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Je remercie le président et les membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de m'avoir invité à parler aujourd'hui de la recherche réalisée par le Service correctionnel du Canada dans le cadre de votre étude sur l'état du crime organisé.
Je m'appelle Larry Motiuk et je suis actuellement affecté, à titre de conseiller spécial, à l'équipe de renouvellement de l'infrastructure du SCC. Je suis également professeur auxiliaire de recherche au département de psychologie de l'Université Carleton. Je suis titulaire d'un doctorat en psychologie et d'une maîtrise en psychologie clinique.
J'ai commencé ma carrière dans le système correctionnel au Centre de détention d'Ottawa-Carleton, à sécurité maximale, et j'ai travaillé pour le ministère des Services correctionnels de l'Ontario jusqu'en 1988. Au cours de cette période, j'ai fourni des services cliniques directs à des délinquants en détention provisoire et à des délinquants condamnés, mené des recherches et été coauteur de publications sur la restitution, la sélection de foyers de transition et la classification des délinquants. Jusqu'à tout récemment, soit de 2006 à 2010, j'étais directeur général, Programmes de réinsertion sociale, à l'Administration centrale du SCC. Dans le cadre de mes fonctions, j'ai fourni des conseils sur les politiques, à la planification et les dispositions législatives touchant la gestion des délinquants en établissement et dans la collectivité ainsi que leur gestion opérationnelle. Au cours des 22 ans où j'ai travaillé au SCC, j'ai aussi été directeur général de la recherche pendant 13 ans, au cours desquels j'ai supervisé et évalué des projets de recherche opérationnelle d'envergure nationale. Les projets portaient notamment sur la santé mentale, l'évaluation initiale des délinquants, la gestion du risque, la réinsertion sociale des délinquants, la toxicomanie, la sécurité et les soins de santé. J'ai beaucoup publié au fil des ans et travaillé en étroite collaboration avec les ministères des services correctionnels de plusieurs administrations étrangères.
En 2005, l'Unité des politiques correctionnelles du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile a demandé l'aide de la Direction de la recherche du SCC, et lui a offert de l'appui pour la réalisation d'une recherche qui porterait principalement sur les délinquants sous responsabilité fédérale ayant commis des infractions d'organisation criminelle.
M. Ben Vuong, alors agent de recherche au SCC, et moi-même, avons alors élaboré un cadre de recherche et procédé aux analyses préliminaires de l'information dont nous disposions sur l'incidence des dispositions législatives concernant le crime organisé, en général, et, plus particulièrement, sur les délinquants qui doivent purger une peine en raison d'une infraction d'organisation criminelle. J'ai donc participé de près à la recherche et cosigné deux résumés de recherche sur les délinquants sous responsabilité fédérale condamnés pour des infractions d'organisation criminelle. En conséquence, j'ai une bonne connaissance des questions dont je traiterai plus loin.
Deux études ont été effectuées. La première, qui date de 2005, est intitulée Les délinquants sous responsabilité fédérale condamnés pour une infraction d'organisation criminelle: Profil. Pour vous donner un petit peu de contexte, en 1997, le gouvernement du Canada a pris des mesures pour lutter contre le crime organisé en modifiant le Code criminel de façon à ce que la participation à une organisation criminelle devient un acte criminel et à ce que la police dispose de pouvoirs d'enquête accrus. Le 18 décembre 2001, le projet de loi , un ensemble de nouvelles mesures législatives musclées destinées à renforcer la lutte contre le crime organisé, recevait la sanction royale. Ce projet de loi a porté d'autres modifications au Code criminel et créé trois nouvelles infractions pour lesquelles il prévoyait des peines sévères variant selon le degré de participation aux activités de l'organisation criminelle. Pour former l'échantillon qui ferait l'objet de l'étude, nous avons sélectionné tous les délinquants admis dans un établissement correctionnel fédéral en raison d'une infraction d'organisation criminelle depuis 1997, tant avant l'adoption du projet de loi C-24, c'est-à-dire entre 1997 et 2001, qu'après celle-ci, soit entre 2002-2004. Les statistiques relatives aux admissions ont été tirées de la base de données informatisées du SCC, qu'on appelle SGD, ou Système de gestion des délinquants, et portent sur une période de huit ans. On a étudié les tendances relatives aux admissions, la durée de la peine, les infractions connexes, les caractéristiques démographiques — sexe, âge, origine ethnique, les antécédents criminels et correctionnels ainsi que les facteurs criminogènes, tels que fréquentation de criminels et toxicomanie, par exemple.
Je vais maintenant vous faire part des points saillants de cette première étude. Soit dit en passant, les deux études sont disponibles sur les sites InfoNet et Internet du SCC.
Au total, 220 cas répondent aux critères de sélection initialement établis aux fins de notre étude, et nous avons utilisé des descriptions figurant dans le Code criminel afin de repérer les infractions d'organisation criminelle enregistrée dans le SGD. Comme je l'ai mentionné précédemment, l'adoption du projet de loi , en 2001, a entraîné la création de trois nouvelles infractions au code — je vous épargnerai l'énumération des articles en question —, lesquels remplaçaient l'infraction générale unique qui existait auparavant en matière de gangstérisme. Plus particulièrement, il en ressort que 134, ou 61 p. 100 des délinquants sélectionnés avaient participé à une organisation criminelle, et 16, ou 7,3 p. 100 aux activités d'une telle organisation, alors que 62, ou 28,2 p. 100, avaient commis une infraction au profit d'une organisation de ce genre et que 8, ou 3,6 p. 100 avaient chargé une personne de commettre une infraction au profit d'une organisation criminelle.
C'est dans la région du Québec qu'on a enregistré le plus grand nombre d'admissions attribuables à des infractions d'organisation criminelle, à savoir plus de 80 p. 100. Fait intéressant, il n'y a eu aucune admission liée à une infraction d'organisation criminelle dans la région du Pacifique.
On remarque que les délinquants nouvellement admis condamnés pour une infraction de ce genre se voient aussi imposer des peines supplémentaires pour d'autres infractions, ce qui fait que la majorité d'entre eux, à savoir 80 p. 100, purgent une peine globale de plus de trois ans.
En général, les délinquants sous responsabilité fédérale ayant commis une infraction d'organisation criminelle purgeaient une peine de durée moyenne à longue pour un crime appartenant à un nouvel ensemble ou à une nouvelle catégorie d'infractions ainsi qu'à un autre crime, généralement une infraction en matière de drogue. Quatre-vingt pour cent purgeaient également une peine pour ce genre de crime, et dans certains cas, pour un autre crime grave comme une tentative de meurtre ou un vol qualifié. Ils avaient des antécédents criminels ainsi que des liens étroits avec leur famille et les groupes criminels.
Fait particulièrement important, ils ont cependant un style de vie plus stable que la population carcérale générale ou, en d'autres termes, ils sont plus susceptibles d'être mariés et en bonne santé, et d'avoir un emploi.
La deuxième étude était en fait un suivi de ce même groupe. À l'origine, notre intention était d'identifier les caractéristiques de la population ayant été reconnue coupable des infractions nous intéressant. Ensuite, nous avons voulu suivre les détenus purgeant leur peine dans des institutions fédérales. La deuxième étude a pour titre: L'incarcération des délinquants sous responsabilité fédérale condamnés pour une infraction d'organisation criminelle: Un suivi.
En octobre 2005, 114, ou 50 p. 100 des 220 délinquants qui répondaient aux critères de sélection initialement établis pour les besoins de l'étude à partir des descriptions des infractions d'organisation criminelle figurant dans le Code criminel avaient été mis en liberté. Ainsi, il nous a été possible d'étudier l'entière période passée en institution fédérale. Pour constituer un groupe apparié à des fins de comparaison, nous avons étudié d'une part les 114 délinquants mis en liberté qui avaient commis une infraction d'organisation criminelle et créé un échantillon en fonction de critères établis.
Nous avons établi un échantillon de délinquants sous responsabilité fédérale mis en liberté entre 1997 et 2005 qui n'avaient pas commis d'infractions d'organisation criminelle ou qui n'étaient pas affiliés à un gang. À chaque délinquant sous responsabilité fédérale ayant commis une infraction d'organisation criminelle, nous avons associé un délinquant sous responsabilité fédérale d'un profil semblable n'ayant pas commis d'infraction d'organisation criminelle en tenant compte de l'année d'admission, de la durée de la peine, de la région d'admission, du sexe et de l'appartenance à la population autochtone. L'âge moyen pour les deux groupes était de 33 ans.
Je vais maintenant vous parler des faits saillants de la deuxième étude. Un suivi a révélé que les délinquants sous responsabilité fédérale ayant commis une infraction d'organisation criminelle n'étaient pas beaucoup plus susceptibles que les délinquants du groupe apparié d'être impliqués dans des incidents liés à la sécurité, d'être placés en isolement imposé ou sollicité, ou d'être transférés dans un établissement dont le niveau de sécurité est plus élevé. Cependant, ces observations peuvent être dues au fait qu'ils sont placés dans des établissements d'un niveau de sécurité relativement plus élevé que les délinquants du groupe apparié, ce qui veut dire qu'ils sont moins libres de leurs mouvements.
De même, il se peut que ces délinquants ne participent pas aux programmes dans la même mesure que les délinquants du groupe apparié parce qu'ils ne présentent pas autant de facteurs criminogènes. Si ce n'est de leur affiliation à un groupe de crime organisé, ces délinquants ont généralement un mode de vie stable.
Globalement, les délinquants sous responsabilité fédérale ayant commis une infraction d'organisation criminelle étaient statistiquement plus susceptibles d'être mis en liberté plus tard au cours de leur peine que les délinquants du groupe apparié. Un examen plus approfondi du dossier des délinquants ayant commis une infraction d'organisation criminelle révèle que 55 p. 100 de ces délinquants ont obtenu une mise en liberté discrétionnaire, comparativement à 66 p. 100 des délinquants du groupe apparié.
De plus, les délinquants ayant commis une infraction d'organisation criminelle ont été plus nombreux que ceux du groupe apparié à obtenir une libération d'office (45 p. 100 contre 33 p. 100), ce qui n'a rien d'étonnant. Le temps plus long passé en détention peut expliquer pourquoi plus de ces délinquants ont obtenu des permissions de sortir avec escorte et pourquoi ils étaient beaucoup plus susceptibles que les délinquants du groupe apparié de se voir accorder des permissions de sortir sans escorte. Une fois de plus, cela peut être attribuable au fait qu'ils ont passé plus de temps en détention que les délinquants du groupe apparié.
En conclusion, ces deux études montrent qu'il s'agit d'un groupe de délinquants qui, à l'admission, présentent un faible risque selon l'approche correctionnelle traditionnelle et que leur expérience carcérale peut se dérouler sans incident.
Avant d'interpréter ces résultats, nous devons faire une mise en garde au sujet des limites des données visées par nos analyses.
En effet, il était difficile de tirer des conclusions définitives quant aux effets à long terme des nouvelles dispositions législatives, étant donné qu'elles n'étaient en vigueur que depuis à peine trois ans. Il y a toujours peu d'études sur les dispositions législatives canadiennes qui prévoient l'incarcération des personnes ayant commis une infraction d'organisation criminelle. À ce jour une seule étude dresse le profil des délinquants sous responsabilité fédérale condamnés pour une infraction d'organisation criminelle. Une autre étude suit un échantillon de délinquants sous responsabilité fédérale qui ont été condamnés pour avoir commis une infraction d'organisation criminelle tout au long de leur séjour en milieu carcéral. Il faut toutefois faire une suivi longitudinal après la mise en liberté de ces délinquants pour tirer une telle conclusion sur leur expérience correctionnelle.
Quel est l'impact de ces recherches? Les directives du SCC ont été modifiées et le pointage des outils de classification des délinquants a été révisé pour tenir compte de l'appartenance à des organisations criminelles qui a donné lieu à la condamnation. Plus précisément, lorsqu'il est question de crime organisé, le pointage servant à évaluer la stabilité avant l'incarcération et la condamnation doit être déterminé en fonction d'une infraction d'organisation criminelle.
J'aimerais conclure en mentionnant que le Canada a toujours pu s'enorgueillir d'être un chef de file mondial dans les domaines de la recherche correctionnelle et de la réadaptation. Que ce soit pour la mise au point d'outils d'évaluation scientifique pour le classement des détenus selon le niveau de sécurité, l'affectation aux programmes et le risque lié à la mise en liberté ou pour la conception et la prestation de programmes de réadaptation à la pointe du progrès, nos chercheurs et nos spécialistes des services correctionnels ont toujours été à l'avant-garde. C'est grâce à leur talent et à leurs efforts que le Canada obtient autant de succès sur la scène internationale. Nous devons plus que jamais miser sur l'avantage que nous possédons sur les plans de la technologie et de la recherche en matière correctionnelle.
Je suis impatiente de discuter avec vous de ces questions. Il est important que le point de vue correctionnel soit représenté à cette réunion et que toutes les composantes du système de justice pénale travaillent ensemble pour obtenir des résultats efficaces et positifs en ce qui concerne la sécurité publique.
Merci.