Bonjour, monsieur le président et membres du comité.
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je m'appelle Tim Croisdale. Je suis professeur adjoint à la California State University, située à Sacramento. Je suis également professeur adjoint à l'école de criminologie de l'Université Simon Fraser, à Burnaby. En outre, je suis chercheur principal et professeur international invité à l'Institute of Canadian Urban Research Studies de l'Université Simon Fraser.
Je suis ici aujourd'hui pour parler d'une recherche en relation avec le projet de loi , lequel vise à dissiper les préoccupations liées aux jeunes contrevenants violents et dangereux et les jeunes contrevenants récidivistes. Durant mon exposé, je vous présenterai une vue d'ensemble de la recherche sur la récidive chronique et ferai état des résultats d'une recherche sur la récidive chronique et violente à laquelle j'ai participé et qui présentent un intérêt dans le cadre de l'étude du projet de loi .
La récidive chronique est souvent assimilée à la simple récidive. Cependant, la récidive chronique se définit non seulement par le fait, pour un délinquant, de commettre de nouvelles infractions, mais également comme une incapacité de cesser de commettre des infractions. Partant, le caractère chronique de ce type de récidive suppose que l'échec des mesures prises pour lutter contre la criminalité de l'individu pourrait entraîner ce dernier à commettre des infractions violentes.
La recherche sur la récidive chronique se déroule dans le cadre plus vaste de la recherche sur la carrière criminelle, et porte notamment sur les questions liées au début de la carrière criminelle, à la fréquence et à la gravité des actes commis durant cette carrière et à la durée de celle-ci.
Par « début » de la carrière criminelle, on fait référence à l'âge auquel un individu a commis sa première infraction. Cet âge est souvent déterminé par la date de la première arrestation de l'individu en question. Une personne qui commence sa carrière criminelle à l'adolescence, c'est-à-dire entre 13 et 17 ans, est considérée comme un jeune contrevenant. Une carrière criminelle précoce est une carrière qui commence à l'âge de 13 ou 14 ans.
En ce qui concerne le début de la carrière criminelle, voici deux résultats de recherche: premièrement, plus la carrière criminelle débute tôt, plus le nombre d'infractions que commettra un délinquant sera élevé, et, deuxièmement, plus la carrière criminelle débute tôt, plus longue sera cette carrière. Par conséquent, le début précoce d'une carrière constitue un bon indicateur de la délinquance à venir. La recherche indique que les multirécidivistes ont commencé tôt à commettre des actes criminels; autrement dit, ils ont commencé leur carrière à un âge précoce.
La fréquence des infractions concerne le nombre d'infractions commises par une personne, et, plus souvent qu'autrement, on la mesure par le nombre d'arrestations. Chez les jeunes adolescents, le nombre d'infractions augmente avec l'âge, de sorte que la fréquence des infractions d'un délinquant précoce suit une courbe ascendante jusqu'à la fin de son adolescence.
Lorsqu'on examine la courbe de la criminalité selon l'âge, c'est-à-dire le nombre d'arrestations des adolescents en fonction de leur âge, on constate que le nombre d'arrestations est moins élevé au début de l'adolescence, qu'il augmente tout au long de l'adolescence et qu'il culmine à 18-19 ans, pour ensuite diminuer au début et tout au long de la vingtaine. Les délinquants chroniques commencent tôt à commettre des infractions, mais de plus, leur taux de criminalité au cours de l'adolescence et de la vingtaine est plus élevé que celui des autres délinquants.
Le groupe des délinquants chroniques est moins nombreux que celui des autres délinquants, mais la part des actes criminels commis par les membres du premier groupe est disproportionnée par rapport à celle des membres du deuxième groupe. J'ai mené une analyse sur des données liées aux arrestations en Colombie-Britannique et constaté que, entre juillet 2001 et juin 2006, un petit groupe représentant 9,2 p. 100 de l'ensemble des délinquants comptait pour 36,2 p. 100 — plus du tiers — des arrestations effectuées dans la province.
Au moment de mener une étude sur les récidivistes chroniques, nous devons aborder la question de la gravité des crimes, mais celle-ci ne devrait concerner non pas uniquement la gravité du crime en tant que telle, mais également le préjudice global occasionné par les multiples récidives.
Les récidivistes chroniques commettent le plus souvent des infractions non violentes, mais représentent néanmoins une lourde charge pour les ressources du système de justice pénale. Toutefois, l'ampleur des ressources nécessaires pour lutter contre la délinquance chronique fait en sorte que même la petite criminalité chronique acquiert un certain caractère de gravité.
Les jeunes délinquants chroniques ne se spécialisent pas dans un certain type de criminalité au fil du temps. Cependant, les délinquants chroniques commettent de plus en plus d'actes criminels au fil du temps, et, dans certains cas, cela peut mener à des infractions violentes.
Par « renonciation à la criminalité », on entend la fin de la carrière criminelle, le fait de cesser de commettre des infractions. Pour établir la durée d'une carrière criminelle, on se fonde souvent sur la date à laquelle la première infraction a été commise et la date de la dernière arrestation. Toutefois, pour qu'il soit possible de conclure à une véritable renonciation, il faut qu'un délinquant ne soit plus en mesure de commettre un crime. Non seulement les délinquants chroniques commencent plus tôt que les autres délinquants à commettre des infractions et en commettent davantage que ceux-ci, mais en plus, ils commettent des infractions pendant une plus longue période. En d'autres termes, leur carrière criminelle est plus longue que celle des autres délinquants.
Dans le cadre de ma propre recherche, je me suis principalement intéressé aux délinquants chroniques, à l'existence de la codélinquance chronique et aux modèles de réseaux de codélinquance chronique.
Dans le cadre de deux études que j'ai menées en Californie, j'ai analysé la délinquance de longue durée. Le fait d'examiner la délinquance sur une longue durée, à savoir pendant 14 ans dans le cadre de l'une des études et pendant 18 ans dans le cadre de l'autre, accroît considérablement la portée des résultats, vu que l'importance des variations de courte durée dans les comportements criminels est réduite. En outre, le fait que ces deux études portaient sur d'importantes populations de jeunes délinquants contribuait à accroître davantage la portée des résultats.
Dans le cadre de l'étude sur les délinquants chroniques et les réseaux de codélinquance que j'ai menée en Colombie-Britannique, j'ai examiné des délinquants sur une période de quatre ans et analysé notamment plus de neuf millions de fichiers de données. Voici quelques résultats importants de ma recherche sur la délinquance chronique: en moyenne, les adolescents avaient été arrêtés en moyenne 10 fois avant leur admission dans un établissement de correction; selon la courbe de la criminalité selon l'âge, c'est à 16-17 ans que la criminalité des jeunes délinquants chroniques atteint son point culminant, à savoir deux ans plus tôt que chez les autres jeunes délinquants; en moyenne, les jeunes délinquants chroniques sont admis pour la première fois dans un centre correctionnel pour jeunes à l'âge de 17 ans; un faible pourcentage de jeunes délinquants chroniques est responsable d'un important pourcentage des actes criminels commis; les délinquants chroniques commettent des actes criminels dans le cadre de réseaux criminels de codélinquance; enfin, les délinquants chroniques ayant été arrêtés 10 fois ou plus sont moins susceptibles d'être effectivement mis en accusation que les délinquants n'ayant été arrêtés qu'une seule fois.
En quoi les délinquants chroniques diffèrent-ils des autres délinquants?
La plupart des délinquants cessent de commettre des infractions après leur première expérience au sein du système de justice pénale. Chaque expérience au sein du système de justice pénale diminue le risque de récidive. En fait, la plupart des adolescents qui sont arrêtés une première fois ne se font plus arrêter par la suite, et la majorité des adolescents ayant été arrêtés deux fois ne se font pas arrêter une troisième fois.
Les délinquants chroniques sont des personnes qui ne se laissent pas abattre, en ce sens qu'ils résistent aux interventions officieuses et aux sanctions officielles de tout acabit dont ils font l'objet, même lorsque ces interventions et sanctions deviennent plus sévères. Pour l'essentiel, le caractère chronique de la délinquance dénote une résistance aux interventions, aux mesures de réadaptation et, dans certains cas, aux sanctions. Ainsi, des arrestations répétées signifient des échecs répétés à amener le délinquant à renoncer à la criminalité. Par conséquent, au moment d'examiner la persistance du comportement criminel, les arrestations doivent être considérées non plus comme de simples arrestations, mais plutôt comme des tentatives d'intervention auprès d'un délinquant auxquelles ce dernier a opposé sa résistance.
Même si de nombreux délinquants chroniques commettent des infractions non violentes, certains d'entre eux se mettent à commettre des crimes plus graves et plus violents. L'accroissement de la gravité des infractions est un autre indice de l'échec des interventions antérieures et de la résistance que leur a opposé le délinquant. La carrière criminelle des jeunes délinquants commence à un âge précoce, dure plus longtemps et est marquée par un plus grand nombre d'infractions que celle des autres délinquants, de sorte que les délinquants chroniques sont plus susceptibles que les autres de commettre des infractions criminelles tout au long de leur vie. La persistance du comportement criminel est un signe de la criminalité à venir. Des mesures doivent être prises afin de protéger le public des délinquants chroniques les plus dangereux et les plus violents.
Ainsi, à quoi pouvons-nous nous attendre des adolescents qui persistent à commettre des infractions? Nous pouvons anticiper que leur carrière criminelle sera longue et active. C'est un fait que les délinquants chroniques commettent plus d'infractions que les autres délinquants, et ce, pendant une plus longue période. C'est un fait que le taux de criminalité des délinquants adultes ayant été des jeunes délinquants chroniques est plus élevé que celui des autres délinquants.
Prenons, par exemple, le cas des jeunes délinquants chroniques que nous avons examinés dans le cadre de notre étude. Le nombre d'arrestations dont ils ont fait l'objet a atteint un nouveau sommet lorsqu'ils ont atteint l'âge de 21 ans, après qu'ils ont été libérés d'un établissement de correction, puis fait l'objet d'une libération conditionnelle. En outre, l'étude que nous avons menée en Californie a révélé que le taux d'arrestations des délinquants chroniques âgés de 21 à 24 ans était huit fois plus élevé que le taux d'arrestations national moyen des autres personnes du même groupe d'âge.
Il faut toutefois mentionner que le taux de criminalité des délinquants chroniques ne demeure pas élevé tout au long de l'âge adulte. Le taux de criminalité des délinquants chroniques diminue graduellement avec l'âge, même s'il demeure plus élevé que celui des autres délinquants.
En examinant les données factuelles touchant les délinquants chroniques, nous pourrions être tentés de conclure que les sanctions pénales qui leur sont imposées n'ont aucun effet sur eux. Cependant, des études ont démontré que les sanctions avaient une incidence sur la réduction de la criminalité.
Notre étude a révélé que le taux d'arrestations durant la période de libération conditionnelle demeurait relativement bas, ce qui donne à penser que la supervision du système de justice pénale a un effet positif sur le comportement criminel. En outre, même si le taux d'arrestations post-libératoires atteint un point culminant chez les jeunes délinquants âgés de 21 ans, le taux de criminalité diminue après l'incarcération dans un établissement de correction pour jeunes.
En ce qui concerne les délinquants chroniques de notre étude qui ont été ultérieurement incarcérés dans des établissements correctionnels pour adultes, nous avons constaté que les taux d'arrestations diminuaient avec l'âge après la mise en liberté. Le taux de réarrestations de ces jeunes qui ont été de nouveau incarcérés à l'âge adulte était environ deux fois moins élevé qu'il ne l'était avant cette incarcération.
Quel est l'utilité du ? Il faut protéger la société des jeunes délinquants chroniques et violents. Le projet de loi C-4 vise à modifier certaines dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Ces modifications proposées, qui s'inspirent des expériences vécues par les victimes des jeunes délinquants chroniques et violents, ont été accueillies favorablement par les Canadiens. En outre, les modifications proposées s'inscrivent dans la suite logique des recherches qui ont été menées sur les jeunes délinquants chroniques et violents, et, à ce titre, elles constituent, pour le système de justice pénale, une intervention judicieuse et fondée sur des données probantes à l'égard des délinquants de ce genre.
Un petit nombre de délinquants et de récidivistes dangereux commettent un nombre disproportionné d'infractions au Canada et occasionnent un préjudice à un nombre disproportionné de personnes. En conclusion, je tiens à souligner que, à mon avis, les modifications proposées de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents cible ce petit nombre de délinquants et de récidivistes dangereux desquels les Canadiens doivent être protégés.
Merci.
:
D'accord, je vais reprendre là où j'étais rendue.
[Français]
Nous avons environ 13 000 employés dont près de 900 sont directement spécialisés dans l'intervention auprès des jeunes contrevenants. Notez aussi que les directeurs de la protection de la jeunesse qui officient dans les centres jeunesse sont aussi directeurs provinciaux en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. C'est donc dire que nous sommes très intéressés aux décisions qui seront prises dans ce Parlement, parce que l'intervention auprès des jeunes contrevenants, c'est notre métier et c'est notre quotidien.
Avant de parler du projet de loi comme tel, nous tenons à préciser que nous attendions une réelle révision de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents en 2008, comme promis, avec une réelle consultation des instances impliquées auprès des jeunes contrevenants. Cette consultation vaste et ouverte n'a pas eu lieu, et nous souhaitons qu'elle se fasse de façon sérieuse en engageant largement les milieux qui oeuvrent au quotidien dans le secteur de la délinquance juvénile ainsi que les milieux de la recherche et les organismes qui défendent les droits des victimes.
Cela dit, à la lecture des changements proposés par le projet de loi C-4, nous avons plusieurs objections majeures, que je compte vous exposer.
La première objection a trait à l'article 3 du projet de loi qui vise à modifier l'article 3 de la loi. Nous considérons que le changement proposé à l'article 3, mettant en avant le principe de la proportionnalité de la peine avant tout autre, soit la prévention, la réadaptation et la réinsertion du contrevenant, constitue un recul de plus de 100 ans en matière de législation sur la délinquance juvénile. Que ce soit la victime du délit ou la société dans son ensemble, tous sont gagnants si le contrevenant modifie ses comportements positivement. Et ce n'est pas une logique mathématique de proportionnalité qui permet de le faire, mais des stratégies d'intervention individualisées pour chaque jeune en fonction bien sûr des aspects délictuels, mais aussi des caractéristiques propres à chacun de ces jeunes.
À ce chapitre, le modèle québécois d'intervention prône une intervention différentielle, soit la bonne mesure au bon moment. Ce modèle a fait ses preuves pour ce qui est des résultats, puisque le taux de criminalité juvénile est plus bas au Québec que dans la plupart des autres provinces canadiennes.
L'autre article qui nous pose problème est l'article 7 du projet de loi, où on ajoute la dénonciation et la dissuasion dans les critères de décision. Toutes les études réalisées jusqu'à maintenant démontrent que ces stratégies ne fonctionnent pas pour prévenir la délinquance juvénile, bien au contraire. Il s'agit de principes importés du système criminel adulte, qui ne tiennent pas compte des caractéristiques particulières des adolescents.
Quelles sont-elles, ces caractéristiques particulières? Le niveau de maturité des adolescents est diffèrent de celui des adultes. Ça veut dire deux choses. Premièrement, ce qui les arrête avant de commettre un délit et ce qui les arrête après, c'est différent. Deuxièmement, dans le cas des jeunes contrevenants, la bonne mesure au bon moment signifie que la situation va être étudiée par des gens compétents en mesure de comprendre la situation particulière de chaque jeune. On n'est pas dans une logique mathématique, on est dans une logique d'évaluation psychosociale et criminologique du jeune. Les mesures touchant les adolescents doivent aussi faire appel à la participation des parents et à la préoccupation à l'égard des victimes. Ces principes sont ceux que nous mettons en avant dans le modèle québécois.
L'autre article qui présente des problèmes importants, à notre avis, est l'article 20 du projet de loi, qui vient modifier l'article 75 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents en permettant au juge de lever l'interdit de publication du nom d'un jeune contrevenant dès qu'il est reconnu coupable d'un délit avec violence. Selon nous, ça n'aide personne, puisque ça limite considérablement les possibilités de réinsertion sociale d'un jeune contrevenant.
Quel est l'avantage d'ostraciser un adolescent, de le priver de la possibilité de se reprendre en main positivement par un travail ou une scolarisation? N'est-ce pas là une façon de réduire ses options et de le maintenir dans le chemin de la délinquance, faisant ainsi de nouvelles victimes?
Sensible et empathique à l'égard des victimes, l'Association des centres jeunesse et les directeurs provinciaux affirment que le gouvernent fait fausse route en prétendant que la protection de la société sera davantage assurée par la mise en place de mesures plus coercitives.
La loi actuelle permet déjà de traiter ces situations et d'assurer la protection du public. D'ailleurs, la situation de Sébastien, à laquelle renvoie le projet de loi, illustre bien les possibilités actuelles de la loi, puisque l'adolescent contrevenant concerné par ce délit a été assujetti à une peine pour adulte sur recommandation du directeur provincial à la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec. Aujourd'hui, le jeune ayant commis le meurtre de Sébastien purge sa peine dans une prison pour adultes.
Cet exemple illustre bien que l'outil législatif pour protéger la société est déjà disponible et que les responsables de l'application de la loi prennent leurs responsabilités au sérieux et protègent la société.
En somme, nous nous inquiétons beaucoup des effets à long terme des changements proposés. La perte de la protection de l'identité des adolescents, les peines exemplaires basées sur la dénonciation et la dissuasion, et avant tout proportionnelles au délit, sont à I'opposé de ce que nous avons construit comme modèle d'intervention en délinquance.
Pourtant, ce modèle fait l'envie de nombreux pays qui viennent visiter nos installations, ou qui nous invitent à former leur personnel. Il a aussi fait ses preuves par son succès en ce qui a trait à la prévention de la délinquance, à la réadaptation des contrevenants et, de là, à la protection efficace de la société.
Au lieu d'achever de démanteler un modèle qui fonctionne, pourquoi le gouvernement n'investirait-il pas dans des mesures concrètes pour diminuer la pauvreté et la misère sociale, notamment chez les Autochtones, pour favoriser l'accès à l'éducation, à l'emploi, au logement, au lieu de poursuivre cette approche de durcissement et de répression qui, selon nous, ne mène nulle part?
Je vous remercie de votre attention.
:
Monsieur le président, mesdames et messieurs, je m'appelle Arlène Gaudreault. Je suis ici à titre de présidente de l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes. Je suis membre fondateur de cette association et j'en suis la présidente depuis 1988. Je suis très impliquée dans le champ de la victimologie depuis une trentaine d'années. J'enseigne à l'École de criminologie depuis 1993. Mon travail a été reconnu par le ministère de la Justice qui m'a attribué le Prix de la justice. J'ai reçu aussi un prix pour mon travail de la part de la Commission des services juridiques du Québec et de l'Association canadienne de justice pénale. Comme experte, je suis membre du comité consultatif rattaché au Centre de la politique concernant les victimes, du ministère de la Justice du Canada.
Je veux vous remercier, au nom de l'association, de nous accueillir et de nous entendre dans le cadre de cette consultation. Je vais vous dire simplement que, depuis 1984, l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes travaille à la mise en oeuvre d'une justice plus équitable et plus humaine à l'endroit des victimes d'actes criminels. Au cours de toutes ces années, dans nos actions et nos représentations, nous avons toujours été préoccupés par le difficile équilibre que l'on doit maintenir entre la protection des victimes et la réhabilitation des contrevenants. Nous avons toujours gardé en perspective le respect des droits fondamentaux, à la fois ceux des victimes et ceux des contrevenants. Pour ces raisons, il nous est difficile d'adhérer aux visées du projet de loi .
Nous sommes d'avis que ce projet de loi marque un retour en arrière quant aux pratiques et à l'expertise que le Québec a développées dans la prise en charge et la réinsertion sociale des jeunes contrevenants. C'est aussi une rupture importante avec la philosophie de traitement de ces jeunes. Cela ouvre la voie à un glissement non souhaitable vers l'intégration, dans le système de justice pénale pour les adolescents, de mesures calquées sur le système de justice pour les adultes.
Nous souhaitions rencontrer le comité principalement pour faire connaître nos inquiétudes et nos questionnements à propos de ce projet de loi en réponse aux besoins des victimes d'actes criminels. La protection de la société représente une valeur fondamentale à préserver. Compte tenu de notre mission, nous sommes particulièrement préoccupés par la sécurité des victimes.
Nous ne croyons pas que le fait de réclamer un système de justice plus répressif se traduira automatiquement par une plus grande protection de la société en général, et des victimes en particulier. Nous ne sommes pas les seuls à le penser. D'autres organismes et personnes qui travaillent à la défense des droits des victimes au Canada partagent notre croyance. Dans son récent rapport intitulé « Pour un plus grand respect des victimes dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition », M. Steve Sullivan, qui est ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, a rappelé ceci:
Les victimes comprennent, plus que la plupart des gens, que presque tous les délinquants seront éventuellement remis en liberté. En raison de ce qu'elles ont vécu, elles connaissent bien les conséquences de la violence, et c'est pourquoi beaucoup de victimes souhaitent sincèrement que les délinquants soient réadaptés en prison. La meilleure façon de protéger les victimes, leur famille et la collectivité est de faire en sorte que le délinquant apprenne à modifier son comportement nuisible avant d'être mis en liberté.
Je pense que ces commentaires sont pertinents si on les met en perspective avec le projet de loi actuellement à l'étude. Que veulent les victimes? Si les victimes se sentent encore marginalisées face au système de justice, si elles sont encore désillusionnées, cela ne s'explique pas seulement et principalement par la non-sévérité des sentences. Les réponses aux besoins des victimes doivent être abordées dans une perspective beaucoup plus large que la détermination de la peine. C'est ce que l'on souhaiterait entendre.
En 1988, le rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne intitulé « Les droits des victimes — Participer sans entraver » résumait ainsi les aspirations légitimes des victimes. Elles demandent à participer à toutes les étapes des procédures, elles veulent être informées du fonctionnement du système de justice et elles veulent connaître les programmes qui leur sont accessibles. Elles déplorent l'inégalité de disponibilité des programmes et des services et elles espèrent qu'on corrige le déséquilibre qu'elles perçoivent dans le système de justice pénale.
Or, justement, quand on parle des besoins des victimes lorsque l'auteur du délit est un mineur, comment répond-on à ces besoins lorsqu'on sait qu'une grande proportion des victimes sont des jeunes, à 52 p. 100, et que ces victimes sont, dans une proportion de 20 p. 100, un membre de la famille? Ces données sont tirées des statistiques de Juristat. Comment prend-on actuellement en charge les victimes de violences graves et les victimes qui ont perdu un être cher? Dans quelle mesure sont-elles soutenues au Canada dans leurs démarches?
Quels sont les services qu'on leur offre dans les palais de justice, dans la communauté? Comment les victimes au Canada peuvent-elles connaître le cheminement d'un jeune qui est en garde fermée, qui est en mesure probatoire? Comment peuvent-elles savoir si ce jeune a fait un cheminement dans son programme?
Je vous dirais que nous connaissons mal les besoins particuliers des victimes qui font affaire avec le système de justice juvénile et le traitement qui leur est réservé. Nous n'avons pas de réponse à ces questions que je viens de poser et qui touchent pourtant le bien-être et la sécurité physique et psychologique des personnes victimes et de leur entourage. Nous n'avons pas de données non plus sur les services et les programmes qui permettent aux victimes de se rétablir. De plus, nous ne savons pas, au Canada, comment nous nous acquittons de nos obligations à leur endroit, et c'est un peu inquiétant.
Le comité soulignait les déséquilibres entre les ressources pour les délinquants et les ressources pour les victimes. Nous nous demandons dans quelle mesure ces déséquilibres ne vont pas perdurer, voire s'amplifier, quand on voit les budgets qui vont être alloués aux activités liées à la répression du crime par comparaison avec ceux qui sont consacrés aux initiatives en faveur des victimes d'acte criminel.
Les victimes ne forment pas un groupe monolithique. Elles n'ont ni les mêmes trajectoires, ni les mêmes besoins, ni les mêmes attentes face au système de justice. Elles doivent être entendues dans le respect de leurs différences. Prétendre le contraire est réducteur.
Malheureusement, les victimes sont souvent associées à des programmes de répression de la criminalité. La cause des victimes est de plus en plus exploitée, instrumentalisée à des fins partisanes par les partis politiques de toute allégeance. Les droits des victimes sont utilisés pour légitimer un plus grand contrôle du crime, mais ce discours ne traduit pas la position de l'ensemble des victimes, avec les nuances qui s'imposent. Ça ne sert pas la cause des victimes et nous déplorons que le Canada s'engage dans cette voie, notamment avec ce projet.
Comme le souligne le professeur et éminent juriste Allan Young, qui a mené une recherche pour le ministère de la Justice du Canada en 2001, aucune preuve n'appuie l'hypothèse selon laquelle les victimes cherchent toutes à obtenir des peines sévères. En fait, les études montrent le contraire. Les premières recherches réalisées auprès des victimes au début des années 1980 mettent en lumière le fait que les victimes ne sont pas excessivement punitives, pas plus que ceux qui ne sont pas victimes. C'est le cas aussi parmi les victimes de crimes violents.
Dans une lettre adressée dernièrement au premier ministre , M. Sullivan a rappelé que les mesures axées sur la répression des crimes et le durcissement des peines de prison ne font pas, et je le cite, une différence réelle dans la vie des victimes.
En fait, chaque jour, nous entendons au téléphone que la réponse aux besoins des victimes ne se limite pas à garder les délinquants le plus longtemps en prison. Dans nos associations et dans nos groupes, nous entendons les victimes tenir le même discours. Elles sont davantage à la recherche de services pour leur venir en aide, d'informations pour les accompagner dans leurs démarches, particulièrement lorsqu'elles font affaire au régime d'indemnisation ou à d'autres programmes.
Nous déplorons le fait que le projet de loi C-4 ait été mis en avant sans qu'on ait entrepris une véritable consultation auprès d'un large éventail de personnes, les victimes elles-mêmes et des organismes qui, depuis au moins trois décennies, s'impliquent à leurs côtés et ont adhéré à leurs causes partout au Canada.
Le gouvernement actuel a encore beaucoup à faire pour actualiser les droits des victimes, pour leur assurer une grande participation au système de justice pénale et l'accès à des services.
Des efforts encore plus importants doivent être déployés dans le réseau juvénile, particulièrement pour développer une culture provictime auprès de tous les acteurs de ce réseau. Les victimes dont l'auteur du délit est un mineur sont encore plus laissées pour compte. En voulant durcir les peines pour certaines catégories de délinquants, on veut envoyer le message rassurant qu'on s'occupe des victimes et qu'on se préoccupe de leur sort, mais en réalité, on ne s'attaque ni aux problèmes de fond ni aux solutions. On se donne bonne conscience.
Le développement des initiatives à l'endroit des victimes et des contrevenants doit s'appuyer sur une vision à long terme et éviter toute visée électoraliste. Il est plus facile de modifier les lois que de financer des services.
L'Association québécoise Plaidoyer-Victimes soutient que des mesures visant à aider les parents et les familles à réduire la pauvreté et les inégalités sont essentielles pour contrer et réduire la victimisation criminelle. Nous pouvons rétablir la confiance des victimes et des citoyens en général par d'autres moyens, par d'autres solutions que la répression.
Je vous remercie de votre attention.