En ce mardi 7 décembre 2010, nous tenons la 41e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Vous avez en main notre ordre du jour. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale en conséquence.
Pour la première heure de notre réunion d'aujourd'hui, nous accueillons Anthony Doob, professeur au Centre de criminologie de l'Université de Toronto, ainsi qu'Allan Manson, professeur à la Faculté de droit de l'Université Queen's.
Lors de la deuxième heure, nous accueillerons nos trois derniers témoins pour l'examen de ce projet de loi.
Je vous rappelle que nous amorcerons l'étude article par article du projet de loi lors de notre prochaine séance.
Chacun de vous a droit à 10 minutes pour son exposé préliminaire. Il y aura ensuite une période de questions.
Nous commençons avec M. Doob.
M. Manson et moi-même avons jugé bon de coordonner nos observations, car nous estimons tous les deux que vous n'avez sans doute pas encore été saisis du message le plus important pour votre examen du projet de loi C-48.
Pour bien comprendre les problèmes que créerait le projet de loi C-48, il faut tenir compte de quelques aspects primordiaux de la question. Il va de soi que la plupart des Canadiens estiment que les peines devraient être proportionnelles à l'infraction commise et au niveau de responsabilité de la personne reconnue coupable.
Cela étant dit, il faut toutefois reconnaître que le processus de détermination de la peine est complexe, qu'il est difficile de trouver cette juste proportion, et que toute cette problématique est directement reliée aux décisions prises au sein du système correctionnel.
Malheureusement, le projet de loi à l'étude ne témoigne pas d'une volonté véritable de considérer la détermination des peines comme un enjeu complexe et intégré. Les changements importants apportés par le gouvernement au processus de détermination des peines au milieu des années 1990 peuvent être considérés, dans le meilleur des cas, comme un timide premier pas dans la bonne direction. La plupart des observateurs estiment que ces changements n'ont guère amélioré les choses, mais qu'ils ont établi un cadre aux fins de mesures subséquentes qui n'ont malheureusement jamais été prises. Rien n'indique vraiment que les gouvernements qui se sont succédé au fil des 15 dernières années aient accordé à ces questions tout le sérieux qu'elles méritent, en commençant par cerner ce que pourrait et devrait permettre la détermination des peines, pour examiner ensuite les circonstances dans lesquelles ce processus est efficace et finalement régler les véritables problèmes, car il y a effectivement incohérence entre les principes convenus et les résultats des peines imposées dans le cadre du processus correctionnel.
De toute évidence, le gouvernement actuel est très actif dans ce dossier. La dernière fois que j'ai vérifié, quelque 60 projets de loi sur la criminalité avaient été présentés depuis avril 2006. La plupart d'entre eux s'intéressaient bien davantage au châtiment qu'au crime, mais notre système de détermination des peines n'en est pas plus cohérent pour autant.
Comme bien des gens vous l'ont sans doute déjà fait valoir, malgré toutes vos convictions en ce sens, ce n'est pas en modifiant les lois sur l'imposition des peines que vous allez changer le portrait de la criminalité. Ces projets de loi et ces changements à notre système de détermination des peines n'auront pas d'impact sur la criminalité, pas plus que ce projet de loi-ci ne contribuera à l'équité et à l'efficacité de notre régime de détermination des peines.
Le plus grave, c'est que des projets de loi comme le C-48 semblent suggérer que notre système de justice pénale est totalement dysfonctionnel, que les juges, la Commission des libérations conditionnelles et les lois régissant la libération des meurtriers sont injustes, et que ce n'est qu'en 2010 qu'on s'est rendu compte de ces problèmes.
Le projet de loi C-48 n'a pas pour objectif de trouver le juste équilibre entre les droits des victimes et ceux des contrevenants. Il ne fait qu'ajouter un autre palier de châtiment présomptif à un système qui aurait besoin d'un examen en profondeur, plutôt que de changements simplistes.
Il est regrettable que l'on s'attaque ainsi aux problèmes à la pièce. Considérons trois projets de loi: le C-48, qui modifie le mode de détermination de la peine pour certains meurtriers; le C-39, qui change notamment la manière dont les décisions sont rendues pour la libération conditionnelle des délinquants; et le S-6, qui abolit la disposition de la dernière chance pour les prévenus qui seront reconnus coupables de meurtre.
Aucun de ces projets de loi n'apporte de solutions aux véritables problèmes associés à la détermination des peines. De fait, vous n'avez abordé que des considérations purement hypothétiques quant à la nécessité d'apporter des changements sous ces trois aspects. Ces projets de loi ont d'autres objectifs. On propose des corrections mineures sans toutefois s'attaquer aux véritables problèmes qui touchent tant la détermination des peines que ses liens avec la libération conditionnelle.
Comme je l'ai déjà indiqué, une soixantaine de projets de loi sur la criminalité ont été présentés au Parlement depuis 2006. Dans ce contexte, on serait porté à croire qu'il y a une crise à régler et que le gouvernement n'a pas eu le temps de s'attaquer au problème dans son ensemble ou a été incapable de le faire. Il n'y a pas de crise au Canada pour ce qu'est la criminalité ou de la détermination des peines, mais il est possible que vous ne soyez pas intéressés à vous pencher sérieusement sur ces questions dans votre rôle de parlementaires. À mon avis, tout ce que vous avez réussi à faire jusqu'à maintenant avec ces projets de loi à la pièce, c'est de rendre encore plus complexe et incohérent un système déjà compliqué et difficile à comprendre.
Dans l'esprit des gens, vous avez empiré la situation, surtout parce que le Parlement n'a jamais voulu s'intéresser à la problématique globale du régime de détermination des peines. Pour bien comprendre ce que j'avance, il serait important que vous considériez quelques-uns des éléments connus relativement au système canadien de libération conditionnelle.
Il ressort clairement de ce projet de loi que le gouvernement du Canada n'a guère confiance dans le régime de libération conditionnelle, au même titre qu'il a déjà démontré qu'il faisait peu confiance aux juges sous plusieurs aspects de la détermination des peines, de même qu'au bon jugement des Canadiens relativement aux individus reconnus coupables de meurtre, comme en témoigne son appui au projet de loi . Comme ce projet de loi-ci traite des homicides, et plus particulièrement des homicides multiples, examinons de plus près ce phénomène.
Le taux d'homicides au Canada ne figure plus parmi les plus élevés du monde occidental. Selon Statistique Canada, l'Écosse, les États-Unis, la Finlande, la Turquie et la Nouvelle-Zélande ont des taux plus élevés que le nôtre, qui équivaut plus ou moins à celui de nombreux pays européens comme la France, le Danemark, l'Angleterre, le Pays-de-Galles et l'Irlande du Nord. Plus important encore, ce taux est relativement stable au Canada.
Pour revenir à ce projet de loi, la plupart des homicides — 94 p. 100 en 2009 — ne font qu'une seule victime. L'an dernier, il y a eu 35 cas qui ont fait plus d'une victime. Au cours des 10 dernières années, il y a eu en moyenne 26 cas d'homicides par année — soit environ 4,7 p. 100 du total — où les victimes étaient multiples. Dans la majorité de ces cas — 86 p. 100 en fait — les victimes étaient des membres de la famille, des proches ou d'autres connaissances, plutôt que des étrangers, mais notre image du meurtrier multiple demeure celle d'un Paul Bernardo ou d'un Clifford Olson. Heureusement, les individus de cette trempe sont rares au Canada et vont presqu'assurément finir leurs jours derrière les barreaux.
En moyenne, nos meurtriers passent plus de temps en prison que ceux des autres pays pour lesquels des données sont disponibles. Ainsi, les individus condamnés à perpétuité pour meurtre au premier degré passent en moyenne environ 28 ans en prison avant d'être libérés ou de mourir. C'est davantage que dans des pays comme l'Angleterre, l'Australie, la Belgique, la Suède, l'Écosse ou la Nouvelle-Zélande. Nous ne faisons donc pas la vie facile aux meurtriers.
Comme vous le savez, lorsque les meurtriers finissent par sortir de prison, ils sont en libération conditionnelle pour le reste de leur vie. Si vous croyez que cela n'a aucune incidence, il serait bon que vous convoquiez des condamnés à perpétuité pour qu'ils viennent vous expliquer de quoi il en retourne. La libération conditionnelle n'est pas une partie de plaisir.
Les différentes mesures qui sont prises pour prolonger la durée d'incarcération ne posent pas des problèmes uniquement au chapitre de la proportionnalité des peines infligées. Il y a également des coûts énormes qui s'ensuivent. Je sais que différents membres du gouvernement ont répondu à des gens comme moi qui préconisaient une utilisation prudente des ressources carcérales que le jeu en valait la chandelle, peu importe les coûts engagés, si une seule vie humaine pouvait être ainsi sauvée. À mon sens, les observations semblables sont extrêmement naïves et irresponsables. Permettez-moi de vous donner un exemple.
Imaginons qu'avec l'adoption de ce projet de loi, il y aurait chaque année 26 individus — ce qui correspond au nombre moyen de cas d'homicides faisant plusieurs victimes au cours des 10 dernières années — qui seraient incarcérés pour une période additionnelle de 15 ans, ce qui nous situe à peu près à mi-chemin entre le délai d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour les meurtres au second et au premier degrés. Quinze ans plus tard, nous nous retrouverions encore avec une moyenne de quelque 390 condamnés à perpétuité additionnels en attente d'une libération conditionnelle.
On nous a dit que le jeu en valait la chandelle, car il suffit de sauver une seule vie pour affirmer que les besoins des victimes sont pris en compte. Je reviendrai tout à l'heure sur les possibilités qu'une vie soit effectivement sauvée, mais je peux vous dire que ce nombre plutôt négligeable de détenus supplémentaires — 390 qui s'ajouteraient aux quelque 13 000 qui séjournent déjà dans nos pénitenciers — entraînerait des coûts d'environ 40 millions de dollars.
:
D'accord, je vais apporter très rapidement les corrections manuscrites avant de vous renvoyer le tout.
Je disais donc que si on considère qu'avec l'adoption de ce projet de loi, environ 26 individus par année — ce qui correspond au nombre moyen de cas d'homicides faisant plusieurs victimes au cours des 10 dernières années — se retrouveraient incarcérés pour une moyenne de 15 ans — soit à peu près à mi-chemin entre les délais d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour les meurtres au second degré et au premier degré — nous nous retrouverions dans 15 ans avec une moyenne de 390 condamnés à perpétuité supplémentaires attendant leur libération conditionnelle derrière les barreaux.
On nous a dit que le jeu en vaut la chandelle parce que cela pourrait sauver une vie ou répondre aux besoins des victimes. Nous verrons tout à l'heure si on peut effectivement s'attendre à ce qu'une vie soit sauvée. Cependant, l'ajout de ce nombre relativement faible de 390 détenus aux 13 000 séjournant déjà dans les pénitenciers canadiens nous coûterait environ 40 millions de dollars. Cette somme ne vous semble peut-être pas très élevée, mais il faut surtout se demander si on n'aurait pas pu l'utiliser à meilleur escient aux fins de la sécurité publique, du mieux-être des victimes ou des services à leur offrir. C'est le genre de débat que suscite un projet de loi semblable qui engage des ressources limitées à un usage bien précis sans considérer les autres possibilités qui s'offrent.
Il y a des coûts associés à une durée d'incarcération plus longue. Les coûts doivent s'équilibrer. Les sommes dépensées pour l'incarcération ne peuvent pas être utilisées par ailleurs. Disons les choses simplement. Nous convenons tous qu'un homme qui, sans l'avoir vraiment planifié, tue sa femme et ses enfants doit être puni, et ce, très sévèrement. Personne n'oserait prétendre le contraire, mais l'incarcération coûte en moyenne environ 102 000 $ par année pour chaque détenu, ce qui fait qu'une peine de 30 années supplémentaires pour un tel individu se traduit par une somme de quelque trois millions de dollars que l'on ne pourrait pas consacrer à la prévention de crimes semblables, en présumant qu'on utiliserait cet argent uniquement à cette fin. Cela correspond grosso modo au coût d'un agent de police additionnel pour une période de 30 ans. Si l'on pense plutôt à d'autres interventions qui ont démontré leur efficacité dans la réduction de la criminalité, ce serait le coût d'un professionnel de la santé publique pour la même période. En fait, vous pouvez en faire ce que vous voulez.
Si vous deviez en arriver à la conclusion que vous souhaitez incarcérer quelques centaines d'individus pendant de plus longues périodes, au coût annuel de plus de 100 000 $ pour chacun, il faudrait certes se demander si c'est la meilleure façon d'utiliser les fonds publics pour réduire la criminalité, accroître la sécurité ou répondre aux besoins bien concrets des victimes. Il y a des choix à faire.
Fait intéressant, nous savons que les individus ayant commis un homicide ne sont pas particulièrement dangereux une fois qu'on les a libérés. D'après les chiffres du plus récent rapport de suivi du rendement de la Commission nationale des libérations conditionnelles, des 2 853 contrevenants purgeant une peine d'une durée indéterminée suivis par la commission entre 1994 et 2009, 81, soit environ 3 p. 100, ont vu leur libération révoquée pour un acte répréhensible pouvant aller des voies de fait simples à des actes de violence graves.
Comme vous le savez peut-être, une faible proportion des meurtriers en libération conditionnelle récidivent. Ainsi, une étude menée sur 4 131 individus coupables d'homicide qui ont été libérés entre 1975 et 1989 indique que 13 ont commis un autre meurtre, ce qui nous ramène à la maxime voulant que le jeu en vaille la chandelle, si une seule vie peut être sauvée.
Il s'agit certes d'événements tragiques, mais pour empêcher qu'ils se produisent, il aurait absolument fallu incarcérer à perpétuité la totalité des 4 131 meurtriers en raison du risque que trois dixièmes de 1 p. 100 d'entre eux — ce qui correspond aux 13 recensés — ne réitèrent leur terrible crime. Il s'agit alors de déterminer si les dépenses de 300 à 400 millions de dollars nécessaires pour incarcérer ces individus représentent une utilisation optimale des fonds destinés à la sécurité publique.
Aurions-nous pu éviter ces décès, voire en prévenir 10 fois plus, en investissant ailleurs? C'est le véritable choix stratégique à faire. Il faut s'interroger sur le nombre de vies qu'on pourrait sauver lorsqu'on a des millions de dollars à investir, plutôt que de se demander si ces meurtres-là auraient pu être évités. Il faut penser que notre objectif devrait être de maximiser la sécurité publique.
À cet égard, il y a un fait important à considérer. Au Canada, la criminalité ne se limite pas à un petit groupe d'individus louches pouvant être étiquetés à l'avance. Il en ressort que les solutions ne sont pas nécessairement faciles à trouver. Des projets de loi comme celui-ci, qui devraient censément réjouir tant les victimes que l'ensemble des Canadiens, déforment le portrait réel de la criminalité que nous avons été en mesure de brosser.
Je vous exhorte à consacrer tout le temps nécessaire pour vous pencher sur les véritables problèmes associés à la détermination et à l'administration des peines au Canada. Nous pourrons peut-être ainsi en arriver à un système plus cohérent et plus sensé que celui actuellement en place pour la détermination des peines.
Merci beaucoup.
Je vous prie de m'excuser encore une fois pour mon débit trop rapide.
[Français]
Je ne suis pas bilingue et il me faut présenter mes conférences et mes idées seulement en anglais, s'il vous plaît.
[Traduction]
Je dois d'abord vous dire que je conviens avec M. Doob que notre système de détermination de la peine est plongé dans le chaos. Nous n'avons pas de principes de travail. Nous n'avons pas d'orientation appropriée. Nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour appliquer les solutions possibles, comme en témoigne l'état de nos pénitenciers et de nos prisons. Ces lacunes sont exacerbées par ces amendements à la pièce que l'on apporte au Code criminel.
Avant de traiter du projet de loi à l'étude, je voudrais discuter un instant de la politique pénale du Canada. J'aimerais que les membres du comité prennent bien conscience du fait qu'au fil de plusieurs décennies, pendant la plus grande partie du siècle dernier, un grand nombre de personnes ont multiplié les efforts de réflexion de manière très consciencieuse pour l'élaboration de la politique pénale canadienne. Parmi ces gens expérimentés et ouverts d'esprit, on retrouvait des parlementaires et des membres de ce comité. Tout ce travail s'est appuyé sur des consultations, des discussions, des études et des données.
Il suffit de penser au rapport Archambault de 1938 dont l'auteur principal a été J.C. McRuer. Pour les avocats ici présents, je souligne que c'est bien celui qui est devenu par la suite le juge en chef McRuer. L'auteur principal du rapport Ouimet de 1969 était G. Arthur Martin, le doyen des avocats canadiens en droit criminel, qui est par la suite devenu juge à la Cour d'appel de l'Ontario. Quelques années plus tard, ce comité-ci a fait montre de beaucoup d'ardeur au travail et de créativité dans son examen de la loi visant à remplacer la peine capitale, et les députés qui faisaient partie du comité à l'époque méritent énormément de crédit. Quelques années après, le sous-comité McGuigan, issu de ce comité-ci, a lui aussi réalisé une excellente étude qui a mené aux changements apportés à la politique pénale.
Nous sommes maintenant saisis du projet de loi . Je vais parler des concepts qui le sous-tendent, plutôt que des détails techniques, mais je vais d'abord vous entretenir des éléments essentiels à une politique pénale efficace.
À mon sens, il y a deux raisons pour lesquelles un pays pourrait vouloir remodeler un aspect de sa politique pénale. La première serait de régler un problème — ou de « réparer un tort » comme le disent parfois les avocats. La seconde serait d'imprimer une nouvelle orientation, voire une nouvelle dimension, conformément aux objectifs établis pour la détermination des peines.
Quel tort ce projet de loi-ci vise-t-il à réparer? Je m'arrête au titre abrégé qui se lit comme suit: « Loi protégeant les Canadiens en mettant fin aux peines à rabais en cas de meurtres multiples. » J'ai travaillé à mon premier dossier d'homicide en 1974. J'ai commencé à m'intéresser à la détermination de la peine à titre d'étudiant de deuxième cycle en 1972. Avant de prendre connaissance du projet de loi qui a précédé celui-ci, je n'avais jamais croisé la notion de peine au rabais pour les meurtres multiples. Je ne sais pas d'où cela peut sortir. Je n'ai jamais vu de mention en ce sens. Je n'ai jamais entendu de juges, d'avocats, d'agents de police ou de victimes soutenir que le système canadien offrait des peines au rabais en cas de meurtres multiples.
Notre système prévoit plutôt une peine à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. Pour avoir moi-même participé à des procès pour meurtre, y compris certains où les prévenus ont été reconnus coupables de meurtre au premier degré, je peux vous assurer que les personnes présentes dans la salle d'audience se rendent pleinement compte qu'il s'agit d'une peine à perpétuité, et que la sanction est dure et très sévère. Je n'ai jamais entendu personne parler de laxisme. Je ne pense pas qu'il y ait des problèmes à régler à ce chapitre.
Examinons donc le système actuel. Il y a déjà des dispositions prévues en cas de meurtres multiples. Selon l'article 745 du Code criminel, toute personne trouvée coupable de meurtre ayant déjà été reconnue coupable d'homicide auparavant est automatiquement condamnée à l'emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. Autrement dit, deux meurtres au second degré équivalent automatiquement à un meurtre au premier degré. C'est ainsi que les cas de meurtres multiples sont pris en compte.
De même, lorsqu'il détermine la peine pour meurtre au deuxième degré, pour lequel le délai préalable à la libération conditionnelle est de 10 à 25 ans, le juge est nettement tenu par la jurisprudence de prendre en considération le nombre de victimes et les antécédents du meurtrier.
Donc, quelle est la raison d'être du projet de loi? L'historique que je viens de tracer montre que j'ai beaucoup d'attentes à l'égard des membres du comité. J'aimerais simplement comprendre la raison d'être du projet de loi.
Je constate, monsieur Petit, que vous êtes l'auteur du projet de loi. J'ai conservé certaines de vos remarques. Pourquoi le projet de loi? Je vous cite: « ... afin d'établir un équilibre entre la nécessité de protéger la société et de dénoncer une conduite illégale... ». M. Doob a expliqué que le risque que présentaient les meurtriers libérés sur parole est presque nul. Où est la protection? La condamnation à perpétuité n'est-elle pas une dénonciation suffisante? Allons-nous désormais envisager des peines à perpétuité d'une durée de 50 ou de 75 ans?
a également dit: « ... les modifications proposées tiennent compte du principe fondamental de détermination de la peine portant qu'une peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant... ». C'est vrai. C'est le paragraphe 718.1 du Code criminel. Une condamnation à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans est, dans notre système de justice, notre peine la plus sévère, la plus grave. Elle atteint certainement cet objectif.
Cependant, M. Petit ajoute, un peu plus tard, des commentaires sur les groupes dans la collectivité. Je relève les termes très agréables utilisés par M. Petit: « ... je suis persuadé que les mesures proposées dans le projet de loi C-48 recevront l'appui de la police et des défenseurs des victimes... ». Je ne veux pas ébranler sa confiance — cela dépend de lui —, mais je n'ai jamais entendu ces personnes préconiser des condamnations à perpétuité d'une durée de 50 ou de 75 ans.
En plus, on prétend que le projet de loi n'entraînera pas de frais supplémentaires. M. Doob a analysé les coûts. Il n'a rien mentionné. Qu'en est-il du coût supplémentaire pour le système pénitentiaire? Pendant la fin de semaine, j'ai rencontré par hasard un groupe d'agents principaux du Service correctionnel du Canada, à Kingston, où je vis. Je me suis informé sur ce qui arriverait lorsque l'on ferait purger une peine de 50 ans à un prisonnier condamné à perpétuité? Qu'allez-vous faire à cette personne? On a dû mal à l'imaginer. Quel est le projet correctionnel d'un condamné qui a 30 ans et qui pourrait être admissible à une libération conditionnelle alors qu'il aura 80 ans?
Puis j'ai demandé: « Que ferez-vous si, au lieu d'un seul prisonnier condamné pour si longtemps, il y en a 12? Quel sera le climat à l'intérieur du pénitencier? »
Non seulement les coûts de ce genre de proposition sont faramineux, mais personne n'y a songé. C'est ce qui m'inquiète le plus. Personne ne pense à cette loi pénale. Nous entendons redire, à la manière de perroquets, les remarques d'abord formulées il y a un an par le ministre, selon lesquelles on sait ce que veulent les Canadiens et ce dont on besoin les victimes.
Les victimes n'ont pas besoin de cela. Les Canadiens ne veulent pas de cela. Parlez aux défenseurs des victimes. Ils veulent être traités avec respect, avec dignité, ils veulent avoir l'occasion d'exprimer leurs craintes. Ils ne tiennent pas à des peines de plus en plus sévères. Respectons les victimes et ne fondons pas la justice pénale canadienne sur une anthologie d'anecdotes.
Je tiens à dire une dernière chose au comité. Le Canada possède une tradition qui a fait que sa justice pénale a été une affaire de réflexion, qu'elle a été mûrie. Qu'est-il arrivé à cette tradition? Existe-t-elle toujours ici? S'il en subsiste des vestiges dans cet immeuble, le projet de loi devrait être rejeté d'emblée.
Je serai heureux de répondre à vos questions.
Je tiens à remercier nos deux témoins et, plus particulièrement, M. Doob, qui, depuis quelques décennies, contribue à l'élaboration de nos lois. Je suis de la fournée de 1988 et je me rappelle son importante contribution au premier rapport de ce comité, qui portait sur la prévention du crime. Nous en bénéficions encore aujourd'hui.
J'ai été frappé par les allusions faites, dans le témoignage, à la notion de peine à rabais. Je ne tiens pas à m'y attarder, parce qu'elle risque de ne pas survivre à notre étude article par article. Monsieur Manson, je pense que je connais votre opinion là-dessus. Vous l'avez exprimée, je pense. C'est pourquoi j'adresse ma question à M. Doob.
Le renvoi à la notion de peine à rabais ne risquerait-il pas de miner la confiance du public dans notre système de justice, en lui laissant entendre que, sous le régime de cette loi, si le juge n'impose pas une deuxième période de 25 ans d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, cela équivaut à un rabais de peine? Je voudrais connaître votre réaction, parce que, si j'étais juge, je m'inquiéterais.
:
Selon le libellé même du projet de loi, le juge doit motiver la peine, mais seulement dans un sens. En effet, c'est une supposition, car c'est implicite. Dans le cas des meurtres multiples, cela aboutira à créer des catégories de ce crime.
Ces catégories seront également déterminées, dans une certaine mesure, par un facteur tout à fait indépendant de la nature du crime, c'est-à-dire, en grande partie, par la confiance du juge dans le processus de libération conditionnelle. Le juge qui y a confiance se dira, en prononçant une condamnation à perpétuité, qu'il espère que la Commission nationale des libérations conditionnelles sera en mesure de voir, au moment opportun, que le condamné ne représente plus un danger. Un autre juge, moins confiant, pourrait effectivement imposer sa marque en imposant des périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. À mon avis, cela est nuisible.
J'ai davantage confiance dans le processus de libération conditionnelle et je ne parle pas ici de la disposition de la dernière chance. J'avais confiance dans le processus de libération conditionnelle, vraiment, parce qu'il comportait trois étapes. L'examen était d'abord fait par un juge, par un jury ensuite, puis intervenait le processus de libération conditionnelle proprement dit.
L'historique des décisions de la Commission nationale des libérations conditionnelles ne révèle pas sa débonnaireté. De nos jours, la plupart des prisonniers sont libérés aux deux tiers de leur peine, pas avant. La commission n'est pas clémente.
Cela révèle, à notre sujet, que nous manquons de confiance et que nous voulons que la pression s'exerce sur le juge qui doit décider, par exemple, du sort d'une personne qui a liquidé sa famille. Nous voulons qu'il sente la pression pour ne pas avoir sévi contre ce crime. Cela ne me semble pas correct.
:
Lorsque le Parlement canadien et votre comité ont remplacé la peine capitale par la prison à perpétuité, les données rassemblées à l'époque et présentées au comité montraient que, en moyenne, dans la plupart des cas, les autorités qui avaient déjà franchi ce pas envisageaient des peines à perpétuité d'une durée de 10 à 15 ans. Il s'agit, dans tous les cas, de concepts, car ces chiffres ne possèdent aucun pouvoir magique. La peine minimale de 25 ans découle de recommandations de l'Association canadienne des chefs de police.
Vous m'avez demandé si la période d'inadmissibilité serait plus longue si nous portions la durée de la peine à un maximum de 26, 27 ou 30 ans. Absolument, mais ces chiffres n'ont rien de magique. La semaine dernière, je pense, tout le monde a remarqué que, encore une fois, on avait refusé la libération conditionnelle à Clifford Olson. Le gouvernement nomme les membres de la Commission nationale des libérations conditionnelles, dont les décisions se fondent sur le risque.
Pour répondre à votre question, on peut toujours changer les chiffres, mais ils n'ont rien de magique. Vingt-cinq ans, c'est long, mais c'est une condamnation à perpétuité. C'est le temps qu'il faut pour accéder à l'examen de la commission; la condamnation, elle, est à perpétuité.
Je tombe sur des prisonniers qui sont au pénitencier depuis bien plus de 30 ans. Certains sont les épaves humaines de notre système pénitentiaire et ils ne sortiront pas, parce qu'ils sont dans une situation catastrophique. D'après les données les plus récentes, les prisonniers purgent en moyenne 28 ans. Nos gens purgent de longues peines.
:
La difficulté, c'est que les sondages d'opinion favorisent plutôt les solutions simplistes. On peut difficilement reprocher au public de croire les promesses de beaucoup de chefs politiques, de policiers, et cetera, selon lesquelles des peines sévères sont la meilleure façon de lui assurer la sécurité. Bien sûr, on ne parle pas de la recherche qui les dément.
En outre, pour donner suite à certaines de vos remarques qui accompagnaient votre question, la difficulté est que ces sondages comportent rarement une question complémentaire. Exemple: le public est en faveur des peines minimales obligatoires, qui semblent avoir la cote dans le gouvernement actuel. Je n'ai pas pris connaissance des derniers sondages que le gouvernement a commandés, mais, ceux qui étaient rigoureux ont souvent posé une question complémentaire sur ces peines.
La première question, posée à un groupe représentatif de Canadiens, sera pour savoir s'ils favorisent des peines minimales obligatoires pour certains crimes graves. Comme le gouvernement l'affirme, ils sont pour. Si on se contente de cela, il manque plus de la moitié de l'histoire.
Or, à la question complémentaire — par exemple, pensez-vous que le juge devrait pouvoir prononcer des condamnations moins sévères que le minimum obligatoire si les circonstances entourant le crime le justifient —, une majorité de Canadiens répond également par l'affirmative, ce qui revient à dire qu'elle n'est pas en faveur de ces peines. Je pense qu'on façonne sa volonté. Les peines passent pour beaucoup plus clémentes qu'elles ne le sont en réalité.
D'après les études que j'ai réalisées au fil des ans — et des études semblables également faites dans beaucoup d'autres pays —, le public réagirait à ses propres croyances sur les peines et non aux peines mêmes, parce que, comme nous le savons tous, la presse couvre en détail très peu d'audiences sur la détermination de la peine — ou de procès, d'ailleurs. On entend parler de voies de fait ou d'agressions sexuelles graves ou de quelque chose de ce genre, pour lesquelles l'accusé n'écope que d'une peine particulière, sans connaître, bien sûr, son rôle dans l'affaire. On ne connaît pas vraiment les faits.
D'après mes propres travaux de recherche et ceux d'autres auteurs, les gens à qui on donne des renseignements détaillés et qui connaissent les faits sont beaucoup plus d'accord avec les peines prononcées par les juges que s'ils ne disposaient que d'une description de l'affaire. Ensuite, on peut recourir au sensationnel si la peine semble trop clémente.
:
D'après ce que je comprends, c'est ce qui arrive dans beaucoup de pays, et les juges sont capables d'imposer des peines inférieures au minimum obligatoire, lorsqu'ils ont de bonnes raisons de le faire. Bien sûr, on peut alors s'interroger sur la raison d'être des peines minimales. Elles sont peut-être une façon, pour les parlements ou les législatures des différents pays, de donner une idée de la gravité relative des infractions.
D'après moi, il faut constater que les peines varient énormément, en grande partie parce que les comportements que l'on réprime et le rôle du délinquant font de même. Il est très facile d'affirmer que, pour un vol commis à l'aide d'une arme à feu, il est impossible d'imaginer une peine inférieure au minimum prévu. Sauf que dès qu'on apprend que le rôle du délinquant était peut-être très secondaire — il n'a peut-être pas tenu l'arme, il attendait peut-être dans une voiture, il était peut-être une fille de 18 ans —, les circonstances ne correspondent plus à l'image qu'on se fait d'un voleur à main armée. Dans de nombreux pays, je crois, ces circonstances autorisent le juge à exercer son pouvoir de discrétion et à motiver sa décision.
En réalité, cela se résume à une question de confiance, la confiance que nous avons ou devrions avoir dans les juges. Je pense que l'une des difficultés que pose le Code criminel, dans ses dispositions sur la détermination de la peine actuellement en vigueur, c'est que même si l'une d'elles affirme que la sévérité de la peine devrait être proportionnelle au mal causé et à la responsabilité de son auteur, le Parlement, depuis le milieu des années 1990, quand cette disposition a été établie, a cherché à la neutraliser et à la rendre de plus en plus difficile à appliquer.
Je trouve intéressant que, dans de nombreux cas, nous ne répondons pas vraiment à la question très difficile que posent la signification de la proportionnalité et son niveau souhaitable d'application. En fait, nous affirmons ne pas nous soucier de ces détails attrayants et vouloir, tout simplement, imposer une peine.
Venons-en rapidement au projet de loi qui nous occupe aujourd'hui. Dans le projet de paragraphe 745.51(1), les termes sont choisis. Le juge « peut » — et non pas « doit », mais « peut » — « compte tenu du caractère du délinquant, de la nature de l'infraction et des circonstances entourant sa perpétration, etc., ordonner que les périodes d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient purgées consécutivement ».
Vous êtes un homme instruit. Je n'ai pas à vous expliquer la différence entre « peut » et « doit ». J'inclinerais à penser, que puisque vous êtes en faveur du pouvoir discrétionnaire du juge...
En fait, il y a une suite. Elle se lit comme suit: « Le juge est tenu de motiver oralement ou par écrit sa décision de ne pas rendre l'ordonnance prévue au paragraphe (1) ».
Vous avez dit à mon ami que le juge devait motiver sa décision de ne pas condamner le délinquant à une peine obligatoire minimale prévue par d'autres lois. Sauf votre respect, comment conciliez-vous votre opposition au projet de loi, qui donne un pouvoir discrétionnaire aux juges instruisant les procès, avec votre défense si éloquente, dans le passé, de la nécessité d'accorder cette discrétion aux juges?
Nous poursuivons notre étude du projet de loi , Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur Défense nationale en conséquence.
En cette deuxième heure de séance, nous recevons Ed McIsaac, directeur intérimaire, Politique, à la Société John Howard du Canada.
Nous accueillons également, une fois de plus, Sharon Rosenfeldt, présidente de Victimes de violence. Nous sommes ravis de vous revoir, Sharon.
Nous avons aussi Raymond King, qui est ici à titre personnel. Soyez également le bienvenu, monsieur King.
Nous allons commencer par entendre M. McIsaac. Ensuite, ce sera au tour de Mme Rosenfeldt puis de M. King.
Monsieur McIsaac, allez-y, je vous en prie.
Au nom de la Société John Howard du Canada, je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. Nous nous réjouissons de l'occasion qui nous est donnée de vous rencontrer pour discuter du projet de loi .
Comme la plupart d'entre vous le savent déjà, la Société John Howard est une organisation à but non lucratif dont la mission consiste à promouvoir des solutions efficaces, justes et humaines aux causes et aux conséquences de la criminalité. La Société John Howard du Canada compte 65 bureaux de première ligne répartis sur l'ensemble du territoire national, qui offrent des services favorisant la réinsertion sociale des délinquants dans notre communauté de manière sécuritaire.
La Société John Howard n'appuie pas cette mesure législative. Nous ne croyons pas qu'il y ait, au sein de la population canadienne, un consensus éclairé en faveur de l'application de peines minimales d'une durée de 50 ans. Nous ne croyons pas non plus que ces peines puissent être raisonnablement considérées comme des solutions efficaces, justes ou humaines pour s'attaquer aux causes et aux conséquences des meurtres multiples.
Comme l'ont démontré les témoignages faits devant ce comité à propos du , concernant la clause de la dernière chance, actuellement, au Canada, les périodes d'incarcération avant une éventuelle libération conditionnelle des personnes accusées de meurtre au premier degré sont déjà deux fois plus longues que dans la plupart des autres démocraties occidentales.
Comment notre pays peut-il justifier que l'on double cette période d'incarcération déjà excessive? Qu'est-ce qui pousserait un jeune de 20 ans visé par cette mesure législative à oeuvrer pour sa réinsertion, sachant qu'il ne serait admissible à sa première libération conditionnelle qu'à l'âge de 70 ans? À quels risques exposerions-nous ceux qui travailleraient et vivraient auprès de personnes purgeant une peine minimale de 50 ans de prison? Quel message enverrions-nous, en tant que système de justice pénale, sur notre engagement à favoriser une réinsertion sociale efficace et opportune, dans l'intérêt de la sécurité publique?
Dans la fiche documentaire concernant le , que le ministère de la Justice a publié en octobre de cette année et qui s'intitule « Mettre fin aux “rabais de peines“ accordés aux auteurs de meurtres multiples », on peut lire:
Les familles des victimes font valoir que la simultanéité des peines d'emprisonnement à perpétuité des auteurs de meurtres multiples nie le prix de la vie des victimes et met les Canadiens en danger en laissant ces meurtriers jouir d'une libération conditionnelle plus tôt qu'ils ne le méritent...
On peut lire également dans ce document:
Les modifications proposées au Code criminel s'attaquent à ce problème en permettant aux juges d'imposer des périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle aux individus condamnés pour plusieurs meurtres au premier ou au second degré.
Je ne crois pas qu'on puisse mettre un prix sur la vie humaine. Le malheur et la douleur des familles, après le meurtre d'un être cher, ne peuvent être raisonnablement soulagés par des modifications au Code criminel. Le processus permettant d'alléger cette peine commence par un soutien et des services personnalisés dans la communauté, et l'assurance que des informations opportunes et pertinentes concernant les détails de leur situation particulière soient rendues publiques par les agences gouvernementales responsables.
De plus, notre système de justice pénale prévoit actuellement un processus de libération conditionnelle dont la priorité est la protection de la société. Même si le moment où doivent se faire les révisions des demandes de libération conditionnelle est fixé par la loi, les décisions de relâcher des individus découlent de l'évaluation des risques que présentent ces gens pour la communauté. Comme nous le savons, le système actuel permet tout à fait d'étendre des périodes d'incarcération bien au-delà des dates d'admissibilité à une libération conditionnelle.
La mesure législative proposée, qui permet de faire passer la période d'inadmissibilité à un minimum de 50 ans, ne règle aucun de ces deux problèmes et ne fait pas non plus avancer la notion de vérité dans la détermination de la peine ni la confiance du public dans notre système de justice.
Je vous remercie de votre attention et je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.
:
Je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion de m'exprimer devant le comité. Bonjour à tous.
Étant donné que le préavis pour comparaître devant ce comité était très court, je n'ai pas eu le temps de préparer des notes à remettre aux membres du comité, et je vous prie de m'en excuser. Je peux évidemment vous donner ce que j'ai rapidement rédigé et vous l'envoyer par courriel. Néanmoins, il y a un document que je déposerai un peu plus tard devant le comité, qui est en fait une proposition que je vais vous soumettre.
La réforme tant attendue des principes de détermination de la peine a commencé avec le projet de loi , déposé à la Chambre par Albina Guarnieri, députée libérale, il y a 10 ans de cela. Ce n'est donc pas quelque chose de nouveau; cela fait un bon moment qu'on en parle. Le projet de loi est mort au Sénat, mais nous sommes très heureux de voir qu'il renaît sous la forme du projet de loi , déposé par l'actuel gouvernement.
Je connais ce gouvernement. Je l'ai déjà entendu s'exprimer à de multiples reprises, et il rend hommage également à Mme Guarnieri. Comme je l'ai dit, il s'agit d'une question très importante dont on a commencé à parler il y a très longtemps. Et je pense que ce serait vraiment bien, à ce stade-ci, que nous soyons capables de régler la question une bonne fois pour toutes.
Comme vous pouvez le constater, ce projet de loi donne tout simplement au juge chargé du prononcé de la peine, dans des circonstances précises où on a affaire à un individu accusé de meurtres multiples, le pouvoir discrétionnaire d'imposer des périodes d'inadmissibilité consécutives à la libération conditionnelle. C'est ce que propose le projet d'article 745.51 du Code criminel.
D'après la lecture que nous en faisons, cela s'appliquerait aux personnes condamnées pour un deuxième meurtre ou plusieurs meurtres, après une première condamnation, comme c'était le cas pour Daniel Gingras — si vous ne connaissez pas Daniel Gingras, je serais heureuse de répondre à vos questions à son sujet —, ainsi qu'aux individus accusés de meurtres multiples dans un même procès, comme Clifford Olson, Paul Bernardo ou Russell Williams. C'est ainsi que nous interprétons l'article, mais nous vous exhortons à vous assurer que c'est effectivement le cas, parce que cela n'a pas de sens que les deux cas de figure ne soient pas possibles.
En suivant les discussions entourant d'autres projets de loi, nous avons compris que certains membres du Parlement ont exprimé des réserves à l'égard des peines minimales obligatoires, parce qu'elles avaient pour effet de limiter le pouvoir discrétionnaire des juges. Comme vous le savez, les meurtriers sont déjà soumis à des peines minimales obligatoires d'emprisonnement à perpétuité, même si, avec l'admissibilité à la libération conditionnelle, la condamnation « à perpétuité » ne signifie pas nécessairement que les meurtriers resteront toujours derrière les barreaux. Le projet de loi donne véritablement aux juges plus de pouvoir discrétionnaire dans la détermination de la peine, de sorte qu'il est à espérer que les députés qui se sont prononcés contre une réduction du pouvoir discrétionnaire des juges appuieront cette mesure législative, parce qu'elle a justement pour effet de l'augmenter.
Cette mesure législative s'appliquerait, Dieu merci, à un nombre relativement faible de criminels, ce qui ne diminue pas pour autant son importance. Notre système devrait avoir le niveau de perfectionnement, d'intégrité, d'honnêteté et d'exercice du pouvoir discrétionnaire suffisant pour traiter différemment les auteurs de meurtres multiples. Une autre des conséquences qu'aura ce projet de loi, s'il est adopté, ce sera de permettre, éventuellement, que des familles de victimes — comme celle de Ray ou la mienne —, n'aient pas à revivre pendant deux ans le cauchemar du processus de demande de libération conditionnelle de l'assassin de leurs enfants. Dans sa forme actuelle, ce projet de loi ne nous est d'aucune utilité. Il faudrait y apporter d'autres changements, mais il est très important d'empêcher la revictimisation involontaire et inutile des familles éplorées dans l'avenir.
Même si je comprends qu'il est peut-être trop tard pour incorporer dans cette mesure législative les changements que je viens de mentionner, j'aimerais laisser au comité des propositions de modification au Code criminel inspirées directement des mécanismes de révision judiciaire que l'ancien gouvernement libéral avait adoptés lorsqu'il avait limité le droit d'invoquer l'article 745 concernant la possibilité que des individus condamnés pour meurtre puissent demander une libération conditionnelle anticipée. Cela reproduit essentiellement le processus de révision judiciaire qui s'appliquerait à toute nouvelle audience de libération conditionnelle pour des meurtriers comme Clifford Olson, si on devait leur refuser la libération conditionnelle au bout de 25 ans d'emprisonnement.
Le juge chargé de la révision examinerait la demande et pourrait la rejeter, s'il la considérait irréaliste ou non fondée, et pourrait même priver le meurtrier de refaire une demande de libération conditionnelle avant 15 ans. Cela limiterait l'application à ces cas horribles, mais cela permettrait aussi d'empêcher la revictimisation de nos familles, avec tout ce qu'elles ont enduré, et le revictimisation d'autres familles, dans le futur.
Franchement, nous sommes capables de mieux que ce que la loi actuelle permet. J'espère que le projet de loi pourra être modifié pour inclure ces dispositions, ou qu'un jour, avant la prochaine audience de libération conditionnelle d'Olson, je pourrai comparaître à nouveau devant vous pour vous exhorter à adopter ces mesures.
J'exhorte tous les membres du comité à appuyer ce projet de loi, qui donne aux juges davantage de pouvoir discrétionnaire pour reconnaître le caractère plus grave des meurtres multiples au moment de la détermination de la peine, en imposant des périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle.
C'est tout ce que j'avais à dire sur le sujet.
Sur une note plus personnelle, je peux vous assurer d'une chose: c'est dur. C'est aussi difficile 29 ans plus tard qu'après 26 ans, et je ne vois pas très bien pourquoi nous devons subir cette épreuve. Cela fait longtemps que je m'intéresse à ces questions; je comprends les lois et aussi les gens qui travaillent auprès des criminels. Honnêtement, je ne suis animée d'aucun esprit de vengeance. Je sais bien que tous les délinquants ne sont pas comme Clifford Olson, n'en doutez pas.
Mais grand Dieu que c'est difficile. Je n'en suis toujours pas revenue. J'ai presque 65 ans. Quand pourrai-je faire le deuil de mon fils? Mon mari n'est plus. La dernière fois qu'il avait les yeux ouverts, il souffrait de tumeurs au cerveau. Il avait perdu la tête et se roulait par terre. Il essayait de sortir de son lit en criant: « Libération conditionnelle? Clifford Olson? » Je crois que suis arrivée à la limite de ce que je peux supporter.
Je suis désolée; je sais que nous ne sommes pas censés exprimer nos émotions. Je devrais le savoir; j'aurais vraiment dû me contenir. Je ne voulais pas que cela arrive. C'est vraiment très, très dur. Il doit bien y avoir une façon d'en sortir. Si ce projet de loi n'est pas adopté, peut-être que...
Voici ce que je vous ai apporté. Notre conseiller en matière de politiques nous a rapidement préparé ceci. Nous commençons à être vraiment désespérés. Déjà, cinq membres de familles de victimes, cinq parents, sont morts. Quand pourrons-nous rendre justice à nos enfants? Nous n'avons rien pour eux.
Les gens parlent constamment de Clifford Olson. Lui aussi parle de lui-même. Nous sommes véritablement dans une impasse. Nous assistons à ces demandes de libération conditionnelle parce que nous devons mettre un visage sur les enfants qu'il a assassinés. Nous aussi, tout comme lui, sommes condamnés à perpétuité — vraiment —, et nous ne sommes pas les seuls. Son nom me rend malade, parce tout semble se rapporter à lui, lorsque nous parlons d'autres individus comme lui dans le cadre de ce projet de loi. Cela ne concerne pas que Clifford Olson, parce qu'il y a d'autres familles qui passeront par où nous sommes passés.
Oh, mon Dieu, je ne voulais pas en arriver là. Je vous demande vraiment pardon, mesdames et messieurs les membres du comité. Je n'ai pas réagi ainsi depuis... Je suis désolée.
:
Bonjour et merci de m'avoir invité. Ce n'est qu'hier que j'ai appris que j'allais comparaître devant votre comité; je n'ai donc pas eu le temps de me préparer. Je n'ai pas de données factuelles ni de chiffres à vous remettre. Je ne peux vous parler que de mon expérience personnelle.
Quand ça m'est arrivé, il y a 29 ans de cela, nous étions complètement démunis. Si cette audience avait eu lieu il y a 30 ans, nous ne serions pas ici, alors que l'autre partie semble avoir une représentation à vie. Cela commence à aller mieux, mais nous accusons encore du retard.
J'ai assisté à trois audiences de demande de libération conditionnelle pour Clifford Olson, et à chaque fois, il s'est moqué du système de justice. À chaque fois, la première chose qu'il a dite, c'était: « Personne ne serait assez fou pour accepter que je sorte », et nous devons subir la même épreuve encore et encore, sans raison apparente.
Je crois que cela fait longtemps que nous attendons ce projet de loi. Accorder davantage de pouvoir discrétionnaire aux juges est une bonne chose, comme l'a dit Sharon. J'approuve évidemment tout ce qu'elle a dit.
J'estime que nous avons le droit, en tant que survivants, d'essayer de reconstruire nos vies, mais nous n'y sommes pas encore parvenus. Bien sûr, Clifford Olson est un cas extrême, mais il y en a d'autres comme lui, et il y en aura d'autres dans le futur. Les gens qui viendront après nous doivent être protégés, et c'est une des façons de le faire.
Je crois que j'ai tout dit. Merci.
:
Merci, monsieur le président.
Je tiens à vous remercier tous les trois, monsieur McIsaac, madame Rosenfeldt et monsieur King, d'être ici aujourd'hui.
Madame King, je voudrais faire écho à ce que vient de dire notre président. Vous n'avez absolument pas à vous excuser. Je crois, en fait, que l'émotion que vous avez exprimée en parlant de ce problème fait ressortir pleinement l'objectif de ce projet de loi, à savoir que des familles comme la vôtre ou celle de M. King n'aient pas à vivre cette agonie.
Je crois que vous étiez dans la salle lorsque MM. Doob et Manson sont intervenus. Essentiellement, ils étaient opposés à la possibilité d'imposer des périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle. Ils ne croyaient pas que s'il était possible d'amender le projet de loi pour donner au juge le pouvoir discrétionnaire d'imposer des périodes consécutives d'inadmissibilité à la libération conditionnelle pour des personnes ayant commis deux meurtres ou plus, selon les circonstances dans lesquelles ont été commis les crimes — le coupable, la victime et tout le reste —, le juge en question pourrait décider que pour la deuxième condamnation à perpétuité, l'inadmissibilité à une demande de libération conditionnelle pourrait être inférieure à 25 ans, compte tenu des 25 premières années de condamnation.
Seriez-vous prêts à accepter pareille chose?
:
Merci, monsieur le président, et merci aussi aux témoins de leur présence parmi nous aujourd'hui.
Monsieur King, je tiens à vous dire que votre intervention au sujet de l'appareil judiciaire me semble très juste. C'est l'une des raisons pour lesquelles mon parti envisage d'appuyer l'adoption de ce projet de loi, même si nous avons quelques réserves à son égard.
Parmi tous les cas, ceux qui nous préoccupent, ce sont ceux dont vient de parler . Comme l'a expliqué M. Doob aujourd'hui, la vaste majorité de ces affaires sont différentes de celles dans lesquelles sont impliqués les Olson, Pickton et Williams de ce monde. On traitera ces cas en appliquant correctement cette mesure législative. Ce qui m'inquiète, ce sont les autres cas, qui pourraient aussi être visés par ces dispositions. C'est vraiment l'inquiétude que nous avons.
Mais il y a d'autres solutions, comme celles que vous avez évoquées, madame Rosenfeldt aujourd'hui. Peut-être serait-il plus efficace de modifier la procédure contenue dans la Loi sur la libération conditionnelle pour s'occuper de ces affaires horribles, même si tous les meurtres, quels qu'ils soient, sont horribles, évidemment, épouvantables même, devrais-je dire.
Je n'ai pas vraiment de question, je fais une sorte d'exposé de la situation.
Je partage évidemment le point de vue de et du président. Vous n'avez absolument aucune raison de vous excuser, parce que l'émotion est un facteur dont il faut tenir compte dans ces circonstances. Elle ne peut complètement nous guider, mais nous ne pouvons certainement pas l'ignorer.
Nous examinons ces autres possibilités. Bien que notre droit soit très opposé à la rétroactivité, il y a eu des cas où nous avons réussi à adopter des lois ayant un effet rétroactif, et elles ont survécu. Il me semble que des modifications apportées à la Loi sur la libération conditionnelle pour viser des cas comme l'affaire Olson pourraient fort bien résister à une contestation judiciaire. Je serais tout à fait disposé à essayer de faire changer la loi dans ce sens.
C'est tout ce que j'avais à dire, monsieur le président.
:
Merci, monsieur le président.
Nous sommes certainement tous touchés par ce qu'ont vécu les victimes et leurs familles, et nous respectons également l'excellent travail que vous faites, monsieur McIsaac.
Je vais prendre les trois petites minutes dont je dispose pour vous expliquer comment je vois les choses. À Moncton, dans les années 1970, il y a eu le double assassinat de deux grands policiers, Bourgeois et O'Leary, commis par deux meurtriers. Ces gens étaient connus dans la communauté.
Charlie Bourgeois est devenu, après ce drame, joueur de hockey dans la LNH. Carroll Ann O'Leary a dirigé les services d'un hôpital. Ces familles se sont relevées et ont continué leur vie.
Ces deux meurtriers ont été admissibles à une libération conditionnelle. Leur peine de mort, en réalité, a été commuée en peine d'emprisonnement à vie. Dans ce cas, je suis à peu près sûr que si cette loi avait été en vigueur, le juge aurait probablement décidé d'imposer 50 ans sans... C'était une affaire très sordide.
Il ne fait aucun doute, monsieur McIsaac, que ces gens étaient de la très mauvaise graine, et ils le sont toujours. Vous travaillez auprès de personnes récupérables, et c'est très bien.
Dans ce cas-ci, je crois que nous devrions sauver ce projet de loi, parce que les juges auraient le choix — comme je vous l'ai expliqué — entre 25 et 50 ans. Nous avons entendu des avocats aguerris et réputés nous dire que compte tenu de ce choix, les juges pourraient pencher en faveur de la peine la moins lourde, parce qu'ils ne voudraient pas exagérer. Il nous faut chercher une façon, selon moi, de trouver un juste milieu entre 25 et 50 ans. Il pourrait y avoir des victimes en colère de voir qu'étant donné ce choix entre 25 et 50 ans, un juge pourrait décider de ne pas imposer une peine de 35 ou 40 ans.
Selon vous, existe-t-il un moyen de modifier ceci — et j'y travaille —, croyez-vous que ce serait une bonne chose, que dans certaines circonstances, cela pourrait être approprié? Les juges jouiraient d'un véritable pouvoir discrétionnaire dans les cas de meurtre au premier degré.
Êtes-vous favorable à ce type d'amendement? Je pose la question aux trois témoins, brièvement, parce que nous ne disposons que de trois minutes.