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Merci, monsieur le président. Membres du comité, bonjour. Je vous remercie de m'avoir invité à me présenter devant vous pour discuter du projet de loi .
Comme vous le savez, l'adoption d'un tel projet de loi aurait de graves répercussions sur les relations patronales-syndicales dans le secteur privé relevant de la compétence fédérale. J'estime important que nous prenions le temps de nous pencher sur ces conséquences avant de prendre une décision irrévocable.
La législation du travail a des répercussions tant auprès du patronat que des syndicats, et toute loi concernant ces relations doit tenir compte des aspirations des deux parties. Mais les répercussions sur les relations patronales-syndicales vont au-delà du domaine des deux parties : elles affectent aussi les résultats économiques et sociaux nationaux, la production, l'emploi, les gains salariaux, les profits, les revenus individuels, la productivité et la compétitivité, pour ne nommer que quelques-uns des principaux éléments d'un système économique et social.
Monsieur le président, deux principes élémentaires guident les décisions du gouvernement en matière de relations patronales-syndicales : équilibre et preuve.
Les dispositions actuelles de la partie I du Code canadien du travail sont le fruit d'une étude vaste et approfondie menée notamment par le groupe de travail présidé par M. Andrew Sims, ancien président du Alberta Labour Relations Board. Le groupe de travail a tenté de faire exactement ce qu'indique le titre de son rapport, « Vers l'équilibre », c'est-à-dire de trouver un juste équilibre entre les besoins des employeurs et ceux des employés. Même si le groupe de travail n'était pas unanime sur la question des travailleurs de remplacement, il a recommandé dans un rapport majoritaire la mise en place d'une disposition accordant assez de latitude aux employeurs pour leur permettre de continuer à fonctionner de façon minimale, mais sans se servir des travailleurs de remplacement pour nuire aux objectifs de négociation légitimes des syndicats.
Je veux répéter ces trois petites lignes, parce qu'elles sont importantes : permettre aux employeurs de continuer à fonctionner de façon minimale avec la possibilité d'avoir des travailleurs de remplacement, mais sans se servir des travailleurs de remplacement pour nuire aux objectifs de négociation légitime des syndicats. C'est ce qu'on appelle l'équilibre.
Les dispositions actuelles du Code canadien du travail sont fondées sur ce compromis raisonnable, recommandé par M. Sims. La partie I du Code du travail est le fruit d'efforts considérables prenant en considération les intérêts de l'ensemble des intervenants, et non pas uniquement les intérêts d'une partie au détriment de toutes les autres. Le projet de loi entraînerait la mise en place d'une approche à sens unique qui ruinerait les années de travail investies par le gouvernement fédéral pour faire du code un outil législatif juste et équitable.
Les entreprises de compétence fédérale oeuvrent dans plusieurs domaines centraux tels que les télécommunications d'un bout à l'autre du pays, pas seulement dans une province; le transport d'un bout à l'autre du pays; la manutention des grains et le débardage. Tout arrêt de travail survenant dans ces secteurs d'activité a pour effet de causer d'importantes perturbations, non seulement pour les employeurs, mais aussi pour les Canadiens qui dépendent du bon fonctionnement de ces secteurs d'activité cruciaux.
Avant que des modifications ne soient apportées au code en 1999, alors que le gouvernement précédent était en place, de nombreux arrêts de travail dans des secteurs relevant de la compétence fédérale ont forcé le Parlement à légiférer pour imposer un retour au travail, afin d'assurer la continuité de ces services essentiels. Depuis que la loi a été votée en 1999, le Parlement n'a pas eu à intervenir. S'il n'a pas eu à le faire, ce doit être parce que ça marche. Cela prouve, selon moi, qu'un juste équilibre entre les intérêts divergents des travailleurs et des employeurs a été atteint et mérite d'être préservé.
Le projet de loi détruirait ce fragile équilibre, en éliminant les mesures de discipline économique qui forcent les syndicats et les employeurs à négocier raisonnablement. L'équilibre dans la loi actuelle est de permettre aux syndicats d'exercer des pressions sur l'employeur et de permettre à celui-ci de maintenir un certain niveau d'activité pendant un conflit de travail, sans trop compromettre la qualité des services offerts.
Autrement dit, imaginons qu'il y ait une grève dans les ports du Canada ou dans les services ferroviaires. Cela aurait un impact partout au pays et des répercussions sur l'économie de l'ensemble du pays. C'est dans ce contexte que nous devons envisager le maintien de l'équilibre actuel, lorsqu'on parle d'utiliser des travailleurs de remplacement. L'employeur ne doit pas miner la représentativité du syndicat. Si le syndicat juge que c'est le cas lors d'une grève, il peut porter plainte contre l'employeur, devant la Commission canadienne des relations industrielles.
Prenons l'exemple du transport aérien. C'est un service important d'intérêt public qui a un impact majeur sur l'économie canadienne. Tout le monde en convient. Imaginons que les équipes qui mettent les bagages des passagers à bord des avions ou que des agents de bord d'un transporteur aérien décident de déclencher une grève. Si tout à coup ces groupes tombaient en grève, les autorités de l'aéroport tenteraient de continuer à offrir certaines destinations au pays ou à l'étranger, à maintenir un certain niveau de service, tout en étant bien conscientes que cela ne pourrait continuer à fonctionner très longtemps. Les agents de bord et bagagistes n'auraient pas, eux non plus, intérêt à prolonger indûment le conflit. Ils comprendraient les enjeux et sauraient ce qu'ils pourraient perdre, à la table de négociation et dans l'opinion publique, si le conflit se prolongeait. C'est le poids raisonnable des parties qui s'affrontent qui crée l'équilibre que nous connaissons avec la loi actuelle, qui a été votée en 1999.
L'utilisation des travailleurs de remplacement permet donc de maintenir l'équilibre sans donner trop de poids à l'une ou à l'autre des parties. La preuve que cela fonctionne, c'est que 19 plaintes ont été déposées au Conseil canadien des relations industrielles au cours des sept dernières années, et seulement deux d'entre elles sont encore à l'étude.
Oui, le système fonctionne. Certains sont d'accord avec moi, mais ajoutent que le transport aérien n'offre pas de services essentiels comme ceux offerts par les hôpitaux et qu'il ne s'agit pas de santé et de sécurité au travail. Néanmoins, personne ne peut nier que c'est un service important et que, s'il n'est pas offert, cela a un impact économique national.
L'impact économique d'une grève au port de Montréal ou de Vancouver ou celui d'une grève dans le secteur ferroviaire, que ce soit pour le transport des marchandises au pays ou le transport des passagers, serait aussi dévastateur que les exemples donnés auparavant.
Que ferions-nous au Canada en cas de grève du service 911? Avons-nous un service essentiel? Le projet de loi actuel n'en contient pas. Tout serait paralysé.
Négliger l'impact économique à l'échelle canadienne de l'interdiction d'utiliser des travailleurs de remplacement reviendrait à négliger la réalité des travailleurs relevant de la compétence fédérale. En ce qui a trait à l'employeur, si on lui interdit d'utiliser des travailleurs de remplacement pendant une grève, on lui retire alors le droit de continuer à fonctionner pour tenter de maintenir en activité son entreprise et ses employés, plutôt que d'être confronté, s'il n'a pas recours à une faillite éventuelle ou au licenciement de ses employés.
Dans un contexte d'interdiction de recours aux travailleurs de remplacement pendant une grève, comme le suggère le présent projet de loi C-257, l'employé et l'employeur sont tous deux perdants. L'équilibre n'existe plus, le droit de choisir est enlevé aux deux parties. Comment peut-on vouloir imposer l'absence d'un choix aux deux parties et dire que le projet de loi C-257 fait l'unanimité? Ce n'est pas vrai; poser la question, c'est y répondre.
On doit aussi prendre en considération un deuxième principe, avant de décider s'il faut modifier ou non une loi : celui de la preuve. Avant de modifier une loi, il faut des preuves manifestes que le changement proposé sera avantageux. Monsieur le président, il n'y a tout simplement pas de preuve démontrant que les changements contenus dans le projet de loi C-257 apportent des avantages aux relations patronales-syndicales ou encore à l'économie nationale.
Contrairement à ce que revendiquent ceux qui sont en faveur de ce projet de loi, rien ne prouve que les lois interdisant le recours aux travailleurs de remplacement permettent de réduire le nombre d'arrêts de travail. Enfin, le nombre d'arrêts de travail par employé est considérablement plus élevé au Québec qu'en Ontario. Le Québec a une loi antibriseurs de grève, mais l'Ontario, une province dont l'économie est comparable à celle du Québec, n'en a pas et n'interdit pas le recours aux travailleurs de remplacement.
De plus, dans les administrations où le recours aux travailleurs de remplacement est interdit, on ne remarque aucune diminution de la durée moyenne des arrêts de travail. Enfin, un certain nombre d'études universitaires indépendantes ont permis de conclure que le fait d'interdire le recours aux travailleurs de remplacement durant un arrêt de travail mène à des conflits plus fréquents et plus grands.
Monsieur le président, le droit pour les deux parties de mesurer périodiquement leur force économique respective est à la base de notre régime de négociation collective, et les résultats qui en découlent démontrent la véritable valeur des services qu'offrent les employés dans les marchés libres. Si on élimine cette mesure de discipline économique, l'une des parties pourrait maintenir une position excessive au point de rendre la situation insoutenable et de mettre l'entreprise en faillite. Est-ce là l'environnement que nous voulons créer pour nos industries clés? Je réponds non, monsieur le président, car il n'y a pas de preuve.
En terminant, j'insiste pour dire que les dispositions actuelles du Code canadien du travail fournissent un équilibre judicieux. Elles ont bien fonctionné pendant les sept dernières années, et rien ne démontre qu'une loi interdisant l'embauche de travailleurs de remplacement réduira la fréquence ou la durée des arrêts de travail. Nous risquons de mettre en péril l'économie, si nous modifions la loi actuelle selon ce qui est proposé dans le présent projet de loi.
Aussi, j'incite fortement les membres du comité à mettre de côté leurs politiques partisanes, à chercher l'intérêt de l'ensemble des Canadiens et la protection du système de négociation collective libre, auquel nous croyons tous fermement. J'invite donc les membres du comité à rejeter ce projet de loi.
Merci, monsieur le président.
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Je reviens à la question de l'utilisation de travailleurs de remplacement et de l'importance de l'équilibre entre les forces. Si la loi que nous avons actuellement, qui a été adoptée en 1999, permettait l'utilisation de travailleurs de remplacement et qu'en contrepartie, lorsqu'un employé est en grève, il n'était pas assuré de réintégrer son poste, bien sûr, à ce moment-là, il n'y aurait pas d'équilibre. Ce serait un non-sens.
Mais l'employeur, en cas de grève, peut utiliser des travailleurs de remplacement. Ce n'est pas dans le but de miner la représentativité du syndicat. Et l'employé qui est aux piquets de grève revient à son poste lorsque le conflit prend fin.
Également, j'aimerais vous parler d'un autre aspect de l'équilibre des forces. Il n'est pas toujours facile de trouver un employé pour remplacer celui qui est normalement en fonction dans une entreprise. Il s'exerce donc une pression sur l'employeur. Il subit la pression de devoir trouver une personne compétente pour accomplir la fonction de celui qui est en grève, qui fait partie du syndicat qui est en grève.
Alors, une pression s'exerce sur l'employeur afin de régler le conflit et sur les représentants du syndicat, sur les employés en grève également. Disons que, durant le conflit, les affaires de l'entreprise vont moins bien. C'est une pression. Et du côté des travailleurs, il faut qu'ils en viennent à négocier pour retourner au travail pour, bien sûr, maintenir leur gagne-pain et continuer à évoluer au sein de leurs familles et dans la société. C'est pourquoi cette loi a été soupesée, on y a réfléchi.
Votre comité va recevoir une vingtaine de groupes, peut-être, qui ont demandé à comparaître devant vous. Je me suis informé et je crois qu'on accordera 20 minutes à ces représentants syndicaux ou patronaux ou autres. Seulement 20 minutes! Quelqu'un partira de Vancouver pour comparaître durant seulement 20 minutes devant le comité; il aura sept minutes pour présenter son allocution et 13 minutes pour répondre à des questions. On les bouscule. Il me semble que c'est un manque de respect envers ces représentants qui prennent la peine de venir ici pour vous parler, pour vous expliquer les avantages et les désavantages de ce projet de loi.
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Bienvenue, monsieur le ministre. Merci beaucoup d'être venu ce matin nous parler de votre vision du projet de loi antibriseurs de grève.
Le 5 novembre 1990, vous étiez député conservateur du même comté et vous avez voté, à la Chambre, en faveur du projet de loi d'un de vos collègues de l'époque, le député de la circonscription de Bas-Richelieu—Nicolet—Bécancour, M. Louis Plamondon.
Votre décision de voter en faveur de ce projet de loi n'était certainement pas basée sur les statistiques, car les statistiques du Québec démontrent qu'en 1989, 6,9 p. 100 des jours-personnes perdus l'ont été par des employés relevant de la compétence fédérale. Lorsqu'on établit des statistiques, on ne peut pas calculer la durée des conflits en nombre de jours et mettre dans le même panier les employés relevant de la compétence fédérale et ceux relevant de la compétence provinciale. Il faut faire des différenciations.
On ne peut pas non plus calculer la fréquence, car la durée des conflits de travail peut être d'une journée, d'une demi-journée ou de trois quarts de travail. La véritable statistique, c'est le nombre de jours-personnes perdus. Il faut faire la comparaison dans la même province entre les employés relevant de la compétence fédérale et ceux relevant de la compétence provinciale.
Lorsqu'on regarde les statistiques du gouvernement du Québec, on s'aperçoit que celles de certaines années ne sont pas très reluisantes. Je vais prendre l'exemple de l'année 2002. Au Québec, la main-d'oeuvre relevant de la compétence fédérale correspondant à environ 6 à 8 p. 100 de la main-d'oeuvre globale. En 2002, 47,8 p. 100 des jours-personnes perdus l'ont été par des employés relevant de la compétence fédérale. Ce chiffre est très loin de leur 6 ou 7 p. 100.
Il y a eu de meilleures années, c'est vrai : 14,2 p. 100, 8 p. 100 et même 1,6 p. 100, une certaine année. Cependant, la moyenne qui figure dans les deux tableaux qu'on peut trouver sur le site du gouvernement du Québec est de 12,2 p. 100 et de 18 p. 100, de 1995 à 2004, mais il y a également des années affichant des moyennes de 47 p. 100.
Monsieur le ministre, ce sont là les vraies statistiques que l'on doit considérer.
Je vais faire deux commentaires et je vous laisserai réagir ensuite.
L'équilibre dont vous parlez, c'est l'équilibre des employeurs. Le rapport Sims que vous avez cité a effectivement donné lieu à la modification du Code canadien du travail visant à autoriser le recours à des travailleurs de remplacement. M. Rodrigue Blouin a d'ailleurs produit un rapport minoritaire sur les travailleurs de remplacement. Cet homme n'est pas n'importe qui : c'est un grand intellectuel québécois et un professeur de l'Université Laval. L'ensemble de son étude repose sur le fait que les travailleurs de remplacement déséquilibrent les rapports entre l'employeur et l'employé.
Les travailleurs de remplacement sont des intrus dans un conflit qui concernent deux parties : la partie patronale et la partie syndicale. Ces intrus viennent toujours modifier le rapport de force au profit de l'employeur, et jamais, au grand jamais, au profit de l'employé.
Pourtant, la loi antibriseurs de grève en vigueur au Québec depuis 30 ans, depuis 1977, démontre avec force à quel point on peut atteindre une paix syndicale et respecter cet équilibre. Tant et si bien qu'au Québec, ces dernières années, on s'est aperçu que les grèves longues, pénibles et difficiles mettaient en cause des entreprises relevant de la compétence fédérale. Il y a eu la grève des employés de Vidéotron; celle de Radio Nord Communications, qui a duré 22 mois; ou encore celle de Cargill, qui a duré 36 mois. Il y a même eu une grève, celle de CHNC, une station radio de Bonaventure, qui a duré trois ans. Qu'ont fait les 12 travailleurs de remplacement, après deux ans? Ils ont demandé leur accréditation syndicale.
Cela démontre bien que non seulement les travailleurs de remplacement sont des intrus pour ce qui est de l'équilibre dans les négociations patronales-syndicales, mais qu'ils ne sont pas des travailleurs comme les autres, puisque l'accréditation syndicale leur a été refusée.
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Voilà, mais il faut également que les entreprises fonctionnent. Je veux revenir sur l'importance de l'équilibre. Voici quelques-unes des études.
L'étude Landeo, Nikitin, en 2005, disait que la disponibilité des travailleurs de remplacement réduit la probabilité d'une grève.
Celle de Singh, Zinni Jain, en 2005, disait que l'effet que peuvent avoir les travailleurs de remplacement dépend, entre autres, du type d'industrie dans lequel opère l'employeur, mais peuvent causer aussi des relations patronales-syndicales antagonistes.
Une autre étude, celle de Cramton, Gunderson et Tracy, en 1999, disait que la durée moyenne d'une grève est plus longue de 32 jours dans les juridictions où on trouve des dispositions antibriseurs de grève, et que la probabilité de grève est de 12 p. 100 plus élevée.
Lorsqu'il y a une loi antibriseurs de grève, il semble que ce soit plus long que lorsqu'il n'y en a pas, selon cette étude publiée en 1999, justement au moment où le Parlement a adopté la loi. Il y en a d'autres semblables. Vous constatez que cela contredit certaines perceptions.
D'autre part, en ce qui concerne la durée moyenne des arrêts de travail, de 1975 à 1977, avant que les lois ne soient promulguées au Québec et en Colombie-Britannique, elle était de 28 jours, en Ontario, et de 37 jours, au Québec.
Entre 2003...
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci au ministre pour sa comparution aujourd’hui sur ce projet de loi très important.
Vous avez fait un commentaire sur la durée du temps alloué aux témoins. Je dirais que j’ignore si c’est différent des commissions d’étude ou du temps accordé aux témoins sur d’autres sujets ou projets de loi. Je pense que nous suivons les procédures normales pour examiner ce projet de loi et entendre les témoins.
Toutefois, compte tenu de vos commentaires et après avoir entendu ce que vous avez dit aujourd’hui, il me semble que le point essentiel c’est que vous souhaitez maintenir l’équilibre actuel. Vous avez beaucoup parlé de « maintenir l’équilibre ». Je pense que c’est une question très cruciale du point de vue de ce projet de loi, parce que de la façon dont je le vois tel qu’il est à l’heure actuelle, l’absence de loi antibriseurs de grève signifie qu’il n’y a pas d’équilibre adéquat. Lorsque les travailleurs se mettent légalement en grève et qu’ils constatent que des travailleurs de remplacement peuvent être utilisés, il me semble que cela crée un déséquilibre. C’est un élément qui fournit un outil essentiel en faveur d’un employeur, qui lui permet de briser la grève qui a été organisée et décidée légalement. Je pense qu’un grand nombre d’entre nous considèrent la législation antibriseurs de grève comme un élément qui maintient concrètement l’équilibre. Le projet égalise les règles du jeu.
Je suis passablement surprise de constater que le gouvernement fédéral, votre ministère, ainsi que le ministre, utiliseraient ce climat de peur qui, selon moi, est créé par certains employeurs, sous prétexte que cette loi va créer le chaos. C’est ce que sous-entendent les messages que nous voyons dans les annonces et je suis convaincue que nous allons en entendre parler aujourd’hui. Il semble que vous ajoutez au message qu’il y aura un climat de confusion et de chaos. Il est évident que les gens seront craintifs.
Ce que vous n’avez pas dit, c’est que lorsqu’il y a une législation antibriseurs de grève, il existe un processus. Par exemple, en Colombie-Britannique, d’où je viens, il existe un processus pour examiner ce qui est considéré comme des services essentiels. Concernant votre exemple d’examen des services aéroportuaires, par exemple, sous compétence fédérale, si ce projet de loi entrait en vigueur — il nous faut à l’évidence examiner les modifications, etc. — d’après ce que nous savons des autres lois, il y aurait à l’évidence un mécanisme pour traiter les composantes essentielles. Je veux dire que nous l’avons déjà dans d’autres administrations. Une fois de plus, c’est un élément qui fait partie de l’égalisation des règles du jeu et d’une approche équilibrée. Je suis réellement surprise de votre position ici, lorsque vous dites que vous maintenez un équilibre, mais que concrètement, vous êtes contre un projet qui assurerait concrètement l’égalisation des règles du jeu.
En second lieu, d’après vos commentaires, je déduirai que vous appuyez le principe des travailleurs de remplacement. Vous estimez qu’ils devraient être en mesure d’intervenir et, dans les faits, de perturber une grève légale. D’après ce que j’ai entendu de vous aujourd’hui, c’est vraiment ce que vous dites lorsque vous vous exprimez contre cette loi. Devons-nous supposer que vous appuyez les travailleurs de remplacement et que l’employeur devrait avoir le droit d’y recourir?
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Madame la députée, vous pensez que lorsqu'on utilise des travailleurs de remplacement, on rompt l'équilibre. Ce n'est pas vrai, surtout lorsqu'il s'agit d'un conflit d'envergure nationale.
Tout d'abord, le projet de loi C-257 ne couvre pas les services essentiels. Comment va-t-on faire, à l'échelle canadienne, pour maintenir des services essentiels? Il faudra qu'on en instaure dans tous les sous-groupes de travailleurs? Comment cela va-t-il fonctionner? N'importe quel petit groupe d'employés a le pouvoir de paralyser l'économie. Un petit groupe est en grève dans un aéroport, celui-ci doit fermer, et le transport aérien est suspendu au pays. L'exemple vaut pour un autre petit groupe qui s'occupe des services aux passagers à bord des trains. Cela s'applique à la plus petite composante de n'importe quel service qu'on trouve au pays. On suspend le service Internet, et l'économie du pays est paralysée.
Ce n'est pas une question d'importance mineure, c'est majeur. Il faut pouvoir conserver cet équilibre en permettant l'utilisation de travailleurs de remplacement. Je le répète, l'employé qui est en grève, quand la grève est terminée, retourne à son poste. Il n'est pas congédié, il est obligé de reprendre ses fonctions. Un employé qui refuse de travailler durant une grève ne peut pas être pénalisé par l'employeur. L'employé est protégé par la loi actuelle.
Je rappelle l'importance de considérer les choses sous un angle national. Que ferons-nous si, à un moment donné, les bagagistes sont en grève et qu'il n'y a plus de transport au pays? Combien de temps peut-on endurer cela? Combien de temps peut-on faire fonctionner le pays? Combien de temps peut-on fonctionner, si on ne peut plus aller à la banque? Une journée, deux jours, trois jours, trois mois, trois ans? Combien de temps?
C'est à cela que vous, les députés, serez confrontés si vous adoptez votre projet de loi. C'est ce qui nous arrivera. C'est pour cette raison qu'il est important de maintenir cet équilibre. La loi actuelle est équilibrée. Il y a eu consensus entre les partis, et à l'époque, le gouvernement libéral et les conservateurs étaient d'accord. Tout le monde trouvait que cela, effectivement, avait du sens. Tout à coup, les libéraux ont pu... Je ne sais pas quel est la position de nouveau chef, mais je fais appel à son leadership pour ramener les gens à l'ordre. La récréation est terminée; c'est un débat sérieux.
Avant de nous dire que nous voulons provoquer un climat de crainte, il faut regarder la réalité en face. Je le répète, tout cela est national. Vous devez le constater. L'économie du pays doit continuer de fonctionner, et la loi en place...
Croyez-vous que, lorsque le gouvernement précédent a analysé cette loi en 1999, cela s'est fait à la va-comme-je-te-pousse et rapidement? Elle a été longuement étudiée et examinée. Voilà pourquoi nous avons décidé de permettre l'utilisation des travailleurs de remplacement. Par contre, après la grève, l'employé revient à son poste, et la représentativité du syndicat ne peut pas miner cela. Il y a une espèce d'équilibre.
Si nous avions dit à l'employeur qu'il pouvait utiliser les travailleurs de remplacement et que, lorsque les gens entrent dans l'entreprise, ceux qui sont dehors doivent y rester, on aurait alors pu dire qu'il n'y avait pas d'équilibre et qu'on avait favorisé l'employeur au détriment du syndicat et des employés.
Toutefois, ce n'est pas ce que les parlementaires ont décidé : ils ont eu la bonne idée de tabler sur l'équilibre afin que ça fonctionne, et ça fonctionne depuis 1999. Je le répète, il y a eu 19 plaintes : 14 ont été retirées, 2 ont été rejetées et 2 sont en instance devant le Conseil canadien des relations industrielles.
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Je vous remercie, monsieur le député. Je pense qu'on peut considérer une autre donnée. Comparons l'augmentation de salaire dont les employés relevant de la compétence fédérale ont bénéficié au cours des dernières années à celle dont on a bénéficié là où une loi antibriseurs de grève est en vigueur. Je pense qu'il s'agit d'une donnée intéressante.
Au fédéral, en 2005, l'augmentation salariale a été de 2,5 p. 100. En Ontario, elle a été de 2,3 p. 100, et au Québec, de 2,4 p. 100. Quelqu'un peut-il prétendre que les employés relevant de la compétence fédérale sont les plus bas salariés, si on compare leur situation à celle qui prévaut dans les provinces, et que leurs salaires ne sont pas comparables? Je crois que non. Je pense que tout le monde peut convenir qu'il existe une espèce d'équilibre à cet égard, que vous soyez un employé du fédéral ou du provincial. Peu importe de quelle compétence les travailleurs relèvent, ça fonctionne bien. C'est une autre donnée importante.
On pourrait dire qu'il y a un problème si des travailleurs de remplacement n'avaient pas de bons salaires comparativement aux autres et qu'ils ne bénéficiaient pas des mêmes augmentations de salaire. Toutefois, le problème n'existe pas. Je vous répète les chiffres. Les pourcentages étaient de 2,5 p. 100 au fédéral, de 2,3 p. 100 en Ontario, de 2,4 p. 100 au Québec et de 2,3 p. 100 en Colombie-Britannique, en 2005. En fait, vous voyez que celui du fédéral est un peu plus élevé.
Monsieur le député, je voudrais vous faire part d'un autre élément. Après que le projet de loi ait franchi l'étape de la deuxième lecture, les gens d'affaires ont commencé à s'apercevoir de ce qui était en train de se passer. La présidente et chef de la direction de la Chambre de commerce du Canada, Mme Nancy Hughes Anthony, a déclaré ceci :
Il s’agit d’un soi-disant remède sans problème. Et c’est un remède qui causera en fait de plus grands problèmes parce qu’il pourrait donner lieu à la fermeture de services de transport, de télécommunications et financiers essentiels qui sont à la base de notre économie et sur lesquels les Canadiens comptent.
La semaine dernière, la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, qui représente 90 p. 100 des PME, a émis une opinion semblable en disant qu'il fallait arrêter ça, car ça n'avait pas de sens. De plus, le projet de loi C-257 ne parle pas de services essentiels.
C'est pourquoi vous ne devriez même pas étudier ce projet de loi article par article, vous devriez le rejeter. Cela n'a pas de sens.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre présence, ce matin.
Monsieur le ministre, je vous ai écouté attentivement et j'essaie de faire la part des choses. C'est la deuxième fois que vous venez témoigner devant nous. J'ai vraiment de la difficulté à saisir les raisons pour lesquelles vous défendez ce point de vue. Je pense que, tout comme moi, vous avez grandi au Québec. Vous êtes probablement plus jeune que moi, mais vous avez sûrement eu connaissance du conflit à la compagnie Robin Hood, qui a duré plusieurs mois. Il y avait des briseurs de grève et des fiers-à-bras du côté de l'employeur. Il y a même eu des coups de feu.
Vous avez sûrement été témoin aussi du conflit à la Commonwealth Plywood Ltée — où des gens ont été gazés —, chez Robin Hood, à la Presse, chez Pratt & Whitney, où la police est entrée à l'intérieur avec une brigade anti-émeute pour bardasser les ouvriers et les sortir, alors que des gens avaient volé leurs emplois. Cela s'est passé dans les années 1970-1976. Vous avez eu connaissance de cela probablement par les médias, tout comme nous. J'étais un négociateur dans le domaine des relations de travail. Je peux vous dire que depuis qu'il y a une loi antibriseurs de grève au Québec, on n'a pas eu l'occasion de revoir des choses semblables.
En ce qui a trait aux services essentiels, il y a eu des grèves, y compris dans les hôpitaux, dans l'enseignement, à la Société des alcools du Québec. Ce furent de longs conflits. Il ne faut pas penser que les ouvriers sont des sauvages. Lorsque les ouvriers s'aperçoivent que leur entreprise pourrait être en péril ou encore que la sécurité de la population n'est pas assurée, ils négocient des services essentiels avec leur employeur. Avant même que les services essentiels existent, ces négociations étaient faites, ce qui a amené le gouvernement du Québec à adopter une loi sur les services essentiels et à créer le Conseil des services essentiels, sur la base de l'expérience des deux parties.
Monsieur le ministre, vous dites que le projet de loi ne contient pas de mesures pour les services essentiels. Ces mesures incombent au gouvernement. Si vous croyez que le projet de loi, qui est devant nous, nécessite des balises supplémentaires et des mesures relatives aux services essentiels, il me semble que c'est au gouvernement d'en faire la proposition, comme le gouvernement du Québec l'a fait, à un moment donné. Ce ne sont pas les syndicats ni les ouvriers qui ont présenté la loi sur les services essentiels, c'est le gouvernement. Le débat s'est fait démocratiquement, et on a atteint un équilibre relativement à la nouvelle loi.
Avez-vous l'intention de présenter une loi sur les services essentiels? Attendez-vous plutôt que les syndicats vous fassent signe en ce sens?
Le dernier commentaire, c’est que si ce projet de loi était adopté, nous allons finir par paralyser l’économie. Je pense que c’est une déclaration très irresponsable. Je ne pense pas qu’il existe de preuves que cela arrive si le projet de loi est adopté. Nous avons une loi antibriseurs de grève en Colombie-Britannique. Nous n’avons vu aucune preuve que cette loi ait eu des conséquences nocives quelconques. En fait, c’est tout à fait le contraire. Elle a contribué à la création d’un environnement de stabilité, de compréhension et de paix sociale. Les seules difficultés que nous ayons eues correspondent aux conflits qui relèvent de la compétence fédérale. Étant donné que nous n’avions pas ce type de législation, nous avons eu des difficultés. Je voulais juste faire ce commentaire.
Nous aimerions également rappeler que le projet de loi sur lequel nous avons voté était un projet de principe, et donc, nous parlons des principes de ce projet. Nous sommes maintenant réunis en comité pour examiner le projet de loi en détail et examiner quels sont les changements ou modifications à effectuer. Aussi, c’est ce que j’aimerais vous demander. Il me semble qu’en tant que ministre, vous avez la responsabilité d'examiner ce projet de loi et quelles sont les améliorations, selon vous, qui peuvent être effectuées.
Le fait est que maintenant, aux termes du Code canadien du travail, à l’article 87.4, il existe une disposition selon laquelle un employeur ou un syndicat peut s’adresser au CCRI, lorsqu’ils ne sont pas parvenus à un accord concernant ce qui est considéré comme un service essentiel. Il existe donc une disposition à l’heure actuelle. J’aimerais savoir si vous estimez cela adéquat ou si vous estimez que nous ayons besoin de dispositions supplémentaires.
Je pense qu’il serait beaucoup plus constructif si, en tant que ministre, vous fournissiez de l’information utile à ce comité concernant ce que vous aimeriez voir, en termes de projet de loi, pour l’améliorer, à votre point de vue. Il est possible que nous soyons en accord ou en désaccord avec vous, mais au moins, nous aurions le bénéfice de votre analyse constructive, plutôt que de déclarations bizarres concernant le fait que ce projet de loi paralysera l’économie. Je suis abasourdie qu’on fasse une telle affirmation.
Monsieur le ministre, à ce que je sache, un petit syndicat comme un syndicat de manutentionnaires de bagages dans un aéroport pourrait fort bien paralyser l’aéroport. Je vais donc devoir prendre pour hypothèse que toutes ces unités ne seront pas considérées comme essentielles, selon les déclarations des autres membres.
Dans ce cas, cela soulève des scénarios intéressants. En ce qui concerne nos aéroports, si vous fermez Halifax et Montréal, par exemple, cela signifierait que pour certains produits qui peuvent être expédiés à partir de ces villes, comme les fruits de mer ou le homard, il serait préférable de passer par Boston ou New York. Des entreprises comme FedEx ou Emery ou DHL ne verraient pas l’utilité d’utiliser ces villes comme aéroports pivots. Il leur serait beaucoup plus profitable d'utiliser Boston ou New York.
De plus, lorsqu’on parle de certains produits, comme les textiles, par exemple, il semble justifié qu’un plus grand nombre d’emplois soient transférés en Chine, plutôt que de fabriquer les textiles ici, si l’approvisionnement est interrompu ou pose problème. Les produits agricoles pourraient également être obtenus dans d'autres pays. Et même pour certaines industries spécialisées, comme Bombardier, franchement, leurs machines et leurs outils et ce genre de produits seraient plus faciles à obtenir d’autres pays.
Même certaines industries, par exemple l’hydroélectricité, si elles étaient touchées par ces problèmes et si le Canada, et plus précisément le Québec, devenait un fournisseur non fiable d’hydroélectricité au nord-est des États-Unis, ces industries seraient contraintes de trouver d’autres sources et cela aurait vraisemblablement une incidence sur les prix et autres choses.
Je me demandais si vous pourriez nous faire des commentaires sur une partie de ces points.
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Monsieur le député, je pense que nous sommes tous en mesure de concevoir l'impact d'une grève dans n'importe quel secteur de l'activité économique et plus particulièrement lorsqu'il y a une dimension nationale, comme c'est le cas des secteurs névralgiques que nous couvrons, qui relèvent de la compétence fédérale. Un million quatre cent mille travailleurs relèvent de notre compétence, dont 600 000 dans le secteur public et 800 000 dans le secteur privé.
C'est pour cela que, lorsque les parlementaires ont analysé la loi en 1999, ils ont décidé, à la suite des recommandations du rapport Sims, d'introduire ce nouveau concept qui permettait l'utilisation de travailleurs de remplacement — ce qui ne devait pas se faire dans le but de miner la représentativité du syndicat — et accordait au Conseil canadien des relations industrielles le droit d'intervenir immédiatement lorsque cela se produisait. Je pense que c'était le modèle par excellence pour l'équilibre des relations patronales-syndicales.
On veut briser cet équilibre alors que les services essentiels ne sont pas prévus. Or, la façon d'établir ces services essentiels est très complexe. On a toujours vu la santé du public et la sécurité comme des services essentiels. Notre propre vie et notre santé ne doivent pas être en danger.
Mais là, il va falloir décider tout à coup que les services essentiels incluent aussi l'économie canadienne. Je ne crois pas qu'autour de la table, en trois ou quatre jours, on puisse imaginer et prévoir tous les changements nécessaires à apporter à une loi afin de couvrir tout cela. C'est un travail immense, colossal auquel il faudra s'attaquer. C'est pour cela que j'estime que le présent projet de loi doit être retiré. L'équilibre est maintenu, depuis que la loi a été votée, en 1999.
Je veux vous rappeler, monsieur le député, qu'en 1995, quand l'Ontario a décidé de reculer, ce n'était pas pour rien. Elle avait une loi antibriseurs de grève. Elle a changé d'idée et l'a retirée. En 2004, le gouvernement libéral de McGuinty l'a révisée et il a décidé de ne pas restaurer la loi antibriseurs de grève.
De plus, on constate que là où il y a des lois antibriseurs de grève, les conflits sont plus longs que là où il n'y en a pas. Il faut bien penser qu'ailleurs aussi, certains conflits ont duré longtemps. Il ne faut pas que les députés pensent qu'il n'y a pas de longs conflits quand il y a une loi antibriseurs de grève. Des exemples existent, et j'aurai l'occasion d'en reparler un peu tout à l'heure. Vous verrez que certains conflits durent aussi très longtemps même s'il y a une loi antibriseurs de grève. Aucune preuve n'existe à l'effet que tout cela change lorsqu'il n'y a pas de loi antibriseurs de grève. Les preuves ne sont pas évidentes. On ne peut pas changer une loi en fonction d'une supposée preuve.