Merci de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant vous ce soir.
Je trouve plutôt ironique qu'il y a un peu plus de 50 ans, on accordait aux peuples autochtones du Canada le droit de voter et que, si peu de temps après, nous nous retrouvons à devoir lutter pour défendre ces mêmes droits. Cela nous rappelle à quel point la démocratie est fragile et à quel point nous devons faire preuve de vigilance pour la protéger.
Je m'appelle Leilani Farha et je suis directrice générale de Canada sans pauvreté ou CSP.
CSP, dont le conseil d'administration est composé de personnes qui vivent dans la pauvreté, dans presque toutes les provinces et tous les territoires, est très préoccupé par l'effet que la pourrait avoir sur le droit de voter des Canadiens les plus pauvres. Nous sommes particulièrement préoccupés par le fait que ce projet de loi vise à empêcher Élections Canada de promouvoir le droit de vote et nous sommes préoccupés par l'élimination de la possibilité de voter grâce à un répondant. Je parlerai de chacun de ces points tour à tour.
L'interdit fait à Élections Canada en matière de promotion du vote est tout simplement illogique. C'est illogique étant donné que le taux de participation aux élections n'a jamais été aussi bas de notre histoire, ce qui donne à penser qu'un très important pourcentage de Canadiens sont sur le point de perdre confiance dans le processus démocratique. C'est aussi illogique compte tenu du fait que les pauvres n'ont jamais été aussi exclus sur les plans social et politique. C'est pourtant en cette période de déficit démocratique que le Parlement devrait investir un maximum de ressources pour essayer de promouvoir l'exercice de vote. Il faut permettre à Élections Canada de continuer à faire son travail de promotion de la démocratie.
S'agissant de l'option du répondant, CSP craint que la disparition de cette possibilité, sans qu'elle soit remplacée par une solution viable, ne retire le droit de vote à des dizaines de milliers de personnes à faible revenu et ne viole les droits de ces personnes aux termes de l'article 3 de la Charte. Ce sont surtout les pauvres, les sans-abri et les autres marginalisés qui ont recours à l'option du répondant. Même si le gouvernement semble trouver incroyable que plus de 100 000 Canadiens n'aient pas les papiers d'identité nécessaires pour voter, c'est pourtant une réalité.
Permettez-moi de vous donner un exemple dans mon travail. Imaginez une femme en situation de violence domestique. Durant un incident particulièrement brutal, elle parvient à s'échapper pour se réfugier dans la maison d'une amie. Elle laisse tous ses effets derrière, même son portefeuille, ne songeant qu'à fuir pour sauver sa vie. Elle n'a pas de pièce d'identité avec photo, aucune preuve de résidence. Elle n'a plus rien d'autre que les vêtements qu'elle porte. L'élimination de l'option du répondant ne fera qu'une chose dans son cas: l'empêcher d'exercer son droit de vote.
Ce qui est troublant dans tout ça pour CSP, c'est que le gouvernement n'a pas encore expliqué l'importance du droit de vote, surtout dans le cas des personnes qui sont socialement et politiquement exclues. Il est possible qu'il ne le sache pas.
Imaginez-vous à la place de cette femme. Elle n'a plus rien. Si on lui permettait de conserver son droit de vote, elle pourrait transcender ce qu'elle vit. Elle pourrait participer à la vie de la société, elle parviendrait à se refaire. Comme l'a simplement dit la Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud: « Le vote pour chaque citoyen est un étendard de dignité et d'identité individuelle. » Pourquoi le gouvernement ne chercherait-il pas à garantir le droit de vote pour cette femme? N'est-ce pas ce qu'exige la démocratie?
CSP est offusqué par la position du qui voudrait nous faire croire que le fait de permettre à cette femme de voter risquerait de compromettre le système électoral. Le ministre a inventé le mythe de la fraude en tenant pour fraudules des irrégularités dans le système des garants. Je me permets de rappeler au comité qu'on n'a jamais trouvé aucune preuve de fraude en lien avec l'option du garant et qu'il ne s'agissait que d'erreurs administratives.
En conclusion, CSP recommande que le gouvernement prenne un temps d'arrêt et réfléchisse au fait qu'il est sur le point de priver des dizaines de milliers de Canadiens désavantagés de leur citoyenneté démocratique et de leur droit de vote protégé par la Constitution.
CSP recommande que le projet de loi soit rejeté dans son intégralité. S'il devait toutefois survivre, il faudrait que ce soit aux conditions minimales suivantes: premièrement, le retrait des dispositions qui restreignent le mandat d'Élections Canada en matière de promotion du vote; deuxièmement — et il s'agit d'un aspect en deux parties — le maintien de l'option de garant, après ajustement pour qu'elle soit plus efficace, ou l'adoption d'un nouveau système d'identification en personne qui traite les électeurs avec dignité et respect.
Merci.
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Merci, monsieur le président, et merci aux membres du comité.
L'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, l'ALCCB, est un organisme national, apolitique et sans but lucratif dont le siège est à Vancouver. Je vais vous parler plus particulièrement de ce qui préoccupe cette association dans le cas du projet de loi, c'est-à-dire la disparition de l'option de garant.
Les tribunaux sont actuellement saisis d'un recours constitutionnel contre les dispositions relatives aux pièces d'identité d'un électeur qui sont entrées en vigueur en 2007. La cause Henry a été entendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique et par la Cour d'appel de la province. Ces deux cours ont statué que les dispositions relatives aux pièces d'identité d'un électeur sont — a priori — en violation du droit de voter protégé par l'article 3 de la Charte. Les deux cours ont fini par entériner les dispositions en question qu'elles ont jugé justifiables. Lundi, une demande d'autorisation d'appel auprès de la Cour suprême du Canada a été déposée dans la cause Henry.
L'ALCCB estime que ces dispositions sur les pièces d'identité des électeurs sont une violation injustifiable de la Charte. Elles visent en fait à régler un seul risque purement hypothétique, soit l'usurpation d'identité des électeurs, mais à un prix beaucoup trop élevé: la privation du droit électoral des Canadiens les plus vulnérables et les plus marginalisés. La disparition de l'attestation de garant rend ces dispositions sur l'identité des électeurs inconstitutionnelles et elle est la porte ouverte à une contestation en vertu de la Charte. Se portant à la défense des dispositions en question, dans la cause Henry, le procureur général du Canada a soutenu que l'option de garant est une mesure de replis permettant aux électeurs admissibles, qui ne disposent pas de pièces d'identité, de voter.
On a beaucoup parlé des 39 pièces d'identité acceptables pour prouver son identité au moment de voter. J'invite les membres du comité à examiner de façon critique cette liste. Bien que ces pièces d'identité soient largement accessibles à une majorité d'électeurs urbains, ce ne sont pas des formes d'identification facilement accessibles pour beaucoup de Canadiens, surtout pour ceux représentés par l'ALCCB. Le sans-abri du Downtown Eastside de Vancouver, par exemple, n'a pas d'état de compte du cotisant du Régime de pensions du Canada. Il n'a pas de factures des services publics, ni d'assurance de véhicule automobile et encore moins de bail ou de déclaration de revenu. Il faut vraiment faire preuve de beaucoup d'imagination pour croire que ces 39 types de pièces d'identité sont une réponse à la privation du droit électoral découlant de ce projet de loi.
Avant 2007, les déclarations statutaires étaient acceptées comme moyen d'identification. Des centaines d'électeurs du Downtown Eastside ont ainsi signé des déclarations statutaires sous serment pour établir leur droit d'électeur. La demande de déclarations de ce genre était en fait à la hausse. Les amendements apportés en 2007 ont éliminé ces déclarations qui ont été remplacées par le système électoral limité actuellement en vigueur et qui est lui-même menacé.
S'agissant des pièces d'identité secondaires prescrites, il y en a une sans doute, la lettre d'un abri ou d'une soupe populaire, qui pourrait convenir à la plupart de ces gens-là, mais beaucoup trop de nos concitoyens sont sans abri. Le vol de pièces d'identité est un énorme problème chez les sans-abri de nos villes. Il est coûteux pour eux d'obtenir et de garder des pièces d'identité et c'est même difficile quand ils n'ont pas d'adresse fixe. Quand ils sont en possession de telles pièces d'identité, ils parviennent rarement à établir leur adresse actuelle, comme l'exige la loi.
Tout le monde reconnaît qu'il faut encourager les Canadiens à aller voter en plus grand nombre et tout le monde semble aussi reconnaître qu'il nous faut réduire le nombre d'irrégularités dans le processus électoral. Là où il y a désaccord, c'est sur la façon d'y parvenir. Les mesures proposées pour réduire le nombre d'irrégularités auront un effet nettement disproportionné sur un grand nombre de nos concitoyens les plus marginalisés et les plus vulnérables. Le projet de loi vise à réduire le nombre d'irrégularités en privant effectivement ces électeurs du droit de vote.
Dans une société libre et démocratique, le droit de vote ne peut être sacrifié sur l'autel de la commodité administrative. Qui plus est, la promesse sous-jacente voulant que si l'on se débarrasse de l'option de garant, on éliminera ces irrégularités et donc la fraude, est fondée sur de fausses prémisses. Dans le meilleur des cas, les dispositions sur les pièces d'identité des électeurs ne permettront d'éliminer le risque de fraude que dans un seul cas de figure: l'usurpation d'identité des électeurs au moment du scrutin. Rien ne prouve que les irrégularités constatées dans les bureaux de scrutin, même les plus graves, sont dues à des fraudes électorales. Il faut envisager toutes les autres mesures possibles pour s'attaquer à ces irrégularités avant de songer à adopter une mesure régressive ayant pour résultat de priver des personnes de leur droit de vote.
Ce projet de loi s'appuie sur une prémisse défaitiste, soit que les Canadiens manqueraient d'intégrité au moment d'exercer leur droit politique le plus fondamental. Dans ce projet de loi, on suppose que l'usurpation d'identité est courante, tandis que rien ne le prouve. Il va à l'encontre de l'objet même de la loi qui est de favoriser l'exercice du droit de vote. Il ne contribuera pas vraiment à améliorer le confiance de la population. Au contraire, il va annuler la participation politique des plus marginalisés et des plus vulnérables de la société.
C'est là, selon l'ALCCB, que réside la plus grande menace pour l'intégrité de notre système politique.
Merci.
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Merci, monsieur le président et merci aux membres du comité de m'avoir invitée à témoigner au nom de l'Association canadienne des libertés civiles.
L'ACLC est une organisation sans but lucratif, apolitique et non gouvernementale qui promeut le respect des droits humains fondamentaux et des libertés civiles. Cette année marque le 50e anniversaire de l'ACLC en matière de défense des droits et des libertés des Canadiens. C'est en ma capacité de représentante de cet organisme qui défend les droits fondamentaux, y compris le droit fondamental de voter, que je suis venue vous exprimer nos sérieuses préoccupations au sujet de certains aspects du projet de loi .
Je sais que je dispose de peu de temps, mais dans ma déclaration liminaire, je vais me concentrer sur les aspects du projet de loi qui auront l'incidence la plus marquée et la plus immédiate sur l'électorat et qui, surtout, pourraient éroder le droit fondamental de voter. L'ACLC a soumis un mémoire au comité dans lequel elle décrit en détail nos préoccupations.
Face à des gens comme vous, je n'ai pas à parler de l'importance du droit de vote ni de son caractère essentiel pour notre démocratie. Le droit de vote est protégé par notre charte et il est exclu des droits sujets à la disposition d'exception. Comme l'a si bien dit notre juge en chef: « Dans une démocratie comme la nôtre, le législateur tient ses pouvoirs de ceux qui l'élisent et il est leur fondé de pouvoir. »
Permettez-moi de vous dire que vous pourriez sérieusement délégitimiser notre système si, dans votre rôle de fondé de pouvoir du peuple, d'une partie de ceux qui vous ont élus, vous niiez en retour la garantie constitutionnelle du droit de vote qui est la leur.
Ce qui préoccupe surtout l'ACLC dans le projet de loi , c'est la proposition d'éliminer l'option de garant et l'utilisation de la carte d'information d'électeur comme pièce d'identité. Nous savons que, lors des dernières élections, plus de 100 000 Canadiens ont établi leur identité grâce à un garant. Nous avons toutes les raisons de croire que ces personnes seront privées de leur droit de voter si le projet de loi devait être adopté tel quel.
Je comprends que les gens dans cette salle puissent avoir de la difficulté à comprendre pourquoi il peut être nécessaire de recourir à un garant. Pour nombre d'entre nous, moi y compris, il est normal de posséder une pièce d'identité de base. Cependant, ceux qui n'ont pas les pièces d'identité exigées pour pouvoir voter appartiennent souvent aux groupes marginalisés. En général, il ne s'agit pas de gens qui vont témoigner devant ce comité. En fait, j'ai dû montrer une pièce d'identité pour pouvoir être admise dans l'édifice.
Pourtant, ces gens-là ont décidé de s'exprimer dans l'isoloir lors de la dernière élection. Ils ont décidé d'exprimer leur volonté démocratique. Beaucoup de ceux qui s'en sont remis à l'attestation d'un garant étaient des étudiants, des personnes âgées ou des Autochtones. Beaucoup résident dans des collectivités rurales éloignées. Ne laissez pas tomber ces gens-là et arrêtez d'ériger des barrières pour les empêcher de voter. L'un des principes fondamentaux de notre système veut que chaque vote compte. Nous estimons, pour notre part, que si les changements que va apporter ce projet de loi privent une seule personne du droit de voter, ce sera une personne de trop.
Nous comprenons que les changements proposés ont surtout pour objet de s'attaquer au problème de la fraude électorale. Quitte à répéter ce qui vous aura déjà été dit à maintes reprises, par un grand nombre de témoins ayant comparu devant le comité, y compris ceux qui sont assis avec moi, on sait que les attestations de garant ont occasionné des irrégularités et des problèmes administratifs, mais rien ne prouve qu'il y ait eu fraude. Rien ne prouve que des personnes n'ayant normalement pas le droit de voter aient eu la possibilité de le faire grâce à un garant. La preuve indiquerait plutôt le contraire.
Si l'on craint que quelque chose ne fonctionne pas dans l'administration du système électoral, le mieux consiste à prendre des mesures correctives. Une mesure qui priverait certains électeurs de leur droit de vote n'est tout simplement pas acceptable. Nous estimons qu'il s'agit là d'un problème du point de vue de la politique publique tout autant que du point de vue constitutionnel.
Les sauvegardes entourant l'option de garant — comme la nécessité de tenir un registre et le fait qu'une personne ne puisse se porter garante qu'une seule fois — sont des garanties procédurales. Dans un récent arrêt de la Cour suprême du Canada, les juges ont fait remarquer que les garanties procédurales ne sont pas une fin en soi. Il s'agit de dispositions qui permettent de s'assurer que seuls ceux qui ont le droit de voter puissent le faire, mais ces dispositions font partie de la Loi électorale du Canada dont l'objet général est de permettre à tous ceux qui ont le droit de voter d'exercer ce droit. Il est question de faciliter le droit de vote.
Qui plus est, la Cour a souligné qu'elle applique une norme de justification très stricte dans son étude des lois ou des actions qui occasionnent un déni du droit de vote. En l'absence de preuve établissant que le système des garants a permis à une personne n'ayant pas le droit de voter d'aller déposer un bulletin, on voit mal comment cette norme très stricte pourrait être respectée. L'ACLC pense que les dispositions du projet de loi vont priver certains électeurs de leur droit de vote, ce qui pourrait coûter de l'argent aux contribuables en situation de litige prolongé et, à terme, être jugé suffisant pour justifier une contestation constitutionnelle dans une cause test.
Je vais seulement mentionner brièvement quelques-unes des autres préoccupations de l'ACLC concernant ce projet de loi. Nous les énonçons en détail dans notre mémoire.
Premièrement, nous prions le comité de supprimer les changements proposés visant l'article 18 de la Loi électorale du Canada qui restreignent de manière considérable le rôle du Directeur général des élections. Cette disposition restreint le rôle important que le DGE joue actuellement. S'il y a des raisons de croire que des électeurs n'obtiennent pas les renseignements essentiels, il faudrait régler ce problème, mais pas aux dépens des autres efforts importants que le Directeur général des élections déploie pour éduquer et rejoindre le public.
Deuxièmement, nous nous inquiétons des dispositions qui réduisent au secret les enquêtes sur les allégations de fraude ou autres irrégularités électorales. Nous reconnaissons l'importance de préserver la présomption d'innocence et la nécessité de respecter la vie privée, mais le projet de loi actuel n'assure pas un juste équilibre entre ces intérêts et le besoin de transparence et le droit de savoir du public.
En dernier lieu, nous nous inquiétons des dispositions du projet de loi qui cherchent à établir une distinction entre le financement et la publicité et excluent du compte de dépenses électorales certaines dépenses liées à des activités de financement. Il est carrément impossible d'établir une nette distinction entre la publicité et le financement. En excluant certaines dépenses liées à des activités de financement du calcul des dépenses électorales, il y a un risque de placer un plafond illimité de dépenses et d'un manque de transparence quant aux dépenses engagées.
C'est également vrai pour la disposition qui exclut des dépenses électorales la valeur des services fournis à un parti pour solliciter des contributions auprès des particuliers qui ont apporté une contribution d'au moins 20 $ au cours des cinq dernières années.
Pour conclure, l'ACLC exhorte le comité à réexaminer et à supprimer les dispositions dont j'ai parlé.
J'ai hâte de répondre à vos questions et je remercie encore une fois le comité de nous avoir invités à comparaître.
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Merci, monsieur le président. J'ai beaucoup apprécié les témoignages.
J'apprécie que vous soyez tous venus ici aujourd'hui. Merci.
J'aimerais faire un retour en arrière. Ce n'est pas le premier changement qui est proposé aux lois canadiennes autorisant le recours à un répondant. La Loi électorale du Canada, sous sa forme actuelle, a été modifiée par le Parlement, si je me souviens bien — c'est à ce sujet que j'ai consulté les analystes — en 2006 ou 2007, peut-être 2008, mais en tout cas, à temps pour les élections de 2008. Nous avons pu le confirmer. Par conséquent, les 40e élections générales, qui ont permis d'élire l'Assemblée législative précédente, ainsi que les élections de 2011 ont été menées selon des règles qui limitaient davantage le recours à un répondant que cela n'avait été le cas antérieurement.
Vous le savez déjà, j'en suis sûr, mais pour que tout le monde ici sache de quoi nous parlons, les restrictions apportées à l'article 143 de la Loi électorale ont précisé qu'il est interdit à un électeur de répondre de plus d'un électeur à une élection; que l'électeur pour lequel un autre électeur s'est porté répondant ne peut lui-même agir à ce titre — ce qu'on appelle les répondants en série. Enfin, le répondant doit vivre dans la même section de vote que la personne dont il répond. Ces restrictions ont été mises en place.
Premièrement, chacun de vous appuie-t-il les changements qui ont été apportés à ce moment-là? Deuxièmement, si vous en aviez la possibilité, si vous étiez libres de le faire, rétabliriez-vous les dispositions antérieures aux changements apportés à l'article 143 au cours de l'avant-dernière législature?
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Merci pour cette question.
Je tiens à souligner que je suis la directrice générale d'un organisme oeuvrant contre la pauvreté. Je ne passe pas mon temps à chercher comment établir des bons systèmes électoraux. Cela dit, cela me paraît évident. Si vous essayez de protéger la dignité des gens et si vous tenez compte de leur situation — celle des personnes qui se trouvent dans une situation difficile et qui pourraient autrement recourir à un répondant pour voter. Si ces personnes en sont arrivées au stade où elles sont en mesure de voter, il faut avoir un système simple, direct et facile à appliquer pour tout le monde — non seulement la personne qui va voter, mais aussi les personnes qui l'accueillent.
J'ai essayé d'explorer un peu la question avant de venir. Certains ont lu dans les médias ce qui s'est fait en Australie, un pays où j'ai vécu pendant deux ans, dans le Queensland. On a là-bas une solution très simple et très directe. Je vais vous lire une citation: « Pour voter au Queensland, il suffit aux Australiens d'aller se balader jusqu'au bureau de vote » — je dirais que certains d'entre eux y arriveront nu-pieds — « de dire qu'ils n'ont pas de pièce d'identité et de signer une déclaration confirmant leur identité, qui est ensuite vérifiée au moyen de la liste électorale. »
Cela semble assez facile, sans complication, simple et direct. C'est une formule tout à fait décente. Vous arrivez au bureau de vote, vous dites qui vous êtes, vous prêtez serment — cela peut être une formule juridique quelconque — et vous votez.
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C'est bien gentil, monsieur le président.
Étant donné qu'il y a ici deux personnes qui travaillent auprès des gens les plus pauvres de notre société, les sans-abri, je voudrais revenir sur une chose. Le ministre parle sans arrêt des 39 pièces d'identité qui peuvent être utilisées quand on va voter. Ce qu'il n'explique pas, par contre, c'est qu'il faut fournir deux pièces d'identité pour pouvoir voter, dont une qui comporte une adresse. Il parle de la lettre qu'une soupe populaire ou un refuge peut fournir à une personne sans-abri, mais il reste que cette personne n'aura toujours qu'une pièce d'identité, qui ne comporte pas d'adresse. En fin de compte, si la personne n'a pas sur elle de pièce d'identité avec adresse, elle ne peut pas voter. Elle pourrait avoir une carte d'assurance-maladie et ne pas pouvoir voter pour autant, même si elle avait en sa possession une lettre provenant d'un refuge.
Le fait de considérer que la personne sans-abri n'a qu'à se procurer une lettre est problématique pour une autre raison également. Il me semble en effet que les responsables des refuges pour sans-abri doivent déployer beaucoup d'énergie et de ressources pour accomplir une foule de tâches et qu'ils ne sont pas nécessairement en mesure de fournir de la paperasse à des gens pour que ceux-ci puissent aller voter. Pour ma part, j'aimerais beaucoup mieux qu'ils utilisent leur énergie pour aider ces gens.
Ça me fatigue beaucoup. Je sais que vous connaissez vraiment bien cette situation. On dit qu'il n'y a pas de problème, que ces personnes n'ont qu'à obtenir une lettre, or c'est un vrai problème, à mon avis. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
J'ai été conseiller juridique des électeurs qui ont contesté la dernière série de modifications importantes apportées à la Loi électorale, lorsque l'obligation de présenter des documents d'identification approuvés a été mise en place et que l'identification par un répondant a été limitée. C'était en première instance, dans l'affaire Henry c. Canada.
Dans cette cause, la Cour suprême de la Colombie-Britannique et la Cour d'appel de la province ont jugé que les exigences imposées aux électeurs pour leur identification portaient atteinte au droit de vote garanti à l'article 3 de la Charte, mais que cette atteinte pouvait être justifiée en vertu de l'article 1. Dans la cause Henry, l'avocat du gouvernement a reconnu qu'il n'y avait pas de preuve de fraude électorale importante au Canada. L'argument que le gouvernement a invoqué pour justifier ces règles était purement la volonté d'éviter la perception d'un risque de fraude électorale.
Il y a une différence importante entre le fait de voter frauduleusement et les irrégularités sur le plan de la procédure électorale. Plus les règles régissant le vote et le dépouillement des votes sont restrictives ou compliquées, plus le risque d'irrégularités procédurales est important. Autrement dit, plus le processus est complexe, plus le risque de dysfonctionnement est élevé. Nous avons surtout besoin d'une mesure simple et infaillible pour protéger les électeurs contre une privation non intentionnelle de leur droit de vote.
Dans la cause Henry, le gouvernement a largement invoqué l'utilisation de la procédure d'attestation par un répondant comme soupape de sûreté pour faire valoir que les nouvelles règles auraient des conséquences minimes et seraient donc conformes à l'article 1 de la Charte. Cette procédure est éliminée sans être remplacée par une autre soupape de sûreté, si bien que la seule façon d'établir le droit de vote sera la production de pièces d'identité. Non seulement cela démolira l'argument du gouvernement selon lequel les exigences à l'égard de l'identification des électeurs sont conformes à l'article 1, mais cela contribuera davantage à augmenter plutôt qu'à éviter les irrégularités électorales.
Prenez le nombre d'adultes qui sont citoyens du Canada, qui ont déménagé d'une circonscription à une autre, mais qui n'ont pas encore mis à jour leurs pièces d'identité. Lorsqu'une élection a lieu, si la seule façon d'établir leur droit de vote est de produire une preuve documentaire approuvée de leur adresse, le seul endroit où ils peuvent voter est la circonscription dans laquelle ils habitaient précédemment, ce qui n'est évidemment pas le bon endroit où ils devraient voter.
Dans la cause Henry, un moyen moins contraignant d'atteindre les objectifs du Parlement que nous avons proposé consistait à permettre aux électeurs dépourvus de pièces d'identité de faire une déclaration sous serment attestant de leur identité et de leur lieu de résidence. Nous avons fait valoir qu'il s'agirait d'une preuve plus fiable que, disons, une carte de bibliothèque ou une carte du Service de la faune de l'Ontario, deux documents inscrits sur la liste des documents approuvés, d'autant plus qu'une fausse déclaration sous serment est un acte criminel. Cela garantirait qu'aucun citoyen ne serait indûment privé de son droit de vote.
J'ai entendu aux nouvelles aujourd'hui que le s'est maintenant dit prêt à envisager de modifier le projet de loi pour permettre aux électeurs qui ne peuvent pas produire les pièces d'identité approuvées aux bureaux de vote de faire une déclaration sous serment. J'appuie sans réserve cette proposition. C'est une procédure bien meilleure et beaucoup plus simple que l'attestation par un répondant. Cette solution réglerait entièrement le problème en ce qui concerne les répercussions du projet de loi sur l'accès au droit de vote au Canada.
Le droit de vote appartient aux citoyens du Canada et non pas au gouvernement ou à une assemblée législative. Surtout en l'absence de consensus national à l'égard du bien-fondé des changements proposés, le gouvernement ne devrait pas apporter des changements qui augmentent la difficulté de voter. Le problème au Canada n'est pas qu'il y a trop de gens qui votent, mais qu'il n'y a pas suffisamment de personnes participant au processus démocratique.
Voilà ce que j'avais à dire. Merci.
:
Je suis également professeure adjointe en éthique appliquée à l'École supérieure en affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa et je suis ici à titre d'attachée de recherches au CCPA. Je suis aussi — certains d'entre vous le savent peut-être — la coauteure, avec plusieurs autres professeurs canadiens, d'une lettre ouverte concernant le projet de loi parue dans le
National Post en mars.
Les opinions que je vous présente aujourd'hui sont les miennes et ne représentent pas nécessairement celles des 180 signataires de cette lettre. Parmi les nombreux problèmes que soulève la , j'aimerais en citer un en particulier, dont M. Quail a déjà parlé, et c'est la façon dont cette loi vient compromettre l'égalité politique au Canada en compliquant l'accès au droit de vote en général et plus particulièrement pour les Canadiens vulnérables.
Comme nous l'avons déjà entendu dire aujourd'hui, elle le fait en proposant d'éliminer les répondants et en imposant des exigences plus strictes concernant l'identification de l'électeur. Je tiens à souligner qu'au Canada, ces exigences sont déjà plus strictes que dans bien d'autres pays. En effet, dans les grandes démocraties suivant le modèle de Westminster, notamment le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, on exige seulement que l'électeur figure au registre; aucune identification n'est requise. Dans d'autres démocraties, les citoyens vulnérables ne sont pas tenus de s'identifier.
Selon les meilleures pratiques internationales, les gouvernements qui exigent l'identification devraient s’assurer que les pièces d’identité demandées sont disponibles gratuitement, comme la carte d’information de l’électeur que ce projet de loi veut écarter.
Il faut comprendre que l’élimination des répondants et l’imposition d’exigences plus strictes concernant l’identification de l’électeur nous éloigneraient des pratiques internationales largement acceptées par lesquelles les États protègent le droit de vote de leurs citoyens. Au Canada, comme nous l'avons déjà entendu dire aujourd'hui, le droit de vote est protégé par l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés. À mon avis, la garantie constitutionnelle de ce droit nous impose à tous, et surtout au gouvernement le devoir de protéger ce droit pour chacun d’entre nous.
À mon avis, ce sur l’intégrité des élections est loin d’être juste. Il risque d’exclure une partie des citoyens les plus vulnérables du Canada, notamment les aînés et les étudiants, les Premières nations, les Canadiens à faible revenu et les sans-abri. Nous savons par Élections Canada que, dans les récentes élections, ces groupes ont fait appel à des répondants. Il va sans dire que, dans la Constitution, le droit de vote de ces citoyens a la même valeur que celui de tout autre Canadien. Il est regrettable que ce projet de loi nous force à le souligner.
Dans sa récente décision dans l'affaire , la Cour suprême a reconnu les nombreuses valeurs en jeu lors des élections, notamment l'intégrité, la transparence et l'efficacité, puis a donné une place de choix au droit de vote garanti par la Constitution. Je cite l'arrêt:
… la Loi a pour objet de permettre à toutes les personnes ayant le droit de voter, y compris celles qui n’ont pas de pièces d’identité, de participer au scrutin et de les inciter à aller voter le jour du scrutin, même si elles ne sont pas déjà inscrites sur la LEO. Le système est conçu pour être accessible à tous les électeurs et comporte une mesure spéciale pour permettre aux personnes dépourvues de pièces d’identité de voter grâce à un répondant. […] L’accessibilité n’est possible que si nous sommes prêts à accepter une certaine incertitude quant au droit de voter de toutes les personnes qui ont voté.
Autrement dit, le système électoral repose en partie sur la confiance dans nos concitoyens de ne pas abuser de notre droit démocratique le plus fondamental. À mon avis, ce projet de loi repose sur une fausse prémisse selon laquelle on ne peut plus se fier à personne.
Dans les faits, le projet de loi privera certains Canadiens de leur droit de vote. Comment peut-on prétendre alors que le Canada est un pays démocratique?
Voter n’est pas quelque chose que le gouvernement nous donne la permission de faire, comme conduire, chasser ou exercer la médecine. Nous y avons droit en tant que citoyens. Le travail d’un gouvernement véritablement démocratique est de protéger notre droit en garantissant les conditions qui rendent le vote possible. Cette loi fait le contraire.
Le gouvernement veut restreindre le droit de vote pour lutter contre la fraude de notre système électoral. Comme il a été répété dans les médias, et devant ce comité, on n’a aucune preuve de fraude, sinon quelques erreurs de tenue de dossiers que l’on peut régler sans menacer l’intégrité de la démocratie du Canada.
En gros, le gouvernement propose de nous protéger de dangers imaginaires en créant des dommages réels et importants. Il y a vraiment quelque chose qui cloche si on renvoie des citoyens qui se présentent dans les bureaux de scrutin parce qu’on s’imagine qu’ils essaient de frauder le système. Il y a quelque chose qui cloche dans une politique qui considère des centaines de milliers de citoyens canadiens comme des fraudeurs potentiels, uniquement parce qu’ils sont vulnérables et ont de la difficulté à obtenir un permis de conduire ou à avoir une adresse permanente.
Cette soi-disant va à l’encontre du principe d’égalité politique sur lequel la démocratie du Canada est fondée. Le projet de loi devrait selon moi, être rejeté.
Merci de m'avoir écoutée.
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Merci, monsieur le président.
Comme vous l'avez déjà mentionné, c'est un bon moyen de m'assurer que personne ne gaspillera tout le temps dont nous disposons.
Quoi qu'il en soit, je vous remercie tous les deux d'être présents parmi nous, du moins virtuellement.
J'ai remarqué que vous aviez plus ou moins centré tous les deux vos déclarations préliminaires sur un aspect particulier du projet de loi qui vous préoccupe.
J'ai aussi beaucoup réfléchi et fait des recherches sur cette question comme de nombreux membres du comité. J'ai constaté que les 39 pièces d'identité que peuvent utiliser les personnes qui vont voter représentent une liste assez complète. J'ai entendu un certain nombre d'exemples d'électeurs hypothétiques qui ne possèdent peut-être pas les pièces d'identité nécessaires ou qui ne peuvent pas les obtenir. Je n'ai pas encore vu d'exemples de cas dans lesquels la liste de 39 pièces d'identité ne permettrait pas de trouver une solution.
Nous avons aussi entendu certains témoins, en tout cas un qui a comparu après avoir fait des recherches très approfondies et établi une sorte de matrice, je pense, montrant qu'il n'avait pas pu trouver d'exemples d'électeurs dans l'incapacité de voter.
Nous avons eu un professeur qui est venu des États-Unis et qui a fait des recherches approfondies sur certains États qui ont commencé à exiger que les électeurs fournissent des pièces d'identité. Selon ces recherches, il ne semblait pas y avoir de lien entre ces exigences et le taux de participation aux élections qui ont eu lieu ultérieurement. En réalité, il y a eu des exemples de cas où, aux États-Unis, la participation des électeurs a augmenté, suite à ces exigences, lors des élections ultérieures.
En tout cas, ce témoin a dit que suite à ses recherches, il pensait que l'intérêt pour le système politique est le principal facteur déterminant en ce qui concerne le vote. Je ne pense pas que qui que ce soit prétendra le contraire.
Cela dit, je vois que vous partagez certaines préoccupations — nous ne sommes pas forcément d'accord — au sujet de cette disposition du projet de loi. Je voudrais donc vous donner aussi l'occasion de parler des autres aspects du projet de loi car vous avez eu, bien entendu, le temps d'en parler. Nous apprécions votre présence ici et vos opinions, même si nous ne sommes forcément d'accord. Néanmoins, vous avez certainement eu l'occasion d'examiner d'autres aspects du projet de loi.
Je voudrais simplement vous fournir l'occasion d'en parler. C'est un projet de loi assez épais. Il contient un certain nombre de changements à notre loi électorale qui vont certainement, selon nous, donner davantage confiance dans notre système électoral grâce à un certain nombre de méthodes différentes. Il élimine, en tout cas, certaines fraudes qui ont peut-être lieu ou qui risquent grandement d'avoir lieu en raison de certaines des dispositions actuelles. Si vous prenez le recours à un répondant, compte tenu des erreurs importantes qui ont été constatées, il y a, sans aucun doute, un risque à ce niveau-là.
Néanmoins, le projet de loi fait un certain nombre d'autres choses. Il cherche à protéger les électeurs contre les appels frauduleux grâce au registre public pour les services d'appels. C'est un exemple parmi d'autres. Je vais me contenter de cet exemple, car je voudrais vous donner la parole.
Pouvez-vous nous dire s'il y a dans le projet de loi un ou deux changements que vous jugez positifs? Vous avez dit, je le sais, qu'à votre avis…
Je voudrais seulement me servir des 30 prochaines secondes pour informer nos invités…
Merci d'avoir écouté la version de mon collègue d'en face de ce qu'on dit les témoins précédents. Je veux que vous sachiez qu'un de ces témoins a dessiné dans sa tête un diagramme de Venn selon lequel la carte d'assurance santé est devenue la pièce d'identité par excellence. Il semblait ignorer totalement qu'une des deux pièces d'identité doit comporter une adresse si vous n'avez pas de carte comportant les deux renseignements. C'était le témoignage le moins convaincant qu'il m'ait été donné d'entendre depuis deux ans que je suis ici.
Quant à l'autre monsieur, c'était un éminent universitaire des États-Unis qui n'a pas nié l'existence d'un lien. Ce n'est pas ce qu'il a dit. Il a terminé son témoignage en disant qu'à son avis, les pièces d'identité ne jouent pas un rôle déterminant dans la participation des électeurs. Par conséquent, lorsque vous essayez, pour la deuxième fois, de citer un témoignage que nous n'avons pas reçu…
Quoi qu'il en soit, madame Lenard, vers la fin de votre exposé, vous avez eu l'occasion de mentionner brièvement un certain nombre d'autres questions qui vous préoccupent comme la sélection partisane du personnel, des agents électoraux… Vous avez également mentionné vos préoccupations au sujet du financement.
Pourriez-vous nous décrire brièvement pourquoi il s'agit, selon vous, de problèmes?
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Oui, la Cour suprême et la Cour d'appel de la Colombie-Britannique ont confirmé que les règles existant avant la présentation de ce projet de loi violaient l'article 3 de la Charte. Néanmoins, la cour a été convaincue qu'elles résisteraient à une analyse en vertu de l'article 1 cherchant à voir s'il existe des mesures atténuant leurs effets, etc.
Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, un élément essentiel, en fait la pierre angulaire de l'argument invoqué par le gouvernement pour maintenir les anciennes règles était l'existence de l'attestation par un répondant; c'était l'existence d'un filet de sécurité pour les personnes qui n'avaient pas de pièce d'identité. C'était un élément important de son argument. Nous continuons de croire que les règles existantes ne sont pas justifiées en vertu de l'article 1, mais si vous supprimez cet élément, ce qui reste suscite de sérieux doutes, à mon avis. Je ne suis pas certain que les tribunaux jugeraient cela conforme aux dispositions constitutionnelles. Je pense que c'est un problème très sérieux.
D'un autre côté, comme je l'ai dit plus tôt, ce qui manque, c'est un filet de sécurité fiable et une règle disant que si personne ne peut répondre de vous et que si vous n'avez pas de pièce d'identité, vous pouvez faire une déclaration sous serment pour confirmer votre identité et votre adresse — un faux serment est une infraction criminelle — et confirmer que vous êtes un citoyen et que vous êtes au bon endroit pour voter. Ensuite, vous pouvez voter. Cela réglerait le problème.
Tel était notre argument. Le gouvernement l'a rejeté, mais j'ai entendu, sur les ondes de CBC, que le ministre a peut-être des hésitations à ce sujet et que des amendements pourraient être apportés au projet de loi pour réintégrer ce mécanisme.
À mon avis, grâce à cet amendement, la loi ne violerait pas l'article 3 à l'égard de l'identification des électeurs.
M. Quail a déclaré que la plupart des Canadiens ont un permis de conduire. Le dernier chiffre que j'ai vu était que 85 % des Canadiens en âge de voter possèdent un permis de conduire. La proportion de Canadiens qui doivent trouver un autre moyen de voter est assez importante.
Pour répondre à votre question, il existe une solution facile, qui est d'élargir l'utilisation d'une carte d'identité nationale. Le gouvernement peut offrir gratuitement une carte d'identité nationale facilement accessible qui pourra servir à voter. C'est précisément ce que suggérait un rapport récent au Royaume-Uni. Le Royaume-Uni devrait imposer des exigences plus strictes à l'égard du vote, mais pour éviter des problèmes d'accessibilité et éviter de violer le principe de l'égalité politique, le gouvernement devrait en même temps financer entièrement et rendre extrêmement accessible une carte nationale d'identité, ce qui réglerait le problème.
Nous savons dans quelle direction aller. Le gouvernement canadien s'est orienté dans cette direction en émettant des cartes d'information de l'électeur, mais le projet de loi propose d'éliminer ces cartes. C'est précisément ce qu'il ne faut pas faire si vous voulez protéger l'intégrité d'un système en exigeant des preuves d'identité.
Je ne vois pas d'inconvénients à ce que les gens prouvent leur identité. Dans certaines situations, ils devraient être tenus de le faire. Néanmoins, s'il faut fournir la preuve de son identité pour voter, il incombe au gouvernement de veiller à ce qu'on puisse obtenir facilement et gratuitement une carte d'identité.
Compte tenu du temps limité dont je dispose, madame Lenard… Je voudrais seulement en parler parce que ce n'est pas une statistique canadienne, mais je viens de tomber sur cet article. Comme vous avez dit qu'il n'y avait pas de statistiques prouvant qu'il y a de la fraude au Canada — bien que j'ignore comment la fraude pourrait être détectée, je l'avoue… Si quelqu'un a voté illégalement, je ne sais pas comment vous allez le découvrir, car les gens qui le font trouvent généralement un moyen de cacher qu'ils votent illégalement.
Néanmoins, aux États-Unis — je viens de mettre la main sur cet article — la Caroline du Nord a découvert que des dizaines de milliers de gens auraient voté illégalement, y compris entre 40 et 50 personnes qui, apparemment, auraient voté alors qu'elles étaient mortes. Je ne sais pas si au Canada notre système est entièrement différent de celui des États-Unis, mais je vous dirais qu'il y a eu des cas — parfois à très grande échelle — de fraude électorale.
Par conséquent ma question est la suivante: Comment saurions-nous, au Canada, si quelqu'un a commis une fraude électorale?
Laissez-moi vous donner un exemple. Les médias ont récemment rapporté qu'un journaliste s'est inscrit trois fois dans trois bureaux de vote différents. Il a voté une fois légalement, il a gâté son bulletin de vote dans les deux autres bureaux et il a ensuite écrit un article à ce sujet. Il a fini par être poursuivi en justice, mais c'est uniquement parce qu'il a signalé à Élections Canada qu'il avait voté trois fois. Élections Canada n'aurait pas pu le découvrir autrement.
Par conséquent, je me demande comment vous pouvez être certaine qu'il n'y a pas eu et qu'il n'y pas de fraude électorale au Canada.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie beaucoup les témoins d'aujourd'hui.
J'aimerais continuer un peu dans la même veine. En fait, on a des preuves, à la suite d'enquêtes menées, qu'il y a eu de la fraude. Entre autres, en 2011, il y a eu des appels frauduleux.
Le directeur général des élections, le commissaire aux élections fédérales et beaucoup d'autres experts électoraux ont dit qu'ils avaient besoin de certains outils très précis pour étudier correctement cette fraude. Ils ont besoin, entre autres, du pouvoir de contraindre à témoigner et du pouvoir de demander aux partis politiques les reçus qu'ils soumettent lorsqu'ils font des réclamations et qu'ils reçoivent l'argent du public. Il y a plusieurs demandes comme ça.
Le commissaire et Élections Canada ont besoin de beaucoup plus de pouvoirs que ceux qu'ils ont présentement. Ces mesures ne se trouvent pas dans le projet de loi. Ce qu'on y trouve, c'est le transfert du commissaire au bureau du procureur, pour une raison un peu obscure. On semble jeter de la poudre aux yeux plus qu'autre chose.
Pouvez-vous commenter cet aspect, ainsi que les cas de fraude qui sont devant nous? Ces cas ne sont pas imaginaires, bien que, dans la tête des conservateurs, il s'agisse de fraude imaginaire.
Selon vous, ces mesures devraient-elles être incluses dans le projet de loi?
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Oui, j'emploierais un mot plus fort que « fraude » pour décrire ce qui s'est passé aux dernières élections et c'est le mot « subversion ».
Je voudrais dire aussi que nous avons eu la chance, au Canada, d'avoir des gens vraiment compétents au poste de Directeur général des élections. D'après les rapports que j'ai eus avec eux, M. Kingsley et M. Mayrand sont deux fonctionnaires de très haut calibre. Je suis convaincu que le titulaire de ce poste doit obtenir les pouvoirs dont il a besoin pour remplir sa mission et protéger notre démocratie.
Pour ce qui est de la question de la fraude, il faut souligner, je pense, que les exigences à l'égard de l'identification des électeurs ne règlent pas vraiment la question de la fraude délibérée. Premièrement, les documents d'identité exigés ne prouvent pas que vous avez le droit de voter. Vous n'avez pas à prouver — et c'est probablement une bonne chose — que vous êtes un citoyen du Canada. Tout citoyen adulte du Canada a le droit de voter.
Si je voulais voter frauduleusement selon les règles actuelles, sans recourir à un répondant, je pourrais imprimer un formulaire de bail avec mon ordinateur, le faire signer par mon voisin, me rendre à la bibliothèque locale pour obtenir une carte de bibliothèque et aller voter. Tel est le système qui est censé nous protéger et assurer la confiance du public dans l'intégrité du système électoral au lieu que je sois tenu, par exemple, si je n'ai pas de pièce d'identité, de faire une déclaration sous serment en sachant que je pourrais aller en prison si c'est une fausse déclaration. Je laisserai derrière moi un document qui pourra être vérifié et examiné. Je vous montre mon bail et je vous montre ma carte de bibliothèque, je les remets dans ma poche et je vote.
Si vous voulez un exemple de situation où il est impossible de vraiment détecter la fraude… En fait, ce sont les règles que nous avons actuellement.
Pour faire suite à ce qu'a dit M. Quail, je suis d'accord pour dire que certaines des pièces d'identité qui figurent sur cette liste ne devraient probablement pas y être. La carte de bibliothèque en est un excellent exemple.
J'ai toujours eu du mal à comprendre pourquoi le Directeur général des élections a décidé de dire seulement « un bail » plutôt que « un bail non commercial ». J'ai été tenté d'apporter tous les baux sur lesquels mon nom est inscrit pour bien le faire comprendre. Il serait utile aussi de préciser « bail en vigueur ». Comme je conserve tous mes anciens baux, apparemment, ils me donnent tous le droit de voter dans des circonscriptions différentes.
Le système actuel pose des problèmes et c'est le manque de sécurité. Néanmoins, je crois que le problème fondamental, si je puis dire, est que nous avons abandonné le recensement des électeurs qui nous fournissait une liste à jour. Cela posait toutes sortes de problèmes. Il fallait dresser la liste, confirmer la liste, l'afficher sur un poteau de téléphone et ensuite la vérifier. Tout le monde s'en souvient. M. Christopherson hoche la tête pour dire qu'il s'en souvient aussi.
Cela posait donc des problèmes, mais les données étaient à jour. Nous avons essayé de passer à une liste permanente, mais elle contient énormément d'erreurs.
D'après les rapports du Directeur général des élections, le taux d'erreur portant sur le lieu de résidence des gens est d'environ 16 % à 17 %. La carte d'information de l'électeur est établie à partir de la liste préliminaire et non pas la liste définitive si bien que ce taux d'erreur est maintenu. Le Directeur général des élections dit que dans certaines circonscriptions du pays, le taux d'erreur est de plus de 20 %. Il y a donc un problème fondamental qu'il faut résoudre.
J'ai l'impression que le projet de loi cherche surtout à résoudre ce problème, y compris le fait qu'on ne pourra pas présenter la carte d'information de l'électeur pour prouver son identité. Ce n'est pas ce que prévoit la loi actuelle, mais ce que le Directeur général des élections a annoncé pour l'avenir.
Je dis tout cela uniquement pour attirer l'attention sur une chose qui m'a semblé problématique et dont il n'a pas été question dans le témoignage des deux témoins. Je devrais peut-être aborder seulement un sujet dont M. Simms et Mme Lenard ont parlé et peut-être aussi M. Quail, car ils ont tous mentionné la déclaration sous serment. Je crois que, selon M. Simms, le bulletin de vote est alors placé dans une enveloppe non marquée et il est compté une fois que l'identité a été vérifiée.
Si l'on faisait ce genre de chose, cela réglerait-il les questions qui vous préoccupent à l'égard de l'abolition de l'attestation par un répondant?
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Merci, monsieur Preston.
C'est un honneur de contribuer aux délibérations du Parlement canadien sur cette importante question et je remercie le comité de m’avoir invitée.
Je voudrais faire quatre séries d’observations: d’abord une mise en contexte, ensuite je traiterai des normes, puis des problèmes, après quoi je donnerai quelques détails.
Tout d’abord, en guise de contexte, je m’intéresse à ce sujet parce que je dirige le projet sur l’intégrité électorale. Ce projet des universités de Harvard et de Sydney se penche sur les élections dans le monde entier. Nous examinons les problèmes électoraux partout dans le monde, depuis les problèmes pouvant surgir aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada, jusqu’à des cas d’États fragiles comme l’Afghanistan, le Kenya et la Thaïlande.
Quelles normes peut-on appliquer pour juger si une nouvelle loi sera efficace? Je pense qu’on peut s’entendre sur certains principes qui sont reconnus en droit international et qui ont été appuyés par la communauté internationale. Je propose quatre principes.
Premièrement, les organismes de gestion des élections doivent être impartiaux, justes, efficaces et indépendant — c’est très important dans n’importe quel pays — et ils doivent avoir la capacité de gérer les contestations. Je pense que nous pouvons tous convenir que c’est un critère important pour fonder la confiance. Deuxièmement, la procédure de vote doit être sûre, honnête et juste et doit permettre à tous les électeurs admissibles de voter. Troisièmement, le rôle de l’argent en politique, en particulier l’argent d’origine privée, doit être transparent et tous les partis doivent être placés sur un pied d’égalité. Quatrièmement, la loi électorale et le règlement promulgué en vertu de cette loi doivent faire l’objet d’une vaste consultation et d’un consensus de tous les partis.
Mon observation suivante est que si nous pouvons tous nous entendre sur ces normes — et je pense qu’elles sont universelles; elles sont acceptées dans de nombreux pays du monde et par la plupart des instances internationales —, la loi sur l'intégrité des élections, que l’on propose de faire adopter au Canada, pose quatre problèmes pour ce qui est d’atteindre ces quatre objectifs.
Premièrement, je pense que certaines dispositions réduiraient l’autorité, l’efficacité, l’impartialité et l’indépendance de l’administration électorale. Cela peut nuire à la confiance et poser un problème. Deuxièmement, à mon avis, certaines dispositions restreindraient le droit de vote fondamental et réduiraient donc le taux de participation aux élections. Cela pose clairement un problème parce que le taux de participation a baissé au Canada, comme dans beaucoup d’autres pays. Troisièmement, la loi proposée donnerait un plus grand rôle à l’argent, en particulier d’origine privée, en politique. Enfin, je pense que le processus débouchera sur une plus grande polarisation plutôt qu’un consensus. Une fois qu’on enclenche la polarisation entre les partis à propos de la loi électorale, il devient très difficile d’empêcher que cela arrive entre les gouvernements successifs.
Globalement, quand j’examine le projet de loi, et je l’ai lu très attentivement, je pense qu’il peut poser certains problèmes pour la réputation internationale du Canada. Le Canada est considéré dans le monde entier comme un modèle de démocratie idéale, et la mesure proposée pourrait entacher cette réputation. De plus, d’autres gouvernements — et c’est cela qui me préoccupe vraiment — qui sont moins disposés à respecter les droits de la personne, dans des pays où les institutions démocratiques sont moins solidement établies, pourraient suivre cet exemple, ce qui freinerait le progrès de la démocratie dans le monde.
Dans mon mémoire écrit, j’ai donné des arguments détaillés à l’appui de ces affirmations. Je n’entrerai pas dans les détails — j’ai remis le texte de mon mémoire — mais je veux insister sur un élément clé pour chacun de ces quatre arguments.
Premièrement, pour la gestion électorale, je pense que certaines dispositions limiteraient la capacité du directeur général des élections de communiquer avec le public et aussi de faire de l’éducation civique. C’est fondamental. Faire l’éducation des électeurs, c’est un devoir fondamental des instances électorales. Encore une fois, c’est un fait accepté par des organisations comme l’OSCE, l’Union africaine, l’Organisation des États américains, qui reconnaissent que c’est un élément clé. Le rôle de l’institution sera par ailleurs affaibli par le fait qu'elle ne pourra pas faire rapport directement au Parlement, mais plutôt au gouvernement.
Deuxièmement, au sujet du droit de vote et du taux de participation, je pense que le comité a entendu beaucoup d’interventions sur les répondants et la carte d’information de l’électeur. En termes simples, je ne crois pas que la fraude électorale soit un grave problème. Si le Parlement canadien croit que c’est un problème, il y a des moyens beaucoup plus efficaces de s’attaquer au problème de l’usurpation d’identité d’un électeur. Élections Canada pourrait par exemple remettre à tous les électeurs des cartes gratuites et publiques. Dans le cadre des élections qui auront lieu dans quelques semaines en Inde, l’État a distribué gratuitement des cartes à plus de 800 millions de personnes. Ces cartes comportent une photo et sont disponibles au bureau de scrutin.
On peut s’attaquer efficacement à la fraude électorale, mais il faut consentir un investissement. Il ne faut pas exclure des électeurs, il faut les inclure tous. Vous pourriez prévoir des amendes plus élevées ou d’autres formes de pénalités pour toute transgression.
Troisièmement, au sujet de l’argent en politique, il est clair que toute campagne coûte de l’argent et il faut permettre ce financement, mais je pense que certaines dispositions proposées vont nuire à la transparence et pourraient donc être problématiques. De plus, il y a d’autres moyens de fournir des ressources de façon juste et équitable à tous les partis, y compris grâce à des fonds publics. Si le problème est l’absence de ressources suffisantes, ce serait peut-être la meilleure solution: augmenter les fonds fournis à chaque candidat et à chaque parti, de manière équitable.
Le dernier point, et je crois qu’à certains égards c’est le plus important, est qu’il faut dégager un consensus pour tout ce qui a trait à la Constitution et aux élections. Votre position ne peut pas être perçue comme partisane. Si c’est le cas, le danger est double. Premièrement, vous perdez la confiance. Le public peut devenir beaucoup plus méfiant à l’égard du processus électoral, ce qui serait vraiment regrettable. À l’heure actuelle, les élections canadiennes ont une très bonne réputation. La plupart des Canadiens croient qu’elles sont très honnêtes. Vous ne voulez pas ébranler le moindrement cette confiance, parce qu’une fois que la confiance est ébranlée, il est difficile de la rétablir. Deuxièmement, cela peut également ébranler la confiance envers le personnel chargé des élections et il peut en découler une attitude partisane parmi les gouvernements ultérieurs. Si vous adoptez cette loi et que d’autres partis et groupes ne sont pas d’accord, elle pourra être abrogée, ce qui peut encore une fois être très nuisible.
En conclusion, je pense que les délibérations du Parlement sont tout à fait les bienvenues. Nous devons nous assurer de ne pas porter atteinte à la démocratie canadienne. Nous devons nous assurer de ne pas porter atteinte aux élections canadiennes. Nous devons nous assurer que les pays où l’on ne respecte pas les droits de la personne, et ils sont nombreux dans le monde, ne puissent pas s’inspirer de cet exemple pour dire que si le Canada peut restreindre le moindrement les droits des électeurs, par exemple, alors on peut également le faire au Zimbabwe, au Bélarus, au Kenya ou dans beaucoup d’autres pays qui ne sont pas des démocraties solides, mais qui progressent en suivant l’exemple du Canada.
Merci beaucoup, encore une fois, de m’avoir écoutée. Je suis tout à fait disposée à répondre à vos questions sur toute question de détail.
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Premièrement, merci beaucoup de m’accueillir. Bonjour à tous.
En guise de contexte et pour expliquer les raisons de mon intervention, mon domaine de recherche est le marketing et les communications politiques au Canada. Mes travaux portent en grande partie sur... [Note de la rédaction: difficultés techniques] ... les gens qui travaillent dans les campagnes électorales aux niveaux national et local. De plus, dans le cadre de mes recherches, j’ai examiné les déclarations relatives aux dépenses nationales et locales des partis.
J’ai pensé qu’il serait probablement préférable, pour utiliser au mieux mon temps et le vôtre, de passer en revue la loi électorale et d’essayer de signaler certains éléments qui m’apparaissent justifier un examen un peu plus approfondi. J’ai établi ce que j’appellerais... [Note de la rédaction: difficultés techniques]. Je me ferai un plaisir de donner suite par courriel pour préciser ma pensée. Si cela vous convient, je vais résumer très brièvement.
Le premier élément se trouve dans les articles proposés 348.16 à 348.19, où il est question de scripts et d’enregistrements. Voici ce que je suggère à ce sujet: on dit que le script sera conservé pendant un an, mais je me demande s’il ne serait pas plus transparent de dire que le script sera à la disposition du public après un an. Au lieu de simplement disparaître, il serait du domaine public et les chercheurs et autres intéressés pourraient le consulter un an plus tard.
Je passe maintenant à l’article proposé 350. On y précise que les dépenses des tiers ne doivent pas dépasser 150 000 $. Je n’ai aucune objection à cela, mais il y a un point auquel à mon avis tout le monde devrait réfléchir, à savoir que le coût de la publicité est en train de changer. Nous assistons actuellement à un changement en profondeur, parce qu’il existe maintenant la publicité vidéo en ligne, ce qui fait que tout à coup, des groupes de tous genres sont en mesure de communiquer sans dépenser d’argent, et pourtant, notre loi électorale vise essentiellement à empêcher les gens de dépenser trop d’argent. Je voudrais donc attirer votre attention là-dessus.
À l’article proposé 366, il est question de dons de 20 $ ou plus. Je trouve qu’il vaut la peine d’y réfléchir parce que les partis politiques cherchent activement à obtenir de très petits montants. Les responsables disent souvent: « Pourriez-vous nous donner seulement 3 $? » Cela commence à soulever des questions sur les dons anonymes également. J’aimerais avoir une meilleure compréhension des raisons qui justifient cette limite de 20 $.
En vertu du paragraphe proposé 376(3), au sujet des dépenses engagées pour solliciter des dons, on précise que ce n’est pas une dépense électorale si l’argent a servi à rejoindre des gens qui ont donné 20 $ ou plus au cours des cinq dernières années. Je n’ai pas vraiment d’objection, mais je trouve que cela prête quelque peu à confusion, parce qu’il est très difficile d’établir, selon le libellé actuel, qui sont exactement ces personnes. Comment s’assurer que l’on ne communique pas également des messages plus vastes, ou comment s’assurer que l’on vise seulement les personnes en question et que l’on ne cherche pas à rejoindre un public plus large?
J’ai une autre observation au sujet du paragraphe proposé 383(2), qui porte sur le rapport de campagne électorale, lequel doit être publiquement disponible pendant six mois et conservé pendant trois ans. Je me demande si ces documents pourraient être à la disposition du public pendant une période indéfinie grâce aux bons offices d’Élections Canada.
L’article proposé 348.01 renferme une définition de « composeur-messager automatique ». Je suppose que cela concerne les appels automatisés. À mon avis, il importe de faire la distinction entre des appels utiles visant simplement à fournir de l’information, et des appels qui ont davantage à voir avec la recherche, c’est-à-dire que des renseignements sont fournis par la personne à l’autre bout du fil. On fait de plus en plus d’interviews à des fins de recherche par des moyens électroniques. Je pense qu’il ne faut pas confondre un appel téléphonique visant à faire un sondage avec un appel visant simplement à renseigner quelqu’un en lui disant où aller voter.
Il y a aussi le paragraphe proposé 421(1), où l’on dit que la fusion de partis est interdite 30 jours avant la délivrance du bref. Je veux simplement attirer votre attention sur une pensée qui m’est venue: qu’arrive-t-il en cas d’élection éclair? Je ne suis pas avocat et vous devrez examiner attentivement le libellé. Mais est-il possible que deux partis envisagent de fusionner et que le premier ministre déclenche des élections à l’improviste pour empêcher cette fusion? J’attire seulement votre attention là-dessus.
J’ai deux autres points à aborder. Au paragraphe proposé 431(2) et à l’article proposé 477.52, il est question d’interdire la collusion... [Note de la rédaction: difficultés techniques]. Je me demande seulement s’il est fait mention d’interdire la collusion aux fins de faire des dons.
Un dernier point, au sujet duquel j’espérais personnellement qu’on jette un peu de lumière, est l’article proposé 445. Je me demande seulement si l’on réintroduit toute la notion des allocations trimestrielles, qui avait soulevé un tel tollé auparavant, ou bien s’il y a quelque chose qui m’a échappé.
Je vous remercie beaucoup et, je le répète, si cela vous convient, je vais faire un suivi par courriel.
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Je pense que les observations de mes deux collègues illustrent la difficulté de commenter ce projet de loi. Nous avons entendu des commentaires très généraux sur la nature du projet de loi comme tel et ensuite beaucoup de commentaires pointus, et je suppose qu’il y a beaucoup d’autres points précis sur lesquels on n’a rien dit.
En réfléchissant à ce que j’allais dire aujourd’hui, j’avais pensé m’attarder à quelques éléments précis, mais en fait, ce qui me préoccupe vraiment, ce sont les grandes questions de portée générale que d’autres ont évoquées. J’ai lu des observations et je suis sûr que vous les avez entendues et je doute donc que ce que je vais dire soit particulièrement neuf pour vous.
Dans le cadre de mes travaux de recherche, j’étudie les élections depuis les années 1970 et 1980. J’ai fait des études pour la Commission Lortie et j’ai fait beaucoup d’autres travaux depuis. L’un des points qui m’intéressent depuis le tout début, c’est le taux de participation: qui va voter et qui ne vote pas et pour quelle raison. Cette question me préoccupait même quand le taux de participation était de l’ordre de 75 %, comme c’était le cas aux élections fédérales jusqu’en 1988. Bien sûr, moi-même et bien d’autres chercheurs sommes devenus beaucoup plus préoccupés à mesure que le taux a baissé depuis cette époque. Nous savons que la situation a empiré pour ce qui est du taux de participation électorale.
Sur le plan fédéral, la tendance est à la baisse dans la plupart des provinces, quoiqu’il y ait des exceptions probablement liées au degré de concurrence — on peut se pencher par exemple sur le cas du Québec et si l’on devait prédire le taux de participation aux élections québécoises de la semaine prochaine, il sera probablement raisonnablement élevé parce que la concurrence est vive dans cette élection. Les gens qui, comme moi, se préoccupent de cela ont mis l’accent sur divers éléments, portant essentiellement sur des changements institutionnels que l'on pourrait peut-être apporter pour essayer de rendre le vote plus accessible et peut-être plus commode, et des initiatives en matière d’éducation visant à encourager les gens qui ne votent pas à aller voter.
Un bon esprit civique, et je n’ai pas à m’excuser de parler de la situation en ces termes, exige la participation. Pour être de bons citoyens, selon la théorie et toutes les conceptions de la démocratie, il faut que les gens s’intéressent activement à la vie publique et participent aux affaires politiques, notamment aux élections qu’ils doivent suivre attentivement.
Les recherches sur la participation politique montrent que presque tous les gestes que l’on pose dans ce domaine sont liés. D’une part, le déclin marqué du taux de participation signifie que d’autres éléments de la participation sont également affectés par ce déclin. D’autre part, si l’on veut voir le verre à moitié plein, encourager les gens à aller voter va également les encourager à s'engager d'autres manières et il est donc doublement important de faire des efforts en ce sens.
Cette mesure législative est donc évaluée par des gens comme moi dans un esprit non partisan. Je n’adopte aucune position partisane sur cette mesure quand je me demande si elle apporte des changements institutionnels, des possibilités en matière d’éducation et des encouragements à voter susceptibles d’augmenter le taux de participation. Ma conclusion, qui est également celle d’autres gens que vous avez sûrement entendus, est que ce n’est pas le cas. Les changements en matière d’accès au vote auront probablement plutôt l’effet contraire.
Il y a quelques années — j’y ai justement repensé aujourd’hui — j’ai témoigné devant votre comité, pas dans cette immeuble, mais dans une autre salle de comité, à propos d’un autre projet de loi, et je crains de ne pas me rappeler le numéro ni même l’année de ce projet de loi, mais peut-être que certains d’entre vous s’en rappellent. Il proposait, entre autres choses, d’augmenter sensiblement le nombre de jours de vote par anticipation, de favoriser davantage le vote par anticipation, au point que l’on proposait, sauf erreur, d’ouvrir tous les bureaux de scrutin plusieurs jours avant le jour des élections proprement dit, ce qui revenait à avoir une deuxième journée des élections, et c’est peut-être la raison pour laquelle ce projet de loi n’a pas été adopté. Mais quoi qu’il en soit, telle en était l’orientation et c’est ce qu’on proposait pour augmenter le taux de participation.
Il en subsiste quelques éléments dans le projet de loi à l’étude. J’ai remarqué qu’une disposition prévoit une journée supplémentaire de vote par anticipation. On sait que les gens votent de plus en plus par anticipation et c’est un pas dans cette direction. Les exigences accrues en matière d’identification des électeurs que l’on propose dans cette mesure vont probablement détourner les gens pour lesquels aller voter est peut-être une activité marginale, et ils sont très nombreux. Cela va les dissuader d’aller voter.
Je veux revenir sur la disposition du projet de loi portant sur le vote électronique, non pas que je me propose de débattre de toute la question du vote électronique ou de m’en faire le champion. Je connais parfaitement toute la problématique du vote électronique. Cela existe dans beaucoup de municipalités canadiennes, comme vous le savez sûrement, et ailleurs dans le monde. Quand c’est disponible, le vote est plus accessible et les gens s’en servent. En vertu de ce projet de loi, tout projet pilote en ce sens deviendra maintenant extrêmement difficile, voire impossible, au niveau fédéral; cela donne donc une idée de l’orientation de ce que l’on propose en l’occurrence.
En matière d’éducation, le projet de loi propose explicitement d’enlever à Élections Canada le pouvoir de faire la promotion du vote. L’organisme peut informer les gens sur le vote, mais il ne peut pas en faire la promotion. Des campagnes pour inciter les gens à voter ont été menées par divers organismes de gestion des élections, au Canada à divers niveaux et dans beaucoup d’autres pays du monde, les messages étant diversifiés. Il me semble qu’il n’y a aucune raison de vouloir limiter cela. D’autres en ont dit autant.
Et puis il y a la recherche. Le projet de loi propose qu’Élections Canada puisse faire des recherches, mais ne soit pas autorisé à en publier les résultats; ces recherches ne doivent donc pas être du domaine public. Pourquoi? Je ne comprends tout simplement pas cette disposition qui supprime la recherche. Pourquoi faites-vous cela?
Ce projet de loi compte de nombreux autres aspects que je ne vais pas passer en revue. En général, j’estime qu’il exige une réflexion beaucoup plus approfondie et davantage de discussions avant d’aller de l’avant.
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C’est ce que j’allais demander.
Cela nous serait très utile pour avoir une vue d’ensemble des suggestions que vous avez faites. Je vous invite donc à le faire, cela nous serait utile et je vous en remercie.
Je passe à l’autre point que je voulais aborder et qui a été soulevé au comité. Il s’agit de la publicité faite par le directeur général des élections. J’ai insisté assez lourdement auprès du ministre pour qu’il donne des instructions au directeur général des élections au sujet des éléments qu’il doit publiciser. La liste que j’avais à l’esprit reflète plus ou moins la liste qui se trouve maintenant dans la nouvelle version du paragraphe 18(1) de la loi.
Il me semble essentiel que cela fasse l’objet de publicité. Il ne s’agit pas de dire aux gens ce qu’ils « doivent » faire, de dire aux gens qu’ils « doivent » aller voter. Il a beaucoup insisté dans le passé... et je suis sûr que vous pouvez trouver en ligner ces publicités montrant des gens qui se lèvent pour prendre la parole, mais on n’entend aucun son sortir de leur bouche parce qu’ils ne sont pas allés voter.
Ces messages visent à expliquer aux gens pourquoi ils devraient voter. Je n’ai aucune idée de leur efficacité, parce que je n’ai jamais vu de recherche a posteriori là-dessus. Mais on n’y trouve rien sur la manière de se porter candidat. Le DGE devrait dire aux gens, dans ses messages publicitaires, comment se porter candidat; comment un électeur peut faire ajouter son nom à la liste des électeurs, ou peut-être y faire apporter une rectification si son nom comporte une erreur. Dans les deux cas, cela arrive souvent. Des gens ne sont pas sur la liste ou bien il y a à leur sujet une erreur sur la liste. Il faudrait donc dire aux gens comment un électeur peut voter et expliquer les différentes manières de le faire —vote par anticipation, vote postal, etc. — et tout cela ne fait pas vraiment l’objet de publicité. C’est sur la carte d’information de l'électeur, mais il faut obtenir la carte pour aller voter. Il faut également savoir comment prouver son identité pour voter; connaître les pièces d’identité qu’il sera nécessaire de montrer pour voter; les mesures disponibles pour aider un électeur handicapé à voter, qu’il s’agisse d’un handicap visuel ou d'une mobilité réduite, etc. Et il y a dans le projet une disposition qui stipule que l’on doit fournir toute cette information de manière que celle-ci soit accessible aux personnes handicapées.
Tout cela a été ajouté en grande partie à ma demande. Je pense que c’est nécessaire. Ce n’est pas dans le projet de loi, mais je pense que le DGE doit faire rapport sur ce qu’il a fait, dire si ses efforts ont été couronnés de succès ou non, et préciser ce qu’il fera à l’avenir pour améliorer la situation, parce que ce sont les éléments de base pour appuyer le vote.
Je suis en train de faire une longue diatribe au lieu de vous poser une question. Je vais en poser une, mais je veux seulement signaler que dans ce rapport déposé tout récemment, l’enquête nationale auprès des jeunes menée après les élections générales de 2011, le DGE signale que les jeunes ont le plus faible taux de participation de tous les groupes de la société canadienne. Il s’est penché sur les raisons pour lesquelles ceux-ci n’ont pas voté et il en est arrivé à la conclusion qu’un élément clé de la réponse était le fait de ne pas avoir reçu de carte d’information de l’électeur, surtout, je pense, à cause de leur mobilité, car les jeunes déménagent souvent. Ils étaient peu au courant des différentes manières de voter, notamment les jeunes chômeurs ne fréquentant pas l’école. Selon lui, c’est l’une des principales raisons. Il y a aussi le fait de ne pas connaître la date des élections; cela s’applique aux jeunes des groupes ethnoculturels.
Il me semble qu’il s’agit là de publicité peu spectaculaire et présentant des renseignements de base, que le DGE a vraiment négligé dans le passé et qui est un élément clé pour augmenter le taux de participation. Or c’est justement l’un des objectifs de ce projet de loi. Je ne sais pas, mais est-ce que ce n’est pas une bonne chose?
Cela dit, j’ai dit que je m’adressais à M. Marland, mais peu m’importe qui répond en premier à ma question.
Monsieur Pammett.
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Oui, monsieur Christopherson.
Essentiellement, le Canada est à l’avant-garde dans ce domaine. Grâce au développement international, le Canada a toujours favorisé la formation, le renforcement des capacités et la démocratisation dans de nombreux pays, qu’il s’agisse de l’Afghanistan ou de pays comme le Nigeria ou le Ghana. Beaucoup d’autres pays n’ont pas l’expérience du Canada et veulent donc apprendre de nous. C’est une question de coopération et de renforcement des capacités. Si le Canada restreint de quelque façon les droits des électeurs, par exemple en rendant plus difficile pour certaines catégories de gens de s’inscrire ou pour l’organisme chargé des élections de fournir de l’information, c’est un signal qui sera perçu en bien des endroits dans le monde où l’on n’a pas l’expérience, l’engagement ou la volonté de faire progresser la démocratie. Je crois donc que ce serait nuisible à de nombreux égards pour beaucoup d’autres activités que le Canada veut mener.
Quand des collègues canadiens m’ont parlé de ce projet de loi pour la première fois, je n'en revenais pas. Pour moi, c’était un peu comme si, par exemple, la Norvège déclarait qu’elle n’était pas en faveur de l’égalité des sexes, ou comme si les Suédois disaient qu’ils étaient contre la démocratie. Le Canada est vraiment un modèle sur la scène internationale et il me semble que ce serait vraiment faire fausse route que d’entacher la réputation du processus électoral canadien, ce que cette mesure risque de faire en rendant le processus beaucoup plus partisan et polarisé, ce qui est tout à fait l’expérience qu’ont connue les États-Unis depuis une décennie.
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Encore une fois, je suis contente de vous entendre dire cela. Je pense que vous avez absolument raison. Il y a deux dangers. D’abord la confiance du public. S’il n’y a aucune consultation, si les partis sont contre les mesures proposées, si la loi ne fonctionne pas, alors ce sera un véritable problème sur le plan de la confiance des Canadiens envers le processus électoral, et je peux documenter cela.
Prenons par exemple le sondage mondial Gallup, qui englobe de nombreux pays, environ 120, sur la confiance que les gens ont dans l’honnêteté de leurs élections. En 2011, selon le sondage mondial Gallup, les trois quarts des Canadiens avaient une confiance élevée. Voilà un témoignage très positif quant à la manière dont ces élections ont fonctionné.
Aux États-Unis, par contre, bien que ce pays soit démocratique depuis des siècles, seulement environ la moitié de la population, 48 %, avait confiance dans l’honnêteté des élections. Si ce pourcentage a baissé aux États-Unis, c’est en partie, tout simplement, à cause de la polarisation qui s’est produite, et il me suffit de prononcer un seul mot, nommément « Floride ». Depuis les événements survenus en Floride en 2000 et tous les problèmes qui ont surgi durant cette élection présidentielle, la polarisation est très marquée aux États-Unis.
À ce jour, une trentaine d’États américains ont envisagé certaines formes de nouveaux règlements, de nouvelles lois sur l’inscription des électeurs, sur les installations de vote. Certains sont allés de l’avant, augmentant le nombre de jours où l’on peut voter, comme le Massachusetts; d’autres ont resserré la procédure électorale, la rendant plus stricte.
Le problème de la polarisation est que non seulement les lois changent plus fréquemment, dès qu’il y a un changement de gouvernement ou que de nouveaux partis arrivent au pouvoir, mais aussi que le public a le sentiment que les élections ne sont pas menées dans l’intérêt public et qu’elles s’inscrivent dans un cadre étroitement partisan.
Je pense que le Canada doit vraiment prendre un peu de recul et dire essentiellement, adoptons une attitude plus conciliante, tout comme on le ferait pour n’importe quelle autre réforme constitutionnelle. Les élections doivent être au-dessus de la mêlée. Elles ne devraient pas faire l’objet du même battage politique que les autres dossiers, parce qu’elles constituent les règles du jeu.
Un dernier mot là-dessus: je pense qu’il est très facile de détruire la confiance du public et de créer le cynisme. C’est ensuite très difficile de rétablir la confiance, comme nous le savons tous. Dans beaucoup de pays du monde, il y a une crise de confiance envers les élus. Si l’on détruit la confiance dans les élections, je crains que tous les parlementaires auront davantage de problèmes parce que c’est l’autorité du Parlement et la confiance envers les élus qui seront ébranlées également.
Donc, pour toutes ces raisons, je suis tout à fait d’accord avec vos observations.
Je vais commencer très rapidement par m’adresser à Mme Norris, après quoi je me tournerai vers MM. Marland et Pammett.
Au sujet de l’identification d’un électeur par un répondant, madame Norris, des témoins antérieurs et beaucoup de témoignages indiquent... en fait, il y a eu toute une controverse sur le fait que beaucoup d’électeurs légitimes ont été, disons, étiquetés fraudeurs. La présomption de fraude semble être le fondement de cette décision du gouvernement, parce qu’autrement, on aurait choisi un système de rechange, pour remplacer l’actuel système d’identification par un répondant.
Dans votre expérience internationale, et je suppose que je veux dire par là les États-Unis, parce que j’ai entendu dans beaucoup d’émissions et lu dans beaucoup de publications l’expression « suppression électorale » qu’on lance à gauche et à droite dans ce débat... Mais il y a beaucoup de gens aux États-Unis qui s’estiment privés de leur droit de vote. Il semble que le phénomène se produise très rapidement, si j’ai bien compris. Vous me le direz si je me trompe. Mais l’origine du problème est-elle cette présomption de fraude qui a débouché sur l’élimination du droit de vote, qui est à mes yeux un droit inaliénable garanti par notre Charte?
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Oui, c’est cela. Aux États-Unis, beaucoup d’initiatives au niveau des États sont fondées sur la présomption de l’usurpation d’identité de l’électeur. Il ne s’agit pas de n’importe quel type de fraude, mais bien de l’idée que des électeurs peuvent voter deux fois ou que quelqu’un puisse se présenter et prétendre être un électeur alors qu’il ne l’est pas.
Essentiellement, les meilleures recherches effectuées par Lorraine Minnite et d’autres aux États-Unis ont permis de constater qu’il s’agit là d’un problème très mineur. Le nombre de poursuites, d’affaires policières et de personnes qui se font prendre est très petit. Normalement, quand il y a usurpation d’identité d’un électeur, c’est par accident. Une personne peut s’être inscrite par exemple en deux endroits parce qu’elle possède deux résidences, ou bien d’autres problèmes ont surgi.
S’il y a un problème de fraude, je pense que toutes les parties intéressées peuvent s’entendre pour dire qu’il faut garantir la sécurité et l’honnêteté dans n’importe quelle élection. Chacun devrait avoir et défendre son droit de vote, mais l’on veut clairement éviter qu’un citoyen soit compté deux fois.
Il y a beaucoup d’autres moyens plus efficaces de contrer un éventuel problème de fraude. On peut d’abord, tout simplement, renforcer les pénalités. Des amendes sont prévues pour quiconque enfreint la loi et il suffit donc d’en augmenter le montant. Ou bien on peut mettre en place d’autres méthodes de vérification. On pourrait par exemple avoir des boîtes de scrutin provisoires. Si quelqu’un se présente au bureau de vote et ne possède pas de pièce d’identité officielle, on pourrait dire, très bien, tous ces bulletins de vote sont placés dans une boîte spéciale et les votes sont comptés et vérifiés à la fin de la journée d’élection.
Il existe des mécanismes qui sont utilisés en bien des endroits et qui permettent d’instaurer une certaine souplesse quand des gens se présentent et ne sont pas munis des bonnes pièces d’identité.
Troisièmement, le gouvernement lui-même, l’État ou le gouvernement fédéral peut émettre des cartes d’identité d’électeurs gratuites, laminées, avec photo et empreintes digitales. En Inde, par exemple, où la fraude est généralisée et pose un vrai problème, l’organisme chargé d’organiser les élections est responsable de la production de ces cartes. On s’en sert en Inde, en passant, non seulement pour les élections, mais aussi pour bien d’autres choses, comme les droits fonciers, parce que c’est une carte gouvernementale officielle. Mais l’électeur ne paye rien pour l’obtenir. La carte est distribuée à tous les électeurs, qu’ils soient illettrés, ruraux ou quoi que ce soit.
Il y a bien des moyens de s’attaquer à la fraude électorale, si elle pose problème. Je ne pense pas que ce soit un problème fondamental. Mais encore une fois, il n’est pas nécessaire d’interdire les répondants ou l’utilisation de la carte d’information de l’électeur; dans les deux cas, cela aurait l’effet contraire et empêcherait de voter beaucoup de jeunes, la population mobile, les personnes âgées qui n’ont pas de permis de conduire avec leur adresse, ou d’autres groupes qui se déplacent souvent et ne possèdent pas les cartes d’identité voulues.
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Merci beaucoup, madame Norris.
Je passe maintenant de 30 degrés Celsius à 30 centimètres de neige, et il en tombe encore. Monsieur Marland, j’ai remarqué que vous avez probablement dû pelleter aujourd’hui et je vous remercie donc de témoigner aussi tard.
Je vous demanderais de répondre à la même question que j’ai posée à Mme Norris, parce qu’à Terre-Neuve-et-Labrador, je pense que les greffiers du scrutin et les représentants de l’organisme électoral officiel de la province ont un rôle à jouer pour ce qui est de se porter garant de l’identité d’un électeur, sauf erreur. Je vous invite à commenter cela.
Par ailleurs, au sujet du rôle d’un organisme électoral indépendant et de ses communications avec le public, vous avez dit qu'il y a en effet les questions de base, où, quand et comment voter, et tous les détails. Mais vous avez mentionné une conversation plus large. Pourriez-vous revenir sur les diverses communications auprès du public de la part d’un organisme électoral officiel?
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Je vous remercie pour la question et, oui, vous avez dit 30 centimètres de neige et c’est bien le cas.
Pour ce qui est des répondants ici, à Terre-Neuve-et-Labrador, j’ai déjà travaillé aux élections et ce qui m’a probablement le plus frappé personnellement, c’est que je me rappelle distinctement une personne qui s’est présentée au bureau de vote et qui était, je crois, sans abri, qui était clairement illettrée et qui avait besoin d’aide pour voter. Voilà le genre d’exemple que je trouve préoccupant.
Personnellement, je ne suis pas alarmiste comme le sont bien des gens au sujet des répondants, parce que je crois qu’il faut effectivement pouvoir démontrer son identité. Bien franchement, beaucoup de gens que je connais me disent que toute l’affaire est parfois prise à la légère. Il suffit de se présenter, quelqu’un barre votre nom avec une règle et c’est tout. Mais ce qui me préoccupe, ce sont les gens, comme le cas que je viens d’évoquer, qui sont vraiment défavorisés dans la société, qui auraient beaucoup de difficulté à produire les documents demandés. À mes yeux, c’est différent, par rapport à une personne qui devrait être en mesure de comprendre la différence.
Pour ce qui est des communications, je trouve qu’il y a là une petite difficulté puisque le gouvernement fédéral veut pouvoir faire de la promotion, alors que les écoles et l’éducation sont clairement de compétence provinciale. À mes yeux, il y a là une fonction d’éducation civique et je voudrais qu’il y ait un partenariat plus étroit avec les provinces pour trouver le moyen que cela se fasse en grande partie dans les écoles. Je sais que cela se fait, mais je pense que l’on pourrait en faire beaucoup plus.
Pour ce qui est d’une conversation plus large, je suis d’accord pour dire que nous devons avoir une conversation plus étoffée allant au-delà du vote. Il faut traiter de la manière de s’engager en politique, d’être parties prenantes du système. Même si quelqu’un choisit de ne pas s’engager, il faut que les gens sachent comment le faire s’ils le souhaitent. De mon point de vue, en communiquant ce message avant les élections, on amène les gens à prendre conscience que lorsque des élections sont déclenchées, ils sont mis en cause, ils peuvent avoir leur mot à dire et voici qu’ils ont la chance d’aller voter. Je soutiens donc que, oui, il y a en effet un rôle plus étendu.
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Je ne veux pas me lancer dans la discussion que l’on pourrait avoir si l’on participait à un colloque en science politique, où l’on pourrait débattre du niveau d’intérêt comme variable explicative. À bien des égards, cela ne fait que reculer d’un cran la question explicative: si l’on dit que quelqu’un ne fait pas quelque chose parce qu’il ne s’y intéresse pas, alors il faut demander pourquoi cela ne l’intéresse pas.
Je pense que la recherche sur la participation électorale — sans trop entrer dans les détails — peut être résumée en disant que pour bien des gens, surtout les jeunes, la politique, les élections et le vote sont en quelque sorte une activité marginale. Mais si l’on creuse la question, on s’aperçoit que le problème n’est pas que les jeunes — bien que cela ne s’applique pas seulement à eux — sont déterminés à ne pas s’intéresser à la politique, c’est plutôt qu’ils veulent qu’on leur donne des raisons de le faire.
Autrement dit, ce qu’on est habitué de considérer comme le devoir civique traditionnel, pour moi, pour vous, et c’était le cas pour mes parents — on le fait parce que c’est notre devoir de citoyen. Nous votons parce que tout le monde vote et nous votons tout le temps. Nous votons simplement pour nous exprimer, en un sens. Souvent, cela se transforme en un devoir plus conditionnel. C’est-à-dire que les gens feront quelque chose si cela importe, s’il y a une bonne raison de le faire, s’ils sont bien informés, mais pas s’ils sont moins informés. D’une manière, l’information fournie peut aider à stimuler chez quelqu’un le sentiment qu’il ou elle devrait peut-être s'engager.
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Je conviens qu’il existe un rôle clé en matière de communications, pour toutes les raisons invoquées. Bien sûr, de nos jours, cela passe par les médias sociaux aussi bien que par les médias traditionnels; il faut communiquer l’information aux électeurs en temps réel et très rapidement. Ne pas permettre à Élections Canada de publier ces recherches, c’est vraiment un pas en arrière.
Encore une fois, le comité voudrait peut-être se pencher par exemple sur la commission électorale au Royaume-Uni, qui a réalisé une série de travaux de recherche exemplaires, en collaboration avec des universitaires, sur de nombreuses questions, par exemple le vote des minorités, les femmes et le vote, la représentation au Parlement, et beaucoup d’autres questions comme le vote électronique, les personnes handicapées, et jusqu’où on peut aller pour surmonter ces problèmes.
Donc, quand de bons travaux de recherche sont financés par les contribuables, l’idée qu’ils ne puissent être du domaine public, qu’on ne puisse en débattre au Parlement parce qu’ils demeurent inconnus, que le gouvernement est le seul à les connaître, cela m’apparaît comme une mesure vraiment rétrograde.
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Maintenant, c’est vraiment M. Opitz qui parle. L’autre était M. Lukiwski, et il est beaucoup plus beau que moi.
Des voix: Non.
M. Ted Opitz: Oui, je le sais, je lui accorde cela.
Je voudrais revenir à l’encouragement et à l’information des électeurs. Il est de notre intérêt à tous, dans cette salle, de permettre aux électeurs d’exercer leur droit de vote, et personne ici présent ne comprend mieux que moi la valeur d’un vote, étant donné que j’ai gagné par 26 voix et qu’il m’a fallu m’adresser à la Cour suprême pour conserver mon siège à la Chambre.
Pour revenir sur la question de mon collègue, personne n’est obligé de s’y intéresser, mais comment pouvons-nous inciter les gens à aller voter? Madame, vous êtes professeure d’université. Monsieur Pammett, vous enseignez à l’université et les étudiants que vous voyez ont tellement d’intérêts différents de nos jours, tellement d’autres choses que les examens et les cours qu’il est très difficile de susciter leur intérêt. Cependant, nous avons fait quelque chose de merveilleux. CIC a publié un guide intitulé Découvrir le Canada, dans lequel on trouve un chapitre sur les élections fédérales où il est question du vote et des droits.