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Bon après-midi, mesdames et messieurs.
Le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration tient aujourd'hui, mardi le 25 mai 2010, sa 17e séance. Nous avons à l'ordre du jour, conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 29 avril 2010, le
Nous accueillons trois témoins aujourd'hui, trois invités. L'un comparaît par téléconférence de St. John's; nous avons des problèmes de connexion, mais rien ne nous empêche de commencer avec les autres témoins en attendant. Je vous présente donc nos témoins.
Je vous souhaite la bienvenue au Comité de l'immigration dans le cadre de l'étude de ce projet de loi; il nous tarde d'entendre vos observations et commentaires. Nous accueillons la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, représentée par Stephan Reichhold, directeur, et Richard Goldman, responsable du volet protection. Nous accueillons également Action Réfugiés Montréal, représentée par Glynis Williams, directrice, et Maude Côté, coordonnatrice des programmes.
Chaque groupe a jusqu'à sept minutes pour faire son exposé. Je vous remercie de votre présence.
Nous allons commencer par vous, monsieur Reichhold.
Monsieur le président, honorables députés, je vous remercie de nous donner l'occasion de comparaître devant votre comité. Je m'appelle Richard Goldman, comme Stephan l'a dit, je suis responsable du volet protection à la Table de concertation. Je suis aussi le coordonnateur du Comité d'aide aux réfugiés, un petit organisme non gouvernemental confessionnel qui aide les revendicateurs du statut de réfugié. Sur une note personnelle, je travaille dans le système dans le domaine de la détermination du statut de réfugié à divers titres depuis avant la création de la CISR en 1989.
Aux fins de notre exposé, nous estimons qu'un exemple réel donne toujours le portrait le plus clair des répercussions réelles d'une loi. Nous allons donc présenter un cas réel actuellement en cours. Nous allons changer le nom, évidemment. Ce cas a fait l'objet d'un article d'opinion rédigé par Paula Kline, de notre organisation soeur, la Mission de la ville de Montréal. J'ai d'ailleurs rédigé l'article avec elle.
Je vous l'ai remis. Je ne sais pas s'il a été traduit et distribué. Oui? Très bien.
Nous croyons que l'article illustre les répercussions réelles surtout en ce qui concerne la question des considérations humanitaires, mais aussi les courts délais.
Voici donc le récit, brièvement. Il s'agit de l'histoire de Brihan. Ce n'est pas son vrai nom. Ce nom signifie lumière en amharique, sa langue maternelle. Elle a été donnée en mariage à l'âge de 12 ans par ses parents. Elle était l'aînée d'une famille de neuf enfants. Elle est née dans un village dans le nord de l'Éthiopie. Elle n'a jamais été à l'école. Le lendemain de son 14e anniversaire, elle a donné naissance à son premier enfant, un garçon. Au cours des cinq années suivantes, elle a eu un autre fils et deux filles.
En 1998, la guerre a éclaté entre l'Éthiopie et l'Érythrée. Son mari a dû aller se battre à la guerre, et on présume qu'il est mort au combat. Entre-temps, les autorités éthiopiennes ont commencé à accueillir et à expulser les personnes d'origine érythréenne. La mère de Brihan, qui est érythréenne, a été expulsée vers l'Érythrée. Brihan a elle-même été arrêtée et détenue pendant une semaine dans une cellule minuscule avec plus de 40 autres détenus. Elle a été battue, torturée et brutalement violée. En plus des séquelles émotionnelles, son état de santé s'est fortement aggravé.
Après cette semaine d'horreur en prison, elle a été libérée et a fui vers le Soudan, où elle a occupé divers emplois pendant cinq ans. Elle craignait toujours d'être expulsée vers l'Éthiopie. Évidemment, elle a dû laisser ses quatre enfants. Finalement, en 2004, une connaissance a fait pour elle les démarches nécessaires pour qu'elle puisse prendre un vol vers le Canada.
Elle est arrivée à Montréal sans papier et sans connaissance de l'anglais ni du français. Elle était en fait analphabète, même dans sa langue maternelle. Parce qu'elle n'avait pas de document d'identité, elle a été détenue par les autorités de l'immigration pendant trois mois, ce qui a en fait eu comme conséquence de devancer son audience. Je suis certain que vous avez entendu parler de gens qui devaient attendre deux ans ou plus avant leur audience, mais parce qu'elle était en détention, le processus a considérablement été accéléré.
Comme elle avait très peu eu accès à son avocat de l'aide juridique ou à des interprètes et qu'elle avait eu très peu de temps pour préparer son dossier, sa demande de statut de réfugié a été refusée. Toutefois, avec l'aide du Comité d'aide aux réfugiés et de la Mission de la ville de Montréal, elle a pu par la suite présenter une demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires, en présentant des preuves de son état de santé aggravé par les voies de fait qu'elle avait subies. Ces preuves n'étaient pas disponibles au moment de son audience. Grâce à ces preuves et à d'autres considérations humanitaires convaincantes, comme l'intérêt de ses enfants, notamment de ses deux filles, qui doivent faire face au même risque d'être mariées de force à un jeune âge, la demande pour des motifs humanitaires a été acceptée. Si tout va bien, elle devrait être réunie avec ses enfants très bientôt.
Comme je l'ai dit, il s'agit d'un cas réel, et en fait, la semaine dernière nous avons obtenu l'excellente nouvelle selon laquelle les visas de ses quatre enfants avaient été délivrés en Nairobi; ses quatre enfants devraient donc littéralement arriver dans quelques jours, si tout va bien. Ils seront réunis avec leur mère après une séparation de 10 ans.
Entre-temps, Brihan a très bien réussi à s'intégrer. Elle a appris à lire et à écrire les deux langues officielles du Canada, et elle a déjà obtenu une certaine expérience de travail au Canada. Si les réformes proposées dans le projet de loi C-11 étaient en place, elle n'aurait pas pu présenter cette demande avec l'aide d'un organisme. Elle aurait été expulsée vers l'Éthiopie dans les 12 mois, possiblement vers la détention et la mort, laissant ainsi ses enfants orphelins.
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Je vous remercie de nous donner l'occasion de vous présenter nos préoccupations sur le projet de loi, et plus particulièrement M. St-Cyr, qui a fait parvenir notre candidature au comité.
[Traduction]
Action Réfugiés a été fondée en 1994 par les églises anglicanes et presbytériennes de Montréal. Depuis, notre mandat est d'aider des demandeurs du statut de réfugié détenus au centre de détention de l'Agence des services frontaliers du Canada à Laval. Nous faisons aussi le jumelage de demandeuses de statut de réfugié et de bénévoles à leur arrivée à Montréal. Notre troisième programme consiste à parrainer des réfugiés de l'étranger.
Nous croyons que notre force réside dans le fait que nous travaillons à la fois avec les demandeurs de statut de réfugié sur place et les réfugiés à l'étranger. Il s'agit d'une situation quelque peu unique au Canada.
Il y a 22 ans, j'ai commencé à travailler avec des demandeurs de statut de réfugié détenus. À titre de directrice fondatrice de cet organisme, nous avons choisi de faire du programme de détention notre priorité, dont nous allons vous parler plus en détail bientôt.
En 2007, j'ai participé à un programme de déploiement à très court terme avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en Syrie en menant des entrevues avec des réfugiés irakiens. J'ai entendu les récits de plus de 350 réfugiés irakiens en quatre mois; je n'ai pas les mots pour vous décrire la violence et la souffrance énormes qui ont eu lieu en Irak. Nous avons donc bien accueilli l'annonce du ministre selon laquelle le nombre total d'établissements augmenterait, et je sais que ça ne fait pas partie du projet de loi. Toutefois, il est extrêmement injuste de rendre cette augmentation conditionnelle à l'adoption du projet de loi. De dire qu'un groupe mérite la protection du Canada tandis qu'un autre groupe est bidon — autrement dit, on mesure les demandeurs sur place aux demandeurs à l'étranger — est une stratégie qui va à l'encontre de la tradition humanitaire canadienne.
Je veux vous donner un exemple réel. Un jeune Irakien que j'ai rencontré — appelons-le Yousuf — a été kidnappé à Bagdad. Une rançon importante a été demandée, puis payée par son père. Yousuf avait été torturé, et sa famille l'a envoyé en Syrie au moment de sa libération, mais même là il ne se sentait pas à l'abri de ses ravisseurs. Puis le père de Yousuf a été kidnappé et une rançon de 200 000 $ a été demandée. La rançon a été payée, et son corps a été retourné. Il avait été tué par les terroristes.
Le frère de cet homme est un citoyen canadien, qui a été très perturbé par la mort violente de son propre frère et le traumatisme vécu par son neveu, Yousuf. Il a donc aidé Yousuf à se rendre au Canada. Action Réfugiés l'a rencontré alors qu'il était détenu au centre de détention de l'Agence des services frontaliers du Canada, ayant demandé le statut de réfugié directement à l'aéroport. Yousuf aurait sans doute pu faire partie de la catégorie des renvois par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, mais il était terrifié à l'idée de rester dans la région, alors il est venu au Canada. Son récit illustre pourquoi on ne devrait même pas laisser entendre que les revendicateurs du statut de réfugié sont moins méritants que les réfugiés à l'étranger.
Les pays d'origine sûrs désignés mettent l'accent sur l'idée voulant que certains réfugiés soient plus méritants que d'autres. La disposition est discriminatoire et omet de reconnaître que la plupart des pays peuvent être dangereux pour certains de leurs citoyens à un moment donné — les revendications fondées sur le sexe et les victimes de discriminations fondées sur l'orientation sexuelle sont des exemples évidents.
Le fait que les demandes refusées des pays désignés sûrs n'auront pas accès à l'appel est vraiment inquiétant. Les revendications de statut de réfugié sont par définition fondées sur le risque individuel de persécution, alors la désignation de pays sûrs est un principe contradictoire. Il semble probable que de désigner des pays comme étant sûrs augmentera le nombre d'examens judiciaires pour les revendicateurs de ces pays dont la demande est refusée. La Cour fédérale est susceptible d'accorder l'examen aux personnes qui ont au moins eu un appel dans le cadre de la SAR.
Nous comprenons les préoccupations en ce qui concerne les demandes de réfugiés douteuses, alors pourquoi ne pas permettre à l'ASFC de désigner un certain nombre de demandes comme prioritaires pour le traitement à la CISR? Cette pratique correspond beaucoup mieux au principe de détermination du statut de réfugié, qui est un statut individuel.
[Français]
Je vais maintenant passer la parole à ma collègue Maude Côté.
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Merci. Je suis la coordonnatrice des programmes auprès d'Action Réfugiés Montréal. Comme mentionné par Mme Williams, notre organisme visite le Centre de prévention de l'immigration toutes les semaines afin de donner de l'information juridique et un soutien moral aux détenus. Ce centre est l'un des trois lieux de détention pour fins d'immigration au Canada.
Quoique certaines personnes soient détenues avant de faire face à un renvoi, une réalité qui est très peu connue et qui fait partie de notre quotidien est celle des demandeurs d'asile qui sont détenus pour motifs d'identité à la suite de leur arrivée. Il est, selon nous, primordial de ne pas confondre les gens détenus en raison d'un renvoi imminent et ceux qui le sont pour motifs d'identité, à la suite de leur revendication du statut de réfugié.
Nous sommes d'avis que les délais relatifs à une entrevue dans les huit premiers jours de l'arrivée d'un demandeur, de même que la conduite d'une audience dans les soixante jours, sont tout à fait irréalistes dans le contexte des demandeurs d'asile qui sont détenus. Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait que ces nouvelles mesures proposées leur seraient préjudiciables, à la fois en raison de leur droit de retenir les conseils d'un avocat afin de les assister dans la préparation de leur dossier, de même qu'en raison de la très grande difficulté à obtenir des documents ou à faire avancer leur dossier en étant détenus par les autorités.
Par exemple, un demandeur d'asile congolais, fuyant le conflit et incapable de contacter sa famille, car il en a perdu la trace pour les mêmes raisons, peut rester en détention quelques mois, traumatisé, incapable de fournir les pièces demandées. Cette situation est malheureusement la réalité de plusieurs.
Nous sommes aussi préoccupés par le fait qu'un fonctionnaire, lors de l'entrevue aux huit jours, « aiderait le demandeur à remplir le formulaire correctement ». Ce rôle est actuellement celui d'un avocat indépendant qui agit comme conseiller du demandeur afin de protéger ses droits. Ce droit à l'avocat prévu à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ne devrait être amputé d'aucune manière, particulièrement dans la législation qui doit protéger des personnes si vulnérables.
Puisque les conditions de détention ne facilitent pas la collecte de documents — les détenus doivent obtenir des cartes d'appel, n'ont pas accès à Internet, le centre de détention est éloigné de la ville —, il est dangereux de forcer la tenue d'audiences trop rapides, car celles-ci défavorisent les demandeurs, qui ne seront pas prêts à temps. De même, puisque la section d'appel des réfugiés sera restreinte — tant dans sa forme que dans son fond —, nous risquons de voir un plus grand nombre de demandes s'accumuler à cette section d'appel, car refusées en première instance et ultimement refusées en raison de la restriction de présenter seulement des nouveaux éléments de preuve. Cela nuira gravement à la réputation du Canada en matière de protection des réfugiés.
De plus, puisque les délais proposés seraient si courts, nous sommes d'avis que la détention serait favorisée, en raison du processus expéditif souhaité par le ministre Kenney, afin de pouvoir garder un meilleur contrôle de la situation. Puisque les effets de la détention sur les demandeurs d'asile fuyant la persécution — qui pour la plupart n'ont jamais été détenus — sont non négligeables, nous sommes inquiets des conséquences de l'augmentation de la détention des personnes qui viennent rechercher la protection du Canada.
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En terminant, nous aimerions vous présenter les cinq recommandations suivantes. Premièrement, il s'agit de supprimer le paragraphe 100(4) concernant les entrevues après huit jours de l'arrivée au Canada.
Deuxièmement, il s'agit de permettre à la Section de la protection de la CISR le soin de fixer la date de l'audience en consultant les demandeurs et leur conseil, selon la disponibilité de la preuve documentaire et leur niveau de préparation, sans les obliger à se présenter à une audience dans les soixante jours de l'entrevue.
Troisièmement, il s'agit de modifier les paragraphes 110(3) à 110(6) et l'alinéa 113a) afin que la Section d'appel des réfugiés tienne systématiquement des audiences, et ce, en considérant tous les éléments de preuve relatifs aux demandes d'asile.
[Traduction]
La quatrième recommandation vise à supprimer l'article 12 et proposer un nouvel article 109.1 à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés aux fins de la désignation de pays d'origine sûrs.
La dernière recommandation est de traiter les demandes de toute évidence non fondées en amendant la loi pour donner au ministre de la Sécurité publique l'autorité de répertorier un nombre limité de demandes que la CISR aurait à examiner de façon prioritaire.
Je vous remercie.
Je vous remercie de votre présentation. Je m'appelle Julia Porter et je suis travailleuse sociale de la réinstallation à l'Association for New Canadians. Nous sommes un organisme communautaire à but non lucratif basé à St. John's, à Terre-Neuve-et-Labrador. Nous offrons des programmes d'aide à la réinstallation et des programmes d'aide aux immigrants et à l'installation aux nouveaux arrivants à St. John's, à Terre-Neuve-et-Labrador. Nous travaillons surtout avec des réfugiés et des immigrants subventionnés par le gouvernement. Nous ne travaillons pas souvent avec des revendicateurs du statut de réfugié.
Aujourd'hui, en ce qui concerne le projet de loi, je voulais surtout vous parler, compte tenu de mon expérience, des délais très stricts. De passer de 60 jours à 19 mois me semble assez considérable comme écart. Pour les clients avec qui je travaille, qui peuvent venir de régions rurales ou qui peuvent avoir des parents éparpillés partout dans le monde, il est vraiment très difficile d'obtenir certains documents et de tout organiser tel qu'exigé. Alors 60 jours avant l'audience me semble assez strict. Aussi, pour les huit jours, il serait très important qu'une certaine pratique ou que certaines approches soient mises en place, compte tenu de la nature délicate de nombreuses demandes, et on pourrait même élaborer des partenariats dans la communauté pour faire en sorte que certains avocats puissent travailler avec les demandeurs du statut de réfugié.
Je crois qu'il est fantastique de planifier la réinstallation de davantage de réfugiés en vertu du Programme de parrainage privé et du Programme de réfugiés subventionné par le gouvernement, mais comme d'autres personnes l'ont dit, il est déplorable que le processus de demandes de statut de réfugié soit touché.
C'est tout ce que j'ai à dire de notre côté. Comme je l'ai dit, nous travaillons surtout avec des réfugiés subventionnés par le gouvernement, et je suis très ravie d'avoir eu l'occasion de participer à cette séance.
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Je remercie tout le monde ici de même que le témoin qui se joint à nous de St. John's. Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion d'entendre ce que vous aviez à dire.
Je crois qu'il y a quelques points litigieux. Il y a les huit jours, les 60 jours, et le fait de ne pas pouvoir s'adresser à un organisme et utiliser la même information présentée à l'audience.
Je me demandais si vous pouviez nous donner votre avis sur les huit jours. Est-ce suffisant? Actuellement, si je ne m'abuse, le délai est censé être de 28 jours. Selon vous, à quel moment la première audience devrait-elle avoir lieu? Dans les huit jours? Les gens devraient-ils seulement se prêter à une entrevue? Devraient-ils pouvoir soumettre un FRP?
Je comprends que le témoin de St. John's disait qu'il faudrait y avoir des avocats en attente pour donner des conseils. Pouvez-vous nous donner votre avis sur les huit jours, les 60 jours ainsi que le fait que les organismes ne puissent pas utiliser l'utilisation présentée à l'audience?
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Ceux qui travaillent dans le domaine de l'immigration depuis très longtemps — je répète, très longtemps — se souviennent que nous avions autrefois un fondement crédible, un minimum de fondement. À l'époque, l'idée semble presque identique à ce que nous faisons, à ce qui est proposé maintenant dans la loi.
La désignation de pays sûrs constitue un effort ou une tentative visant à minimiser, à réduire, le nombre de demandes. Il semble qu'il s'agisse de l'un des facteurs principaux du nouveau projet de loi. Mais cela contredit tout à fait la détermination du statut de l'individu. Toute la convention portant sur le statut de réfugié tourne autour du fait qu'un individu doit prouver pourquoi il est persécuté ou pourquoi sa vie est en danger, et nous lui retirons cette possibilité lorsque nous désignons les pays entiers. Comme nous l'avons mentionné auparavant — on pourrait même revenir au cas cité par Richard un peu plus tôt — les cas entourant le genre et l'orientation sexuelle... On peut venir d'un pays qui a des normes minimales en matière de droits de la personne. Mais il y aura toujours certains individus qui seront ciblés.
Prenons ce que le Malawi fait dans les cas d'orientation sexuelle, tout comme le Zimbabwe et d'autres pays en Afrique. Je pense que désigner ces pays sera cauchemardesque. Et il n'est pas nécessaire de le faire. Il s'agit d'une réelle contradiction dans la loi. Mais en même temps, nous comprenons — je pense que la plupart des gens sont assez réalistes — que des demandes moins fondées suscitent quelques préoccupations, comme nous les décrivons, qui ne semblent pas atteindre le même niveau... pourquoi ne pas accorder la priorité à ces demandes? Le processus d'accélération, qui donne une chance aux gens d'être entendus, de voir une décision rendue ou d'interjeter appel — nous espérons — s'ils ont l'intention de le faire, alors pourquoi pas?
Que faisons-nous avec notre propre groupe-client? Nous sommes une organisation responsable. Nous rencontrons les gens en détention. Nous n'avons pas d'agent qui travaille à l'étranger pour aider les gens ou leur dire quoi dire ou quand le dire. Je pense que les gens auront beaucoup de mal à comprendre qu'il y a ici deux processus — l'un si l'on vient d'un pays ou de plusieurs pays, l'autre si l'on vient d'autres pays — et de savoir comment se préparer. Encore une fois, cela revient toujours à la documentation. Et certains d'entre eux...
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Oui, tout à fait. Nous sommes entièrement d'accord. La situation n'est pas idéale au départ. Le système a des problèmes qui doivent être réglés.
Comme le gouvernement l'a indiqué, l'un de ces problèmes est l'attente extrêmement longue de traitement des demandes de statut de réfugié. Plus une personne attend longtemps, plus c'est injuste pour les véritables réfugiés, mais plus l'idée de présenter une demande frauduleuse est séduisante. Il faut absolument régler ce problème.
Il y a certains problèmes concernant les procédures de nomination des membres de la commission. De grandes améliorations ont été apportées au fil des ans, mais le système n'est toujours pas entièrement dépolitisé. Nous pensons qu'il devrait être entièrement fondé sur le mérite et que les nominations devraient être décidées par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié elle-même, en se fondant entièrement sur le mérite. Je m'écarte peut-être de la question des abus.
Il faut apporter des améliorations, mais le système est foncièrement très solide et constitue un modèle pour les pays de partout dans le monde. Nous pensons qu'il est très sage d'avoir une décision de premier niveau rendue par un tribunal indépendant et professionnel; si on obtient la meilleure décision possible la première fois, alors on se préoccupe moins de corriger les erreurs et on a moins de chance de voir les gens abuser du système.
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Nous entendrons également, par vidéoconférence, M. David Matas qui est avocat.
Également présent, M. Ezat Mossallanejad, du Centre canadien pour victimes de torture, analyste des politiques et recherchiste pour cet organisme.
Enfin, nous entendrons par vidéoconférence M. William Bauer, qui se trouve à London et est l'ancien ambassadeur du Canada et membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada.
Je vous accorderai chacun un maximum de sept minutes.
Commençons par M. Norquay, qui est ici avec nous.
À vous, monsieur Norquay.
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Désolé. Merci de ce conseil.
Mon organisme, HIV and AIDS Legal Clinic Ontario, est un service d'aide juridique sans but lucratif desservant les personnes séropositives ou atteintes du sida en Ontario depuis 1995. Une proportion importante des 4 000 demandes de services que nous recevons chaque année ont trait au droit de l'immigration et au droit d'asile; au fil des ans, nous avons donné des services d'aide juridique à des centaines de personnes séropositives qui demandaient le droit d'asile au Canada.
Permettez-moi de situer un peu le contexte avant de commenter le projet de loi proprement dit. La situation des Canadiens séropositifs s'est énormément améliorée au cours des 20 dernières années. Grâce à la découverte de médicaments antirétroviraux efficaces, beaucoup d'entre eux jouissent maintenant d'une espérance de vie semblable à celle de l'ensemble des Canadiens.
Malheureusement, dans beaucoup de pays en développement, l'infection par le VIH demeure une condamnation à mort. L'espérance de vie est grandement réduite par la pénurie de médicaments anti-VIH et la perturbation des services de santé engendrée par des conflits civils et l'instabilité économique. De plus, les personnes séropositives font face à une hostilité presque inimaginable pour nous de la part de la population. Ils peuvent être rejetés carrément par leur famille et leurs amis, expulsés de leurs villages parce qu'on craint la maladie et être quasiment incapables de trouver du travail ou un logis.
La situation dans laquelle se trouvent les chercheurs d'asile séropositifs et d'autres personnes en situation irrégulière au Canada explique pourquoi les motifs d'ordre humanitaire ont toujours pu être évoqués et demeure un recours capital de nos jours. Ils permettent d'accorder l'asile d'une façon discrétionnaire aux personnes se trouvant dans des situations non prévues par les lois d'immigration; autrement dit, aux personnes qui autrement seraient laissées pour compte.
On cite souvent une affaire de 1970, Chirwa, selon laquelle les motifs d'ordre humanitaire s'appliquent aux cas qui inciteraient une personne raisonnable dans une société civilisée à vouloir soulager la souffrance d'autrui. D'après cette analyse, on considère tous les éléments et toutes les circonstances de la personne.
Bien sûr, les décisions fondées sur des motifs d'ordre humanitaire sont discrétionnaires et c'est au demandeur qu'il incombe de plaider sa cause. Il n'y a pas de règle absolue quant aux cas devant être acceptés. Les lignes directrices du ministère en la matière parlent seulement de difficulté indue, non méritée ou disproportionnée.
Au cours des 15 dernières années, beaucoup de nos clients séropositifs qui étaient aux prises avec des difficultés extrêmes dans leur pays d'origine ont été accueillis au Canada sur la base de motifs humanitaires. Cela vaut également pour les demandeurs d'asile déboutés et pour ceux qui n'ont jamais présenté de demandes d'asile.
Si le projet de loi C-11 est adopté tel quel, la plupart sinon tous les demandeurs d'asile accueillis pour des motifs d'ordre humanitaire n'auraient pas pu faire une demande ou, s'ils l'avaient fait, cette demande aurait été rejetée. Cela aurait entraîné l'expulsion de personnes et de familles séropositives dont certaines mènent une vie productive et en santé au Canada à leur pays d'origine où leur vie aurait été mise en danger à cause de systèmes de santé déficients ou d'atteinte grave aux droits fondamentaux de la personne.
Les deux articles en question sont, premièrement, le paragraphe 25(1.2), qui interdit les demandeurs d'asile qui invoquent des motifs d'ordre humanitaire de présenter une nouvelle demande moins d'un an après le rejet de leur demande. La deuxième disposition est le paragraphe 25(1.3), qui interdit à tous les demandeurs d'asile qui souhaitent invoquer des motifs d'ordre humanitaire d'invoquer de présenter des arguments en rapport avec le risque personnalisé.
En ce qui concerne l'interdiction d'un an, il est fréquent que des demandeurs d'asile séropositifs présentent une nouvelle demande pour des motifs humanitaires immédiatement après avoir été déboutés, lorsqu'il n'existe pas dans leur pays des possibilités appropriées des traitements de l'infection par le VIH. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié ne pourra pas tenir compte du fait que leur vie est en danger à cause d'une pénurie de soins de santé parce que ce motif est expressément exclu par le sous-alinéa 97(1)b)iv) de la LIPR.
La CISR ne pourra pas admettre ces demandeurs dont la vie est en danger parce qu'ils sont séropositifs. Un agent d'examen des motifs humanitaires peut admettre ces cas et, d'après mon expérience, le fait pratiquement toujours. Mais il sera impossible de présenter une nouvelle demande dans l'année qui suit le rejet d'une demande CH.
Et ce qui est encore pire, la plupart des demandeurs d'asile ne savent pas qu'ils sont séropositifs avant de passer l'examen médical exigé des demandeurs d'asile. Il est alors trop tard pour fonder sa demande sur des motifs d'ordre humanitaire au lieu d'invoquer le statut de réfugié parce que l'interdiction d'une année s'appliquerait même s'ils retiraient leurs revendications du statut de réfugié.
Nous croyons par ailleurs que cette interdiction d'un an pousserait vers la clandestinité les demandeurs déboutés malgré de sérieux motifs humanitaires. Car si une personne demande l'asile pour de sérieuses raisons humanitaires et sait le danger qu'elle si elle retourne dans son pays d'origine, elle fera naturellement tout ce qu'elle pourra pour éviter son renvoi et demeurer au Canada, dans l'espoir qu'après un an, elle puisse faire admettre une nouvelle demande fondée sur des motifs humanitaires. Évidemment, cela ferait grimper les coûts d'application de la loi et entraînerait des litiges coûteux.
Comme l'ont dit d'autres témoins qui ont comparu devant vous, le fait de présenter une demande par un organisme n'entraîne pas de sursis aux mesures de renvoi. Beaucoup de témoins ont remis en question la nécessité d'une interdiction d'un an ou l'interdiction d'une demande simultanément présentée par un organisme, et je suis d'accord avec eux.
Le projet de loi C-11 est intitulé Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés. On prétend qu'il vise à concilier une meilleure protection des réfugiés et une meilleure prévention des abus.
Pour ce faire, il faut que cinq conditions soient réunies: premièrement, il doit être nécessaire d'améliorer la protection des réfugiés; deuxièmement, le projet de loi doit effectivement améliorer cette protection; troisièmement, il faut mieux prévenir les abus; quatrièmement, le projet de loi doit effectivement améliorer la prévention des abus; et cinquièmement, on doit renforcer tant la protection des réfugiés que la prévention des abus, et ce, de façon à peu près égale.
Le projet de loi répond-il à ces cinq exigences? Il répond certainement à la première condition. Il faut effectivement améliorer la protection des réfugiés, parce qu'il n'y a pas de système d'appel à l'heure actuelle et qu'il en faut un.
Le projet de loi corrige-t-il cette lacune? Oui, mais partiellement. Il établit une section d'appel, mais trois problèmes se posent. Premièrement, tous les demandeurs déboutés ne peuvent pas interjeter appel; c'est le cas de ceux qui proviennent de pays désignés. Deuxièmement, même pour les autres demandeurs, il peut y avoir un délai de deux ans avant l'entrée en vigueur des dispositions relatives au droit d'appel. Troisièmement, le système réduit les protections dans d'autres domaines en éliminant partiellement le recours à des demandes fondées sur des motifs humanitaires, les permis de résidence temporaire et l'évaluation des risques avant le renvoi.
Je reviens à la troisième question: Y a-t-il des abus qu'il faudrait corriger? À mon avis, le processus est trop long. Il y a de longs délais et qu'ils soient attribuables ou non à des abus, on n'a pas à en juger parce que ces longs délais ne servent l'intérêt de personne, ni des véritables réfugiés, ni du système, bien entendu.
Le projet de loi réussira-t-il à raccourcir les délais? Il y a en principe deux causes pour ces délais. La première est la fragmentation du système en de nombreuses étapes qui prennent du temps. S'il y a trop d'étapes, cela prend trop de temps. S'il y a des étapes inutiles, on perd du temps. Sous sa forme actuelle, le projet de loi ne s'attaque pas à cette cause des longs délais. En ce moment, le système comporte deux étapes inutiles: la détermination de l'admissibilité et l'évaluation des risques avant renvoi. Ces étapes demeureront. Je ne dis pas que l'évaluation de l'admissibilité et des risques avant renvoi n'ont pas leur place dans le processus, mais il faut faire la distinction entre les étapes et les normes. Il n'est pas nécessaire d'ajouter une étape différente pour chaque norme. La détermination de l'admissibilité pourrait être faite par la commission qui déciderait de l'exclusion ou de sa compétence. La commission pourrait également évaluer les risques avant renvoi au moment de rouvrir la demande.
En fait, le projet de loi ajouterait une nouvelle étape, soit l'entrevue, qui va venir allonger encore le processus. On a entendu parler de huit jours pour l'entrevue et de 60 jours après l'entrevue pour l'audience par la commission, mais cela semble quelque peu irréaliste. Premièrement, ni le gouvernement ni le ministre ne détermine ces délais; aux termes du règlement, c'est le commissaire qui le fait. Deuxièmement, les délais ne peuvent être respectés que s'ils sont réalisables. Il est impossible pour le demandeur et pour la commission de tenir l'entrevue huit jours après la présentation de la demande. Il y a eu bien des cas dans le passé où nous avons légiféré pour établir des délais qu'il était impossible de respecter parce qu'ils étaient tout simplement irréalistes.
Prenez par exemple la règle des trois jours, selon laquelle l'admissibilité doit être déterminée dans les trois jours suivant la présentation d'une demande. Dans la pratique, cette règle n'est presque jamais respectée dans le cas des demandes présentées dans des points d'entrée terrestres; en principe, elle n'est respectée que parce que les trois jours commencent à s'écouler à partir du moment où les agents peuvent les respecter. Voilà ce qu'il adviendra des délais pour l'entrevue, dans la pratique.
À moins d'ajouter de nouvelles ressources, il faudra prendre des ressources ailleurs pour réaliser les entrevues. On ne peut pas savoir d'avance de combien cela allongera le processus, mais ce sera sans doute assez long.
Une étape qui n'entraîne pas de retards, contrairement à ce que les auteurs du projet de loi semblent penser, est une demande de résidence permanente fondée sur des motifs humanitaires ou une demande de résidence temporaire. Par conséquent, on a imposé des restrictions à ces demandes, ce qui ne raccourcit pas les délais de renvoi parce que les personnes peuvent actuellement être renvoyées pendant l'examen de telles demandes.
Outre les étapes inutiles, les arriérés contribuent à l'allongement des délais. Si le système est débordé, il y a une liste d'attente. Or, l'accumulation des demandes en souffrance ne dénote pas nécessairement des abus; ce peut être simplement attribuable à une capacité insuffisante par rapport au nombre de demandes.
Deux raisons sont à l'origine de l'accumulation de demandes non traitées. Il y a premièrement le changement du processus de nomination depuis l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement et le fait qu'aucun commissaire n'a été nommé pendant quelques années en attendant que le système soit modifié, ce qui a entraîné un important arriéré. Les effectifs de la commission sont maintenant complets, mais l'arriéré n'a pas disparu. Deuxièmement, il y a les nombreuses demandes présentées par des ressortissants de la République tchèque et du Mexique avant l'instauration du visa obligatoire. Maintenant qu'on exige des visas, ces délais devraient se résorber.
Les rédacteurs du projet de loi semblent penser que si on accélère le système, on pourra lever l'exigence d'un visa pour la République tchèque et le Mexique et peut-être pour d'autres pays. À mon avis, c'est une opinion irréaliste. Si le délai est assez court pour dissuader les gens originaires de pays pour lesquels aucun visa n'est exigé, le système ne sera pas efficace pour ce qui est de protéger les véritables réfugiés.
Le projet de loi ne parvient pas à assurer l'équilibre qu'il est censé établir parce qu'il sera mis en oeuvre progressivement: des mesures d'application de la loi, la restriction de l'accès à des demandes de résidence temporaire fondées sur des motifs humanitaires vont entrer en vigueur immédiatement. La section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ne sera établie, quant à elle, que deux ans plus tard.
Or, les problèmes sont trop pressants pour qu'on attende aussi longtemps. Comme on a réduit les mesures de protection, en limitant l'accès à différents mécanismes qui existent à l'heure actuelle, on a fait un pas en avant avec la section d'appel de la CISR et deux pas en arrière. Le résultat net est que...
Je représente une organisation de première ligne qui aide les survivants de la torture, de la guerre, de génocide et de crimes contre l'humanité. Je prends également la parole en ma qualité de travailleur de première ligne au centre et d'ancien réfugié ayant passé par le processus.
Depuis 33 ans, le Centre canadien pour victimes de torture a aidé plus de 16 000 survivants de 130 pays. Je vais donc vous faire part de certaines de nos préoccupations.
Tout d'abord, notre première préoccupation concerne l'entrevue après huit jours. Notre expérience nous a montré que 50 p. 100 des demandeurs d'asile au Canada ont subi les affres de la guerre ou de la torture. Lorsqu'ils arrivent ici, ils sont grandement traumatisés. La plupart du temps, dès leur arrivée, ils ne peuvent pas divulguer tout ce qu'ils ont dû endurer. C'est particulièrement vrai pour les victimes de viol et d'autres types de torture fondés sur le genre.
Ensuite, nous soutenons que la période de 60 jours prévue n'est ni juste ni faisable. Les victimes de torture ont souvent besoin d'une évaluation psychologique ou médicale, laquelle peut parfois nous prendre deux mois parce qu'il faut des rayons X, des IRM, et bien d'autres choses. De plus, il me faut parfois deux mois avant d'obtenir un rendez-vous avec un psychologue ou un psychiatre pour qu'il évalue la torture subie par une personne provenant d'un régime tyrannique. Ce n'est donc absolument pas faisable. Comment peut-on s'attendre à ce que ces personnes puissent soumettre tous les éléments requis?
Notons également que les survivants de la torture et d'autres crimes internationaux se replient souvent sur eux-mêmes lorsqu'il est question de discuter de leurs affreuses expériences. Cela s'applique tout particulièrement aux divers types de persécution fondés sur le genre. Pour l'instant, nous avons l'examen des risques avant renvoi et les demandes fondées sur des motifs humanitaires. Il existe donc certains recours, mais je suis convaincu qu'il faudrait maintenir les demandes fondées sur des motifs humanitaires, parce que si on les refuse pendant un an, il n'y a plus de raisons d'ordre humanitaire; ce n'est plus une demande de ce type.
Il ne faut pas oublier toute la question des pays d'origine sûrs, parce que certains survivants — peu importe d'où ils viennent — ont subi une torture en raison de leur orientation sexuelle. Il est parfois question de persécution fondée sur le genre ou de harcèlement. Je ne crois pas qu'on devrait refuser l'accès au système de détermination du statut de réfugié à ceux qui viennent d'un pays d'origine sûr.
Ensuite, nous nous inquiétons également du sort qu'on réserve à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Pour l'instant, nous avons un système quasi-judiciaire. En ce qui concerne les fonctionnaires, on ne sait pas quelle sera l'incidence du nouveau projet de loi. Dans d'autres pays, on a observé que ces fonctionnaires ne sont pas qualifiés. Ils n'ont pas les connaissances nécessaires, donc ils se fient à des critères bureaucratiques.
Considérons ensuite le principe de non-refoulement. En vertu de l'article 3 de la convention contre la torture et des articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, on ne peut renvoyer qui que ce soit dans un pays où il se ferait torturer. La décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Suresh, en 2002, abonde en ce sens.
Je crains que la mise en oeuvre du ne place les nouveaux arrivants dans une situation incertaine, parce que ce genre de mesure législative ne peut absolument pas avoir préséance sur les obligations du Canada sur la scène internationale, telles qu'édictées dans les conventions contre la torture ou les dispositions constitutionnelles du Canada. Qu'arrive-t-il si on rejette des centaines de demandes? Ces gens resteront-ils dans l'incertitude? On ne peut pas les renvoyer chez eux. Cette incertitude est également une forme de torture et il existe de nombreux gouvernements tyranniques. Cela n'a fait que traumatiser à nouveau nos clients. Je soutiens que le renvoi de nos clients vers la torture les traumatiserait également. Ils considèrent que le Canada ne s'occupe pas de ce dossier important, ce qui pourrait exacerber leur détresse.
Je suis d'avis que si le projet de loi est adopté, il imposerait des coûts supplémentaires aux contribuables canadiens pour couvrir l'application de la loi, les renvois, la détention, et ce genre de choses.
Enfin, depuis 1976, la Loi sur l'immigration a été modifiée à 52 reprises, sans pour autant que le système en soit amélioré.
Honorables législateurs, la principale lacune que je souhaite porter à votre attention concerne l'immigration et les droits des victimes et la nécessité de nommer un ombudsman qui relève du Parlement pour entendre les griefs concernant la mise en oeuvre des lois sur les réfugiés.
Merci beaucoup.
Je n'ai pas suffisamment de temps pour me pencher sur tous les aspects du projet de loi , donc je vais essayer de me concentrer sur ceux qui ont attiré davantage l'attention.
Le concept des pays d'origine sûrs est l'un de ceux ayant soulevé le plus la controverse. Il a été critiqué systématiquement par tous les groupes de pression qui ont comparu devant vous, je pense, et il s'agit en effet d'une corde très sensible.
La plupart des pays de l'Union européenne ont adopté une variante de ce concept, dans l'espoir d'éviter l'embourbement du système par des demandes manifestement sans fondement. Les critères permettant de désigner les pays d'origine sûrs établis par le conseil de l'Union européenne sont extrêmement stricts, et même si les procédures et les détails peuvent varier d'un pays à l'autre, les critères de base doivent être respectés.
On peut se baser sur différentes sources pour déterminer quels sont les pays d'origine sûrs, mais je n'en mentionnerai que deux qui sont très fréquemment utilisés. Les rapports sur les droits de la personne du département d'État américain sont publiés chaque année, et ce pour chaque pays du monde, y compris le Canada. On les considère en général comme étant impartiaux et objectifs, et ils sont utilisés depuis de nombreuses années par la CISR et le conseil. Le Home Office britannique dispose également d'un service d'information sur le pays d'origine.
D'après la proposition du gouvernement, je ne crois pas que notre liste serait bien longue, mais je suis convaincu qu'on devrait mettre en place une procédure pour l'établissement de cette liste — si on choisit cette option — afin que celle-ci soit précise et objective.
Certains ont critiqué le système en disant qu'il serait discriminatoire et que chaque demande devrait être évaluée séparément. Même en ce moment, la CISR a recours à des procédures discriminatoires dans ses directives sur la catégorisation nationale, qui permettent le traitement des demandes provenant d'une vingtaine de pays qui ne font pas d'audience, mais seulement une entrevue. Je n'ai entendu aucune organisation se plaindre de ce système, probablement parce qu'il aboutit presque automatiquement à une décision positive.
La mesure législative initiale renfermait aussi une liste de tiers pays sûrs, qui prévoyait le rejet des demandeurs qui, avant d'arriver au Canada, étaient passés par un pays doté d'un système respectable de détermination du statut de réfugié, qui respecte les droits de la personne, et ainsi de suite. En théorie, quiconque fuyait la persécution demanderait l'asile à sa première destination, plutôt que d'étudier le marché pour trouver un endroit un peu mieux. Cette idée a été critiquée, de la même façon que le concept des pays d'origine sûrs l'est en ce moment, et au bout du compte, cette mesure législative n'a jamais été promulguée, et je présume qu'elle ne le sera jamais. La volonté politique n'est pas au rendez-vous.
En ce qui concerne les échéances, on a dit que les demandeurs d'asile devaient discuter avec un fonctionnaire pendant une trentaine de minutes dans les huit jours après leur arrivée. Je ne vois pas le problème, et les critiques me semblent tout à fait de mauvaise foi. Pour l'instant, le réfugié doit rencontrer un agent d'immigration pour une entrevue au point d'entrée, qui se tient dans les pires conditions, alors que tout le monde est fatigué, que c'est bruyant, et qu'on a aucune description satisfaisante de ce qui a vraiment été dit. La période de huit jours permettrait au demandeur de décrire sa situation en détail dans des conditions bien meilleures, et il serait alors prêt pour son audience, 60 jours plus tard. Je doute que l'objectif des 60 jours soit respecté, mais il est louable, et il laisse suffisamment de temps de préparation.
En ce qui concerne le personnel de la CISR, je suis tout à fait d'accord pour qu'il s'agisse de fonctionnaires. Je sais que de nombreux groupes de pression ont critiqué ces derniers, disant qu'ils étaient incapables de faire preuve de jugement indépendant, qu'ils étaient contre l'immigration et qu'ils étaient de façon générale inférieurs à tous les autres Canadiens. Ces commentaires ont été réitérés au cours du débat concernant le projet de loi , et je dois dire que je trouve ces critiques mesquines, insultantes et inexactes.
J'ai travaillé avec des agents d'immigration pendant 40 ans dans divers pays, et je les ai trouvés bien formés, compatissants et justes, parfois dans les conditions les plus difficiles qu'on puisse imaginer. Ils exécutaient la loi du Canada, et non les désirs des ministres, disons-le. C'est ce que nous essayons tous de faire: appliquer les mesures législatives canadiennes adoptées par le Parlement.
Le cas d'interférence et de partialité des plus flagrants que j'ai constaté concernait une personne nommée par décret à la CISR qui avait un fort parti pris contre les décisions négatives. Je me suis toujours opposé au népotisme à la CISR, et j'ai suivi avec attention les tentatives des dernières années pour l'éliminer ou du moins le limiter, et j'espère que ces tentatives porteront leurs fruits.
En ce qui concerne la section d'appel, elle visait à l'origine à compenser...
J'ai rédigé un document de huit pages à l'intention du comité en octobre dernier alors que celui-ci discutait du projet de loi d'initiative parlementaire. Les raisons pour lesquelles je crois que celui-ci est mal venu et qu'il n'améliorera en rien la situation sont toutes exposées dans ce document. On vous a probablement distribué ce premier mémoire.
Je pense que non seulement la Section d'appel des réfugiés ne serait pas utile, mais qu'en outre, elle rendrait le système actuel moins efficace et moins juste.
J'en resterai là, mais je tiens à signaler que les grands groupes ne semblent pas prêts à faire de compromis à l'égard de ce projet de loi, d'après mes lectures des témoignages et des lettres qui ont été envoyées aux députés. Si 80 p. 100 des Canadiens considèrent que le système est dysfonctionnel et inadéquat, je pense qu'il faut trouver une façon d'entendre le point de vue de ces gens, plutôt que celui de quelques organisations professionnelles dont le travail consiste à faire du lobbyisme.
Je me ferai un plaisir de répondre aux questions que vous aurez concernant mon témoignage, ou d'autres questions, comme il vous plaira, monsieur le président.
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C'est à moi de toute façon. On va changer de sujet, ce ne sera pas plus mal.
Je vais profiter du fait qu'on a deux avocats avec nous. J'ai une question un peu plus technique au sujet du projet de loi et de son interprétation, à propos justement du droit d'avoir un avocat qui représente les demandeurs à toutes les étapes du processus de demande de statut de réfugié.
À l'article 8 du projet de loi, on modifie l'article 91 de la loi qui donne au ministre le pouvoir d'établir des règlements qui prévoient qui peut représenter ou ne peut pas représenter une personne devant le ministre, l'agent ou la commission, ou faire office de personne-conseil. On précise dans le projet de loi: « [...] notamment l'entrevue devant le fonctionnaire visé au paragraphe 100(4.1) [...] ». Donc, on vient préciser que le ministre pourra déterminer qui représentera ou non et qui pourra conseiller un demandeur au moment de l'entrevue.
Plus loin dans le projet de loi, à l'article 23, on modifie le paragraphe 167(1) pour dire que: « L'intéressé et le ministre peuvent en tous cas se faire représenter devant la Commission, à leurs frais, par un conseiller juridique ou un autre conseil. » Ma préoccupation est qu'à cet endroit, on n'a pas pris soin d'indiquer que cela concernait notamment l'entrevue devant les fonctionnaires visés au paragraphe 100(4).
Voilà pour l'aspect technique. J'en conclus que cela me semble flou. Donc, est-ce que lors de l'entrevue, le projet de loi garantit qu'un demandeur pourra être représenté par un avocat ou cela sera-t-il conditionnel à ce que le ministre le permette par réglementation? Je m'adresse aux deux avocats, entre autres, mais les autres peuvent faire un commentaire également. Est-ce que votre interprétation va dans le même sens que la mienne ou est-ce que je me suis trompé? Si vous êtes d'accord avec moi, est-ce que cela vous préoccupe? Dans ce cas, est-ce qu'on devrait spécifiquement inclure dans la loi qu'un avocat pourra conseiller les demandeurs à toutes les étapes, y compris lors de l'entrevue?
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C'est avec plaisir que je tenterai de répondre à la question.
Le projet de loi comme tel n'aborde pas ce point, et cela a soulevé certaines préoccupations. Ailleurs dans le projet de loi, on dit que le demandeur a le droit d'être représenté par un avocat lors des audiences de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. À mon avis, il serait utile d'ajouter dans ce projet de loi le droit d'être représenté par un conseiller juridique lors de ces entrevues.
Essentiellement, l'article 8 dit que s'il y a un conseiller juridique, ce dernier doit être avocat et membre de la Société canadienne de consultants en immigration, ce qui est la limite imposée à l'heure actuelle pour une audience devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, mais l'article 8 ne dit rien au sujet du droit à un conseiller juridique, et à mon avis, cela ne devrait pas être le cas.
J'aime bien votre précision. Cela m'éclaire.
Plus loin, à l'article 167(1) proposé, on dit que: « L'intéressé et le ministre peuvent en tous cas se faire représenter devant la Commission, à leurs frais, par un conseiller juridique ou un autre conseil.
Quand on dit « devant la Commission », à votre avis, cela inclut-il le fonctionnaire qui va mener l'entrevue, au sens de la loi, ou cela se limite-t-il à l'audience proprement dite en salle d'audience?
Malheureusement, durant la première décennie du XXIe siècle, le seuil de la torture a monté d'un cran. Aucun pays n'est à l'abri de la torture, même les pays industriels avancés. Par conséquent, n'importe qui peut être torturé. Je crois qu'il n'y a aucun pays sûr au monde.
Nous avons un problème avec la désignation des États-Unis d'Amérique à titre de pays sûr. Beaucoup de gens s'y rendent et sont ensuite renvoyés. Le système d'attribution du statut de réfugié est différent aux États-Unis par rapport au Canada. Le taux d'acceptation est beaucoup plus faible aux États-Unis. De plus, il n'existe aucun organe quasi judiciaire similaire à la commission.
Je veux citer l'exemple de demandeurs provenant de Saint-Vincent. Saint-Vincent est un pays très démocratique, doté d'un système parlementaire, mais il n'y a rien de démocratique pour les homosexuels. Je représente beaucoup de clients qui viennent de Saint-Vincent. Ils ont été victimes de torture par leurs collectivités, leurs familles et des personnes religieuses, sans bénéficier d'aucune protection policière. Je crois qu'ils ont besoin de la protection du Canada. Pour la première fois dans l'histoire du Centre canadien pour les victimes de torture, j'ai accepté de défendre des clients qui affirment avoir été victimes de torture dans des pays démocratiques. C'est difficile à croire, mais c'est vrai.
Alors, malheureusement, la torture...
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Messieurs, que vous soyez de Toronto, de London ou d'Ottawa, je vous remercie tous d'être venus et d'avoir exprimé votre point de vue au sujet du projet de loi. Cela met fin à la partie de la séance qui vous est consacrée. Merci d'avoir participé.
Un témoin: Merci de nous avoir invités.
Un témoin: Merci.
Le président: Je rappelle aux membres du comité qu'il nous reste deux points à l'ordre du jour avant l'ajournement. Je continuerai de parler en public jusqu'à ce que quelqu'un me signale son intention de passer à huis clos, car je crois que cela ne saurait tarder.
Vous avez en main deux budgets. Le montant le plus élevé représente une estimation des dépenses de la vidéoconférence pour le projet de loi . Cette estimation est exhaustive. Le montant moins élevé représente les dépenses liées à la question d'Haïti.
Tout le monde me regarde sans avoir l'air de comprendre ce dont je parle. Comprenez-vous?
J'aimerais que quelqu'un propose une motion pour approuver ces budgets et autoriser les dépenses. Madame Chow et monsieur Karygiannis, vous voulez intervenir?
(La motion est adoptée. [Voir le Procès-verbal])