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Oh, je vous regarderai certainement.
Le président: Merci.
M. Pat Martin: Monsieur Fortier, si vous témoignez aujourd'hui, c'est en fait parce que la réfection de notre précieux édifice de l'Ouest s'est transformée en fiasco de plusieurs milliards de dollars et que ce n'est pas le seul projet entrepris alors que vous étiez aux commandes du ministère qui ne cause encore des problèmes. Les allégations d'intervention, de magouille et d'ingérence politique semblent une constante dans certains des plus gros dossiers auxquels votre nom est associé.
Nous sommes ici pour parler avant tout du fiasco de l'édifice de l'Ouest, mais comment pouvez-vous être aveugle au côté répréhensible de l'affaire ou, à tout le moins, à l'apparence de conflit d'intérêts, quand Sauvé verse 140 000 dollars à un lobbyiste conservateur bien placé, puis rencontre comme par hasard l'adjoint de Nolin lors d'un dîner au restaurant, après quoi le contrat est tellement modifié que seul Sauvé peut l'obtenir?
Si nous n'établissons pas de liens entre les événements, alors nous ne faisons pas notre travail de députés, parce que toute cette affaire semble répréhensible, et, bien franchement, personne ne peut croire... Et voilà le résultat: nous avons sur les bras un problème bien réel en raison de la manière dont le projet a été géré ou, devrais-je plutôt dire — avec tout le respect que je vous dois —, mal géré ou même pire, lorsque vous étiez ministre.
Il y a autre chose que j'aimerais savoir. C'est grâce à un tribunal des relations de travail que nous avons appris le congédiement de deux bureaucrates. Vous avez obligé M. Tipple à laisser RBC, votre employeur actuel, obtenir le contrat relatif à la vente des édifices, puis vous avez congédié ces deux employés parce que Tipple vous a vu parler à Byers et qu'il s'apprêtait à vous dénoncer ou, du moins, à faire état de la situation. Ces employés se sont tout à coup retrouvés à la porte. Les tribunaux ont crié à l'imposture et au mensonge, accordant aux intéressés des millions de dollars en dédommagement. Alors, bien franchement, vous nous coûtez bien cher, monsieur Fortier, même longtemps après votre bref mandat de sénateur.
J'aimerais ensuite attirer votre attention sur le reportage du Ottawa Citizen d'aujourd'hui, où il est question, en pleine une, de cet important contrat de TI, que vous avez enlevé au nez et à la barbe du soumissionnaire le plus susceptible de décrocher le contrat, pour favoriser CGI, une entreprise avec laquelle vous entreteniez des relations d'affaires. Le ministre des Travaux publics en personne avait des liens avec CGI.
Sincèrement, au cours de votre bref mandat de ministre des Travaux publics, vous avez multiplié les comportements répréhensibles. Or, comme vous étiez sénateur, nous ne pouvions vous convoquer pour vous poser des questions. Si le voulait un représentant spécial de Montréal dans son cabinet, je me demande pourquoi il ne vous a pas tout simplement invité à en faire partie, comme cela a été fait pour Stéphane Dion. Nul besoin d'être député pour être membre du cabinet. Mais on vous a nommé au Sénat et ainsi mis hors d'atteinte. Nous sommes donc contents que vous témoigniez aujourd'hui, mais le comité chargé de surveiller le ministère des Travaux publics a trouvé très frustrant de voir le ministre titulaire se cacher derrière la Chambre haute.
Qu'avez-vous donc à dire au sujet de...
Le président: Oui, monsieur Warkentin.
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J'ai, au vrai sens du terme, des amis qui sont des pêcheurs invétérés et il n'y a rien de plus frustrant que d'aller à la pêche et d'en revenir bredouille.
Vous pouvez mesurer alors la frustration ressentie par l'opposition aujourd'hui parce qu'en fait ils sont en train de pêcher et n'attrapent rien du tout. Ce que nous ne cessons entendre, de la part de chaque témoin qu'ils présentent et convoquent, c'est que le ministère a fait preuve de professionnalisme en ce qui concerne ce contrat. Votre témoignage aujourd'hui confirme encore plus que le contrat de l'édifice de l'Ouest a été fait sous la direction professionnelle du ministère. Vous le confirmez aujourd'hui, nous constatons donc qu'ils sont vraiment en train de pêcher quand ils commencent à soulever des points qui ne sont pas à l'ordre du jour et à parler de la cession-bail.
Vous vous souvenez sans doute, il y a quelques années quand j'étais nouveau au comité, que le comité avait entrepris une étude de la cession-bail. Un membre ici présent était avec moi à l'époque, je rappelle quand même aux membres du comité ce qui s'était passé. Des questions avaient été soulevées à propos des banques qui avaient été convoquées. En fait, les deux banques invitées à comparaître furent sélectionnées par trois conseillers externes.
Par conséquent, nous, le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, avons mené pendant quelque temps une étude pour s'assurer qu'il n'y avait pas d'opérations douteuses dans l'attribution de contrat à ces banques. On nous a assuré et nous avons entendu des témoignages affirmant que trois conseillers externes du ministre avaient pris cette décision. Nous, le comité de l'époque, étions satisfaits que la sélection de ces banques s'était faite avec toute la diligence nécessaire.
Pour ce qui est de la décision de vendre, une évaluation a dû être faite par une troisième banque car il était important que deux banques établissent les paramètres, puis qu'une banque qui a évalué le contrat plus tard s'assure que l'argent des contribuables avait été utilisé à bon escient. C'est Deutsche Bank qui s'en est occupé et qui, en fait, vous a félicité, monsieur le ministre, pour les efforts entrepris par votre ministère afin d'obtenir le meilleur rapport qualité-prix pour les contribuables.
Nous savons aussi que le mois de juillet dernier, qu'ayant examiné cette question la vérificatrice générale a déterminé qu'il n'y avait aucune raison — absolument aucune raison — de continuer à examiner cette question. Elle a estimé, je le répète, que les contribuables en avaient pour leur argent, qu'aucune règle n'avait été enfreinte et que la meilleure chose pour les Canadiens avait été faite durant votre mandat de ministre, aussi nous vous en félicitons, monsieur Fortier.
En ce qui concerne la portée du contrat, qui est la raison de notre présence ici aujourd'hui, vos propos, monsieur Fortier, confirment les témoignages d'un certain nombre de hauts fonctionnaires du ministère des Travaux publics.
Les témoignages des représentants de Travaux publics indiquent qu'il y a une justification légitime aux changements apportés au processus de passation des contrats que les membres de l'autre côté de la table, et particulièrement , ont commencé à mentionner. Ils ont décrit les changements faits dans l'étendue des travaux effectués dans les tours Nord et je crois que ces changements sont les mêmes que ceux qui ont été apportés dans le contrat pour la tour Sud-Est. C'est quelque chose qui avait été faite un peu avant car ils ont jugé nécessaire de faire ces changements pour mieux illustrer les paramètres établis pour l'autre contrat, et ce, en raison du très bon travail de réhabilitation de cette tour.
M. Tom Ring a déclaré, en rapport à la question d'ingérence politique dans le processus de présélection pour le contrat attribué à LM Sauvé, qu'il n'y avait eu aucune ingérence politique dans ce changement. Quand on lui a demandé si le ministre avait attribué le contrat à LM Sauvé, il a répondu que non, la demande de contrat a été approuvée au niveau du SMA — ce qui renforce encore ce que vous avez dit aujourd'hui.
Nous lui avons aussi demandé si quelqu'un du bureau du ministre a participé au processus. Tom Ring — qui est, pour ceux qui ne le savent pas, sous-ministre adjoint — a dit que le bureau du ministre n'avait exercé aucune pression politique.
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Merci beaucoup monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant vous aujourd'hui.
Je m'appelle Duff Conacher. Je suis le coordonnateur de Démocratie en surveillance et aussi le président de Government Ethics Coalition, qui est composée de plus de 30 organisations de toutes les régions du pays, et qui compte plus de trois millions de membres canadiens. Démocratie en surveillance coordonne Open Government Coalition et Money in Politics Coalition et aussi des coalitions de plusieurs groupes membres dans tout le pays.
Pendant plus de dix ans, Démocratie en surveillance a demandé des changements qui mettraient fin aux échappatoires existant dans les règles de nombreuses bonnes lois du gouvernement. Et je vais justement vous entretenir aujourd'hui des échappatoires que Démocratie en surveillance voit apparaître dans cette situation et d'autres situations similaires que nous connaissons dernièrement.
Je ne vais pouvoir que décrire ces échappatoires et je vous prie de m'en excuser à l'avance. Pour des raisons personnelles, j'ai du m'absenter la semaine dernière et je n'ai pas pu rédiger de mémoire, mais je fournirai avec plaisir au greffier et aux analystes du comité des renseignements détaillés sur les articles des lois dont je vais parler par rapport cette situation et d'autres situations semblables.
[Français]
De plus, il y a beaucoup de termes techniques, et comme j'ai encore besoin d'améliorer mon français, je ferai mon témoignage en anglais.
[Traduction]
Je dirai que, dans l'ensemble, les principales bonnes lois du gouvernement comportent des échappatoires qui donnent lieu à ce genre de situations et qui remettent en question ces situations. Tant qu'on n'aura pas mis fin à ces échappatoires, on continuera de voir apparaître ce genre de situations.
Autrement dit, le système est un vrai scandale et, tant qu'on ne l'aura pas nettoyé, ce genre de situations douteuses se produira bien trop souvent.
Je vais commencer par présenter brièvement les échappatoires. Tout d'abord, l'article 8.2.1 de la politique sur les marchés du Conseil du Trésor stipule que chaque ministre « délègue ordinairement son pouvoir de conclure des marchés » à des fonctionnaires, mais il n'est pas tenu de le faire. Alors, en réalité, il est légal pour les ministres d'intervenir dans le processus d'attribution des contrats en vertu même de la politique du Conseil du Trésor.
Par ailleurs, quand on pense à la très vague notion de responsabilité ministérielle et qu'on essaie de délimiter les fonctions des ministres, du personnel et des fonctionnaires, sans oublier les questions qui se posent actuellement sur la possibilité de faire comparaître le personnel devant les comités pour témoigner de leurs actes — une autre situation qui demeure non résolue —, on se retrouve dans une zone grise en ce qui concerne la responsabilité et, au-delà de la responsabilité, l'obligation de rendre des comptes sur ce qui se passe dans les processus d'attribution des contrats parce que la prise de décisions est légalement partagée entre le ministre, le personnel ministériel et les fonctionnaires.
S'ajoute à cela une autre brèche: la Loi sur l'accès à l'information ne permet pas, dans bien des cas, d'avoir accès à des documents pouvant servir au suivi du processus d'attribution des contrats, à cause des échappatoires dans cette loi qui permettent le secret dans ce domaine; il devient alors très facile pour un ministre d'intervenir dans le processus d'attribution des contrats, tout en évitant toute responsabilité ou toute obligation de rendre des comptes.
Qui plus est, en vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts, les ministres ont le droit d'intervenir dans certaines situations, même s'ils ont un intérêt financier privé dans l'affaire, pour autant qu'il s'agisse d'une question d'application générale. Ainsi, on pourrait faire valoir qu'une demande de proposition est une situation qui relève d'une application générale, du début à la fin, puisqu'elle s'adresse généralement à une gamme d'entreprises différentes. Elle ne vise pas une entreprise particulière parce qu'aucune soumission n'a encore été présentée. Même si des soumissions sont présentées, elles proviennent de plus d'une entreprise; voilà pourquoi on pourrait quand même considérer la demande de proposition comme une question d'application générale.
La commissaire aux conflits d'intérêts, bien qu'elle occupe son poste depuis maintenant presque trois ans et demi, n'a toujours pas défini ce qu'on entend par application générale. C'est une importante brèche dans la Loi sur les conflits d'intérêts. Un ministre ne peut se trouver en situation de conflit d'intérêts s'il traite d'une question d'application générale, même s'il a un intérêt financier personnel dans l'affaire. Il s'agit d'une énorme échappatoire.
Je reviendrai sur un autre aspect relativement aux ministres du Cabinet.
Examinons maintenant la Loi sur le lobbying. En vertu de cette loi, il est légal de travailler comme lobbyiste sans s'être enregistré. En fait, c'est légal si vous n'êtes pas payé pour le faire. Par conséquent, si un lobbyiste est payé par une entreprise, il peut simplement dire qu'il était payé pour donner des conseils à l'entreprise et qu'il a fait du lobbying gratuitement, en tant que bénévole. C'est un arrangement très simple à prendre, et vous n'avez ensuite pas besoin de vous enregistrer. Ou bien, vous pouvez dire: « Ah oui, j'ai touché une rémunération, mais c'était à titre d'employé. » Si vous êtes payé en tant qu'employé pour faire du lobbying auprès du gouvernement fédéral, c'est-à-dire un employé d'une société à but lucratif, vous n'êtes pas tenu de vous enregistrer si le travail de lobbying ne dépasse pas plus de 20 p. 100 de votre temps. C'est compté par tranche de six mois, alors vous pouvez faire du lobbying pendant 34 jours, huit heures par jour, à temps plein, et vous n'aurez pas à vous enregistrer en tant que lobbyiste.
Autrement dit, vous pouvez même être payé et ne pas avoir à dire: « Oh, je donnais des conseils et je faisais du lobbying gratuitement. » Vous pouvez plutôt dire: « Ah oui, j'ai été payé pour faire du lobbying, mais ça représentait seulement 19,9 p. 100 de mon temps. »
Je tiens également à mentionner une échappatoire qui n'a aucun lien avec la question à l'étude, mais qui constitue une énorme brèche: on n'a pas besoin de s'enregistrer si on fait du lobbying à propos de l'application, de la vérification ou de l'administration d'une loi, d'un règlement, d'une politique ou d'un code. C'est là une autre échappatoire, mais elle ne s'applique pas vraiment à la question dont nous sommes saisis.
Bref, le lobbying secret est légal. Pour ce qui est des ministres du Cabinet, un code avait été instauré par le premier ministre Chrétien pour interdire aux ministres — en quelque sorte — de recueillir et de solliciter des fonds, surtout auprès d'entités avec lesquelles ils interagissaient dans le cadre de leurs fonctions. Toutefois, ce n'était rien qu'un code; c'était le code du premier ministre. Il n'a jamais été appliqué. Il était appliqué par le premier ministre lui-même, qui n'avait pas vraiment intérêt à trouver un de ses ministres coupables d'avoir violé ce code.
Apparemment, il existe maintenant un nouveau code que le premier ministre Harper a établi et que nous n'avons toujours pas vu. C'est secret. Ces règles ne se trouvent pas dans la Loi sur les conflits d'intérêts, et elles devraient l'être, parce que le code du premier ministre Harper est, encore une fois, appliqué par le premier ministre lui-même, mais les règles ne sont même pas rendues publiques. Alors, nous n'avons aucune idée de quoi il s'agit.
Selon Démocratie en surveillance, la vraie controverse dans la participation d'entrepreneurs à des activités de financement ne réside pas dans le fait qu'ils ont assisté à l'événement et fait un don d'une somme nominale, parce que les plafonds imposés aux dons à des fins de financement politique sont assez raisonnables de nos jours — ils ne sont pas assez bas qu'ils devraient l'être, mais ils sont quand même assez faibles. La vraie question dans une telle situation, c'est de savoir qui les a invités à ces activités de financement? Était-ce le ministre ou le personnel ministériel qui sollicite ces dons? Le cas échéant, bien entendu, toute entité qui fait affaire avec un ministre et qui reçoit une invitation comprendrait le message pas trop subtil: faites un don, sinon vous n'aurez rien d'autre du ministre. C'est pourquoi Chrétien l'a interdit — en quelque sorte, parce que ce n'était pas appliqué — et c'est pourquoi cette règle doit être ajoutée à la Loi sur les conflits d'intérêts, comme la commissaire à l'éthique l'a recommandé.
Enfin, nous avons besoin d'une mesure de sauvegarde de première ligne et de dernière ligne, à savoir une protection efficace des dénonciateurs. À l'heure actuelle, le système n'est pas assez solide. Ce n'est pas tout le monde qui est protégé. Par exemple, le personnel politique n'est pas protégé, ni les fournisseurs ou les entrepreneurs visés en vertu de la loi sur la protection des dénonciateurs. La loi ne vise que les fonctionnaires et, encore là, pas tous. Par conséquent, les fournisseurs, le personnel politique et les entrepreneurs ne sont pas protégés. Même s'ils voient des actes répréhensibles, ils ne peuvent pas s'en plaindre et obtenir une protection dans le cadre du système.
Quand on ajoute toutes ces échappatoires, on se rend compte que tous les intervenants sont assujettis à des règles très vagues et peuvent se soustraire à la responsabilité et à la reddition de comptes, agir en secret et même de façon contraire à l'éthique. Il n'est donc pas surprenant de voir apparaître de telles situations, et cela se poursuivra; tant que les règles comporteront ces échappatoires, tant que l'application des lois sera faible et tant qu'on aura une situation générale de secret, on continuera de travailler dans des zones grises au moment de déterminer si une personne est coupable d'actes répréhensibles.
Je serai ravi de répondre à vos questions.