FINA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FINANCE
COMITÉ PERMANENT DES FINANCES
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 29 mai 2001
La présidente suppléante (Mme Sue Barnes (London-Ouest, Lib.)): Bonjour tout le monde. Notre président est en route; pour ne pas retarder personne et comme nous souhaitons entendre tout ce qu'ont à nous dire nos insignes témoins, nous allons commencer.
Nous examinons aujourd'hui le projet de loi C-16, Loi concernant l'enregistrement des organismes de bienfaisance et les renseignements de sécurité et modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu.
• 0940
Nous entendrons ce matin deux groupes de témoins et je vous
présente d'abord Mme Tamra Thomson et M. Arthur Drache de
l'Association du Barreau canadien. Soyez les bienvenus. Nous
entendrons ensuite M. Rocco Galati, Mme Wahida Valiante et
M. Mumtaz Akhtar du Congrès islamique canadien. Je vous souhaite la
bienvenue et je vous remercie d'être là.
M. Borovoy de l'Association canadienne des libertés civiles regrette de ne pouvoir témoigner.
Du Conseil canadien pour les réfugiés, nous entendrons Mme Chantal Tie et M. Michael Bossin. Soyez les bienvenus.
Je vous laisse à tous le soin de commencer votre exposé. Peut-être pourrions-nous entendre d'abord l'Association du Barreau canadien. Allez-y.
Mme Tamra L. Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien): Merci, madame la présidente.
L'Association du Barreau canadien est une association nationale qui représente plus de 37 000 juristes de tout le Canada. Nos principaux objectifs consistent à améliorer le droit ainsi que l'administration de la justice. C'est dans cette optique que nous comparaissons devant le comité aujourd'hui pour faire part de nos observations sur le projet de loi C-16.
Je suis accompagnée de M. Arthur Drache, qui est membre associé de la section des organismes de bienfaisance et sans but lucratif de l'Association du Barreau canadien. Je vais lui demander de faire les commentaires sur le fond même du projet de loi.
Monsieur Drache.
M. Arthur Drache (membre associé, Section nationale des organismes de bienfaisance et sans but lucratif, Association du Barreau canadien): Merci. Je suppose que tous les membres du comité ont reçu un double du mémoire que nous avons présenté. Je ne vais pas le lire. Je vais vous parler en termes simples des problèmes que nous pose le projet de loi.
Quand je parle des problèmes que nous éprouvons à l'égard du projet de loi, je devrais préciser que je suis un avocat en exercice, un des très rares avocats dont la pratique porte presque exclusivement sur les organismes de bienfaisance et sans but lucratif. Donc, les problèmes que je vais soulever sont les problèmes qu'éprouvent mes clients et les problèmes auxquels je devrai faire face si le projet de loi devait être adopté dans sa forme actuelle.
D'abord, une simple observation générale. À mon avis, et c'est l'opinion ici de quelqu'un qui a déjà rédigé des lois, le projet de loi a été rédigé par des personnes qui sont intellectuellement paresseuses et qui ont refusé de faire le travail mental nécessaire pour définir ce que l'on entend par des actions répréhensibles. Il y a, si vous voulez, un crime—pas au sens technique, mais une infraction—qui n'est pas défini dans le projet de loi. Donc au départ, quand on parle d'activité de soutien au terrorisme, on ne sait pas ce que l'on entend par terrorisme, pas plus que par activité de soutien. C'est un problème grave.
Pour couronner le tout, le projet de loi fait fi de toutes les normes courantes en matière de preuve si on doit se présenter devant les tribunaux. Il n'est pas question d'examiner les témoins, on obtient un résumé de ce que dit le témoin et nous pouvons même ignorer qui est le témoin. Absolument aucun des droits accordés aux Canadiens en général n'est accordé aux organismes de bienfaisance dans l'établissement de la preuve. À notre avis, cela est tout à fait effarant.
Je dois vous dire que lorsque je me présente devant le tribunal en cour d'appel, selon la loi actuelle la situation est assez désastreuse sans que, en plus, on ne me dise même pas qui sont les personnes qui témoignent contre mes clients. On ne me donnera pas non plus la nature de l'infraction: je ne sais pas ce qui en est, mais je le saurais si je voyais le dossier—ce genre de choses. J'aurais l'information si j'étais le bureaucrate chargé du dossier. Mais en tant qu'avocats qui essaient de donner des conseils, le projet de loi à l'étude nous pose de réels problèmes.
Il est bien évident, compte tenu de la nature du problème que pose le terrorisme à l'échelle internationale, que personne ne propose que le Canada s'abstienne de réagir. Mais le terrorisme est essentiellement une activité criminelle et par conséquent, nous estimons que la façon adéquate d'aborder le problème dans le contexte canadien, c'est d'en référer au Code criminel. Mais bien sûr nous craignons que si l'on s'en remet au Code criminel, les protections dont jouissent les organisations ne résisteraient pas à l'examen judiciaire—de telles protections ne seraient pas accordées en vertu de la Charte des droits et libertés. On a donc choisi d'adopter une approche contournée.
• 0945
En ce qui concerne le problème des définitions, soit dit en
passant, ce n'est pas si difficile que cela. Dans leur loi, les
Britanniques ont défini le terme «terrorisme». J'ai offert à l'une
des fonctionnaires qui a participé à la rédaction du projet de loi
de lui remettre un exemplaire de la loi britannique, mais elle m'a
dit qu'ils avaient déjà réussi à en obtenir un. Donc, le choix de
ne pas inclure une définition semble parfaitement volontaire et non
pas astreint aux aléas de la situation dans son ensemble.
Quelle est l'infraction? Qu'advient-il dans une situation où l'activité en cause est manifestement une activité de bienfaisance selon la loi, mais qu'en corollaire, si je peux utiliser ce terme, l'organisme de bienfaisance soutient les terroristes?
Prenons une organisation hypothétique que l'on appellera les Amis canadiens de l'éducation palestinienne. C'est simplement une hypothèse, mais ce serait facile de créer un tel organisme. L'organisme fait le nécessaire pour accorder des bourses à des étudiants doués afin qu'ils fréquentent l'école dans diverses régions de la Palestine. Que se passe-t-il si l'un de ces boursiers se perçoit tout à coup comme un martyr, s'entoure le corps d'explosifs et se fait sauter dans un centre commercial? Est-ce qu'une organisation canadienne a soutenu le terrorisme parce qu'elle a accordé une bourse à cet étudiant? Que se passe-t-il si vous avez trois étudiants qui font le même geste, sur 10 000 qui obtiennent une bourse? Quelqu'un viendra me voir et dira, que se passe-t-il si...? Je ne sais pas, est-ce qu'il s'agit d'un soutien au terrorisme? Le projet de loi ne nous aide certainement pas à cet égard.
Si une organisation tamoule finance un hôpital, c'est une activité de bienfaisance. Si l'hôpital traite un membre blessé des Tigres tamouls, est-ce qu'un organisme de bienfaisance a favorisé le terrorisme? Qu'advient-il si l'hôpital traite 10 Tigres tamouls qui sont blessés? Est-ce qu'un organisme canadien de bienfaisance participe maintenant à des activités qui soutiennent le terrorisme?
Ces questions ont été posées aux bureaucrates. On nous a dit qu'il n'y avait pas de réponse clairement définie—ce qui est vraiment génial si on adopte une loi qui est essentiellement punitive. Mais les organismes canadiens de bienfaisance devraient leur faire confiance pour prendre les bonnes décisions.
Je peux vous dire, mesdames et messieurs, que les responsables des organismes de bienfaisance n'ont pas cette confiance. Absolument pas.
Par contre, une chose est frappante, c'est que le projet de loi porte sur un type d'organisation—les organismes de bienfaisance enregistrés.
Permettez-moi de vous proposer une autre hypothèse—qui est facile à élaborer—les Amis canadiens du Djihad islamique. En général, le Djihad islamique est reconnu comme une organisation terroriste. Nous avons créé les Amis canadiens du Djihad islamique dont les objectifs sont entre autres de faire du lobbying auprès du gouvernement canadien et de venir en aide aux familles des terroristes martyrisés. L'organisme collecte également des fonds pour acheter des armes modernes pour le Djihad islamique. Quelles sanctions s'appliqueraient à cette organisation? La réponse, je peux vous la donner en mille, c'est aucune. Cette organisation hypothétique n'a pas été enregistrée comme organisme de bienfaisance. Selon la loi canadienne, il s'agit d'un organisme sans but lucratif. Comme ce n'est pas un organisme de bienfaisance enregistré, la loi que vous étudiez actuellement ne s'applique pas.
Cela nous amène effectivement à nous poser une question fondamentale. Si le gouvernement est si désireux de réduire le prétendu soutien au terrorisme international, du point de vue du Canada, pourquoi cette mesure législative ne vise-t-elle qu'une seule catégorie d'organisations sans se préoccuper de l'ensemble? Pourquoi n'y a-t-il pas de sanctions prévues pour les organismes sans but lucratif? Pourquoi n'y a-t-il pas de sanctions pour les entités imposables? Avez-vous l'impression que du seul fait qu'une organisation constitue une entité imposable, elle ne peut appuyer le terrorisme? De fait, je pense que c'est plus facile ainsi, et que vous pouvez probablement le faire avec des crédits d'impôt déductibles si vous vous trouvez un bon avocat.
• 0950
Passons maintenant du côté de la preuve. Qu'est-ce que fait un
avocat devant un simple résumé, devant une accusation contre son
client proférée par un informateur étranger que l'on ne peut
contre-interroger et dont on n'a ni le nom ni les antécédents? On
nous exhorte à faire confiance au SCRS, ou à d'autres personnes en
autorité, parce que ce sont des gens honnêtes qui n'ont aucun
intérêt personnel à défendre. Nous savons tous qu'aucun bureaucrate
n'a d'intérêt personnel à défendre. L'histoire montre qu'ils ont de
forts préjugés politiques et qu'ils acceptent volontiers la parole
de certaines sources très douteuses si elle sert leur propre point
de vue politique. J'ai vécu des expériences personnelles de ce
genre.
J'aimerais soulever une autre question technique. Dans le projet de loi, on parle de signifier des certificats. Si un certificat est signifié, il est valide pour un maximum de cinq ans. Or, le projet de loi ne s'attaque pas à une question juridique cruciale. Est-ce que l'organisme de bienfaisance cesse d'être enregistré? La perte d'enregistrement est prévue dans la Loi de l'impôt sur le revenu, mais nulle part dans le projet de loi n'est-il mention que l'organisme cesse d'être enregistré.
On parle de cette période de cinq ans. Si l'organisme cesse d'être enregistré en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, à ce moment-là, les dispositions de la Loi stipulent que dans l'année suivant la perte d'enregistrement, tous les actifs de l'organisme seront distribués à d'autres organismes de bienfaisance enregistrés, sinon, ils sont cédés à la Couronne et assujettis à un impôt de 100 p. 100.
Je dois donc maintenant essayer d'expliquer l'inexplicable à mon client: supposons le pire scénario, un certificat est signifié; sommes-nous alors toujours un organisme de bienfaisance? Sommes-nous en état de suspension qu'aucune mesure ne vient appuyer? Sommes-nous désenregistrés ou non? Pouvons-nous donner des reçus d'impôt ou non? Sommes-nous assujettis à l'impôt ou non? Et ce qui est peut-être le plus important dans ce contexte, avons-nous cédé de facto tous nos actifs? Si oui, on peut penser que l'on va retrouver notre situation normale dans cinq ans, ce que laisse entendre le projet de loi, ce qui est absolument ridicule. Vous venez tout juste de nous mettre en faillite, et ensuite vous nous dites que nous allons retrouver notre statut dans cinq ans ou moins si on peut faire la preuve que l'infraction a été corrigée d'une façon ou d'une autre.
Permettez-moi de vous dire ceci. J'ai passé beaucoup de temps avec des organismes à l'extérieur du Canada. Je ne pense pas tellement à mes clients, mais à des organismes internationaux, des ONG, des organismes de bienfaisance et ainsi de suite. Quand les gens ont entendu parler de ce projet de loi—bien sûr, avec l'Internet, les nouvelles se répandent très rapidement, et les gens peuvent voir par eux-mêmes—les gens étaient absolument renversés.
On me dit qu'on ne peut tout simplement pas croire qu'un pays comme le Canada puisse proposer un projet de loi qui soit si antidémocratique, si contraire aux principes du droit dans les pays du Commonwealth. Les gens n'en reviennent tout simplement pas.
Je peux vous dire que si ce projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, le Canada—je ne dirai pas qu'il sera la risée de tout le monde—mais sera cité en exemple d'un pays qui prêche comme il se doit le bénévolat, les organismes de bienfaisance, un pays où on retrouve des initiatives entre le secteur bénévole et le gouvernement, et tout le reste... Cela n'a aucun sens. Essentiellement, ce que vous êtes en train de dire, c'est que les bureaucrates peuvent poursuivre les organisations s'ils le jugent à propos, et que les droits de ces organisations sont réduits au minimum.
• 0955
L'Association du Barreau canadien propose simplement à votre
comité d'examiner les enjeux dans la lutte au terrorisme en
recourant aux dispositions du Code criminel applicables à tous avec
les droits, protections et sanctions qui sont appropriés dans le
contexte du Code criminel. Après tout, le terrorisme est une
activité criminelle. On peut déguiser le tout en rhétorique
politique, mais vous examinez essentiellement ici une activité
criminelle et le Barreau canadien estime que dans la mesure où le
gouvernement veut s'engager dans la lutte contre le terrorisme, il
devrait pour ce faire s'en remettre au Code criminel.
Merci beaucoup.
La présidente suppléante (Mme Sue Barnes): Merci beaucoup, monsieur Drache. Au prochain maintenant? Nous allons entendre la représentante du Congrès islamique canadien.
Mme Wahida Valiante (vice-présidente nationale et du conseil d'administration, Congrès islamique canadien): Merci, madame la présidente.
Mon nom est Wahida Valiante, je suis vice-présidente nationale du Congrès islamique canadien et travailleuse sociale de profession. Je suis accompagnée de notre avocat, M. Galati, qui a été avocat au ministère de la Justice et qui a plaidé dans des procès du SCRS. M. Galati présentera les recommandations au nom du Congrès. J'aimerais, quant à moi, vous résumer très brièvement certains des effets psychologiques et émotifs qu'aura le projet de loi sur la communauté musulmane.
Je pense que la plupart de nous sommes conscients, tout comme la plupart des députés ici, que les gens perçoivent tous les musulmans comme des terroristes en puissance. Cette perception est encouragée et soutenue par les médias et les prétendus spécialistes du Moyen-Orient, des Arabes et des musulmans. Ce qui expose donc les organismes de bienfaisance musulmans et les musulmans canadiens, en général, au danger d'être désignés comme des terroristes qui soutiennent des activités terroristes à l'étranger ou au Canada.
On n'arrive même pas à comprendre l'impact négatif et collectif d'un tel stéréotype sur le bien-être psychologique et social de nos enfants. En tant que travailleuse sociale et conseillère, j'ai été témoin à maintes reprises de ce qui arrive à nos enfants et de la perception qu'ils ont en tant que Canadiens à cause de toutes ces définitions qui s'appliquent lorsque l'on décrit les musulmans ou l'Islam. Quel dommage cela cause-t-il à la communauté? Essentiellement, cela prive ses membres d'être des citoyens canadiens à part entière qui eux aussi doivent pouvoir se prévaloir de tous les droits et de toutes les garanties prévus par la Charte des droits et libertés.
En tant que musulmane, vivant au Canada, je crois très fermement que ce projet de loi ne doit pas être adopté sans qu'on lui apporte des amendements adéquats, puisque dans sa forme actuelle, il risque de faire plus de mal que de bien à un segment de notre société, c'est-à-dire la communauté musulmane. Voilà essentiellement ce que je recommande fortement, à savoir que l'on examine ce projet de loi et que l'on ne l'adopte pas à toute vapeur parce qu'il a d'importantes répercussions pour notre communauté.
Je vais maintenant céder la parole à M. Galati qui vous fera part des recommandations formulées au nom du Congrès islamique canadien.
M. Rocco Galati (avocat constitutionnel, conseiller juridique, Congrès islamique canadien): Bonjour madame la présidente et mesdames et messieurs les députés. Vous devriez avoir en main une déclaration de six pages, l'extrait d'un mémoire de 12 pages qui a été présenté au nom du Congrès islamique canadien.
Je fais ici écho aux observations de mon ami de l'Association du Barreau canadien, mais en supposant que le projet de loi sera adopté dans une forme ou une autre, le Congrès islamique canadien soulève huit préoccupations très concrètes et propose huit recommandations de même nature, pour vous faire part du détail des amendements proposés que nous incitons le comité à faire valoir.
Très brièvement, ces huit éléments sont les suivants.
Premièrement, le projet de loi est trop vague. Les parties ne sont nullement tenues de faire des liens clairs et directs. On ne connaît ni les données ni les intentions. Il n'est même pas question de faute grave, d'absence de diligence raisonnable ou d'acquiescement de la part de l'organisme de bienfaisance avant qu'un tel organisme ne soit pris, quand une partie de ses ressources est directement ou indirectement utilisée pour appuyer un groupe terroriste.
Deuxièmement, le projet de loi est flou quand il mentionne les termes «ses ressources», «indirectement», «supporters» et «terrorisme».
• 1000
Le troisième point est que la procédure qui sera suivie dans
ce procès du SCRS est inacceptable. Il s'agit d'une procédure
secrète et arbitraire. J'ai plaidé dans de tels procès en vertu de
la Loi sur l'immigration. Que personne ne s'y méprenne, on
n'obtient pas de résumé des faits, on n'obtient pas de résumé de la
preuve. Ce que l'on obtient, c'est un résumé des allégations et des
conclusions du Service. On n'obtient pas un résumé des faits. Donc,
ce qui normalement devait être un procès d'une journée s'est révélé
être un procès de 14 à 50 jours. Ces procédures se poursuivent
pendant des années. L'avocat doit retourner toutes les pierres
qu'il peut trouver, parce qu'il ne sait pas ce que sont les
allégations. Il faut examiner tout le fonctionnement de l'organisme
de bienfaisance ainsi que toute la structure du prétendu groupe
terroriste, si l'on en désigne un. Cela pourrait prendre des
années. Ces audiences pourraient prendre des années. Aucun
organisme de bienfaisance ne peut se permettre de payer les
honoraires d'avocat pour se défendre dans un cas ou dans l'autre.
Quatrièmement, les procédures sont des procédures secrètes et arbitraires qui ne sont pas conformes à notre Charte des droits. J'ai lu la transcription de ces procédures. La Cour suprême du Canada ne les a pas encore examinées. La Cour suprême n'a pas encore statué sur ma demande d'autorisation. Nous ne savons pas encore si nous obtiendrons la permission. La Cour suprême n'a jamais examiné la constitutionnalité de ces procédures.
Cinquièmement, ce projet de loi impose une responsabilité absolue à l'organisme de bienfaisance sans qu'il ne soit moralement répréhensible. Notre système juridique a toujours dit qu'avant d'être puni, il faut être moralement répréhensible. C'est là une responsabilité absolue. Si l'action est posée, que vous soyez informé ou non, vous êtes pris.
Le sixième élément est que le nom de l'organisme de bienfaisance n'est dissimulé que si le tribunal le demande, mais il y a un délai entre le moment où le certificat est signé par le ministre et le moment où il est présenté au tribunal. L'expérience nous révèle qu'en ce qui concerne les certificats d'immigration par exemple, le National Post annonce qui a été arrêté avant même que la famille sache que la personne a été arrêtée. Il va y avoir un délai où l'organisme de bienfaisance sera désigné. On a donc le pire des deux mondes: l'organisme de bienfaisance est désigné et ensuite, s'il demande que son nom soit dissimulé, qu'est-ce qu'en déduit le public? Donc, le nom de l'organisme de bienfaisance devrait être gardé secret dès que le certificat est signifié.
Le septième point est qu'une allégation va mettre n'importe quel organisme de bienfaisance en faillite. Je peux vous le dire, c'est connu, un procès du SCRS d'une durée de 14 jours en matière d'immigration au tarif de l'aide juridique dans l'affaire Jaballah a coûté 64 000 $. Multipliez ça par quatre pour un honoraire privé et le même procès aurait coûté 300 000 $ à M. Jaballah. Et ça, c'est pour 14 jours en cour. Alors imaginez un procès d'un mois, qui est le minimum dont on aura besoin pour un organisme de bienfaisance—on parle ici d'un million de dollars dès le départ.
Mon huitième point est le suivant. Les lois sur les organismes de bienfaisance, leur classification, remontent au Statute of Elizabeth de 1601. La Cour suprême du Canada, la Cour fédérale, les commissions royales d'enquête dans leurs rapports ont imploré le Parlement à maintes reprises d'examiner toute la structure des organismes de bienfaisance. Nous avons aujourd'hui la possibilité de le faire et ce qu'on nous sert, c'est encore plus de confusion et d'inquiétude.
Le Congrès recommande donc, si ce projet de loi doit être adopté, compte tenu des 400 ans d'histoire, compte tenu des dommages qu'il fera, du stéréotype de groupes comme les musulmans, les Sikhs, les Tamouls, que le gouvernement le soumette à la Cour suprême avant qu'il ne cause de torts. Le gouvernement doit aux 80 000 organismes de bienfaisance, aux milliards de dollars et au travail sans relâche de ces organismes le soin de soumettre le projet de loi aux tribunaux avant qu'il ne fasse ses ravages.
Si vous allez à la page 3 de la déclaration de six pages que nous vous avons présentée, la première recommandation du Congrès consiste à modifier la définition. Ce que j'ai fait ici, c'est que j'ai pris la composante opérationnelle de l'article 163 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui est la section sur les pénalités. Si on vous impose une pénalité en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, on stipule que la personne doit «sciemment, ou dans des circonstances équivalant à faute lourde», faire un faux énoncé, y participer, y consentir ou y acquiescer...
J'exhorte donc le comité à modifier les alinéas 4a) et b) du projet de loi pour qu'ils se lisent ainsi:
-
qu'un demandeur ou un responsable d'un organisme de bienfaisance
enregistré, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute
grave, fait, participe ou acquiesce à l'utilisation de ses
ressources [...]
Là au moins, on ne pénalise pas des personnes qui ne sont pas au courant de ce qui se passe, qui n'auraient jamais acquiescé, qui n'ont aucune intention de soutenir le terrorisme. Au moins, le juge qui examine les faits en l'espèce doit être convaincu que l'organisme de bienfaisance ou bien savait, ou bien a fermé les yeux.
• 1005
La deuxième recommandation, à la page 4 de la déclaration, est
que «les soutiens au terrorisme» et cette notion «d'indirect» sont
trop vagues. En vertu de notre Charte des droits et libertés, nous
avons une doctrine qui s'appelle le flou et la Cour suprême a
déclaré qu'une loi doit être suffisamment claire pour informer les
gens afin qu'ils puissent mener leurs affaires. En vertu de cette
loi, cela est impossible. On ne sait pas ce qu'est une organisation
terroriste. On ne sait pas quelle définition du terrorisme on
utilise.
Le Congrès propose soit que le terme «terrorisme» soit défini, soit qu'il y ait une liste d'organisations que le gouvernement du Canada et le SCRS considèrent comme terroristes. Si on ne peut définir le terrorisme, nous savons certainement quelles organisations nous considérons comme terroristes, et tout comme la loi sur les drogues, on pourrait publier une liste, modifiée par ajouts et suppressions à l'occasion par le gouverneur en conseil. Au moins, à ce moment-là, l'organisme de bienfaisance sait, qu'on soit d'accord ou non, que le Canada considère cette organisation comme terroriste, et devrait s'assurer qu'il ne subventionne cette organisation d'aucune façon.
L'idée de soutien est aussi vague. Un supporter peut être à cinq ou six degrés de soutien différents. Il pourrait s'agir de quelqu'un qui rédige un éditorial de journal qui préconise l'indépendance du Punjab ou l'indépendance d'un État tamoul. Est-ce que cette personne soutient le terrorisme? Est-ce qu'une personne qui proteste à Québec contre la mondialisation appuie le Bloc noir qui mène des activités violentes lors de ces manifestations? La réponse est manifestement non.
Je dirais que si vous êtes honnêtes avec vous-mêmes en tant que députés, si ce projet de loi devait être appliqué aux partis politiques qui reçoivent de l'argent et accordent des déductions d'impôt en vertu de la loi électorale, pour ce qui est des gens qui appuient le terrorisme, aucun parti politique de cette Chambre n'aurait le droit d'émettre des reçus d'impôt—c'est pour vous montrer à quel point ce projet de loi est vague—parce que vous aurez tous assisté à des fonctions ou des dîners où il y a quelqu'un qui appuie le terrorisme. Si ce projet de loi devait être également appliqué à votre situation fiscale, en tant que députés et partis politiques, vous n'en auriez pas de situation fiscale.
L'idée de «indirectement» est également offensante. Il y a ici un écart d'innombrables degrés de soutien. Ce dont nous avons besoin, c'est de définir des filiations claires et directes. Et par claires et directes, on ne se limite pas à une filiation univoque ou exclusive, il pourrait s'agir d'une série de quatre dominos. Mais le lien doit être clair et direct de A à B à C à D, et non pas de A à B à C à Z, où Z est tellement éloigné du début que personne ne pourrait même penser qu'il y a un lien.
La troisième recommandation que vous trouverez à la page 5 de la déclaration est que lorsqu'il n'y a pas de lien clair et direct entre l'organisme de bienfaisance et l'organisation terroriste ou son supporter, la loi devrait pourvoir un processus de consultation entre le ministre et l'organisme de bienfaisance avant qu'un certificat ne soit signifié, pas par générosité administrative, mais bien en respectant un droit prévu par la loi. J'ai rédigé à l'intention du comité un projet d'article qui pourrait être efficace. S'il y a un lien direct entre un organisme de charité et une organisation terroriste, cela ne fera pas de problème, le SCRS fera son rapport. Mais si cela passe par quatre ou cinq maillons différents, je crois que le ministre devrait avoir l'obligation de consulter d'abord l'organisme de charité, de lui dire qu'il y a un problème, de lui dire d'agir avec diligence raisonnable et de lui faire rapport. Si l'organisme de bienfaisance convainc le ministre qu'il n'était pas au courant ou qu'il va mettre un frein à une activité qu'il ne connaissait pas ou sur laquelle il n'est pas d'accord, à ce moment-là, on ne devrait pas signifier de certificat.
Mon intention en rédigeant ce projet d'article, c'est que rien au paragraphe (1) ne devrait être interprété comme obligeant le ministre à révéler ni l'origine, ni l'identité de la personne à la source de renseignements ou de preuves de façon à enfreindre la règle de la tierce partie en vigueur en vertu de la Loi sur le SCRS. C'est là que le SCRS se justifie pour refuser de révéler le nom d'informateurs secrets. Très bien, mais on peut au moins donner la nature de la preuve, sa source. Est-ce que ce sont des photos? Une rumeur? Qu'en est-il? De quel pays s'agit-il? De quelle organisation? Faisons nos enquêtes, autrement c'est injuste. C'est véritablement une procédure secrète et arbitraire. C'est une loi qui pourrait être adoptée en temps de guerre. C'est ainsi que des Italiens ont été internés lors de la Seconde Guerre mondiale. C'est ainsi que des Japonais ont été internés. Des clubs philanthropiques étaient fermés en vertu de ce genre de loi, ils étaient considérés comme sujets d'un pays ennemi, et nous allons adopter une telle loi en temps de paix avec diverses communautés.
J'ai participé à des procès du SCRS avec des prétendus membres du Djihad égyptien. Dans le premier, le certificat a été annulé. J'ai passé 14 jours sans savoir quelle était la preuve. Je ne le sais toujours pas. J'ai simplement l'impression d'avoir convaincu le juge que les agents du SCRS étaient incompétents et qu'ils avaient induit le tribunal en erreur. C'est tout ce que je peux retirer de cette procédure. Je ne sais toujours pas ce qui s'est passé.
• 1010
Nous ne devrions pas avoir à adopter ce genre de mesure
législative en temps de paix. J'ai vu ce que les procès du SCRS et
la Loi sur l'immigration ont fait à la communauté musulmane.
L'anxiété, la peur et la méfiance sont à leur paroxysme. Toutes les
mosquées ont peur de s'associer librement parce qu'elles craignent
d'avoir affaire à des agents du SCRS. C'est un fait, c'est une
réalité.
À la page 6, vous avez les six autres recommandations plus concrètes. Je vous laisse le soin de les examiner. Mais la dernière chose que j'aimerais dire au sujet du projet de loi, c'est que si vous y pensez comme il faut, cette mesure législative mène directement au désastre. Un groupe religieux, un groupe racial au Canada se dénonceront mutuellement en fournissant des renseignements au SCRS. Cela va détruire ce que nous avons édifié au Canada, c'est-à-dire la cohésion religieuse et raciale dans une société multiculturelle. Cette disposition est une chasse aux sorcières. Une véritable recette pour un désastre.
Merci de votre attention.
Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): Merci beaucoup, monsieur Galati. Je ne sais pas si cela est assez évident pour les membres du comité, mais je ne pense pas que nous allons étudier ce projet de loi article par article très bientôt.
Des voix: Oh!
Le président: Il nous faut certainement discuter des questions qui touchent ce projet de loi. Nous allons avoir beaucoup de temps pour ce faire durant l'été.
Nous entendrons maintenant Mme Chantal Tie et M. Michael Bossin. Soyez les bienvenus.
Mme Chantal Tie (directrice exécutive, Services juridiques communautaires, sud d'Ottawa, Conseil canadien pour les réfugiés): Merci.
Mon nom est Chantal Tie et je représente le Conseil canadien pour les réfugiés. Je vous présente Michael Bossin. Nous allons partager notre exposé. Je vais faire l'introduction et M. Bossin traitera de l'absence de définition du terrorisme, de la structure générale ainsi que de l'approche du projet de loi.
Le Conseil canadien pour les réfugiés s'intéresse à cette mesure législative pour deux raisons. Nous sommes une organisation qui en regroupe d'autres et nombre de nos membres seront directement touchés par le nouveau projet de loi—probablement certains des organismes de bienfaisance les plus touchés, car les conditions qui créent les réfugiés sont normalement celles qui créent également des organisations qui risquent d'être ciblées ou d'être étiquetées comme terroristes.
Deuxième raison, le projet de loi, tel que nous le comprenons et le voyons clairement, est modelé sur les dispositions de la Loi sur l'immigration en matière de sécurité. Nous comptons maintenant près de 10 ans d'expérience pour avoir vu des dispositions très semblables en vertu de la Loi sur l'immigration, et nous sommes ici pour vous faire part de nos expériences et vous donner des exemples concrets qui expliqueront pourquoi ce projet de loi ne fonctionnera pas, comment il sera appliqué et qui en subira les contrecoups.
Toutes les craintes évoquées par M. Drache de l'ABC et M. Galati ont été confirmées dans le contexte de l'immigration. Ce ne sont pas des hypothèses, mais des faits concrets. Les intervenants précédents ont posé un certain nombre de questions. Que se passera-t-il? C'est peut-être une bonne chose que nous intervenions en dernier parce que je crois que nous pouvons répondre à certaines de ces questions en puisant dans le contexte de l'immigration.
Lorsque les bureaucrates nous disent de leur faire confiance, notre expérience nous empêche d'acquiescer. Nous avons remis—je ne sais pas s'il a été distribué—le rapport du Conseil canadien pour les réfugiés portant sur les réfugiés et la sécurité. Nous nous excusons, le rapport n'est disponible qu'en anglais pour l'instant, mais nous nous sommes dit qu'il était important de le remettre quand même. Il renferme des détails sur nos préoccupations générales de même que des études de cas qui illustrent incroyablement bien les problèmes dans le contexte de l'immigration.
Ces préoccupations peuvent être résumées très rapidement. La Loi sur l'immigration ne contient pas de définition du terrorisme. Il n'y a pas de définition d'appartenance, ce qui ressemble aux problèmes qui découleront des activités prévues à votre article 4. Il n'y a pas de processus clair et transparent applicable à l'examen des certificats de sécurité. Cela ressemble beaucoup à ce que M. Galati a décrit.
M. Bossin abordera en détail la question de l'absence de définition du terrorisme, mais j'aimerais m'attarder sur le problème concernant l'article 4 où il est question d'un organisme engagé dans le terrorisme ou dans des activités qui soutiennent le terrorisme.
• 1015
Notre problème est surtout que la définition ne tient pas
compte du fait que de nombreuses organisations prétendument
terroristes sont en réalité des organisations multidimensionnelles.
Dans certaines régions du monde, elles constituent le gouvernement
de facto et elles gouvernent les gens. Ces organisations offrent
les services de santé, d'éducation et les services sociaux accordés
à ceux qui vivent sous leur contrôle.
Je peux vous donner deux exemples historiques. L'ANC et l'OLP—l'African National Congress et l'Organisation de libération de la Palestine—étaient manifestement étiquetés comme des organisations terroristes. Leurs dirigeants avaient besoin de permis spéciaux pour entrer au Canada.
Tout cela a changé maintenant. Nelson Mandela a été décrit comme le plus grand citoyen du monde par notre premier ministre. Il a été invité à s'adresser au Parlement ici à Ottawa. Historiquement, les deux organisations étaient fortement impliquées dans le travail humanitaire, à aider les gens pour lesquels elles se battaient en même temps. Donc, il y a un véritable problème en ce qui concerne les activités qui soutiennent le terrorisme, surtout lorsqu'elles vivent sous le même toit.
Qu'est-ce que nous savons de la façon dont le gouvernement canadien, et le SCRS en particulier, ont traité ce genre d'organisations? Je vous invite à examiner attentivement les études de cas qui commencent à la page 18 de notre document, concernant Suleyman Goven et M. Durgun. Ce que nous avons appris de l'examen du CSARS et de l'enquête du SCRS, c'est une critique détaillée de la part du CSARS déplorant l'absence de définition adéquate de l'appartenance, de définition adéquate d'une organisation terroriste, et que le processus d'interview et de rapport sur les enquêtes de sécurité manque de clarté.
C'est la question de l'appartenance qui a induit le gouvernement à qualifier et M. Durgun et M. Goven de terroristes. Nous avons un problème semblable avec les mots «activités qui soutiennent le terrorisme». Qu'est-ce que cela veut dire?
Dans le contexte de l'immigration, M. Durgun était un nationaliste kurde respectueux de la loi, pacifique et non violent. Mais il a été catalogué comme terroriste à cause des dispositions extrêmement vagues concernant la sécurité dans la Loi sur l'immigration. Essentiellement, il appuyait le nationalisme kurde. Selon le CSARS, il était ridicule d'appliquer à cet homme la définition de terroriste et il a renvoyé la question au SCRS.
Au lieu de corriger son processus, de définir le terme terroriste de façon plus rationnelle et plus raisonnable, et d'accepter M. Goven et M. Durgun, le SCRS a émis un rapport de refus.
Nous sommes déçus de constater que le SCRS semble être incapable de faire la distinction entre divers degrés de soutien et d'appartenance à une organisation qu'il a classée terroriste. Il ne peut faire la différence entre activité politique, activité humanitaire et activité paramilitaire. À notre avis, les organisations canadiennes qui appuient l'activité humanitaire vont tomber dans les filets du SCRS à cause de son incapacité de faire la distinction, par le manque de clarté et par l'absence d'une définition inscrite dans la Loi.
Nous avons aussi vécu l'expérience, que je pourrais comparer à celle du Congrès islamique canadien, à savoir que le SCRS a étendu très largement ses tentacules de façon sélective. Il ne fait aucun doute que les organisations islamiques ont été à maintes reprises qualifiées de terroristes alors que des membres de la communauté kosovare, par exemple, n'ont pas vécu la même expérience. Il y a donc des cibles prédéterminées qui sont la proie d'un système occulte.
M. Bossin traitera maintenant de la définition d'une organisation terroriste.
M. Michael Bossin (avocat, Services juridiques communautaires, Ottawa—Carleton, Conseil canadien pour les réfugiés): Si j'ai deux minutes, je vais prendre deux minutes.
Comme l'ont dit les autres témoins, ce projet de loi est très bizarre. Son objectif est de supprimer une certaine activité—l'activité terroriste, le terrorisme—pourtant le projet de loi ne donne nulle part la signification du terrorisme, ce que les autres témoins ont également relevé.
Du point de vue du CCR, et c'est une question de principe, il est toujours préférable de spécifier dans la loi ce qui constitue une activité interdite afin que les gens puissent agir en conséquence. Le projet de loi C-16 choisit l'option contraire—une approche plutôt rétrograde—qui consiste à ne pas définir le terrorisme. Je répète que l'objectif central de cette mesure législative est de mettre un frein au terrorisme, et on ne le définit d'aucune façon, ce qui oblige les organisations à deviner si leurs actions sont conformes à la loi ou non. Le projet de loi prévoit qu'il y aura enquête à un moment donné et qu'on punira les organisations en les privant de leur statut d'organisme de bienfaisance après coup. À tout le moins, c'est une façon très maladroite et grossière de prévenir une activité interdite. Comme d'autres témoins l'ont dit, c'est aussi injuste.
• 1020
En vertu du projet de loi C-16, comment un organisme de
bienfaisance peut-il savoir avec certitude s'il appuie un mouvement
de libération légitime ou une organisation terroriste illégale?
Sans définition du terme «terrorisme» ou d'«activité terroriste»,
il ne le sait pas.
M. Drache a qualifié de paresseux les rédacteurs de ce projet de loi. Ce n'est pas facile de définir le «terrorisme» et beaucoup de gouvernements et de tribunaux se sont heurtés contre ce terme, mais cela n'est pas impossible. De nombreux législateurs et autorités juridiques ont abordé ce problème et adopté une approche très fonctionnelle à l'égard du terrorisme en se concentrant sur les actes et non sur les éléments politiques. La prise d'otages est une activité terroriste, le détournement d'un avion aussi, des civils qui font exploser une bombe commettent aussi un acte terroriste—il n'est pas impossible de définir le terrorisme.
Comme l'a dit M. Galati, d'autres gouvernements ont adopté une autre approche à l'égard de ce problème; au lieu de prendre l'approche rétrograde du projet de loi C-16, on dresse une liste d'organisations que le gouvernement considère comme terroristes. On prévient les organismes de bienfaisance et on leur dit que s'ils envoient de l'argent à l'une ou l'autre de ces organisations, on appliquera les sanctions. À ce moment-là, les organismes de bienfaisance connaissent au moins les règles du jeu. Le projet de loi n'informe personne des règles du jeu, sauf après coup, ce qui le rend particulièrement injuste.
Merci.
Le président: Nous allons maintenant passer à la période des questions.
Monsieur Epp.
M. Ken Epp (Elk Island, AC): Merci, monsieur le président, et merci à vous tous et toutes d'être là. J'ai été extrêmement intéressé par vos présentations et elles sont tout à fait conformes à ce que nous avons déjà entendu au comité lors des audiences sur le projet de loi C-16.
J'aimerais vous poser une question. Il y a beaucoup d'organisations qui confondent leurs activités. Il en a encore été question ici aujourd'hui. Vous financez des hôpitaux. Dans ces hôpitaux, vous traitez des enfants qui sont blessés dans une guerre qui n'est pas la leur. Vous pouvez aussi traiter les blessés qui transportaient la bombe qui a causé les blessures. Il y a donc là une certaine équivoque.
À votre avis, existe-t-il une façon de débroussailler tout cela? Par exemple, M. Bossin vient tout juste de dire que nous pourrions dresser une liste d'organisations. Je crois que c'est illusoire parce que, d'abord, dès que le nom de l'organisation est sur la liste, elle n'a qu'à prendre un autre nom et poursuivre ses activités. Je pense que la cible bouge trop rapidement pour qu'on puisse l'atteindre.
Je ne sais vraiment pas comment on pourrait régler ce problème, et personne n'en a parlé. Vous nous avez prouvé votre érudition aujourd'hui en expliquant et en illustrant les lacunes du projet de loi, mais personne ne nous a fourni un moyen de vraiment contourner le problème, et je crois que ce moyen existe.
Même en ce qui concerne le terrorisme, on peut le définir, mais que se passe-t-il si quelqu'un fait un geste qui est aux limites de l'activité définie, une action préjudiciable mais qui n'est pas incluse dans la définition? Est-ce que l'organisme s'en tire alors? Il me semble que dans ce cas en particulier, c'est terrible de ne pas avoir défini le geste, mais la tâche de véritablement le définir est pratiquement impossible. Donc, j'aimerais avoir des solutions.
M. Rocco Galati: Permettez-moi de soumettre à votre réflexion quelques matières philosophiques. Je vous ai proposé une définition du terrorisme d'une phrase. Le problème, pour définir le terrorisme, ce n'est pas sa définition, c'est d'accepter sa définition et son application à tous. Voici une définition pratique du terrorisme que je propose au nom de mon client: un acte terroriste est un acte commis par un individu ou un groupe armé contre un civil ou un groupe non armé pour des motifs politiques, économiques, raciaux ou religieux, y compris le terrorisme d'État.
• 1025
Si vous êtes en présence de deux individus armés, ou de deux
groupes armés, à ce moment-là, ce n'est pas du terrorisme, c'est de
la trahison, un meurtre, une insurrection, une révolution ou peut-être une
libération légitime ou une guerre tout simplement.
Mais revenons à l'idée de la menace ou de l'utilisation effective de la violence par un individu armé ou un groupe contre un civil ou un groupe non armé et ça c'est du terrorisme. C'est là qu'est le problème. Nous acceptons de poser nos propres actes terroristes et de permettre à nos amis de le faire lorsque cela nous convient, voilà pourquoi c'est difficile de définir le terrorisme.
M. Ken Epp: Est-ce que l'un ou l'autre d'entre vous suppose que le Canada aurait encore la moindre crédibilité morale si le projet de loi était adopté et que le monde entier sache qu'au Canada, si vous collectez de l'argent pour une activité terroriste et que vous vous faites prendre, vous ne pouvez plus donner des reçus de charité? C'est ridicule. Je suis d'accord avec l'Association du Barreau canadien qui a affirmé vigoureusement qu'il s'agit là d'une activité criminelle qui devrait être assujettie au Code criminel. Il devrait s'agir d'une activité interdite et ceux qui s'y adonnent devraient aller en prison. Il ne suffit pas que l'enregistrement de l'organisme de bienfaisance soit tout simplement radié. Nous ne serions pas aussi laxistes envers quelqu'autre organisation. Par exemple, si quelqu'un exerce ses activités professionnelles dans les vols de banques, est-ce qu'on le punit en lui disant qu'il ne pourra plus déduire ses dépenses d'affaires lorsqu'il produira sa déclaration de revenus?
Mme Chantal Tie: C'est aussi la position du CCR.
M. Ken Epp: Je vais proposer—et notre président y a fait allusion tout à l'heure—que le comité relègue le projet de loi aux oubliettes. Êtes-vous d'accord avec moi?
M. Rocco Galati: Le Code criminel prévoit déjà des dispositions. Prenez un acte terroriste, monsieur, tel que je l'ai défini. Cet acte constitue déjà soit une tentative de meurtre, soit une agression. C'est déjà une infraction prévue au Code criminel. Si vous collectez des fonds et que vous appuyez cette activité consciemment ou de façon aveuglément volontaire, vous êtes partie ou accessoire avant ou après le fait. Le Code prévoit déjà des sanctions à cet égard.
Que quelqu'un fasse sauter un immeuble parce que telle personne qui se trouve dans cet immeuble vole ses drogues ou qu'elle a couché avec son conjoint ou sa conjointe ou que la personne soit de faction religieuse ou raciale que l'autre ne peut supporter, est-ce que cela change la nature horrible du meurtre ou de l'explosion? Le motif seul change. C'est déjà un crime, monsieur, peu importe le motif.
M. Ken Epp: Mais est-ce un crime actuellement d'être accessoire au crime si le crime a lieu dans un autre pays du monde?
M. Rocco Galati: Certainement, c'est un crime.
M. Ken Epp: Au Canada?
M. Rocco Galati: Oui, monsieur. J'intenterais des poursuites immédiatement. Oui, c'est un crime. Si je vous paie pour faire sauter quelqu'un, je suis partie à cette infraction, bien sûr, en vertu de l'article 21 du Code criminel.
M. Ken Epp: Merci. Vous êtes avocat, pas moi.
J'ai terminé. J'apprécie beaucoup vos exposés. Ils sont clairs, succincts et bien ciblés. Je pense que je sais où je m'en vais maintenant. Merci.
Le président: Monsieur Loubier.
[Français]
M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ): Merci, monsieur le président.
Je suis encore à me demander pourquoi le gouvernement a présenté un tel projet, surtout circonscrit aux organismes de bienfaisance? Ce sont des organismes parmi d'autres et la lutte au terrorisme n'est pas soutenue par les organismes de bienfaisance.
Deuxièmement, je suis aussi un peu bouleversé par le libellé du projet de loi. Parfois je me demande si le Canada n'est pas en train de perdre son titre d'État de droit, puisque ce projet de loi ne donne aucune chance aux intimés. La preuve est faite ailleurs et derrière des portes closes par le Service canadien du renseignement de sécurité. Vous pouvez en appeler cinq ans après, mais en appeler de quoi? Vous ne connaissez même pas les preuves, ni d'ailleurs les accusations.
J'ai parfois l'impression—et j'ai relu ce projet-là à plusieurs reprises pour bien en saisir la portée—, de vivre un peu à l'ère de Big Brother ou dans une ère qui ressemble à ça.
Je me demande, à la lumière de ces impressions, s'il ne serait pas mieux, comme le dit M. Epp, de mettre ce projet de loi à la poubelle et de commencer par codifier correctement et précisément dans le Code criminel ce qu'est la participation financière à un groupe terroriste et par prévoir des sanctions.
On pourrait ensuite augmenter les ressources responsables du contrôle à l'intérieur des frontières canadiennes. On se rappellera tous de plusieurs cas, entre autres des cas récents comme celui d'Ahmed Ressam qui s'est promené pendant plusieurs mois au Canada sans être aucunement dérangé, mais pas du tout. On se rappellera aussi d'autres cas qui ont démontré qu'il n'existait aucune coopération entre le SCRS, la GRC, Immigration Canada et le solliciteur général, ce qui fait qu'à un moment donné, on perd la trace soit de terroristes soit de criminels. On se rappellera aussi du cas récent de Gaetano Amodeo, accusé en Europe d'avoir tué deux policiers ou quelque chose d'approchant. On s'est aperçu qu'il n'y avait pas de coopération entre les ministères concernés, pourtant, par le même individu.
• 1030
Je vous pose donc la question: ne serait-il pas mieux
de mettre ce projet de loi à la poubelle, de codifier
ce qu'est un soutien financier à des activités
terroristes dans le Code criminel ainsi que des
sanctions, et d'octroyer des ressources supplémentaires
aux instances concernées, soit Immigration Canada, le
solliciteur général et même le SCRS pour qu'ils
puissent au moins travailler ensemble afin d'augmenter
leur efficacité.
Ce projet de loi me laisse sous l'impression d'être présenté pour donner meilleure allure au gouvernement fédéral après l'histoire d'Ahmed Ressam, et pour satisfaire un tant soit peu les autorités américaines qui avaient exprimé un terrible mépris du gouvernement canadien à la suite de cet événement.
J'aimerais entendre votre opinion là-dessus.
Me Rocco Galati: D'abord, je suis d'accord sur vos observations. À mon avis, sans exagérer le terme, c'est une loi de dictature. On en a retiré complètement la notion de la primauté de droit qui existe au Canada. Ces activités sont déjà contre la loi selon le Code criminel du Canada. Donc, selon mes clients, on est d'accord sur votre sentiment.
Cependant, si le projet de loi était adopté, on vous demanderait de mettre en application au moins ce qu'on a suggéré ce matin. Cette loi ne reconnaît pas la primauté de droit. C'est vraiment un projet de loi qu'on trouve dans un contexte de guerre ou dans une dictature, pas dans une société constitutionnellement démocratique.
[Traduction]
Le président: Y a-t-il d'autres commentaires?
[Français]
Monsieur Loubier.
M. Yvan Loubier: Non. Pour moi, cela couvre la question.
[Traduction]
Le président: Monsieur Gallaway.
M. Roger Gallaway (Sarnia—Lambton, Lib.): Merci, je vais poser seulement une ou deux questions.
Monsieur Drache, vous avez qualifié les rédacteurs du projet de loi d'intellectuellement paresseux. Je peux vous assurer que les gens que j'ai entendus et que j'ai rencontrés qualifiaient le projet de loi, dans les meilleurs termes, de «torchon». À votre avis, à titre d'ancien rédacteur de lois, est-ce que ce projet de loi est irrécupérable ou s'il pourrait être amendé? Le jetteriez-vous aux poubelles ou si vous l'amenderiez?
M. Arthur Drache: Ma propre réaction serait de le jeter aux poubelles, parce que je crains de réprouver la philosophie qui le sous-tend. Je ne pense pas qu'il puisse être récupéré, peu importe ce que l'on y fasse. Il peut être amélioré. On peut le rendre moins pire que désastreux—on peut aborder la question de la définition, et ainsi de suite. Mais il y a aussi l'intention qui est derrière.
Par exemple, vous soulevez la question de la combinaison d'activités. Si vous assumez au départ que l'organisation canadienne a l'intention de mener une activité de bienfaisance, de promouvoir l'éducation, d'exploiter un hôpital, ou peu importe, vous êtes conscient que dans certaines régions du monde, ces installations favoriseront peut-être des «organisations terroristes», peu importe la façon dont on les définit.
Il me semble que la question fondamentale—et M. Galati en a parlé—est l'intention. Mon intention, en tant que directeur exécutif d'une organisation canadienne, est de financer un hôpital au Cachemire, ce que nous faisons, en offrant tous les services. Un terroriste nous est amené et est traité—ou deux terroristes, ou trois.
• 1035
Notre intention n'était que de financer un hôpital. Dans le
fait de soigner quelques terroristes, il me semble qu'il n'y a pas
d'intention criminelle, de mens rea. C'est l'élément crucial. Si la
prépondérance de la preuve démontre que l'intention prédominante,
en allant dans des régions qui sont en conflit et où se trouvent
des terroristes, était de leur venir en aide, même indirectement,
je crois alors qu'on a une bonne cause.
Il faut examiner l'intention des gens qui dirigent les organisations canadiennes. J'ai beaucoup de clients de bonne réputation qui travaillent dans des régions à risques, mais ils ne peuvent garantir l'identité de toutes les personnes qui utilisent l'un ou l'autre des services qu'ils offrent en Somalie ou en Éthiopie. Ils ne le savent pas. Leur intention n'est pas de promouvoir les conflits, mais plutôt de faire du bien.
Il me semble que peu importe l'orientation que prendra le projet de loi, surtout s'il s'oriente du côté criminel, il faudra certainement faire la preuve de l'intention. Si vous restez du côté civil, le genre de rédaction que M. Galati a proposée qui utiliserait les termes tirés de l'article 163 de la Loi de l'impôt sur le revenu, et en tablant là-dessus, serait aussi utile. Mais au fin fond de moi, ultimement, le problème concerne ceux qui prennent les décisions de porter des accusations, de prendre action, la mesure dans laquelle on peut leur faire confiance pour traiter équitablement avec les organisations. Ce que nous disons tous ici aujourd'hui, et nous parlons au nom d'organisations différentes, c'est qu'il n'y a pas ce climat de confiance. Je n'ai aucune raison de croire que tout à coup, ce climat va changer.
Donc la réponse simple à votre question est que je jetterais le projet de loi aux poubelles.
Mme Chantal Tie: J'ajouterais seulement une chose pour pousser l'exemple un cran plus loin. Il arrive souvent que certaines de ces organisations contrôlent des régions importantes d'un pays. Dans ces circonstances, il arrive souvent que la seule façon d'offrir des services humanitaires aux gens qui vivent dans ces régions est de collaborer avec ces organisations terroristes qui contrôlent la population ou avec quelqu'autre gouvernement de facto dans ces régions. Donc, les zones grises sont très larges. Le projet de loi suppose que tout est noir ou blanc. Ce n'est pas le cas. Le monde n'est pas aussi simple.
Le CCR préconise de jeter le projet de loi et d'utiliser le Code criminel pour sanctionner des activités terroristes et criminelles spécifiques. Il faut faire attention parce que si les organismes de bienfaisance ne peuvent offrir leurs services humanitaires dans des régions contrôlées par de prétendues organisations terroristes, il va y avoir encore plus de morts qu'il n'y en a actuellement.
Mme Wahida Valiante: Pourrais-je ajouter simplement quelque chose à ce qui a été dit? Je me suis rendue en Palestine et dans la bande de Gaza, pour aller visiter l'école des petites filles. C'est vraiment la seule école qu'il y a pour les filles. Habituellement, comme vous le savez, lorsque la pauvreté ou la guerre font rage, les femmes et les enfants, surtout les fillettes et les femmes, sont toujours laissés derrière. Il s'agit d'une école qui a été financée par certains organismes de bienfaisance du Canada. On me désignait lesquelles étaient orphelines. Le père de nombre d'entre elles était mort durant l'Intifada. Est-ce que je pourrais dire que ce sont les enfants de terroristes et que l'on ne devrait pas leur enseigner? C'est la seule bouée de sauvetage qu'il leur reste, l'argent qui vient du Canada.
L'absence de définition est un vrai problème, ne pas savoir exactement qui on définit comme terroriste. On pourrait véritablement défaire tout le bon travail qui se fait actuellement. C'est un pays très pauvre qui n'a pas de structures. L'école est financée par nous ici au Canada. Je crois même que l'ACDI a donné de l'argent récemment.
M. Roger Gallaway: J'aimerais poser une dernière question que j'adresse à MM. Drache et Galati. Y a-t-il une loi au Canada, pénale ou civile, où un accusé doit répondre à une accusation dont les accusateurs ne sont pas connus ni présents et pour laquelle tout ce que vous recevez est un résumé d'un groupe d'accusations... Y a-t-il une loi quelque part qui...?
Mme Chantal Tie: Oui, la Loi sur l'immigration. C'est très clairement ce qui nous donne 10 ans d'expérience à l'égard de ce processus même.
Si cela vous intéresse, le rapport du CSARS concernant MM. Govin et Durgun est disponible, et je peux le remettre au comité. Vous pourrez y lire ce qui s'est produit dans ces deux cas en particulier et dont votre comité a fait état l'an dernier, et vous allez voir comment ça fonctionne. C'est très clair.
M. Rocco Galati: Avec tout le respect que je dois aux membres du comité et aux rédacteurs bien intentionnés du projet de loi, notre loi renferme des scénarios très restreints—et j'en parle dans le mémoire que j'ai remis à votre comité—où dans des cas très spécifiques, on peut établir, disons, qu'un informateur va être tué ou est en danger, nos tribunaux ont conçu des processus judiciaires à l'aide de la common law pour protéger ces personnes, par exemple, pour obtenir de l'information à partir d'écoute électronique dans des affaires de trafic de stupéfiants ou de meurtre. Donc, des mesures très précises sont adoptées pour protéger les personnes en danger, mais cela mis à part, non, ça ne s'est jamais vu dans une démocratie constitutionnelle.
M. Roger Gallaway: Merci.
Le président: Merci, monsieur Gallaway.
Madame Barnes.
Mme Sue Barnes: Merci, monsieur le président.
Je suis très contente que ce projet de loi nous ait été présenté à l'étape de l'ébauche. Ce n'est vraiment pas une mesure que le Parlement approuve en principe actuellement. Je pense que nous avons entendu des témoignages cohérents. Nous devons absolument entendre bien haut la voix des gens les plus touchés.
Ce qui m'intéresse, c'est l'aspect constitutionnel de ce projet de loi, et j'aimerais que vos réponses soient consignées au compte rendu. Est-ce que vous croyez que ce projet de loi peut satisfaire aux critères d'un procès équitable dans notre pays?
M. Rocco Galati: Je sais que j'ai souvent monopolisé la matinée, et je m'en excuse, mais j'espère que la Cour suprême du Canada nous accordera la permission demandée.
La Cour suprême du Canada n'a jamais rendu de décision à ce sujet. Dix ans d'interprétation de lois par les tribunaux, ce n'est pas si long que cela. Il faut compter six ou sept ans avant de pouvoir présenter la cause à la Cour suprême. Mais bien honnêtement, si la Cour suprême du Canada confirme ce projet de loi dans sa totalité en regard de la Loi sur l'immigration, si elle en étudie effectivement la substance, et quand elle le fera, je peux vous dire aujourd'hui que je vais accrocher ma toge d'avocat. Je ne plaiderai plus jamais une autre de ces causes, parce que je crois que c'est un affront à la démocratie constitutionnelle.
Mme Sue Barnes: Monsieur Drache.
M. Arthur Drache: Je suis forcément d'accord avec M. Galati. Le droit constitutionnel et ses ramifications ne sont pas mon domaine d'expertise, mais en tant qu'avocat, un simple regard sur le projet de loi m'insulte profondément. Il va tellement à l'encontre de tout ce que j'ai appris à l'école de droit sur l'équité procédurale, et ainsi de suite...
Chaque fois que je parle aux avocats—et quelqu'un l'a mentionné ici aussi—ils me disent qu'il s'agit d'une procédure secrète et arbitraire. Essentiellement, dit-on, le projet de loi va vous priver de vos droits. C'est véritablement à cela que nous aboutissons. On va vous lier les mains derrière le dos, et vous allez maintenant avoir une audience à huis clos et, soit dit en passant, il n'y a pas d'appel, et si nous avons gain de cause, vous allez perdre tous vos actifs, peu importe vos intentions criminelles ou charitables.
C'est absolument renversant. Les procédures normales de désenregistrement d'organismes de bienveillance en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu sont suffisamment rigoureuses en soi. Il appartient à l'organisme de bienfaisance de prouver au ministre qu'il a tort; vous n'avez pas le droit de convoquer de témoins, tout est basé sur les documents. Il n'y a pas de contre-interrogatoire, rien du tout. La vie peut être parfois difficile pour l'avocat, mais au moins, il y a des protections procédurales. On se demande pourquoi les rédacteurs du projet de loi se sont dit que même le fait d'avoir pipé les dés contre les organisations lors d'un appel ordinaire n'était pas suffisant dans ce cas en particulier. C'est renversant.
M. Michael Bossin: J'ajouterais simplement que oui, il s'agit ici d'une question d'application régulière de la loi et nous souscrivons à toutes les préoccupations qui ont été soulevées. Le problème est compliqué par le fait que vous êtes accusé de soutenir des activités qui ne sont pas définies, si bien que non seulement vous avez les mains liées parce que vous ne pouvez pas connaître l'auteur des allégations portées contre vous, mais l'activité que vous êtes supposé avoir soutenue n'est pas évidente parce qu'elle n'est pas définie nulle part non plus.
• 1045
Donc, c'est manifestement une question d'application régulière
de la loi et de manque d'équité, tout cela, et nous sommes d'accord
avec tout ce que les autres ont dit.
Mme Sue Barnes: À votre avis, est-ce qu'il y a suffisamment de dispositions dans le Code criminel actuellement pour lutter contre le terrorisme, ou s'il faudrait en ajouter d'autres?
M. Rocco Galati: Je crois que s'il y a des preuves, le Code est clair dans ses diverses dispositions sur les crimes contre la personne, et le paragraphe 7(3.71), qui est toujours en vigueur, c'est-à-dire les dispositions sur les crimes contre l'humanité, ce que sont tous les actes terroristes.
Je suis d'accord avec les rédacteurs du projet de loi pour dire qu'il est très difficile de prouver une infraction criminelle. Donc, parfait, on ne veut pas financer des organismes de bienfaisance ou permettre à ces organismes d'utiliser l'argent des contribuables pour financer des activités terroristes, mais tout doit entrer sous le même chapiteau. Il faut avoir un processus équitable pour y parvenir.
Je tiens à préciser ici qu'après avoir lu le compte rendu de la dernière séance du comité, ce qui doit être prouvé dans un de ces processus, ce sont les motifs raisonnables de croire, etc., etc. Il n'est pas ici question de prépondérance des probabilités. On vous a dit que tout était équilibré, mais ce n'est pas vrai. Il y a déséquilibre. La jurisprudence l'établit clairement.
Donc, on vous impose une norme plus haute que la norme, et comme l'a dit M. Drache, vous arrivez dans la salle du tribunal, les mains menottées derrière le dos, les yeux bandés, les lumières sont éteintes, et on vous dit de contre-interroger. Je dis très bien, je vais montrer à ces gens-là que ce sont des menteurs, c'est ce que je peux faire de mieux. Quel système!
Le président: Quelqu'un d'autre?
M. Arthur Drache: En réponse à cette question, j'admets que le Code criminel, s'il est bien appliqué, couvrira en fait ce genre d'activités. Donc, ce que nous proposons, c'est peut-être que vous essayez de rendre le projet de loi plus concis plutôt que de s'en remettre aux dispositions générales du Code criminel sur le meurtre, sur divers actes contre la propriété.
Mais je dois dire aussi, en passant, que le soutien d'activités terroristes n'est pas l'activité normale d'un organisme de bienfaisance. Cela dit, le ministre peut invoquer les dispositions appropriées de la Loi de l'impôt sur le revenu pour désenregistrer un organisme de bienfaisance qui mène des activités contraires à son mandat. La procédure a été éprouvée, elle a été soumise à la Cour d'appel fédérale dans une dizaine de causes, et une cause s'est rendue jusqu'à la Cour suprême du Canada.
Je n'aime peut-être pas particulièrement ces procédures, mais au moins elles existent. Je ne comprends pas ce que les procédures proposées ajoutent, sauf de permettre aux bureaucrates d'éliminer même le minimum de protections que prévoit actuellement la Loi de l'impôt sur le revenu lorsque le ministère du Revenu prive un organisme de son statut d'organisme de bienfaisance. Je ne vois tout simplement pas ce que cela ajoute, sauf le matraquage accéléré de l'organisme et la suppression de ses droits.
Mme Sue Barnes: Monsieur Bevilacqua, je veux simplement préciser que le paragraphe 149(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu renferme actuellement des exigences spécifiques. Je pense que c'est peut-être une disposition enjoignant aux organismes de bienfaisance de se conformer strictement à la loi et de connaître dans quelle mesure ils ont la responsabilité de savoir comment leurs ressources sont dispensées. Je pense que cette disposition existe dans la Loi de l'impôt sur le revenu et qu'elle est régulièrement appliquée.
Le président: Je pense que les panélistes ont exprimé clairement leur point de vue.
Trois autres personnes veulent poser des questions et il nous reste 15 minutes avant de devoir quitter la salle, alors ne l'oubliez pas lorsque vous posez vos questions et que vous y répondez.
Monsieur McCallum, ensuite MM. Nystrom et Brison.
M. John McCallum (Markham, Lib.): Merci, monsieur le président.
J'ai été vraiment captivé par ce que j'ai entendu ce matin. Ce que j'allais dire a été soulevé en partie. Je ferai donc trois brefs commentaires sous forme de questions, et vous pourrez y répondre ensuite.
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D'abord, en me limitant à un point précis de la question plus
restreinte de la définition du terrorisme de M. Galati, soit qu'il
doit impliquer des attaques contre des personnes non armées, je
pensais que Timothy McVeigh était un terroriste même s'il avait
attaqué le gouvernement américain, qui, on le suppose, est armé.
Donc, je ne comprends pas cette définition.
Deuxièmement, au début j'ai eu l'impression que M. Drache considérait parfois acceptable de soutenir le terrorisme dans la mesure où on n'impose pas la subvention, ce qui m'a semblé bizarre.
Ensuite, j'ai entendu dire que personne ne peut soutenir le terrorisme parce que cela est interdit à l'article 20 du Code criminel. Ne conviendrait-il donc pas de renforcer le Code criminel ou, dans certaines circonstances, d'abaisser la norme de preuve?
Enfin, dans ce contexte, on entend toujours dire que la menace du terrorisme augmente actuellement dans le monde. Sinon, pourquoi les États-Unis proposeraient-ils de dépenser des milliards de dollars pour se protéger contre le terrorisme d'État? La technologie s'améliore. Dans certains cercles—et nous en avons entendu parler lors des audiences du Comité sur l'immigration—on affirme que le Canada est un lieu sûr. Une question plus générale, croyez-vous que l'on devrait mieux se protéger contre le terrorisme, soit en recourant au Code criminel ou par d'autres moyens, en supposant que cela soit fait comme il se doit?
M. Rocco Galati: Je suis tout à fait d'accord, et ça peut se faire aisément. Quant à votre exemple de McVeigh, cet immeuble abritait des enfants et des civils en plus des agents fédéraux et il n'a pas été accusé et reconnu coupable en fonction d'une disposition sur le terrorisme. On s'est servi du droit pénal de l'État. Cela répond à la question.
J'aimerais ajouter qu'il faut être très prudent quand on passe du terrorisme à l'acte terroriste à l'organisation terroriste. On ne peut inclure au même degré les trois éléments dans une définition nébuleuse globale. Ce que j'ai défini tout à l'heure, c'est un acte terroriste. Je pense que si vous définissez un acte terroriste de cette façon, vous faites un grand pas pour définir le terrorisme au-delà de la portée du meurtre, de l'agression, de l'agression avec lésions corporelles, si vous voulez.
Je ne veux pas prendre plus que ma juste part des 15 minutes.
M. Arthur Drache: Les membres du comité voudraient peut-être savoir ce que les Britanniques ont dit à ce sujet. Ils ont défini le terrorisme ainsi:
-
b) utilisation de la menace dans le but d'influencer le
gouvernement ou d'intimider le public ou un segment du public;
-
c) utilisation de la menace dans le but de promouvoir une cause
politique, religieuse ou idéologique.
Autrement dit, il n'est plus question de cupidité au sens normal. Alors l'action:
-
a) implique une violence grave contre une personne;
-
b) implique des dommages graves à la propriété;
-
c) met en danger la vie d'une personne autre que celle qui commet
l'action,
ou
-
e) est conçue pour perturber sérieusement ou interrompre
sérieusement un système électronique.
C'est la définition britannique, qui met l'accent sur la question du motif de l'organisation, sur la différence entre quelqu'un qui fait exploser un immeuble pour des gains personnels comparativement à quelqu'un qui fait sauter un immeuble pour des motifs politiques.
Je pense que même si l'on peut invoquer les dispositions du Code criminel, l'une des différences est bien sûr que ces dispositions sont normalement invoquées contre des individus, alors que dans ce cas-ci, il s'agit d'une disposition dirigée contre une organisation, ce qui fait évidemment toute la différence.
Mais je pense que la loi existante, si elle est bien appliquée, serait efficace.
Des commentaires précédents concernant les organismes sans but lucratif ou d'autres organismes qui ne sont pas couverts dénotent simplement que le projet de loi n'est pas allé jusqu'au bout. Quand on y regarde de plus près, la question est de savoir pourquoi ces groupes et pas d'autres? Si on inclut cela dans le Code criminel, il s'applique à tout le monde. Dans son libellé actuel, la loi s'appliquera à un groupe relativement restreint. On estime que pour chaque organisme de bienfaisance enregistré, il existe deux ou trois organismes sans but lucratif. Pourquoi n'en a-t-on pas tenu compte dans ce contexte, si l'on est sérieux au sujet de ce projet de loi?
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer à M. Nystrom, ensuite à M. Brison.
M. Lorne Nystrom (Regina—Qu'Appelle, NPD): Je tiens à féliciter les groupes pour leur exposé de ce matin.
J'aimerais tout simplement me demander à voix haute pourquoi notre gouvernement introduirait une proposition si draconienne. Avez-vous une idée? Je suppose qu'on devrait se poser la question plus sérieuse: Y a-t-il un autre pays au monde où une loi semblable est à l'étude? Lequel?
M. Arthur Drache: Je ne connais aucun autre pays qui ait des lois semblables concernant les organismes de bienfaisance.
Ce que je sais cependant, c'est qu'actuellement, l'interprétation des lois sur les organismes de bienfaisance, surtout en ce qui concerne les activités politiques, est beaucoup plus rigoureuse au Canada que dans n'importe quel autre pays assujetti à la common law. De fait, c'est un problème continuel dans notre pays, qu'on a toujours pris en exemple pour ses activités de défense des droits et ses activités politiques et pour ce que ça représente. Le Canada est beaucoup plus sévère maintenant que n'importe quel autre pays.
En ce qui concerne les activités terroristes et ainsi de suite, la position américaine et britannique, dans son ensemble, est de désigner expressément les organisations. On déclare simplement: cette organisation est une organisation terroriste. On ne peut lui donner d'argent. On ne peut faire ceci, cela, voilà c'est tout. On fonctionne par organisation.
M. Lorne Nystrom: Je pense que la plupart d'entre nous autour de cette table ont été longtemps de fervents admirateurs de Nelson Mandela. Supposons que M. McCallum ait eu un organisme de bienfaisance depuis 20 ans et que cette loi soit en vigueur depuis les 20 dernières années. Si M. McCallum avait financé la libération de Nelson Mandela, à quel moment ses activités seraient-elles devenues légales et à quel moment aurait-il financé un terroriste?
M. Rocco Galati: D'après le projet de loi, ce serait encore illégal aujourd'hui.
M. Lorne Nystrom: Donc, hypothétiquement, en vertu de ce projet de loi, les activités de M. McCallum seraient toujours illégales aujourd'hui.
M. Rocco Galati: Oui, parce que son organisme a subventionné M. Mandela. On utilise ici le passé.
Le président: Tout cela est hypothétique, soit dit en passant.
Monsieur Brison.
M. Scott Brison (Kings—Hants, PC): Je n'ai pas de questions.
Le président: M. Drache, un dernier commentaire?
M. Arthur Drache: Je dirais simplement que faute de définition, la question concernant M. Mandela est de savoir qui détermine qui est un terroriste? Sous le régime de l'apartheid, M. Mandela était un terroriste. Sous le régime actuel, M. Mandela est un héros. Qui va déterminer quel groupe est acceptable et quel groupe ne l'est pas? Est-ce le pays où l'activité a lieu ou est-ce que ce sera le Canada? Faute de définition, on ne le sait vraiment pas.
Mme Chantal Tie: Si vous me permettez d'ajouter simplement ceci, je vous inviterais à examiner la cause mentionnée à la page 15 de notre mémoire, qui soulève un autre problème. Nous savons tous maintenant que les États-Unis étaient derrière le renversement du gouvernement Allende au Chili et l'installation du régime brutal de Pinochet. Je pense que la plupart d'entre nous ne l'ont pas oublié. Les États-Unis ont qualifié le MIR au Chili d'organisation terroriste. Partant, le RD ici au Canada a été jugé comme appuyant une organisation terroriste et n'était pas admissible, même si le MIR était un conglomérat incluant des groupes religieux, dont certains n'appuyaient nullement le terrorisme. Donc, en ce qui concerne la question de savoir qui va décider, il faut être très conscient de la décision des États-Unis qui décrètent ce qui est et ce qui n'est pas une organisation terroriste au Chili, compte tenu du rôle qu'ils ont joué. Pourtant, le SCRS ne semble pas en tenir compte.
Le président: Merci beaucoup, mesdames et messieurs les panélistes. Vous avez certainement soulevé d'excellents points, que nous allons étudier cet été.
Le gouvernement avait une raison pour nous soumettre le projet de loi après la première lecture. Cela a circonscrit notre travail. Après la première lecture, on fait habituellement une étude détaillée, et c'est ce que nous allons faire. Merci beaucoup.
La séance est levée.