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La séance est ouverte. Conformément à l'ordre de renvoi du mercredi 25 octobre 2006, nous procédons à l'examen du projet de loi .
Je remercie les témoins d'avoir accepté notre invitation et je m'excuse pour les difficultés causées par le changement de pièce. Il nous manquera peut-être un témoin ou deux à cause de ce changement de pièce, mais nous devons commencer tout de suite si nous voulons avoir assez de temps pour les réponses aux questions.
Nous avons eu une réunion du comité directeur dont nous discuterons un peu plus tard, mais une des suggestions qui a été faite au cours de cette réunion est de s'efforcer de limiter les exposés à deux ou trois minutes pour pouvoir poser quelques questions. Je sais que nous n'arriverons pas à convaincre nos témoins de changer d'avis et, par conséquent, nous voudrions poser nos questions le plus vite possible.
Vous pouvez faire un préambule, mais notre rôle est de poser des questions aux témoins. Il faut essayer de faire le meilleur usage du temps dont nous disposons. C'est une suggestion qui a été faite à la réunion du comité directeur, et je la communique.
Nous passons maintenant aux exposés en commençant par M. Stewart-Patterson.
Vous disposez de sept minutes par exposé. Nous enchaînerons ensuite avec un tour de table de sept minutes pour les questions et les réponses. Le deuxième tour de table sera de cinq minutes et, avec un peu de chance, nous ferons un troisième tour, un peu plus court, pour lequel vous disposerez de cinq minutes également.
Soyez le bienvenu, monsieur Stewart-Patterson. Vous avez sept minutes pour vos observations préliminaires. Je vous signalerait quand il ne vous restera plus qu'une minute.
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Mesdames et messieurs, merci beaucoup pour cette occasion de témoigner. C'est avec plus que les civilités d'usage que je dis cela, car avant Noël, on avait des doutes sur le temps que votre comité consacrerait à l'examen de ce projet de loi. Par conséquent, je remercie très sincèrement les membres actuels et les anciens membres du comité d'avoir tenu compte du fait qu'il s'agit d'un projet de loi qui aura des incidences considérables sur le plan stratégique et qui mérite un examen approfondi.
Je pense que d'autres témoins ont expliqué les incidences qu'aurait une interdiction du recours à des travailleurs de remplacement sur le processus de négociation; je sais que vous avez entendu divers témoignages : est-ce que cela prolongerait ou raccourcirait la durée des grèves et est-ce que cela en augmenterait ou en diminuerait la fréquence ou la violence?
Avec votre permission, je prendrai un peu de recul pour examiner les incidences du projet de loi sur l'économie canadienne. Je commencerai par une thèse fondamentale, à savoir que le principal impact d'une interdiction légale du recours à des travailleurs de remplacement est l'accroissement du pouvoir de négociation des syndicats dans les secteurs concernés. Je ne porte pas de jugement quant à savoir si les travailleurs méritent davantage de pouvoir de négociation. Je constate tout simplement qu'un projet de loi comme celui-ci leur donnera davantage de pouvoir qu'actuellement à la table de négociation. C'est pourquoi j'estime qu'il est raisonnable de dire que l'adoption de ce projet de loi apportera des gains financiers accrus aux travailleurs concernés au cours des futures négociations. Sinon, pourquoi les syndicats voudraient-ils le projet de loi? Que ces gains soient considérables ou limités, la question qui se pose dès lors est la suivante : qui paie?
Dans les secteurs réglementés par le gouvernement fédéral, les entreprises ont une clientèle nationale. Dans certains cas, elles fournissent des services à des ménages et à des particuliers et dans d'autres, elles fournissent des services essentiels à des entreprises. Certaines d'entre elles fournissent les deux types de services. Dans tous les cas, la hausse des coûts de la main-d'oeuvre est transmise à la clientèle par le biais de prix plus élevés, ou aux investisseurs par un rendement moindre de leur investissement. Dans la mesure où la hausse des coûts de la main-d'oeuvre est transmise aux consommateurs, la question est de savoir si le gouvernement devrait intervenir pour aider les syndiqués de ces secteurs à obtenir davantage d'argent aux frais de l'ensemble des Canadiens.
Par souci de justice sociale, est-ce que les familles devraient payer par exemple davantage pour les services téléphoniques parce que le gouvernement a décidé que les travailleurs de ce secteur méritaient une meilleure rémunération? Les hausses de coûts pourraient également être transmises aux clients d'affaires. Dans ce cas, la question qui se pose est légèrement différente; il s'agit de savoir si le gouvernement devrait intervenir pour accorder un avantage supplémentaire aux travailleurs d'un groupe d'industries aux dépens des travailleurs et des investisseurs d'un autre secteur. Si les coûts supplémentaires du transport ferroviaire, par exemple, doivent être supportés par les fabricants ou les détaillants canadiens, cela sert-il l'intérêt national?
Vous voudriez peut-être soutenir que les gains accordés aux travailleurs avantagés par ce projet de loi n'entraîneraient pas une hausse de coûts mais qu'ils seraient réalisés intégralement aux dépens des profits et des investisseurs. Des études universitaires indiquent le lien direct qui existe entre l'interdiction du recours aux travailleurs de remplacement et les investissements des entreprises. Je signale toute particulièrement l'étude faite en 2004 par John Budd et Yijiang Wang, de l'Université du Minnesota, qui ont constaté que l'interdiction du recours à des travailleurs de remplacement pendant des grèves au Canada a entraîné une diminution directe des investissements des entreprises. Je signale également qu'ils ont remarqué une baisse particulièrement considérable de l'investissement dans le secteur de la construction où cette interdiction a eu le même impact qu'une récession.
À part ce type d'étude, c'est l'évidence même que, peu importe le rendement d'un éventuel investissement, s'il diminue, les chances que les investisseurs interviennent et engagent des fonds sont moindres. On pourrait dire que l'impact de ce projet de loi sur le rendement de l'investissement dans des secteurs réglementés par le gouvernement fédéral serait plutôt faible. Peut-être que oui, mais nous sommes dans une période où la concurrence pour les investissements est très vive à l'échelle mondiale.
Le Canada est déjà désavantagé dans plusieurs domaines. Les politiques fiscales canadiennes imposent un des taux effectifs marginaux les plus élevés du monde industrialisé sur les nouveaux investissements des entreprises. Les nouvelles mesures de sécurité adoptées aux États-Unis accroissent la difficulté de voyager en Amérique du Nord et font du Canada un lieu moins intéressant où s'établir pour une entreprise en pleine croissance qui a une clientèle internationale. L'augmentation de la demande mondiale d'énergie et d'autres ressources est intéressante pour l'ouest du Canada, mais les prix plus élevés qui en résultent nuisent aux manufacturiers qui se trouvent surtout en Ontario et au Québec. L'augmentation de la valeur de la devise canadienne au cours des dernières années — liée dans de fortes proportions aux ressources — est venue s'ajouter à cette pression. Les fournisseurs de biens et de services sont forcément confrontés à une nouvelle concurrence intense, étant donné que des puissances émergentes comme la Chine et l'Inde changent la donne en matière d'échanges commerciaux et d'investissement. Une conséquence de cette situation est que le secteur manufacturier canadien a déjà perdu des centaines de milliers d'emplois parce que les entreprises confrontées à cette situation ont fermé leurs portes, investissent dans de nouvelles technologies qui remplacent la main-d'oeuvre ou déplacent la production à l'étranger.
Jusqu'à présent, notre économie est parvenue à absorber ces chocs et à maintenir le taux de chômage global à un niveau peu élevé, mais le Canada est confronté à une difficulté de taille dans ce domaine, celle de calculer où nous voulons être concurrentiels dans le monde, quels types d'emplois nous voulons et quel niveau de vie associé à ces emplois les travailleurs canadiens actuels et leurs enfants auront au cours des décennies à venir.
Ce que j'ai signalé dans cet exposé, c'est que nous nous trouvons déjà dans une situation qui donne aux investisseurs — qu'ils soient canadiens ou étrangers, cela fait peu de différence — de très bonnes raisons de renoncer à investir au Canada.
Je signale également que nous sommes engagés dans un débat très important concernant l'attitude à adopter face au changement climatique. De nombreux Canadiens estiment que c'est très important, et avec raison. À ce chapitre, les partis des deux côtés de la Chambre ont indiqué que, d'une façon ou d'une autre, la solution nécessitera l'adoption de nouveaux règlements et d'autres mesures qui pourraient augmenter considérablement le coût des affaires dans notre pays, ainsi que le coût de la vie pour les familles canadiennes. Nous examinons pourtant un nouveau projet de loi dont la principale conséquence sera d'augmenter davantage les dépenses nécessaires pour faire des affaires dans notre pays et de rendre l'investissement moins intéressant.
Ce que je veux dire, et je conclurai sur cette note, monsieur le président, c'est que, peu importe l'opinion que l'on a quant à l'opportunité de donner au mouvement syndical une arme de négociation qu'il convoite depuis des années, on ne peut pas examiner ce projet de loi hors contexte. Aux prochaines élections, quelle que soit la date, les Canadiens ne voteront pas en fonction de cette question, en tout cas pas uniquement. Ils tiendront compte du parti auquel ils peuvent confier la tâche de guider notre économie pour relever des défis mondiaux complexes et déconcertants. Ils demanderont à chacun d'entre vous, de tous les partis, ce que vous avez fait et ce que vous ferez pour favoriser la croissance de notre économie, pour aider les collectivités à attirer davantage d'emplois et, surtout, des emplois intéressants et pour aider à maintenir les services publics qui sont financés par ces emplois et par leurs revenus, par le biais de la fiscalité. En votant en faveur de ce projet de loi, vous porteriez préjudice à cette cause au lieu de la soutenir.
Merci, monsieur le président.
Bonjour. Je me présente: Kim Furlong, directrice des Relations avec le gouvernement pour le compte du Conseil canadien du commerce de détail (CCCD).
Le CCCD, qui a été créé en 1963, est le porte-parole des détaillants du Canada. C'est une association sans but lucratif qui défend les intérêts de plus de 40 000 établissements de toutes sortes. Ses membres représentent tous les types de commerces de détail, dont les boutiques indépendantes, les chaînes nationales et régionales, et les magasins en ligne.
Avec un chiffre d'affaires annuel qui approche les 400 milliards de dollars, l'industrie du commerce de détail est le deuxième employeur en importance au pays. En 2005, les détaillants ont injecté plus de 7 milliards de dollars dans l'économie, que ce soit en décoration de magasins, en construction, en équipement informatique ou en télécommunications. Les détaillants sont en fait parmi les acteurs les plus dynamiques de l'économie canadienne.
Au nom des membres du CCCD, nous aimerions remercier le Comité de nous fournir l'occasion d'exprimer notre point de vue aujourd'hui. Nous craignions avant Noël de ne pas avoir l'occasion de témoigner. Je vous en remercie par conséquent.
Notre point de vue porte sur les conséquences que les modifications proposées au Code du travail auront sur ceux qui dépendent des produits et services fournis par les employeurs assujettis à la réglementation fédérale. Le CCCD croit que les modifications proposées seraient extrêmement néfastes pour l'économie canadienne. Dans un marché international où les économies d'échelle reposent sur l'utilisation de l'information et sur la capacité de transporter rapidement les marchandises, il est très inquiétant de songer que les services de transport ou de télécommunication puissent être interrompus, ne serait-ce que très temporairement.
La logistique de la chaîne d'approvisionnement a considérablement évolué au cours des 15 dernières années. Le temps des inventaires imposants et des gros entrepôts est révolu; la production sur commande et la livraison au moment adéquat sont devenues la norme dans la nouvelle économie.
La capacité de transporter efficacement les marchandises est essentielle à la compétitivité du Canada. L'expérience du port de Vancouver l'illustre de façon éloquente. L'interruption des activités survenue à l'été 2005 en raison d'une grève illégale des camionneurs indépendants a eu des conséquences désastreuses pour notre secteur d'activité : les conteneurs ayant été retenus au port, la chaîne d'approvisionnement a été interrompue, ce qui a coûté des millions de dollars à l'économie canadienne. Nous voyons donc qu'un simple événement isolé, relativement mineur si on le compare aux effets potentiels du , est déjà extrêmement coûteux.
Évidemment, des denrées périssables et d'autres produits, comme les articles pour la rentrée scolaire, n'ont pu être acheminés à temps; mais l'incidence de cette grève dépasse largement la perte de marchandises. En réalité, l'arrêt de travail a entraîné une diminution permanente des activités du port et de la ville de Vancouver. À cause de l'incertitude liée au conflit de travail, certains importateurs, dont plusieurs sont membres du CCCD, ont choisi d'utiliser d'autres ports d'entrée au Canada, notamment sur la côte est.
Les membres du Comité devraient considérer l'impact qu'un conflit de travail pourrait avoir à long terme sur l'économie d'une région et sur les travailleurs si le était adopté. En fait, le projet de loi C-257 menace la compétitivité du Canada. En tant que pays exportateur, le Canada se bat pour obtenir une plus grande part du marché mondial et, dans ce contexte, il semble absurde de voter une loi qui risque de nuire aux investissements et aux affaires en général. La capacité du Canada d'attirer les investissements étrangers directs ne doit pas être tenue pour acquise alors que des géants comme l'Inde et la Chine mènent le bal.
De plus, l'argument traditionnel voulant que sa proximité avec les États-Unis fasse du Canada un lieu privilégié d'investissement pourrait être facilement balayé si nos lois du travail venaient à nuire à la libre circulation des marchandises. L'avantage concurrentiel du Canada repose sur sa capacité d'offrir au marché des États-Unis la livraison au moment opportun. Advenant une paralysie des activités aériennes ou ferroviaires, cet avantage concurrentiel serait sérieusement menacé.
Par ailleurs, la moindre interruption du système de télécommunication aurait des répercussions directes sur l'industrie du commerce de détail. À l'échelle mondiale, les Canadiens sont les plus grands utilisateurs de la carte de débit, et la grande majorité des achats au détail sont payés par carte. Le ralentissement du traitement des paiements ferait perdre des ventes à nos membres. Une interruption du système provoquerait, quant à elle, le ralentissement de toute l'économie canadienne.
On a clairement démontré, au cours des dernières années, que la consommation alimente le dynamisme de l'économie nord-américaine. Les consommateurs canadiens s'attendent à pouvoir accéder en tout temps à leur compte bancaire, et ils utilisent couramment leur carte de crédit pour régler leurs achats quotidiens. L'incapacité d'obtenir une autorisation de crédit se traduirait donc par la perte des ventes concernées.
Encore une fois, nous invitons les membres du Comité à considérer l'effet global du projet de loi sur les Canadiens en général.
Maintenant que nous avons défini les risques associés aux changements législatifs proposés, dirigeons notre attention sur la raison d'être du projet de loi C-257.
Après avoir passé en revue l'histoire récente des conflits de travail régis par la législation fédérale, le CCCD ne comprend pas la nécessité de modifier la loi. Les changements proposés brisent le fragile équilibre atteint lors de l'adoption du rapport Sims, en 1999. Ce rapport était le fruit d'une large consultation pancanadienne tripartite, dirigée par Andrew Sims; le comité d'experts nommé en 1995 par le ministre fédéral avait pour mandat de présenter des recommandations pour la mise à jour de la première partie du Code canadien du travail.
Dans son rapport intitulé Vers l'équilibre, le groupe de travail concluait ce qui suit à propos de la question des travailleurs de remplacement, et je cite :
Par contre, il peut être nécessaire de faire appel à des travailleurs de remplacement pour maintenir la viabilité d'une entreprise quand les conditions économiques sont difficiles et les exigences syndicales inacceptables. Dans un régime de libre négociation collective, il importe que les employeurs conservent cette option. C'est pourquoi on ne peut interdire entièrement le recours à des travailleurs de remplacement. Si cette option n'existait pas, les employeurs s'organiseraient de façon à réduire leur dépendance à l'égard de leur personnel permanent, pour ne pas être vulnérables, ce qui serait contraire à l'intérêt des travailleurs et à leur propre intérêt.
Le groupe de travail faisait aussi les recommandations suivantes :
Que le recours aux travailleurs de remplacement ne fasse pas l'objet d'une interdiction générale.
Que, si la preuve est faite que le recours aux travailleurs de remplacement pendant un conflit vise à miner la capacité de représentation d'un syndicat et non à atteindre des objectifs légitimes de négociation, une telle pratique soit considérée comme étant déloyale.
Que, s'il est établi que le recours aux travailleurs de remplacement constitue une pratique de travail déloyale, le Conseil soit expressément habilité à interdire le recours à ces travailleurs pendant le conflit en question.
Les faits montrent que les modifications de 1999 ont établi un équilibre dans le climat de travail. En 2005 et 2006, 97 p. 100 de toutes les conventions collectives régies par la législation fédérale ont été signées sans arrêt de travail.
En conclusion, étant donné que cette question divise l'opinion, que le rapport Sims déconseille l'interdiction du recours aux travailleurs de remplacement, et que les secteurs régis par la législation fédérale le sont en raison de leur importance stratégique dans le bon fonctionnement du pays, l'empressement des promoteurs du projet de loi C-257 à briser l'équilibre atteint en 1999 nous laisse perplexes. Pour faire face à la très forte concurrence mondiale, le Canada doit améliorer sa productivité. C'est pourquoi le CCCD croit que l'adoption d'une loi qui laisserait entendre aux investisseurs étrangers que notre infrastructure industrielle pourrait être prise en otage à tout moment par des travailleurs mécontents n'est pas le bon moyen d'améliorer la prospérité économique canadienne.
Merci.
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Mesdames et messieurs, nous vous remercions pour cette occasion de témoigner.
Le Conseil canadien des associations en ressources humaines regroupe toutes les associations provinciales en ressources humaines du Canada. Ces associations provinciales totalisent plus de 30 000 membres.
Les professionnels en ressources humaines adoptent une approche pratique et même, souvent, non idéologique à l'égard des questions concernant les relations de travail et les ressources humaines. Notre participation aux présentes audiences s'inscrit dans cette approche.
Avant de commencer, je signale très rapidement que je suis capable d'imaginer que c'est lassant pour vous d'entendre répéter constamment les mêmes arguments par des personnes différentes. Vous avez notre sympathie. Nous essaierons de résister à la tentation de faire comme elles.
Je signale toutefois que de nombreuses parties ont exprimé des opinions très vigoureuses sur ce projet de loi qui, si on est lassé de les entendre, témoignent toutefois du sentiment très répandu au sujet de ce projet de loi et des inquiétudes qu'il suscite chez un très grand nombre de personnes.
C'est dans ce contexte que je ferai deux ou trois observations, puis je laisserai la parole à mon collègue, Robin Rensby, de la Société des ponts fédéraux, qui complétera notre exposé.
Ce projet de loi concerne au moins trois types de préoccupations : celles des employeurs, celles des travailleurs et celles du grand public. Vous avez entendu une longue litanie de préoccupations qu'ont les entreprises et les employeurs au sujet de ce projet de loi.
Si je devais désigner une préoccupation principale, ce serait que les employeurs seront incapables d'exploiter leur entreprise et de fournir les services à leurs clients par l'intermédiaire des employés membres de l'unité de négociation régulière, si ce projet de loi est adopté. C'est ce qu'il indique.
En substance, il indique qu'en cas de lockout ou de grève, une des parties sera incapable de poursuivre ses activités ou de gagner sa vie.
Si vous voulez savoir à quel point cela paraît pernicieux aux praticiens de la législation du travail et aux experts en ressources humaines — je suis avocat et suis spécialisé en législation du travail —, voyez cet autre exemple. Pensez à un projet de loi qui ferait l'inverse, en vertu duquel, en cas de grève ou de lockout, la direction pourrait engager des travailleurs de remplacement, mais les membres de l'unité de négociation ne seraient pas autorisés à gagner leur vie dans une autre entreprise. Si vous pensez que c'est une absurdité, vous avez raison, car c'est absurde. Dans la même optique, il est absurde de décider que les employeurs devraient être incapables de faire tourner leur entreprise pendant une grève ou un lockout.
Le but d'une grève ou d'un lockout est effectivement de porter préjudice aux deux parties à la négociation et de les déranger pour qu'elles apprennent que leurs revendications extrêmes ne sont pas raisonnables et ne sont pas réalistes — et pour les réconcilier. Pour les forcer à voir clair, leur coopération est essentielle. C'est pourquoi un système d'interruption du travail est prévu dans notre législation du travail. Le présent projet de loi modifiera considérablement la situation à cet égard et fera supporter tous les problèmes par une seule des deux parties.
Dans tout type de négociation, nous appliquons une petite règle, à savoir qu'une bonne affaire en est une au sujet de laquelle les deux parties ont certains regrets et dans laquelle les deux parties sont mises à contribution.
À l'opposé des arguments que vous avez entendus, j'estime qu'une partie seulement serait préoccupée et dérangée par cette initiative alors que l'autre partie ne ressentirait apparemment aucune douleur. C'est révélateur, et ce l'est parce que, selon la tradition dans notre pays, nous édifions la législation du travail à la manière dont nous édifions les contrats, à celle dont nous édifions les conventions collectives et à celle dont vous édifiez des mesures législatives entre vous: à la suite de délibérations, d'une recherche, d'un examen et de négociations. Ensuite, on atteint une étape où le consensus est suffisant pour aller de l'avant. À notre humble avis, un des aspects profondément troublant de ce projet de loi est qu'il lui manque la dimension de son développement.
J'enseigne à la Faculté de droit de l'Université Queen's. J'ai demandé ce matin à mes étudiants s'ils avaient des questions à poser ou des commentaires à faire au sujet de ce projet de loi. Un des étudiants m'a demandé — et je pense que c'est une des meilleures questions que j'aie entendues — quel problème cette loi résout. C'est la question qui m'a été posée par mon étudiant, et je trouve que c'est une excellente question.
Quel problème, quelle crise, quelle situation d'urgence sont réglés dans les relations de travail dans le domaine fédéral par ce projet de loi? En toute honnêteté, je ne vois pas de quelle crise il s'agit — quoique je sois avocat pour le compte du patronat, ce qui pourrait influencer votre interprétation des observations que je fais. Je ne sais pas de quelle crise il s'agit. Je ne suis pas au courant de ces urgences.
Par conséquent, j'ai de la difficulté à comprendre pourquoi nous nous lançons tête baissée dans des amendements à un texte législatif qui est très efficace pour de nombreuses parties et qui est véritablement équilibré.
Je vous demande de vous poser la question et de vous demander quel problème au juste ce projet de loi est censé résoudre. Une question corollaire, qui est peut-être plus puissante, est la suivante : quels problèmes ce projet de loi créera-t-il? Vous avez entendu de nombreux commentaires là-dessus.
Une des critiques est liée en grande partie au processus suivi. Nous ne pensons pas qu'il respecte les traditions en matière de législation canadienne du travail. Nous ne pensons pas que les modifications reflètent également en grande partie nos traditions en matière d'équilibre. Je signale respectueusement au comité que j'ai ici un rapport tout récent qui est un exemple de la façon dont on édifie la législation du travail au Canada, qui est un exemple de notre façon traditionnelle de travailler. Ce rapport est intitulé « Équité au travail : Des normes du travail fédérales pour le XXIe siècle » et a été produit par le professeur Harry Arthurs, qui a dirigé un groupe de travail nommé par le gouvernement précédent. Ce rapport a été remis au gouvernement actuel en octobre 2006. Le groupe de travail a consulté tous les intervenants sur les questions clés concernant les normes d'emploi dans la sphère fédérale. C'est un excellent rapport. Il a l'appui consensuel de toutes les parties concernées. Le gouvernement, les travailleurs et le patronat qui ont participé à cette étude par l'intermédiaire du groupe de travail ont produit ces résultats, qu'ils appuient d'une façon générale. C'est ainsi que la législation du travail a été édifiée dans ce pays.
Monsieur le président, nous apprécions beaucoup cette occasion de faire des commentaires sur cette question et si mon ami M. Rensby avait quelques instants à nous consacrer, je lui en serais reconnaissant. Je vous remercie pour votre attention. Si nous pouvons répondre à d'autres questions que vous voudriez nous poser, nous le ferons bien volontiers.
Monsieur Rensby.
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Merci. Je serai très bref. À l'instar de M. Law, je voudrais dire que nous apprécions l'occasion de témoigner que vous nous avez donnée.
Mon point de vue est un peu moins général, car c'est celui d'un employeur qui a des membres d'une unité de négociation susceptibles d'intervenir dans tout ce processus. En premier lieu, je signale que j'appuie les commentaires de M. Law sur la nécessité de tenir des consultations rigoureuses et de faire une analyse méthodique en ce qui concerne le cadre général des relations de travail dans ce pays, avant de passer à l'action. J'estime que dans le contexte du projet de loi , il est impératif de se poser des questions sur des sujets comme les services essentiels — je sais que d'autres témoins en ont déjà faits —, la nécessité de négocier de bonne foi et la possibilité d'une pression à la hausse sur les taux salariaux dans la fonction publique. Pour moi, cela se résume à une question tout simple : ce projet de loi améliore-t-il le cadre des relations de travail? Je n'arrive pas à trouver une réponse positive à cette question dans le projet de loi.
Je signale que j'y vois plusieurs références à des modèles provinciaux et je ferais des commentaires semblables à certains que vous avez déjà entendus aujourd'hui, à savoir que les modèles provinciaux ne sont peut-être pas appropriés. D'après certains de ces commentaires, des projets de loi semblables ont été adoptés dans certaines provinces et le nombre de journées perdues à cause des grèves a diminué, mais je n'ai pas entendu parler de relations de cause à effet. Un employeur capitulerait-il et signerait-il une convention qu'il n'aurait peut-être pas signée en l'absence de ce type de mesure législative? Je pense que c'est possible.
Pour gagner du temps, je vous demanderais d'examiner l'exemple suivant. Dans notre rapport annuel 2005-2006, nous avons fait état d'environ 140 millions de passages sur les ponts de la région métropolitaine de Montréal. En se basant sur l'article 87.4, à savoir la définition des services essentiels, on ne peut vraisemblablement pas considérer ces ponts comme un service essentiel. Bien que ce type de raisonnement puisse être considéré comme un raisonnement tautologique, on pourrait décider de bloquer l'accès à ces ponts au nom de la sécurité publique. Je vous demande de garder à l'esprit l'image de 140 millions de passages par an et d'imaginer la fermeture des ponts de la région métropolitaine de Montréal. Si c'est la conséquence du projet de loi , je n'y vois rien qui soit intéressant.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
La Fédération des chambres de commerce du Québec est heureuse de déposer un avis formel au sujet du projet de loi C-257, qui est actuellement à l'étude au Comité permanent des ressources humaines, du développement social et de la condition des personnes handicapées. Il nous apparaît impératif de soumettre aux parlementaires canadiens l'opinion de notre regroupement et de nos membres à l'égard de la pertinence et de la portée de cette modification proposée au Code canadien du travail.
Dans un premier temps, nous souhaitons rappeler que la compétence fédérale en matière de travail est unique et confère au gouvernement et à ses organismes une grande responsabilité dans les décisions qui peuvent affecter la capacité de l'industrie canadienne à performer, à demeurer compétitive et productive, et à relever les défis de la mondialisation et de l'économie. Or, une disposition actuelle du code prévoit déjà qu'un employeur ne peut faire appel à des travailleurs de remplacement dans le but d'affaiblir les objectifs légitimes de négociation du syndicat. On lui accorde cependant la flexibilité nécessaire pour recourir à une main-d'oeuvre de remplacement afin d'assumer ses responsabilités en matière de fonctionnement.
Nous rappelons par ailleurs qu'en aucune occasion, depuis 1999, le Conseil canadien des relations industrielles n'a eu à statuer ou à sévir contre un employeur en regard de cette question. Dans cette perspective, le projet de loi C-257 ne répond à aucun impératif immédiat ni à une problématique aux effets récurrents. Cette mesure législative inquiète à juste titre les employeurs qui relèvent de la compétence fédérale pour les fins des relations de travail, mais elle doit aussi préoccuper sérieusement l'ensemble des entreprises situées sur le territoire canadien. Cette modification à la loi pose une menace réelle à la fluidité des activités commerciales canadiennes et pourrait avoir un impact important sur la santé financière, sinon sur la pérennité de nombreuses compagnies dans tout le pays.
Actuellement, seulement deux provinces canadiennes, le Québec et la Colombie-Britannique, ont interdit l'embauche de personnel de remplacement en cas de grève ou de lock-out. On voulait ainsi réduire les risques de violence sur les lieux de piquetage et potentiellement favoriser l'accélération du règlement des conflits. Or, sur le strict plan statistique, quand on compare la situation en Ontario, province qui n'a pas légiféré dans ce domaine, et celle qui prévaut au Québec et en Colombie-Britannique, rien ne nous permet de croire que les prémisses du projet de loi C-257 sont fondées.
Il n'y a aucune preuve que les mesures législatives sur les travailleurs de remplacement réduisent le nombre d'arrêts de travail. En effet, selon une enquête menée récemment par la Direction de l'information sur les milieux de travail de Ressources humaines et Développement social Canada et Statistique Canada, le Québec a connu proportionnellement, en 2005, deux fois plus d'arrêts de travail que l'Ontario et plus de quatre fois plus d'arrêts de travail que les secteurs relevant de la compétence fédérale. Il n'y a aucune preuve non plus que les mesures législatives sur les travailleurs de remplacement réduisent la durée moyenne des arrêts de travail. Par exemple, cette même enquête révèle que malgré la loi du Québec, la durée moyenne des arrêts de travail dans cette province est passée de 37 jours, en 1975, 1976 et 1977, à environ 47 jours en 2003, 2004 et 2005. De plus, la durée des arrêts de travail est systématiquement plus longue au Québec qu'ailleurs au Canada.
De plus, plusieurs études universitaires sur l'effet des dispositions antibriseurs de grève sur la fréquence et la durée des grèves démontrent que les dispositions antibriseurs de grève ont pour effet d'augmenter la durée et la probabilité des arrêts de travail. Permettez-moi de vous en citer quelques-unes.
L'étude Landeo, Nikitin, en 2005 , affirmait que la disponibilité de travailleurs de remplacement réduisait la probabilité d'une grève. Il s'agissait d'une étude dans le secteur de l'éducation.
L'étude Singh, Zinni Jain, en 2005, disait que l'effet que peuvent avoir les travailleurs de remplacement dépend entre autres du type d'industrie dans lequel opère l'employeur, mais que ces travailleurs peuvent causer des relations patronales-syndicales antagonistes.
L'étude Cramton, Gunderson et Tracy, en 1999, disait que la durée moyenne d'une grève était plus longue de 32 jours dans les juridictions ayant des dispositions antibriseurs de grève et que la probabilité de grève y était de 12 p. 100 plus élevée.
L'étude Budd, en 1996, affirmait que la durée moyenne d'une grève était plus longue de 27 jours et que la probabilité de grève était de 5 p. 100 plus élevée.
L'étude Gunderson, Melino, en 1990, disait que la durée moyenne d'une grève était plus longue de sept jours.
L'étude Gunderson, Kervin, Reid, en 1989, disait que les dispositions antibriseurs de grève au Québec avaient mené à une hausse du nombre de grèves.
La Fédération des chambres de commerce du Québec croit que l'adoption de cette modification au Code canadien du travail ne servirait les intérêts de personne. Dans les faits, elle semble concéder un avantage évident à la partie syndicale en bloquant la capacité d'opération de l'entreprise sous le coup d'une grève ou d'un lock-out. Mais nous croyons que la portée des modifications mises à l'étude est encore bien plus périlleuse pour l'ensemble de l'économie du Canada.
Est-il besoin de rappeler au gouvernement et aux parlementaires canadiens que nous vivons en 2007, dans un contexte de commerce mondial et de haute compétitivité? La moindre absence d'une entreprise sur le marché ou une baisse de productivité, soit-elle de courte durée, lui ouvre le flanc à une concurrence étrangère féroce qui, elle, n'est souvent pas régie par des lois du travail aussi élaborées que les nôtres. À cet égard, le cas de l'industrie des grandes infrastructures est particulièrement révélateur des conséquences économiques potentiellement néfastes d'une telle mesure législative. Il s'agit d'une industrie qui offre une gamme de services dont dépendent la plupart des autres entreprises et des commerces.
À titre d'exemple, un arrêt de travail et la rupture de service des lignes de transmission numérique des opérations d'une industrie des télécommunications a un impact direct sur la capacité transactionnelle financière des entreprises et des citoyens canadiens et a des répercussions sur la vie de chacun. Le Canada est un pays généreux qui milite depuis ses origines en faveur d'une société juste. Cependant, notre productivité demeure déficiente à certains égards. Notre capacité concurrentielle est limitée par un ensemble de facteurs qui alourdissent nos coûts de production et n'attirent pas les investisseurs étrangers. L'adoption du projet de loi C-257 ne réduira pas la violence sur les lignes de piquetage, parce que les facteurs de violence sont multiples et tiennent plus souvent qu'autrement à la discipline qu'exercent les syndicats eux-mêmes auprès de leurs membres.
Elle n'écourtera pas non plus la durée des conflits de travail, puisque rien n'indique une telle conséquence dans l'expérience vécue au Québec et en Colombie-Britannique. Cependant, elle risque de compromettre la capacité de l'industrie et des entreprises de conserver une capacité minimale susceptible d'assurer leur pérennité sur les marchés intérieurs et internationaux et de préserver les emplois à long terme. Ceci aura certainement comme résultat de politiser davantage les conflits de travail en impliquant la Chambre des communes de façon beaucoup plus fréquente dans des questions de législation portant sur le retour au travail.
En terminant, je dirai que dans les circonstances, la Fédération des chambres de commerce du Québec joint sa voix à celle des nombreuses organisations, industries et entreprises soucieuses de la santé économique du Canada pour vous demander de retirer le projet de loi. Nous plaidons en faveur d'un renforcement de notre aptitude à faire face aux nouveaux défis de la mondialisation et nous croyons que les parlementaires canadiens sont les premiers avisés de la nature de ces défis que nous devons relever.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir invité et de m'avoir entendu.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie d'être venus témoigner. Je vous remercie également pour la qualité de vos témoignages.
Ce que vous dites est important, mais on a beaucoup entendu vos arguments. En effet, les employeurs présentent toujours les mêmes arguments. Il y a actuellement un déséquilibre des pouvoirs dans les négociations, et vous en profitez. Évidemment, vous ne voulez pas perdre vos privilèges. Nous comprenons cela.
Malgré que M. le président m'ait demandé de vous poser des questions, je vais plutôt vous présenter des arguments. Normalement, le groupe de témoins est mieux équilibré, et au moins la moitié d'entre eux présentent la position de la partie syndicale. Vous êtes le premier groupe qui n'en compte aucun. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi le Bloc québécois a présenté ce projet de loi pour une 10e fois. Je vais répondre aux questions de M. David Law et lui dire quels problèmes ce projet de loi résout. Prenez des notes; de cette façon, vous pourrez l'expliquer à vos étudiants.
C'est la 10e fois en 15 ans que le Bloc québécois présente ce projet de loi. Même le ministre actuel, Jean-Pierre Blackburn, a voté en faveur de ce projet de loi quand il était député conservateur. Comme vous pouvez le voir, bien des gens trouvent des solutions à leurs problèmes, dans ce projet de loi. Cette loi est bien conçue. Je connais moins bien la situation en Colombie-Britannique, mais je peux dire qu'au Québec, c'est la même loi qui prévaut depuis 30 ans.
Pourquoi le gouvernement québécois l'a-t-il adoptée en 1977? C'était à l'issue d'un conflit d'une grande violence survenu à la compagnie United Aircraft, aujourd'hui Pratt and Whitney. Dans la même année, à la compagnie Robin Hood, des gardiens de sécurité qui étaient sur place pour laisser entrer des briseurs de grèves avaient tiré sur des gens et il y avait eu des blessés. Ça n'avait aucun sens. Au mois d'août 1977, René Lévesque a fait adopter la loi antibriseurs de grève. Quelques années plus tard, des représentants d'employeurs ont suggéré à Robert Bourassa, qui était devenu premier ministre entre-temps, de mettre cette loi au rebut. Il a refusé en invoquant le fait que la paix sociale régnait.
Vous nous avez présenté des chiffres en grande quantité et fait référence à de nombreuses études. Je vais vous parler de chiffres également. En fait, la donnée qu'il faut avant tout considérer est le nombre de jours-personnes perdus. Cependant, on ne peut pas comparer le Québec à l'Ontario. Les Québécois sont beaucoup plus syndiqués que les Ontariens. Étant donné qu'il y a plus de syndicats et de syndiqués au Québec, il y a davantage de grèves. Il faut comparer le nombre de jours-personnes perdus chez les travailleurs assujettis au Code du travail du Québec et chez ceux assujettis au Code du travail du Canada. On s'aperçoit alors que ces derniers perdent beaucoup plus de journées de travail à cause des conflits.
Par exemple, en 2004, les travailleurs assujettis au Code du travail du Canada, qui constituaient moins de 8 p. 100 de la main-d'oeuvre, ont été responsables de 18 p. 100 des jours-personnes perdus. Je vous présente les chiffres de 2004 parce que ce sont les plus récents, mais je peux vous présenter ceux de 2002. En 2002, les travailleurs assujettis au Code du travail du Canada ne représentaient que 8 p. 100 de la main-d'oeuvre, mais 49 p. 100 des jours-personnes perdus leur ont été imputables. Cette statistique est éloquente, d'autant plus que le ministre du Travail, Jean-Pierre Blackburn, a déjà voté en faveur de la loi antibriseurs de grève quand il était simple député et qu'aucune limousine n'était en jeu.
Au mois de mai dernier, quand nous avons déposé le projet de loi, il nous a présenté une importante quantité de chiffres, mais chaque fois, nous lui avons indiqué que ses statistiques étaient mal utilisées. Il a alors cessé de se servir des arguments de l'Institut économique de Montréal, du Fraser Institute et de John Budd, ce conseiller patronal issu de l'université du Minnesota qui est très connu aux États-Unis et que vous avez cité également. On sait qu'il conseille souvent des patrons qui ont une attitude très conflictuelle envers leurs employés. Il est reconnu pour ses idées de droite.
Tous ces gens font des études, ils recueillent les chiffres qui font leur affaire, ils font de belles études pour vous, les représentants patronaux, et cela fait votre affaire. Ensuite, vous venez nous les lancer à la figure.
Monsieur Hogue, vous devriez savoir qu'au Québec, quand une grève dure longtemps, quand il y a du vandalisme et de la violence sur les piquets de grève, c'est chez une organisation sous réglementation fédérale. On le sait, on le voit, on n'a pas besoin de statistiques. Je vais vous nommer quelques-unes de ces entreprises. À Vidéotron, la grève a duré 10 mois. Vous le savez, Vidéotron a engagé des briseurs de grève et ce fut l'enfer. Il y a eu beaucoup de vandalisme qui a touché les installations de l'employeur. Les 2 200 employés étaient en colère et ils sont revenus, d'ailleurs, chez Vidéotron après les 10 mois de conflit. La grève chez Sécur a duré trois mois. Il y avait 900 employés et, encore là, il y a eu du vandalisme, on a abîmé les installations de l'employeur, les guichets automatiques, notamment. La grève chez Cargill à Baie-Comeau a duré 36 mois.
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Je présume que vous espérez que je n'utiliserai pas les sept minutes.
Merci d'être venus.
En ce qui concerne les avertissements que vous avez lancés, nous les avions déjà entendus, et même de la bouche du ministre, et on a l'impression que l'économie canadienne va s'effondrer. Ce projet de loi fait l'objet de nombreux commentaires creux et exagérés, mais si l'on se base sur l'expérience concrète au Québec et en Colombie-Britannique, par exemple, deux provinces qui représentent au total une interdiction de 45 ans du recours à des travailleurs de remplacement, on constate que ni l'une ni l'autre n'a souffert d'une hausse considérable des coûts de main-d'oeuvre. Aucune n'a été victime d'un exode de l'investissement dans les entreprises ou d'une fermeture des services centraux. Elles ont en fait connu une certaine croissance économique. La réalité est très différente de certains des arguments présentés.
En toute franchise, je suis très étonnée, monsieur Stewart-Patterson. Vous représentez les membres les plus riches de notre société. Vous êtes le porte-parole du Conseil canadien des chefs d'entreprise. Je trouve que vous avez un culot monstre de prétendre que ce projet de loi donnera aux syndicats davantage de possibilités d'obtenir des gains financiers supplémentaires. Je ne comprends pas du tout votre raisonnement en la matière. Si nous voulons vérifier si c'est exact, nous aurions peut-être intérêt à examiner les chiffres pertinents.
Les travailleurs canadiens gagnent en moyenne environ 38 000 $ par an alors que les revenus des 100 principaux chefs d'entreprise canadiens vont de 2,8 millions de dollars — et il s'agit des revenus les plus bas parmi ces 100 chefs d'entreprise — à 74 millions de dollars. Ce sont certains de vos membres et il ne s'agit par conséquent pas, à proprement parler, de règles du jeu équitables.
Si l'on y ajoute l'information que contient L'observateur économique canadien, de Statistique Canada, il est manifeste que les institutions non financières et les institutions financières prospèrent. Les entreprises non financières ont eu un excédent de 80 milliards de dollars en 2005. Par conséquent, si vous pensez que c'est l'objet de ce projet de loi et qu'il apportera des gains financiers aux travailleurs, vous devriez également réfléchir à ses retombées pour la partie que vous représentez.
En fait, ce projet de loi a pour objet de s'assurer que les règles du jeu soient équitables dans le contexte d'une grève. Les faits démontrent qu'une grève prolongée, avec recours à des travailleurs de remplacement, peut engendrer de la violence. Elle peut provoquer une instabilité considérable. Elle peut détourner l'attention de la cause première de la grève et de son règlement car les travailleurs de remplacement en deviennent l'enjeu; c'est d'ailleurs ce qui se passe en réalité.
Nous connaissons tous des cas qui démontrent que l'absence de ce type de loi sous la compétence fédérale, que ce soit au Québec avec Vidéotron ou en Colombie-Britannique avec TELUS, a engendré de nombreux problèmes.
Il est essentiel d'axer son attention sur la nature concrète de ce projet de loi et pas sur l'idée que cette loi constituera pour les travailleurs un levier leur permettant d'obtenir plus que leur dû. Votre argument m'étonne beaucoup et je pense que vous ne concentrez pas votre attention sur les éléments qui composent ce projet de loi.
J'aimerais poser une question semblable à celle de mon collègue libéral. Quelles preuves avez-vous que s'il était adopté, ce projet de loi porterait préjudice à l'activité et à la performance économiques? Je ne pense pas que l'on en ait des preuves. C'est à vous de le démontrer, si vous estimez que c'est le cas.
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Je voudrais répondre à votre question en vous proposant de considérer la question sous un autre angle. L'inquiétude des gens d'affaires du Québec est la suivante. Nous avons déjà cette loi et il n'y a aucune preuve jusqu'à maintenant qu'elle ait eu l'effet escompté au Québec. Madame la députée avait des chiffres, mais j'en ai d'autres qui disent le contraire. Je vous donnerai comme exemple, entre autres, la grève à la Société des alcools du Québec qui a touché 3 800 employés. La grève a commencé le 11 novembre 2004 et a durée trois mois, malgré cette législation. La grève qui a opposé le Syndicat des travailleurs de Mine Noranda — associé à la CSN — à la Métallurgie Noranda-Horne Smelter a impliqué 500 employés. Elle a commencé en juin 2002 et elle a duré 11 mois. On espérait qu'une telle législation réduirait la durée d'une grève, mais au contraire, on s'aperçoit que ça n'a pas d'effet au Québec.
Il faut considérer un autre aspect, et cela répondra peut-être à la question de monsieur le député, votre collègue. La difficulté que l'on vit au Québec actuellement est la suivante. On a énormément de difficulté à avoir notre part des investissements étrangers, au Québec, parce que les entrepreneurs et les chefs d'entreprises étrangères considèrent que le Québec est une société dont la législation est très lourde. Plus on ajoute de couches de sédimentation à la législation, plus un investisseur considère que son investissement est risqué. Si on perd d'autres retombées économiques, c'est entre autres à cause de cette difficulté. Les entreprises et entrepreneurs étrangers hésitent à investir au Québec et choisissent d'autres provinces du Canada. On vit cette difficulté au Québec; de là vient l'inquiétude de nos employeurs.
Considérons seulement la déclaration de Donald J. Johnston, l'ex-secrétaire général de l'OCDE, un homme respectable, respecté et qui connaît bien les problèmes du travail. Il a dit que le nombre de restrictions injustifiables aux règles du marché minait la productivité et l'attractivité de l'économie canadienne aux yeux des investisseurs étrangers. Au Québec, on le vit de façon déjà importante.
Je vous dirai aussi que le nombre de jours perdus par 1 000 travailleurs — il s'agit de chiffres récents — est une fois et demie plus élevée au Québec qu'en Ontario, et ce, sur une base comparable.
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Merci, monsieur le président.
Pour répondre brièvement au commentaire qu'a fait Mme Davies en ce qui concerne la nécessité d'éviter de prolonger les grèves en ayant recours à des travailleurs de remplacement, d'autres témoins ont cité des études indiquant que des dispositions législatives concernant les travailleurs de remplacement ne réduisent pas la durée des grèves. Par conséquent, je suis irrité que les membres qui sont de l'autre côté de la table contredisent les faits cités par les témoins. J'estime qu'il faudrait détruire ces mythes une fois pour toutes.
J'estime qu'il est important pour les membres du comité, surtout les nouveaux, d'admettre que c'est actuellement dans la fonction publique fédérale qu'il y a le moins d'arrêts de travail au pays, moins que dans n'importe quelle province. Par conséquent, quand M. Law quand M. Law demande quel problème nous tentons de régler en fait, il pose une question très pertinente. Si nous avons déjà le niveau des arrêts de travail le plus bas au pays, pourquoi vouloir gâcher cette réussite? De toute évidence, le système actuel fonctionne très bien, et je pense que nous avons déjà entendu de nombreux commentaires indiquant que si l'on voulait modifier le processus, cela aurait des conséquences graves.
Un de mes collègues d'en face a également signalé que l'économie de la Colombie-Britannique était prospère, malgré les dispositions législatives sur les travailleurs de remplacement adoptées en 1992. Monsieur Silva, je vous invite à prendre en considération le fait que l'économie n'était pas prospère en 1992. Elle est peut-être prospère actuellement et elle l'est depuis deux ou trois ans, mais ce n'était certainement pas le cas au cours des 15 dernières années. Il est arrivé très souvent que l'économie de la Colombie-Britannique n'ait pas été l'économie la plus prospère au pays et si nous avons réalisé certains gains, c'est bien malgré ces dispositions législatives.
Vous vous souvenez peut-être qu'il y a quelques jours, le représentant du B.C. Business Council a signalé que la Colombie-Britannique continuait de perdre des entreprises dans le contexte actuel, à cause de cette loi.
Je signale en outre, pour la gouverne de mes collègues, que ce projet de loi a été rejeté à neuf reprises. Il a été renvoyé neuf fois à un comité comme le nôtre, avec des membres très intelligents et des experts comme témoins, et il a été rejeté neuf fois.
Je ne fais pas souvent des compliments aux libéraux, mais en l'occurrence, ils ont rejeté neuf fois ce projet de loi. Je veux rendre à César ce qui appartient à César.
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Tout ça est une question de crédibilité. Vous avez entendu les arguments de l'autre partie. Les arguments des deux parties indiquent que c'est en fait une question d'équilibre et que selon leur interprétation de l'équilibre, le système est déséquilibré dans l'autre sens. Pour nous tous, c'est une question de crédibilité.
Comme quelqu'un l'a fait remarquer tout à l'heure, ce qu'il est essentiel de savoir, ce n'est pas quel a été l'impact en Ontario ou au Québec, mais quel a été l'impact au Québec avant et après la mise en place de cette loi. La même question se pose en ce qui concerne l'Ontario, où des changements ont été apportés également. Et c'est aussi le cas en Colombie-Britannique. Quel a été l'impact?
J'ai reçu aujourd'hui cette étude qui a été préparée par l'Association des banquiers canadiens indiquant que le nombre de jours-personne par million, le plus bas que vous voyez et qui concerne l'année 1976, en Ontario et au Québec, a considérablement changé depuis l'entrée en vigueur de cette loi au Québec. Il semblerait que le contexte de travail ait changé dans la province et que la situation se soit stabilisée à un niveau beaucoup plus bas.
Si l'on faisait une comparaison pour les 10 ou 15 dernières années pour l'Ontario et le Québec, on constaterait que la situation n'est pas très différente. La différence est peut-être de deux fois et demie par rapport à 2005. En ce qui concerne 1996 et 1997, elle serait peut-être de deux fois et demie dans l'autre sens. Bon an mal an, la situation est en gros à peu près la même. Si l'on faisait le même calcul en ce qui concerne la Colombie-Britannique et l'Ontario, on constaterait que la différence n'est pas très prononcée non plus. La différence a été très marquée juste après la mise en place des changements. La situation du travail a beaucoup changé.
Je vous avertis en ce qui concerne vos commentaires. Je rappelle que c'est une question de crédibilité. Plus on fait des commentaires alarmistes sans avoir aucune preuve que c'est vrai, et plus cela nuit à la crédibilité. Je vous conseille vraiment de ne pas perdre de vue les arguments de l'autre partie pendant que vous exposez le vôtre.
Je donnerais également exactement le même conseil à l'autre partie.
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La réponse courte à cette question est un oui ou un non. Je ne pense pas qu'il soit possible de régler le problème en apportant quelques petits changements.
Pour en revenir à la question de la crédibilité, je pense que personne ici ne prédit que ce projet de loi comme tel provoquera l'apocalypse. En fait, il fera pencher légèrement la balance du pouvoir à la table de négociation.
Ce que je veux dire, c'est qu'on peut l'examiner hors contexte et se poser la question suivante: changera-t-il considérablement la vie d'une façon ou d'une autre dans le pays? Je pense que non, mais il s'inscrit dans le cadre d'une stratégie économique globale.
Combien d'initiatives prendra un parti au pouvoir? Combien de mesures constituant une stratégie pour le pays proposera un parti de l'opposition? Quels changements stratégiques susceptibles de favoriser la croissance du pays, de créer de meilleurs emplois et d'attirer des investissements voulons-nous apporter? Quelles politiques susceptibles d'avoir un coût économique mais aptes à servir d'autres objectifs plus importants comptons-nous proposer?
Tout ce que je veux dire, c'est que cela aura des conséquences économiques négatives. Il faut examiner la question dans le contexte de la stratégie globale que l'on veut proposer pour faire de ce pays un pays meilleur et plus fort.
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Eh bien voici mon avis. Il n'est pas nécessaire que ce soit l'apocalypse pour que ce soit une erreur. Il n'est pas nécessaire que cette initiative nous mène à la catastrophe pour être une mauvaise initiative.
Vous avez parfaitement raison. Les grands discours ont tendance à dépouiller le message de ses qualités, ce qui n'arrange pas la situation. J'en suis conscient.
La conclusion, c'est que cette initiative modifie l'équilibre qui était apparemment efficace. Les motifs invoqués ne sont pas manifestes. La violence qu'elle serait censée éviter n'est pas endémique. Une situation de crise a été réglée de façon peut-être un peu radicale au Québec dans les années 70, mais elle a été réglée et l'intervention a été efficace. Il ne s'agit pas de crise en l'occurrence.
Pour en revenir à un sujet qui a été abordé tout à l'heure, car je pense que c'est important pour les parlementaires, nous ne procédons plus de la sorte au Canada en matière de législation du travail. La législation du travail est fondée sur un compromis. C'est du donnant, donnant. Ce ne devrait pas être du football politique.
Ce qui s'est passé en Ontario au cours des 10 ou 15 dernières années démontre bien la façon de procéder qu'il faut éviter en matière de législation du travail car la loi a été ballottée entre des opinions extrêmes en ce qui concerne son application, selon l'équipe au pouvoir. Nous atteignons enfin un consensus, là où nous devions être.
C'est ainsi que l'on a procédé pour la législation du travail au Canada. Je vous exhorte à tenir compte de cette tradition. Cette tradition a des mérites. Ce qui a été efficace au Québec il y a 30 ans était peut-être nécessaire alors. La situation est-elle la même à l'échelle nationale actuellement? Sommes-nous confrontés à une crise semblable?
Aucun témoin, quelle que soit son opinion, n'a apporté des preuves de cette crise. Le ciel n'est pas en train de nous tomber sur la tête, mais pourquoi commettre une erreur qui n'est pas nécessaire? C'est la question qui nous tourmente.
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Merci, monsieur le président.
D'abord, je veux remercier nos invités d'être venus livrer leur témoignage. Je pense qu'ils vont comprendre qu'on ne décidera pas du sort du projet de loi C-257 en s'appuyant sur le fait qu'il a été rejeté à neuf reprises. Si c'était le cas, les femmes n'auraient toujours pas le droit de vote. Il a fallu plusieurs tentatives avant que la Chambre des communes ne permette aux femmes de voter. Là où je veux en venir — et M. Dryden l'a bien indiqué —, c'est à la question du fondement des allégations en ce qui touche les craintes appréhendées.
Avant de poser une question à M. Hogue, je voudrais revenir sur votre propos. Mon collègue M. Silva mentionnait plus tôt que l'économie en Colombie-Britannique roule rondement, etc. Vous avez répondu qu'il y a eu des initiatives constructives et heureuses de la part des entreprises, du patronat, etc., ce qui donne ces résultats. Doit-on comprendre que si, un jour, ça va mal, ce sera parce que la province s'est dotée d'une loi interdisant le recours à des travailleurs de remplacement? C'est ce que cela laisse aussi entendre. Si les choses vont bien en Colombie-Britannique, malgré cette loi, peut-on dire que cela n'empêche pas l'économie de bien rouler? On est obligé de tirer aussi cette conclusion, je le souligne.
M. Hogue et vous aussi, madame Furlong, avez mentionné tous les effets d'une pareille loi sur le fonctionnement de la nouvelle économie, qui repose sur des contacts rapides dans le domaine des communications, pour les affaires, notamment l'utilisation des cartes de crédit, par exemple. Tout fonctionne par carte, et ce système est géré par les banques. Dans les banques, le taux de syndicalisation est de moins de 1 p. 100. On sait que les services sont délocalisés. J'ai eu à demander des informations à Visa, par exemple. On m'a répondu en Italie. À un collègue, on a répondu dans un autre pays. Vous voyez où je veux en venir.
La question a été bien posée par notre collègue libéral: quels sont les exemples concrets qui peuvent nous laisser croire que vos appréhensions sont fondées? Au Québec, notamment, rien ne justifie cela, il n'y a pas de crise appréhendée, parce que le pourcentage d'employés relevant de la compétence fédérale par rapport à l'ensemble des travailleurs est à peu près de 20 p. 100. Chaque fois qu'on a des conflits, tel que ma collègue vous l'a démontré ici, c'est toujours en pourcentage. Pour eux, ce sont des crises réelles.
Je vous laisse répondre à cela.
Je pense que certains de mes collègues ont exposé plusieurs fois les arguments fondamentaux et les positions sont assez bien établies.
Les associations d'entreprises ont signalé à maintes reprises que le statu quo est efficace et se demandent par conséquent pourquoi on s'attaquerait à un problème inexistant.
L'un de vous — je pense que c'est vous, monsieur Stewart-Patterson — a signalé que ce projet de loi modifierait l'équilibre qui semble être efficace. Je pense que c'est de toute évidence l'argument que vous présentez, à savoir que le statut quo est acceptable et que si nous allons de l'avant avec cette initiative, cela aura des conséquences économiques néfastes.
En fait, je pense que si l'on se base sur les antécédents, la plupart des employés n'auraient jamais recours à ce projet de loi. Probablement plus de 97 p. 100 d'entre eux n'y auraient jamais recours et le ministre du Travail a même signalé que la plupart des conflits de travail se règlent et ne débouchent pas sur une grève. Cette mesure concerne malheureusement les cas où la situation devient vraiment difficile et s'envenime.
Il y a deux cas récents qui me viennent à l'esprit. Il y a notamment la grève de la mine de diamants d'Ekati, dans les Territoires du Nord-Ouest et la grève de TELUS, en Colombie-Britannique, qui ont été très prolongées et où l'on a eu recours à des travailleurs de remplacement. Dans ces deux cas, cela a eu des conséquences sur le moral et les grèves ont duré beaucoup plus longtemps que ce n'était nécessaire, à cause du recours à des travailleurs de remplacement.
Par conséquent, je ne prétends pas que le statu quo suffit. Je pense que même le rapport Sims, dont il a été fait très souvent mention, n'a pas atteint un consensus. Je pense qu'il a fait l'objet d'un compromis, mais il s'agissait d'un rapport minoritaire. En fait, dans ce rapport minoritaire, M. Blouin a indiqué aux parlementaires que cette question n'avait pas vraiment été réglée.
Je voudrais revenir à votre argument en faveur du statu quo, mais je pense que dans des cas de conflits récents, où l'on a fait appel à des travailleurs de remplacement, les résultats ont été à tout le moins très insatisfaisants.
Personne n'est là pour commettre une erreur volontaire. Si ce projet de loi a été présenté, c'est pour une bonne raison; c'est pour régler ces quelques situations déplorables.
Je le considère donc comme une mesure préventive. C'est ainsi que je le conçois. C'est une mesure préventive en ce sens qu'elle a pour but de prévenir des conflits de travail prolongés, et j'estime que c'est un but qui devrait faire l'unanimité.
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Merci, monsieur Allison.
J'aimerais entendre les commentaires de M. Hogue et de M. Law sur la question suivante. Lorsque je pense aux employés assujettis à la législation fédérale, je pense à de vastes réseaux qui s'étendent à travers le pays et qui constituent une infrastructure importante pour l'économie canadienne, peut-être davantage que dans le cas des employés assujettis à une réglementation provinciale.
Quand je vois que nous nous lançons sur cette pente dangereuse, je crains les conséquences que cela aura pour l'économie canadienne. Je voudrais avant tout entendre vos commentaires sur les répercussions que ce projet de loi pourrait avoir sur l'économie canadiennes mais, par ailleurs, le gouvernement du Canada a une obligation quasi fiduciaire de maintenir la paix sociale. Le Code canadien du travail reconnaît l'importance du maintien des services essentiels en accordant au Parlement le pouvoir de restreindre le droit syndical de grève et de mettre en place une loi ordonnant la reprise du travail.
Il est à mon sens important de tenir compte du fait que le Parlement a ce pouvoir. Depuis l'adoption du rapport Sims par le gouvernement libéral précédent, en 1999, il n'y a eu aucun recours à une législation ordonnant le retour au travail. Pourquoi changerions-nous de tactique alors que la paix sociale est actuellement plus stable qu'il y a un quart de siècle et que cette tendance se poursuit?
Mme Davies a signalé que le rapport Sims n'était pas un rapport consensuel, mais ce rapport a indiqué qu'il était inapproprié de changer de cap. Et même les opinions dissidentes n'étaient pas aussi radicales que ce projet de loi.
Je voudrais entendre vos commentaires pour savoir quelle incidence ce projet aurait à long terme pour le Canada. Je voudrais que M. Law réponde d'abord, puis M. Hogue.
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Ce ne sera pas l'apocalypse. Je ne le pense pas. Il ne faut pas oublier que les employeurs sous réglementation fédérale ne sont pas tous de très grosses entreprises. De nombreuses PME qui assument des fonctions de soutien dans les secteurs de l'aviation et du transport maritime, et dans d'autres secteurs, sont probablement assujetties à la législation fédérale. Par conséquent, il ne s'agit pas uniquement d'organisations colossales. L'idée que les grandes organisations sont capables de résister à toutes les difficultés économiques est quelque peu fictive. Je pense qu'il ne faut pas s'accrocher à cette idée.
Mme Davies a fait une remarque que je trouve très importante, et je voudrais être clair. Il ne faut pas considérer la perception négative que l'on a de ce projet de loi comme une perception négative de tout ce qui concerne le travail. Le régime de travail actuel est en fait efficace. C'est une question d'équilibre. Je sais. Je travaille dans le contexte de ce régime. Je l'observe en action.
Si mes clients sont touchés par des grèves, l'autre partie est touchée également. C'est l'essence d'une grève. La raison pour laquelle les parties n'optent pas pour la grève est qu'elles connaissent les répercussions mutuelles d'une grève.
Si nous modifions l'instrument de la grève de la façon décrite dans ce projet de loi, la conséquence sera toute simple. C'est une des deux parties plutôt que les deux qui supportera presque toutes les conséquences ou la plupart des conséquences de la grève, car une partie deviendra incapable d'être opérationnelle alors que l'autre pas. L'autre pourra encore obtenir du travail et obtenir des indemnités de grève. Ce n'est pas bon. Ce n'est pas bien, je le sais, mais c'est un déséquilibre profond. Je ne sais pas quelles seront les conséquences sur la prédisposition à investir et à risquer des fonds. Ce sont des effets cumulatifs. Ils touchent la nature même de la qualité de notre entreprise, de la qualité de notre environnement d'accepter les risques liés à l'exploitation d'une entreprise.
Ce n'est pas rien. Ce sont des facteurs très concrets et cette loi provoque une réaction chez la plupart des membres de ce qu'on appelle les milieux d'affaires, car ils sont conscients de ce qu'elle représente. Ils savent que c'est une déformation, comme je m'évertue à le rappeler, et qu'elle va à l'encontre de la méthodologie que nous avons adoptée au Canada en ce qui concerne la législation du travail.
Je ne pense pas que l'autre partie concernée par cette question aimerait subir de façon unilatérale le contrecoup inévitable de cette loi si elle était adoptée. À quoi nous attendons-nous? Une autre législature devra réparer les dégâts et Dieu sait comment elle procédera. Ce ne devrait pas être une partie de volley-ball. Les relations de travail sont trop importantes pour l'économie pour devenir une partie de volley-ball politique. Elles sont très complexes et très délicates. Cela ressemble en fait à un château de cartes.
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Je vous remercie d'être venus aujourd'hui. Je vous suis reconnaissant de vous être déplacés et je suis heureux que vous soyez là.
J'ai en fait entendu, et c'est tout à votre honneur, des arguments différents de ceux qui ont été présentés par d'autres témoins qui s'opposent à ce projet de loi.
Je sens notamment chez vous une certaine frustration, voire une certaine surprise — et je partage ces réactions — à l'idée que ce projet de loi soit arrivé à une étape aussi avancée. Je trouve que c'est un projet de loi extrême. De nombreux témoins ont fait le même type de commentaires. Vous serez peut-être étonné d'apprendre que certaines de ces préoccupations sont partagées par un certain Sydney Green, dans un éditorial paru dans le Winnipeg Free Press. M. Sydney Green est un ex-ministre de la province du Manitoba; il a été en fait ministre dans un cabinet néo-démocrate.
Monsieur Law, certains des commentaires que vous avez faits m'ont poussé à réfléchir sur cet article. Je vous en lis de brefs extraits, puis vous demanderai vos commentaires.
L'auteur de cet article débute ainsi :
L'élection d'un gouvernement minoritaire a engendré une anomalie curieuse. Les partis de l'opposition estiment qu'en se liguant, ils peuvent faire adopter des lois qui entrent directement en conflit avec la position du gouvernement. En fait, les partis de l'opposition, pour faire jouer leurs muscles, ont fait atteindre l'étape de la deuxième lecture à un projet de loi qu'aucun parti désireux de former le gouvernement fédéral n'a jamais inclus dans son programme électoral.
Il écrit également ceci, ailleurs dans l'article :
Lorsque la négociation collective libre est la règle, les employés ont le droit de retirer leurs services. Mais lorsqu'ils le font, ils courent le risque d'échouer. Le risque ultime est celui de perdre son emploi. Les employeurs ont le droit de résister aux exigences des syndicats et de poursuivre leurs activités. Ils courent toutefois alors le risque de perdre la partie. Le risque ultime est de devoir fermer leurs portes.
Ce sont des commentaires semblables à ceux que vous avez faits aujourd'hui. M. Green dit ceci : « Cet équilibre des risques ultimes est un facteur extrêmement important. Il exige un sens des responsabilités chez les deux parties. C'était la pierre angulaire et la soupape de sécurité du processus de la négociation collective libre ».
À propos de l'historique de la législation du travail, M. Green écrit ceci : « Cette soi-disant loi anti-briseurs de grève est l'exigence la plus extravagante qui ait été faite jusqu'à présent et elle abaisse le cercueil dans la tombe ».
Ce sont là les commentaires d'un ministre du cabinet NPD du Manitoba.
À propos des conséquences à long terme du projet de loi C-257, M. Green signale ceci :
Les incidences de l'ingérence législative, une fois que le principe de la non-ingérence est abandonné, sont illimitées. En réaction à une loi anti-briseurs de grève, les employeurs peuvent exiger en toute logique qu'au cours d'un lockout, les employés concernés ne soient pas autorisés à chercher un autre emploi.
Je pense que c'est précisément le type de commentaires que vous avez faits, monsieur Law.
Je n'irai pas plus loin. Je voudrais que l'un ou l'autre d'entre vous, mais surtout M. Law, fasse des commentaires à ce sujet.
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Je n'ai pas lu l'article, mais je peux faire le commentaire suivant. Ce n'est pas la première fois que nous avons un gouvernement minoritaire. En vérité, je pense que si les partis de l'opposition veulent unir leurs efforts et faire adopter une loi, sauf s'il s'agit d'une mesure de défiance, ils peuvent le faire. C'est leur droit. C'est parfaitement leur droit. Par conséquent, la question est de savoir comment ils exercent ce pouvoir, comme le ferait toute majorité à la Chambre, quelle que soit la façon dont elle est constituée.
Ce n'est pas la première fois que nous avons un gouvernement minoritaire. David Lewis a détenu la balance du pouvoir à la Chambre des communes pendant une des périodes les plus tumultueuses en ce qui concerne les relations de travail. Aucune loi fédérale interdisant le recours à des travailleurs de remplacement n'a pourtant été adoptée quand il détenait la balance du pouvoir. C'est significatif. Dans les provinces des Prairies, par exemple, où des gouvernements néo-démocrates ont détenu le pouvoir, aucune loi semblable n'a été adoptée.
Il faut examiner les répercussions concrètes d'une telle loi, et pas seulement pour les milieux d'affaires, qui sont représentés ici aujourd'hui et témoignent au nom de leurs membres, mais aussi pour les personnes dont vous voulez servir les intérêts. Je pense que c'est là l'enjeu. Vous pensez peut-être que c'est fallacieux, et c'est peut-être le cas, mais en fait, cela mérite une approche équilibrée. Ce n'est pas ainsi que nous édifions la législation du travail au Canada. Ce n'est pas de cette façon que nous négocions les contrats, et c'est précisément ce que M. Green a expliqué.
Peut-on dire vraiment qu'on abaisse le cercueil dans la tombe? On exagère un peu dans des cas semblables. Ce n'est toutefois pas ainsi que nous pratiquons la négociation collective. La législation du travail ne devrait pas être un jeu politique. Je ne dis pas que c'est uniquement cela. On exprime des inquiétudes sincères au sujet de la violence dans les lignes de piquetage. Ce sont des problèmes bien concrets et c'est dégoûtant. Il faut que les responsables, de toutes les parties concernées, rendent compte de leurs actes.
Ce projet de loi n'est pas l'instrument approprié pour régler ce problème. C'est notre position. De nombreuses autres parties, notamment les néo-démocrates qui ont eu l'occasion de détenir la balance du pouvoir ou d'être au pouvoir, n'ont pas adopté de mesures semblables parce qu'ils comprennent la législation du travail. En fait, les néo-démocrates ont généralement davantage d'expérience en matière de relations de travail que la plupart des autres parlementaires, compte tenu du travail qu'ils ont fait et de leurs antécédents. Ils comprennent. Je vous suggère par conséquent d'examiner cette expérience et ces exemples, monsieur.