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Je vous remercie beaucoup de nous avoir demandé de comparaître devant vous aujourd'hui afin de parler de l'étiquetage trompeur des fruits de la mer, des répercussions que cela produit sur le Canada et sur le monde et de ce que nous pouvons faire pour régler ce problème.
Pour ceux qui ne le savent pas, Oceana Canada est un organisme de bienfaisance indépendant. Nous faisons partie de l'organisation Oceana, la plus grande organisation internationale vouée exclusivement à la conservation des océans. Nous avons des bureaux partout en Amérique, dans l'Union européenne et en Asie. Nous croyons que le Canada a l'obligation nationale et mondiale de rétablir les ressources halieutiques épuisées et de garantir une source durable de protéines pour la population mondiale qui ne cesse de croître.
En ce qui concerne la question qui nous intéresse aujourd'hui, nous enquêtons sur la prévalence de la fraude liée aux fruits de la mer et des substitutions d'espèces depuis 2017 au Canada, et depuis 2011 à l'échelle internationale. Nous menons à ce sujet des campagnes aux États-Unis, dans l'Union européenne, au Mexique et au Brésil. La fraude liée aux fruits de la mer ou l'étiquetage trompeur, c'est toute activité visant à présenter de manière inexacte le produit qui est vendu, entre autres en substituant à un produit plus coûteux une espèce moins chère, moins souhaitable et plus accessible; à des produits sauvages des produits d'élevage; ou à des espèces pêchées légalement des produits du marché noir. C'est une menace pour l'innocuité des aliments; c'est trompeur pour les consommateurs et pour l'industrie de la pêche canadienne; et cela affaiblit la durabilité des populations de poissons. La création d'un marché pour le poisson pêché illégalement peut même masquer des atteintes aux droits de la personne à l'échelle mondiale.
Quand on substitue une espèce de poisson à une autre, les consommateurs risquent d'être exposés à des allergènes, à des parasites, à des produits chimiques présents dans l'environnement, à des médicaments utilisés en aquaculture ou à des toxines naturelles qui sont présentes dans certaines espèces de poissons. Les espèces peu coûteuses ou plus accessibles font l'objet d'un étiquetage trompeur qui en permet la vente comme s'il s'agissait d'espèces coûteuses, souhaitables ou moins accessibles. En plus des consommateurs qui se font duper en payant plus que la valeur du produit, les entreprises responsables et honnêtes doivent faire face a une concurrence déloyale. Cela nuit à nos océans parce qu'on déguise des espèces menacées ou en péril et qu'on permet que des poissons pêchés illégalement se retrouvent sur le marché. Cela mine les efforts déployés pour mettre un terme à la surpêche et pour gérer nos pêches de manière durable.
Malheureusement, c'est très courant au Canada et partout dans le monde. Oceana a réalisé en 2016 un examen de plus de 200 études publiées dans 55 pays et a constaté qu'au moins 20 % des 25 000 échantillons analysés avaient fait l'objet d'un étiquetage trompeur. Plus récemment, au Canada, en 2017 et en 2018, nous avons recueilli des échantillons de fruits de la mer dans des restaurants et des détaillants de cinq villes canadiennes, et nous avons constaté que 44 % des échantillons avaient fait l'objet d'un étiquetage trompeur, ce qui est alarmant. Cela correspond aux conclusions d'autres études menées au Canada. Par exemple, une étude de l'Université de Guelph, dirigée par M. Bob Hanner, a révélé que plus de 41 % des échantillons étaient mal étiquetés. Encore, en 2018, une étude de l'Université de la Colombie-Britannique a montré que 25 % des échantillons avaient été mal étiquetés.
Selon les recherches menées par l'Agence canadienne d'inspection des aliments elle-même, 15 % de l'étiquetage trompeur se produit avant même que les produits de la mer atteignent l'étape de la transformation. Le Canada produit des fruits de mer de grande qualité. Cependant, nous exportons environ 85 % de notre production, et importons d'outre-mer environ 80 % de ce que nous consommons ici au Canada. Aucun autre aliment ne fait l'objet d'un aussi important commerce mondial que les fruits de la mer. Les chaînes d'approvisionnement sont longues, complexes et très obscures, et elles franchissent souvent de nombreuses frontières nationales, passant parfois plusieurs fois d'un côté et de l'autre de la même frontière, ce qui donne beaucoup d'occasions de mal étiqueter les produits et favorise les activités illégales en cours de route.
La seule façon de faire obstacle à cela est de recourir à la traçabilité de la chaîne tout entière, c'est-à-dire exiger que l'information clé soit associée aux produits de la pêche tout au long de la chaîne d'approvisionnement, du point de capture ou de récolte au point de vente. Cette approche a été mise en place dans l'Union européenne, le plus important importateur de fruits de mer dans le monde, et le taux d'étiquetage trompeur a chuté. Les États-Unis ont aussi récemment adopté un système de traçabilité du bateau à la frontière pour les espèces qui risquent le plus de faire l'objet de fraude.
C'est donc le contexte au Canada. Ma collègue, Kim, va vous faire part des façons que nous recommandons pour aborder ce problème au Canada en particulier.
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C'est excellent. Merci.
J'aimerais pouvoir vous présenter une solution miracle qui réglerait facilement ce problème, mais malheureusement, comme Lesley l'a dit, c'est un problème très complexe. Ce qui complique encore plus les choses, c'est que le Canada accuse un retard par rapport à des pays comparables. En ce moment, il y a au Canada moins d'exigences réglementaires concernant la traçabilité. Aucune agence n'est entièrement responsable de la lutte contre la fraude liée aux fruits de la mer. Cette question est réglementée par de multiples ministères des gouvernements fédéral et provinciaux, ce qui nous donne un ensemble de dispositions législatives et réglementaires disparates. Pour compliquer encore plus les choses, les provinces et les municipalités peuvent jouer un rôle.
Cependant, d'autres nations dans le monde font quelque chose pour s'attaquer à la fraude liée aux fruits de la mer. Par exemple, l'Union européenne montre vraiment la voie à cet égard, et ils ont des exigences rigoureuses en matière de traçabilité et de preuve de la légalité, de manière à décourager la fraude et à empêcher que des fruits de mer pêchés illégalement se retrouvent sur leurs marchés. En ce moment, si vous êtes dans un pays de l'Union européenne et que vous achetez un produit de la mer, en tant qu'acheteur, vous pouvez voir sur l'étiquette le nom commercial et scientifique du produit, la méthode de production, la région géographique où le poisson a été pêché ou élevé, l'engin de pêche utilisé, l'indication à savoir si c'est un produit frais, surgelé ou décongelé, la date de péremption et toute information sur les allergènes potentiels.
Nous avons constaté que les dispositions réglementaires de l'Union européenne fonctionnent. Avant, les niveaux de fraude constatés dans les pays de l'Union européenne atteignaient les 23 %. Puis, en 2015, après l'entrée en vigueur de la réglementation, nous avons constaté des niveaux d'environ 7 %. C'est donc efficace.
Il y a quelques années, les États-Unis ont créé un groupe de travail chargé de s'attaquer à la fraude et à la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, ou INDNR. Il s'agit du programme de surveillance des importations de produits de la mer, ou SIMP pour Seafood Import Monitoring Program. Dans le cadre de ce programme, on se penche sur les espèces qui risquent le plus de faire l'objet de fraude. Le programme exige la traçabilité, du bateau ou de la culture jusqu'à la frontière américaine. Cela va être mis en œuvre pour d'autres espèces aux États-Unis. Ils ont commencé par les espèces les plus à risque.
Afin d'enrayer ce problème, nous recommandons entre autres, premièrement, de créer un groupe de travail pluriministériel au Canada, ce qui garantirait que tous les ministères pertinents travaillent ensemble à établir la stratégie de détection et de prévention de la fraude liée aux fruits de la mer. Des exigences de traçabilité de la chaîne tout entière viendraient étayer cela.
Deuxièmement, il faut exiger et divulguer la documentation des prises afin de connaître l'origine et vérifier la légalité de tous les fruits de la mer canadiens et importés, comme le fait en ce moment l'Union européenne et comme l'a recommandé l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture. Le Canada en a convenu au sommet du G7.
Notre troisième recommandation est de resserrer le Règlement sur la salubrité des aliments au Canada afin qu'il exige la traçabilité de la chaîne tout entière. En ce moment, on exige la traçabilité directement en aval et directement en amont. Quand viendra le temps de procéder à un examen, nous aimerions que cela soit plus exhaustif et que la traçabilité couvre le système entier. Nous voudrions aussi que les organismes de réglementation soient tenus de faire rapport de cette information par voie électronique.
Notre quatrième recommandation est d'améliorer les normes relatives à l'étiquetage des fruits de la mer. Nous savons ce que les gens des pays de l'Union européenne peuvent apprendre à propos de leurs aliments. Nous aimerions pouvoir faire de même ici. Nous avons vu que cela fonctionne. Cela peut encore fonctionner; l'information essentielle à propos du poisson voyage avec le poisson.
Enfin, nous recommandons d'inclure l'analyse de l'ADN pour l'authentification des espèces importées et canadiennes dans le programme d'inspection de l'ACIA, et d'investir davantage dans ce ministère pour qu'il puisse le faire.
Tout cela pour dire que nous sommes impatientes de répondre à vos questions. Nous nous réjouissons aussi à la perspective d'écouter l'exposé de Lyzette et de travailler avec l'ACIA, ainsi qu'avec d'autres ministères, car nous voulons vraiment trouver une solution à ce problème.
Sur les près de 400 échantillons que nous avons recueillis dans des restaurants, des épiceries et, dans une moindre mesure, des marchés, 44 % portaient une étiquette erronée.
Dans de nombreux cas, du poisson étant étiqueté comme du vivaneau ou du vivaneau rouge était en fait du tilapia. Nous avons collecté 44 échantillons de vivaneau, dont 12 de vivaneau rouge, et aucun n'appartenait à la famille du vivaneau. Il vaut la peine de mentionner que le terme « vivaneau » est un nom générique pouvant être donné à plus de 200 espèces, et sur les 44 échantillons, aucun n'était une de ces 200 espèces. C'est un des exemples d'étiquetage erroné les plus fréquents que nous avons trouvés.
Nous avons aussi trouvé du poisson étiqueté comme les cinq principales espèces de saumon du Pacifique, mais en réalité, tous les échantillons étaient du saumon de l'Atlantique, ce qui est un gros problème. Au Canada atlantique, nous avons trouvé du poisson étiqueté comme de la morue de l'Atlantique qui était en fait de la morue du Pacifique. Toutes les espèces emblématiques des différentes régions du Canada portaient des étiquettes erronées.
Un exemple plutôt désagréable dont nous avons déjà parlé, c'est que le thon blanc est presque toujours, en réalité, de l'escolier, qui est indigeste. Je n'en dirai pas plus.
Bonjour.
Comme le président l'a indiqué, je m'appelle Lyzette Lamondin.
[Français]
Je tiens à remercier le Comité de me donner l'occasion de vous parler de l'étiquetage des produits de la mer.
[Traduction]
Plus précisément, je suis reconnaissante de la chance que j'ai de pouvoir expliquer comment l'étiquetage s'inscrit dans le mandat de l'ACIA et notre travail continu dans ce domaine.
[Français]
L'ACIA est un organisme à vocation scientifique axé sur les risques. Dans le cadre du portefeuille de la Santé, l'ACIA s'efforce de maintenir un système de salubrité des aliments solide et fiable.
[Traduction]
Les produits alimentaires, qu'ils soient canadiens ou importés, doivent être conformes aux lois canadiennes en matière de salubrité et d'étiquetage. Cela comprend l'obligation d'étiqueter les aliments d'une manière honnête et non trompeuse. Cette obligation s'applique à tous les aliments, y compris le poisson et les produits de la mer.
L'ACIA est bien consciente de l'attention croissante portée à la question de l'étiquetage du poisson et des produits de la mer et du risque de fraude alimentaire qui y est associé.
[Français]
Nous reconnaissons également qu'il s'agit d'un problème mondial et pas seulement national.
[Traduction]
Aujourd'hui, je voudrais expliquer trois points importants à ce sujet: la façon dont l'ACIA s'emploie à protéger les Canadiens en ce qui concerne le poisson et les produits de la mer; la façon dont le nouveau Règlement sur la salubrité des aliments au Canada appuie le travail de l'ACIA dans ce domaine; la façon dont nous continuons à travailler pour gagner et maintenir la confiance du public à cet égard.
Premièrement, le poisson et les produits de la mer représentent l'un des nombreux produits qui, dans certains cas, peuvent être mal étiquetés ou mal présentés. L'ACIA surveille l'étiquetage et la substitution des poissons dans le cadre de ses programmes d'inspection et effectue des analyses en laboratoire au besoin pour détecter la substitution des espèces de poissons.
En plus de nos propres activités d'inspection, un certain nombre d'études réalisées par des tiers, comme les rapports d'Oceana Canada, ont examiné cette question et contribuent à enrichir nos connaissances de base sur ces enjeux. Je suis heureuse qu'Oceana Canada soit représentée aujourd'hui pour exprimer son point de vue, et je suis reconnaissante de son invitation à participer à une séance d'information plus tôt cette semaine.
[Français]
Les études réalisées par des tiers constituent une source d'information utile pour l'ACIA.
[Traduction]
Néanmoins, il incombe aux entreprises — les parties réglementées — de s'assurer que les étiquettes de leurs produits alimentaires sont véridiques et non trompeuses, et que toutes les exigences d'étiquetage sont respectées.
L'ACIA joue un rôle clé de surveillance en vérifiant que les étiquettes des aliments et le matériel publicitaire sont conformes aux règlements. L'ACIA s'efforce de protéger les Canadiens contre la fraude alimentaire, comme la falsification intentionnelle, la substitution et les fausses déclarations sur les produits de plusieurs façons. Par exemple, depuis 2013, l'ACIA utilise régulièrement la technologie des codes à barres de l'ADN pour l'identification des espèces de poissons afin que nous puissions vérifier si l'étiquetage du poisson ou des produits de la mer correspond bien au produit lui-même. L'ACIA fournit des outils, comme un outil d'étiquetage en ligne, pour promouvoir la conformité et aider les entreprises à vérifier que leurs étiquettes alimentaires respectent toutes les exigences réglementaires.
Un autre outil clé est la liste des poissons de l'ACIA, qui établit un lien entre un nom scientifique pour le poisson et les produits de la mer et un nom commun, autrement dit, le nom usuel au Canada.
Il existe de nombreuses causes potentielles de représentation erronée des aliments. Il ne fait aucun doute que dans certaines situations, il y a une intention claire de commettre un acte frauduleux pour en tirer un avantage économique. Il s'agit d'un acte criminel dont la répression ne concerne pas seulement l'ACIA, mais aussi les organismes d'application de la loi.
Une fausse déclaration peut également se produire sans intention. Par exemple, dans certains cas, nous apprenons que des erreurs d'étiquetage ont eu lieu parce que nos partenaires commerciaux appellent une espèce par un certain nom, tandis que nous l'appelons par un autre nom. Cette situation peut être aggravée si l'on tient compte du fait qu'au Canada, les noms doivent apparaître dans les deux langues officielles. Il peut aussi y avoir des situations où des entreprises substituent des espèces par commodité, sans reconnaître la gravité de leurs actes.
[Français]
Je tiens à préciser que nous prenons des mesures appropriées dans tous les cas de non-conformité.
[Traduction]
Enfin, comme l'indique le rapport d'Oceana Canada, la chaîne d'approvisionnement internationale des produits de la mer est très complexe. Une fois qu'un poisson est capturé, il peut franchir de nombreuses frontières nationales.
Grâce au Règlement sur la salubrité des aliments au Canada, qui est entré en vigueur le 15 janvier 2019, nous avons d'autres pouvoirs à notre disposition pour appuyer ce travail, ce qui m'amène au point suivant.
Le Règlement sur la salubrité des aliments au Canada exige maintenant que toutes les entreprises alimentaires, y compris les importateurs, détiennent un permis, tiennent des dossiers de traçabilité et aient un plan de contrôle préventif. L'exigence relative au plan de contrôle préventif permet aux inspecteurs de l'ACIA de vérifier les mesures de contrôle de l'entreprise, y compris la façon dont elle s'assure que les étiquettes sont véridiques et non trompeuses et dont elle surveille les plaintes et y répond. II y a aussi une responsabilité évidente pour les importateurs de s'assurer que le produit qu'ils importent répond aux exigences canadiennes. Essentiellement, ils ont besoin de bien connaître leurs fournisseurs et les aliments qu'ils importent.
Le Règlement sur la salubrité des aliments au Canada prévoit également de nouvelles amendes importantes pouvant atteindre jusqu'à 15 000 $ et des poursuites judiciaires, ce qui incite davantage les entreprises à se conformer. Qui plus est, les entreprises pourraient voir leur permis être suspendu ou le perdre.
Ce règlement comprend de nouvelles exigences en matière de traçabilité pour tous les aliments, et ces exigences se fondent sur la norme internationale établie par le Codex Alimentarius. Le Règlement exige des entreprises qu'elles tiennent des dossiers de traçabilité une étape en aval et en amont de la chaîne d'approvisionnement, de sorte qu'un aliment puisse être retracé tout au long de la chaîne d'approvisionnement, le cas échéant.
Les exigences en matière de traçabilité sont motivées par la salubrité alimentaire; l'objectif premier est de pouvoir retirer rapidement les aliments du marché au besoin. Toutefois, elles faciliteront également le traçage en amont au cours d'une enquête sur une fraude alimentaire. Cela m'amène à mon dernier point.
[Français]
La confiance du public dans les produits que les entreprises alimentaires produisent et offrent aux Canadiens est fondamentale pour l'accès au marché et l'acceptation des consommateurs. Les consommateurs canadiens veulent des produits de qualité sûrs et bien étiquetés.
[Traduction]
Le budget de 2019 prévoit 24,4 millions de dollars sur cinq ans pour l'ACIA, à compter de 2019-2020, et 5,2 millions de dollars par année par la suite pour renforcer notre capacité de lutte contre la fraude alimentaire.
[Français]
Ces fonds nous permettent de mieux comprendre et de mieux cibler nos activités d'inspection.
[Traduction]
Ces fonds nous permettront de mieux comprendre et de mieux cibler nos activités d'exécution dans les domaines de la fraude alimentaire.
Nous continuerons de collaborer avec l'industrie, les gouvernements et nos partenaires internationaux et de mobiliser les Canadiens pour aborder cette importante question.
Merci.