Nous poursuivons donc notre réunion. La première heure sera consacrée aux témoignages et aux questions. De toute évidence, la réunion est écourtée et nous devrons aller voter sous peu. Nous nous excusons à l'avance. Messieurs, nous vous demandons d'être aussi brefs que possible, puis nous tenterons de consacrer le plus de temps possible aux questions, en sachant toutefois que la séance sera suspendue si nous sommes appelés à voter. Nous reprendrons nos travaux dès que le vote sera terminé.
Aujourd'hui, nous accueillons des représentants de la Gendarmerie royale du Canada. Il s'agit de M. Peter Henschel, qui est sous-commissaire du service de la police spécialisée; de M. Ron Fourney, qui est directeur de la science et des partenariats stratégiques au sein des Services des sciences judiciaires et de l'identité et de M. Sean Jorgensen, qui est directeur de l'intégration et des politiques stratégiques du service de la police spécialisée. Nous accueillons aussi M. Trevor Bhupsingh, le directeur général de la Division de l'application de la loi et des stratégies frontalières au ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile.
Messieurs, je vous prie de m'excuser si je n'ai pas bien prononcé vos noms. Vous êtes libres de me corriger en tout temps.
Nous sommes prêts à entendre vos déclarations préliminaires. Vous avez jusqu'à 10 minutes, mais il serait préférable que ce soit plus court, si possible. Merci beaucoup.
À vous de commencer, monsieur Henschel.
[Français]
J'aimerais vous présenter un bref aperçu des modifications législatives proposées, vous décrire les cinq nouveaux fichiers dont la création est envisagée et vous expliquer de quelle manière ces fichiers viendraient appuyer les enquêtes sur les personnes disparues et les restes humains non identifiés et renforcer l'actuel régime d'identification par l'ADN au Canada.
[Traduction]
Promulguée en 2000, la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques régit l’utilisation de l’ADN à des fins d’identification des criminels au Canada. Elle a permis la création de la Banque nationale de données génétiques, ou BNDG.
La Loi sur l’identification par les empreintes génétiques a également permis la création de deux fichiers: le fichier des condamnés, qui renferme le profil génétique des contrevenants condamnés pour une infraction désignée; le fichier de criminalistique, qui contient le profil génétique de personnes inconnues et dont les données proviennent de matériel biologique trouvé sur des scènes de crime. L’ADN a été très utile dans le cadre d’enquêtes criminelles. Au Canada, la BNDG a servi jusqu’ici à appuyer des enquêtes menées sur plus de 2 200 meurtres, 3 800 agressions sexuelles et 24 000 autres infractions désignées.
[Français]
D'autres pays, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, se servent de l'ADN dans le cadre des enquêtes sur les personnes disparues et les restes humains non identifiés. À l'heure actuelle, cela n'est pas possible au Canada. Depuis l'établissement de la Banque nationale de données génétiques, il y a eu un certain nombre de demandes visant la création d'un fichier national des personnes disparues conçu à partir des données génétiques, qui pourrait aider les enquêteurs à trouver des personnes disparues et à identifier des restes humains.
[Traduction]
Notamment, les comités de la Chambre des communes et du Sénat ont recommandé la création d’un fichier des personnes disparues fondé sur les données génétiques après leurs examens de la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, en 2009 et 2010. Ces recommandations ont été répétées par le Comité spécial sur la violence faite aux femmes autochtones ainsi que le Comité d’enquête sur les femmes disparues mis sur pied par la Colombie-Britannique.
Le printemps passé, le budget de 2014 a annoncé une somme de 8,1 millions de dollars allouée sur cinq ans, à partir de 2016-2017, pour créer un fichier des personnes disparues fondé sur les données génétiques. Depuis cette annonce, des consultations sur les approches proposées pour les modifications législatives ont été tenues avec des intervenants, tels que les décideurs provinciaux et territoriaux; les coroners et les médecins légistes; le Commissariat à la protection de la vie privée; le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels; l’Association canadienne des chefs de police; le Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques, de même qu’à l’occasion de discussions préliminaires avec l’Association des femmes autochtones du Canada.
Les intervenants ont largement appuyé la création d’un fichier des personnes disparues fondé sur les données génétiques. Les commentaires provenant de ces consultations ont aidé au développement de plusieurs mesures de protection législatives, dont je vais parler dans un instant.
Les modifications proposées dans le projet de loi , Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2014, permettraient d’étendre l’utilisation de l’ADN comme outil d’identification aux enquêtes sur les personnes disparues et les restes humains non identifiés en facilitant la création de trois nouveaux fichiers.
Le premier serait le fichier des personnes disparues, qui contiendrait le profil génétique des personnes disparues. Ce profil serait établi grâce aux empreintes génétiques tirées d’effets personnels, tels qu’une brosse à dents ou un vêtement.
Le deuxième serait le fichier des restes humains, qui renfermerait les empreintes génétiques tirées de restes humains trouvés.
Le troisième serait le fichier des proches parents des personnes disparues, qui contiendrait les empreintes génétiques fournies volontairement par des proches de personnes disparues. Ce fichier servirait soit à confirmer le profil génétique des personnes disparues, soit à le comparer aux données du fichier des restes humains.
Pour assurer l’utilisation la plus efficace possible de ces nouveaux outils, les données du fichier des personnes disparues et du fichier des restes humains seraient comparées aux quelque 400 000 profils génétiques saisis dans le fichier des condamnés et le fichier de criminalistique. Une comparaison avec le fichier de criminalistique aiderait à établir la présence d’une personne disparue sur une scène de crime à un moment donné, fournissant ainsi des indices importants à l’enquêteur chargé de l’enquête sur la personne disparue. Une comparaison avec le fichier des condamnés aiderait à établir un lien entre les restes humains qui ont été trouvés et un condamné.
[Français]
En plus des changements prévus pour appuyer les enquêtes sur les personnes disparues et les restes humains non identifiés, les modifications législatives proposées viendraient aussi renforcer les opérations actuelles de la Banque nationale de données génétiques.
[Traduction]
À l’heure actuelle, la loi interdit l’utilisation de l’ADN des victimes et des personnes qui pourraient vouloir fournir des données génétiques pour faire avancer une enquête criminelle. Pour remédier à ces lacunes, la nouvelle loi permettrait la création de deux fichiers supplémentaires. Le fichier des victimes contiendrait le profil génétique des victimes d’actes criminels. Les profils seraient téléchargés dans un certain nombre de situations, notamment lorsqu’une victime fournit volontairement un échantillon. Le fichier des victimes aiderait la police à identifier des criminels en série et à établir des liens avec des scènes de crime.
Le fichier des donneurs volontaires renfermerait des échantillons génétiques fournis volontairement par des personnes autres que la victime pour faire avancer une enquête criminelle, une enquête sur une personne disparue ou une enquête sur des restes humains non identifiés. Ce fichier servirait principalement à exclure des individus d’une enquête.
J’aimerais aussi souligner que la mesure législative proposée ne donne aucun nouveau pouvoir à la police d’exiger la collecte d’ADN des individus. La mesure législative proposée aurait pour effet d’assurer l’uniformité des dispositions sur la conservation des profils génétiques pour les condamnés et pour les contrevenants qui ont reçu une absolution sous condition ou une absolution inconditionnelle. Ces modifications viendraient corriger des situations où la Banque nationale de données génétiques conserve des profils génétiques qu’elle devrait détruire et détruit des profils qu’elle devrait conserver.
Enfin, les modifications proposées permettront à la GRC de transmettre les profils génétiques associés aux personnes disparues ou aux restes humains non identifiés avec des gouvernements étrangers et des organismes internationaux. Conformément aux pratiques actuelles, cette transmission sera réalisée au cas par cas et selon les ententes internationales, dans le but de protéger la vie privée et la sécurité des Canadiens.
[Français]
J'aimerais maintenant expliquer les dispositions de la loi qui visent à assurer l'utilisation adéquate des nouveaux fichiers et la mise en place des mesures de protection des renseignements personnels.
[Traduction]
Premièrement, le fait d'utiliser ou de communiquer de l'information génétique à des fins autres que celles qui sont précisées dans la loi demeurerait une infraction criminelle.
Deuxièmement, la Loi créerait une exigence à deux volets dans le cas des enquêtes sur des personnes disparues. Ainsi, avant qu’un profil génétique ne puisse être ajouté à la Banque nationale de données génétiques, les enquêteurs devraient prouver à la GRC qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’une analyse génétique facilitera la réalisation d’une enquête en cours; que les autres techniques d’enquête ont été appliquées sans produire les résultats espérés, ou que l’urgence l’exige.
Troisièmement, dans les cas où le profil génétique d’une personne disparue correspondrait au profil établi à partir d’une scène de crime, la GRC communiquerait cette information aux enquêteurs uniquement à des fins humanitaires. Pour se servir de l’information associée à une telle correspondance dans le cadre d’une enquête criminelle, l’enquêteur devrait faire la preuve qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que cette information faciliterait la réalisation de l’enquête ou l’engagement de poursuites relatives à une infraction désignée.
Quatrièmement, pour tenir compte du fait que le fichier des proches parents des personnes disparues, le fichier des victimes et le fichier des donneurs volontaires contiendraient des profils volontairement fournis, la nouvelle loi contiendrait plusieurs dispositions relatives au consentement. Pour verser un profil génétique au fichier des proches parents des personnes disparues, au fichier des victimes ou au fichier des donneurs volontaires, il faudra obtenir le consentement éclairé du donneur. Quiconque fournirait volontairement un échantillon génétique pourrait retirer son consentement en tout temps, ce qui entraînerait d’office le retrait du profil de la Banque nationale de données génétiques.
Enfin, la GRC retirera les profils après une période déterminée par la réglementation, sauf dans le cas où l’organisation chargée d’une enquête indique que le profil génétique demeure associé à une enquête en cours, et que le donneur n’a pas retiré son consentement éclairé.
Sur le plan des opérations, ces modifications législatives viendront appuyer le travail effectué dans deux secteurs de programme de la GRC: la Banque nationale de données génétiques et le Centre national pour les personnes disparues et les restes non identifiés.
[Français]
Les fonds prévus dans le budget de 2014 serviront à créer et à entretenir l'infrastructure dont la GRC a besoin pour administrer les nouveaux fichiers humanitaires, pour fournir un soutien technique et scientifique aux enquêteurs et pour assurer la coordination de l'information à l'échelle nationale.
[Traduction]
Je vous remercie de m’avoir donné l'occasion de témoigner aujourd’hui. Mes collègues et moi serons heureux de répondre à vos questions.
Des voix: D'accord.
Le président: Merci beaucoup, et merci de votre courtoisie.
Je tiens à présenter nos excuses aux témoins pour ce retard, mais nous avons évidemment été retenus au Parlement en raison de nos procédures de vote, ce qui se produit de temps à autre — parfois trop fréquemment, diront certains —, mais nous sommes de retour.
Nous allons entendre les exposés. Je suis conscient que vous avez jusqu'à 10 minutes pour le faire, mais étant donné que nous manquons de temps, le président vous serait certainement reconnaissant, comme le seraient les membres du comité, de bien vouloir tenter de les limiter à cinq minutes, si possible.
Nous passons maintenant aux exposés des témoins, ce qui sera suivi de questions des députés. En fonction du temps qu'il nous restera, le président pourrait suggérer de limiter les interventions à cinq et deux minutes plutôt qu'à sept et cinq minutes. Je vous laisse y réfléchir d'ici là. Le moment venu, je pense que nous aurons le temps nécessaire. Cela devrait permettre d'avoir une participation un peu plus grande.
Madame O'Sullivan, veuillez présenter votre exposé, s'il vous plaît.
[Français]
Monsieur le président, chers membres du comité, bonjour.
[Traduction]
Merci de m’avoir invitée pour discuter de cette section du projet de loi C-43, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement, dans la mesure où elle porte sur Loi sur l’identification par empreintes génétiques.
J’aimerais d’abord vous donner un aperçu du mandat de mon bureau. Créé en 2007, le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels aide les victimes individuellement et collectivement. Nous aidons les victimes individuellement en leur parlant au quotidien, en répondant à leurs questions et en traitant leurs plaintes. Nous les aidons collectivement en étudiant des questions importantes et en présentant au gouvernement fédéral des recommandations sur la façon d’améliorer ses lois, ses politiques et ses programmes afin de mieux soutenir les victimes d’actes criminels.
Les amendements proposés à la Loi sur l’identification par empreintes génétiques et au financement fédéral s’y rattachant permettraient de créer un fichier national de données génétiques des personnes disparues. Un complément au travail du Centre national pour les personnes disparues et restes non identifiés de la GRC, ce fichier permettrait de recueillir le profil d'ADN des personnes portées disparues et des restes non identifiés et de les comparer à d’autres profils d’ADN. Ce fichier de données génétiques n'est pas un outil miracle, mais il pourrait s’avérer utile pour les enquêteurs criminels et les coronaires dans la recherche des personnes disparues ou l'identification de restes humains.
Depuis ma nomination, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec des victimes et des groupes de victimes qui ont exprimé un espoir sincère et déterminé que la possibilité de comparer l'ADN de personnes disparues et celui de restes non identifiés pourrait soulager la souffrance de bon nombre de familles de personnes disparues. Ne pas savoir ce qui est arrivé à un être cher constitue un poids accablant souvent accompagné par le sentiment constant que davantage pourrait être fait pour tenter de le retrouver. Pour ces raisons, le bureau a recommandé, à maintes reprises, au gouvernement fédéral d'accorder la plus haute priorité à la création de ces fichiers et à la résolution des questions de compétence.
Au fil des ans, j’ai remarqué que la population canadienne, des organismes d’application de la loi, des groupes de victimes, des parlementaires et différents ordres de gouvernement appuient la création d'un fichier national des personnes disparues. En 2005, le ministère de la Sécurité publique a publié un document de consultation publique sur le fichier des personnes disparues et, l’année suivante, le ministre fédéral de la Justice et ses homologues provinciaux et territoriaux ont accepté en principe le concept de fichier des personnes disparues et ont chargé un groupe de travail intergouvernemental de répondre aux grandes préoccupations constantes.
En 2007, le Comité permanent sur la sécurité publique et nationale a appuyé, en principe, le projet de loi , Loi modifiant la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, et a recommandé que le gouvernement propose une loi visant la création d'un fichier des personnes disparues. Le gouvernement a souscrit à cette recommandation, mais peu de progrès ont été réalisés au cours des deux années qui ont suivi.
À la suite de l’examen législatif de la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, en juin 2009, ce comité et le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ont recommandé la création d'un fichier des personnes disparues et d'un fichier des victimes. Pour sa part, le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels a formulé des recommandations en 2009 et 2011, et une fois de plus en 2013, selon lesquelles la création d'un fichier des personnes disparues et d’un fichier des restes non identifiés devrait être une priorité pour le gouvernement du Canada. En plus du soutien solide de la part des parlementaires à l’égard de la création d'un fichier des personnes disparues, l’Association des chefs de police a adopté une résolution, en 2012, exhortant le gouvernement fédéral à aller de l’avant avec la création des fichiers.
Comme nous le savons tous, la capacité de comparer à des fins de correspondance l'ADN de restes non identifiés avec celui de personnes disparues ou de leur parenté n’existe pas au Canada. Ce projet de loi propose d’ajouter cinq nouveaux fichiers à la Banque nationale de données génétiques qui pourraient servir aux organismes provinciaux et municipaux d’application de la loi dans leur enquête sur des cas de personnes disparues ou de restes non identifiés. La capacité de comparer les profils d’ADN des personnes disparues à ceux des restes non identifiés se traduit par un renforcement de la capacité d’enquête des organismes d’application de la loi grâce à un outil de comparaison pour l’ensemble du Canada.
Je me réjouis de ces amendements proposés à la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, mais j’aimerais porter à votre attention d’importantes considérations opérationnelles et liées à la mise en oeuvre pour les victimes.
Une fois que le fichier des personnes disparues et d'autres fichiers auront été créés, il importera de veiller à ce que les victimes reçoivent des renseignements clairs et uniformes sur: les objectifs du prélèvement d’empreintes génétiques sur une victime ou un membre de la famille, et la façon dont celles-ci seront conservées et utilisées; la période de conservation des profils d’identification génétique; le processus de retrait d’un échantillon d’ADN, donné volontairement, de la banque de données; le processus de notification s’il y a correspondance, en particulier si elle entraîne la notification d’un décès à la famille; et une personne-ressource avec qui les membres de la famille peuvent communiquer pour obtenir des renseignements et un suivi. Aussi, toutes les victimes au pays devraient avoir les mêmes choix en ce qui a trait à leur participation à ces fichiers.
Sachant que la plupart des rapports avec les victimes se feront probablement par l’entremise des organismes d’application de la loi provinciaux et municipaux ou de la GRC, j’encourage le gouvernement du Canada à collaborer avec les provinces et les territoires pour s’assurer que les ressources appropriées sont disponibles afin que les victimes aient un accès égal à la banque de données et aux fichiers, et qu’elles en comprennent le fonctionnement.
En conclusion, j'appuie totalement les amendements proposés dans ce projet de loi quant à la création de fichiers nationaux des personnes disparues et des restes humains. Les victimes méritent de savoir ce qui est arrivé à leurs proches. Les fichiers nationaux des personnes disparues et des restes humains sont des outils de plus que nous pourrons utiliser pour fournir des réponses aux familles et le temps est venu de les mettre en œuvre.
Je vous remercie du temps que vous m'avez consacré. Je suis prête à répondre à toutes vos questions.
:
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, merci beaucoup de m’avoir offert cette occasion de m’exprimer sur ce dossier important.
Je suis ici en tant que mère d’un enfant disparu. En août 1993, ma fille de 14 ans, Lindsey Jill Nicholls, est disparue. Je me bats depuis maintenant 15 ans pour que les profils d’ADN des personnes disparues et des restes humains non identifiés soient ajoutés à la Banque nationale des données génétiques.
Je sais que des spécialistes techniques et juridiques sont déjà venus témoigner. Je vais donc tenter de vous donner le point de vue d’une mère à la recherche de son enfant. Je vais vous fournir des détails relatifs à l’enquête sur la disparition de Lindsey, vous expliquer ce qui m’a poussée à agir, vous parler des questions de confidentialité et vous préciser pourquoi il est si important pour moi que l’ADN de Lindsey soit comparé aux ADN inscrits au fichier de criminalistique.
Lindsey a été vue pour la dernière fois marchant sur une route rurale de la Vallée de Comox. On suppose qu’elle faisait de l’autostop au moment de sa disparition. Elle a tout simplement disparu. Son dossier a été classé « soupçon d’acte suspect ».
La GRC a mené des milliers d’heures d’enquête, y compris deux examens complets du dossier effectués par le groupe des crimes graves. La Société des enfants disparus du Canada a envoyé des enquêteurs et mené plusieurs campagnes d’affiches. Des dizaines d’événements médiatiques locaux et nationaux ont eu lieu au fil des ans, y compris des reportages de W5, Canada AM, Chatelaine, Reader's Digest et, plus récemment, 16x9.
Cinq ans après la disparition de Lindsey, j’ai communiqué avec la GRC pour demander à ce que son profil d'ADN soit ajouté à la Banque nationale des données génétiques au cas où ses restes seraient trouvés. Ce fut une décision difficile à prendre. J’avais le sentiment d’abandonner l’espoir de la retrouver, mais il était temps. J’ai été horrifiée d’apprendre qu’il n’existait aucun fichier des personnes disparues au Canada. Je me suis dit: « Et si ses restes avaient déjà été trouvés? Je ne le saurai jamais. »
L’enquêteur de la GRC avec qui j’ai discuté à l’époque a entendu l’angoisse dans ma voix et a appelé tous les coroners du pays pour s’assurer qu’ils avaient une description de Lindsey. Il a pu me confirmer que, selon eux, aucun reste ne correspondait à la description de Lindsey, mais je ne pouvais chasser cette crainte de mon esprit. Je ne comprenais pas comment ils pouvaient dire cela. Peut-être qu’on avait trouvé qu’une partie de son squelette ou qu’ils n’avaient pas la capacité de faire les tests nécessaires. Et si ses restes étaient trouvés la semaine ou l’année suivante?
Alors que son dossier semblait n’aller nulle part, je me suis dit que la seule façon de la chercher serait grâce à son ADN. C’est alors que je me suis mise à faire campagne. Le plus frustrant, c’est que des centaines de personnes que j’ai rencontrées ont dit croire, comme moi, qu’au Canada, une telle comparaison d’ADN se faisait déjà.
La raison pour laquelle les familles des personnes disparues ont besoin de l'élément humanitaire proposé dans ce projet de loi, soit comparer les restes humains à l’ADN des personnes disparues, est claire. Je sais que dès qu’une telle comparaison sera possible, des familles des disparus obtiendront des réponses. Il y a une raison pour laquelle il est essentiel, selon moi, que l’ADN soit comparé aux données du fichier de criminalistique, et cette raison ne saute pas toujours aux yeux.
Je crois que si Lindsey a été enlevée et tuée, c’est par un individu qui a déjà fait cela auparavant. La couverture médiatique et les récompenses ne sont efficaces que si plus d’une personne sait ce qui s’est passé. Mais, ce genre de tueur d’enfants en série ne se confie pas à ses amis.
Lorsqu’un tueur en série est arrêté, que la scène de crime est analysée et que les données sont inscrites au ficher de criminalistique, il est possible d’identifier d’autres victimes. L’enquête sur leur disparition peut alors s’amorcer. La seule façon d’en arriver là, c’est de comparer les prélèvements à l’ADN des personnes disparues.
Je vous donne un exemple. Il y a quelques années, un meurtre a été commis près de Merritt, en Colombie-Britannique. L’agresseur avait caché le corps de sa victime, une jeune fille, dans la forêt. Si je ne m’abuse, la police a divulgué des informations selon lesquelles elle savait où se trouvait le corps. Les agents ont ensuite suivi l’agresseur lorsque celui-ci s’est rendu sur les lieux pour déplacer le corps. Et si une analyse judiciaire du coffre de sa voiture avait été réalisée? Et si le corps de Lindsey ou d’une autre jeune fille avait été placé dans ce même coffre?
Je soutiens que l’ADN de Lindsey pourrait très bien être déjà inscrit au fichier de criminalistique. Si son ADN avait été trouvé dans le coffre de cette voiture, dans un sous-sol ou sur la ferme porcine de Pickton, on saurait ce qui lui est arrivé et d’autres accusations pour meurtre pourraient être déposées.
Et si des restes de Lindsey ont été trouvés et que les données figurent déjà dans le fichier de criminalistique? Une telle comparaison pourrait également se faire pour des raisons humanitaires. Le fait de garder son meurtrier derrière les barreaux plus longtemps pourrait éviter qu’un autre enfant subisse le même sort que Lindsey.
J’aimerais parler de la question de confidentialité. Au fil des ans, de nombreuses personnes m’ont dit, par exemple: « Et si quelqu’un ne veut pas être retrouvé? Et s’il s’agit d’une conjointe maltraitée? » À cela, je réponds que, si une conjointe maltraitée veut disparaître, à moins qu’une partie non identifiable de son corps ne soit retrouvée et que les données correspondantes ne soient ajoutées au fichier des personnes disparues, les autorités ne la retrouveront jamais. La comparaison ne donnerait aucun résultat. Si Lindsey travaille dans un McDonald à Toronto ou dans le Centre-Est de Vancouver, ce fichier ne permettra pas de la retrouver.
Certains soulèvent également la question de la vie privée des gens qui se trouvent sur une scène de crime, sans nécessairement être une victime. Ils ne veulent pas nécessairement être retrouvés. D’accord, mais par le temps que leur profil sera soumis et qu’une comparaison aura permis de les identifier, ils auront quitté la scène de crime. Si cette comparaison permet de les retrouver, la police pourrait simplement dire à la famille que leur être cher a été retrouvé, mais qu’il ne veut pas communiquer avec elle. C’est exactement ce que font les autorités lorsqu’elles trouvent quelqu’un qui ne veut pas être trouvé. Si l’individu trouvé est le meurtrier, il doit être identifié.
Concernant les recherches internationales, je sais que celles-ci se feraient au cas par cas, comme c’est le cas en ce moment, sauf que les données d’ADN seraient prêtes à être transmises sur demande. Selon moi, ce serait beaucoup moins difficile pour les familles, et je parle en connaissance de cause. Deux enquêteurs américains ont communiqué avec la GRC dans le dossier de Lindsey. Le premier voulait obtenir sa fiche dentaire, et le second, son ADN. Si son profil d’ADN avait été prêt à être transmis, cette période d’attente insoutenable aurait été considérablement réduite.
Je ne peux vous dire à quel point il est important pour moi que cette mesure législative soit déposée et d’avoir l’occasion de témoigner ici. Un coroner a déjà dit: « Une personne disparue, c’est un vrai désastre national. La seule différence, c’est que ce désastre se déroule sur plusieurs années. »
J’ai écouté de nombreux reportages sur des équipes canadiennes de vérification judiciaire envoyées dans d’autres pays pour y identifier des restes. J’estime que nos personnes disparues méritent d’être identifiées et nos familles méritent d’avoir des réponses. Si un lien vers le fichier de criminalistique permet également d’identifier un tueur en série, la victime et sa famille pourront aussi obtenir justice et les citoyens seront plus en sécurité.
N’oubliez pas: Lindsey n’est qu’une personne disparue parmi des milliers d’autres. Chacune a une famille comme la nôtre qui la cherche désespérément, une famille d’abord dévastée par la perte de leur être cher, puis par l’inconnu. Il est temps d’aller de l’avant avec cette mesure législative et de permettre aux familles de savoir si leur être cher a été retrouvé.
Merci beaucoup, monsieur le président.
:
Il y en a deux. Il y a l’aspect humanitaire pour lequel vous savez très bien qu’un membre de la famille peut fournir l’ADN demandé. C’est un choix qu’ils font, et c’est pourquoi j’essaie d’en souligner l’importance. Il y a des enjeux complexes qui doivent être expliqués. Si je suis un membre de la famille et que je fournis mon ADN pour des raisons humanitaires, je m’attends à ce que vous m’expliquiez clairement comment mon ADN va être utilisé. Combien de temps allez-vous le garder? Si je change d’avis un an plus tard, comment dois-je vous signifier que je ne veux plus que mon ADN soit dans la banque de données? Des processus ont été mis en place à cet effet. J’essaie seulement de souligner à quel point il sera important d’offrir aussi cette perspective aux victimes lorsque tout cela sera mis en oeuvre.
Par exemple — et ceci n’est pas la première chose —, il nous faut tous vérifier la banque de données génétiques. Le projet de loi est conçu pour que ce soit le dernier recours, une fois que tous les autres moyens d’enquête auront été utilisés. Mais il faut donner cette perspective. Je crois que tous les Canadiens — et tout le monde, du reste — regardent la télévision et qu’ils ont beaucoup d’idées fausses sur ce qu’est cet outil. Je crois que certaines des observations de Judy y ont fait allusion. Nous devons expliquer cette perspective en mots de tous les jours et de façon cohérente d’un bout à l’autre du pays pour signifier aux victimes que s’ils le font pour des raisons humanitaires, ils le font sur une base volontaire.
Vous avez tout à fait raison. Différentes victimes m’ont dit que certains membres de la famille ne voulaient pas que leur ADN se retrouve là. Encore une fois, la question est: si je consens à le fournir, je dois comprendre pourquoi je le fournis et comment il va être utilisé. Aussi, si je change d’avis, je dois avoir l’assurance qu’il sera supprimé de la base de données.
En ce qui concerne les services policiers — et encore, je suis moins bien placée qu’eux pour en parler — et la possibilité qu’il y ait un fichier des victimes, je dois rappeler que l’une des choses que toutes les victimes m’ont dites c’est qu’elles ne veulent pas que ce qui leur est arrivé à elles et à leur famille arrive à qui que ce soit d’autre. Par exemple, disons que j’ai été victime d’une agression sexuelle, que quelque chose m’a été enlevé et que j’ai la possibilité, de mon propre chef, de fournir mon ADN. Si ce qui m’a été pris est retrouvé sur une autre scène de crime — comme cela a été évoqué par le premier groupe de témoins — et que cela peut permettre d’identifier un prédateur en série ou de prêter main-forte à une autre enquête, je veux savoir si mon choix de fournir mon ADN signifie que j’aurai à témoigner en cour si quelqu’un était arrêté ou quelque chose d’autre. Je veux avoir cette information. C’est très important que je l’aie et que l’on tienne compte de cet aspect lors de la mise en oeuvre, car la règle est toujours la même: je ne peux prendre de décision éclairée que si j’ai en main toute l’information nécessaire pour le faire.
:
Eh bien, je peux vous donner des exemples. J’ai fait allusion à la possibilité qu'elle se trouve dans la nature; j'ai l'impression qu'elle attend que je la trouve. C’est ce que je ressens une fois de temps en temps.
Ma plus grande peur est de réaliser tout d'un coup qu'il est possible que je ne sache jamais ce qui lui est arrivé. Les premiers mois et la première année se sont écoulés, puis j'ai réalisé combien de temps s'était écoulé depuis sa disparition et je n'arrivais pas à comprendre comment j'avais fait pour y survivre. Tout d'un coup, ça m'a frappée. Que vais-je faire si je n'arrive pas à savoir ce qui lui est arrivé? Voilà ma plus grande crainte.
Entre-temps, vous devez continuer de vivre. Vous devez aller travailler. La majorité des gens au travail ne sont pas au courant de ma situation et me demande le nombre d'enfants que j’ai. Comment répondre à cette question? Le plus souvent, je réponds que j’en ai deux, parce que c’est la vérité. J'ai quelques incidents drôles à ce sujet. Si nous déménageons, ma plus jeune fille se fait poser des questions par ses amis; c'est étrange. On ne veut pas le dire aux autres, mais ce n'est pas, parce qu'on ne veut pas le leur dire; c'est plutôt, parce qu'ils seront sous le choc et qu'ils ne sauront pas quoi répondre.
L'un d'entre vous a dit ici aujourd'hui qu'il ne peut même pas s'imaginer ce qu’on peut ressentir. J’ai entendu à maintes reprises cette phrase dans ma vie. En fait, lorsque les gens me posent d'autres questions et que je finis par leur raconter mon histoire, ils me regardent et ils essaient de s’imaginer ce qu'ils ressentiraient si c'était l’un de leurs enfants ou de leurs proches. Ils hochent la tête et disent qu’ils ne peuvent même pas se l’imaginer. Ils ne peuvent même pas y penser plus de 10 secondes.
Voilà mon expérience. Avoir la certitude au sujet de ma fille ne peut pas être pire que cela; c’est certain.