:
C'est bien le cas, monsieur.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je tiens à remercier le comité de nous offrir la possibilité de témoigner au sujet des modifications proposées par le projet de loi et de leur incidence sur mon rôle en tant que commissaire aux élections fédérales.
J'ai le plaisir ce soir d'être accompagné par l'avocate-conseil qui nous fournit des conseils juridiques, Mme Audrey Nowack.
Avant de parler du projet de loi lui-même, je crois qu'il serait utile aux membres du comité que je rappelle les raisons pour lesquelles le poste de commissaire aux élections a été créé, en 1974, il y a donc 40 ans, et les raisons pour lesquelles il a alors été placé au sein du bureau du directeur général des élections.
[Traduction]
À l'époque, le ministère de la Justice était d'avis qu'il ne devait pas être impliqué dans les poursuites engagées en vertu de la Loi électorale du Canada. Ces poursuites — pour citer le procureur général de 1974 — devaient relever du directeur général des élections, « dont l'indépendance ne peut être remise en question. » Quant au directeur général des élections, il craignait que sa participation aux enquêtes et aux poursuites en cas d'infractions électorales ne compromette son impartialité. Voilà pourquoi le poste de commissaire aux élections a été créé en 1974.
Le titulaire a été intégré à Élections Canada afin d'être totalement indépendant du gouvernement. Au départ, le commissaire n'était responsable que des infractions en matière de dépenses électorales, mais en 1977, son mandat a été étendu à toutes les infractions électorales, y compris le lancement et la conduite des poursuites. Le poste de directeur des poursuites pénales (DPP) ayant été créé en 2006, les poursuites pour infraction électorale sont intentées par ce dernier.
Permettez-moi de passer maintenant au projet de loi dont vous êtes saisis.
[Français]
Le premier point que j'aimerais aborder porte sur les changements de nature organisationnelle que propose le projet de loi.
Le projet de loi propose d'aller beaucoup plus loin que ce qu'on avait fait en 2006 en transférant le commissaire au bureau du directeur des poursuites pénales, ou DPP.
Alors que vous étudiez cette proposition, il est important que vous compreniez les avantages du modèle actuel. À mon avis, ce modèle assure un bon et sain équilibre entre l'indépendance des enquêtes et une application cohérente et éclairée de la Loi électorale du Canada.
En effet, je dois insister sur le fait que, en tant que commissaire, j'ai toujours joui d'une indépendance absolue concernant la conduite des enquêtes et le choix des mesures d'exécution de la loi, y compris, bien sûr, la décision de renvoyer une affaire au DPP.
[Traduction]
Je suis maintenant en poste depuis près de deux ans, et jamais le directeur général des élections, ou personne d'autre à Élections Canada, n'a tenté d'influencer d'une façon quelconque la manière dont mes enquêteurs et moi faisons notre travail. En d'autres termes — et je pense que c'est important de le dire —, à titre de commissaire, je décide seul des enquêtes à mener, des méthodes à utiliser et des mesures à prendre, comme, par exemple, le renvoi d'un dossier au DPP.
En même temps, comme je fais partie d'Élections Canada, je vois directement comment la loi est administrée et je comprends les principaux défis touchant à la conformité, ce qui oriente mes interventions et réduit le risque que des interprétations divergentes des règles sèment la confusion parmi les entités réglementées, comme les partis politiques et les candidats.
La nécessité d'une telle cohérence explique pourquoi, à ma connaissance, l'administration et l'application des règles sont confiées au même organisme dans la vaste majorité des régimes de réglementation. On en trouve des exemples à l'Agence du revenu du Canada, au Bureau de la concurrence, à Pêches et Océans Canada et à l'Agence des services frontaliers du Canada.
Soit dit en passant, cela s'applique même au CRTC qui, en vertu du projet de loi , serait chargé d'administrer et de faire appliquer les règles sur les « services d'appels aux électeurs ».
[Français]
À mon avis, si l'on sépare le commissaire d'Élections Canada, il risque, à long terme, d'y avoir un décalage entre l'administration des règles et leur application. Pour éviter cette situation, il est primordial de préserver et d'entretenir une relation continue entre les deux entités.
Il n'est pas seulement question d'échange d'information dans le cadre des enquêtes, ce qui, en fait, n'est pas expressément prévu dans le projet de loi et devrait faire l'objet de modifications afin que les enquêtes soient menées efficacement et en temps opportun.
Cela signifie également que les deux entités, Élections Canada et le bureau du commissaire, devront établir des mécanismes structurés pour poursuivre leur collaboration ouverte. Par exemple, il faudra peut-être envisager l'établissement d'un comité mixte sur la conformité à la réglementation pour étudier les tendances ou les nouveaux enjeux qui découlent de l'évolution des pratiques des partis politiques et des candidats.
De plus, comme le projet de loi permettra aux partis d'exiger des avis écrits du DGE sur l'application de la loi et que le commissaire sera lié par ces avis, il faudra de toute évidence établir des mécanismes de consultation entre le commissaire et le DGE.
[Traduction]
En plaçant le commissaire au sein du Bureau du DPP, le projet de loi réunirait deux fonctions qui sont normalement séparées, et avec raison.
Ce changement de structure soulève des questions importantes par rapport à la séparation des fonctions d'enquête et de poursuite, une séparation qui avait été jugée suffisamment importante en 2006 pour qu'on retire au commissaire le pouvoir d'intenter des poursuites. Il suscite en outre des préoccupations quant à l'indépendance réelle ou apparente du commissaire par rapport au gouvernement du jour.
En vertu du projet de loi , les enquêtes du commissaire doivent être menées en toute indépendance par rapport au DPP. Bien sûr, j'ai toutes les raisons de croire que ni le DPP ni le procureur général n'interviendraient dans mes enquêtes. Toutefois, le fait que le commissaire relèverait du DPP et que ce dernier aurait à rendre compte de ses activités au procureur général pose, à mon avis, certains problèmes, du moins sur le plan de la perception.
Pour toutes ces raisons, monsieur le président, le transfert proposé au bureau du DPP ne constitue pas, selon moi, un pas dans la bonne direction.
J'aimerais maintenant parler des pouvoirs d'enquête du commissaire. Lors de sa comparution, le directeur général des élections a expliqué à quel point il est important d'appliquer la législation électorale avec efficacité et diligence. Il est raisonnable de croire que les Canadiens s'attendent — et je dirais que c'est à juste titre — à ce qu'on s'occupe rapidement des infractions graves aux règles encadrant les élections, et ce, dans les limites du cycle électoral normal de quatre ans.
Lorsque la légitimité d'une charge élective est en jeu, la nécessité de répondre aux allégations d'actes répréhensibles concernant les élections est, par définition, pressante. Voilà pourquoi, comme je l'ai indiqué dans mon rapport annuel, je crois qu'il est essentiel que le commissaire ait le pouvoir de demander à un juge d'émettre une ordonnance lui permettant de contraindre une personne à témoigner.
[Français]
Selon mon expérience, il n'est pas rare que les gens indirectement concernés par une enquête, mais qui pourraient détenir des renseignements importants, refusent de coopérer. Dans un contexte politique où les allégeances sont fortes, on ne devrait pas s'en étonner. Toutefois, cette situation peut entraîner des retards considérables et même compromettre une enquête.
Le pouvoir de contraindre une personne à témoigner dans le contexte des enquêtes sur une élection existe dans plusieurs provinces et territoires, notamment au Québec, en Ontario, au Manitoba et en Alberta. D'autres organismes de réglementation disposent d'un pouvoir similaire. Le directeur général des élections et moi-même avons tous deux recommandé que ce pouvoir soit accordé au commissaire et que ce pouvoir soit assorti des protections appropriées telles que celles prévues, par exemple, dans la Loi sur la concurrence. Ces protections comprennent notamment les suivantes.
D'abord, avant qu'on puisse obtenir une ordonnance, il faut en faire la demande à un juge et lui soumettre une preuve par affidavit que la personne qu'on voudrait interroger détient vraisemblablement des renseignements concernant l'enquête sur une infraction à la Loi électorale du Canada.
En second lieu, toute personne aurait le droit d'être représentée par un avocat et d'être interrogée en sa présence.
Finalement, et c'est extrêmement important, la personne qui serait interrogée dans de telles circonstances aurait le droit de s'y soumettre sans que les renseignements qu'elle pourrait divulguer puissent être utilisés contre elle.
[Traduction]
À mon avis, ces protections assureraient une approche équilibrée en vue d'une mise en vigueur efficace de la loi. Monsieur le président, je tiens à être parfaitement clair: si cette modification n'est pas apportée, les enquêtes continueront d'être longues, et pourraient même devenir excessivement longues dans certains cas. Pire encore, certaines avorteront tout simplement en raison de notre incapacité d'aller au fond des choses.
Le projet de loi devrait également être modifié afin d'améliorer les dispositions proposées concernant les services d'appels aux électeurs. Premièrement, qu'il s'agisse d'un appel automatisé ou de vive voix, il devrait être obligatoire d'identifier la source de l'appel dès le début du message. Deuxièmement — et ce facteur est encore plus important —, les fournisseurs de ces services devraient être tenus de conserver un registre des numéros de téléphone joints et de mettre ce registre à la disposition du commissaire, par l'entremise du CRTC. Sans les numéros de téléphone, je vois mal comment le régime proposé pourrait être vraiment utile.
[Français]
Enfin, en ce qui a trait aux pouvoirs du commissaire, je suis très préoccupé par les contraintes qu'impose le projet de loi sur ma capacité à informer le public du résultat de mes enquêtes. Il existe sans contredit d'excellentes raisons pour préserver la confidentialité des enquêtes, principalement la protection de la vie privée et les règles d'équité fondamentales, ainsi que la nécessité de protéger l'intégrité des enquêtes en cours, évidemment. Pour cette raison, tout comme mes prédécesseurs, je ne commente généralement pas les enquêtes que nous menons et je ne divulgue pas de renseignements à leur sujet, à moins qu'il ne soit nécessaire de le faire dans le cadre d'un processus judiciaire.
Il est important de noter qu'il existe toutefois des exceptions rares mais importantes à cette règle. Lorsque des allégations portées publiquement mettent en doute l'intégrité d'une élection et que l'enquête démontre que ces allégations n'étaient pas fondées, il est important que le commissaire, que ce soit moi ou mon successeur, puisse rassurer les Canadiens en rendant publiques ses conclusions, notamment en fournissant certains détails factuels. Je note au passage que mon prédécesseur a eu recours à cette pratique à au moins deux reprises au cours des dernières années. Il est important, comme je viens de le dire, que mon successeur et moi ayons le même pouvoir.
[Traduction]
Je voudrais enfin mentionner la création d'un certain nombre de nouvelles infractions et l'augmentation proposée du montant des amendes. Cette augmentation en particulier constitue une amélioration sensible et opportune du régime. Toutefois, comme je l'ai indiqué dans mon rapport annuel, on ne devrait pas recourir principalement aux sanctions pénales pour assurer la conformité aux règles électorales. Le processus pénal est, par nature, lent et sévère. Il convient mal à la grande majorité des cas de non-conformité dont le bureau du commissaire a eu à s'occuper et qui ont un caractère purement réglementaire, comme le dépôt tardif de documents.
Les sanctions administratives, telles que la réduction automatique du remboursement des dépenses électorales en cas de dépassement du plafond fixé, sont généralement mieux adaptées aux problèmes de conformité touchant le financement politique. À cet égard, j'espère que cette disposition du projet de loi orientera les réformes futures.
[Français]
En conclusion, je tiens à préciser que j'appuie entièrement les modifications liées à l'application de la loi suggérées par le directeur général des élections lors de sa comparution devant ce comité, il y a quelques semaines.
Je note en passant que le ministre d'État responsable de la Réforme démocratique a écrit au comité et qu'il semble ouvert à certaines modifications concernant le délai de prescription et le critère régissant le déclenchement d'une enquête.
En terminant, je me permets d'encourager fortement les membres de ce comité à examiner les autres modifications proposées par le directeur général des élections concernant la mise en application et l'exécution de la loi.
Mes remarques introductives étant maintenant terminées, je serai heureux de répondre à toutes les questions, pour autant qu'elles ne portent pas sur les enquêtes qui sont en cours ou d'autres enquêtes.
Merci beaucoup.
:
Merci, monsieur le président.
Comme vous le savez, M. Côté a abordé beaucoup des questions qui se posent d'une manière très approfondie. J'espère, pour ma part, pouvoir ajouter quelques renseignements contextuels fondés sur l'expérience que j'ai acquise pendant les six années où j'ai été commissaire aux élections, fonctions que j'ai occupées jusqu'en juillet 2012. Avant cela, j'ai travaillé au ministère de la Justice pendant 34 ans, surtout à la Direction du droit pénal. Je connais donc bien le bureau du DPP et son organisation. Durant mon mandat de commissaire, je me suis occupé de trois élections fédérales dans une période d'un peu plus de quatre ans. Vous vous souvenez probablement de toutes ces élections.
Je me soucie beaucoup de la capacité du commissaire à enquêter sur les violations alléguées de la loi d'une manière efficace et opportune. Je suis très pragmatique. Je trouve qu'il n'y a rien dans les modifications proposées qui puisse renforcer cette capacité et que l'une des modifications l'affaiblira.
Dans les enquêtes importantes, l'un des principaux problèmes est qu'elles durent trop longtemps. L'une des enquêtes que nous avons terminées nous a pris deux ans et un mois. Ensuite, le directeur des poursuites pénales a mis 16 mois pour examiner ce que nous avions fait. Le dossier des poursuites judiciaires avait près de 400 pages. C'était tout un livre, mais il ne représentait que le résumé des preuves que nous avions réussi à recueillir. Dans ce cas et dans d'autres, le retard était attribuable aux témoins clés qui refusaient d'avoir une entrevue avec un enquêteur. Dans quelques cas, ces témoins étaient activement découragés d'accepter l'entrevue.
Ce qui manque dans les modifications, c'est le pouvoir de demander une ordonnance judiciaire contraignant un témoin vital à répondre aux questions des enquêteurs. Avec ce pouvoir, on n'aurait plus besoin de recourir à des procédures plus compliquées, plus coûteuses et plus intrusives et on pourrait fort bien épargner un temps considérable. Encore une fois, je ne peux pas dire grand-chose des affaires qui sont devant les tribunaux, mais vous pouvez imaginer ce que nous avons enduré d'une façon générale lorsque nous nous sommes occupés des appels automatiques.
Internet n'est soumis à aucune réglementation. C'est une vraie jungle. Les quelques ordonnances judiciaires que nous avons obtenues et ce qu'il nous a fallu apprendre pour trouver notre chemin dans ce bourbier étaient vraiment remarquables. S'il nous avait été possible de contraindre les témoins, nous aurions probablement avancé beaucoup plus rapidement. Je m'inquiète beaucoup de la perception publique de la situation lorsqu'il nous est impossible de faire progresser ces affaires qui intéressent le public au plus haut point.
La loi nous donne déjà le pouvoir d'obtenir une injonction, ce qui nous permet de nous adresser aux tribunaux en période électorale pour faire certaines choses. Nous n'avons jamais usé de ce pouvoir. Nous l'avons brandi de temps en temps, de sorte que les gens connaissent son existence et savent que nous pouvons y recourir au besoin. Si nous avions le pouvoir d'obtenir une ordonnance judiciaire contraignant une personne à témoigner, je crois que nous ne l'utiliserions pas très souvent. Les gens ne pourraient pas alors dire aux témoins « Vous n'avez pas à coopérer » parce que la loi nous donnerait un moyen d'obtenir cette coopération. Bien souvent, la simple existence de ce pouvoir suffirait pour persuader les témoins de coopérer.
L'aspect préjudiciable des modifications réside dans le transfert du bureau du commissaire, qui quitterait Élections Canada pour s'établir au bureau du directeur des poursuites pénales. Élections Canada est un centre vital d'information, de renseignement et d'expertise en matière électorale. Il n'en existe pas d'autres, et sûrement pas au bureau du directeur des poursuites pénales.
En réalisant ce transfert, on priverait les enquêteurs d'un accès facile aux experts d'Élections Canada. Ces experts comprennent les juristes qui connaissent la loi à fond et qui donnent régulièrement des avis juridiques à son sujet, notamment dans le cadre des enquêtes, de façon à les orienter dans la bonne direction, si vous voulez. Il y a aussi les vérificateurs qui appliquent la loi aux aspects financiers des campagnes, ainsi que les experts qui s'occupent directement des élections et qui appliquent la loi au scrutin et à la campagne en période électorale.
Il importe de se rappeler que le bureau du commissaire se compose d'une vingtaine de personnes qui utilisent les ressources qu'elles peuvent trouver, la principale source étant Élections Canada. De plus, il y a des services de police qui aident les enquêteurs. Le DPP leur prête également son concours pour l'obtention des ordonnances judiciaires et pour les questions dont les tribunaux sont saisis.
Je ne sais pas vraiment si le transfert réduirait l'accès des enquêteurs aux dossiers conservés à Élections Canada. Des dispositions particulières de la loi garantissent l'accès à certains dossiers, mais si les enquêteurs sont exclus d'Élections Canada, il pourrait être difficile pour eux d'accéder aux dossiers. Cet accès est essentiel pour confirmer les plaintes et les renvois concernant les aspects financiers faits par les vérificateurs. C'est une question juridique sur laquelle je ne peux pas me prononcer, mais je la trouve quand même inquiétante.
Un autre aspect mérite d'être porté à votre attention car, même s'il est important, personne d'autre ne vous l'a signalé. Je veux parler de la surveillance des irrégularités en période électorale. Je me suis occupé de trois élections, dont chacune a été précédée d'une campagne électorale d'environ 35 jours. Nous réunissions une équipe composée d'enquêteurs et du personnel juridique qui leur est affecté. Ces gens étaient sur le terrain pendant la totalité de la campagne, faisant deux postes de travail chacun de façon à couvrir 12 heures par jour.
Les plaintes arrivent de différentes sources: directeurs du scrutin, membres du public et partis politiques. Elles portent sur tout ce qui se passe dans cette période de 35 jours. Nous surveillons les élections et prenons des mesures pour nous assurer du respect des règles. Nous avons des contacts auprès des partis politiques, auxquels nous demandons de s'occuper de certains problèmes qu'ils sont les mieux placés pour régler. Nous avons aussi des contacts auprès des services de police municipaux. Nous prenons les plaintes, les versons dans l'ordinateur et les affichons à l'écran. Ensuite, nous désignons des enquêteurs s'il y a quelque chose à faire, puis nous intervenons non en envisageant d'intenter des poursuites plus tard, mais en cherchant à faire respecter les règles du jeu pendant que la campagne suit son cours.
Comme vous le savez bien, les pancartes suscitent des plaintes sans fin. Les municipalités s'en plaignent si elles gênent la circulation. Les propriétaires d'immeubles se fâchent lorsque leurs locataires mettent de grandes pancartes dans les fenêtres. Les pancartes sont volées. Il y a des gens qui en trouvent sur leur terrain sans qu'ils aient donné une permission. Il y a des pancartes qui sont placées par-dessus d'autres pancartes. Il y en a qui sont affichées sur des panneaux appartenant au gouvernement. Les équipes chargées de les placer se disputent les meilleurs endroits. Nous nous efforçons de régler ces problèmes.
J'ai un autre exemple. Un candidat veut entrer dans un immeuble en copropriété — il y a en effet beaucoup de gens qui vivent dans des condos ces jours-ci —, mais la direction lui refuse l'accès. Les règlements de la société de condominium peuvent l'interdire. Nous prenons alors contact avec les représentants de la société et avec leurs avocats, si nous pouvons les trouver. Nous les informons des dispositions de la loi et leur demandons de prendre les mesures nécessaires. Les candidats ont droit à un accès raisonnable à un immeuble en copropriété, à un immeuble d'appartements ou à un centre commercial. Voilà le genre de choses dont nous devons nous occuper.
Vous vous souvenez peut-être de l'affaire un peu loufoque qui s'était produite au Québec lorsqu'un journaliste avait trouvé une boîte de scrutin ouverte et l'avait photographiée. La boîte avait l'air d'avoir été endommagée. Cela avait fait beaucoup de bruit. Nous sommes intervenus immédiatement. L'affaire s'est réglée quand nos enquêteurs, la police municipale, le directeur du scrutin et des représentants des partis ont examiné la boîte et sont arrivés à la conclusion que les bulletins de vote contenus dans les enveloppes n'avaient pas été touchés. Ils ont tous convenu que les bulletins pouvaient être acceptés. Nous avions donc scellé la boîte et repris notre travail.
Voilà le genre de choses qui se produisent en période électorale, comme vous le savez vous-mêmes. Nous étions là 35 jours d'affilée, travaillant à deux postes par jour et observant les événements dans le but non d'intenter des poursuites, mais de rétablir l'ordre. La loi électorale est en fait une loi de réglementation.
Je ne sais pas qui s'occupera de tout cela aux prochaines élections, mais je suis sûr que ce ne sera pas le DPP. Je ne sais pas qui d'autre le fera. Est-ce que d'autres employés d'Élections Canada peuvent s'en occuper? Je ne pense pas qu'ils aient les compétences nécessaires. Les enquêteurs ont des compétences très particulières. Presque tous sont d'anciens policiers ayant une trentaine d'années d'expérience.
Ils sont très doués quand il s'agit de persuader la police municipale de prendre en charge certaines affaires qu'ils ne jugent pas prioritaires. Tout cela a un aspect très pratique que vous devez essayer de comprendre dans l'optique d'un transfert à un organisme différent qui, comme je l'ai dit, n'a pas les compétences nécessaires et a l'habitude d'agir indépendamment des enquêteurs.
Le retrait du commissaire de la structure d'Élections Canada ne renforce en rien l'indépendance de son bureau. Je dois vous dire que l'ingérence politique est inexistante. Je n'en ai jamais été témoin sous quelque forme que ce soit. Aucun enquêteur ne m'a jamais dit que quelqu'un avait essayé d'influencer son enquête. De mon temps, le directeur général des élections évitait très soigneusement d'intervenir dans mon travail. Je prenais toutes les décisions et travaillais de concert avec le DPP si des poursuites étaient envisagées.
Pour ce qui est de notre façon de faire les choses et des mesures que nous prenions, nous avions produit un document de 19 pages, qu'on peut encore trouver sur le site Web d'Élections Canada, pour renseigner le public sur ce que nous faisions et sur notre façon de travailler. Ce document est à la disposition de quiconque veut l'examiner. Je dois dire qu'il n'était pas courant pour nos enquêteurs d'être associés au bureau du procureur. J'y ai longtemps travaillé, surtout dans le domaine réglementaire, même si les procureurs ne s'occupent pas des infractions touchant la réglementation. Leurs principaux dossiers, de même que ceux du DPP, portent sur les infractions au Code criminel et les infractions liées à la drogue, au terrorisme, au blanchiment d'argent, à l'évasion fiscale et aux choses de ce genre. Il est peu courant, dans le contexte de la common law, que des enquêteurs travaillent au bureau d'un procureur, en liaison avec lui ou sous son égide, même d'une façon générale. Les enquêteurs sont habituellement placés auprès de l'organisme chargé de la mise en vigueur de la loi, surtout parce que celui-ci s'occupe de réglementation et non de poursuites, son but étant d'assurer la conformité aux règles.
Personnellement, je n'aime pas les poursuites. Je m'efforce plutôt de faire respecter les dispositions et les objectifs de la loi. Mais, de plus en plus souvent, les parties se retranchent sur leurs positions et adoptent un mode accusatoire. Les témoins refusent de répondre aux questions ou sont découragés de le faire. Les choses s'enveniment. S'ils coopéraient, si nous réussissions à aller au fond des choses assez rapidement — ce qui arrive à l'occasion —, nous pourrions prendre des mesures autres que les poursuites pour obtenir la conformité. Nous avons en fait une entente de conformité que nous utilisons dans de nombreux cas mineurs. Toutefois, les cas graves ne peuvent pas être réglés de cette façon. Ils doivent faire l'objet d'une enquête qui peut aboutir à des poursuites.
En général, les procureurs veulent examiner les conclusions d'une enquête en toute indépendance après qu'elle s'est terminée. En fait, moins ils ont de contacts avec les enquêteurs avant, mieux cela vaut pour eux. S'ils ont eu affaire aux enquêteurs par suite d'une demande de nature judiciaire, c'est un autre membre du bureau qui prend la décision d'intenter des poursuites. Le rôle du procureur consiste alors à déterminer les personnes à accuser et la nature des accusations. Si l'affaire relève du Code criminel, elle est renvoyée à un tribunal pénal.
Permettez-moi de dire quelques mots de la fraude électorale, qui est pour vous un sujet de préoccupation. Pendant que j'étais commissaire, nous avions examiné un certain nombre d'allégations relatives à une fraude électorale organisée. Les plaintes avaient été jugées sans fondement et n'avaient pas donné lieu à des poursuites. Dans deux cas, j'avais publié un communiqué. Dans un autre cas, l'examen avait été confié à un cabinet de consultants nommé Navigant. Nous avions intenté des poursuites dans un certain nombre de cas individuels de vote illégal, mais, à mon avis, même si nous avions découvert des erreurs administratives, il n'y avait pas vraiment de fraude électorale.
Quand j'ai pris possession de mes fonctions, je ne connaissais rien à ce domaine. J'avais alors été frappé par l'éthique qui régnait dans le processus électoral. Les 60 % d'électeurs qui vont aux urnes prennent le vote très au sérieux. Ils se soucient énormément du système et du processus, qu'ils appuient très fort. C'était la première observation que j'avais faite. J'ai découvert aussi que les gens d'Élections Canada, du plus haut placé au plus humble, avaient très à coeur le rôle dont ils s'acquittaient. Tout commence par des élections équitables et des résultats fiables.
C'est ainsi que s'établit le processus démocratique.
Voilà qui met fin à mon petit discours d'aujourd'hui.
Lors de ces élections fédérales, Jeremy était le député sortant. Nous observions les résultats du scrutin et, en fin de soirée, avant d'aller me coucher, j'ai appris que les médias l'avaient donné gagnant parce qu'il était en avance de quelques centaines ou peut-être de plusieurs centaines de voix. Son principal adversaire était un candidat libéral nommé Gary Merasty. Gary était un membre bien connu des Premières Nations. Il avait été chef de l'une des bandes du nord de la Saskatchewan.
En fin de soirée, il ne restait plus qu'un seul bureau de scrutin dont on n'avait pas les résultats. Comme je l'ai dit, Jeremy, qui était en avance de quelques centaines de voix, avait été déclaré gagnant. Je suis allé me coucher en pensant qu'il était réélu. Le lendemain matin, j'apprends tout à coup que c'était Gary Merasty qui avait remporté le siège. Le dernier bureau de scrutin à envoyer ses résultats se trouvait à l'extrême nord de la province, dans une réserve des Premières Nations. Ses résultats étaient arrivés avec un retard de trois heures et demie, alors que tous les autres votes avaient déjà été comptés. Et quand les responsables ont fait le décompte des voix avec trois heures et demie de retard, ils se sont aperçus d'une chose incroyable. Ils ont constaté d'abord que plus de 100 % des électeurs admissibles de cette réserve des Premières Nations avaient voté. Je crois que le taux de participation était de 103 ou 105 %. De plus, les votes étaient en totalité en faveur de M. Merasty.
Bien entendu, M. Harrison avait trouvé cela très inhabituel. C'est aussi mon avis jusqu'à ce jour. Je crois que la plupart des Canadiens raisonnables auraient trouvé cela plutôt louche. Si on avait supposé au petit bonheur qu'il y avait eu fraude électorale, on aurait pu se dire que quelqu'un voulait voir M. Merasty gagner, avait attendu pour savoir combien de voix il lui fallait pour l'emporter, avait rempli la boîte de scrutin de faux bulletins, puis l'avait expédiée. Et voilà, un petit tour de passe-passe et M. Merasty est élu.
Je crois que votre bureau a mené une enquête et que nous avons reçu un rapport du directeur général des élections. Monsieur Corbett, le rapport venait peut-être de votre bureau, mais je pense que c'est Élections Canada qui l'a diffusé, disant qu'on n'avait trouvé aucune preuve de fraude et qu'en fait, c'était presque une bonne chose parce qu'Élections Canada essayait d'inciter les membres des Premières Nations à voter, de sorte qu'un taux de participation de 103 % constituait un signe encourageant. Pourquoi le taux de participation avait-il dépassé 100 %? Élections Canada n'avait pas vraiment pu procéder à un dénombrement et ne savait pas combien de personnes vivaient dans la réserve. Dans ces conditions, dire que le taux de participation était de 103 % n'était peut-être pas très exact. Quant au fait que tous les votes sans exception étaient en faveur du candidat libéral, encore une fois, Élections Canada a jugé qu'il n'y avait là rien d'inhabituel, ou du moins rien qui justifie de recommander au DPP d'intenter des poursuites ou de s'adresser aux tribunaux parce que M. Merasty était un chef ou un ancien chef bien connu des Premières Nations. Il était donc tout à fait vraisemblable que 100 % des gens aient voté pour lui.
À ma connaissance, l'enquête sur cette affaire n'était pas allée très loin. À première vue, il me semble — et je crois que la plupart des Canadiens raisonnables seraient du même avis — que quelque chose de louche s'était passé.
Vous souvenez-vous de cette enquête, monsieur? Pouvez-vous m'éclairer à ce sujet rien que pour satisfaire ma curiosité? Cette affaire me trotte dans l'esprit depuis des années.