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Je déclare la séance ouverte.
Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne entame sa 47e séance en ce mercredi 9 février 2011.
Vous avez l'ordre du jour sous les yeux. Nous poursuivons l'examen du projet de loi .
J'ai demandé à la greffière de distribuer aux membres le rapport du comité aux fins d'approbation à la fin de la présente séance. Une dizaine de minutes sera réservée à cette fin. À ce moment, M. Ménard aura également quelque chose à dire au sujet de notre séance de lundi.
Afin de nous aider dans notre examen du projet de loi , nous accueillons trois témoins. D'abord, à titre personnel, M. William Marshall, directeur de Rockwood Psychological Services.
Bienvenue, et pardonnez-nous notre retard. Notre autobus a été légèrement retardé. Merci d'avoir patienté.
Nous accueillons également, par vidéoconférence, M. Randall Fletcher, de Charlottetown à l'Île-du-Prince-Édouard. Il est spécialiste de la déviance sexuelle au Bureau du procureur général de l'Île-du-Prince-Édouard.
Bienvenue.
Nous accueillons aussi, par vidéoconférence, Stacey Hannem, de Brantford en Ontario. Elle est présidente du Comité d'examen des politiques de l'Association canadienne de justice pénale.
Bienvenue à vous également.
Je crois qu'on vous a déjà expliqué la procédure. Chacun de vous aura 10 minutes pour présenter son mémoire et il y aura ensuite une période de questions.
Monsieur Marshall, nous allons commencer par vous.
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J'ai l'habitude de patienter, puisque j'ai passé les deux derniers jours au tribunal. Vous savez comment c'est, alors, vous n'avez pas à vous excuser.
J'aimerais vous expliquer brièvement ce que je fais et pourquoi je suis ici. J'ai enseigné à l'Université Queen's pendant 28 ans. J'ai pris ma retraite en 2000 à l'âge de 65 ans, car la loi m'y obligeait, mais j'ai poursuivi mes recherches et mes travaux cliniques sur les délinquants sexuels. En fait, nos travaux incluent maintenant d'autres catégories de délinquants. De plus, je dirige un programme pour les délinquants sexuels dans deux prisons fédérales.
Je suis également directeur des groupes expérimentaux dans un établissement pour les troubles mentaux, à Brockville, où sont jumelés les services de correction et les services de santé mentale de la province. Je mets sur pied des groupes expérimentaux pour tous les délinquants de cet établissement de 100 lits, dont 25 sont réservés à l'unité des délinquants sexuels.
Depuis 42 ans maintenant, j'effectue des recherches sur les délinquants sexuels et je leur offre des traitements. En 1973, j'ai établi le premier programme de traitement à Service correctionnel du Canada à la suite d'une infraction horrible commise par un délinquant qui avait été remis en liberté.
Je dois dire que, depuis la fin des années 1980, lorsqu'Ole Ingstrup est devenu commissaire du Service correctionnel du Canada, il a procédé à une transformation de l'organisme. Aujourd'hui, à mon avis, c'est, de loin, le meilleur au monde. Il avait pour mandat de protéger adéquatement le public grâce à des établissements sécuritaires d'où les détenus ne pouvaient pas s'évader — d'ailleurs, très peu ont réussi à s'échapper —, mais aussi de financer toute une gamme de programmes de réadaptation qui, au fil des ans, se sont montrés extrêmement efficaces.
Malheureusement, au cours de la dernière année, Service correctionnel du Canada a changé sa stratégie et réduit sensiblement le nombre de programmes offerts. Il a notamment mis fin à tous les programmes offerts par des psychologues aux délinquants sexuels à risque très élevé, élevé et modéré, malgré les résultats remarquables. D'ailleurs, aucun programme au monde n'a été plus efficace. J'avais l'habitude de m'en vanter partout où j'allais. Je fais de la consultation dans 26 pays, et je vantais nos excellents établissements et l'efficacité de Service correctionnel du Canada.
C'est pourquoi je suis très déçu de constater ce relâchement en matière de réadaptation. Si je me fie aux données que nous avons, je crois que les nouveaux programmes n'auront que très peu ou pas d'impact sur les taux de récidive. N'oublions pas que les innocentes victimes de ces délinquants sont, pour la plupart, des femmes et des enfants.
Lorsqu'on propose de modifier les peines imposées aux délinquants sexuels, il faut tenir compte de l'objectif visé et déterminer si la peine est juste ou s'il faut offrir des programmes de réadaptation. Il est clair que le modèle américain s'appuie sur des peines sévères, mais il suffit d'examiner le système carcéral des États-Unis pour se rendre compte que cette stratégie est extrêmement inefficace et coûteuse.
Concernant la durée des peines, les travaux des criminologues de l'Université Carleton, dirigés par Don Andrews, ainsi que les données et le grand nombre de métaanalyses que nous avons montrent que l'impact des peines plus longues est très minime. Ce n'est pas la bonne voie à suivre. Cette stratégie augmente les taux de récidive. Je peux vous fournir les références pour ces documents — je ne me souviens pas des titres, mais je pourrais vous les faire parvenir si cela vous intéresse.
Si on veut imposer des peines plus sévères, il faut réfléchir aux raisons qui nous poussent dans cette direction. Étant donné que notre voisin du Sud a déjà emprunté cette voie, nous devrions examiner les résultats.
Comme je l'ai déjà dit, non seulement les peines plus sévères semblent entraîner une augmentation du taux de récidive, mais elles mènent inévitablement — et ça se voit déjà — à un surpeuplement de nos prisons. Cela n'a jamais été un problème, mais ce l'est de plus en plus, et ça ne s'améliorera pas. En fait, même si vous fournissez les ressources nécessaires à la réadaptation, le surpeuplement des prisons vient annihiler vos efforts.
J'ai visité un nombre incalculable de prisons aux États-Unis. Elles sont tellement surpeuplées, qu'il est tout à fait impossible d'offrir des traitements aux détenus. D'ailleurs, la majorité des États ont déjà jeté l'éponge. Mais, au moins, ils admettent que c'est impossible. Alors, ils n'essaient même pas. Malheureusement, cela signifie que la majorité des délinquants sexuels — ou, à tout le moins, un grand nombre d'entre eux — se retrouvent dans des programmes pour prédateurs sexuels violents, car ils n'ont pas eu la possibilité de réduire leur niveau de risque avant de se présenter devant... Vous savez, je trouve la Constitution des États-Unis vraiment étrange; je ne sais pas comment elle permet une telle situation. Peu importe....
Je crois qu'il ne faut pas oublier que des peines plus sévères mèneront inévitablement à un surpeuplement des prisons, ce qui viendra entraver tout effort de réadaptation. Service correctionnel du Canada a déjà commencé à compromettre sérieusement sa réputation internationale quant à la façon dont nous traitons les délinquants de toutes sortes, notamment les délinquants sexuels.
Je n'ai rien de particulier à dire au sujet des infractions à caractère sexuel, sauf que certaines me paraissent un peu inhabituelles.
Je crois que la définition de l'inceste est plutôt inhabituelle, car elle inclut des adultes consentants — des frères et soeurs, par exemple — qui ont des relations sexuelles ensemble et qui sont considérés au même titre qu'une personne qui agresse sexuellement sa fille, même si cette dernière est âgée de 17 ans. Je crois que ce sont deux choses complètement différentes. J'ignore si l'on peut établir cette différence dans la loi. J'imagine qu'il faut s'en remettre aux juges, et leurs décisions seront sujettes à interprétation.
Je pense aussi à l'exhibitionnisme. Certains exhibitionnistes — très peu, en fait — finissent par commettre des actes plus dangereux. Je crois qu'il faut distinguer entre l'exhibitionniste qui s'expose devant des adultes, et celui qui s'expose devant des enfants. Évidemment, cette distinction est établie, mais parmi le premier groupe, très peu commettent des actes plus dangereux. Je crois qu'une peine minimale de 90 jours pour un exhibitionniste qui en est à sa première infraction, c'est plutôt sévère.
Déjà qu'être identifié comme un exhibitionniste dans les journaux aura des conséquences très graves sur la vie, la famille et les enfants du délinquant, une peine d'emprisonnement de 90 jours serait insignifiante. À mon avis, on ne peut pas faire grand-chose pour lui en 90 jours. Ça ne ferait qu'ajouter inutilement à son fardeau. Donc, je vous encourage à laisser tomber les peines minimales pour les exhibitionnistes, même dans le cas d'infractions punissables par procédure sommaire de 30 jours, afin que le catalyseur...
Ce qu'il faut en matière de réadaptation, et je sais que vos préoccupations vont bien au-delà de la réadaptation... Ce qu'il faut pour la plupart des délinquants sexuels dangereux, plus particulièrement les hommes qui agressent les enfants, peu importe la sévérité de l'agression, c'est... Je crois qu'il s'agit d'une infraction sérieuse et je suis tout à fait d'accord pour que ces agresseurs aillent directement en prison. Mais, pour combien de temps? Quelle peine serait utile?
Ces délinquants doivent être emprisonnés pendant au moins trois ans pour que leur réadaptation soit satisfaisante. La raison, c'est que, en plus de leurs problèmes de nature sexuelle, la plupart de ces hommes sont également colériques ou toxicomanes. Il faut donc les soumettre à d'autres programmes. Mais, je dois dire que la portée et la qualité de ces autres programmes dans le système carcéral fédéral ont considérablement diminué.
Bien sûr, il y a aussi toutes les modalités administratives et le déplacement des détenus d'un établissement à un autre. Donc, il faut des peines d'au moins trois ans. C'est ce que je recommande dans le cas d'agressions sexuelles, que ce soit contre des adultes ou des enfants. Cela serait plus logique, à mon avis.
Je vous ai remis quelques copies du document sur l'efficacité des programmes offerts aux délinquants sexuels dans le système carcéral fédéral. J'espère que vous les avez.
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Je vais me présenter brièvement. Je travaille pour le bureau du procureur général de l'Île-du-Prince-Édouard. En gros, je rencontre tous ceux qui sont reconnus coupables d'une infraction d'ordre sexuel dans cette province.
Notre situation à l'Île-du-Prince-Édouard est une peu différente, parce que nous sommes en mesure d'offrir des traitements à tous ceux qui sont reconnus coupables. De plus, la majorité des gens qui plaident coupables ou qui sont reconnus coupables doivent subir une évaluation complète avant le prononcé de leur sentence. Donc, au moment de décider de la peine, le juge a en main l'avis d'un spécialiste concernant le niveau de dangerosité du délinquant, la nature de l'infraction, les moyens pour réduire le risque de récidive, et les traitements et les moyens de contrôle externes nécessaires.
En me préparant pour la séance d'aujourd'hui, je me suis en fait dit que je ne pourrais probablement pas mieux exprimer mon point de vue qu'en citant l'énoncé de position de l'ATSA, l'Association for the Treatment of Sexual Abusers. L'organisme compte environ 3 000 membres, dont la grande majorité mène des travaux de recherches et des travaux cliniques. M. Marshall, qui parlait juste avant moi, a déjà été président de l'ATSA.
En novembre 1996, les gens de l'association ont publié leur exposé de position. J'en citerai des extraits. Ils ont dit:
Il est important de comprendre que les délinquants sexuels ne sont pas tous pareils. En fait, ce groupe hétérogène regroupe des gens de divers groupes d'âge, avec divers profils psychologiques et divers antécédents criminels.
... La perception que bien des gens se font des délinquants sexuels a été façonnée par la couverture médiatique des délinquants sexuels les plus dangereux, qui ont également, dans bien des cas, tué leurs victimes. Évidemment, ces gens ont commis d'effroyables crimes et méritent de subir l'opprobre de la population. Cependant, il est important de comprendre que le délinquant sexuel typique ne leur ressemble pas.
Les gens de l'ATSA affirment que les délinquants sexuels varient énormément en fonction de leur niveau d'impulsivité et de récidive, du risque qu'ils représentent pour le public et de leur volonté de modifier leur comportement. Ils poursuivent en disant que les politiques publiques efficaces tiennent compte du caractère unique de chaque délinquant sexuel au lieu de mettre en pratique une approche universelle.
Cela rejoint en quelque sorte le commentaire de M. Marshall au sujet de la difficulté de rédiger une loi qui tient compte de toutes ces nuances. Selon moi, lorsque vous commencez à imposer des peines minimales, vous empêchez un peu les juges d'utiliser leur pouvoir discrétionnaire et d'adapter la peine et les autres éléments comme l'ordonnance de probation en fonction des besoins de l'accusé.
Brièvement, en ce qui concerne les propos de M. Marshall au sujet de l'efficacité de l'emprisonnement, j'ai eu la chance d'assister à la présentation de Paul Gendreau, titulaire d'un doctorat, qui travaille à l'institut de justice du Nouveau-Brunswick. Il a dit que dans les années 1950 et 1960, lorsque les prisonniers canadiens passaient plus de temps derrière les barreaux, le taux de récidive était en fait plus élevé de 2 p. 100. Que le délinquant purge une brève peine ou qu'il n'en purge pas, cela n'influe pas sur le taux de récidive. Autrement dit, deux personnes ayant commis la même infraction ont le même taux de récidive même si l'un va en prison et l'autre pas.
Selon une étude, si des délinquants à faible risque sont incarcérés avec des délinquants à risque élevé, cela augmente le risque de récidive de 1 p. 100 pour les délinquants à risque élevé et de 6 p. 100 pour les délinquants à faible risque. C'est une conséquence de la surpopulation carcérale.
Au milieu des années 1970, il a été prouvé qu'une supervision étroite associée à peu de traitement ou à pas de traitement du tout haussait le taux de récidive de 1 p. 100. Imposer une amende, sans peine, le réduisait de 3 p. 100. Les camps de réadaptation l'augmentaient de 1 p. 100. Le dépistage de drogues le réduisait de 1 p. 100. La surveillance électronique l'augmentait de 3 p. 100. Les divers types de consultations le réduisaient de 11 p. 100.
Des résultats similaires ont été observés par Don Andrews, qui a examiné les études existantes pour trouver les facteurs communs de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas. Il a examiné plus de 30 études et a remarqué que le fait de purger une peine uniquement augmente le taux de récidive de 7 p. 100, et le taux augmente selon la sévérité de la peine. Purger une peine tout en suivant un traitement réduit le taux de récidive de 15 p. 100.
Manifestement, les moyens efficaces ne correspondent pas à ceux auxquels les gens pensent peut-être. Les efforts pour rendre plus sécuritaires les collectivités doivent tenir compte des données provenant des recherches. M. Gendreau a conclu en disant qu'à Service correctionnel Canada les méthodes auxquelles ils ont recours et les méthodes efficaces sont parfois deux choses bien distinctes.
En ce qui concerne le taux de récidive pour les délinquants sexuels, encore une fois, le public croit en général que tous les délinquants sexuels récidiveront un jour ou l'autre. En fait, c'est tout le contraire. Une recherche canadienne a conclu qu'en général le taux de récidive — on entend par récidive une nouvelle accusation ou condamnation — se situait à 14 p. 100 sur une période de 5 ans, à 20 p. 100 sur une période de 10 ans, et à 24 p. 100 sur une période de 15 ans.
C'est aussi important de comprendre que les délinquants sexuels n'ont pas tous le même taux de récidive. Sur une période de 15 ans, 35 p. 100 des délinquants qui agressent de jeunes garçons non apparentés récidiveront. À l'opposé, sur la même période, 13 p. 100 des auteurs d'actes incestueux récidiveront. Les délinquants qui agressent de jeunes filles non apparentées se retrouvent entre les deux.
Il est aussi important de noter que ceux qui ont déjà commis d'autres infractions d'ordre sexuel ont deux fois plus de risque de récidiver que ceux qui en sont à leur première infraction. La majorité des Canadiens accusés d'une infraction d'ordre sexuel en sont à leur première offense.
Pour ce qui est de l'efficacité des traitements offerts aux délinquants sexuels, les premières études éprouvaient de la difficulté à être statistiquement significatives. En résumé, cela veut dire que si je lance une pièce de monnaie dans les airs 10 fois et qu'elle tombe 8 fois sur face, ce résultat pourrait être attribuable à la chance. Par contre, si je la lance 100 fois et qu'elle tombe 80 fois sur face, cela serait statistiquement significatif.
Lorsque j'ai débuté dans le domaine il y a 23 ans, selon les auteurs et les gens à qui je parlais, tous s'entendaient pour dire que, pour être efficace, le traitement devait être d'une durée de deux à cinq ans et se dérouler selon une approche ouverte, c'est-à-dire sans contenu établi et sans critères précis pour en déterminer la fin.
Des études ont utilisé un échantillon de 100 personnes, un taux de base de récidive de 50 p. 100 pour les délinquants non traités et une réduction de 40 p. 100 de la récidive; elles ont obtenu un résultat non statistiquement significatif. Ce problème a été résolu grâce à un projet de recherche de données en collaboration avec l'ATSA dirigé par Karl Hanson. Il travaille à la division de la recherche correctionnelle de Sécurité publique Canada, qui a défini les normes d'efficacité des traitements et a effectué une méta-analyse de toutes les anciennes études.
En se fondant sur les autres études, celle-ci a conclu qu'en moyenne les programmes de traitement réduisaient le risque de commettre de nouveau une infraction d'ordre sexuel de 16,8 p. 100 à 12,3 p. 100. Lorsque nous évaluons seulement les traitements actuels, ceux qui étaient reconnus comme étant les plus efficaces à l'époque, le taux de récidive passait de 17,4 p. 100 pour les délinquants non traités à 9,9 p. 100 pour les délinquants traités. Les programmes de traitement en milieu communautaire semblaient être plus efficaces que les traitements offerts dans le milieu carcéral, parce qu'il est plus difficile d'offrir des traitements dans un environnement hostile aux délinquants et qui ne favorise pas l'ouverture et le changement.
Donc, voici ce que nous avons appris. Que le délinquant purge une brève peine ou qu'il n'en purge pas, le taux de récidive demeure stable. De longues peines de prison augmentent le risque de récidive, et purger une peine tout en suivant un traitement le diminue grandement. C'est vrai non seulement pour les délinquants sexuels, mais aussi pour la population carcérale en général. Nous savons aussi que les traitements les plus efficaces pour les délinquants sexuels mettent en pratique ce qui a été appris par les recherches et sont offerts dans la communauté.
Lorsque vous adoptez une loi, vous devez être conscients des répercussions non voulues. L'augmentation des peines minimales entraînerait aussi un besoin accru de cellules et de personnel carcéral. Ce sera sûrement vrai en particulier dans les systèmes carcéraux provinciaux, où les ressources pour les traitements sont déjà limitées. Donc, plus d'argent sera investi dans les éléments que nous savons inefficaces et moins le sera dans ceux qui le sont.
Plus les délinquants sexuels ont passé de temps derrière les barreaux, plus ils ont de la difficulté à réintégrer la société. Parmi les gens que je traite, j'ai remarqué, entre autres, que les délinquants capables de se trouver un emploi à leur sortie de prison sont souvent ceux dont les employeurs ont préservé l'emploi. Lorsqu'il s'agit d'une peine relativement courte, c'est possible. Cependant, dans le cas de longues peines, les employeurs ne veulent pas le faire ou ne le peuvent tout simplement pas.
Vous devez aussi tenir compte de l'augmentation chez les délinquants sexuels du sentiment d'aliénation et du sentiment d'être étiquetés comme étant moins fiables, plus sujets à la récidive et moins recommandables que les gens qui commettent d'autres types de crimes. À leur tour, ces éléments peuvent les pousser à s'isoler sur les plans social et affectif, ce qui semble augmenter le risque de récidive.
L'un des avantages d'être dans une petite province comme l'Île-du-Prince-Édouard, c'est que parfois nous sommes en mesure d'opter pour une approche plus complète. Nos prisonniers peuvent commencer leur traitement alors qu'ils purgent encore leur peine. Des agents de correction les escortent jusqu'à mon bureau où les détenus participent à des séances de thérapie de groupe. Nous essayons de faire en sorte qu'ils effectuent au moins le tiers de leur traitement après leur remise en liberté. Ainsi, ils acquièrent des moyens de modifier leur comportement alors qu'ils sont dans un environnement sécurisant, puis ils peuvent les mettre en pratique à leur sortie de prison avec l'aide de leur groupe de traitement.
Voici ce qui m'inquiète: l'augmentation des peines minimales limitera les ressources disponibles dans le système carcéral pour payer les quarts supplémentaires nécessaires pour permettre aux agents de correction d'escorter les délinquants sexuels aux séances de thérapie de groupe. Je n'insisterai jamais assez sur l'importance de leur permettre de sortir de l'environnement carcéral et de se trouver dans un cadre sécurisant qui leur permet d'être à l'aise, de s'exprimer et de se pencher sur leurs problèmes.
C'est tout ce que j'ai à dire pour le moment.
Je parle aujourd'hui au nom de l'Association canadienne de justice pénale. Je suis présidente du Comité d'examen des politiques. Je suis aussi professeure dans le programme de criminologie ici à l'Université Wilfrid Laurier. J'ai passé les neuf dernières années à travailler et à faire de la recherche dans les cercles de soutien et de responsabilité, un programme de réintégration communautaire pour les délinquants sexuels libérés.
Le point de vue que je vais vous donner représente celui de l'Association canadienne de justice pénale et il se fonde également sur mon expérience de travail et de recherche.
Nous aimerions souligner que l'Association canadienne de justice pénale, l'ACJP, appuie sincèrement les efforts qui sont déployés pour protéger les enfants des agressions sexuelles. Les observations que nous faisons aujourd'hui ne signifient pas que nous sommes contre l'esprit du projet de loi, mais nous sommes très préoccupés par certaines mesures qu'il contient.
Nous croyons très fermement que tous les changements apportés à la loi doivent se fonder sur des recherches qui montrent qu'ils vont fonctionner, qu'ils empêcheront les agressions sexuelles d'enfants de se produire ou qu'ils réduiront le taux de récidive — il en va de même pour tout autre crime d'ailleurs.
Nous avons certaines préoccupations face au projet de loi . Elles reposent sur trois problèmes fondamentaux.
En ce qui concerne le premier problème, comme on y a déjà fait allusion, peu de recherches viennent appuyer l'idée que les peines minimales obligatoires ont un effet dissuasif; c'est-à-dire que la majorité des recherches révèlent que peu importe la durée et la gravité de la peine, ce type de mesures n'a pas vraiment d'effet dissuasif.
En fait, en 2002, Gabor et Crutcher ont analysé des recherches et des documents pour le ministère de la Justice et ont découvert que les effets dissuasifs étaient très marginaux pour ce qui est des infractions liées à la conduite en état d'ébriété et de celles liées aux règlements sur les armes à feu. Cela... [Note de la rédaction: difficultés techniques] ... effets dissuasifs pour des crimes plus graves ou violents. En outre, comme on l'a mentionné, plus la peine est longue, moins on a de chance de voir se concrétiser la réduction du taux de récidive que nous souhaitons.
Ce que nous savons, c'est que les peines minimales obligatoires coûtent cher aux contribuables. Elles donnent lieu à l'envoi d'un plus grand nombre de personnes en prison pour des périodes plus longues. Dans certains cas, elles donnent lieu à des peines qui sont fondamentalement injustes, c'est-à-dire qu'elles ne tiennent pas compte des particularités de l'affaire; par exemple, et comme M. Marshall l'a souligné avec éloquence, c'est le cas de la très large gamme d'infractions qui entrent dans la catégorie de l'inceste.
Nous sommes très préoccupés. En tant que comité, qu'association, nous avons toujours condamné le recours à des peines minimales obligatoires parce que nous croyons simplement que rien ne justifie une telle dépense de fonds publics qui ne donnerait que très peu de résultats.
Ensuite, le deuxième problème majeur que nous pose le projet de loi , c'est ce qui pourrait résulter des changements apportés à l'ordonnance judiciaire qui vient restreindre l'accès aux technologies comme Internet et les ordinateurs pour les ex-prisonniers en liberté conditionnelle. Nous croyons que ces changements pourraient nuire à la capacité d'un ex-délinquant à se réinsérer dans la société, à obtenir un emploi ou à poursuivre des études.
Nous trouvons que les changements apportés au libellé pour dire que les ex-prisonniers ne peuvent pas utiliser des ordinateurs ou des technologies pour quelque raison que ce soit, sauf dans un cadre judiciaire, sont tout simplement inadmissibles, étant donné les répercussions que cela pourrait avoir sur la capacité de ces gens à pouvoir fonctionner dans une société si dépendante des technologies. Comme vous pouvez le constater, je suis présentement à Brantford.
De plus, j'ai travaillé avec un ex-délinquant qui a purgé sa peine dans un pénitencier fédéral. Après sa sortie de prison, il est retourné à l'école, a obtenu un baccalauréat et il poursuit maintenant ses études à la maîtrise; il n'aurait jamais pu faire tout cela s'il n'avait pas pu utiliser un ordinateur ou Internet.
J'exhorte le comité à envisager de conserver le libellé original de ce passage selon lequel on interdit l'utilisation d'un ordinateur et des technologies dans le but de communiquer avec des personnes âgées de moins de 16 ans. Il me semble qu'on restreint considérablement cette liberté.
Le troisième problème que nous pose le projet de loi , c'est qu'on y érige en infraction le fait de rendre accessible à un enfant du matériel sexuellement explicite en vue de faciliter la perpétration à son égard d'une infraction d'ordre sexuel. Nous trouvons que cette catégorie d'infraction est très large et en fait, qu'elle est probablement trop large pour être appliquée comme il se doit. Pour faire en sorte que des erreurs judiciaires ne se produisent pas, dans le mémoire que nous avons soumis au comité, nous signalons que les nouvelles nous montrent beaucoup de situations où des parents sont inquiets du contenu sexuellement explicite qu'on fournit à leurs enfants dans les cours d'éducation sexuelle. Dites-moi, y a-t-il un risque qu'un parent insinue qu'un enseignant leurre des élèves...? Il reviendra aux tribunaux d'établir quelle était l'intention de l'enseignant, mais d'ici là, la vie et la carrière d'une personne auront peut-être été totalement détruites.
On comprend mal pourquoi le fait de fournir du matériel explicite ne serait pas visé par les dispositions législatives actuelles sur le leurre d'enfant. On comprend mal également en quoi ces mesures législatives protégeront les enfants. Les recherches nous disent que la majorité des adolescents ont déjà vu du matériel pornographique ou sexuellement explicite sur Internet, peu importe qu'ils l'aient fait exprès ou non. Je ne crois pas que cette disposition protégera les enfants comme on le prévoit.
En plus d'être préoccupée par les problèmes que j'ai mentionnés, l'ACJP s'inquiète des effets cumulatifs qu'entraînerait l'adoption de mesures législatives en matière de justice criminelle qui sont inefficaces. Chaque fois que nous adoptons une nouvelle loi qui n'a pas d'effet dissuasif, qui ne réduit pas le taux de récidive, on investit de l'argent et des efforts pour appliquer des mesures inefficaces, et on prive d'argent des programmes qui pourraient être efficaces. Vous dites donc que vous protégez les Canadiens de la victimisation et des agressions, mais dans certains cas, les mesures adoptées peuvent avoir l'effet contraire en minant différentes choses qui pourraient fonctionner.
Comme on l'a déjà dit aujourd'hui, nous devons investir plus d'argent et de ressources dans des programmes et des traitements qui conviennent aux gens qui ont été condamnés pour des infractions d'ordre sexuel. À maintes reprises, il a été démontré que cela fonctionne. Comme on l'a dit, et comme M. Marshall l'a mentionné, à une certaine époque, les programmes du Canada étaient reconnus sur la scène mondiale, et d'autres pays s'inspiraient de notre démarche. Maintenant, j'ai bien peur que les ressources aient tellement diminué que ce n'est plus le cas.
Nous avons besoin d'argent pour les programmes d'orientation afin de traiter les victimes d'agressions sexuelles. Les sommes qu'on consacre aux prisons et à l'incarcération, ce qui est inefficace, seraient mieux investies si elles servaient à aider les victimes. Nous avons besoin d'appuis constants pour les programmes et les initiatives qui se sont déjà révélés efficaces pour la réduction du taux de récidive des délinquants sexuels. Les cercles de soutien et de responsabilité ne constituent qu'un exemple de ces types de programmes qui, comme les programmes de traitement psychiatrique ou psychologique, se sont aussi révélés efficaces.
Nous devons éduquer les parents et les enseignants sur les signes avant-coureurs d'actes d'agressions sexuelles et de déviance sexuelle. Nous avons besoin de ressources pour aider les adultes inquiets à obtenir de l'aide pour les enfants qui risquent d'être victimes d'agression ou de devenir des agresseurs. Nous avons besoin de ressources et d'appui pour les sociétés d'aide à l'enfance partout au Canada qui s'occupent régulièrement d'enfants exploités et qui sont souvent impuissantes face à leur situation.
C'est le genre de solutions qui préviendront la victimisation. À long terme, elles pourraient être beaucoup plus efficaces.
Notre association est d'avis que les changements proposés par le projet de loi n'auront pas l'effet désiré de réduire la victimisation et de dissuader les prédateurs sexuels.
Je vous remercie de votre attention.
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Merci, monsieur le président.
Merci, mesdames et messieurs, de nous faire part de vos opinions aujourd'hui. Je suis désolé de n'avoir pas pu interroger M. Marshall, mais peut-être aurons-nous l'occasion de nous reprendre.
J'ai écouté très attentivement ce que chacun d'entre vous avait à dire. J'apprécie d'avoir entendu vos points de vue au sujet de la réadaptation et du traitement des délinquants, mais je n'ai pas entendu grand-chose au sujet des effets pour les enfants victimes d'agressions sexuelles.
Comme vous le savez peut-être, au cours des derniers jours, nous avons entendu des groupes qui représentaient des victimes, et parmi lesquels se trouvaient des personnes ayant elles-mêmes été victimes d'abus sexuels au cours de leur enfance. On nous a raconté des histoires très difficiles à propos du temps nécessaire pour qu'une victime se remette du traumatisme psychologique, si je peux dire, causé par son agression.
On nous a raconté le cas d'une jeune femme qui avait été agressée sexuellement pendant une assez longue période par un voisin, je crois, et qui, finalement, après de nombreuses années à garder tout cela en dedans, a dénoncé son agresseur. Elle est passée par le difficile processus d'une poursuite. Le délinquant a été reconnu coupable et a immédiatement été renvoyé chez lui pour purger une peine avec sursis, dans la maison juste en face de chez elle. Elle s'est sentie si lésée, et a tellement eu l'impression qu'elle valait moins que rien, vu la façon dont le système de justice avait traité son cas, qu'elle a tenté de se suicider.
Tout d'abord, j'aimerais demander à chacun de vous si vous possédez une expérience dans le traitement de personnes victimes d'agressions sexuelles durant leur enfance. Si c'est le cas, peut-être pourriez-vous nous parler des effets à long terme pour les victimes de telles infractions. Quel est, selon vous, l'impact pour les victimes si elles constatent qu'un délinquant ne sera condamné à aucune peine d'emprisonnement pour le crime qu'il a commis contre elles?
Peut-être que la Dre Hannem pourrait-elle commencer.
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Pour répondre à la question, avant de me spécialiser et de travailler auprès des délinquants sexuels, j'ai oeuvré au sein d'un service général de santé mentale où j'ai traité des adultes qui avaient été victimes d'agressions sexuelles durant leur enfance. De plus, dans le cadre de ma pratique auprès des délinquants sexuels, je travaille en étroite collaboration avec les services d'aide aux victimes, y compris celles ayant subi des agressions sexuelles.
Ce que je peux vous dire, c'est que, encore une fois, on ne peut considérer qu'il existe une solution unique à cette question. La situation des victimes varie énormément selon le niveau, la gravité, la durée et le type de conséquences néfastes qu'elles subissent. Beaucoup de facteurs peuvent être en cause, dont l'infraction comme telle, le fait qu'on l'ait signalée immédiatement ou non, ou le fait qu'on ait obtenu de l'aide ou pas.
Il est certain que je ne suis pas contre l'idée d'imposer des peines de prison aux délinquants sexuels. Bien souvent, cela a pour effet d'éliminer le sentiment de culpabilité des victimes, surtout chez les enfants. Il est fréquent que des enfants aient l'impression que, d'une façon ou d'une autre, ce qui est arrivé était leur faute.
Une autre mesure intégrée au programme que j'administre consiste en ce que, dans la mesure du possible, une fois le délinquant rendu à un stade de progrès suffisant dans son traitement, nous offrons à la victime une reconnaissance du crime commis. Cela peut prendre la forme d'une lettre, d'une rencontre en personne, si la victime le choisit, ou même d'une vidéo où le délinquant reconnaît qu'il a mal agi, que sa victime ne le méritait pas et qu'elle n'avait en aucune façon encouragé ces actes. Le délinquant reconnaîtra aussi de façon très précise de quelle façon il a pu causer du tort à la victime. Parmi tout ce que j'ai pu observer auprès des victimes, c'est cette mesure qui semble la plus bénéfique pour elles.