:
Bonjour. Je vous remercie de m'avoir donné la possibilité de m'adresser à vous aujourd'hui. Je comprends que vous souhaiteriez mieux comprendre la finance sociale pour soutenir votre étude sur la façon dont elle pourrait être utilisée dans le domaine de la prévention du crime.
[Français]
Dans mon allocution, je vais m'employer à expliquer la finance sociale en utilisant des exemples concrets. Je vais aussi définir l'approche du gouvernement en matière de finance sociale.
[Traduction]
La finance sociale est une approche visant à mobiliser de multiples sources de capitaux générant un dividende social et un rendement économique pour atteindre des objectifs sociaux et environnementaux. Elle donne l'occasion de mobiliser des investissements supplémentaires afin d'augmenter les fonds disponibles pour étendre la portée d'approches éprouvées. Elle fournit aussi aux investisseurs l'occasion de financer des projets qui profitent à la société et donne aux organisations communautaires l'accès à de nouvelles sources de financement.
La finance sociale présuppose une nouvelle approche en matière d'investissement, appelée investissement d'impact, que le Groupe d'étude canadien sur la finance sociale décrit comme un investissement actif de capitaux dans des entreprises et des fonds qui produisent des résultats sociaux ou environnementaux et au moins un capital symbolique pour l'investisseur. Pour les gouvernements, la finance sociale est un instrument qui leur permet d’atteindre des résultats de façon plus efficace, d'attirer des capitaux du secteur privé pour le bien collectif et de mettre à profit tous les actifs des communautés. Au Canada, l'élan vers la finance sociale provient en grande partie du secteur à but non lucratif, avec le lancement, en 2010, du Groupe d'étude canadien sur la finance sociale, qui a publié des rapports en 2010 et 2011.
[Français]
L'émergence des initiatives de finance sociale est motivée par la demande d'intervenants du secteur privé et de groupes communautaires sans but lucratif. En effet, un nombre croissant d'organisations cherchent à accéder aux marchés des capitaux pour créer des organisations plus durables et étendre la portée de leur travail.
La finance sociale est un domaine en émergence à l'échelle internationale, mais d'autres pays ont déjà mis en oeuvre plusieurs initiatives qui, en fait de leçons apprises et de pratiques exemplaires, peuvent servir de modèle au gouvernement du Canada. À l'échelle internationale, plusieurs outils sont utilisés pour faire avancer la finance sociale.
[Traduction]
Les obligations à impact social ou OIS sont l’un de ces outils. Ce sont des instruments de financement de projets qui prévoient le versement d'un montant d'argent préétabli si les résultats en matière de rendement sont atteints. Les OIS conjuguent le paiement au rendement à une approche fondée sur l'investissement: les investisseurs du secteur privé fournissent le capital initial pour financer des interventions et peuvent s'attendre à récupérer les capitaux investis ainsi qu'un rendement financier si les résultats sont atteints. La présence d'investisseurs est la principale différence entre les OIS et les ententes de paiement au rendement: les investisseurs privés prennent le risque de désigner et de financer les interventions; ce risque est seulement récompensé si, comme je l’ai indiqué, les interventions sont couronnées de succès.
[Français]
À ce jour, le gouvernement britannique a ouvert la voie en lançant des projets pilotes d'OIS dans une gamme de domaines stratégiques. Environ 15 de ces projets sont en oeuvre actuellement. Comme vous le savez peut-être, les premières OIS ont été mises en oeuvre à Peterborough, en Angleterre. Elles sont axées sur le soutien aux détenus récemment libérés et ont pour objectif de prévenir la récidive.
Plusieurs projets d'OIS sont également en cours ou en développement aux États-Unis, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Belgique.
[Traduction]
Les soutiens aux entreprises sociales sont le deuxième outil. Une entreprise sociale est une entreprise dont l'objectif est de fournir des biens et services tout en avançant une mission sociale. Ce modèle d'entreprise en émergence contribue à accroître la solidité financière des organismes communautaires en fournissant une source alternative de revenus pour s'attaquer à des problèmes sociaux complexes. Les entreprises sociales sont souvent gérées par un organisme de bienfaisance ou sans but lucratif. Les revenus générés par l'exploitation de l'entreprise sont réinvestis dans l'organisme de bienfaisance pour soutenir ses programmes et ses opérations alors que l'entreprise elle-même peut aider les populations à risque à développer des compétences sur le marché du travail. Plusieurs administrations ont créé des soutiens particuliers pour les entreprises sociales, comme des programmes visant à développer les compétences en affaires des entrepreneurs sociaux et à rendre les entreprises sociales prêtes à recevoir des investissements, des formes d'entreprise hybride, et des incitatifs fiscaux qui favorisent l'investissement dans les entreprises sociales.
Les soutiens aux fonds d’investissement social sont le troisième outil, et ils ont pour but de regrouper des sommes d'argent qui peuvent être utilisées pour investir dans des projets de finance sociale. Leurs investissements peuvent prendre la forme de dettes ou de capitaux propres.
[Français]
Ils jouent un rôle clé d'intermédiaire financier en reliant des organisations qui sont à la recherche de capitaux à des investisseurs et en réduisant les coûts de transaction sur le marché.
Plusieurs pays, notamment l'Irlande et l'Australie, soutiennent les fonds d'investissement social existants en injectant des capitaux. Le Royaume-Uni, encore une fois le chef de file dans ce domaine, a mis sur pied un prêteur en gros appelé Big Society Capital, qui joue un rôle semblable à celui d'une banque de la finance sociale. En effet, il prête de l'argent à d'autres fonds qui font des investissements sociaux.
[Traduction]
Tous ces outils ont des points communs. Ils mettent l’accent sur les approches novatrices, sur la mobilisation des ressources et du sens des affaires du secteur privé pour répondre à ces défis et sur les résultats.
Passons maintenant à la finance sociale au Canada. Le gouvernement du Canada a affirmé son intérêt pour la finance sociale dans ses budgets successifs depuis 2010, y compris dans le plus récent. Malgré le solide filet de sécurité du Canada et l'existence de programmes axés sur les communautés, il existe toujours des problèmes sociaux urgents dans notre pays. Le budget de 2014 a souligné que les gouvernements ne sont pas toujours les mieux placés pour résoudre les problèmes sociaux et économiques les plus urgents ou persistants. Il y a des Canadiens qui possèdent des solutions novatrices à ces problèmes et il y en a d'autres qui sont disposés à financer des entrepreneurs sociaux prêts à relever ces défis. C'est pourquoi, dans le plus récent discours du trône, le gouvernement s'est engagé à saisir les occasions présentées par la finance sociale et, dans le budget de 2014, il s'est engagé à aider les Canadiens prêts à répondre à des besoins sociaux et économiques urgents en recourant à des approches novatrices.
[Français]
Comme dans d'autres pays, le gouvernement fédéral n'est pas le seul acteur intéressé par la finance sociale. Les provinces sont parfois plus près du terrain, détiennent des leviers de politiques qui leur sont propres et peuvent adopter plus rapidement des politiques novatrices. Les provinces et territoires ont adopté de nouvelles mesures et initiatives visant à promouvoir la finance sociale. Voici des exemples.
[Traduction]
La Colombie-Britannique a créé une nouvelle tribune pour les entreprises sociales; l'Alberta a lancé un Fonds de dotation d'un milliard de dollars pour l'innovation sociale qui servira, en partie, à financer le développement de projets d'OIS; la Saskatchewan a lancé, cette semaine, la première OIS canadienne axée sur le logement de soutien pour les mères monoparentales à risque; l'Ontario a lancé une stratégie qui comprend un fonds pour fournir des subventions et des investissements. La province a également lancé un appel d'idées pour des OIS dans les domaines du logement, des jeunes à risque et des obstacles à l'emploi.
[Français]
Le Québec appuie depuis longtemps l'économie sociale, un concept qui est similaire sans être toutefois identique à celui de la finance sociale. Certaines caractéristiques communes comprennent une combinaison de mécanismes de production de revenus, l'investissement et la poursuite du bien social.
[Traduction]
Bien que ces mesures témoignent toutes de l'intérêt croissant pour la finance sociale au Canada, la construction d'un marché efficient nécessitera une action coordonnée et du leadership à l’échelle nationale. Le gouvernement fédéral est bien placé pour aider à créer les conditions pour que tous les joueurs puissent exploiter le potentiel de la finance sociale et dispose de leviers qui lui sont propres.
Dans le budget de 2014, le gouvernement s'est engagé à collaborer avec les chefs de file du secteur des organismes à but non lucratif et du secteur privé afin d'explorer le potentiel au chapitre des initiatives de finances sociales et de voir si des obstacles en entravent leur réalisation.
Enfin, je voudrais dire quelques mots sur le travail sur l'innovation sociale et la finance sociale à Emploi et Développement social Canada.
Au cours des dernières années, EDSC a pris des mesures par étapes en matière de finance sociale en testant la capacité des organisations communautaires de tirer parti de subventions et contributions fédérales pour obtenir des fonds provenant des secteurs privés. EDSC a également testé des aspects de l'approche du paiement au rendement et, en octobre 2013, a annoncé des initiatives en matière d'alphabétisation et de compétences essentielles, inspirées de certains éléments du modèle de l'OIS.
En novembre 2012, nous avons lancé l'Appel national d'idées sur la finance sociale pour tester le niveau de connaissance et d'intérêt pour la finance sociale au Canada. Il s'agissait d'une initiative en ligne, ouverte à tous et basée sur l'approche de l’approvisionnement par la foule, le crowdsourcing, qui visait à solliciter des idées novatrices et axées sur la collaboration auprès des Canadiens pour relever les défis sociaux en utilisant la finance sociale. Nous avons publié un rapport — je crois que vous en avez une copie — en mai dernier, qui engageait le gouvernement à franchir quatre prochaines étapes.
La première étape visait à approfondir la discussion sur la finance sociale. La deuxième étape consistait à établir des liens entre les nouveaux partenaires de différents secteurs. La troisième étape visait à affiner les concepts en créant des occasions et des lieux pour développer des projets pilotes « prêts à l'investissement ». La quatrième étape consistait à élaborer des outils de finance sociale en utilisant les fonds de programme existants pour mettre à l'essai de nouvelles approches.
[Français]
EDSC a terminé les deux premières étapes et est en train d'avancer les deux dernières.
Enfin, le gouvernement participe activement au groupe de travail international sur l'investissement à impact social mis en place dans le cadre de la présidence du G8 par le Royaume-Uni en juin 2013. Ce travail se traduira par la publication d'un rapport prévue pour septembre 2014. Ce rapport comprendra des recommandations aux gouvernements en matière de politiques.
[Traduction]
En conclusion, le travail sur la finance sociale actuellement mené par le gouvernement constitue une approche prudente, progressive, pour faire l'essai de la finance sociale de façon à voir où cette approche fonctionnerait le mieux au Canada et à faire des ajustements sur la base des premières leçons apprises.
[Français]
Explorer le potentiel de la finance sociale n'empêche pas le gouvernement d'évaluer également d'autres idées ou concepts pour solutionner les problèmes sociaux, pas plus que cela ne nécessite de mettre de côté les approches actuellement en place qui fonctionnent déjà.
[Traduction]
La finance sociale est un autre outil potentiel dans notre coffre à outils; elle complète les programmes existants qui s'attaquent aux problèmes sociaux. Elle n'est donc pas destinée à remplacer complètement ces programmes, et elle ne conviendrait pas non plus à tous les enjeux sociaux.
Merci.
:
Je vous remercie. C'est une excellente question, mais il est un peu difficile d'y répondre, étant donné qu'au Canada, on n'a pas beaucoup recours aux OIS. Il s'agit surtout d'autres initiatives.
Pour ce qui est des programmes qui existent déjà dans d'autres pays, ils s'adressent surtout aux sans-abri, mais certains portent sur la récidive, un sujet que vous étudiez déjà dans l'optique du système carcéral.
Je dirais que la transition des jeunes du secondaire et du postsecondaire vers le marché du travail constitue aussi un défi dans presque tous les pays d'Europe et, dans une moindre mesure, au Canada et aux États-Unis. Au Royaume-Uni, on étudie beaucoup le potentiel des OIS en vue d'aider les jeunes qui n'ont pas d'emploi et qui ne sont pas aux études. On appelle ces personnes des NEET, acronyme d'origine anglaise qui désigne des personnes ni en emploi, ni aux études, ni en formation. Ce sont des jeunes qui n'ont pas de potentiel. On évalue donc comment il est possible de les aider au moyen des OIS.
Enfin, certains programmes se concentrent sur les plus jeunes. En Saskatchewan, le programme est axé sur les jeunes parents, sur les familles monoparentales et sur les jeunes mamans, qui risquent de se perdre dans le système. Il s'agit de personnes qui ont eu un enfant quand elles étaient très jeunes, qui ont décroché de l'école, et ainsi de suite.
Dans certains cas, c'est une question de transition. Ces personnes cherchent à s'établir dans leur communauté, dans leur famille ou dans le marché du travail, mais ont de la difficulté à réaliser cette transition. C'est pourquoi on dit que les problèmes sont complexes.
Je regrette que M. Richards n'ait pas pu rester, car j'ai l'impression que nous avons été victimes d'un délit de fuite après le tableau qu'il a dressé et ce qu'il avait à dire au sujet des commentaires de Mme Doré Lefebvre.
Je tiens à préciser que nous sommes sceptiques de ce côté-ci. Nous ne disons pas que les projets n'ont aucune valeur, ni que les motivations des organismes sans but lucratif ou des entreprises sont mauvaises. Cela dit, je suppose que lorsque nous voyons ce que j'appellerais l'« enthousiasme douteux » à cet égard de la part de gouvernements occupés à faire des compressions dans tous les domaines, il y a de graves questions auxquelles nous devons répondre.
À mon avis, la première concerne l'équité. J'en ai d'ailleurs parlé la dernière fois. Nous avons visité Calgary et pris connaissance de tous les remarquables programmes de prévention du crime de la ville, qui sont financés par le secteur privé. C'est à Calgary qu'on dirige l'exploitation des sables bitumineux, ce qui veut dire qu'on y trouve de nombreuses sociétés, qui ont les moyens et le besoin d'acheter des relations publiques positives.
Cela dit, lorsqu'on se rend ailleurs, les collectivités ne sont pas aussi riches. Elles dépendent de la bonne volonté des petites entreprises, qui est bien réelle, je ne le nie pas, mais elles n'ont tout simplement pas les mêmes moyens.
Doit-on vraiment se préoccuper de la possibilité que l'adoption de ce modèle permette à ceux qui ont déjà des moyens de profiter davantage de ces programmes?
:
Je suis heureuse de pouvoir me joindre à vous grâce à la technologie.
Je suis Elizabeth Lower-Basch, coordonnatrice des politiques au CLASP, le Center for Law and Social Policy. Nous cherchons à améliorer la vie des personnes à faible revenu en réalisant des études et en préconisant la mise en oeuvre de pratiques exemplaires et de politiques.
Au début de l'année, nous avons publié un rapport que j'ai rédigé sur l'évaluation des obligations à impact social, ou OIS, comme moyen d'étendre la portée des services à l'intention des populations désavantagées dont nous nous préoccupons. Le rapport se penche sur un modèle stylisé d'obligation à impact social, il compare les projets en cours aux États-Unis et au Royaume-Uni à ce modèle et il énonce les avantages et inconvénients possibles du recours aux OIS. Il se fonde sur notre examen des ouvrages visant les OIS, ainsi que sur notre connaissance et notre expérience des systèmes de mesure du rendement, sur les contrats axés sur le soutien et, en général, sur des stratégies employées pour faire le lien entre la politique gouvernementale et la mise en oeuvre, et la recherche et les données probantes concernant les programmes qui répondent aux besoins des populations désavantagées, notamment les personnes à faible revenu.
Je vais commencer par un examen rapide des principales caractéristiques du modèle stylisé afin de m'assurer que nous sommes tous sur la même longueur d'onde. L'OIS se fonde sur les services de prévention ou d'intervention précoce. Une organisation intermédiaire — qui ne fait pas partie du gouvernement — trouve des investisseurs privés qui verseront un financement initial, lequel servira à retenir les services d'organisations chargées d'offrir les services de prévention.
En même temps, le gouvernement conclut un marché avec cet intermédiaire, dans lequel il promet de verser un certain montant à la fin de la période d'exécution — en général de cinq à sept ans — si certains effets ont été obtenus. Ce montant est suffisant pour permettre à l'investisseur de récupérer son investissement initial et, même, de faire un profit et d'être indemnisé aussi bien pour l'utilisation des fonds que pour le risque qui accompagne le projet.
Il y a un risque, car si les effets précisés ne se matérialisent pas, l'investisseur privé n'est pas payé et perd son investissement. Dans certains cas, le montant du paiement se fonde aussi sur les économies que le gouvernement s'attend à réaliser si le projet donne les résultats précisés.
Je vais me concentrer sur deux des affirmations relatives aux OIS. Premièrement, ils vont accroître l'attention portée sur les effets des services, plutôt que sur les intrants. Deuxièmement, ils vont permettre aux gouvernements d'économiser de l'argent.
Il ne fait aucun doute que, grâce aux OIS, on accroît l'attention portée sur les résultats des services. Ils mettent à l'avant-plan les résultats que nous souhaitons et ce que nous sommes prêts à payer pour les réaliser. Étant donné qu'il y a un contrat selon lequel le paiement est fonction du succès, le gouvernement doit préciser clairement ce que représente le succès.
Les OIS forcent aussi les gens à bien réfléchir aux effets des programmes — la différente entre ce qui se produit grâce au programme et ce qui se serait produit de toute façon — et non seulement aux résultats. Cela peut comporter une évaluation à répartition aléatoire, mais ce n'est pas absolument nécessaire. Il faut cependant établir des données contrefactuelles qui, d'une certaine façon, se fondent sur un groupe de référence ou sur des tendances sous-jacentes avec contrôles. Je pense que tout le monde conviendra qu'il est bon de se concentrer ainsi sur les effets des programmes. Il est aussi important de veiller à ce que ce qui est encouragé corresponde effectivement à ce que nous souhaitons fondamentalement, et non simplement à quelque chose de facile à quantifier et à mesurer.
Je ne vais pas entrer dans les détails aujourd'hui, mais dans mon mémoire, je consacre beaucoup de temps aux distorsions possibles, quand on lie de forts incitatifs à des mesures qui répondent partiellement à ce que nous souhaitons vraiment. Qu'est-ce que cela veut dire? Prenons un programme de formation en cours d'emploi pour de jeunes adultes à risque. Vous pourriez constater qu'en plus de promouvoir l'emploi, il entraîne une réduction des taux d'incarcération. Vous pourriez alors envisager d'établir un OIS afin de reproduire ce programme, les paiements étant liés aux taux d'incarcération, mais il pourrait y avoir des conséquences imprévues. Par exemple, on pourrait constater que très peu des femmes du groupe de contrôle aboutissent en prison et, de ce fait, décider de n'inclure que les jeunes hommes. Ou encore, on pourrait décider de ne pas faire porter le programme sur la formation en cours d'emploi du tout, mais plutôt sur le mentorat ou sur d'autres services visant à réduire les taux d'incarcération, si c'est ce à quoi le paiement est lié. Il faut donc bien réfléchir à vos objectifs et à ce qui serait acceptable.
L'autre affirmation que les gens font, concernant les OIS, c'est qu'elles vont permettre au gouvernement d'économiser. Il est très important de faire la distinction entre deux aspects bien différents. Premièrement, on affirme que les services axés sur la prévention peuvent entraîner des économies pour le gouvernement. Deuxièmement, les OIS comme telles entraînent des économies.
Dans la version idéalisée de l'OIS, tout cela se conjugue. Les services permettent au gouvernement d'économiser tellement d'argent que les dépenses du gouvernement peuvent diminuer, même après avoir remboursé les investisseurs. Il y a peut-être des cas où c'est possible, mais on a proposé des OIS dans tout un éventail de secteurs, et ce n'est que dans certains d'entre eux que de telles économies vont vraisemblablement se matérialiser.
Premièrement, il est important de reconnaître que l'investissement dans la prévention ne représente pas dans tous les cas des économies pour le gouvernement. Cela étant dit, la justice pénale fait probablement partie des cas où les économies sont plus probables à court terme. Mettre des gens en prison coûte très cher, et les possibilités de faire des économies sont considérables, même à court terme.
Dans de nombreux autres secteur, comme la petite enfance et la formation en cours d'emploi, les services de prévention sont sans nul doute avantageux pour les participants en particulier, et pour la société en général, mais ils ne vont peut-être pas mener directement à des économies pour le gouvernement. S'il y en a, ce pourrait être à très long terme, et les investisseurs ne seraient peut-être pas prêts à attendre aussi longtemps pour être remboursés. C'est la raison une si grande partie des premiers OIS se concentrent sur les clients du système de justice, et en particulier sur les ex-délinquants et la prévention des incarcération.
Il est toutefois aussi important de comprendre que, peu importe les services ou activités, l'OIS sera plus coûteuse que le recours à un mécanisme plus traditionnel, simplement parce que l'OIS comporte des coûts différentiels. Il y a le rendement pour les investisseurs, les coûts de l'intermédiaire et de l'évaluation, et les coûts initiaux liés à la négociation et à la détermination des données de référence et des dispositions du contrat.
Je ne vais pas entrer dans tous les détails, mais McKinsey & Company a réalisé, pour les coûts d'une OIS, une analyse pro forma jugée très utile.
Je souligne que les OIS peuvent donner lieu à des économies si les résultats des programmes ne sont pas atteints, parce que le gouvernement n'a pas à payer l'intermédiaire. Ce n'est manifestement pas souhaitable. Naturellement, dans un marché établi, les investisseurs motivés par le profit exigeront des profits tenant compte de ce risque d'échec. C'est donc intégré dans les coûts d'ensemble du portefeuille.
Autre risque: si une OIS n'atteint pas sa cible, l'intermédiaire, en toute rationalité, pourrait décider de limiter ses pertes en cessant d'offrir les services. Ça peut aller dans certains cas, mais dans d'autres, le gouvernement devra intervenir pour combler le besoin, ce qui occasionnera des coûts.
On penserait qu'il serait possible d'économiser davantage en investissant dans les services axés sur la prévention sans l'obligation à impact social. Même en empruntant les fonds, les taux d'intérêt seraient nettement inférieurs aux coûts liés à l'OIS, mais en réalité, dans bien des cas, les décideurs et défenseurs ne réussissent pas à défendre cela avec succès pour accroître l'investissement dans la prévention. Cela semble étrange. Il peut être très frustrant pour ceux qui ont travaillé dans ces secteurs. Par conséquent, si les OIS contribuent à surmonter ce problème de sous-investissement dans la prévention, le coût différentiel en vaut probablement la peine.
J'ai quelques recommandations.
Je recommande pour commencer d'être réaliste concernant ce que les OIS peuvent accomplir. Ne faites pas trop valoir ce principe. Reconnaissez que c'est une nouvelle démarche qui est encore en phase expérimentale. Aucune OIS au monde n'est rendue à la phase du paiement, alors il reste beaucoup à apprendre. C'est la raison pour laquelle je dis qu'il ne faut pas déplacer les dépenses actuelles et que vous devez reconnaître qu'il ne s'agit pas d'une panacée au problème du sous-investissement dans les programmes sociaux.
Je vous presse également de commencer par l'analyse des résultats souhaités et de ce que vous êtes prêts à payer pour les obtenir, que ce soit en raison des économies qui seront réalisées ou de ce que cela vaut pour la société. Ce cadre est essentiel au succès de l'OIS. Vous ne pouvez avancer sans cela. Mais c'est aussi une importante conversation qui ajoutera de la valeur à l'établissement de votre budget et à votre processus de prise de décision, que vous décidiez d'aller de l'avant ou pas avec les obligations à impact social.
Merci.
:
Merci à vous, monsieur le président, ainsi qu'aux membres du comité.
Je suis ravi d'être ici pour prendre la parole devant les parlementaires de mon pays au sujet d'une question qui me tient énormément à coeur. Je n'ai malheureusement pas eu le temps de préparer un exposé en bonne et due forme pour l'occasion. J'ai été convoqué par le comité avant hier alors que je participais à une activité de réflexion à la campagne avec les Cercles de soutien et de responsabilité.
Je vais donc simplement vous faire part de ce que j'ai en tête concernant ce réseau de soutien social. Comme j'en fais partie depuis près de 20 ans, je devrais pouvoir me tirer d'affaire.
Les Cercles de soutien et de responsabilité s'emploient à répondre aux besoins d'un groupe d'individus qui nous rendent tous un peu nerveux et inquiets et qui nous incitent à rester sur nos gardes. Je vous parle ici des délinquants sexuels présentant un risque élevé — et, soyons bien clairs, il ne s'agit pas d'un risque faible ou moyen — qui retournent dans la collectivité à leur sortie de prison. Personne ne veut travailler avec ces gens-là. Ils nous font peur. Ils ont causé des torts irréparables dans leur communauté. Ils ont posé des gestes dont les victimes ne se remettront jamais dans la plupart des cas, et sont une source d'inquiétude et un problème collectif pour notre société.
En 1994, ces individus étaient relâchés dans la communauté après avoir purgé leur peine jusqu'à la toute fin, jusqu'au tout dernier jour, et on leur disait simplement de se débrouiller et de ne pas recommencer.
Un de ces individus s'appelait Charlie Taylor. Il est maintenant décédé. Il a été libéré à Hamilton. Il avait passé la plus grande partie de sa vie en prison ou incarcéré d'une manière ou d'une autre, en commençant par les foyers nourriciers dès l'âge de huit ans. On a estimé qu'il n'avait jamais vécu en liberté plus que quelques mois à la fois.
Charlie était un délinquant sexuel à risque très élevé. C'était justement le genre d'individu qui faisait peur, d'un type en fait plutôt rare au sein de notre société, croyez-le ou non, mais qui pouvait fort bien lorsqu'il ne se sentait pas bien et avait besoin de se soulager, partir en quête d'une victime. Ses victimes étaient de très jeunes garçons de cinq ou six ans. Je vous fais grâce des détails quant aux sévices qu'il leur faisait subir.
Il s'est donc retrouvé à Hamilton à sa sortie du pénitencier de Warkworth. Je sais que vous connaissez cet établissement qui est situé dans votre circonscription. La police d'Hamilton était inquiète.Tous, y compris les gens de Service correctionnel Canada, estimaient les risques de récidive à environ 100 %. C'est plutôt rare dans notre société, mais ça arrive.
Des membres de l'Église mennonite d'Hamilton sous la direction du révérend Harry Nigh avaient rendu visite à Charlie en prison et savaient qu'il serait bientôt de retour dans la communauté. Ils ont jugé bon de faire quelque chose. Ils se sont dits qu'ils pourraient constituer un groupe de bénévoles qui allaient accompagner constamment Charlie tout au long de sa réinsertion. On pourrait ainsi veiller à ce qu'il ait tout ce dont il a besoin mais, plus important encore, on allait voir à lui demander des comptes à l'égard de son comportement en s'assurant qu'il soit bien conscient que tous ses faits et gestes sont surveillés.
On s'attendait à ce qu'il récidive en moins d'un mois. Charlie est mort 12 ans plus tard sans avoir commis d'autres crimes. Il n'avait jamais vécu de période de liberté aussi longue.
Depuis 1994, de tels Cercles de soutien et de responsabilité ont vu le jour un peu partout au pays dans bon nombre de nos grandes villes, de St. John's (Terre-Neuve) sur la côte Est jusqu'à Vancouver et la vallée du fleuve Fraser. Ce mois-ci, ce sont pas moins de 152 délinquants sexuels à risque élevé qui sont suivis par quelque 650 à 700 citoyens ordinaires ne possédant pas de compétences particulières qui sont engagés au sein de ces Cercles de soutien et de responsabilité.
Je dois vous avouer que lorsque nous avons sorti nos premières statistiques, nous avons dû refaire tous nos calculs, car nous doutions nous-mêmes des résultats. Ainsi, un projet pilote réalisé à Toronto a permis de réduire de 70 % le taux de récidive chez les délinquants sexuels pris en charge par un cercle de soutien, comparativement à un échantillon apparié servant de groupe témoin.
Nous n'en croyions pas nos yeux. Nous avons répété l'exercice à plusieurs reprises et nous arrivions toujours à ces mêmes résultats que le Service correctionnel du Canada a publiés en 1996, si je ne m'abuse.
Nous avons jugé bon de procéder à des études semblables partout au pays. Nous l'avons fait pour nos différents projets et nous en sommes arrivés à des résultats qui nous ont stupéfaits: une réduction de 83 % de la récidive; une baisse de 73 % des cas de récidive avec violence, y compris à caractère sexuel; et une diminution de 70 % de tous les types d'infraction.
Ces chiffres sont stupéfiants. Ils nous ont abasourdis et j'estime que les gens seraient justifiés de se demander s'il n'y a pas un autre élément qui entre en jeu.
Le regroupement Circles UK a réalisé les mêmes études en Grande-Bretagne. Ils ont obtenu des chiffres très semblables aux nôtres pour ce qui est de la récidive. Aux États-Unis, Grant Dewey, un chercheur du service carcéral du Minnesota, a mené le seul essai clinique aléatoire portant sur les Cercles de soutien et de responsabilité. On ne veut pas vraiment publier les résultats avant d'avoir des données sur une période de cinq ans, mais lorsqu'on jette un coup d'oeil sur ce qui a été accumulé au bout de trois années, ce qui correspond à notre période de suivi, cet essai clinique aléatoire produit des chiffres à peu près identiques aux nôtres.
Il semble donc bien que l'on tienne quelque chose.
Par l'entremise du Centre national de prévention du crime (CNPC), nous avons mené une évaluation quinquennale des Cercles de soutien et de responsabilité. Il s'agissait pour le CNPC d'évaluer le travail des cercles de soutien auxquels il avait octroyé le financement nécessaire au Canada. On s'est donc employé à établir des indicateurs de résultats et les objectifs à atteindre pour que ces résultats soient significatifs, notamment au chapitre de la récidive. Les conclusions de cette étude devraient être rendues publiques le 30 septembre ou le 1er octobre prochain.
Nous procédons pour notre part à une mise à jour des chiffres que je viens tout juste de vous donner, à savoir les taux de réduction de 83 %, 73 % et 70 %. Nous saurons à quoi nous en tenir le 1er octobre. Nous nous rendons compte que l'analyse requise n'est pas chose facile. Cet exercice d'évaluation des taux de récidive est un test pour nous, et il sera très intéressant de voir où ces chiffres se situeront au bout de 8 ou 10 ans.
Je sais qu'il vous arrive de débattre des choix à faire entre prévention du crime et lutte contre la récidive, ou de la pertinence du recours aux obligations à impact social pour un groupe ou un autre, mais laissez-moi vous assurer que les Cercles de soutien et de responsabilité constituent à la fois un outil de prévention tout à fait stupéfiant pour réduire la victimisation aux mains de récidivistes, et un projet de prévention de la récidive. On joue sur les deux tableaux à la fois. Lorsque vous entendez les chiffres de 83 %, 73 % et 70 % obtenus partout au Canada et ailleurs dans le monde, pensez un peu au nombre de victimes potentielles qui ont été épargnées grâce à ces efforts. Si l'on veut vraiment prévenir le crime et diminuer les taux de récidive en empêchant les agressions sexuelles, les Cercles de soutien et de responsabilité font certes partie des outils à considérer.
Les Américains ont effectué une analyse de rentabilité qui révèle un taux de rendement de 82 % pour chaque dollar investi dans les cercles de soutien et de responsabilité. Au Royaume-Uni, ce taux se situe à 18 %.
Le Comité central mennonite de l'Ontario vient tout juste de publier les résultats de son étude sur le rendement social des investissements qui révèle des retombées de 6 $ pour chaque dollar dépensé ou investi dans les Cercles de soutien et de responsabilité. Il est encore tôt pour mesurer les répercussions et les retombées sociales, mais nous commençons à déterminer quels indicateurs pourraient être utilisés à cette fin. La réduction de la victimisation en fait assurément partie. Les coûts des soins en santé mentale également. Le tiers des individus pris en charge par nos Cercles de soutien et de responsabilité ont des problèmes de santé mentale, et 50 % sont aussi aux prises avec des problèmes de toxicomanie.
Malheureusement, le financement qui a permis aux cercles de soutien d'obtenir de si bons résultats prendra fin le 30 septembre prochain. Nous savions que cela allait arriver un jour. Si nous avons procédé à une étude d'évaluation en partenariat avec le Centre national de prévention du crime, c'était justement pour démontrer l'efficacité des Cercles de soutien et de responsabilité.
C'est une situation que vous connaissez sans doute déjà et qui nous laisse extrêmement perplexes. Aux environs du 15 mars dernier, Service correctionnel Canada, un des principaux bailleurs de fonds des cercles de soutien avec le Centre national de prévention du crime, a indiqué qu'il allait mettre fin au financement le 31 mars de cette année. Nous sommes allés au front, et le financement a été rétabli jusqu'au 31 mars 2015, mais j'ai appris hier lors de mon plus récent entretien avec les représentants de Service correctionnel Canada que l'on ne renouvellerait pas par la suite le financement des Cercles de soutien et de responsabilité.
C'est ainsi que prendra fin le 31 mars 2015 le financement d'un programme offert à l'échelle du pays, une innovation canadienne tant pour la prévention du crime que pour la réduction de la récidive qui mobilise des citoyens ordinaires de toutes les régions pour atténuer les risques et accroître la sécurité dans nos collectivités.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur McWhinnie et madame Lower-Basch, je vous remercie de prendre part à notre séance d'aujourd'hui. Vos témoignages sont très différents l'un de l'autre, mais extrêmement intéressants.
Monsieur McWhinnie, vous avez parlé de questions d'éthique s'appliquant à un partenariat de ce genre, entre le secteur privé et le gouvernement.
Ma première question s'adresse à vous, madame Lower-Basch. Compte tenu de votre expérience à Washington, vous pourrez peut-être nous éclairer sur la question suivante.
En 2007, le gouvernement du Québec a décidé de mettre sur pied du financement social dans le cadre de ce qui a été nommé « partenariat public-philanthropique ». Le but était plutôt philanthropique que financier.
Dans ce but, le gouvernement a choisi la Fondation Lucie et André Chagnon. Il s'agissait de deux personnes du secteur privé qui venaient de vendre une grosse compagnie de télécommunication et qui disposaient de beaucoup de dividendes. Une entente a été signée. La fondation devait financer des projets sociaux jusqu'à concurrence de 500 millions de dollars étalés sur 10 ans et, de son côté, le gouvernement devait y investir 350 millions de dollars répartis sur 10 ans.
Or plusieurs personnes ont constaté avec le temps que la fondation avait énormément d'influence sur les politiques sociales du gouvernement provincial au pouvoir. En ce moment, un regroupement d'environ 350 organismes d'un peu partout dans la province fait pression sur le gouvernement pour qu'une telle entente ne soit pas renouvelée.
J'aimerais savoir si, à votre connaissance, ce genre de chose s'est déjà produite aux États-Unis.
Dans de tels cas, les fondations participant à ces programmes auraient-elles une influence plus importante sur le gouvernement des États-Unis?
Que pensez-vous de la situation à laquelle fait face présentement le gouvernement du Québec?
:
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie et je souhaite la bienvenue à nos deux témoins.
J'ai quelques questions à poser à M. McWhinnie. Premièrement, j'aimerais récapituler un peu et rappeler pourquoi nous avons décidé d'examiner le mode de financement actuel, qui passe par le CNPC, comme vous l'avez mentionné, puis aborder le financement social des futurs projets que le gouvernement pourrait appuyer.
Vous avez dit savoir que ce financement expirerait au bout de cinq ans, parce que le CNPC était pratiquement un projet pilote en soi. Il y a donc divers volets. Il y a d'abord tout ce qui concerne les gangs de jeunes. Il y en a un autre aussi, qui est financé d'une autre source. L'idée était de ne pas se limiter à la prévention du crime, mais de rassembler également des données pour voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Pour ce qui est de votre organisation, Circles of Support, je sais que le Service correctionnel du Canada a dit qu'il allait mettre fin à ce financement et que votre organisation a reçu un fort appui de tous les partis au gouvernement. En fait, le ministre Blaney a communiqué avec le Service correctionnel du Canada pour s'assurer du maintien de ce financement.
Évidemment, notre gouvernement était très inquiet, compte tenu des résultats que vous nous avez présentés aujourd'hui. J'ai essayé de tout écrire. Je n'étais pas assez vite, mais vous avez parlé d'un rendement de 82 % dans un cas, de 18 % dans un autre et d'un autre projet qui vous permet ultimement d'économiser 6 dollars par dollar investi.
Avez-vous ces données statistiques? Pouvez-vous nous en remettre copie?