ACVA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des anciens combattants
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TÉMOIGNAGES
Le lundi 13 mai 2019
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour. Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent des anciens combattants, 42e législature, 1re session, séance qui porte sur les effets de l'utilisation de la méfloquine chez les anciens combattants canadiens.
Aujourd'hui, nous accueillons par téléconférence Mme Jane Quinn, qui est doyenne associée de la School of Animal and Veterinary Services — l'école des services animaliers et vétérinaires — de la Charles Sturt University, et Dr Edward Sellers, qui est professeur émérite à l'Université de Toronto.
Madame Quinn, nous allons commencer par vous. Je vous remercie.
Merci beaucoup de m'avoir invitée à parler au Comité.
J'ai préparé une courte déclaration. Puis-je vous la lire?
Je m'appelle Jane Quinn. Je suis professeure agrégée et doyenne associée pour la recherche à la faculté des sciences de la Charles Sturt University. Je suis également cofondatrice de l'Australian Quinoline Veterans and Families Association.
Mes 30 années d'expérience dans le domaine de la recherche biomédicale comparative m'ont permis d'acquérir une expérience pertinente quant au sujet de votre étude. Je suis titulaire d'un doctorat en neuroscience et j'effectue des recherches sur l'impact des toxines sur l'ensemble des systèmes et tissus animaux, en particulier le cerveau. En ce qui concerne le sujet qui vous intéresse, disons que j'ai personnellement été confrontée aux effets néfastes de la méfloquine, aussi connue sous le nom de Lariam, car mon mari s'est suicidé après avoir pris de la méfloquine dans le cadre d'exercices effectués par l'armée britannique à l'étranger.
Il ne fait aucun doute qu'il y a des milliers d'anciens combattants dans le monde dont la vie a été grandement touchée par la prise de méfloquine dans le cadre de leur service militaire. Il s'agit de vraies personnes qui ont souffert pendant de nombreuses années sans nécessairement comprendre leurs symptômes, pourquoi ces symptômes ne sont pas disparus avec le traitement ou pourquoi ils se sont aggravés avec le temps — parfois jusqu'à provoquer des troubles cognitifs graves, des troubles radicaux du sommeil, une anxiété grave et des troubles de l'humeur, comme le trouble bipolaire, ou dans certains cas, des idées suicidaires et le suicide proprement dit.
La méfloquine provoque des changements neurologiques et neuropsychiatriques permanents chez une minorité importante de personnes qui en prennent. Bon nombre de ces anciens combattants se sont fait dire qu'ils souffraient d'un trouble de stress post-traumatique résistant au traitement, sans qu'il soit reconnu que leurs symptômes étaient en fait causés par une lésion neurologique continue du cerveau. Certains ont été soumis à des régimes de traitement avec de multiples médicaments, y compris des antipsychotiques, et dans certains cas, leur cerveau a été exposé à des lésions additionnelles par le recours aux électrochocs, mais sans jamais avoir reçu de diagnostic vrai ou complet.
Comme vous l'ont dit d'autres témoins, les effets secondaires neurologiques et neuropsychiatriques de la méfloquine et d'autres antipaludéens à base de quinoléine sont connus depuis des décennies. La question clé est de savoir pourquoi il a fallu tant de temps pour que l'impact de ce médicament chez les militaires soit reconnu. La reconnaissance du fait que la méfloquine cause des lésions cérébrales à long terme et d'autres troubles médicaux systémiques est une première étape nécessaire qu'il faut franchir pour que soient mis en place des traitements efficaces et appropriés ainsi qu'un soutien médical soutenu pour les personnes touchées.
Un certain nombre d'experts vous ont dit que ce n'est pas le cas, que leur traumatisme crânien n'existe pas, mais leurs arguments ne sont pas étayés par l'expérience d'un ancien combattant ni par la nouvelle littérature en la matière, celle où l'exposition à la méfloquine est prise en compte.
L'un des témoins qui ont comparu devant le Comité a fait remarquer que l'état de santé causé par l'exposition à la méfloquine ne peut être diagnostiqué. Ce n'est pas le cas. L'éventail des symptômes couramment observés chez les personnes qui ont souffert d'une réaction grave ou durable à cette famille de médicaments est assez limité. Il comprend l'insomnie, les troubles du sommeil, les rêves intenses, la dépression, l'anxiété, la paranoïa, les troubles cognitifs et la perte de mémoire, les acouphènes, le dysfonctionnement vestibulaire, les neuropathies périphériques, la fréquence gastro-intestinale ou la diarrhée chronique. Peuvent s'ajouter à cela les crises convulsives, les idées suicidaires et les tentatives de suicide et les suicides réussis.
La maladie n'est pas identifiée par son nom ou par un code discret dans un manuel de diagnostic comme le DSM-5 ou la CIM-10, mais cela n'équivaut pas à dire que l'affection n'existe pas.
Il existe un syndrome qui présente un profil constant de symptômes concomitants pouvant être identifiés en réponse à une exposition à la méfloquine, un syndrome très semblable au processus diagnostique utilisé pour identifier le lupus ou, en fait, le syndrome de stress post-traumatique. Par conséquent, s'agit-il d'un trouble de santé qui existe? Oui, absolument.
Le syndrome de toxicité chronique ou aiguë associé à la méfloquine — que certains appellent « quinisme » pour faire court — est l'affection dont nous parlons aujourd'hui.
L'ensemble particulier de symptômes associés à la toxicité de la méfloquine peut-il être confirmé par un processus diagnostique discret? Est-il possible de distinguer ces symptômes de ceux d'autres troubles neurologiques ou neuropsychiatriques particuliers? La réponse à cette question est oui.
La science derrière le syndrome est complexe. La méfloquine est un médicament qui agit sur l'ensemble du système nerveux, en particulier sur le cerveau. Elle est hautement lipophile et elle est capable de traverser la barrière hématoencéphalique. Elle peut donc avoir des répercussions d'une grande portée dans l'ensemble du système nerveux central.
D'autres ont remis en question le rôle d'une lésion du tronc cérébral dans le syndrome de toxicité de la méfloquine. Nous devons tenir compte du fait que les zones profondes du cerveau — comme le tronc cérébral, les noyaux de Raphe et le système d'activation réticulaire ascendant, ou les zones sous-corticales qui ont une incidence sur les émotions ainsi que celles qui contrôlent l'apprentissage et la mémoire, comme l'hippocampe — sont toutes touchées par la méfloquine. Or, il serait tout simplement contraire à l'éthique de procéder à des études biologiques systématiques chez l'homme pour le confirmer.
Le mode d'action étendu se reflète dans la variété, mais aussi dans la consistance des symptômes que la toxicité de la méfloquine peut présenter, ce qui a des répercussions sur les régions superficielles et profondes du cerveau. Elle ne cause pas seulement des crises et des psychoses — lesquelles indiquent la présence accrue d'effets corticaux et sous-corticaux —, mais aussi des changements émotionnels et comportementaux contrôlés par l'amygdale et d'autres régions sous-corticales.
Les acouphènes et les troubles vestibulaires peuvent être à la fois centraux et périphériques, et c'est là que le tronc cérébral peut être sollicité. Ainsi, le fait de décrire la méfloquine comme une lésion du tronc cérébral et de limiter la recherche à la vérification des impacts cellulaires dans le tronc cérébral conférerait à ce syndrome une simplicité dont la symptomatologie ne rend pas compte.
Plusieurs autres témoins vous ont dit que la méfloquine peut causer des effets secondaires neuropsychiatriques et neurologiques à court et à long terme, mais ce ne sont pas les seuls effets que ce produit peut avoir sur la santé. On pourrait ajouter à cela des maladies gastro-intestinales graves, des douleurs articulaires et des neuropathies périphériques. Il existe donc tout un spectre de problèmes de santé associés à une réaction à la méfloquine, et chacun d'entre eux peut avoir une incidence de taille sur la vie de la personne atteinte et durer plusieurs décennies après l'exposition au médicament.
Certains des arguments les plus convaincants à l'appui de cette affirmation selon laquelle l'exposition à la méfloquine cause des problèmes de santé à long terme sont peut-être les conclusions d'une étude récente commandée par le ministère de la Défense et le ministère des Anciens combattants de l'Australie. Cette étude a passé en revue les enquêtes sanitaires menées par des soldats australiens qui avaient reçu de la méfloquine ou un autre traitement antipaludique pendant leur service actif à Bougainville ou au Timor oriental. Il s'agissait donc d'une étude qui comparait des situations semblables — à l'exception de l'exposition au médicament — et qui incluait l'exposition dans des conditions de combat. Bien qu'elle se soit fondée sur un ensemble de données rétrospectives circonstancielles, cette analyse a révélé que le personnel qui avait reçu de la méfloquine était plus susceptible, à long terme, d'être en moins bonne santé que ceux qui avaient reçu de la doxycycline ou un autre antipaludique.
Comme il s'agit d'une analyse commandée par la Défense et menée par des scientifiques qui, pour ce ministère, étaient des partenaires de confiance en matière de recherche, cette preuve ne pouvait être ignorée. C'est peut-être sur la base de cette constatation que le gouvernement australien a accepté en principe toutes les recommandations de la récente enquête du Sénat sur l'utilisation de la méfloquine et de la tafénoquine dans les forces de défense australiennes, et qu'il a engagé 2,1 millions de dollars australiens dans un programme de traitement et de réadaptation que le ministère des Affaires des anciens combattants met actuellement en oeuvre conjointement avec Open Arms, son service de counselling.
Je suis fière de dire que je siège au comité directeur de ce programme qui, je l'espère, apportera un appui sérieux au groupe d'anciens combattants qui, jusqu'à maintenant, n'ont pas reçu l'aide des organismes qui sont censés les soutenir et les traiter.
Pour résoudre les problèmes de santé des personnes touchées, il est essentiel de reconnaître que la méfloquine cause des dommages à long terme, et je crois que ces preuves sont sans équivoque. La question est de savoir quelles sont les prochaines étapes pour ces personnes et quelles stratégies peuvent être mises en oeuvre pour les aider.
Un dépistage neurocognitif complet devrait être appliqué à tous les anciens combattants afin de déterminer leur état de santé neurocognitif et psychologique. Un examen de santé tous azimuts devrait être mis en oeuvre pour examiner de façon holistique la santé et le bien-être de ces anciens combattants et de leurs familles, et des stratégies de soutien appropriées devraient être appliquées, y compris l'accès aux ergothérapeutes, psychologues, psychiatres ou autres professionnels de la santé, le cas échéant.
Le dépistage pharmacogénomique — en particulier pour les enzymes métaboliques de la famille des cytochromes oxydases P450 et pour les marqueurs pharmacogénétiques dont il a été démontré qu'ils sont nécessaires au métabolisme de la méfloquine — devrait devenir obligatoire pour tous les militaires avant qu'on leur prescrive tout médicament antipaludique. On veillerait en cela à garantir l'efficacité et l'innocuité du traitement, ainsi que celles des autres traitements qui peuvent leur être donnés pendant ou après leur service militaire.
Ce dépistage devrait également s'appliquer à tous les anciens combattants, en particulier ceux qui sont touchés par la méfloquine, afin d'assurer que les médicaments actuellement prescrits ne causeront pas d'autres complications.
J'exhorte le Comité à se tourner vers l'avenir et à se demander quelle est la meilleure façon d'aider les anciens combattants qui souffrent des effets nocifs à long terme de la méfloquine. Dans cette optique, j'invite le Comité à se pencher sur les programmes que l'Australie est en train de mettre sur pied pour s'attaquer à ces problèmes.
Je suis ravie d'avoir été invitée à prendre la parole devant votre comité et je serai heureuse de répondre à vos questions.
J'ai quelques brèves observations à formuler.
Je suis professeur émérite de pharmacologie et toxicologie, de psychiatrie et de médecine à l'Université de Toronto. Depuis plus de 40 ans, je m'occupe de recherche, d'enseignement et de soins cliniques. Un de mes domaines de prédilection est la psychopharmacologie, c'est-à-dire l'étude des médicaments qui agissent sur le cerveau.
Je dois dire, monsieur le président, que j'ai été quelque peu surpris d'être invité à rencontrer le Comité parce que je ne savais pas exactement ce que l'on attendait de moi. Je présume que cela a quelque chose à voir avec ma vaste expérience dans le domaine des neurosciences fondamentales et cliniques et avec le fait que je m'intéresse à la cinétique pharmacologique et aux facteurs de risque des médicaments. J'ai travaillé dans un domaine qui pourrait être particulièrement utile au Comité, soit celui de l'évaluation de la causalité des réactions liées aux médicaments, exercice au moyen duquel on tente de déterminer si un médicament a réellement causé un événement indésirable particulier.
L'un des articles que j'ai publiés — et dont j'étais l'auteur principal et le superviseur — est probablement particulièrement pertinent pour le travail du Comité. Il s'intitule A method for estimating the probability of adverse drug reactions ou, si vous préférez, « méthode d'estimation de la probabilité d'effets indésirables des médicaments ». L'article porte sur un algorithme systématique qui permet d'examiner tous les facteurs et d'évaluer la probabilité qu'un médicament donné puisse causer une réaction, tout en tenant compte du rôle relatif que ce médicament pourrait jouer en conjonction avec d'autres facteurs susceptibles de donner lieu à un risque conjoint entre le médicament et l'événement indésirable particulier.
Je suis d'accord avec Mme Quinn lorsqu'elle dit que l'administration de méfloquine peut avoir des effets indésirables aigus et chroniques, souvent graves. J'ai utilisé cet algorithme particulier dans de nombreux contextes, qu'il s'agisse de patients ou de groupes de patients, d'analyses documentaires, etc. Il y a plusieurs années, j'ai utilisé cette façon particulière d'évaluer la causalité sur une personne non militaire qui, par erreur, avait reçu de la méfloquine au lieu du malarone, et qui avait eu une réaction neurotoxique aiguë et chronique profonde.
Mme Quinn a exposé certains problèmes concernant le diagnostic. Bien sûr, il est très tentant d'essayer de faire entrer dans un cadre précis tout ce qui se passe après l'administration d'un médicament. Vous donnez de la pénicilline et il se produit une éruption cutanée. Cela semble assez simple.
Dans le cas de la toxicité neuropsychiatrique chronique, ce n'est pas si simple parce qu'un médicament qui a une telle réaction interagit avec les antécédents de la personne, avec ses antécédents concomitants, avec le fait qu'elle puisse souffrir de troubles mentaux ou être soumise à d'autres formes de stress. Il n'est pas surprenant que les manifestations soient très diverses. Certaines personnes mettent en doute qu'un médicament puisse avoir un tel éventail d'effets. Quiconque s'intéresse aux sciences du comportement et aux neurosciences n'est pas vraiment surpris, car de très nombreuses régions du cerveau peuvent être touchées par des médicaments susceptibles de se lier à différents récepteurs dans différentes parties du cerveau. La façon dont l'événement indésirable se manifeste, c'est-à-dire son phénotype, comme nous l'appelons, est déterminée par des facteurs antécédents et concurrents.
Un problème récurrent, c'est que l'information disponible est souvent incomplète. Bon nombre des études alléguant que les conséquences neuropsychiatriques de la méfloquine sont très rares proviennent en fait d'ensembles de données de piètre qualité. Lorsqu'il s'agit de jeux de données qui ont été conçus correctement, de façon prospective ou avec des témoins appariés — la méfloquine a même été administrée à des volontaires sains et normaux —, on apprend que ce médicament a une innocuité très réduite. Lorsque la dose est doublée ou triplée, de 40 à 50 % des volontaires sains et normaux ressentent des effets violents.
Les effets violents sont parfois rapportés comme s'ils étaient négligeables, mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un médicament qui est utilisé comme prophylaxie chez les personnes qui n'ont pas la maladie. Lorsque vous donnez le médicament à des volontaires normaux et que vous constatez l'émergence de rêves vifs, d'une forme de dissociation et de répercussions sur le plan cognitif, c'est un signe avant-coureur d'une toxicité potentiellement grave.
L'un des problèmes soulevés par la méfloquine est que la toxicité ne semble pas entièrement prévisible. Or, il est vrai que des doses plus élevées entraînent une plus grande fréquence de réactions indésirables, et certaines d'entre elles sont très désagréables. Cependant, les choses ne sont pas aussi claires en ce qui concerne l'apparition de la neurotoxicité chronique. Souvent, une réaction aiguë après avoir pris le médicament est un avertissement que la personne présente un facteur de risque, que le médicament interagit et qu'il va causer un problème.
Ce que nous constatons, c'est qu'il y a d'autres choses dont il faut tenir compte. Par exemple, nous savons que la méfloquine sort du cerveau par une protéine de transport particulière. Or, il y a des personnes qui n'ont pas cette protéine, de sorte que la méfloquine peut atteindre des concentrations très élevées dans leur cerveau, ce qui les expose à un risque particulier. Ce qui est important, c'est vraiment la quantité ou la concentration de méfloquine dans le cerveau.
Je tiens en dernier lieu à signifier mon appui à l'approche systématique que Mme Quinn préconise. Il est extrêmement important que les personnes qui recevront des médicaments à risque soient explicitement averties des réactions qui peuvent se produire, et qu'une documentation soignée soit mise à leur disposition. Également, il est extrêmement important de ne pas administrer certains médicaments aux personnes qui présentent des facteurs de risque.
Je sais que, dans ce domaine particulier, il a été question d'intervenir sur l'étiquetage des médicaments, mais cette méthode n'est pas une bonne façon d'informer les patients ou même les médecins de la nature des problèmes potentiels. L'examen du médecin général a révélé que les militaires n'avaient pas accès à une documentation de qualité à propos de ce médicament — ni même sur le fait qu'ils en aient reçu — et a permis d'identifier les personnes à qui l'on avait administré le médicament et pour qui il y avait des contre-indications.
Il y a clairement quelque chose qui ne va pas, et je pense que Mme Quinn décrit une approche très sensée, systématique et probablement attendue depuis longtemps.
Cela dit, je pense que la pratique actuelle qui consiste à ne pas prescrire ce médicament est tout à fait appropriée. J'ai remarqué dans certains documents que j'ai consultés avant aujourd'hui que les patients ont la possibilité d'indiquer qu'ils seraient prêts à prendre le médicament. Je crois que l'on a dépassé cela. Je ne pense pas que c'est un médicament — sauf dans les situations où il y a une surveillance extrêmement serrée et où les personnes prescrivant le médicament seraient très bien informées — que les gens prennent avec plaisir. Il y a ici des conséquences qui échappent au monde médical « normal » dans lequel je travaille.
Ce que je vous recommanderais, c'est de prendre cette évaluation de la causalité, cette stratégie, et de l'appliquer systématiquement aux cas émergents ou aux autres plus anciens... Cela comprend deux étapes: l'application de l'algorithme pour évaluer la causalité, puis l'évaluation de l'information manquante qui rend difficile l'évaluation de la causalité. Le fait qu'il semble peu probable qu'une réaction soit due au médicament ne signifie pas qu'il n'en est pas la cause. Ce genre de conclusion arrive habituellement parce qu'on n'a pas l'information voulue pour faire l'évaluation. C'est le problème que l'on trouve dans la plupart des documents que les gens mentionnent lorsqu'ils essaient de soutenir que c'est une chose très rare ou que cela n'arrive jamais, etc. Mais ce n'est pas la réalité.
Merci.
Madame Quinn, docteur Sellers, je suis vraiment ravie que vous soyez tous les deux ici aujourd'hui. Vos témoignages nous ont déjà donné un bon coup de pouce.
Madame Quinn, je tiens à vous dire que ce que vous avez vécu me touche profondément. Soyez assurée de ma grande sympathie. Votre situation est tout à fait particulière en ce sens que vous avez subi l'une des plus grandes pertes que vous pourriez subir en rapport avec ce médicament, alors qu'au même moment, vous êtes une sommité dans ce domaine. Merci beaucoup d'avoir accepté d'être avec nous aujourd'hui.
L'une des réponses que nous entendons ici en ce qui concerne les anciens combattants qui cherchent à obtenir des soins pour les effets toxiques de la méfloquine — une affection qui, ici au Canada, n'est pas reconnue comme un problème de santé —, c'est que s'ils ont un diagnostic conforme aux mises en garde énumérées pour le médicament, ils n'ont qu'à le présenter à Anciens Combattants Canada. Or, Anciens Combattants Canada traitera le demandeur pour ces problèmes de santé, mais sans reconnaître que l'affection est attribuable à la méfloquine. Les anciens combattants qui signalent des nausées, des vomissements, de la diarrhée, des douleurs abdominales, des étourdissements, des vertiges, une perte d'équilibre ou des événements neuropsychiatriques comme des maux de tête, un manque de sommeil ou des troubles du sommeil pourraient être traités pour ces troubles, mais on ne reconnaîtra pas que la prise de méfloquine pourrait en être la cause.
J'aimerais vraiment connaître votre point de vue là-dessus. Une telle réponse est-elle convenable ou devrait-on considérer la méfloquine comme un élément important du diagnostic?
Oui, je pense vraiment que ce médicament devrait être considéré comme facteur majeur. S'il y a clairement un lien de cause à effet — et c'est ce dont nous venons de discuter —, il est alors sensé que le diagnostic valide ce lien de causalité.
L'un des problèmes importants auxquels les vétérans font face est lié au fait que le rôle que ce médicament joue dans leurs problèmes médicaux actuels n'a pas été formellement reconnu. Par conséquent, ce rôle n'a pas pu être pris en considération dans leur traitement et dans l'examen des circonstances entourant le développement de leurs problèmes médicaux particuliers.
Par exemple, une quantité considérable d'argent a été consacrée à la recherche sur le TSPT, qui est une cause très valide de problèmes de santé, mais ce médicament est une cause tout aussi valide d'une maladie bien décrite et bien circonscrite.
La santé mentale des vétérans bénéficie considérablement de la validation qu'apporte un diagnostic de TSPT, et ce principe doit être appliqué à...
D'accord. Il ne suffit donc pas de reconnaître les problèmes de santé. Il faut prêter le même genre d'attention au TSPT et à la toxicité à la méfloquine.
Je suis curieuse à propos d'une question. En 2017, j'ai assisté aux Jeux Invictus, et l'ICRSMV a organisé un important colloque sur la responsabilité de prendre soin des familles de nos forces armées et de nos vétérans. Votre ministre des Anciens Combattants, dont j'ai oublié le nom, était présent à ce colloque. Nous avons eu une bonne conversation à propos de la méfloquine, et votre ministre a mentionné que notre ministre des Anciens Combattants, M. Seamus O'Regan, lui avait indiqué qu'il aimerait vraiment collaborer avec lui à l'étude et à la gestion de cet enjeu particulier.
Compte tenu des recherches que vous menez, êtes-vous au courant d'une collaboration quelconque à cet égard entre l'Australie et le Canada?
Je ne suis pas sûre qu'il y ait eu une collaboration directe à cet égard. Certes, l'Australie et le Canada participent tous les deux au Groupe des cinq sur la santé mentale, une vaste initiative liée en particulier à la santé mentale des militaires et des vétérans. Mais la collaboration directe...
Je sais que la communauté internationale surveille ce qui se passe à l'échelle mondiale, mais je ne suis pas sûre qu'une initiative particulière existe.
Comme vous l'avez mentionné, en mars dernier, l'Australie a annoncé une initiative de 2,1 millions de dollars visant à appuyer les vétérans qui ont pris de la méfloquine. D'après ce que j'ai compris, cette initiative découle en partie du fait que, pendant une année, ces vétérans pouvaient venir témoigner et que cette étape était en elle-même traumatisante. Cette initiative comprend une évaluation complète de la santé et un souci pour les personnes qui ont consommé de la méfloquine.
D'après vos propos, vous avez un important rôle à jouer dans le service Open Arms. Quelle valeur pensez-vous qu'un service comme celui-là aurait s'il était offert à nos vétérans canadiens? Aujourd'hui, le médecin général a modifié la façon dont la méfloquine est distribuée. Elle n'est plus utilisée comme avant, et la fréquence de son utilisation a diminué considérablement. Cependant, un grand nombre de vétérans ont souffert des effets de ce médicament. Que pensez-vous de l'idée de transférer ce type de programmes dans d'autres pays, dont le Canada?
Premièrement, je suis membre du comité de direction. Par conséquent, je ne suis pas officiellement employée ni par le ministère des Anciens Combattants ni par Open Arms, mais je siège effectivement au sein du comité à titre de conseillère externe, et je fais partie de l'équipe qui a décrit ce à quoi le programme devrait ressembler.
Le programme serait grandement applicable et pourrait être transféré immédiatement. Il s'agit d'un programme axé sur les traitements qui vise à procéder à une évaluation des membres du personnel qui souffrent de toutes sortes de troubles neurocognitifs ou neurologiques et à formuler une stratégie en matière de traitements à leur intention. Le programme n'est donc pas nécessairement propre aux vétérans australiens touchés par la méfloquine et la tafénoquine. Il peut aussi prendre en compte les lésions cérébrales, les traumatismes cérébraux légers ou les maladies cérébrales dégénératives qui peuvent toucher l'ensemble des vétérans.
Il serait facile de transférer le programme dans n'importe quel autre pays.
Je vous remercie tous les deux de votre participation.
Ces délibérations nous sont très utiles et, de la même façon, madame Quinn, je vous remercie de votre témoignage et de votre candeur à propos des difficultés que vous avez vécues. Je sais que cela doit rendre les choses beaucoup plus difficiles pour vous.
Nous parlons du diagnostic de la toxicité à la méfloquine. À l'heure actuelle, nous faisons face à un grand nombre de documents qui indiquent que certaines corrélations existent. Je n'ai pas été en mesure de trouver une personne qui peut me fournir une réponse quant à la façon dont je peux examiner le dossier de tel ou tel patient et déclarer que les symptômes du patient en question découlent de la toxicité à la méfloquine. Le rapport d'un comité australien qui a été déposé en mars 2019 dit précisément ce qui suit: « Il n'y a aucun moyen précis de diagnostiquer les effets chroniques d'une toxicité à la méfloquine, étant donné que bon nombre de ses symptômes sont identiques à ceux d'autres maladies comme le TSPT. »
Comment pouvons-nous concilier une déclaration comme celle-là?
Je pense que cette déclaration est un peu simpliste. Un ensemble de critères diagnostiques comprend des symptômes neurologiques et neuropsychiatriques.
D'accord. Je suis désolé de vous interrompre, mais je dispose de très peu de temps.
Où pouvons-nous trouver une description publiée de ces critères diagnostiques? Ces critères diagnostiques sont-ils acceptés par le milieu médical en général?
Je pense que c'est ce que j'ai déclaré auparavant, à savoir qu'ils ne figurent dans aucun manuel de diagnostic. Toutefois, l'accumulation de symptômes a été publiée en de nombreuses occasions, à la fois dans des rapports de cas et des articles qui ont pris en compte des populations plus importantes.
Je comprends cela, mais le fait qu'un certain nombre de rapports de cas décrivent les critères diagnostiques ne signifie pas que ce problème de santé est défini par des critères diagnostiques. Si ces critères ne figurent dans aucun manuel de diagnostic, comment, en tant que médecin, puis-je savoir qu'un patient qui a pris de la méfloquine pendant son déploiement souffre de toxicité à la méfloquine à son retour, plutôt que du TSPT?
Il y a un certain nombre de différenciateurs particuliers, notamment un trouble du système vestibulaire ou un trouble de l'appareil vestibulaire central. Les autres différenciateurs sont des rêves particulièrement réalistes et la détérioration de la santé des patients ayant été exposés à la méfloquine auparavant.
L'autre indicateur diagnostique clé est lié au fait d'avoir eu ou non une réaction au moment de la prise du médicament. Autrement dit, l'état de santé de la personne immédiatement avant de prendre le médicament est différent de celui qui suit la prise du médicament. C'est là un indicateur crucial qui permet d'identifier ceux qui ont été directement touchés.
Je pense qu'il est probable que Dr Sellers ait aussi quelque chose à ajouter à ce sujet.
Oui, je pense que Mme Quinn vous donne un coup de pouce pour vous aider à déterminer ce que vous devez faire. Il faut vraiment vérifier si le médicament a provoqué une réaction. Dans le cas présent, nous savons que l'histoire naturelle d'une réaction aiguë est associée à une probabilité de réaction à long terme. Vous devez donc obtenir des réponses aux questions suivantes: le médicament a-t-il été prescrit? Le cas échéant, quelle dose a été prescrite? Le médicament a-t-il été pris? Le cas échéant, pendant combien de temps? Quels sont les facteurs de risque personnels? En quoi la symptomatologie des patients est-elle unique? Quels sont leurs antécédents en matière d'anxiété, de dépression, etc.? Si vous obtenez systématiquement des réponses à ces questions, vous pourrez déterminer si la méfloquine a contribué à l'évolution de la symptomatologie. Il est bien de disposer d'une catégorie diagnostique, mais, dans le cas de problèmes neuropsychiatriques, vous observerez une combinaison de signes et de symptômes.
D'accord. Merci.
J'aimerais mentionner un document publié en 2018 par l'American Journal of Tropical Medicine and Hygiene. Il traite de données recueillies auprès d'un groupe d'environ 19 500 vétérans américains, composé d'un grand nombre de militaires déployés et de militaires non déployés. L'étude s'est penchée sur les résultats enregistrés en matière de santé mentale en fonction des antipaludéens prescrits — que les soldats aient consommé des antipaludéens ou non. Je précise encore une fois qu'il s'agit d'une très vaste étude publiée dans une revue scientifique révisée par des pairs. Le sommaire de l'étude indique qu'après avoir ajouté les variables du déploiement et de l'exposition au combat aux modèles à multiples variables, aucune corrélation importante n'a été décelée entre la méfloquine et les mesures de santé mentale. Le document mentionne aussi que les données semblent indiquer que les mauvais résultats en matière de santé physique et mentale signalés dans la population visée par cette étude sont en grande partie imputables à l'exposition au combat découlant du déploiement.
Il s'agit d'une très vaste étude dont les résultats ont été publiés récemment dans une revue révisée par des pairs, une étude qui indique essentiellement qu'il est impossible d'établir une corrélation définitive entre le médicament et ces symptômes.
De quoi disposons-nous pour contrer cela? Y a-t-il des articles de calibre semblable, publiés dans des revues scientifiques révisées par des pairs, qui peuvent réfuter ces conclusions?
Il y a un certain nombre d'études qui ont été menées pendant une période prolongée.
Désolée, la parole est à vous.
Le problème, c'est que l'étendue d'une étude ne garantit pas sa qualité. Ce genre particulier d'études rétrospectives souffrent d'un manque de documentation, d'enregistrements et d'estimations exactes, et du fait que le genre de symptômes souvent signalés dans ces cas ne figurent jamais dans les dossiers médicaux. Par conséquent...
Si je peux me permettre d'intervenir, j'aimerais préciser que le document est très détaillé. Il traite d'un certain nombre de symptômes et fait état d'une évaluation médicale très rigoureuse des militaires qui ont été déployés. Je mentionne de nouveau que j'ai déjà mené certaines recherches médicales et que j'ai pratiqué la médecine pendant 20 ans. Je dois avouer que c'est la première fois que j'entends quelqu'un dire, au sujet d'études scientifiques, que leur étendue ne garantit pas leur qualité. L'un des problèmes des études scientifiques, c'est que plus elles sont limitées, plus il est difficile de leur accorder essentiellement de l'importance.
Le fondement de mon petit reportage, selon lequel l'étendue d'une étude ne garantit pas sa qualité, c'est que tout dépend vraiment de la source des données. Ce genre d'études est très représentatif des études épidémiologiques rétrospectives. La faiblesse universelle de ces études, c'est que les personnes qui les mènent ne disposent pas des renseignements liés à tous les aspects que vous aimeriez vraiment étudier.
Vous voulez savoir quels symptômes et comportements subjectifs ont été observés. Souvent, vous finissez par obtenir un petit nombre de données exposées dans un graphique. Vous avez un diagnostic, mais vous ignorez quand le problème a commencé. Essentiellement, vous finissez donc par conclure que cette étude contredit ce que vous avez appris des autres études qui ont fait l'objet d'un contrôle approprié.
Mme Quinn a fait allusion à l'une de ces études, mais il y en a d'autres. Si l'on examine dans leur ensemble les études qui remontent à aussi loin que les années 1970, on remarque que ces symptômes sont clairement associés encore et encore aux médicaments ayant cette structure chimique.
Si vous voyez quelqu'un quitter une banque où des fonds ont disparu, vous dites « Eh! ». Mais, si cela se reproduit le jour suivant, vous savez que quelque chose est arrivé, qu'il y a un voleur à l'œuvre. Ce médicament est associé à une tendance répétitive.
Je vous remercie infiniment. Je vous suis vraiment reconnaissante de cette réponse.
Madame Quinn, je vais maintenant m'adresser à vous. À l'heure actuelle, aucun processus n'a été mis en place pour permettre à Anciens Combattants Canada, ou même à la Défense nationale, d'établir un dialogue avec les gens qui ont pris de la méfloquine. Il n'y a aucun processus qui leur permet de dépister ce problème de santé. Par conséquent, l'une des questions qui me préoccupent pendant que nous menons cette étude, c'est le nombre de personnes qui n'ont pas été diagnostiquées au Canada. Reçoivent-elles les services de soutien et les traitements appropriés dont elles ont besoin?
Vous avez également mentionné que, parfois, le fait de recevoir des traitements pour le trouble de stress post-traumatique — qui peut faire partie d'un diagnostic incomplet — peut nuire à leur capacité d'obtenir l'aide dont ils ont besoin.
Je me demande si vous pourriez parler de certains aspects de la question suivante. Comment pouvons-nous expliquer au gouvernement actuel que nous devons nouer un dialogue avec ces gens afin de nous assurer qu'ils ont été diagnostiqués correctement? Que se passera-t-il s'ils reçoivent seulement un diagnostic de trouble de stress post-traumatique et des traitements liés uniquement à ce diagnostic? Quel genre de torts cela pourrait-il leur causer?
Merci.
C'est exactement la situation à laquelle nous avons fait face lorsque nous avons conçu le programme de santé neurocognitive de l'Australie. Nous savions qu'il y avait une cohorte de vétérans au sein de la communauté qui souffraient de problèmes neuropsychiatriques et neurologiques à long terme, ainsi que d'autres problèmes de santé, qui avaient eu des répercussions sur les membres de leur famille et sur leur existence en général. Nous savions qu'ils étaient très désenchantés des modalités des traitements prescrits par le ministère des Anciens Combattants, parce que ces modalités de traitement étaient souvent grandement infructueuses.
L'un des principaux éléments qui ont permis au ministère de se faire pardonner, c'est le fait que nous avions adopté une stratégie ouverte qui leur permettait de participer de nouveau au processus sans craindre des conflits liés à des diagnostics antérieurs, et aussi le fait que nous leur permettions de bénéficier d'une évaluation neurocognitive ouverte ainsi qu’holistique de leur état de santé actuel et de leurs besoins en matière de santé. Pour que ces vétérans recommencent à participer à ces programmes de traitement, il faut, entre autres, que nous admettions que leur maladie pourrait être liée aux médicaments qu'ils ont pris. Pour renouer le dialogue avec les vétérans qui ont quitté les programmes de traitement dans le passé, il est extrêmement important que le gouvernement australien — et maintenant les conclusions de l'enquête du Sénat — reconnaisse que la méfloquine est un événement tangible et réel qui a eu des répercussions sur leur vie d'une façon très longitudinale.
Je pense que ces stratégies sont essentielles, tout comme un programme de sensibilisation active qui met vraiment l'accent sur l'amélioration de la qualité générale de la vie des patients, et non sur l'établissement d'une série de diagnostics à court terme et, en conséquence, sur l'obtention de résultats à court terme liés aux traitements.
Merci beaucoup. Il est certain que nous avons entendu un grand nombre de vétérans des quatre coins du pays parler de la reconnaissance de ce problème de santé et du fait que leur stress et leur désenchantement découlent du refus du ministère de reconnaître qu'ils sont atteints de ce problème de santé.
Docteur Sellers, aimeriez-vous ajouter quoi que ce soit à propos de la question du traitement du trouble de stress post-traumatique en l'absence d'un diagnostic approprié de toxicité à la méfloquine? Donc, avez-vous quelque chose à dire à propos de la sensibilisation et de l'établissement d'un dialogue avec les gens qui pourraient être atteints de ce problème de santé et qui n'ont pas été correctement diagnostiqués ici, au Canada?
Bien sûr, tout cela va bien au-delà du trouble de stress post-traumatique, car les effets neuropsychiatriques de la méfloquine peuvent comprendre la dépression, la psychose et une gamme complète de symptômes. En tant que pharmacologue clinicien, j'aurais tendance à chercher l'indice d'exposition. J'essaierais de trouver toutes les personnes qui ont peut-être reçu une ordonnance. Dans ma déclaration préliminaire, j'ai souligné que la prescription, la délivrance et la prise de médicaments présentent des différences importantes. Nous avons des exemples où la méfloquine est prise tous les jours alors qu'elle vise à... et ainsi de suite. Toutes ces choses étranges se produisent.
Je présume que l'armée a minutieusement consigné ces ordonnances. Ce serait un excellent point de départ pour trouver ce que j'appelle un cas indicateur. Cette personne pourrait ensuite être évaluée d'après certains des éléments du processus d'établissement du lien de causalité dont j'ai parlé. Pour ce faire, il faut établir si le médicament a bel et bien été pris, puis confirmer le respect de la séquence, la dose et les problèmes concomitants... C'est une façon systématique de choisir une personne et d'effectuer une évaluation.
Il est facile de jeter tout le blâme sur le médicament, mais la situation est toujours un peu plus complexe quand on traite ce type de troubles. Le médicament peut certes jouer un rôle important, et il est tout aussi important de le confirmer que d'établir les cas plus rares où il était le seul facteur antécédent en cause.
Pour ce qui est du cas que j'ai cité et évalué, il est évident qu'il s'agissait strictement d'un problème de dosage. On a donné à un homme d'affaires une dose sept fois plus élevée que ce qu'il convient de prescrire, ce qui a entraîné chez lui une réaction aiguë de même que des effets neuropsychiatriques très profonds. Il faut obtenir les renseignements et en tirer des données.
Merci à vous deux pour votre témoignage aujourd'hui.
Ma première question s'adresse à Mme Quinn. Le Dr Sellers a parlé de la consignation des ordonnances de méfloquine. D'autres témoins ont déclaré devant ce comité que nos dossiers ne sont malheureusement pas complets, ici, au Canada.
En Australie, a-t-on consigné les ordonnances, c'est-à-dire les patients traités et la date de prescription?
Oui, dans une certaine mesure. Nous avons une situation intéressante et assez comparable à celle du Canada, puisqu'un groupe d'anciens combattants a pris de la méfloquine pendant les essais cliniques menés par la Défense à la fin des années 1990 et au début des années 2000.
Fait intéressant, comme ces anciens combattants ont été exposés au médicament pendant les essais cliniques, cette exposition n'a pas été consignée dans leur dossier militaire principal. Les données sont dans un dossier distinct. Ce qui est devenu évident quand nous avons commencé à étudier la situation ici, en Australie, c'est que ces personnes n'étaient pas au courant qu'elles avaient été exposées à la méfloquine ou à la tafénoquine, un autre médicament expérimental, parce que ce n'était pas consigné dans leur dossier médical général. Ces dossiers médicaux étaient tenus séparément. Donc, il est devenu impératif d'y avoir accès.
Ce qui est unique, ou à tout le moins inhabituel, dans la situation de l'Australie, c'est que ces personnes ont des dossiers très détaillés, et que l'étude rétrospective que j'ai mentionnée dans ma déclaration préliminaire faisait la concordance entre certains de ces ensembles de données, car il était ainsi possible d'identifier discrètement certaines personnes. Nous connaissons assez précisément le nombre de personnes — environ 4 500 — qui ont été exposées aux deux médicaments expérimentaux, dont la méfloquine, pendant les essais cliniques, sans compter la documentation détaillée tenue depuis 2010 environ qui permet d'établir qu'au moins 500 personnes supplémentaires y ont été exposées par la suite.
Il y a toutefois peu de renseignements sur la période allant de la fin des années 1980 à l'an 2000 environ, après laquelle sont apparus des dossiers médicaux électroniques plus détaillés, qui permettent d'établir facilement qui a pris de la méfloquine. Cette situation est très proche de celle au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada, où il y a eu une période préalable à la tenue de dossiers électroniques durant laquelle il est très difficile de savoir exactement qui a pris ce médicament. Ce que nous savons, c'est qui a été déployé dans les régions dans lesquelles c'était alors le médicament de prédilection. Donc, il est presque certain que les personnes déployées à ces endroits ont pris ce médicament.
Cela dit, comme l'a affirmé le Dr Sellers, interroger ces personnes pour établir si tel est le cas est l'une des principales choses à faire, car se souvenir si un médicament a été pris tous les jours ou chaque semaine peut certainement donner une bonne indication à ceux qui ont été exposés pendant cette période s'ils étaient susceptibles de prendre...
Madame Quinn, je me permets de vous interrompre pour poursuivre un peu dans cette veine. Je vais m'adresser à tout le monde pour cette question.
Docteur Sellers, je me demande si vous pourriez nous parler un peu de cela. Par exemple, Mme Quinn parle de fouiller davantage dans le passé des personnes pour savoir s'ils ont ou non pris ce médicament. Quand vous parlez d'effets neuropsychiatriques, à quel point les professionnels de la santé d'ici sont-ils au courant des effets neuropsychiatriques possiblement associés à la méfloquine, si des anciens combattants ont consulté leur médecin de famille?
Je crois que cela ne se passerait pas très bien. Je pense que la majorité des médecins de soins primaires ne sont pas trop au courant de... Nous savons que la gestion de la santé mentale est problématique dans notre système de santé de toute façon. Les troubles ne sont pas relevés. Ici, nous allons très loin dans un trouble très spécialisé, donc j'estime que le type d'approche qui nécessite une vision ciblée avec des capacités spéciales pour faire des évaluations...
J'admets que les dossiers sont parfois tout simplement épouvantables, donc qu'on ne peut pas vraiment dire si quelqu'un a bel et bien obtenu une ordonnance, mais il y a probablement des traces documentaires assez fiables des personnes déployées dans une zone où on leur aurait donné un traitement préventif. On peut ensuite aller voir ces personnes et le leur demander. Un très grand nombre de personnes vous diront directement: « Oh oui, on m'a donné cette pilule, mais je ne l'ai jamais prise » ou « Oh oui, eh bien, j'ai pensé que j'étais aussi bien d'en prendre quelques-unes de plus. » Ils vont vous dire plus ou moins ce qui en est. Nul besoin de s'échiner à le confirmer, mais ce sont des pistes qui ne se trouvent probablement pas dans les dossiers, parce que ces personnes peuvent vous le dire.
Ma dernière question est encore pour le Dr Sellers. À la lumière de ce que vous avez appris à l'échelle internationale — l'un d'entre vous aujourd'hui a parlé du Groupe des cinq, soit l'Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis —, y a-t-il des conférences ou des formations médicales qui portent expressément sur le sujet, qui abordent la question de la méfloquine et des anciens combattants?
Pas que je sache, quoique Mme Quinn peut avoir contribué à la sensibilisation sur la question en Australie. C'est une vraie force de la nature.
Il n'y a pas eu de conférence ni d'activité précises sur le sujet autres que celles organisées dans le milieu des anciens combattants.
Merci beaucoup à vous deux pour votre témoignage aujourd'hui, tandis que nous poursuivons notre exploration des effets de ce médicament et planifions la rédaction d'un rapport qui nous permettra d'en savoir plus qu'avant. Nous pourrions être en mesure de faire des recommandations qui pourraient changer bien des choses, alors je vous remercie d'y contribuer.
Madame Quinn, j'aimerais connaître votre avis sur un rapport publié en août 2017. L'Australian Repatriation Medical Authority, organisme scientifique qui soumet des recommandations au ministère des Anciens Combattants, a expressément recommandé de ne pas accorder le bénéfice du doute quant au lien de causalité entre la méfloquine, ce trouble et les lésions cérébrales.
Pourriez-vous nous donner votre opinion à cet effet, s'il vous plaît?
Oui.
On m'a demandé de soumettre des données probantes à l'Australian Repatriation Medical Authority afin d'aider les responsables à établir s'ils allaient ou non accepter un énoncé de principes sur les lésions cérébrales attribuables à la méfloquine, à la tafénoquine et à la primaquine.
Cela s'est avéré un processus intéressant, puisque j'étais d'avis que le mandat de l'enquête était biaisé. On s'est penché sur trois médicaments, soit un qui a un profil neuropsychiatrique très discret et bien documenté; un qui était à l'époque un médicament expérimental pour lequel il y avait très peu de données probantes disponibles en dehors du processus de développement de l'industrie pharmaceutique; et un autre qui n'avait pas été systématiquement examiné depuis un certain temps afin d'en assurer l'innocuité par rapport aux effets secondaires neuropsychiatriques.
C'était une enquête pour laquelle il était très difficile de fournir des données probantes; ainsi, son résultat, soit l'incapacité d'établir un lien de causalité, était probablement assez prévisible. Cela dit, ce qu'il faut souligner, c'est que l'Australian Repatriation Medical Authority reconnaît actuellement 15 états distincts liés aux quinoléines ou plus particulièrement à la méfloquine, en raison des mauvais résultats en santé qui y sont associés. Ces états peuvent faire l'objet de réclamations auprès de l'appareil administratif australien.
Si vous rassemblez ces 15 énoncés de principes, vous obtenez essentiellement le syndrome appelé syndrome de toxicité de la méfloquine.
Nous souhaitions confirmer que la composante neurocognitive pouvait être diagnostiquée de façon distincte, mais cela n'a malheureusement pas été retenu. Je crois que l'on commence à voir des données probantes à cet égard et qu'on devra les confirmer grâce à une étude de série de cas précise et ciblée. L'un des problèmes dans ce dossier, c'est l'absence marquée de volonté de mener de telles études de série de cas. Les données probantes plus récentes qui émanent d'Australie devraient, je crois, nous être très utiles pour définir cet énoncé de principes à l'avenir.
Vous avez dit dans votre témoignage que le gouvernement australien avait investi 2,1 millions de dollars pour offrir du soutien. Quel était le fondement de ce calcul, la conclusion qui a permis un tel investissement?
Je crois que ses origines sont multiples. D'abord, il y a eu l'impact majeur des témoignages d'anciens combattants devant le Sénat australien sur les effets de la tafénoquine, un médicament expérimental, mais aussi de la méfloquine ici en Australie. Il est alors devenu évident que leur vie avait été irrémédiablement affectée de façon très néfaste par leur exposition à ces deux médicaments.
Pardonnez-moi, je vous prie. Quelle était la conclusion? Je sais qu'il y a eu toutes sortes de scénarios, mais qu'est-ce qui a clairement établi la causalité?
Je crois que la détermination finale est venue en partie de l'étude menée par l'Université du Queensland pour le ministère de la Défense, selon laquelle la prise de méfloquine au cours des deux déploiements à Bougainville et au Timor-Oriental a manifestement eu des résultats négatifs tangibles à long terme sur la santé.
Et quels sont ces résultats? Quels seraient le diagnostic, les symptômes, les résultats précis, par exemple le trouble de stress post-traumatique, ou... ?
Non. Il s'agissait plus précisément de l'anxiété, de la dépression et des effets neuropsychiatriques. Ici encore, ces conclusions sont fondées sur un ensemble de données rétrospectives, ce qui veut dire qu'il s'agissait d'une étude opportuniste. Ce n'était une démarche ni ciblée ni définie. Cette étude n'a pas encore été menée.
Mais selon moi, vu le poids de ces données, en plus de celles recueillies pendant l'étude du Sénat, et sans compter les activités qui se déroulent un peu partout dans le monde sur la reconnaissance de l'incidence de la méfloquine sur la santé mentale des anciens combattants et les jugements rendus en ce sens, je pense qu'il y a probablement eu un effet cumulatif qui a signalé au gouvernement la nécessité du processus. De plus, il y a eu des employés du ministère des Anciens Combattants et à Open Arms qui ont fermement soutenu ce groupe d'anciens combattants et, en général, les anciens combattants qui présentent des lésions cérébrales de diverses origines.
Merci aux témoins de s'être présentés devant nous aujourd'hui pour nous faire part de leur point de vue à ce sujet.
Permettez-moi de vous mettre en contexte. Vous ne le savez peut-être pas, mais je crois qu'il est pertinent de consigner au compte rendu que nous avons entendu la crème du corps médical de l'armée canadienne, c'est-à-dire de notre ministère de la Défense nationale, ainsi que le brigadier Downes, médecin général de la Défense. Il a déclaré avoir fait des recherches poussées et avoir lu à peu près tout ce qui avait été publié sur la méfloquine et ses effets sur le personnel militaire, mais qu'il ne pouvait être d'accord avec aucun des arguments que vous avez soulevés aujourd'hui. Je parle bien du premier officier médical de notre ministère de la Défense nationale.
Bref, il est d'avis qu'il n'y a pas assez de données probantes et d'études, tout comme mon collègue de l'autre côté de la table, médecin de carrière, qui a essayé d'établir un lien entre une étude et le fait qu'elle ne comportait aucune preuve de la corrélation que vous avez tous les deux clairement énoncée aujourd'hui. C'est aussi sans surprise que les autres témoins qui sont passés devant ce comité ont tous établi le même lien que vous, à l'exception de nos hauts gradés militaires, c'est-à-dire les personnes qui prennent les décisions au sein de nos forces armées. C'était le médicament de prédilection jusqu'à notre présence en Afghanistan et qui se démarque dans l'histoire canadienne pour certains de ses effets psychologiques constatés en Somalie et dans la foulée des atrocités imputables à l'armée.
L'un de nos généraux les plus respectés, selon moi, et qui est aujourd'hui sénateur, est Roméo Dallaire. Il a déclaré sans la moindre équivoque que nous ne devrions pas donner ce médicament aux militaires. Il l'a dit avec véhémence, publiquement, et pourtant notre comité pose des questions à nos dirigeants militaires qui n'accordent aucune crédibilité à ce que vous dites. Ils n'ont manifestement pas lu les écrits de Mme Quinn sur ce qui s'est produit en Australie.
Bien entendu, vous avez mené une étude. Étonnamment, on n'a jamais fait référence à la prise de mesures en Australie par rapport à cela ni à la politique établie au gouvernement pour dédommager et aider les personnes qui en souffrent tant.
Je mets nos travaux en contexte parce que c'est simplement une question de faire une analyse, de demander aux personnes qui ont servi dans nos forces armées si elles ont pris ce médicament. On tiendrait compte des militaires qui l'ont pris jusqu'à la mission en Afghanistan et pendant celle-ci, ainsi que de ceux qui le prennent encore.
Je suis donc outré. Cela paraît probablement à l'écran. Je suis outré de l'inaction de ce gouvernement, ou des gouvernements précédents si ces renseignements étaient disponibles. Il me semble que la base de données existe. C'était une autre des questions soulevées: comment peut-on savoir qui en a pris? Eh bien, nous savons qui a servi dans les forces armées. Nous avons tous leurs dossiers. Nous n'avons qu'à leur poser la question: « En avez-vous pris? ». C'est tout. Puis nous reconnaissons qu'il y a corrélation. L'Australie a géré le problème, les États-Unis sont en train de le gérer et de bannir ce médicament, et pourtant, nous nous entêtons au sein de nos forces armées à permettre à nos militaires d'en prendre. Si nous arrêtions simplement de l'offrir, nous rendrions service à nos militaires et aux anciens combattants à venir. Nous parlons d'anciens combattants, de ceux qui ont pris le médicament et d'autres qui ont affirmé qu'il y a corrélation entre ces symptômes et leurs troubles de santé, et nous avons un ministère de la Défense et un gouvernement qui essaient de nous dire qu'il n'y a rien de tel.
Je vous ai fourni ce contexte pour vous poser la question suivante: quelles sont, selon vous, les prochaines mesures que devrait prendre le Canada relativement aux anciens combattants qui ont pris ce médicament toxique et à ceux qui continuent à le prendre? J'aimerais vous demander à tous de me faire part de vos réflexions générales?
Madame Quinn, souhaitez-vous commencer? Le Dr Sellers pourrait également intervenir.
Oui, il est selon moi très clair que l'utilisation de la méfloquine est fondamentalement inadaptée à la population militaire, et ce, pour de nombreuses raisons. La première étape devrait être l'abandon total et immédiat de l'utilisation de la méfloquine par voie orale. La deuxième serait de reconnaître les personnes qui ont pris ce médicament et qui en ont subi les effets, et la troisième consisterait à mettre en œuvre un programme clair de traitement et de dépistage.
Je sais que vous avez décrit ce problème comme une question purement militaire, mais ce n'est pas le cas. Il s'agit d'un problème lié à un médicament présentant une toxicité, qui a été observé au sein de nombreuses populations.
Quoi que vous décidiez de faire, j'insiste pour que le processus comprenne une évaluation et une gestion médicales indépendantes ainsi que la participation d'intervenants du domaine de la pharmacologie clinique, car c'est ainsi que nous traiterions tout problème de santé publique lié à ce genre de médicament ayant pareils effets toxiques.
Pour faire suite aux questions posées par M. McColeman, le ministère de la Défense nationale nous a laissé entendre que la méfloquine n'est actuellement prescrite aux militaires que s'ils le demandent. Le ministère a indiqué que ces deux dernières années, seulement trois membres des forces armées se sont vu prescrire de la méfloquine.
Dans le cadre de vos témoignages, vous avez fait valoir que ce médicament ne devrait en aucun cas être prescrit à des militaires, en raison des conditions dans lesquelles ils travaillent et du risque d'effets indésirables à long terme. Si un militaire est déployé dans une région où il court des risques réels de contracter le paludisme, et que tous les autres médicaments antipaludiques sont contre-indiqués, envisageriez-vous de prescrire de la méfloquine comme médicament de dernier recours aux personnes qui pourraient être exposées au paludisme?
Je suppose que c'est à moi de répondre à cette question.
Tout d'abord, je ne peux pas imaginer une situation dans laquelle aucun autre médicament — Malarone ou autre — ne conviendrait. J'ai dit dans mes observations que si un militaire demande qu'on lui prescrive ce médicament, cela signifie qu'il a été mal informé au sujet des risques qu'il présente, et cette situation est très, très inhabituelle. Je pense qu'il y a d'autres solutions.
Toutefois, si certaines circonstances qui m'échappent le justifient, on effectuerait une étude approfondie des antécédents de la personne, de sa santé mentale et de la santé mentale de sa famille, on réaliserait une recherche sur les facteurs de risque, et on assurerait une documentation et une surveillance soigneuses de leur cas, en les avertissant et en les informant au sujet des mesures à prendre si certains effets graves se produisent... car ceux-ci constituent une sorte d'avertissement que les choses ne vont pas comme on le souhaite. Ces médicaments engendrent généralement ces effets graves...
Je veux que l'on note qu'il est prouvé que les femmes sont plus sensibles que les hommes à la méfloquine. Je pense que ce fait n'a pas du tout été mentionné dans le rapport du médecin général. La documentation indique toutefois assez clairement qu'il s'agit d'un facteur de risque supplémentaire.
Docteur Sellers, j'aimerais simplement éclaircir quelque chose. Êtes-vous en train de dire que vous ne pouvez pas imaginer une situation dans laquelle on devrait choisir la méfloquine au lieu d'un autre antipaludéen?
Je pense que ces situations sont très, très rares, et j'ai indiqué que si vous deviez le faire, vous assureriez une surveillance attentive et devriez être en mesure d'intervenir. Nous savons comment la prescription et la délivrance de médicaments sont parfois effectuées. On vous dit: « Prenez cette pilule », et c'est tout. Le rapport du médecin général documente d'ailleurs le peu d'attention accordée à la communication des risques aux personnes et à la documentation de ce qui a été fait, des contre-indications, etc. Il existe déjà des preuves que... Vous savez, c'est ce à quoi on s'attendrait dans la pratique médicale.
En ce qui concerne la prescription de méfloquine, vous avez dit qu'il n'était pas suffisant d'étiqueter les médicaments, que les patients doivent aussi être avertis explicitement. Pouvez-vous nous donner une idée générale de la façon dont peut le faire tout médecin qui prescrit ce médicament à un patient ?
Il existe d'autres exemples de médicaments pour lesquels nous avons une liste de contrôle, des renseignements sur le patient et des documents d'information à fournir. Je leur demande même de signer un contrat pour montrer qu'ils ont lu et compris la documentation, qui leur indique explicitement les risques et ce que je vais faire pour en assurer la surveillance, par exemple les faire revenir à intervalles établis pour m'assurer qu'ils vont bien.
Je peux penser à une façon de prescrire de la méfloquine, mais je ne peux pas imaginer une situation dans laquelle vous seriez obligé de le faire. Il existe beaucoup d'autres solutions, et il y en aura bientôt encore plus: des approches plus modernes, des vaccins et des choses du genre.
J'aimerais entendre l'opinion de Mme Quinn, si elle a des commentaires relativement à mes questions.
Oui, je suis d'accord avec le Dr Sellers. Je pense qu'il s'agirait d'une situation très improbable et inhabituelle dans laquelle la nécessité du déploiement serait si élevée que l'utilisation de la méfloquine comme médicament de dernier recours serait recommandée ou acceptable. Le processus d'examen devrait avoir lieu au moins trois semaines à un mois avant le déploiement, de sorte que tout examen médical serait effectué au Canada et non à l'étranger. À la lumière du grand nombre de solutions de rechange disponibles et du fait qu'il existe des solutions beaucoup plus sûres, la probabilité que cette situation se produise... Je pense que la suggestion n'a pas d'intérêt pratique.
Merci à vous deux d'être présents aujourd'hui. Nous vous en sommes très reconnaissants. Vous apportez assurément des éléments utiles à notre étude.
Comme vous l'a dit mon collègue, nous ne savons pas quels soldats ont effectivement été exposés à la méfloquine. On leur a donné un médicament, et il semblerait que cela n'ait pas été documenté. Il s'agit d'une difficulté importante. Au bout du compte, nous avons des soldats qui souffrent. Ils présentent des troubles neurologiques et neuropsychologiques, et la question est de savoir si ces problèmes ont été causés par la toxicité de la méfloquine ou le trouble de stress post-traumatique.
Dans un monde parfait, il serait formidable d'avoir une protéine — par exemple, la protéine de Bence-Jones, qui permet de déterminer si une personne souffre d'un myélome multiple —, mais ce n'est pas le cas. Ma question, docteur Sellers, a été inspirée par le commentaire que vous avez formulé plus tôt au sujet d'une protéine de transport qui permet à la méfloquine de sortir du cerveau. J'aimerais en savoir un peu plus à ce sujet. S'agit-il d'une nouvelle recherche? Est-ce purement théorique? Pourriez-vous nous le dire?
Cette recherche n'est pas très récente. On sait depuis longtemps que cette famille de composés est transportée par un mécanisme particulier qui sert probablement à protéger le cerveau. Beaucoup de médicaments sont expulsés du cerveau par ce transporteur. Non, ce n'est que l'une des explications possibles du fait que certaines personnes semblent particulièrement sensibles à ce médicament, selon leur variance génétique. Cela expliquerait pourquoi certaines personnes pourraient avoir des niveaux très élevés de méfloquine dans leur cerveau.
Il existe également d'autres facteurs de risque. Lorsque l'on parle de la méfloquine ou du trouble de stress post-traumatique, ce n'est pas nécessairement l'un ou l'autre. Il est tout à fait possible que la méfloquine et le trouble de stress post-traumatique surviennent en même temps chez une personne, qui présente également d'autres symptômes. C'est la nature même des problèmes neuropsychiatriques: dépression, anxiété, etc. Ils surviennent rarement seuls. Les problèmes liés à la méfloquine peuvent survenir seuls, mais également constituer un facteur de risque et contribuer aux problèmes neuropsychiatriques. Cela ne signifie pas que cela n'est pas important, mais que le contexte de l'utilisation de la méfloquine est essentiel. Les militaires sont évidemment parfois exposés à des situations extrêmement stressantes, et il pourrait bien y avoir une interaction entre cette exposition et la méfloquine. S'ils ne prenaient pas ce médicament, l'interaction n'entraînerait peut-être pas de neurotoxicité chronique à long terme.
J'appuierais simplement ce qu'a dit le Dr Sellers. Il s'agit d'un syndrome complexe et de nombreux facteurs interviennent dans la présentation des symptômes cliniques. Nous savons cependant qu'il existe des enzymes hépatiques particulières qui influent sur le métabolisme des médicaments et qui, avec le temps, augmentent le risque d'accumulation de niveaux plus élevés dans le cerveau ou permettent de réduire plus efficacement les niveaux dans le sang. La famille des p-glycoprotéines, qui sont les transporteurs dont parle le Dr Sellers, présente aussi une variabilité génétique et facilite également l'accumulation de niveaux plus élevés dans le cerveau chez les personnes ayant des allélotypes génétiques particuliers.
Il existe un processus de dépistage génétique que les patients qui prennent certains types de médicaments toxiques — notamment pour le traitement du cancer — doivent subir afin de déterminer si ces médicaments seront métabolisés de façon adéquate. Ce processus de dépistage peut être effectué chez toutes les personnes pour tous les types de drogues. Il peut également indiquer qui pourrait être plus ou moins susceptible d'avoir une réaction plus importante dans ces circonstances cumulatives.
Je pense qu'il existe des données scientifiques qui appuient la réalisation de ce dépistage. C'est une mesure qu'il faudrait simplement mettre en œuvre.
L'une des choses qui me viennent à l'esprit à mesure que nous réalisons cette étude est la réalité du groupe particulier de personnes dont nous parlons ici. L'une des questions qui ont été soulevées à quelques reprises est la suivante: veillons-nous à ce que les membres de nos forces armées prennent des décisions éclairées au sujet des médicaments qu'ils prennent ?
L'autre aspect qui est selon moi très important est le suivant: s'ils ressentent certains des effets liés à la prise de méfloquine, pourquoi ne les divulguent-ils pas? Si vous y réfléchissez, leurs perspectives de carrière et d'avenir sont des obstacles qui les en empêchent.
Lorsque je regarde ce qui s'est passé au cours de la période pendant laquelle ce médicament était présent dans le système, je me préoccupe énormément des personnes qui servent peut-être notre pays en ce moment et qui présentent certains de ces symptômes, mais qui ne veulent pas en parler, car elles ne veulent pas que l'on mette fin à leur carrière.
Les personnes qui nous servent reçoivent-elles des renseignements éclairés sur les médicaments qu'elles prennent? J'aimerais que vous répondiez en fonction du groupe de personnes dont il est ici question. Ces personnes ne partent pas en vacances; elles servent notre pays.
Madame Quinn, j'aimerais commencer par vous.
C'est tout à fait la réalité de nombreuses personnes. Les effets secondaires neuropsychiatriques attribuables à la méfloquine sont un sujet tabou pour les militaires actifs. C'était certainement le cas de mon mari. Je sais que bon nombre de ses collègues qui ont souffert d'effets secondaires ne les auraient jamais signalés par crainte de nuire à leur carrière.
L'un des facteurs aggravants, c'est que les gens qui ont signalé des séquelles de la prise d'antipaludéens à base de quinoléine ont dû le faire publiquement afin d'être entendus. Ces personnes ont souvent été attaquées ouvertement ou ont subi des conséquences très négatives au courant de leur carrière. C'est certainement ce qui s'est passé dans les milieux militaires jusqu'à présent et il faut impérativement changer les attitudes.
Je sais que de nombreuses organisations militaires qui se veulent modernes s'efforcent de créer un environnement sûr pour les divulgations. C'est un grand défi, et c'est certainement un facteur qui décourage de nombreuses personnes à déclarer les effets secondaires, même si ces effets secondaires ont été ressentis il y a très longtemps et sont maintenant liés à des problèmes mineurs de santé.
Tous les membres du Comité sont-ils d'accord? Y a-t-il quelqu'un d'autre? Levez la main si vous voulez poser des questions.
C'est seulement Cathay, qui dispose de cinq minutes.
Merci.
Afin de savoir qui a pris de la méfloquine, j'ai inscrit une question au Feuilleton demandant combien de membres des Forces armées canadiennes ont dû prendre de la méfloquine depuis 1990. J'ai demandé combien avaient été obligés de prendre de la méfloquine avant un déploiement, le pays concerné, les dates et ainsi de suite.
J'ai obtenu des données sur les militaires qui ont dû en prendre de 2003 jusqu'à 2018. Dans la réponse, on indique que la quinoléine est maintenant recommandée à titre de médicament de deuxième intention.
Ce que j'ai entendu aujourd'hui, c'est que cette molécule ne devrait pas figurer du tout dans la pharmacopée. C'est bien cela? Il suffit de dire oui ou non.
Je cite: « Nous continuerons à surveiller et à examiner tous les ouvrages scientifiques pertinents portant sur la méfloquine afin de maintenir notre politique à jour. »
De toute évidence, on ne l'a pas fait, comme nous l'avons appris pendant la réunion avec les hauts fonctionnaires, qui n'étaient pas au courant du rapport australien.
Dans la réponse, on indique que la prise de médicaments antipaludéens est recommandée lorsque le personnel des FAC est déployé dans des régions où l'on risque de contracter le paludisme.
Certains pays sont nommés. L'Afghanistan n'y figure pas. C'est un pays désertique, et pourtant nos militaires ont dû en prendre là-bas. Cela vous semble-t-il logique? Un simple oui ou non suffit.
Les témoins font non de la tête. Non.
Je poursuis: « Depuis le début des années 1990, les Forces armées canadiennes recommandent la méfloquine comme option pour la prévention du paludisme. » C'était une des possibilités et on note que d'autres médicaments étaient disponibles. On ajoute que c'était le choix du patient, mais nous savons qu'en 1992, dans le cadre d'un essai clinique, des dizaines de milliers de comprimés de méfloquine ont été distribués gratuitement aux Forces canadiennes déployées en Somalie.
Dans son rapport paru en 2017, le médecin général a indiqué que: « Les membres des FAC qui ont été déployés en Somalie n'ont pas participé à l'étude de contrôle de l'innocuité, car les directives de l'étude n'étaient pas compatibles avec les exigences opérationnelles du déploiement en Somalie. » Et pourtant, on leur a ordonné de prendre le médicament pendant tout le temps qu'ils étaient là-bas.
Ne trouvez-vous pas qu'il y a une faute morale ou juridique lorsqu'on oblige quelqu'un à prendre un médicament et on ne donne pas suite à une étude sur la prise de ce médicament?
Avez-vous des commentaires?
Je ne connais pas très bien les détails de cette étude particulière ni les circonstances. J'ai bien lu cela dans le rapport. J'ai effectivement pensé que c'était un peu bizarre, vu l'absence de tout détail sur la raison de l'incompatibilité et ainsi de suite.
C'est inhabituel, mais je n'ai pas de renseignements à ce sujet.
La mission n'était donc pas compatible avec l'étude?
Madame Quinn, avez-vous quelque chose à ajouter?
On leur a pourtant administré un médicament qui n'était pas homologué et qui était censé être utilisé comme...
Je pense que c'est une situation extrêmement extraordinaire et bien évidemment, elle a eu des séquelles graves et persistantes sur les Forces canadiennes et tous ceux qui étaient concernés à l'époque.
Il faut également comprendre que l'on ne peut pas parler de consentement éclairé chez les militaires et donc la participation de vétérans ou de militaires dans des essais cliniques est un grand problème.
Alors qu'on nous a dit que le médicament a été utilisé en dernier recours, dans ce document-ci on indique que c'est un médicament de deuxième intention, et notre médecin général a également précisé dans son rapport que les décisions prises à l'égard des militaires n'ont eu aucune incidence sur la consommation de la méfloquine dans la population civile canadienne.
J'en suis profondément troublée. Vous avez dit que l'étiquetage n'est pas un bon moyen de renseigner les gens. Nous savons que beaucoup de médecins méconnaissent les dangers associés à ce médicament. Beaucoup de civils canadiens voyagent à l'étranger dans des endroits où sévit le paludisme.
Que pensez-vous du fait que des civils prennent ce médicament?
Les médecins des cliniques pour voyageurs ainsi que les praticiens généralistes le prescrivent de moins en moins. Je crois que le tollé international sur les effets secondaires de la méfloquine a grandement découragé son utilisation, mais il aurait fallu que les responsables de l'homologation s'assurent de son innocuité. Je crois qu'il y a eu de graves lacunes au courant de l'histoire de ce médicament dans la mesure où les organismes d'homologation ne se sont pas acquittés de leurs responsabilités correctement.
Si vous allez sur Internet ou si vous consultez les lignes directrices, le médicament indiqué est la Malarone. C'est un médicament hybride qui coûte cher.
C'est intéressant, car il semble que le facteur coût a pesé, du moins partiellement, dans la balance, même au sein de nos forces armées. Il y a un grand écart entre le coût d'un comprimé de méfloquine à prendre une fois par semaine et celui des autres médicaments? Un simple oui ou non suffit.
Je reviens à l'Australie, car j'y avais une amie, une militante pour les anciens combattants, qui a pris de la méfloquine. Elle-même et son mari en ont pris avant de faire un voyage d'agrément en Thaïlande. Elle a subi des effets secondaires avant même de partir, et le médecin lui a dit de continuer à en prendre et qu'elle s'habituerait. Les voyageurs australiens ont conseillé au couple d'arrêter d'en prendre. Elle a souffert des séquelles toute sa vie et est décédée en décembre dernier.
Je suis donc inquiète pour la population civile également, car il faut renseigner les gens.
Il existe beaucoup de preuves montrant que la population civile subit les effets de ce médicament. Mme Quinn a parfaitement raison.
J'aimerais demander à Mme Quinn de tirer quelque chose au clair. En Australie, vous avez maintenant un diagnostic officiel des séquelles de la méfloquine. C'est bien le cas?
La méfloquine a été reconnue comme facteur causal dans 15 déclarations de principe par la Repatriation Medical Authority dont se sert le ministère des Affaires étrangères à des fins de traitement et d'indemnisation. Ce n'est pas toutefois la même chose que d'être reconnu comme souffrant d'une maladie ou d'un syndrome particulier ou encore d'obtenir un diagnostic précis.
Merci beaucoup. Je comprends.
La dernière chose dont je voudrais parler c'est l'absence de conférence ou d'études sur ce thème à l'échelle internationale. Ce que nous voyons bien souvent au Canada, et il semble que c'est également le cas en Australie, c'est que les anciens combattants se réunissent et organisent des conférences, en travaillant entre pairs, et bien sûr en cherchant probablement à obtenir une certaine reconnaissance.
J'aimerais savoir si vous pouvez nous parler des défis. Comment pouvons-nous appuyer ces gens afin de faire entendre leurs voix? Il me semble que vous avez beaucoup fait en Australie, et j'aimerais savoir si vous avez des recommandations particulières pour notre pays et pour les anciens combattants qui travaillent tellement dur afin d'être reconnus.
Merci.
L'une des grandes mesures que nous avons prises, c'est de faire participer des groupes d'anciens combattants au processus de co-conception qui est à la base du programme actuel de santé neurocognitive en cours d'élaboration. Nous travaillons de pair avec le service de counselling Open Arms du ministère des Anciens Combattants et les groupes de militants, dont des gens comme moi. Ce serait un grand pas pour le Canada si vous faisiez participer ces gens, forts de leurs expériences et de leurs connaissances approfondies, au processus de conception de programmes de traitement et de réadaptation. En outre, cela aiderait à valider partiellement leur existence en tant que patients et experts de plein droit sur le plan médical.
Je crois que ce serait énorme pour le Canada s'il réussissait à le faire.
Il me semble que c'est un excellent modèle pour les soins de santé. Les anciens combattants font partie de la population générale et donc un partenariat avec les militaires et ce genre de processus dynamique qui a vu le jour en Australie semblent tellement évidents qu'il est presque gênant de devoir le dire, mais c'est quelque chose qui pourrait se faire et je crois que le Canada est bien placé pour devenir chef de file dans ce type d'initiative.
Une question m'est venue à l'esprit lorsque ma collègue vous parlait. Je présume que vous avez effectué de la recherche tous les deux. C'est bien le cas? Vous avez soumis les fruits de votre recherche dans le cadre de projets et à des universitaires pour la faire valider, n'est-ce pas?
Si vous aviez soumis un article indiquant que vous alliez faire une étude, à savoir recueillir des renseignements, des variables ainsi que des données, et ensuite vous ne l'avez pas fait ou vous avez négligé d'en faire rapport, qu'adviendrait-il de votre recherche?
Je crois que cela dépendait de ce que vous aviez fait.
Si vous n'avez pas fait ce que vous avez promis de faire, si vous avez tenté de publier les résultats et vous vous êtes fait pincer, vous perdrez probablement votre poste et le financement. Cela se rapproche de la fraude.
Ce n'est pas quelque chose que j'ai fait, donc j'ai du mal à répondre à la question. Bien sûr, il arrive de temps en temps de lire à la une qu'un chercheur a tout inventé, et cette personne en subit toujours les conséquences.
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