoriser le recours aux mesures de grève. Je sais que même mes amis de la droite ne voudraient pas favoriser les mouvements de grève. Est-ce que vous ou l'un de vos collègues pourriez m'expliquer ce que vous voulez dire? Vous faites là une déclaration très sérieuse.

M. Buzz Hargrove: Pour placer les choses dans leur contexte, monsieur Nault, utilisons les chemins de fer à titre d'exemple. Quand nous négocions, nous tentons d'élaborer une stratégie qui nous permet de négocier une convention collective avec un des employeurs pour ensuite aller voir le prochain et lui dire: «Voici ce qui s'applique dans l'industrie du rail. Nous aimerions que vous y jetiez un coup d'oeil.»

Pour ce faire, nous devons négocier avec les trois employeurs—CN, CP, et VIA—jusqu'à la date prévue pour les mesures de grève, qui est présentement conditionnelle au dépôt du rapport du ministre. J'espère d'ailleurs qu'il le déposera très rapidement. J'en profite pour passer le message pendant que je suis ici.

Maintenant que le message est lancé, nous devons mettre les mesures de grève aux voix et nous préparer. Avec notre mandat de grève en main, disons, par exemple, que nous choisissons le Canadien National pour négocier jusqu'à la date prévue pour la grève et que nous faisons maintenant face à la grève. Un mois plus tard, nous nous entendons ou nous pensons que nous sommes sur le point de nous entendre. Mais, entre-temps, nous regardons ce qui se passe au CP et nous nous disons: «Bon, notre mandat de grève est pratiquement échu. Soit que nous déclenchons la grève, soit que nous recommençons le processus de consultation auprès de nos membres.»

Dans des structures d'envergure nationale, comme le rail, l'aviation et les télécommunications qui sont de compétence fédérale, nous devons recommencer ce processus depuis le début, ce qui engendre des retards et fait échouer le processus. Nous devons décider s'il vaut mieux faire la grève ou remettre encore une fois les négociations pour plusieurs semaines, pendant que nous retournons demander à nos membres une permission qu'ils nous ont déjà donnée.

Ça n'a tout simplement pas de sens, en plus, c'est pratiquement dénué de toute logique. Nous croyons que ce n'est pas un gros problème et que nous trouverons une façon de le régler, mais nous croyons que le processus serait plus efficace si nous n'y insérions pas quelque chose qui crée des problèmes plutôt que de les régler.

M. Robert Nault: Je crois comprendre que les autorités portuaires ont pris des dispositions pour prévenir ce problème en avisant les bateaux qui partent et qui arrivent pour que la valeur en capital qu'ils contiennent ne reste pas là à rien faire.

M. Buzz Hargrove: Cela nous convient.

M. Robert Nault: Bon, voilà une question de réglée, mais pourriez-vous m'éclairer...? Il se peut que je ne comprenne pas bien le texte du projet de loi. Vous écoulez la période de 72 heures et celle de 60 jours et puis vous attendez; vous n'avez pas à déclencher la grève. Est-ce que je comprends bien? C'est le meilleur moyen pour le syndicat de contourner le problème; vous n'avez qu'à suivre le processus, obtenir votre mandat de grève, laisser s'écouler la période de 72 heures, puis celle de 60 jours et ne pas déclencher la grève. Ou, à partir du moment ou vous avez donné le préavis prévu par la loi, il se peut que la période de 72 heures garantisse le déclenchement de la grève.

M. Buzz Hargrove: La période de 72 heures ne constitue pas un aussi gros problème, monsieur Nault, que les 60 jours.

M. Robert Nault: Une fois la période de 60 jours écoulée, vous pouvez toujours attendre, et tant que...

M. Buzz Hargrove: Pas à ma connaissance. Je crois que la clause des 60 jours est claire; ou une entente est conclue au cours de cette période, ou nous nous prévalons de notre mandat de grève, sans quoi nous devons réenclencher le processus. Notre exposé est basé là-dessus.

M. Robert Nault: D'accord.

Je vous remercie, monsieur le président. J'apprécie beaucoup.

Le président: Merci, monsieur Nault.

Merci, monsieur Hargrove.

M. Buzz Hargrove: Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie beaucoup.

Le président: J'espère que c'est la dernière fois que vous étudiez la même question deux fois.

Des voix: Oh, oh!

Le président: J'aimerais informer les membres du comité que nous nous réunirons ici, demain à 15 h 30.

La séance est levée.