FINA Réunion de comité
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STANDING COMMITTEE ON FINANCE
COMITÉ PERMANENT DES FINANCES
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 25 avril 2001
Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): Silence s'il vous plaît! Je déclare la séance ouverte et je souhaite la bienvenue à tous cet après-midi.
Comme nous le savons, le Comité des finances s'intéresse à diverses questions et notamment à l'économie verte. C'est pourquoi nous avons décidé d'organiser aujourd'hui une table ronde sur cette question extrêmement importante. Nous avons la chance d'avoir pu réunir un certain nombre de spécialistes qui éclaireront le comité sur cette question et nous donneront la possibilité de poser des question et d'obtenir des réponses lorsque nous nous pencherons sur l'économie verte.
Je souhaite la bienvenue à M. David J. McGuinty, directeur général et premier dirigeant de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie et à M. Jean Bélanger qui en est membre; à David Pollock, directeur général du Pembina Institute et à Stephanie Cairns, analyste principal des politiques; ainsi qu'à Judy Gelfand, directrice exécutive de la Fédération canadienne de la nature et présidente de Green Budget Coalition. Nous entendrons également à titre individuel M. Ross McKitrick, professeur adjoint au Département de l'économie de l'Université de Guelph; M. Quentin Grafton, directeur de l'Institut de l'environnement à l'Université d'Ottawa; et M. Philippe Crabbé, directeur de l'Institut de recherche sur l'environnement et l'économie à l'Université d'Ottawa.
Bienvenue à tous. Nous allons bien entendu donner à chacun des membres du groupe environ sept minutes pour présenter leurs exposés afin de réserver suffisamment de temps pour la période des questions. Cependant, nous serons généreux avec le temps et nous pourrons vous accorder jusqu'à dix minutes, puisque certains des aspects examinés nécessitent un temps d'explication plus long.
Nous allons commencer par M. McGuinty. Nous vous souhaitons à nouveau la bienvenue au Comité des finances.
M. David J. McGuinty (directeur général et premier dirigeant de la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie): Merci beaucoup, monsieur le président. C'est un plaisir d'être parmi vous et de revoir de nombreux visages familiers.
Je vais commencer notre exposé puis je céderai la parole à Jean Bélanger qui est membre de la table ronde et qui préside également le Comité des instruments économiques depuis quatre ou cinq ans. Je lui laisserai donc le soin de vous présenter les détails et de vous expliquer les buts que vise la table ronde.
J'aimerais rappeler très rapidement que la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie est constituée de 25 membres provenant du milieu des affaires, du milieu syndical, des Premières nations, des groupes environnementaux et d'autres groupes. Il s'agit essentiellement d'une organisation de la société civile s'intéressant aux questions soulevées dans le cadre de la réunion de la ZLEA à Québec. Nous cherchons à constituer des équipes nationales et à offrir une source indépendante de consultation proposant des recommandations objectives et équilibrées pour le changement.
Depuis plusieurs années maintenant, la table ronde se penche sur l'utilisation pratique des instruments économiques pour la protection de l'environnement. Chaque année depuis six ans, nous avons présenté au ministre des Finances et au gouvernement du Canada des propositions budgétaires à vocation écologique. Comme je l'ai déjà dit, nous mettons sur pied des équipes nationales réunissant des représentants des groupes environnementaux, des milieux syndicaux, du secteur privé et des associations commerciales afin de proposer un ensemble équilibré de recommandations qui ont peut-être plus de poids que les propositions provenant d'une seule et même base politique et économique.
• 1535
Nos efforts ont porté fruit puisque—après avoir travaillé
avec une équipe de 400 intervenants différents—le budget de l'an
dernier a retenu cinq des six recommandations que nous avions
présentées au ministre et que ces recommandations sont à l'origine
d'environ la moitié des dépenses consacrées l'an dernier à
l'environnement. Ce succès témoigne autant de l'efficacité de notre
organisation que de la crédibilité du groupe de personnes que nous
avons réunies pour élaborer les recommandations.
Maintenant, les membres de la table ronde veulent aller au-delà de ce que nous appelons le bricolage. Ils veulent s'en prendre au coeur même du régime financier en place dans notre pays. C'est pourquoi nous avons lancé une initiative qui est à la fois une analyse assez générale et un débat national sur la structure des régimes financiers et fiscaux existants.
Nous sommes également inspirés par les principales conclusions auxquelles nous sommes parvenus à l'occasion du forum des chefs que nous avions organisé en association avec le greffier du Conseil privé il y a environ deux ans, événement pour lequel nous avions réuni 26 sous-ministres et sous-ministres adjoints, ainsi que 40 dirigeants de toutes les régions du Canada, de tous les milieux, afin de délibérer sur l'approche que le Canada devrait retenir en matière de développement durable. Le forum a fait un certain nombre de constats, le plus important étant que le manque d'intégration entre les secteurs et les ministères du gouvernement était le principal obstacle à abattre pour donner un élan suffisant à la mise en oeuvre du développement durable au Canada.
Par ailleurs, nous avons de plus en plus conscience que le budget fédéral, comme tout budget national de tout État nation de la planète—et par extension le régime réglementaire et financier qui sous-tend le budget—est l'énoncé le plus clair des politiques et priorités de dépenses du gouvernement. C'est pourquoi, nous sommes convaincus que les budgets et les régimes sur lesquels ils s'appuient peuvent encore mieux intégrer les buts visés en matière d'économie, d'environnement durable et d'un mieux-être social. Il nous semble en effet que le budget devrait viser ce triple résultat dans un contexte national.
Je vais souligner deux ou trois points avant de céder la parole à Jean. Tout d'abord, nous ne sommes pas des disciples de l'économie verte ou de la réforme écofiscale. Nous croyons que les instruments économiques reposant sur les mécanismes du marché sont sérieusement envisagés dans plusieurs régions du monde comme des solutions de rechange au système traditionnel de réglementation directe. Nous notons, au Canada et dans d'autres pays du monde, une soif et une demande en faveur d'une analyse plus rigoureuse de ce que nous appelons la réforme écofiscale.
Le président Bush ayant annoncé au cours de deux interventions publiques que les États-Unis se retiraient du protocole de Kyoto afin de rechercher plutôt une réduction des gaz à effet de serre par l'intervention des mécanismes du marché, et à la suite de déclarations identiques de la part du président Fox du Mexique et de son ministre de l'Environnement, nous estimons qu'il existe un intérêt international ou tout au moins trilatéral pour ce type de réflexion.
Pourquoi parlons-nous de «réforme écofiscale» plutôt que de «taxe verte»? Il y a plusieurs raisons. Nous pensons que la taxe verte est un concept trop limité. Nous estimons également qu'elle fait peur aux gens. En Europe, la plupart des environnementalistes rejettent l'expression «taxe verte» parce qu'elle associe l'amélioration de l'environnement à l'augmentation des taxes. Par ailleurs, dans le contexte canadien hostile au déficit et à l'augmentation des impôts à tous les paliers de gouvernement, il est plutôt mal vu de parler de taxe verte ou tout simplement de taxe.
Nous nous intéressons désormais à toute la gamme des politiques et des instruments financiers qui vont des initiatives volontaires aux permis échangeables en passant par les dépenses gouvernementales ciblées—une meilleure harmonisation, par exemple, au palier fédéral-provincial plutôt que le recours au régime fiscal... Nous préconisons, je le répète, une meilleure harmonisation des différents moyens que l'État possède, y compris les initiatives volontaires, la réglementation stricte, les dépenses et tous les autres nouveaux mécanismes.
Cela étant dit, je vais céder la parole à Jean qui va vous parler plus en détail de notre travail.
M. Jean Bélanger (membre, Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie): Monsieur le président, membres du comité, merci.
Je vais tenter essentiellement d'expliquer le processus que nous avons mis en place pour analyser, examiner et explorer le concept de la réforme écofiscale.
Nous avons réuni une quarantaine de spécialistes du domaine provenant des universités, des groupes environnementaux, de l'industrie et de divers ministères fédéraux et provinciaux afin de leur demander d'examiner ensemble si le concept de la REF—réforme écofiscale—peut s'appliquer au Canada et de quelle manière.
• 1540
Il était très intéressant au départ qu'un certain nombre de
personnes acceptent de se pencher sur cette question tout en
refusant d'en faire une analyse conceptuelle. Nous allons donc nous
demander si le concept peut s'appliquer et, pour ce faire, nous
allons nous intéresser à trois domaines particuliers. Nous avons
décidé de retenir trois questions que le comité pourrait examiner
en faisant appel à des généralistes réunis autour d'une table—en
compagnie de spécialistes des trois différents domaines, afin de
déterminer comment il serait possible d'améliorer la situation et
quelles seraient les mesures concrètes pour y parvenir.
Les trois questions que nous avons choisies doivent demeurer exploratoires. Nous ne présageons pas à l'avance des recommandations que nous allons présenter, nous préférons étudier les façons d'appliquer le principe dans des cas réels.
Le premier des trois cas porte sur la REF dans les milieux agricoles. Le groupe de travail va réfléchir aux différentes façons de concevoir des incitatifs économiques destinés à aider les agriculteurs du Canada à conserver plutôt que cultiver les terres écosensibles telles que les terres humides et les zones riveraines. Pour étudier ce premier cas, nous avons réuni des représentants des localités agricoles, des milieux environnementaux, des universités, etc. pour tenter d'examiner la gamme d'instruments auxquels on peut faire appel.
Le deuxième concerne le domaine des substances toxiques que nous qualifions de deuxième catégorie. Comme vous le savez, la LCPE a défini un certain nombre de substances toxiques pour lesquelles il faudra concevoir des plans de gestion. La procédure normale aurait peut-être été tout simplement de réglementer tous ces produits chimiques. C'est un processus quasiment interminable.
Ce que nous voulons, c'est établir un dialogue sur les différents types d'instruments que nous pouvons mettre en oeuvre pour ne pas être entièrement tributaires des approches réglementaires, afin de déterminer quelles sont les autres mesures que nous pourrions adopter pour permettre une meilleure gestion de l'environnement et encourager une meilleure gestion du cycle de vie des produits?
Le troisième secteur que nous avons créé est le groupe de travail sur les transports plus écologiques. Dans ce secteur, nous envisageons d'élaborer un ensemble d'instruments économiques destinés à compléter les règlements que promulguera bientôt le gouvernement du Canada en conformité de son plan d'action sur l'assainissement de l'air annoncé en février 2001. Le groupe s'intéressera plus particulièrement à la façon d'utiliser les instruments économiques conçus pour faciliter l'adoption de carburants propres et de moteurs améliorés pour promouvoir la transition vers des véhicules à moteur diesel propres.
Parmi toutes ces considérations, nous nous posons un certain nombre de questions. La première série générale de questions porte sur les instruments qui pourraient nous aider à atteindre nos buts. La taxation est un de ces instruments; l'amortissement fiscal pourrait en être un autre, mais beaucoup d'autres instruments nous permettraient d'atteindre très directement les buts.
Le prochain aspect à examiner serait les répercussions des instruments que nous choisirons de mettre en application. Qui en ressentirait les effets? Quels seraient les impacts de l'application de ces instruments au niveau de la distribution? Quels seraient les impacts sectoriels? Quels seraient les impacts sur le plan de la concurrence? Quels seraient les impacts législatifs de toutes ces mesures? Voilà les questions auxquelles nous tentons de réfléchir.
La dernière question fondamentale nous amène à nous demander s'il serait possible, en cas de conséquences négatives pour certaines personnes, de transformer une situation gagnante-perdante en une situation bénéfique pour tous. Est-il possible de faire appel à d'autres instruments qui nous aideraient, avec toute la gamme des autres possibilités, à atteindre l'objectif global d'une situation satisfaisante pour tous?
• 1545
Il y a donc deux types d'aspects. Le premier consiste à tenter
d'analyser le concept. Est-il applicable dans un contexte canadien?
Nous savons qu'il est mis à l'essai dans d'autres pays, mais
donnera-t-il de bons résultats dans un contexte canadien? Il ne
s'agit pas strictement du niveau fédéral; nous prenons en
considération les divers paliers de gouvernement qui pourraient
intervenir.
La deuxième possibilité, c'est qu'en analysant ces trois secteurs ou études de cas, nous faisions le constat qu'une solution rallie tous les intervenants et met en oeuvre tous les instruments possibles pour aboutir à une situation satisfaisante pour tous. Dans un tel cas, nous irons de l'avant. Selon moi, ce serait un bonus.
Nous tentons de déterminer par déduction si le processus REF donnerait de bons résultats ou non. C'est à cela que nous travaillons en ce moment.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Bélanger et monsieur McGuinty.
Nous allons maintenant donner la parole à David Pollock et Stephanie Cairns du Pembina Institute. Soyez les bienvenus.
M. David Pollock (directeur général, Pembina Institute): Merci, monsieur le président.
Je suis accompagné, pour vous présenter notre exposé aujourd'hui, de ma collègue Stephanie Cairns, la directrice de notre programme de réforme écofiscale. Nous sommes tous deux très heureux de prendre part à ce débat. Depuis 1994, nous présentons des propositions sur l'économie verte dans le cadre du processus budgétaire fédéral.
Je suis convaincu, à la suite de la récente conférence internationale que nous avons conjointement organisée à Vancouver et qui a accueilli plus de 100 participants de plus d'une dizaine de pays, que les approches découlant de l'économie verte et de la réforme écofiscale sont très valables et qu'elles peuvent répondre à toute une gamme de buts de politique économique et sociale.
Permettez-moi tout d'abord de dire quelques mots sur le Pembina Institute. Vous pouvez voir par vous-même sur la diapositive les différents endroits où nous sommes implantés au Canada, de Drayton Valley, à Calgary, en passant par Ottawa, ainsi que les divers programmes que nous proposons.
J'ajouterai tout simplement que nous sommes un des chefs de file du Canada dans le domaine de la mesure des indicateurs de développement durable, mais vous le savez sans doute déjà si vous avez lu l'édition du Globe and Mail de lundi dernier. Une des trois facettes de notre programme d'économie verte consiste à comparer les études qui se font généralement au sujet du produit intérieur brut, études qui ne permettent pas vraiment de se faire une bonne idée de notre bien-être durable.
La deuxième facette est illustrée par les travaux que nous avons effectués en matière d'échange de droits d'émissions—possibilités, approches et modèles—dans le cadre de notre programme relatif au changement climatique qui a cours en Alberta et à Ottawa. Stephanie vous en parlera plus en détail dans un moment.
La troisième facette représente les travaux que nous exécutons en collaboration avec un certain nombre d'entreprises canadiennes de pointe sur la translation de l'impôt écologique.
Avant de laisser la parole à Stephanie qui examinera la question plus en détail, j'ai cinq messages à vous transmettre.
Puisqu'on nous a demandé de brosser un tableau général de l'économie verte, le premier message important est qu'il existe, ainsi que l'a révélé une évaluation internationale, une gamme de puissants instruments économiques qui sont et peuvent être utilisés dans divers pays et qui sont indispensables pour relever le défi écologique et même quelques-uns des défis auxquels est confronté de nos jours le Canada sur le plan de la concurrence.
Le deuxième important message est que ces instruments offrent des solutions qui créent des signaux sur le marché, incitant ainsi les entrepreneurs, les investisseurs et les consommateurs à opter eux-mêmes pour l'innovation et faire des choix de consommation fondés sur les signaux de prix. Cependant, nous devons faire en sorte que les signaux de prix tiennent compte de l'intégralité des coûts pour la société et appuient l'internalisation.
Le troisième message est qu'il est grand temps pour le Canada d'élargir l'utilisation qu'il fait de ces instruments. Étant donné que Santé Canada affirme que le smog est responsable, dans les villes canadiennes, d'au moins 5 000 morts par jour, et que la Fondation Suzuki chiffre ces décès à 20 000, nous devons conclure que ni les mesures volontaires, ni les règlements ne sont parvenus et ne parviendront à produire l'effet que l'on est en droit d'attendre de la part de dirigeants responsables.
Quatrièmement, toutes les mesures que l'on peut imaginer présentent des qualités et des défauts, mais une bonne conception peut permettre de franchir certains obstacles.
Stephanie se penchera sur les questions de la compétitivité, des ajustements de l'industrie et de la protection pour les groupes à faible revenu.
Enfin, les mesures les plus importantes sont aussi les plus difficiles à prendre. Elles exigent courage et leadership politique et c'est pourquoi, je suppose, beaucoup de Canadiens vous ont élus à la Chambre.
Voyons plus précisément pourquoi je dis que le moment est venu. Depuis 1991, les Pays-Bas, l'Espagne, le Royaume-Uni et les pays scandinaves ont adopté diverses mesures. Plus récemment, la France, l'Allemagne et l'Italie ont suivi leur exemple. Aux États-Unis, le Minnesota, le Vermont, le Wisconsin, l'Oregon et le Maine ont fait de même. Plus récemment, la Colombie-Britannique a mis en oeuvre les premières politiques de réforme écofiscale dans son budget provincial 2000.
• 1550
Dans la récente étude économique qu'elle a consacrée au Canada
en 2000, l'OCDE nous incite à emboîter le pas à ces pays.
Permettez-moi de vous citer deux passages du rapport de l'OCDE. Le
premier se lit comme suit:
-
Les accords volontaires ne se sont pas révélés à la hauteur des
problèmes que soulève l'utilisation des ressources et la protection
de l'environnement. Dès lors, il faudra recourir davantage aux
instruments économiques.
Ce passage se trouve à la page 6. À la page 7, on peut lire que
-
Même si le Canada a la possibilité d'acquérir des quotas
d'émissions de gaz à effet de serre sur un marché international, il
lui faudra probablement prendre des mesures pour accélérer la
réduction de la consommation intérieure de combustible fossile par
unité de PIB. Dans ce cas, plutôt que de recourir à une
réglementation de type autoritaire, il serait souhaitable de
s'appuyer essentiellement sur un instrument présentant un bon
rapport coût-efficacité, comme un dispositif de permis négociables,
et de ne pas en exclure certains secteurs (notamment les transports
et l'énergie). Un alourdissement de la fiscalité des carburants
pourrait être utile pour réduire les émissions liées aux
transports.
Troisièmement, il est grand temps, dans le sens que les entreprises sont prêtes à travailler dans ce domaine. La compagnie Suncor a donné l'exemple, parallèlement au Pembina Institute, en formant la CARE coalition qui réclame la création d'un crédit à la consommation d'énergie verte pour augmenter la demande en matière d'énergies renouvelables et de remplacement, tout en élargissant l'application des frais liés aux énergies renouvelables et aux économies d'énergie au Canada—ou FEREEC—ou le crédit d'impôt à l'investissement—ou CII, afin d'encourager le secteur privé et les services publics à augmenter leur dépenses d'approvisionnement en énergie verte.
La coalition CARE ne comprend pas seulement des groupes tels que la Fédération canadienne des municipalités et des organismes environnementaux, mais également Axor, BC Hydro, BP Canada Energy Company, Dofasco, Enbridge, Ontario Power Generation, Shell, Toronto Hydro, TransAlta et Westcoast Energy. On reconnaît de plus en plus qu'il existe divers instruments économiques permettant de remanier les signaux de prix dont nous avons besoin pour veiller aux exigences environnementales.
Enfin, on peut lire dans le rapport de l'OCDE qu'il est souvent très difficile de concevoir un instrument de politique qui à lui seul peut produire l'effet escompté. Il faut très souvent faire appel à une série de mesures interdépendantes. Cet après-midi, nous allons nous concentrer sur deux séries de mesures générales. La première concerne les échanges de droits d'émission et l'autre les mesures fiscales ou financières.
Sur ces paroles, je cède la place à Stephanie qui va vous donner plus de détails.
Mme Stephanie Cairns (analyste principale des politiques, Pembina Institute): Merci.
L'échange de droits d'émission est probablement le principal instrument économique utilisé en Amérique du Nord dans le cas des gaz à effet de serre. Il est utilisé aux États-Unis depuis le milieu des années 80 pour la réduction des émissions de dioxyde de soufre. Au Canada, nous l'avons utilisé pour le bromométhane, une substance destructrice d'ozone, et l'échange des droits d'émission de NOx et de SOx a commencé en Ontario.
L'échange des droits d'émission qui représente une des familles principales d'instruments économiques, convient aux polluants ayant des répercussions régionales ou globales, mais pas aux substances dont les répercussions sont locales telles que les produits toxiques persistants et bioaccumulateurs pour lesquels il faudrait adopter une réglementation plus spécifique.
Voici très simplement comment fonctionne un système de plafonnement et d'échange des droits d'émission. Le gouvernement impose un plafond général sur les émissions, habituellement dans le cadre d'un processus de réglementation. Les différentes sources d'émission situées dans le secteur concerné doivent obtenir chaque année un permis égal à leurs émissions annuelles. Les gouvernements attribuent les permis sur une base annuelle ou semestrielle et il est possible d'acheter ou de vendre les permis sur le marché libre. Ainsi, si votre entreprise peut réduire ses émissions à meilleur marché que la mienne, j'aurais tout intérêt à vous acheter votre réduction d'émission. Cette formule permet de réduire le coût économique global d'un objectif environnemental et, contrairement à une taxe sur les émissions, elle laisse le marché fixer le prix du carbone.
Le Canada s'est penché sur le système de plafonnement et d'échange des droits d'émission, mais n'a pris aucun engagement politique ni formulé des commentaires sur la façon dont il pourrait être utilisé. Cependant, la plupart des observateurs pensent que ce système fera partie de nos options politiques à long terme. En revanche, il reste à étudier et déterminer d'importantes questions, notamment quelles seraient les entreprises concernées, quels secteurs et quels types de sources d'émission; où l'échange des droits d'émission devrait-il s'appliquer—dans les industries qui utilisent les combustibles, par exemple, ou dans le secteur de production du combustible—et, question très importante, comment devrait se faire la répartition initiale des permis? Une des possibilités consisterait à vendre les permis aux enchères. C'est l'option préférée de ceux qui croient au principe pollueur-payeur. L'autre possibilité consisterait à accorder gratuitement les permis en fonction du volume historique d'émission, formule qui séduira ceux qui estiment que le droit de continuer à émettre des substances polluantes devrait être protégé pour les sources d'émission existantes. Enfin, il est probable que la formule retenue sera une combinaison de ces différentes options.
• 1555
L'autre famille principale d'instruments économiques est la
réforme écofiscale. La REF met en oeuvre des mesures budgétaires
telles que les taxes, des frais et des coûts, une réforme des
subventions causant des dommages à l'environnement, ou des
incitatifs fiscaux pour la recherche ou le développement ou pour
l'adoption de technologies plus propres. Ainsi que l'a mentionné
David, la table ronde définit la réforme écofiscale comme une
stratégie visant à réorienter les programmes de taxation et de
dépenses du gouvernement afin de définir un ensemble intégré
d'incitatifs encourageant une attitude favorable au développement
durable. Selon le Pembina Institute, l'intégration est la clé de ce
concept. Nous estimons qu'il est nécessaire d'équilibrer les
incitatifs—tels que les allégements fiscaux ou les subventions
encourageant l'utilisation de technologies propres—avec de
nouvelles mesures de dissuasion de la pollution telles que des
taxes ou des frais imposés pour la protection de l'environnement.
Autrement dit, nous avons besoin à la fois d'une carotte et d'un
bâton.
De manière générale, les mesures de réforme écofiscale ont été introduites à l'échelle internationale sur une base n'ayant aucune incidence sur les recettes, la définition de non-incidence sur les recettes pouvant s'appliquer soit à l'échelle de toute l'économie, soit à l'échelle d'un secteur, soit encore à l'échelon du consommateur. La conception des mesures de réforme écofiscale est cruciale, car elle permet de répondre à de nombreuses préoccupations concernant la compétitivité, l'équité ou la régressivité fiscales ainsi que les questions d'ajustement ou de transition. Le meilleur moyen d'offrir des signaux de marché intégrés, stabilisateurs et sans incidence sur les recettes est d'opter pour un ensemble de mesures variées.
Nous avons pensé vous présenter un certain nombre d'exemples pour illustrer comment la REF peut s'appliquer à divers niveaux et comment elle permet de répondre à certaines préoccupations importantes. Puisque notre temps est limité, je vais me contenter de vous donner trois exemples, mais il y en a beaucoup d'autres que je peux facilement évoquer au cours d'une discussion.
La plupart des mesures de réforme écofiscale qui sont mises en oeuvre en Europe actuellement s'appliquent à l'échelle globale. Il s'agit d'un déplacement général de l'assiette fiscale, par exemple de l'impôt sur le revenu ou des contributions de sécurité sociale et de la récupération de ces recettes perdues par l'imposition d'une taxe à la pollution. En Europe, le but explicite est de récompenser les entreprises écoefficientes et de réduire les obstacles à la création d'emplois. C'est l'approche dite du double avantage. Le Danemark nous offre l'exemple le plus avancé dans ce domaine. Il recueille 6 p. 100 de l'ensemble des recettes fiscales du pays sous la forme de taxes vertes et a réduit de 20 à 25 p. 100 de nombreuses autres taxes.
Je vais vous citer l'exemple de l'Allemagne qui recueille 2 p. 100 de l'ensemble de ses recettes fiscales à l'aide d'une taxe sur l'énergie introduite en 1999. Les recettes provenant de cette taxe ont permis de réduire les contributions de sécurité sociale. L'Allemagne a pallié au risque de régressivité et de répercussion sur les personnes à faible revenu en augmentant les allocations familiales, en rehaussant les seuils de non-imposition et en réduisant les taux d'impôt sur le revenu pour les contribuables à revenu modique. Quant au problème de la répercussion sur la compétitivité, le gouvernement l'a réglé en accordant des remboursements aux entreprises qui paient, en taxe sur l'énergie, des montants supérieurs à la réduction de leur contribution à la sécurité sociale. Autrement dit, aucune entreprise ne peut globalement payer plus en vertu du système qui a été instauré.
Le Royaume-Uni a adopté une approche identique avec sa taxe à l'enfouissement des déchets. Les frais facturés pour chaque tonne de déchets sont accompagnés d'une réduction des contributions de l'employeur à l'assurance nationale. Cette taxe s'est appliquée d'abord à un niveau très réduit afin de faciliter l'adaptation des entreprises. Le gouvernement britannique l'a augmentée graduellement sur une période de six ans et les entreprises ont été averties bien à l'avance du taux qu'atteindrait finalement la taxe, de sorte qu'elles ont pu s'ajuster en conséquence.
Il est également possible d'appliquer la REF à un secteur spécifique. En Colombie-Britannique, le règlement exigeant l'élimination de tous les fours wigwams d'ici la fin de l'année 2004 s'accompagne de mesures de translation de l'impôt écologique. Jusqu'en 2004, les frais de permis d'exploitation des fours wigwams ont augmenté considérablement selon un pourcentage variant en fonction de la proximité du four par rapport aux zones de population et par conséquent de ses répercussions sur la santé des habitants de la région. Les coûts continueront d'augmenter chaque année jusqu'en 2004.
• 1600
Cette formule propose une carotte, dans le sens que les
recettes provenant de l'augmentation des frais ont permis de
financer un rabais que les exploitants de four peuvent obtenir
s'ils font un investissement approuvé dans une technologie ou une
méthode de remplacement afin de réduire leur combustion de résidus
de bois, ou s'ils contribuent à un fonds de R-D afin de trouver des
solutions de rechange à la combustion de résidus de bois. Ce rabais
peut atteindre l'équivalent de l'augmentation des frais. Par
conséquent, une entreprise qui adopte une attitude responsable
devrait être en mesure de se trouver en position neutre.
Le dernier niveau de réforme écofiscale et celui qui nous est sans doute le plus familier, est celui qui s'applique au niveau du consommateur. L'exemple que nous connaissons tous est celui de la consigne des récipients de boisson, politique destinée à encourager leur recyclage.
Nous souhaitons proposer quelques suggestions quant aux prochaines mesures à prendre pour la mise en oeuvre d'une économie verte au Canada. Nous estimons qu'il est absolument essentiel d'organiser un débat sur l'échange national des droits d'émission et d'attribuer les permis initiaux d'émission à l'occasion de ce débat. Ce débat sera long, mais nous devons le faire maintenant pour être prêts à introduire des mesures nationales d'échange des droits d'émission au moment opportun afin de respecter nos obligations internationales.
Enfin, la décision la plus délicate que nous avons à prendre sur le plan politique consiste sans doute à décider si nous voulons que nos mesures écobudgétaires fassent uniquement appel aux incitatifs et aux subventions, ou si nous souhaitons également brandir le bâton et adopter une approche comportant de nouveaux frais et taxes, une approche conçue de manière à permettre aux particuliers ou aux entreprises qui prennent leurs responsabilités à coeur de se trouver dans une position neutre, mais en revanche de pénaliser ceux qui n'ont pas une attitude responsable en leur imposant de nouveaux frais et en les obligeant à absorber eux-mêmes le coût du préjudice qu'ils causent à l'environnement.
Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup, madame Cairns et monsieur Pollock.
Nous allons maintenant entendre le témoignage de Mme Julie Gelfand de la Fédération canadienne de la nature. Bienvenue.
[Français]
Mme Julie Gelfand (directrice exécutive, Fédération canadienne de la nature; présidente, Green Budget Coalition): Bonjour. Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités.
[Traduction]
Je vais m'exprimer en anglais la plupart du temps, mais je pourrai répondre plus tard aux questions en français.
Je m'appelle Julie Gelfand et je suis directrice exécutive de la Fédération canadienne de la nature.
[Français]
Je suis la directrice exécutive de la Fédération canadienne de la nature et aussi la présidente de la Green Budget Coalition. On n'a pas encore de nom en français.
La coalition représente tous les groupes environnementaux. On a, à notre table, des personnes de Greenpeace. On a aussi des gens de Canards Illimités Canada. On a tous les gens entre la gauche et la droite dans le spectre. Il y a un représentant de Canards Illimités qui est ici avec moi. Le Pembina Institute fait aussi partie de notre coalition.
[Traduction]
Je suis ici pour vous parler de l'application pratique et de la valeur concrète de certains principes de l'économie verte dans la réalité du système politique canadien. Nous avons élaboré différentes propositions, que vous avez en main, recherchant toutes sortes d'effets. Une d'entre elles consiste à dépenser plus d'argent, une autre à réduire les taxes pour encourager les gens à adopter la bonne attitude en matière de gains en capital, par exemple, sur les donations de terres. Nous pensons être en mesure de créer des emplois grâce à l'application de mesures de rendement énergétique. Et nous estimons qu'il faudrait supprimer certaines subventions. Tous ces moyens relèvent de ce que l'on appelle l'économie verte ou la réforme écofiscale.
L'autre façon d'examiner nos propositions est de considérer celles qui sont réalisables et celles qui ont déjà été mises en application. Le ministre Martin en a adopté quelques-unes. Certaines ont également été recommandées par la table ronde, le groupe de David McGuinty et Jean Bélanger. Par ailleurs, notre travail consiste essentiellement à donner des conseils sur les mesures à prendre. Le ministère des Finances peut nous demander d'expliquer certaines de nos propositions. Nous pensons que notre rôle est d'être à l'avant-garde afin d'inciter le ministère des Finances et le gouvernement du Canada à faire tout leur possible et à planifier le plus loin possible les mesures qu'il est indispensable de prendre pour protéger l'environnement et qui sont réalisables dans la gamme d'activités de l'économie verte.
• 1605
Je vais vous dire pourquoi nous faisons cela. La première
raison, c'est parce que le ministre Martin lui-même nous l'a
demandé. Il y a quelques années, il avait invité quelques-uns
d'entre nous à prendre une bière et il nous avait dit: «Pouvez-vous
me dire, Elizabeth May, quelles sont les mesures budgétaires qui
auraient un impact positif sur l'environnement?» Ainsi, nous
répondons avant tout à la demande du ministre des Finances. Nous le
faisons également parce que le budget est un instrument de
politique extrêmement important, le plus important que le
gouvernement présente chaque année.
Nous estimons qu'il est temps de se pencher sur les incitatifs économiques qui ont une incidence sur l'environnement. Je crois que par le passé, mon secteur a surtout été favorable à la réglementation directe. Nous avons mis l'accent sur la réglementation. Nous avons changé, mais cela ne signifie pas que nous allons renoncer à réclamer de votre part des mesures de réglementation. Quand j'entends les gouvernements affirmer qu'ils vont cesser d'imposer des règlements, je me demande qui va le faire. Personnellement, je ne peux pas promulguer des lois de protection de l'environnement. C'est une tâche qui incombe uniquement aux parlementaires et au gouvernement. Parallèlement, en tant qu'industrie ou secteur de la société, le secteur environnemental doit examiner différents mécanismes et pas seulement la réglementation. Notre secteur doit commencer à s'intéresser à l'économie verte et à la réforme écofiscale.
Enfin, nous considérons que notre action permettra peut-être au Canada de reprendre sa place sur la scène internationale dans le domaine de l'environnement. Depuis cinq ans, nous avons vraiment perdu beaucoup de terrain. Autrefois, le Canada était considéré comme un pays vert. Nous perdons du terrain dans beaucoup de secteurs. Nous sommes moins compétitifs. Les rapports de l'OCDE révèlent que le Canada n'obtient pas de bons résultats. L'environnement est un secteur où nous pourrions redorer notre réputation internationale.
Je vous ai dit qui nous sommes. Je vous ai dit que nos propositions abordent toute la gamme des différents instruments et je vous ai expliqué pourquoi nous faisons un tel travail. Je vais vous parler maintenant de ce que nous avons fait et de ce que nous avons appris.
Nos deux démarches les plus importantes ont été un sondage et la rencontre avec plusieurs d'entre vous, d'autres parlementaires et fonctionnaires du gouvernement. D'après les résultats de notre sondage, que je vous ai fait distribuer je crois, le public serait en faveur d'un budget vert. Nous savons depuis longtemps que le grand public est très favorable à des mesures de protection de l'environnement, même lorsqu'il réclame des compromis avec d'autres importants objectifs de politique fiscale. Le sondage que nous avons réalisé en octobre montre que, dans une marge de huit pour un et neuf pour un, la population canadienne est favorable à l'utilisation des excédents budgétaires pour des initiatives environnementales plutôt que pour des réductions d'impôt. Deux Canadiens sur trois sont en faveur d'une redevance pollution pour protéger l'environnement, même si une telle mesure entraînerait une augmentation des prix à la consommation.
Nous avons également demandé aux répondants quelle importance ils accordaient à l'environnement au moment de voter. Vingt-cinq pour cent nous ont dit accorder une grande importance aux questions relatives à l'environnement par rapport aux autres facteurs. Une autre tranche de 44 p. 100 estiment que l'environnement est un facteur d'importance moyenne. Seulement 9 p. 100 de la population a répondu que le comportement du gouvernement en matière d'environnement n'est pas un facteur à prendre en compte au moment des élections.
Au cours des deux dernières années, en plus du sondage, nous avons présenté deux exposés au ministre Martin. Il nous a accordé une attention totale et nous a conseillé de nous adresser à Vanclief, à Goodale, ainsi qu'à d'autres personnes. Il nous a dit clairement quelles étaient les propositions qui auraient une chance d'être appliquées et celles qui n'en avaient pas. Il a été très attentif, et c'est très important pour nous.
Nous avons rencontré plus de 60 députés et de nombreux membres de votre personnel. Nous avons également rencontré des hauts fonctionnaires dans une douzaine de ministères. Par conséquent, nous en avons beaucoup appris sur les obstacles auxquels se heurtent les nouvelles idées.
Nous avons retenu deux leçons importantes dont je veux vous faire part. La première concerne l'existence de ce que l'on appelle l'effet de silo. Chaque ministère examine nos propositions, retient celles qui lui conviennent et ne s'intéresse pas aux autres. L'économie verte exige une vue d'ensemble plus large que celle qu'ont retenue jusqu'à présent la plupart des fonctionnaires. Il est indispensable que les fonctionnaires et le système politique adoptent une perspective plus large.
Nous avons également découvert qu'il existe un parti pris en faveur des dépenses. C'est facile pour nous de vous dire combien dépenser. Nous excellons dans ce domaine. Mais ce parti pris en faveur des dépenses existe même au sein du gouvernement. C'est une solution de facilité. Nous avons découvert que l'élimination d'une subvention est une décision politique extrêmement difficile à prendre. Politiquement, il est très difficile d'annoncer à un secteur industriel subventionné depuis des années et des années qu'il cessera bientôt de recevoir des subventions. Cependant, c'est probablement une décision indispensable. Je vous mets donc au défi de la prendre.
• 1610
Nous reconnaissons qu'il est indispensable de disposer de
certains détails techniques. Je crois que les représentants de
l'Université d'Ottawa et des gens comme Stephanie peuvent vous
donner ces détails techniques. Ils sont indispensables. On nous les
réclame tout le temps.
Nous estimons également qu'une volonté politique est indispensable. Il ne suffit pas que le ministre Martin nous appelle pour nous demander conseil. Il est indispensable que nous soyons consultés par des gens comme vous. C'est pourquoi, nous sommes ravis que vous ayez mis sur pied une table ronde sur l'économie verte et la réforme écofiscale, parce que nous aurons besoin de votre volonté politique.
La dernière chose que je voudrais ajouter, c'est que nous devons passer à l'action. Beaucoup d'autres pays l'ont fait. Apprenons de leurs erreurs et voyons quelles sont les mesures réalisables. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Nous devons changer de perspective sur l'environnement et dans la façon dont nous produisons nos recettes. Mais il est temps de passer à l'action.
C'est là-dessus que je termine mon exposé. Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup, madame Gelfand.
Nous allons maintenant écouter M. Ross McKitrick. Bienvenue.
M. Ross McKitrick (témoignage à titre personnel): Merci.
Je vais tenter aujourd'hui d'expliquer quelques-unes des conclusions pratiques découlant de certaines études plus théoriques qui ont été consacrées au rôle des redevances pollution. Par rapport à l'imposition de normes, elles présentent quatre avantages dont j'ai l'intention de vous entretenir, en l'occurrence la rentabilité, les incitatifs dynamiques, les possibilités de recyclage des recettes et les avantages sur le plan de l'information.
Comme l'ont expliqué Stephanie et les représentants de Pembina, les redevances pollution ont un potentiel de rentabilité. Cela signifie qu'une fois que l'on s'est donné un objectif en matière de réduction des émissions, un mécanisme de fixation des prix peut permettre d'atteindre cet objectif au moindre coût possible pour la société. On peut aussi considérer que, compte tenu des fonds que l'on est prêt à investir, une taxe sur les émissions permet d'obtenir de meilleurs résultats environnementaux que l'application de normes.
Pour ce qui est des incitatifs dynamiques, les normes n'incitent généralement pas beaucoup les entreprises à innover en matière de nouvelles technologies de réduction des émissions et il arrive même que les normes, si elles sont appliquées sans tenir compte suffisamment de ces incitatifs, peuvent dans les faits retarder l'innovation et le développement de nouvelles technologies de réduction de la pollution. Dans le cas des redevances, il ne se produit rien de tel. Les taxes sur les émissions créent des incitatifs très forts et durables en faveur de l'innovation et des technologies de réduction de la pollution. Par conséquent, les taxes sur les émissions sont non seulement plus rentables à court terme, mais en plus elles réduisent le coût à long terme de réalisation des objectifs de la politique environnementale, étant donné qu'elles conduisent à une amélioration de la technologie existante.
Quant au recyclage des recettes, n'importe quelle loi de lutte contre la pollution a pour conséquence d'augmenter les coûts de production. Cela entraîne une réduction des salaires réels, ce qui représente un coût pour la société. Certains de ces coûts sont des coûts inertes, comme on les appelle, et ne sont pas récupérables. Par ailleurs, certains de ces coûts reviennent entre les mains des pollueurs. C'est ce que nous appelons les rentes de rareté. Les normes ne donnent pas accès à ces rentes de rareté, alors que les redevances pollution permettent de les récupérer. Il devient alors possible d'utiliser ces recettes, comme l'ont expliqué les représentants de Pembina, soit pour réduire d'autres taux de taxe dans l'économie, soit pour attribuer une sorte de bonus à la mise en oeuvre au secteur industriel concerné, afin de contrebalancer les coûts économiques et politiques de la mise en oeuvre de ces taxes.
Le dernier point est assez subtil. Les redevances pollution produisent des informations très utiles pour l'autorité chargée de la réglementation. Tout d'abord, au cours des négociations avec un secteur industriel au sujet d'une nouvelle série de normes, les représentants de l'industrie sont tenus de dévoiler certains renseignements concernant le coût des mesures de contrôle. Lorsque la politique proposée porte sur une sorte de norme d'émission, l'industrie est incitée à déclarer les coûts les plus élevés possible et même à les exagérer.
• 1615
C'est tout à fait différent lorsque la politique proposée
porte sur une taxe sur les émissions. Ce point est assez facile à
expliquer en théorie mais pas nécessairement facile à traduire en
pratique. Si les entreprises s'attendent à payer une taxe sur les
émissions, elles ne sont pas enclines à exagérer le coût de leurs
mesures de contrôle pendant le processus de négociation de la
politique. La raison est tout simplement que si une telle attitude
leur permettrait d'économiser de l'argent sur la technologie de
réduction des émissions, elle finirait par leur en coûter plus sur
le plan fiscal. Par conséquent, les entreprises ont tout intérêt à
fournir des renseignements très précis sur le coût de leurs mesures
de contrôle.
Le deuxième aspect c'est que, une fois que la politique est mise en place, l'application de la taxe incite le marché à produire des informations qui, si l'on sait comment les utiliser, peuvent servir à raffiner la politique et à la rendre plus efficace de manière itérative.
L'application de normes ne permet pas de produire ce type d'informations. Il est impossible d'interpréter la réaction du marché aux normes, parce qu'elles ne produisent pas le bon type d'informations. Si les économistes sont en faveur des politiques touchant les prix, telles que les taxes et les permis échangeables, c'est, notamment parce qu'elles provoquent la production des informations dont nous avons besoin pour raffiner la politique.
Je vais conclure par deux remarques d'ordre général. La plupart du temps, un économiste a bien conscience que rien n'est gratuit. Cette constatation est également valable pour les taxes sur les émissions. Toutes les politiques de réduction de la pollution sont coûteuses. Il n'y a rien de mal à l'admettre. Il suffit tout simplement de bien recenser les coûts. Cependant, les taxes sur les émissions présentent l'avantage de réduire ces coûts alors que d'autres politiques peuvent parfois contribuer à les gonfler.
La deuxième remarque, c'est que les taxes doivent être ciblées sur les émissions elles-mêmes si l'on souhaite appliquer une politique véritablement utile pour l'environnement. Certaines taxes qualifiées de taxes vertes ne se traduisent pas véritablement par des avantages environnementaux lorsqu'elles ne sont pas bien ciblées. Par exemple, le fonds spécial pour l'environnement des États-Unis est financé par des taxes sur les charges d'alimentation. Ces taxes n'entraînent pas une réduction significative des émissions. Par conséquent, ces taxes dites taxes environnementales n'ont pas un effet positif sur l'environnement. Il faudrait éviter ce type de terminologie si nous ne voulons pas que les taxes vertes soient tout simplement considérées comme un prétexte pour l'application de nouvelles taxes. Par contre, lorsque les taxes sont ciblées sur les émissions elles-mêmes, elles peuvent contribuer à l'application d'une politique environnementale efficace.
Merci.
Le président: Est-ce que cela termine votre exposé, monsieur McKitrick?
M. Ross McKitrick: Oui, j'ai terminé.
Le président: Merci.
Nous allons maintenant entendre l'exposé de M. Quentin Grafton, directeur de l'Institut de l'environnement de l'Université d'Ottawa. Bienvenue.
M. Quentin Grafton (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup. Je remercie le comité de m'avoir invité à venir témoigner aujourd'hui. C'est certainement un privilège d'avoir la possibilité de vous entretenir pendant sept minutes de l'économie verte.
Je vais commencer par vous dire que je suis directeur de l'Institut de l'environnement de l'Université d'Ottawa. La mission de l'institut consiste à intégrer la recherche dans le domaine de l'environnement, domaine où l'intégration est importante. Il doit également proposer un enseignement dans le domaine de l'environnement et, troisièmement; il a un rôle de diffuseur dans le grand public des résultats de la recherche que nous effectuons. C'est pour cela que je suis ici aujourd'hui.
Je vais consacrer les sept minutes dont je dispose, peut-être un peu moins maintenant, à l'efficacité, à l'économie et à l'efficience. Je ne vais pas m'arrêter aux détails qui ont déjà été soulevés par plusieurs des autres témoins.
Le premier aspect est donc celui de l'efficacité. Cela consiste essentiellement à prendre les mesures nécessaires pour atteindre les buts environnementaux et les buts sociaux déterminés à l'avance, afin de pouvoir les atteindre dans un certain laps de temps précis.
Le deuxième aspect est celui de l'économie. Comment pouvons-nous atteindre les buts fixés tout en respectant les facteurs prédéterminés, les ressources et les fonds que nous avons décidé de leur consacrer?
Le troisième aspect, qui est probablement dans un sens le plus important, est celui de l'efficience qui consiste essentiellement à obtenir les meilleurs résultats possibles à partir des moyens dont on dispose. L'efficience consiste à chercher à atteindre au moindre coût possible un objectif particulier, qu'il s'agisse de réduction de la pollution ou d'un autre objectif de qualité de l'environnement. C'est ce que nous appelons l'efficience.
• 1620
Le diagramme que je vous présente vise à réunir ces trois
piliers. L'efficacité mesure l'écart entre le résultat réel et le
résultat prévu. C'est le résultat obtenu par rapport au résultat
prévu.
La notion d'économie porte sur les ressources que nous avons prévu d'utiliser par comparaison à celles que nous finissons par utiliser. Et l'autre aspect, au milieu, qui combine les deux, représente la tentative d'atteindre ces résultats, ces normes, ces buts, ces objectifs, sous la forme d'un ratio des ressources que nous finissons par utiliser, en l'occurrence les ressources que nous avons mises en oeuvre.
J'ai l'intention de vous parler des quatre aspects. Je crois que la plupart des témoins ont abordé trois aspects, les mesures et les tactiques précises, et je suppose que c'est aussi de cette manière que le comité envisage les choses. Cependant, je pense qu'il est important pour toute la population canadienne et pour votre comité de prendre un peu de recul par rapport à cette notion et d'adopter une vision. Quelle est la vision du Canada en matière d'environnement, en matière d'économie verte?
Tout juste avant la réunion du comité j'ai eu une brève conversation avec David McGuinty au sujet du protocole de Rio. Cela fera bientôt dix ans. Quelle est la vision du Canada? Quels sont nos objectifs en matière d'économie verte, quels sont nos buts environnementaux? Nous en parlons beaucoup, mais je pense que ce serait une très bonne idée de préciser ces objectifs de manière quantifiable et mesurable.
Ensuite, il nous faut arrêter des stratégies pour atteindre ces objectifs et mettre au point des mesures et des tactiques spécifiques. Pour évaluer les résultats, nous devons nous demander si nous avons atteint nos objectifs. Quelles stratégies avons-nous utilisées? Ont-elles donné ou non de bons résultats? Voilà le genre de questions que nous devons nous poser. Nous devons prendre du recul lorsque nous réfléchissons aux types de politiques et de stratégies que nous voulons mettre en oeuvre.
Le diagramme que je vous présente illustre cette notion d'établissement des objectifs. Je ne parviens pas à définir clairement quels sont ces objectifs au Canada. Ils existent certainement aux niveaux fédéral, provincial et local. Ensuite, il faut préciser les critères de rendement et points de référence. C'est un aspect qui est souvent négligé. Nous parlons souvent de stratégies et de tactiques, mais nous oublions les informations dont nous avons besoin pour être en mesure de les mettre efficacement en oeuvre, en l'occurrence en nous posant les questions suivantes: sommes-nous parvenus à améliorer la qualité de l'environnement? Quel est l'impact sur notre environnement actuel au niveau de la population? Les informations dont nous disposons actuellement au Canada ne nous permettent pas de répondre à ces questions. Pourtant, elles sont extrêmement importantes et j'invite le comité à réfléchir à la façon dont nous pouvons obtenir ce genre de mesures et d'évaluations quantitatives sur une certaine période de temps.
Les personnes qui m'ont précédé ont déjà parlé de stratégies et de tactiques. L'étape suivante est l'évaluation. Elle est indispensable. Il est très facile de parler de stratégie, de taxe verte, quelle que soit la forme qu'elle peut prendre, de l'appliquer et ensuite de passer à autre chose. Nous devons nous pencher sur les résultats obtenus. Pourquoi ont-ils été positifs? Pourquoi n'ont-ils pas été positifs? C'est ce genre de chose assez évidente que nous devons faire mais que, étonnamment, on ne fait pas aussi souvent qu'on le devrait. Par conséquent, l'évaluation doit être suivie d'une réaction.
Je vais évoquer brièvement ces critères de rendement. Les critères de rendement nous permettent de définir nos points cibles et nos points de référence limites qui nous permettront de mesurer l'indice de la qualité de l'eau potable—et toutes sortes d'autres mesures, ainsi que l'indice de la qualité de l'air. Tout cela représente les normes ambiantes de ce que nous trouvons dans l'environnement. Les mesures relatives à la flore et à la faune de notre environnement, à la diversité des espèces, les mesures d'abondance, par exemple les concentrations de contaminants dans la faune et ensuite les résultats, les effets de la situation environnementale, tous ces éléments se rapportant à la population sont extrêmement importants pour les Canadiens. À partir de ces critères de rendement, nous devons définir ce qui nous paraît souhaitable et vers quoi nous voulons nous diriger, ainsi que nos points de référence limites. Autrement dit, nous devons définir la limite que nous ne voulons pas dépasser, par le haut ou par le bas, selon ce qu'elle représente.
Ensuite, le troisième point que je vais aborder est l'efficience. Il y a trois aspects que je vais tenter de souligner, même si nous ne dépassons pas ici le cadre général.
Le premier aspect est le respect des différences. Au Canada, il y a de nombreuses différences selon les régions dans la façon de procéder et je crois que vous reconnaîtrez avec moi qu'il est impossible d'appliquer la même approche dans toutes les régions et qu'une telle façon de faire n'est généralement pas rentable. Nous devons nous adapter. Nous devons concevoir des politiques innovatrices qui correspondent aux différentes situations. Par exemple, une politique correspondant à la situation de l'Ontario ne serait peut-être pas adaptée à celle de la Colombie-Britannique.
Nous devons respecter les individualités et cela nous ramène encore à la question des incitatifs. On a déjà tenté, au Canada et dans d'autres pays, de réglementer, d'empêcher les gens de faire telle ou telle chose. Il serait préférable de les inciter à poser les bons gestes.
• 1625
Enfin, il y a la question du respect des traditions de la
common law. Prenons par exemple les droits de propriété. Si je suis
dérangé par l'intervention d'un tiers, cela nuit à mes droits de
propriété. Il convient de respecter et de maintenir cette
tradition. Par le passé, le Canada a appliqué certaines politiques
qui ont nui à ce type de traditions.
Il faut parler ensuite de la question des incitatifs que les témoins précédents ont abordée mais que l'on ne saurait trop souligner. Cela nous amène sans aucun doute à aborder la question de l'adoption d'instruments reposant sur les mécanismes du marché.
Nous avons parlé des permis à polluer qui existent sous une forme limitée ici même au Canada. Je pense que nous devons en faire un plus grand usage. Les États-Unis y ont recours dans plusieurs cas et une récente étude du programme américain d'échange de droits d'émission de dioxyde de soufre a révélé qu'il s'agissait là d'un instrument de politique très utile qui s'est avéré supérieur aux méthodes traditionnelles de la réglementation directe.
Le Canada, cependant, a fait preuve d'innovation dans un certain nombre de secteurs sur la question des droits de propriété et des incitatifs. Nous avons mis en oeuvre ce que nous appelons les quotas individuels transférables qui proposent des incitatifs permettant de régler les effets externes ou problèmes que connaît le secteur de la pêche. Dans certains cas, les résultats ont été extrêmement positifs. Nous pouvons nous inspirer de ces succès au Canada et obtenir de meilleurs résultats.
Je terminerai avec l'identification des priorités en matière de réflexion à propos de l'économie verte. La première priorité me paraît être l'information. À ce sujet, j'aimerais vous référer à un ouvrage que l'on doit au gouvernement du Canada, intitulé L'activité humaine et l'environnement 2000, publié par Statistique Canada en collaboration avec Environnement Canada. Ce type de collecte de données sur la situation de notre environnement devrait se faire de manière régulière.
C'est un début et un bon début. Cependant, il faut aller plus loin et plus vite. Si nous ne définissons pas où nous nous situons, comment savoir où nous voulons aller? C'est une question fondamentale.
Le deuxième aspect concerne les incitatifs. Il en a déjà été question avant moi. Je crois que nous devons considérer les incitatifs comme un moyen de réduire les coûts liés à l'atteinte des objectifs environnementaux.
Le troisième aspect est l'innovation. C'est très facile de penser qu'il s'agit d'une vogue, que telle ou telle politique a donné de bons résultats en Suède ou ailleurs. C'est vrai, mais nous devons faire preuve d'innovation. Nous devons modifier nos politiques, les élaborer, les améliorer et les adapter en fonction de l'évolution de la situation. La solution que je propose est une gestion adaptative.
Voilà les trois priorités que je soumets à la réflexion du comité.
Je vous remercie de m'avoir donné la possibilité de témoigner aujourd'hui.
Le président: Merci beaucoup monsieur Grafton.
Nous allons maintenant donner la parole à M. Philippe Crabbé. Bienvenue.
M. Philippe Crabbé (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président.
Mon but ici aujourd'hui est de vous parler de quelques-uns des principes micro-économiques de base qui intéressent l'application d'une taxe verte.
L'objectif de la taxe verte est d'accroître la productivité marginale du capital naturel. On parle beaucoup dans les journaux et au Parlement de l'importance de la productivité du travail. La fiscalité verte met plutôt l'accent sur la productivité du capital naturel. Le capital naturel est l'environnement en tant que source et puits de la matière et de l'énergie dans le contexte du cycle de la vie.
La productivité marginale est une des deux lames des ciseaux que les économistes utilisent pour évaluer un facteur de production. L'autre lame est le prix du marché. Le prix du marché pour le capital naturel est trop bas. Il est trop bas parce que certains de ses éléments n'entrent pas du tout dans le calcul du prix, comme l'air pur, par exemple, ou ne sont pas évalués en fonction de leur plein coût pour l'environnement, comme le combustible, par exemple.
Ce bas prix du marché fait que la productivité marginale du capital naturel est trop faible, ce qui veut dire qu'il est surutilisé: on consomme trop d'eau, les véhicules utilitaires sportifs brûlent trop d'essence, l'air est trop pollué et de trop nombreuses espèces sont en voie de disparition.
Quelles sont les raisons qui expliquent le bas prix du capital naturel? Elles sont de deux ordres. Il peut s'agir d'échecs du marché ou d'échecs de la politique. Les économistes incluent dans les échecs du marché les externalités, les biens publics et les ressources à accès libre. Les externalités sont essentiellement des interactions entre agents économiques, comme les entreprises et les consommateurs, qui échappent au marché. Pensons, par exemple, à de nombreuses formes de pollution de l'air, de l'eau et des déchets solides qui sont le résultat indésirable de la production des biens désirés.
• 1630
Les biens publics sont essentiellement indivisibles et ne sont
donc pas d'usage personnel de sorte que personne n'est incité à en
protéger l'offre. C'est pourquoi le prix d'offre est trop bas par
rapport à leur niveau d'efficience. La beauté majestueuse du Grand
Canyon peut couper le souffle, mais personne n'est incité à lutter
contre le smog, qui est responsable d'une mauvaise visibilité,
parce que personne ne peut vraiment s'approprier les avantages
d'une meilleure visibilité.
La forêt amazonienne est par nature un bien public et c'est la raison pour laquelle le Brésil ne la protégera pas tout seul même s'il s'agit d'un important puits de carbone. Une autre caractéristique des biens publics veut que leur consommation ne suppose aucune rivalité, ce qui veut dire que ma consommation des avantages climatiques d'un puits de carbone, par exemple, ne diminuera pas la vôtre, ce qui n'est pas le cas de la consommation de biens privés.
Enfin, l'accès libre aux ressources environnementales n'est assujetti à aucune forme de droits de propriété. Pensons, par exemple, à la pêche en haute mer, à l'air pur et à l'eau potable. Cette situation peut être attribuée à l'indivisibilité des ressources, comme dans le cas des biens publics. La différence avec les biens publics, c'est que la consommation du poisson suppose une rivalité, tout comme le retrait de l'eau potable ou de l'air pur.
Chaque tonne de polluant que vous envoyez dans l'atmosphère diminue ma consommation d'air pur. Qui peut dire quel litre d'eau des Grands Lacs appartient à qui, aux Canadiens ou aux Américains, tant que ce litre n'a pas été puisé? Par contre, si les gouvernements canadien et américain en arrivaient à une entente au sujet de la possibilité d'utiliser une certaine partie des eaux des Grands Lacs à des fins commerciales, ils pourraient émettre des droits d'utilisation de l'eau. Ces droits pourraient prendre la forme de billets pour un kilomètre cube d'eau réputée être commerciale, billets qui pourraient être achetés et vendus. Des droits de propriété peuvent être artificiellement créés à l'égard de ressources environnementales indivisibles de cette manière.
Les échecs de la politique consistent essentiellement en des subventions pour l'utilisation du capital naturel, comme les subventions à l'énergie. Au Canada, le niveau des taxes sur les combustibles, par exemple, est inversement relié à l'intensité de leur effet sur la pollution.
Une taxe verte a pour avantage d'aiguiser les lames des ciseaux de l'évaluation. Il peut y avoir aiguisage au moyen de l'élimination des subventions ou d'une taxe verte. Dans des conditions idéales, les taxes écologiques permettent habituellement d'atteindre les objectifs environnementaux à un coût plus bas que les instruments réglementaires. C'est ce que les économistes appellent l'efficience statique. Elles stimulent aussi l'innovation technologique. C'est ce que les économistes appellent l'efficience dynamique.
Cependant, nous savons que les marchés des produits sont imparfaits. Ces imperfections entraînent des augmentations du coût de la réduction de la pollution. Il y a alors des différences de coût entre les divers instruments économiques, surtout lorsqu'un faible niveau de réduction est requis. Cela veut dire que les instruments réglementaires peuvent dans certains cas être plus rentables que les taxes écologiques.
Les taxes écologiques augmentent le prix relatif des produits polluants, d'où l'incitation à en utiliser et à en produire un moins grand nombre. Mais cela entraîne un paradoxe en ce sens que si les taxes écologiques atteignent leur objectif, elles font disparaître leur propre assiette fiscale. Il y a des limites à ce paradoxe qui sont attribuables aux possibilités limitées de remplacement de certains produits, comme l'énergie et le transport, qui sont assujettis aux taxes.
Les taxes écologiques sont essentiellement des impôts indirects qui s'inscrivent parfaitement dans la tendance actuelle à s'écarter de l'impôt sur le revenu. Certains craignent que ces taxes écologiques soient régressives. Nous disposons de peu de preuves empiriques en ce sens. Si elles sont régressives, il faut bien sûr, pour corriger la situation, avoir un système d'impôt sur le revenu et des taxes forfaitaires ou des subventions.
Le recyclage des revenus est important aussi dans le cas des taxes écologiques, parce qu'il doit assurer la neutralité du système fiscal. Les recettes environnementales devraient être ajoutées aux recettes générales, et elles nécessitent des réductions d'impôt soit sur la main-d'oeuvre soit sur le capital physique. Cela est bien entendu relié au concept du double dividende, ce qui veut dire que l'imposition du capital naturel plutôt que du travail contribue à l'amélioration de l'environnement ainsi que de l'emploi en l'absence de rigidités du marché du travail. Mais rien ne prouve vraiment qu'elle contribue à une augmentation de l'emploi, parce qu'en réalité les marchés du travail sont très rigides. Nous n'avons pas non plus vraiment la preuve qu'elle contribue à une diminution du fardeau fiscal de la main-d'oeuvre, parce que la main-d'oeuvre finance une partie importante des taxes écologiques.
• 1635
Examinons maintenant la sensibilité au prix des marchés des
produits—, c'est-à-dire des marchés des produits qui sont soumis
aux taxes écologiques. Si l'offre de produits est très sensible au
prix par rapport à la demande, ce sont les contribuables qui
assumeront le fardeau de la fiscalité verte. Celle-ci aura peu
d'incidence sur les profits de l'industrie et ne l'incitera pas à
utiliser des technologies environnementales. Par ailleurs, si la
demande de matières premières affiche une très faible sensibilité
au prix par rapport à l'offre, la taxe n'aura pas une très grande
incidence sur la demande, de sorte qu'elle comportera très peu
d'avantages sur le plan de l'environnement.
J'ai deux mots à dire au sujet de la compétitivité. L'impact de la fiscalité verte sur la compétitivité dépend beaucoup du recyclage des revenus. Elle peut en fait diminuer la compétitivité à court terme et l'augmenter à long terme si on se fie à l'argument de la courbe de kuznets que très peu de preuves empiriques viennent appuyer.
Nous avons très peu de preuves de l'incidence négative de la taxe verte sur la compétitivité, au niveau sectoriel et à celui de l'économie en général. Nous avons très peu de preuves qu'il y a des refuges pour pollueurs. Dans la mesure où il en existe, il n'est pas impossible qu'il puisse y avoir dans ces refuges pour pollueurs une augmentation des émissions et des niveaux de pollution par suite des politiques environnementales.
Je vais vous donner en conclusion quelques statistiques tirées d'un rapport récent de l'OCDE. Au Canada, les taxes sur le capital naturel représentent 7 p. 100 des recettes fiscales et 2 p. 100 du PIB et s'élèvent à environ 400 $US par habitant, un chiffre très bas pour les pays développés. Les Pays-Bas et les pays scandinaves exigent un montant de deux à quatre fois plus élevé par habitant. Dans certains pays scandinaves et aux Pays-Bas, les taxes liées à l'environnement représentent de 5 à 10 p. 100 des recettes fiscales et de 2,5 à 5 p. 100 du PIB.
Je vous remercie.
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer à la période de questions et réponses. Vous avez droit à cinq minutes chacun.
Monsieur Epp.
M. Ken Epp (Elk Island, AC): Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à nos témoins.
C'est un sujet fascinant qui m'a toujours intéressé. Vous ne le savez peut-être pas, mais pour me garder en forme, et pour protéger l'environnement, j'ai fait à peu près 4 600 milles sur ma bicyclette—qui est encore munie d'un vieux compteur de milles—et c'est pourquoi je suis dans une telle forme aérodynamique aujourd'hui.
Pour en revenir aux exposés, j'aurais à poser un certain nombre de questions. Tout d'abord, j'aimerais savoir s'il y a déjà eu une étude sur l'efficacité de ces taxes.
Je me souviens qu'il y a à peu près 25 ans ou plus longtemps encore, le gouvernement fédéral a imposé une taxe de 100 $ sur les climatiseurs. Elle existe toujours. Si vous allez chez un concessionnaire d'automobiles, vous pourrez voir sur l'étiquette de prix qui est affichée dans la vitre: taxe sur l'air climatisé, 100 $. J'ai lu des études où on disait qu'une automobile conduite les fenêtres ouvertes consommait plus d'énergie qu'une automobile munie d'un climatiseur, les fenêtres fermées. À mon avis, c'est une taxe qui va à l'encontre d'un objectif environnemental et elle existe pourtant toujours.
Dans vos études, examinez-vous ce genre de choses et faites-vous des recommandations au ministre des Finances? C'est un simple exemple que je vous donne.
Le président: Madame Gelfand.
Mme Julie Gelfand: Je pense que vous avez raison de dire qu'on consomme moins d'énergie en utilisant la climatisation et en gardant les fenêtres fermées au lieu de les ouvrir. J'ai dû lire la même étude que vous.
• 1640
Le concept des taxes est difficile et il y en a certaines qui
n'ont plus aucun sens. Il y a aussi un tas de subventions qui n'ont
plus aucun sens. Aux États-Unis, il y a une initiative appelée
«Ciseaux verts» qui réunit des gens qui veulent éliminer les
subventions et des environnementalistes et grâce à laquelle on est
arrivé à réduire de 24 milliards de dollars les subventions
gouvernementales au cours des quelques dernières années. Si vous
pensez à une coalition bleu-vert, ça c'est déjà fait.
Il existe encore des allégements fiscaux qui ont un effet pervers. Par exemple, les agriculteurs n'ont pas à payer la TPS sur les pesticides qu'ils utilisent. Donc, lorsqu'ils en achètent, ils ne payent aucune TPS, ce qui peut les inciter à en utiliser encore plus, ce qui n'est pas très bon pour l'environnement.
C'est compliqué. Il y a en a de toutes sortes. Nous devrions les examiner toutes et décider lesquelles garder et lesquelles éliminer. Les subventions de millions de dollars accordées à l'industrie pétrolière et gazière et à l'industrie nucléaire et les subventions de millions de dollars accordées pour l'exploration sont celles qu'il faudrait examiner, plutôt que les petites taxes, qui peuvent avoir ou non une incidence sur le comportement.
J'aimerais que quelqu'un m'aide. Stephanie.
Le président: Madame Cairns.
Mme Stephanie Cairns: L'exemple utilisé ne m'est pas familier, mais, de manière générale, nous devons examiner toute la question des taxes environnementales et de l'utilisation des instruments économiques de la même manière que nous examinons la réglementation.
Il y a de bons règlements et de mauvais règlements. Ce n'est pas parce qu'on en rencontre un mauvais qu'il faut se débarrasser de tous les règlements. Quand je dis qu'il faudrait faire un travail budgétaire plus poussé en ce qui concerne les questions environnementales, on me cite souvent en exemple tout ce qui a été mal fait.
Mais il y a une chose qu'il ne faut pas oublier: ils sont un outil très utile. Ils peuvent être bien conçus ou mal conçus. Nous devons tirer une leçon de ceux qui ont été mal conçus pour en concevoir des meilleurs, mais nous devons continuer à les utiliser, parce qu'ils sont une composante très importante de la boîte à outils dont nous disposons.
Des changements de taille s'imposent en matière d'environnement. Le mois dernier, l'OCDE a publié sa vision environnementale en réponse à une demande que les ministres de l'Environnement lui avaient adressée il y a trois ans. Ils ont demandé à l'OCDE d'élaborer une stratégie sur la politique environnementale pour la décennie à venir. L'OCDE a répondu qu'il fallait que les instruments économiques fassent partie des outils utilisés, parce que nous ne pourrons pas régler les problèmes environnementaux très difficiles auxquels nous nous heurtons sans les instruments économiques. Concentrons donc notre attention sur la façon de bien les utiliser.
M. Ken Epp: D'accord.
J'ai tellement de questions, monsieur le président, mais je reviendrai sûrement à ce sujet. Ce sera tout pour le moment. J'ai épuisé mon temps de parole et j'aimerais laisser la chance à d'autres.
Ces crédits de quotas d'émissions polluantes sont-ils échangeables? Est-il possible d'acheter un certificat autorisant à polluer et de le vendre à quelqu'un d'autre si on réussit à réduire la pollution?
Je crois savoir que c'est ce que feraient différents pays en vertu de l'accord de Kyoto. J'aimerais que vous me disiez, à titre d'experts, comment exactement nous allons arriver à réduire la pollution dans le monde en expédiant des millions, peut-être même des milliards, de dollars d'Amérique du Nord vers d'autres pays qui n'ont pas atteint le même niveau d'industrialisation que nous.
Tout ce qu'ils ont, ce sont de nombreuses forêts et jungles—des choses formidables pour notre environnement à l'échelle mondiale. Comment le fait de leur envoyer de l'argent—dont ils se serviront probablement pour acheter des voitures et augmenter la pollution—va-t-il régler le problème de la pollution internationale ou mondiale? Je ne comprends pas.
Le président: D'accord, allez-y.
M. Ross McKitrick: Dans l'exemple précis de l'échange de permis entre pays que vous venez de nous donner, le paiement serait conditionnel à la réduction des émissions dans le pays bénéficiaire. Il ne pourrait pas se servir de cet argent pour acheter des voitures ou d'autres biens qui contribueraient à l'augmentation des émissions, parce que cela annulerait le transfert, la transaction.
• 1645
Le principe général des permis négociables permet à
l'organisme de réglementation de préciser les émissions totales qui
seront permises sans essayer de savoir qui doit réduire les
émissions. Donc, en échangeant les permis, on ne modifie pas
l'objectif global, on ne fait que transférer les droits d'émission
entre parties.
Si j'achète un permis de polluer, je vais pouvoir augmenter mes émissions. Toutefois, pour avoir droit au paiement, la personne qui vend son permis doit réduire ses émissions d'autant afin que la norme ne soit globalement pas dépassée.
Si je peux me permettre un commentaire à propos de la taxe sur les climatiseurs, je dirais que cela nous ramène au point que j'ai fait valoir au sujet du ciblage. Il est difficile de voir quelle est la cible de cette taxe. Elle n'a certainement pas un impact sur l'environnement. Je ne la considère donc pas comme une taxe écologique, surtout si elle contribue à l'augmentation de la consommation d'essence, par exemple. Donc, lorsque nous parlons de taxes écologiques en économie, nous voulons parler de taxes sur les émissions elles-mêmes et non sur différentes choses connexes qui finalement n'ont rien à voir avec la décision relative à la quantité d'émissions qui devraient être permises.
M. Ken Epp: Cette taxe est plus vieille que vous et vous ne pouvez pas vous en rappeler, de toute évidence. Mais je me souviens distinctement qu'elle avait pour objet de décourager les gens d'acheter des climatiseurs pour que nous consommions moins d'essence. De là à savoir si le but était de conserver des ressources non renouvelables ou de réduire la pollution... Je ne m'en souviens plus au juste, mais c'était un peu des deux.
Monsieur le président, je vais céder la parole à quelqu'un d'autre, mais j'aimerais l'avoir de nouveau s'il reste du temps.
Le président: D'accord.
Monsieur Loubier.
[Français]
M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ): Merci, monsieur le président.
Chaque fois que l'on parle de taxe verte, d'émission de permis pour un certain niveau de pollution ou de réduction des externalités, la question de l'économie ouverte d'aujourd'hui se pose. Nous sortons à peine du Sommet des Amériques, où on a parlé de libéralisation des échanges multilatéraux avec 33 pays des trois Amériques. On sait que ces pays ont un degré d'avancement inégal au plan de la planification fiscale, de leurs différentes politiques fiscales, de leurs politiques environnementales, etc. Je me demande—et cette question se pose souvent—comment faire pour nous imposer cette discipline d'une économie verte et en même temps contrôler ce qui entre au pays, nos importations. Comment notre effort peut-il être récompensé si, en même temps, nous importons des produits fabriqués sans le contrôle d'une fiscalité verte? Cela est assez compliqué.
Je me demande s'il n'est pas nécessaire, pour avancer dans ce genre de dossier, d'avoir des traités multilatéraux, de la même façon qu'on parle de zone de libre-échange et qu'on parle en même temps d'arrangements fiscaux. Nous avons, par exemple, des conventions fiscales avec plusieurs pays à l'heure actuelle. Ces conventions fiscales touchent surtout la question de la double imposition, mais n'y aurait-il pas lieu, pour avancer vraiment dans ce genre de dossier, qu'il y ait des arrangements similaires aux conventions fiscales mais qui incluraient la question de la fiscalité verte?
[Traduction]
Le président: Monsieur McGuinty.
[Français]
M. David McGuinty: C'est une excellente question, monsieur Loubier. J'ai eu la chance, la semaine dernière, de passer deux heures avec le ministre de l'Environnement du Mexique et je lui ai demandé carrément quelle était sa première priorité en tant que ministre nommé pour six ans. Il m'a répondu qu'il avait convaincu son président qu'il fallait progresser le plus vite possible dans le domaine économique pour obtenir une meilleure performance environnementale. Évidemment, les grandes préoccupations du Mexique sont l'eau, son traitement et son prix. Je viens de m'adresser ce matin à un autre groupe, un comité trilatéral Canada-États-Unis-Mexique dans le domaine de la nature. Il y a de grandes attentes vis-à-vis de Washington. On veut d'abord voir si le pays peut réussir le plus vite possible à réduire les gaz à effet de serre en utilisant ces instruments.
• 1650
On veut ensuite voir si, éventuellement, il pourrait y
avoir fungibility—je ne connais pas le mot en
français—, c'est-à-dire possibilité d'établissement de
mesures communes aux États-Unis, au Canada et au
Mexique.
Donc, c'est vraiment le moment de poser votre question, surtout quand on voit tout ce qui s'est passé à Québec. Pour répondre honnêtement, le travail qui devrait être complété à ce moment-ci n'a pas été fait. C'est une chose que de commencer l'analyse sur le plan domestique, c'est-à-dire ici, au Canada, mais c'en est une autre que de voir comment on peut coopérer, au moins entre les trois pays, soit avec les deux pays situés au sud du nôtre.
Mme Julie Gelfand: Je voudrais dire qu'aux conférences auxquelles j'assiste, où on parle des différences entre les niveaux de taxation sur les divers produits, on dit qu'on impose souvent des frais de douane à la frontière sur les produits fabriqués par des moyens moins écologiques.
Je ne suis pas une experte dans le domaine des échanges commerciaux, mais j'ai entendu dire qu'en Europe, on imposait des frais de douane à la frontière.
M. Philippe Crabbé: Je répondrai à cela qu'en effet, le Canada pourrait établir un tarif écologique qui s'applique aux produits importés. Il devrait alors être en mesure de prouver à l'Organisation mondiale du commerce que ce tarif n'est pas discriminatoire. Donc, la première condition que le Canada devrait remplir serait de prouver qu'il produit lui-même ces produits ou des produits équivalents dans les conditions écologiques qu'il exige dans le cas des produits importés.
Une formulation légèrement objective de ces conditions écologiques serait l'utilisation du label écologique. Mais il faut que le label écologique soit perçu comme ayant été établi dans des conditions objectives et vérifiables par des tierces parties. Ça, c'est la difficulté.
[Traduction]
Le président: Monsieur Bélanger.
[Français]
M. Jean Bélanger: Je crois qu'un des problèmes qui existent, c'est que très souvent, on essaie de se fier à un instrument plutôt qu'à un ensemble d'instruments. C'est à cet aspect que nous nous intéressons dans l'étude que nous faisons.
Probablement y aura-t-il toujours des aspects négatifs si on prend un seul instrument. À partir de là, je pense qu'il faut étudier l'impact de cet instrument, en examiner les conséquences négatives et introduire d'autres instruments dans la partie. C'est pourquoi Julie a parlé d'un aspect horizontal.
C'est ce qui compte dans l'histoire. C'est de ne pas s'arrêter seulement à l'implication de mon ministère ou de mon entreprise dans le problème, mais de jeter un regard horizontal pour voir quels autres instruments pourraient être employés pour diminuer l'impact négatif.
C'est un des aspects importants auxquels il faut commencer à penser. Il n'existe pas d'instrument sans aucun effet négatif. Il faut regarder l'ensemble des éléments ou des aspects et les combiner de façon à être gagnants sur les deux tableaux.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup, monsieur Bélanger.
Merci beaucoup, monsieur Loubier.
Monsieur Shepherd.
M. Alex Shepherd (Durham, Lib.): Oui, merci beaucoup. Je trouve cela très fascinant.
J'ai trois questions. Je pourrais peut-être les poser toutes les trois et laisser les gens répondre à celles auxquelles ils pensent pouvoir répondre.
Monsieur Grafton, vous avez ici un graphique que je trouve intéressant, sous la rubrique critères de performance et points de référence. Je pense qu'en tant que législateurs, nous essayons toujours de trouver le filtre—comment quantifier un instrument économique par rapport à un autre? Je sais que quelqu'un a dit que nous ne pouvions pas avoir un seul pinceau, que nous ne pouvions pas tout faire d'un seul coup de pinceau.
• 1655
Cela dit, nous devons pouvoir, en tant que législateurs,
déterminer quels sont nos meilleurs outils. De toute évidence, les
législateurs doivent faire des choix. Ils doivent choisir, par
exemple, entre différents critères de politique. À mes yeux, ce
processus semble impossible ici en ce sens que nous ne pouvons pas
prendre toutes ces merveilleuses idées, les quantifier et dire ce
qui aura un impact sur la réduction des gaz à effet de serre, des
émissions de dioxyde de carbone, etc., en fonction de tel type de
coût, de tel type d'imposition ou de tel type de système
d'incitation. Donc, je dirais que les législateurs ont besoin,
selon moi, d'un indicateur coûts-avantages ou d'un type quelconque
de système de filtration des rapports.
Ma deuxième question se rapporte au problème de l'air climatisé. Avec chacune de ces analyses, nous devrions vraisemblablement avoir une liste quelconque des conséquences non intentionnelles. C'est bien beau de parler des conséquences intentionnelles, mais quelles sont les possibilités de conséquences non intentionnelles, et comment les analyser?
Enfin, comme vous le savez, nous sommes une fédération. Je n'ai entendu personne examiner la question sous cet angle. Il me semble que certaines de ces propositions relèvent plus précisément des provinces qui immatriculent les véhicules, ainsi de suite, et qui imposent des taxes de vente sur certains produits, alors qu'il y a d'autres secteurs qui relèvent plus précisément du gouvernement fédéral, comme l'impôt sur le revenu des sociétés ou l'impôt sur le revenu des particuliers. En fait, il y a peut-être des secteurs dans lesquels les deux paliers de gouvernement devront collaborer pour que ça fonctionne, mais vous aideriez les législateurs en faisant vous aussi le même cheminement.
Le président: Qui va commencer?
M. Quentin Grafton: Je vais commencer. Je vais essayer de répondre à vos trois questions, mais je suis certain que les autres vont m'aider.
Votre première question avait trait aux critères de performance et aux points de référence. Ils sont reliés aux objectifs de sorte que le gouvernement du Canada, les gouvernements provinciaux et les administrations locales doivent déterminer quels sont leurs objectifs.
C'est bien beau de dire que nous voulons un environnement sain, mais qu'est-ce que ça veut dire au juste? Est-ce que ça veut dire que nous allons réduire les E. coli dans notre eau? Allons-nous faire ceci ou cela? Allons-nous réduire l'ozone de la troposphère? De combien? Quel est l'objectif? Quelle est la pire chose qui puisse arriver? Quelle est la meilleure chose qui puisse arriver? Que voulons-nous au juste? Ce sont tous des objectifs qui sont étroitement liés de sorte qu'ils doivent être clairs, ils doivent être définis et nous devons avoir des critères de performance ou des indicateurs pour essayer de voir si nous les atteignons ou non. C'est ce dont il s'agit.
La question que vous vous posez, je pense, consiste à savoir comment nous y prendre. Il y a de nombreux facteurs dont il faut tenir compte, mais quelle est la meilleure façon de s'y prendre? C'est là, selon moi, qu'interviennent les stratégies et les tactiques. Bien que nous aimions tous penser que nous sommes des experts ici dans nos exposés, de toute évidence, nous n'avons pas toutes les réponses. Personne ne les a. Je crois qu'il faut au départ faire une analyse soigneuse, mais qu'il faut aussi ensuite assurer un suivi.
L'exemple de l'air conditionné est un très bon exemple de la façon dont les gens n'assurent aucun suivi. Une taxe quelconque a été mise en place il y a je ne sais trop combien d'années. Pour une raison ou une autre, elle n'atteint apparemment pas le but qu'elle était censée atteindre. Cela veut dire qu'il n'y a pas eu de suivi, qu'il n'y a pas eu de réaction, que quelqu'un s'est endormi au volant.
Ce que je veux dire, c'est que lorsque nous parlons d'économie verte, nous devrions essayer de voir quels sont les objectifs que nous voulons atteindre, établir des critères de performance et des indicateurs quantifiables et mesurables et élaborer des stratégies. Si elles ne sont pas couronnées de succès, si elles ne fonctionnent pas bien, faisons quelque chose de différent. Adaptons-les, allons de l'avant, soyons pratique. Je pense que c'est la façon de s'y prendre.
Lorsque vous parlez d'apporter des changements importants, de procéder à une réforme fiscale, vous devez d'abord penser analyse. Avant que le libre-échange ne devienne chose faite entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, les universitaires et le gouvernement lui-même ont procédé à de nombreuses analyses. Si des réformes importantes doivent s'opérer, alors il faut faire ce genre d'analyse. Il faut examiner les différentes options, les coûts et les avantages. C'est tout à fait nécessaire. Puis, il faut assurer un suivi. Il ne faut rien tenir pour acquis, comme si ces analyses étaient coulées dans le béton. Vous devez vous demander au fur et à mesure si vous aviez raison ou tort, ce que vous avez accompli et ce que vous n'avez pas réussi à faire. C'est ce que je propose. C'est une approche plus pragmatique des choses.
Vous avez aussi parlé des conséquences non intentionnelles. Cela nous ramène à ce que je disais à propos de l'évaluation et des réponses. On ne peut pas tout simplement imposer des taxes ou appliquer des règles ou des règlements en espérant simplement atteindre les objectifs qu'on s'était fixés. Cela n'a aucun sens. Personne ne vit sa vie ainsi. Vous établissez des objectifs, puis vous les évaluez régulièrement. C'est la seule façon d'éviter les conséquences non intentionnelles. Il se peut qu'il y ait des conséquences non intentionnelles même si l'analyse était bonne au départ. Néanmoins, vous faites un suivi, et vous voyez ce qu'elles coûtent et quel changement vous pourriez apporter. C'est ce que j'appellerais une question de gestion adaptative.
• 1700
La troisième question que vous avez posée au sujet des
provinces, des compétences locales et des compétences fédérales est
bien sûr extrêmement importante. Les provinces jouissent d'énormes
pouvoirs en matière d'environnement. Ce que j'essayais de faire
ressortir en partie, même si je n'ai pas été explicite, c'est ce
respect des différences, cette notion qu'il y a des façons
différentes d'atteindre différents objectifs dans différentes
provinces.
Je pense que le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer. Le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer à l'égard des accords internationaux que le Canada a signés—je pense, entre autres, à la Convention-cadre sur le changement climatique. Le gouvernement fédéral a un objectif important pour ce qui est d'essayer d'établir des normes, d'assurer la coordination, de faciliter la coordination à l'échelle des provinces et des domaines de compétence. C'est ce que le gouvernement fédéral devrait faire.
Le troisième aspect, dont j'ai parlé dans mon exposé, est celui de l'information. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles l'information que nous voulons avoir sur l'environnement n'est pas disponible et nous pourrons peut-être en discuter à une date ultérieure. Là où je veux en venir, c'est que le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer pour ce qui est de fournir cette information et de nous aider à comprendre où nous en sommes et où nous voulons aller. Je dirais donc qu'il a un rôle important à jouer à cet égard. Je pense cependant que les provinces ont elles aussi un rôle très important à jouer.
Merci.
Le président: Merci.
Nous allons devoir passer au prochain intervenant et voir si vous pourrez incorporer en même temps les réponses aux premières questions.
Monsieur McCallum.
M. John McCallum (Markham, Lib.): D'accord, merci, monsieur le président.
Je pensais procéder de la même façon: vous poser trois questions et vous laisser y répondre à votre guise. La première est en un sens la moins importante et c'est probablement seulement parce que je suis un économiste que je vous la pose. Je ne sais pas au juste ce qu'on veut dire par «économie verte». Dois-je comprendre qu'il faille être écolo, ou s'agit-il d'un type spécial d'économie? J'imagine que c'est simplement un terme recherché pour «économie néoclassique appliquée aux questions liées à l'environnement». Mais, si je me trompe, quelqu'un me le dira peut-être.
Ma deuxième question est la suivante: j'aimerais savoir quelles répercussions aura selon vous le refus des États-Unis de signer la convention de Kyoto. J'ai l'impression que cela fausse passablement nos choix. Par exemple, je sais par expérience que la seule mention d'une taxe sur les combustibles fossiles a le don d'enrager bien des Albertains. Mais ce serait encore pire si les Américains n'y souscrivaient pas. Est-ce que cela change notre façon de voir? Devrions-nous renoncer à la lutte contre la pollution dans des industries comme celles du charbon, du pétrole, du gaz et de l'exploitation forestière, pour concentrer nos efforts ailleurs?
Cela m'amène à ma troisième question. La discussion... J'ai déjà travaillé dans un milieu universitaire et j'ai parfois l'impression que vous tenez un discours universitaire qui s'éloigne de ce que les gouvernements pourraient faire en réalité. J'imagine donc que ma troisième question serait la suivante: si vous aviez à choisir trois choses importantes que le gouvernement fédéral pourrait faire selon vous, au lieu de cette longue liste de voeux—une, deux ou tout au plus trois choses—que diriez-vous?
Et j'aimerais aussi que vous me donniez votre avis sur deux points. Que pensez-vous des transports en commun? Cela me semble être une solution neutre, si je peux m'exprimer ainsi par rapport à Kyoto. Sont-ils rentables? Est-ce une bonne solution? Enfin, que dire des puits de carbone? J'ai entendu dire que le Canada jouissait d'un avantage concurrentiel à cet égard, et nous créons des emplois pour les exploitants agricoles marginaux en plantant des arbres. Je me demandais si vous aviez des commentaires à faire.
Le président: Madame Gelfand.
Mme Julie Gelfand: Je pense que personne d'entre nous ne peut répondre à toutes ces questions à la fois, mais je vais essayer de vous donner une ou deux réponses.
Je ne peux pas définir «économie verte». Je ne suis pas une économiste; quelqu'un d'autre devra donc répondre à cette question.
Si vous me demandiez de vous indiquer deux ou trois grandes mesures que nous pourrions prendre demain, je vous dirais que vous pourriez imposer une redevance pour pollution assez rapidement sur certains polluants, et Stephanie pourrait nous en dire un peu plus sur ceux-ci. Je pense que vous pourriez éliminer certaines subventions sur-le-champ—en commençant par le pétrole et le gaz, ce qui vous permettrait peut-être de tenir les engagements que vous avez pris à Kyoto. Vous pourriez peut-être aussi adopter certaines normes économes d'énergie. Ce sont là trois choses que vous pourriez faire dès demain pour l'écologisation du budget et la promotion d'une économie verte.
• 1705
Il y a une chose que je voulais dire à propos d'une autre
question. Pensez aux conséquences non intentionnelles de ce que
nous faisons actuellement—les conséquences non intentionnelles
actuelles de faibles redevances d'exploitation par volume.
Qu'est-ce que ça veut dire? Cela veut dire que plus d'arbres sont
abattus parce que ça ne coûte pas cher. Ça ne coûte presque rien de
les abattre.
Les conséquences non intentionnelles des subventions pétrolières et gazières font que nous construisons de plus en plus... Il y a du carbone... Nous utilisons de plus en plus de carbone parce que nous aidons certaines industries, mais nous ne créons pas d'emplois dans le secteur des énergies renouvelables parce que nous ne leur accordons aucune subvention.
Ce sont donc là des conséquences non intentionnelles de ce que nous faisons actuellement et non seulement de ce que nous essayons de proposer. C'est tout ce que j'avais à dire.
Le président: Merci.
Mme Julie Gelfand: C'est une question qui me tient à coeur, je suis désolée.
Le président: Je vais céder la parole à M. McGuinty, puis ce sera au tour de M. Pollock.
M. David McGuinty: J'aurais quelque chose à dire en réponse à la première question, au sujet du rôle des provinces.
Nous sommes tous au courant du travail en cours en Colombie-Britannique. Nous sommes au courant du travail qui a été fait en Ontario, par exemple, qui vient tout juste d'annoncer qu'elle se proposait d'apporter des modifications importantes à sa LPE pour régler le problème des vieux emplacements dans la région métropolitaine de Toronto qui coûtent à la ville au moins 100 millions de dollars par année en taxes municipales.
Mais j'aimerais revenir à la question de Kyoto pour un moment. Il ne faudrait surtout pas perdre la balle de vue. Si vous regardez le comportement que les États-Unis ont adopté comme nation lors des négociations multilatérales au cours des dix dernières années... Ils disent que le multilatéralisme fait partie de notre matériel génétique. Je ne pense pas qu'on puisse dire qu'il fait partie du matériel génétique lorsqu'on regarde la conduite de Washington.
Nous avons signé quelque 90 ententes environnementales multilatérales au Canada et, comme le dernier commissaire à l'environnement nous l'a dit, l'écart de mise en oeuvre, c'est-à-dire l'écart entre les promesses faites et la performance, est énorme, et les Américains, à en juger par les éliminatoires de hockey au Canada, jouent un très bon jeu multilatéral, mais ils ont tendance aussi à garder précieusement la rondelle, si vous vous souvenez de Danny Gallivan... Ils jouent avec la rondelle pendant qu'une soixantaine d'experts au département d'État mettent la dernière main à la négociation de droits de pollution pour les États-Unis qui prendront sûrement par surprise le reste de l'Amérique du Nord qui ne se doute de rien et la planète tout entière.
Donc, je pense que nous ne devrions pas perdre de vue les efforts que nous devons faire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et la consommation globale de combustibles fossiles. L'exploitation, la transformation et la combustion des combustibles fossiles sont responsables de 86 p. 100 des gaz à effet de serre.
La question est de savoir qui va gagner la course. S'il y a bel et bien une course pour arriver aux combustibles de transition—une des raisons, selon certains, pour lesquelles le prix du gaz naturel est si élevé pour le moment—et que nous nous dirigions vers une économie de l'hydrogène, combien de temps cela nous prendra-t-il et qui va gagner la course?
Je pense qu'il faut replacer le tout dans le contexte des propos du président Bush qui a dit qu'il ne s'agit pas de supprimer les mythes ou de rejeter la science du changement climatique. Nous convenons, a dit le président, que l'Amérique se dirige vers une économie de contraintes en matière de carbone. La question est de savoir comment nous allons réduire les gaz à effet de serre et devenir plus concurrentiels ce faisant.
Attendez-vous donc dans trois ou quatre mois à une annonce de Washington qui parlera de nouvelles technologies, de nouveaux instruments économiques et de nouvelles mesures incitatives et de dissuasion qui contribueront à rendre l'Amérique plus concurrentielle.
Il ne faut pas perdre de vue la balle du changement climatique. Peut-être que Kyoto n'est qu'un match parmi tant d'autres et que ce ne sera pas le match décisif.
Le président: Monsieur Pollock.
M. David Pollock: C'est justement ce que j'allais dire. Bravo, David.
Je me contenterai donc de répondre à la question que vous avez soulevée à propos des puits de carbone. Je ne pense pas que le Canada devrait trop s'enthousiasmer pour les puits de carbone et l'avantage qu'ils peuvent nous procurer. Il faut bien examiner l'aspect scientifique et un tas de questions politiques et autres. Les agriculteurs peuvent signer des ententes. Les agriculteurs vieillissent. Les agriculteurs meurent. Les agriculteurs vendent leurs terres. Les terres peuvent être affectées à d'autres usages. Je pense que nous devons nous interroger un peu plus sérieusement sur le plan politique sur la mesure dans laquelle nous voulons dépendre des terres agricoles pour les puits de carbone. L'idée ne me plaît pas vraiment. Il faudrait vraiment savoir en quoi consistent les compensations.
Lorsque nous prenons, par exemple, l'énergie éolienne, nous savons à quoi nous en tenir. Nous savons quels sont au juste les délais de récupération et quels investissements sont nécessaires. Nous savons quelles sont les conséquences pour l'environnement. Je serais donc beaucoup plus porté à essayer de mettre en valeur de nouvelles technologies grâce à des subventions qu'à trop m'enthousiasmer pour les avantages que les puits de carbone peuvent représenter pour le Canada.
Le président: Madame Cairns, suivie de M. Crabbé.
Mme Stephanie Cairns: J'aimerais répondre à vos questions sous un angle légèrement différent.
• 1710
Je passe la moitié de mon temps à conseiller les entreprises
sur les stratégies qu'elles devraient utiliser en ce qui concerne
les questions de changement climatique et la réduction des gaz à
effet de serre. Elles aimeraient avoir une plus grande certitude
sur le plan de la politique et elles sont très frustrées, parce
qu'elles se demandent si le gouvernement fédéral se préoccupe
vraiment ou non des questions de changement climatique. Toutes ces
tables de concertation ont été lancées il y a plusieurs années et
450 personnes ont consacré deux années de leur vie à des réunions
sans fin pour essayer de trouver des solutions aux questions de
changement climatique. On a l'impression en général de ne pas avoir
récolté le fruit des efforts consacrés à ce processus.
La pire chose qui puisse arriver pour le moment aux entreprises qui ont essayé d'être des chefs de file en ce qui concerne le changement climatique—et ce sont des entreprises avec lesquelles je travaille, qui essaient de voir comment se diversifier pour ne plus avoir à dépendre du pétrole et du gaz... Comment se diversifier pour devenir une entreprise énergétique durable offrant une énergie renouvelable et travaillant à l'efficacité énergétique? Elles ont besoin de certitude sur le plan politique.
Elles doivent surmonter un grand nombre d'obstacles actuellement parce que tous les incitatifs vont à l'économie traditionnelle, aux traditionnelles industries pétrolières et gazières. Au moment où elles essaient de démontrer l'utilité de se diversifier pour être vraiment durable, il leur est très difficile d'expliquer à leurs actionnaires qu'en dépit des marchés en plein essor que nous connaissons... C'est sur ce marché qu'il y a actuellement une croissance et, pourtant, les structures fiscales que nous avons ici font qu'il est très difficile pour elles de se diversifier.
La pire chose que nous puissions faire à ces entreprises serait de commencer à user de faux-fuyants et à laisser planer l'incertitude quant à savoir si le Canada va tenir ou non ses engagements en matière de changement climatique. Au contraire, nous devons commencer à investir dès maintenant dans l'élaboration d'une politique à long terme. L'élaboration d'un système national d'échange de droits d'émission va nous obliger à consacrer cinq années de plus à des recherches stratégiques approfondies, à des débats publics, à des analyses publiques et à la sensibilisation du public. Nous devons continuer à nous battre parce que, dans cinq ans, nous aurons besoin de ces réponses. Nous en aurons besoin à ce moment-là.
Même les pays qui décident d'opter pour les échanges de droits d'émission plutôt que pour les puits de carbone—comme les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande—savent déjà beaucoup mieux comment ils concevront ce système que le Canada. Donc, nous n'avons plus de temps à perdre.
Le président: Merci, madame Cairns.
Allez-y, monsieur Crabbé.
M. Philippe Crabbé: Pour répondre aux questions soulevées par M. McCallum, je dirais tout d'abord qu'il n'y a pas d'économie verte dans la mesure où la plupart des problèmes d'écofiscalité peuvent être réglés à l'aide de l'économie néoclassique. Mais dans la mesure où on veut mettre l'accent sur la productivité du capital naturel plutôt que sur la productivité de la main-d'oeuvre, le capital naturel étant un concept que de nombreux néoclassicistes ne sont pas prêts à accepter, alors il y a une économie verte.
Pour ce qui est du deuxième point, au sujet de l'entente de Kyoto, je suis tout à fait d'accord avec Stephanie. Ce qui est très important, c'est la capacité institutionnelle de faire face aux problèmes du changement climatique à long terme. Autrement dit, j'imagine que le Parlement doit décider qui succédera au secrétariat du changement climatique. En d'autres mots, il devrait y avoir en place une institution qui continuera à se pencher sur les questions de changement climatique, peu importe ce qui arrivera au protocole de Kyoto.
Pour ce qui est de la troisième question, à propos des transports en commun, il est de toute évidence très important que nous ayons une bonne politique de transport public. Nous pourrions ainsi régler un grand nombre de problèmes d'émissions.
Pour ce qui est des puits de carbone, alors que M. Pollock a mentionné certaines questions liées à l'information scientifique, je vous rappellerais que le Canada, en signant la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique, a souscrit à la répartition du fardeau en fonction de la capacité de payer. Donc, je pense que la grande question qui se pose dans le cadre de ces négociations internationales, c'est si le Canada et d'autres pays essaient de se soustraire à cette répartition du fardeau en mettant l'accent sur les puits de carbone.
Le président: Merci.
Merci beaucoup, monsieur McCallum.
Nous devrions peut-être céder la parole à M. McKitrick. Allez-y, monsieur.
M. Ross McKitrick: Pour ce qui est de la première question, je m'occupe d'économie néoclassique appliquée aux questions environnementales. Je ne sais pas quels sont les adjectifs qu'on pourrait utiliser, mais je suppose que vert pourrait aller. Contrairement peut-être à à peu près tout le monde ici, je pense que les États-Unis ont pris la bonne décision et que nous devrions essayer de suivre leur exemple.
Je ne vois pas la logique qui se cache derrière le protocole de Kyoto. Il ne changera rien à la trajectoire du changement climatique. Il ne changera rien au rythme auquel le dioxyde de carbone s'accumule dans l'atmosphère. Il n'entraînera selon moi que des coûts et ne comportera aucun avantage.
• 1715
La seule chose que je me demande, c'est pourquoi les Européens
ont réagi comme ils l'ont fait. Le Canada devra réfléchir
rapidement, parce que les Européens étaient tellement galvanisés
qu'ils essaient de mettre sur pied une coalition pour ratifier la
convention sans les États-Unis. Nous avons apposé notre signature
au protocole. Lorsqu'il a pris sa décision, le président Bush a
donné pour instructions au département d'État de retirer sa
signature du protocole pour échapper à toute obligation s'il est
ratifié.
Nous pourrions peut-être nous trouver à l'avoir signé; nous ne l'avons pas ratifié, mais il va entrer en vigueur. Dans ce cas, nous devons décider si nous allons aller de l'avant ou enlever notre signature.
La troisième chose que vous vous demandez, je suppose, c'est par où commencer. Vous avez parlé des transports en commun. Je peux comprendre intuitivement pourquoi les gens pensent cela. Il est raisonnable de subventionner les transports en commun si vous voulez avoir des transports en commun. Mais si vous subventionnez les transports en commun en espérant indirectement protéger l'environnement, il se pourrait fort bien que ça vous coûte plus cher que si vous régliez le problème même des émissions.
On a parlé tout à l'heure des conséquences non intentionnelles. Dans ce cas-ci, je pense que les taxes sur les émissions sont plus avantageuses en ce sens que nous pouvons en prévoir les conséquences un peu plus facilement que celles des normes et des instruments de réglementation. Les histoires d'horreur qui entourent les conséquences non intentionnelles peuvent être attribuées aux normes parce que celles-ci créent une série très obscure d'incitatifs.
La façon dont les gens réagissent à ces incitatifs peut parfois miner complètement la politique. L'exemple classique est celui de la Loi sur les espèces en voie de disparition aux États-Unis parce qu'elle menace les investissements des propriétaires. Ils ont tout intérêt à s'assurer qu'il n'y a pas d'espèces en voie de disparition sur leurs terres et il y a de nombreuses anecdotes selon lesquelles certains auraient détruit l'habitat pour empêcher des espèces en voie de disparition de s'installer sur leurs terres. Il n'y a pas eu tellement de progrès aux États-Unis à l'égard de la protection des espèces menacées de disparition. On en compte actuellement un plus grand nombre.
Les économistes qui ont examiné nos lois et à qui j'ai parlé ont peur que nous n'ayons pas indiqué clairement aux propriétaires qu'ils seront compensés si la réglementation entraîne une diminution de la valeur de leurs terres. À moins d'envoyer un message clair, on peut se retrouver dans une situation où les gens ont tout intérêt à détruire l'habitat et à en chasser les espèces menacées d'extinction si leur investissement en dépend.
Le dernier point a trait aux questions constitutionnelles. Je suppose que cette situation est unique au Canada. Le système fiscal relève de la compétence du gouvernement fédéral, mais nous parlons de l'utiliser pour apporter des changements dans un champ de compétences provinciales. J'imagine que l'important dans ce cas-ci, si vous adoptez un type quelconque de régime de prix des émissions, c'est que les provinces ne le considèrent pas comme un prétexte pour le gouvernement fédéral d'empiéter sur leurs domaines de compétence. J'imagine que c'est une question qui pourra être réglée avec les gouvernements provinciaux compétents.
Le président: Merci, monsieur McCallum et monsieur McKitrick.
Monsieur Nystrom.
M. Lorne Nystrom (Regina—Qu'Appelle, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je veux d'abord remercier tout le monde d'être venu. C'est un débat très important, et nous devons nous pencher sur ce qui constitue à mon avis la question la plus fondamentale qui se pose dans le monde d'aujourd'hui, à savoir l'environnement et l'économie verte, et la protection de l'environnement.
J'aimerais premièrement faire une suggestion. Il serait utile que nous puissions nous appuyer sur un consensus au sujet des priorités budgétaires que le gouvernement devrait adopter à court terme, ainsi que de ses priorités à long terme, dans le contexte de notre fédération unique en son genre. Il serait bon que nous puissions nous entendre sur une liste de priorités.
Je voudrais vous poser quelques questions politiques particulièrement difficiles. Je suis évidemment d'accord pour que nous fassions notre possible pour protéger l'environnement. M. McCallum a parlé de la taxe sur le carbone. Je viens de Saskatchewan et je sais bien que le moteur à combustion interne, avec l'utilisation de combustibles fossiles, est la pire source de pollution qui soit. Mais comment pouvons-nous concilier l'idée d'une taxe sur le carbone ou d'une hausse des taxes sur le carburant avec le fait que ce serait une mesure régressive pour les agriculteurs canadiens et les gens des régions rurales?
Il faut aussi rappeler que le gouvernement fédéral a adopté une politique qui autorisait l'abandon de liaisons ferroviaires dans les régions rurales, ce qui a obligé les agriculteurs à transporter leur grain en camion et a entraîné la fermeture des silos régionaux. Dans la plupart des cas, il y a maintenant des silos terminaux intérieurs. Et, évidemment, il ne s'agit pas de petits camions. Ce sont d'énormes véhicules, qui détruisent les routes. Nous avons maintenant des silos terminaux intérieurs, et il en résulte une forte consommation de combustibles fossiles. Alors, si le prix du carburant augmente, c'est discriminatoire pour les gens des campagnes et les agriculteurs.
• 1720
L'autre question qu'on me pose souvent—je l'ai même entendue
aujourd'hui dans la région de Toronto, mais je l'entends
constamment en Saskatchewan—porte sur le prix de l'essence à la
pompe. Pour des gens qui ont un salaire de députés, une hausse de
dix ou vingt cents, ou même trente, n'a pas tellement d'importance;
ça ne nous touche pas beaucoup, avec un revenu comme le nôtre. Mais
pour quelqu'un qui gagne 30 000 $ ou 40 000 $ par année et qui doit
nourrir une famille de quatre personnes, ça fait toute une
différence. C'est la même chose pour le combustible qui sert au
chauffage domiciliaire. Ça fait aussi une énorme différence.
Il y a maintenant certaines provinces qui jonglent avec l'idée de rembourser une partie des frais de chauffage domiciliaire, et le gouvernement fédéral aussi. C'est donc là qu'entrent en collision le principe de la protection de l'environnement et celui de l'équité et de l'égalité dans la société, pour protéger l'intérêt commun. J'aimerais savoir ce qu'en pensent nos témoins parce que ce sont des questions que nous nous posons constamment.
Je sais que c'est une question très simple et qu'il vous faudra seulement sept à huit minutes pour y répondre, mais je vous demande d'essayer.
Le président: Et nous allons devoir le faire en sept minutes.
Monsieur Pollock.
M. David Pollock: Je serai bref.
Si vous allez aux Pays-Bas et dans certains autres pays européens où on a tenté de répondre à quelques-unes de ces questions touchant l'égalité, vous verrez qu'il y a plusieurs méthodes possibles. Il y a d'abord les exemptions pures et simples. On peut aussi, si on veut, fixer des seuils fondés sur le niveau de revenu. On peut envisager des exemptions pour certains groupes et certaines utilisations. Ou encore imposer des mesures graduelles pour laisser aux gens le temps de se préparer, de trouver des solutions de remplacement et de faire les investissements nécessaires.
Toutes ces méthodes ont été appliquées, en fonction des ajustements à faire ou des groupes à protéger dans l'économie. Donc, chacune d'elles entraîne des complications, mais nous pourrions examiner par exemple la possibilité de fixer des niveaux seuils, ou encore d'accorder des exemptions et d'autres avantages aux agriculteurs.
La grande question qu'il faut garder à l'esprit, c'est que nous devons ancrer notre discussion économique dans la notion de capacité de charge; nous devons nous demander par exemple s'il s'agit d'un bassin atmosphérique particulier et si l'activité économique susceptible d'être autorisée aurait des effets cumulatifs, comme vous l'avez dit, pour notre planification à court et à long termes. C'est probablement la principale notion sur laquelle nous devons nous appuyer, à mon avis. C'est à partir de là que nous devons essayer d'insérer notre politique économique dans un cadre englobant l'empreinte écologique et la capacité de charge, et c'est sous cet angle-là que nous devons procéder à nos évaluations.
Le président: Qui veut continuer?
Monsieur McGuinty.
M. David McGuinty: Je ne peux que sympathiser. J'ai l'impression que vous voulez parler en réalité du contexte dans lequel nous réclamons des changements.
J'ai eu une discussion avec les sondeurs d'Ekos il y a un mois. Ils m'ont appelé pour me dire que les nouvelles étaient très bonnes dans le dossier des changements climatiques. Le nombre de Canadiens qui comprennent de quoi il s'agit et quels sont les enjeux pour le Canada a doublé, pour passer de 2,5 à 5 p. 100.
Le prix à la pompe est un peu un symbole pour les citoyens canadiens ces temps-ci. Une des réponses intéressantes du gouvernement de l'Alberta et du gouvernement fédéral, qui ont laissé entendre qu'ils allaient tempérer les effets du système de libre fixation des prix des produits de base que nous connaissons actuellement, c'est qu'ils ont décidé d'envoyer des chèques—à tout le monde en Alberta, et aux gens à faible revenu au niveau national—parce qu'ils pensent qu'il faut amortir le coup. C'est un message ambigu. Et, pour beaucoup d'environnementalistes purs et durs, ce n'est pas le bon message à envoyer; plutôt que d'offrir des remboursements, nous devrions dire aux gens de consommer moins et d'isoler mieux.
Alors, je n'ai pas de réponse. Et le fossé entre les villes et les campagnes, auquel vous faites allusion, pose un problème difficile. J'en ai discuté l'autre soir avec M. McCallum. Nous sommes à 80 p. 100 urbains maintenant, et ce chiffre augmente rapidement. Rien ne permet de croire que ça va ralentir. Quelle que soit la réponse que nous apporterons à la population, je pense qu'elle devra s'inscrire en bonne partie dans un contexte urbain. Ce n'est pas simple, c'est tout ce que je peux vous dire.
M. Lorne Nystrom: En effet. Il y a à la fois un fossé entre les villes et les campagnes et un fossé entre les riches et les pauvres, en ce qui concerne les effets tangibles d'une politique uniforme appliquée d'un bout à l'autre pays.
Y a-t-il quelqu'un d'autre qui veut répondre à cette question?
M. Ross McKitrick: Pour ce qui est du point de départ ou de la priorité à adopter, le ministre de l'Environnement a ciblé tout particulièrement les émissions de NOx, au sujet desquelles il n'y a pas eu beaucoup de progrès depuis les années 70. À mon avis, les mesures prises par la Suède pour contrôler les émissions de NOx constituent un point de départ très pratique. Les Suédois perçoivent une taxe sur les émissions auprès des producteurs d'énergie. Cet argent-là est placé dans un fonds et remis ensuite aux mêmes producteurs en fonction de leur production d'énergie. Donc, les entreprises qui produisent beaucoup d'émissions, mais pas beaucoup d'énergie paient une subvention importante à celles qui produisent beaucoup d'énergie, mais pas beaucoup d'émissions. Cette mesure incitative a été très efficace. Les producteurs d'énergie l'ont acceptée parce qu'ils se rendaient compte qu'elle n'avait pas d'incidence sur les recettes, mais elle a été très efficace pour les inciter à trouver des moyens innovateurs de réduire la pollution.
• 1725
Quant aux effets régressifs que pourraient avoir des
changements dans les prix, je pense que nous sommes capables de les
prévoir dans une certaine mesure et de les contrebalancer par
d'autres instruments fiscaux. Quand la TPS a été instaurée, par
exemple, et qu'on s'est rendu compte qu'elle était régressive, on
a mis en place une subvention de compensation.
Le président: Un crédit d'impôt.
M. Ross McKitrick: Mais l'important, c'est que la mesure adoptée pour compenser une politique régressive doit être distincte du mécanisme de fixation des prix, pour éviter de diluer l'effet incitatif de ce mécanisme. Par exemple, si vous dites que vous allez percevoir une taxe sur les émissions dans une ville, mais pas dans une autre parce que les revenus y sont moins élevés, toutes les activités générant des émissions vont inévitablement se déplacer vers la deuxième ville. Il faut donc que les deux éléments soient séparés.
Enfin, pour ce qui est des prix du carburant, une des choses que je comprends mal au sujet des obligations du Canada en vertu du protocole de Kyoto, c'est que nous n'avons jamais discuté sérieusement de l'ampleur de la politique qu'il faudra appliquer à cet égard. Il peut être utile de publier des brochures pour recommander aux gens de calfeutrer leurs fenêtres, mais ça n'a absolument rien à voir avec l'ampleur de la politique qui serait nécessaire.
Le fait que les gens aient réagi, qu'ils aient trouvé les hausses des prix du carburant aussi difficiles à avaler cette année, montre bien que les activités qui génèrent des émissions sont utiles à leur façon et que nous devons faire preuve de discernement si nous décidons d'intervenir dans ces activités.
Le président: Monsieur Crabbé.
M. Philippe Crabbé: Pour répondre aux commentaires ou aux questions de M. Nystrom, je dirais que son premier point, sur le caractère régressif des taxes écologiques, est très important. Cela veut dire essentiellement que ces taxes ne peuvent pas simplement être ajoutées après coup. Elles doivent être pleinement intégrées à notre régime fiscal.
Sur le deuxième point, qui concerne l'abandon des liaisons ferroviaires, il me semble que les sociétés de chemin de fer recevaient d'énormes subventions dans le passé. La question qui se pose aujourd'hui, c'est de savoir à quel point le réseau routier est subventionné. Je sais qu'aux États-Unis, le coût total de l'infrastructure et des services routiers est payé à 79 p. 100 par les taxes et les droits de péage liés à l'utilisation des routes. Autrement dit, c'est subventionné. Il faut se demander jusqu'à quel point c'est le cas au Canada également.
En ce qui concerne le prix de l'essence à la pompe, je demeure convaincu que les remboursements peuvent être utiles à court terme, mais qu'ils doivent être supprimés à long terme. Autrement dit, il faut nous assurer qu'il y a un bon régime incitatif pour éviter que les gens recommencent à acheter des véhicules qui consomment énormément d'essence. Il devrait donc y avoir des taxes sur les véhicules de ce genre, par exemple.
Pour finir, je voudrais faire un commentaire général sur les questions dont nous avons discuté aujourd'hui. Un des principaux problèmes, dans le domaine de l'environnement, c'est que nous avons très peu de données empiriques. Nous avons une série de principes très utiles. Bon nombre des études réalisées par l'OCDE, par exemple, sont essentiellement fondées sur des simulations. Mais nous n'avons pas vraiment de données empiriques. Nous devrions donc faire de grands efforts et consentir de gros investissements dans ce domaine.
Le président: Madame Gelfand.
Mme Julie Gelfand: Oui, je voudrais répondre brièvement.
Je comprends votre point de vue à certains égards, mais je pense que nous devrions aller prendre une bière pour en discuter. Toutefois, pour ce qui est des priorités à court terme, la table ronde présente chaque année des propositions sur ce que devrait contenir le budget de l'année suivante. La Coalition du budget vert soumet aussi des recommandations. Il y a donc plusieurs endroits où vous pourriez regarder pour trouver ce que nous devrions faire l'an prochain. Ce sont des choses que nous vous présentons déjà. Les priorités à long terme sont plus complexes et plus difficiles à dégager, ou à établir, mais il faut le faire. Ce que je veux vous dire, en tout cas, c'est que nous essayons de vous aider à établir votre liste de priorités à court terme.
Le président: Merci, madame Gelfand et monsieur Nystrom.
Monsieur Brison.
M. Scott Brison (Kings—Hants, PC): Merci, monsieur le président.
Merci à vous tous de nous avons fourni matière à réflexion sur la politique environnementale, particulièrement en ce qui a trait aux questions financières. C'est une excellente chose que nous ne mettions plus la politique environnementale et les questions économiques dans des compartiments séparés, parce que les deux aspects se rattachent à la gestion de ressources limitées et devraient être intégrés dans la mesure du possible.
Ma première question s'adresse à Mme Cairns. Il me semble vous avoir entendue dire que, dans une perspective écologiste, il était plus efficace de taxer davantage les pratiques nuisibles à l'environnement que d'abaisser les taxes sur les pratiques écologiques. J'aimerais que vous m'expliquiez ce que vous entendez par là parce que c'est le contraire de ce que j'aurais cru, en un sens.
Par ailleurs—et j'aimerais aussi avoir les commentaires des autres à ce sujet-là—, le Canada doit procéder à une réforme massive de son régime fiscal dans un certain nombre de domaines. Il doit notamment chercher à créer, à mon avis, de meilleures perspectives de croissance et de prospérité. Mais je pense que nous pouvons intégrer dans cette réforme fiscale des mesures incitatives plus efficaces pour encourager les pratiques respectueuses de l'environnement. Une réforme fiscale sans effet sur les recettes fait toujours des gagnants et des perdants, mais si nous la combinons à une réduction de taxes dans certains domaines précis, nous pouvons faire en sorte qu'il n'y ait pas de perdants. Donc, si un des objectifs de la réforme fiscale est d'encourager les pratiques respectueuses de l'environnement, nous devrions y réfléchir. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Comme l'ont fait mes collègues de l'autre côté, j'ai bien envie de vous présenter quelques autres arguments et de vous demander vos commentaires à tous. J'aimerais connaître votre opinion sur ce que le gouvernement fédéral fait au Canada pour amener les gouvernements infranationaux et les entreprises à participer aux discussions sur l'environnement. Il me semble qu'une des choses qui ont manqué, à Kyoto, c'est que nous n'avons vraiment pas fait beaucoup d'efforts en ce sens avant d'en arriver aux négociations finales. Il est difficile d'espérer atteindre des objectifs si les différents intervenants ne s'y engagent pas dès le début.
Enfin, si nous décidons—comme nous devrions le faire, à mon avis—que les énergies nouvelles présentent un important potentiel de croissance et offrent des possibilités intéressantes pour le Canada, étant donné tout particulièrement la crise de l'énergie à laquelle nous assistons à différents endroits en ce qui concerne l'électricité, quels sont à votre avis les outils d'intervention dont nous devrions nous servir pour encourager la croissance et attirer les investissements dans ces secteurs?
Le président: Qui veut commencer? Madame Cairns.
Mme Stephanie Cairns: Permettez-moi de commenter vos observations sur les trois points que vous avez soulevés.
Mon commentaire sur la nécessité de songer à un régime intégré qui prévoirait à la fois des mesures incitatives pour encourager les technologies propres et les pratiques respectueuses de l'environnement, d'une part, et des mesures visant à décourager les utilisateurs de technologies polluantes, d'autre part, découle de préoccupations exprimées dans de nombreuses conversations au cours desquelles j'entends constamment les gens dire qu'ils pourraient résoudre ce problème s'ils pouvaient obtenir une déduction pour amortissement d'un autre genre lorsqu'ils investiraient dans les nouvelles technologies.
Quand on commence à réfléchir à ce processus, on se rend compte que la conséquence à long terme de cette approche, ce sera un régime fiscal chargé comme un arbre de Noël—ce que nous essayons d'éviter—et une approche fondée surtout sur les subventions, dans le cadre d'une politique qui va continuer dans bien des cas à soulever des préoccupations pendant des décennies.
En fait, vous passez à côté du message le plus important. Par exemple, pour reprendre votre exemple sur les énergies nouvelles, si vous regardez ce qui se passe sur le marché actuel, vous verrez qu'il y a presque un rapport inverse entre le prix des différentes sources d'énergie et leurs effets sur l'environnement. Le charbon est la source d'énergie la moins chère sur le marché actuellement, et le gaz naturel est une des plus coûteuses. Il y a peut-être des énergies renouvelables dont le prix est un peu inférieur à celui du gaz naturel, mais elles demeurent quand même parmi les plus chères.
• 1735
Il y a deux façons de résoudre ce problème. Vous pouvez offrir
une série de mesures incitatives, par exemple un crédit d'impôt aux
consommateurs et des déductions pour amortissement afin
d'encourager l'utilisation des énergies renouvelables. Il y a des
propositions qui circulent en ce moment à ce sujet-là, comme David
l'a mentionné. Ce serait une possibilité et, à bien des égards, sur
le plan politique, c'est la façon la plus facile d'aborder la
question.
La façon beaucoup plus visionnaire d'en arriver à long terme à une réduction intégrée des coûts, cependant, ce serait de commencer à réfléchir au prix du carbone par rapport aux prix qui s'exercent sur le marché. Politiquement, c'est beaucoup plus difficile à faire, mais cela permet de commencer à envoyer les bons signaux à long terme. Ce qu'il faut, c'est un outil unique pour le faire, plutôt que 100 sortes d'avantages fiscaux différents pour encourager 100 sortes de comportements différents.
C'est pourquoi j'ai dit que nous devions réfléchir aux deux éléments de l'équation. De cette façon, nous ne nous contentons pas de créer de nouvelles subventions; nous disons aux gens que ça leur coûtera cher s'ils continuent à polluer, mais que nous sommes prêts à fournir en contrepartie les sommes nécessaires pour les aider et les encourager à adopter des technologies plus propres ou à améliorer leur rendement.
Je voudrais aussi faire un commentaire sur ce que le gouvernement fédéral fait dans ce domaine, de façon générale. C'est un aspect qui n'a pas été soulevé ici. Vous avez eu une excellente idée de tenir cette discussion sur l'économie verte au Comité des finances.
Un des plus gros obstacles à l'élaboration d'une politique fédérale, c'est que nous avons réparti entre différents ministères fédéraux les responsabilités touchant par exemple l'environnement ou la gestion des ressources naturelles, et les pouvoirs relatifs à l'adoption d'instruments économiques.
Nous nous retrouvons donc constamment dans la situation suivante: Environnement Canada essaie de trouver des moyens de respecter ses engagements au sujet de la pollution de l'air, mais il ne peut pas vraiment réfléchir aux moyens à prendre sur le plan fiscal parce qu'en définitive, il n'a rien à dire au sujet des instruments économiques ou des incitatifs fiscaux qui pourraient être adoptés. C'est le ministère des Finances qui a tous les pouvoirs de ce côté-là.
Mais le ministère des Finances n'a pas le même genre d'engagements au sujet de la pollution de l'air. Par conséquent, dans un dossier comme celui-là, la solution la plus sûre pour Environnement Canada consiste à adopter une approche purement réglementaire, ou peut-être même volontaire. Il ne peut pas avoir la certitude que, s'il essaie de faire adopter une approche plus innovatrice fondée sur un instrument économique, il obtiendra le soutien dont il a besoin dans l'ensemble du gouvernement fédéral. C'est un énorme obstacle qui nous empêche de progresser dans cette voie.
Le président: Monsieur Bélanger.
M. Jean Bélanger: Oui, je voudrais parler du fait que nous ne faisons pas appel à tous les intervenants.
À mon avis, c'est une des principales améliorations que nous essayons d'apporter grâce à la table ronde. Nous tentons d'amener tout le monde à participer au débat. Nous ne nous sommes pas limités au niveau fédéral. Il y a aussi un certain nombre de provinces qui participent activement au processus. Il ne s'agit pas de faire participer tout le monde au niveau provincial, mais de pouvoir bénéficier du point de vue des provinces. Donc, nous pouvons compter sur une participation très active de provinces comme l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique. Et nous établissons des liens avec certaines autres provinces.
L'autre aspect de la question, c'est que nous amenons aussi autour de la table des gens de tous les milieux, des entreprises aux groupes environnementalistes. Vous avez évoqué certains aspects des traités internationaux qui ont peut-être été négociés sans consultation suffisante. Nous, nous incluons tout le monde en même temps et nous examinons à la fois les avantages et les inconvénients. Puis nous essayons de voir s'il y a des moyens de contourner les difficultés ou de franchir les obstacles.
• 1740
C'est la raison pour laquelle nous essayons de le faire.
Plutôt que de parler indéfiniment de réforme fiscale, nous avons
plutôt choisi l'approche... Nous avons décidé d'examiner trois
problèmes et de voir comment nous pourrions les régler grâce à la
réforme fiscale.
La réforme fiscale englobe une foule de choses, quand on y pense, parce que le budget porte sur les divers programmes de tous les ministères. Donc, c'est l'aspect de la réforme fiscale qui concerne les dépenses. Il y a la question des impôts, mais aussi celle des déductions pour amortissement. Il y a à la fois la carotte et le bâton.
Si nous avons des participants du gouvernement, ce n'est pas seulement pour lancer le débat, mais pour qu'ils contribuent activement à la discussion. Ils peuvent poser leurs questions quand nous examinons les divers dossiers, plutôt qu'après avoir reçu un rapport. Cela ouvre des possibilités, et nous les considérons comme des observateurs interactifs. Ce sont des participants à part entière, même s'ils n'en ont pas le nom—et c'est la même chose pour les gouvernements provinciaux.
C'est donc une façon de nous assurer que tous les intéressés peuvent participer.
Le président: Merci.
Monsieur McKitrick, allez-y.
M. Ross McKitrick: Au sujet de votre dernière observation, sur la possibilité d'encourager les énergies nouvelles ou renouvelables, certaines provinces sont en train de déréglementer leur industrie énergétique. Entre autres choses, cela permet aux petits producteurs de vendre beaucoup plus facilement leur énergie. Dans ce contexte, vous trouverez peut-être fort intéressant de surveiller ce que font ces petits entrepreneurs. Les sources comme l'énergie éolienne sont de plus en plus viables sur le plan économique. Plutôt que de chercher à bousculer les choses et d'essayer de deviner ce qu'il pourrait valoir la peine de faire, vous pourriez regarder faire les gens qui commencent, sur une petite échelle, à produire de l'énergie à l'aide de ressources renouvelables. C'est souvent la meilleure façon d'obtenir de l'information sur ce qui sera économiquement viable à long terme; il suffit de regarder ce que font ces entrepreneurs.
Le président: Merci.
Monsieur McGuinty.
M. David McGuinty: Je serai très bref. Je vais me contenter de répondre à votre question sur la consultation.
Dans bien des milieux, on dit que les gens sont fatigués de la consultation sur les questions environnementales. En fait, c'est plus que de la fatigue; je dirais que c'est de l'épuisement. Les entreprises et les gens éclairés qui y travaillent—dans bon nombre des sociétés dont David Pollock a parlé tout à l'heure—se battent pour la cause. Les cadres de ces entreprises vont voir leurs directeurs financiers pour leur réclamer encore un peu plus d'argent. Ils n'ont pas le front en sang, mais calleux, parce que la porte des directeurs financiers demeure de plus en plus souvent fermée.
Quelqu'un a dit tout à l'heure que les sociétés, surtout celles du secteur privé, cherchent des certitudes et des affirmations claires du gouvernement en ce qui concerne sa position générale sur beaucoup de ces questions. Elles sont frustrées, et même pire. Il est devenu très difficile de faire accepter le changement à l'intérieur d'une structure d'entreprise.
De plus, rien ne permet de croire que les marchés réagissent favorablement. Même si une entreprise présente son bilan sur trois plans—en parlant de ses responsabilités sociales et de son rendement sur le plan environnemental, de son rendement auprès de ses actionnaires et de son rendement économique—, cela ne semble guère avoir d'influence sur la valeur des actions, l'accès aux capitaux, la cote de crédit ou les ressources humaines, dans le sens que des gens décideraient d'aller travailler là parce que c'est une bonne entreprise. Quand il s'agit de consultation, les gens et les organisations de tous les secteurs sont épuisés.
Le processus relatif aux changements climatiques incluait 16 tables de concertation, 32 coprésidents et 450 experts. Et, je ne sais combien de millions de dollars plus tard, on se demande s'il y aura une réaction nationale. S'il y en a une, qu'est-ce que ce sera?
Vous avons abordé une question très importante en parlant de consultation, monsieur Brison.
Le président: Merci.
Monsieur Crabbé, puis madame Gelfand, et ce sera tout.
M. Philippe Crabbé: Je voudrais en revenir à la question des investissements dans les énergies renouvelables. Il me semble que ce n'est pas une priorité à court ou à moyen terme parce que les énergies renouvelables ne pourront pas accaparer une part importante du marché à moyen terme.
Mais personne n'a parlé de l'énergie atomique. À court terme, elle n'est sûrement pas concurrentielle non plus. À cause des énormes dépassements de coûts dont cette industrie à l'habitude, ce n'est pas une solution vraiment concurrentielle.
Le plus important pour l'économie verte, à mon avis, c'est de se concentrer sur les mesures environnementales qui ont une influence sur la rotation des capitaux dans une industrie donnée.
• 1745
Il y a tout un débat en cours au Canada et aux États-Unis au
sujet de la production d'électricité, à cause de la
déréglementation, et ce serait une excellente occasion d'harmoniser
la réglementation touchant l'environnement. Mme Whitman,
l'administratrice de l'EPA, était censée le faire pour le marché
américain, mais le président Bush a reculé. Je pense qu'il y a une
leçon à en tirer pour le Canada. Ce serait une occasion en or
d'harmoniser les règlements environnementaux sur toutes les
émissions dans ce secteur, qui est extrêmement important à cet
égard. Aux États-Unis, le secteur de la production d'électricité
est responsable d'à peu près 30 p. 100 des émissions de dioxyde de
carbone, alors que c'est autour de 15 p. 100 au Canada. Il y a
certainement là une occasion à ne pas manquer.
Le président: Merci.
Madame Gelfand, un dernier commentaire.
Mme Julie Gelfand: Nous avons été consultés jusqu'à l'épuisement nous aussi, et il faut faire très attention que la consultation ne serve pas d'excuse à l'inaction.
Bien souvent, quand nous sommes consultés, nous sommes d'accord avec l'industrie; c'est ce qui est arrivé dans le cas de Pembina et dans le nôtre aussi, au sujet des espèces à risque, dans nos rapports avec l'association minière et les gens des pâtes et papiers. Et pourtant, le gouvernement ne bouge pas nécessairement même dans ces cas-là.
La deuxième chose que je tiens à dire, c'est que nous pourrions créer une agence—qui pourrait s'appeler par exemple Énergies renouvelables Canada—pour promouvoir les énergies renouvelables. Nous avons déjà Énergie atomique du Canada qui cherche à promouvoir l'industrie nucléaire; nous pourrions créer Énergies renouvelables Canada dès demain pour favoriser les énergies renouvelables.
Le président: Merci beaucoup.
Au nom des membres du comité, je tiens à remercier nos invités. La discussion a été très intéressante.
Comme vous le savez, une nation ne peut pas exceller vraiment tant qu'elle ne regarde par la vérité en face au sujet des défis à relever et des choix à faire. Or, vous avez très bien décrit certains de ces choix et de ces défis, sur lesquels notre comité—et notre gouvernement—devra se pencher.
Je voudrais vous lancer un autre défi avant de vous quitter. Il est certain que vous allez être réinvités à comparaître devant le comité; à ce moment-là, nous aimerions nous concentrer sur ce que devront être exactement les priorités. Certains membres du comité ont déjà posé la question, et je pense que vous avez besoin de temps pour y répondre. Vous pouvez donc vous attendre à recevoir une invitation avant les vacances d'été.
Mesdames et messieurs, chers collègues, merci beaucoup.
La séance est levée.