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ACVA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des anciens combattants


NUMÉRO 119 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 15 mai 2019

[Enregistrement électronique]

(1535)

[Traduction]

    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions les effets de l'utilisation de la méfloquine chez les vétérans canadiens. Nous avons avec nous le Dr Ashley Croft, consultant médecin de santé publique, à titre personnel. Nous allons commencer par vous, docteur Croft. Vous avez la parole.
    Bonjour, mesdames et messieurs. Je suis ravi d'être ici.
    Je m'appelle Ashley Croft, et je suis un médecin à la retraite de l'armée britannique. J'ai fait mes études de médecine à Londres, en Angleterre, et je me suis enrôlé dans l'armée en 1986, initialement comme médecin militaire du régiment attaché à la Royal Horse Artillery. Je suis allé en Allemagne et j'ai travaillé aux côtés de la Royal Canadian Horse Artillery, ce qui était très agréable. J'ai ensuite fait des études en médecine tropicale et j'ai commencé à travailler dans ce domaine vers 1993, jusqu'à ce que je quitte l'armée en 2013.
    Le paludisme ne m'attirait pas. J'étais plutôt intéressé par la maladie du légionnaire, mais rapidement, on m'a demandé de commencer à examiner un nouveau médicament, et j'ai accepté de le faire parce que dans l'armée, vous faites ce qu'on vous dit de faire. Cette nouvelle drogue était la méfloquine, Lariam, et pendant les 20 années qui ont suivi, j'ai fait des essais comparatifs randomisés et des examens systématiques des essais.
    Je vais vous faire part dès maintenant de ma conclusion: c'est un médicament très dangereux.
    Il est particulièrement dangereux pour les soldats. C'est une drogue psychotrope qui modifie l'humeur et qui perturbe aussi gravement le sommeil. À mon avis, il ne faut absolument pas l'administrer aux soldats comme prophylaxie contre le paludisme, d'autant qu'il existe depuis tout ce temps des médicaments plus sûrs et plus efficaces, ou aussi efficaces. C'est mon opinion.
    Je n'avais pas cette opinion au début. Pour commencer, on m'avait dit que c'était un nouveau médicament, un bon médicament, et on m'avait fourni la preuve que c'était un bon médicament. Cependant, mes conclusions ont été à l'opposé de mes prévisions.
    Merci.
    Docteur Libman, c'est à vous.
    Je devrais commencer par vous donner une idée de mon parcours. Je suis un spécialiste des maladies infectieuses et de la microbiologie médicale. Je travaille dans le domaine de la médecine tropicale et de la médecine des voyages depuis environ 1992. Je travaille à McGill, où j'ai une très grande clinique de préparation des voyageurs et d'évaluation postérieure au voyage des personnes qui reviennent malades. Nous fournissons beaucoup de services de préparation. Nous ne travaillons pas directement avec les forces armées en règle générale. Cela ne fait donc pas partie de notre intervention. Cependant, la préparation des gens au voyage dans des régions où il y a un risque de contracter le paludisme est une activité importante pour nous. Nous voyons des gens revenir avec diverses maladies, et nous voyons de nombreux cas de paludisme, malheureusement, presque uniquement chez les personnes qui n'ont rien pris pour prévenir la maladie.
    Je parle en tant que médecin et clinicien, mais je dois mentionner que je suis membre du Comité consultatif de la médecine tropicale et de la médecine des voyages, le CCMTMV, pour l'Agence de la santé publique du Canada. Je suis en fait le président de ce comité depuis le début de 2019. En tant que groupe, nous sommes responsables de la production des lignes directrices. Le CCMTMV produit des lignes directrices sur diverses questions relatives au voyage, entre autres le paludisme, ainsi que des recommandations pour la prévention du paludisme. Je prends donc part à cela également.
    Je dirais que pour moi, le véritable enjeu, c'est que le paludisme peut être une maladie grave s'accompagnant de nombreuses complications et qu'elle peut causer la mort. La prévention du paludisme est extrêmement importante, et il est aussi très important de trouver des mécanismes de prévention du paludisme qui sont acceptables et tolérables pour les particuliers.
    La plupart des cas de paludisme peuvent être prévenus grâce à diverses mesures, mais en particulier par la prise d'un médicament pendant l'exposition. Nettement plus de 95 % des cas de paludisme que nous voyons sont des personnes qui n'ont pris aucun médicament préventif, des personnes qui prenaient incorrectement le médicament ou des personnes qui prenaient le mauvais médicament.
    La méfloquine est l'une des pierres angulaires de la prévention du paludisme. Ce médicament a été lancé en 1985. Au Canada, c'est un peu plus tard, au début des années 1990. Je crois que personne ne doute que la méfloquine prévient le paludisme. On s'entend généralement pour dire que la méfloquine prévient le paludisme et que sur ce plan, ce médicament est assez équivalent à n'importe quel autre médicament approuvé et recommandé qui existe. L'enjeu n'est pas son efficacité pour prévenir le paludisme. La question, je crois, repose entièrement sur l'innocuité de ce médicament et sur l'existence d'une différence importante entre la méfloquine et d'autres médicaments disponibles sur le plan de l'innocuité et de la toxicité.
    Comme c'est habituellement le cas en médecine, l'enjeu est d'essayer de trouver un juste équilibre entre les bienfaits du médicament et son innocuité et sa tolérabilité. J'admets que les avis sont partagés et qu'il y a une certaine controverse, mais il y a aussi beaucoup de données. Ce n'est jamais parfait, mais nous avons beaucoup de données. Nous avons beaucoup de chiffres qui sont, je crois, très fiables. Nous ne pouvons jamais être entièrement certains de tels enjeux, mais nous pouvons avoir certaines certitudes concernant les problèmes d'innocuité et de tolérabilité de ce médicament.
    Il ne fait aucun doute que les avis médicaux sont très partagés concernant la méfloquine et qu'il faut en tenir compte. Cependant, il y a aussi beaucoup de controverses qui, d'après moi, ne sont pas tellement scientifiques ou qui sont pseudoscientifiques, et qui ressemblent dans une certaine mesure au genre de choses que nous voyons sur la question de la vaccination.
    Je ne vais pas en dire davantage au sujet de l'efficacité du médicament pour prévenir le paludisme. Je ne vais parler que des questions d'innocuité et de tolérabilité.
(1540)
    Dans une certaine mesure, il est problématique de faire une distinction entre l'association de la prise du médicament avec des événements indésirables par rapport à la causalité. Il est toujours difficile de faire cette association, surtout si vous parlez de choses qui peuvent être à long terme. Nous voyons la même chose avec les vaccins et la question de savoir si un vaccin contre la rougeole peut causer l'autisme. Je pense que le consensus scientifique montre que c'est manifestement faux. Quoi qu'il en soit, de nombreux cas d'autisme apparaissent à peu près au moment où les gens se font vacciner. Il y a donc une apparence de causalité qui n'est pas intuitive, du moins pour certaines personnes qui participent au débat.
    Il y a aussi de la confusion concernant les niveaux de données probantes, parce que nous ne sommes jamais certains à 100 % de la causalité et de ce genre de choses, dans ce domaine. Il y a toujours des niveaux de confiance et des niveaux de probabilité, et cela fait partie du problème.
    Il y a le fait que, comme les vaccins, quand vous administrez quelque chose de nature préventive… Nous ne parlons pas d'administrer un médicament pour traiter une maladie — la méfloquine peut aussi servir à traiter le paludisme —, mais dans ce cas, nous parlons de prévention. Le problème, c'est que comme les vaccins, les risques ne vont généralement pas se réaliser chez les personnes qui profitent des bienfaits.
    Les personnes qui profitent de la prévention du paludisme sont essentiellement invisibles, parce que quand cela fonctionne, les gens sont bien et ne tombent pas malades. Vous ne voyez pas devant vous les effets de la prévention; vous voyez essentiellement que les gens sont bien. Les effets néfastes que n'importe quel médicament peut causer — la méfloquine ou tout autre médicament ou vaccin — ne vont pas nécessairement toucher les personnes pour lesquelles vous prévenez la maladie. Vous ne pouvez pas savoir quelles sont les personnes pour lesquelles vous allez prévenir la maladie. Vous pouvez constater des effets néfastes chez certaines personnes, peu nombreuses, on l'espère, alors que vous ne voyez pas les bienfaits, car l'effet est préventif.
    Il se produit manifestement d'autres problèmes dans la médecine générale, mais également dans cette situation particulière. Dans certains cas, des gens ont des intérêts directs et des motifs inavoués en ce qui concerne la promotion du médicament ou les problèmes qu'ils ont avec le médicament. Bien entendu, tout comme pour les vaccins, il y a beaucoup de trucs sensationnalistes qui sortent depuis de nombreuses années dans les médias concernant la méfloquine, et on accorde une très grande attention à certains problèmes particuliers qui pourraient être liés au médicament ou pas.
    Le problème, avec l'innocuité, c'est que nous utilisons le plus souvent ce qu'on appelle les essais randomisés contrôlés pour étudier l'efficacité d'un médicament, alors que ce n'est pas une très bonne méthode pour déterminer l'innocuité et la toxicité. Les études randomisées à double insu sont formidables pour ce qui est d'avoir une grande confiance dans les conclusions de l'étude, et c'est crucial au moment de décider si un médicament fonctionne ou pas. Cependant, parce qu'elles sont si compliquées, ces études sont de portée relativement limitée et sont aussi relativement limitées dans le temps.
    Si vous avez des effets, des événements indésirables qui sont rares ou qui peuvent se produire à long terme, il se peut qu'ils ne soient pas tenus en compte par l'essai comparatif randomisé — la norme d'excellence des preuves cliniques. Pour l'innocuité et la tolérabilité, nous sommes plutôt coincés avec ce qu'on appelle les études de cohorte, dans le cadre desquelles on suit des groupes de personnes sur une période de temps. Étant donné qu'on ne détermine pas de façon aléatoire qui reçoit un médicament, un autre médicament ou un placebo, et qui ne reçoit aucun médicament, ces études sont sujettes à un certain type de biais. Cependant, vous pouvez aussi ouvrir ces études à un bien plus grand nombre de personnes, de sorte qu'il devienne possible de détecter les types plus rares d'événements indésirables, comme c'est le cas avec les problèmes associés à la méfloquine dont nous parlons.
    Il arrive que les études vous donnent moins confiance en l'effet causal réel de la prise du médicament par opposition à l'événement indésirable, mais vous arrivez à surmonter cela en réalisant des études de grande portée et en ayant de multiples patients qui éprouvent des types semblables d'effets.
    C'est essentiellement ce que nous avons pour la méfloquine. Nous avons les essais comparatifs randomisés, qui n'ont en fait jamais démontré que la méfloquine a un moins bon profil d'innocuité. Elle a un profil d'innocuité différent, mais pas nécessairement moins bon que les autres solutions. On a fini par le savoir, car même dans les essais randomisés, il y avait un signe de la présence d'effets secondaires d'ordre neuropsychiatrique, et ce, plus souvent avec la méfloquine qu'avec les autres médicaments.
(1545)
    Les essais randomisés contrôlés n'ont donné aucune indication d'un problème grave ou d'un problème qui n'était pas réversible et n'ont fourni aucune preuve voulant que la tolérabilité générale ou le taux général d'événements indésirables graves étaient très différents de ceux des autres médicaments auxquels ce médicament était comparé. On a aussi entrepris d'importantes études de cohorte afin d'examiner ces choses.
    Comme je l'ai dit, c'est un peu difficile parfois, car nous comprenons que certains de ces effets peuvent se manifester de diverses façons chez divers types de voyageurs; les personnes qui partent en voyage pour une courte période et qui sont exposées au médicament pour une courte période n'auront pas les mêmes effets que les personnes qui partent longtemps et qui sont exposées longtemps. Pour les gens qui voyagent dans des conditions particulières — comme les militaires ou d'autres groupes, qui vivent déjà beaucoup de stress simplement à cause du type de voyage —, que le médicament ait un effet additif ou pas, en plus des risques liés à la raison du voyage… Ce sont des facteurs difficiles à démêler dans le cadre de certaines de ces études.
    Quoi qu'il en soit, concernant ce groupe, je crois que l'étude… Il n'y a pas beaucoup de données. En ce qui concerne les événements indésirables de longue durée, ceux qui sont relativement rares ne semblent pas se manifester plus souvent avec la méfloquine qu'avec d'autres agents, bien que la nature des choses puisse être différente. Comme je l'ai dit, certains des événements d'ordre neuropsychiatrique semblent peut-être plus courants.
    Quant au nombre de personnes qui cessent de prendre ce médicament par comparaison à d'autres médicaments — comme l’atovaquone-proguanil, l'un des choix les plus courants de nos jours —, les personnes qui cessent de prendre l’atovaquone-proguanil ont tendance à être un peu plus nombreuses. Pour l'autre médicament principalement utilisé, la doxycycline, c'est à peu près le même nombre de personnes qui cessent de le prendre.
    Les types d'effets neuropsychiatriques qui sont décrits dans ces études sont principalement l'insomnie, les rêves étranges et les sentiments d'anxiété ou une humeur dépressive. Ces effets sont généralement autodéclarés et ne sont pas étayés d'une façon officielle et objective. Cependant, concernant les effets à long terme, nous avons des études de centaines de milliers de participants. Les comparaisons entre les médicaments qui ont été réalisées dans le cadre des études à long terme et des études de cohorte importante n'ont pas vraiment révélé de différence. Ce que nous avons comme preuve de l'existence de complications et de séquelles à long terme de l'usage de ce médicament, ce sont en fait des rapports de cas — une petite série de cas —, mais nous n'avons pas de preuves découlant de la comparaison entre les médicaments qui…
(1550)
    Docteur Libman, je suis désolé, mais il ne vous reste qu'environ 30 secondes. Je vais vous demander de conclure, après quoi nous poserons nos questions.
    En gros, je dirais qu'en ce qui concerne la preuve des effets psychiatriques à long terme de la méfloquine, nous avons des rapports de cas. Nous ne pouvons pas… Malgré les études de centaines de milliers de sujets, nous ne pouvons pas démontrer que c'est confirmé, et si les effets de ce genre existent, nous présumons qu'ils sont en fait très rares.
    Au bout du compte, le choix de la méfloquine plutôt que d'un autre médicament sera un choix individuel. Les gens ont des facteurs de risque différents qui font que vous choisirez un médicament plutôt qu'un autre pour toute une variété de raisons. Quels que soient les problèmes avec la méfloquine, ils ne sont pas de nature à justifier que cette option soit entièrement éliminée, d'après moi.
    Merci.
    Madame Wagantall, vous avez six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup à vous deux de votre présence aujourd'hui.
    Docteur Libman, vous venez de devenir le président — en 2019 — du CCMTMV. C'est bien cela?
    Oui.
    Merci.
    Notre médecin général a publié un rapport sur la méfloquine, en juin 2017. Je regarde le rapport, et je vois qu'une grande partie de l'information est venue du CCMTMV. Avez-vous participé à la recherche qui a été réalisée pour le rapport du médecin général?
    Je ne fais pas de recherche dans le domaine du paludisme. Je n'ai pas participé à cette recherche en particulier, et en fait, je n'ai pas participé directement à des recherches sur la méfloquine.
    Pas directement… d'accord. Merci.
    Docteur Ashley Croft, vous avez déclaré ceci:
Aucune organisation n'est plus inflexible qu'un ministère gouvernemental dont les officiers supérieurs sont anonymes et peu redevables envers le grand public. Il existe depuis des décennies des solutions de rechange plus sûres à la méfloquine (la doxycycline et la Malarone, par exemple).
    Aimeriez-vous dire quelque chose à ce sujet?
    Oui. La doxycycline est disponible depuis au moins 1991, car c'est à cette époque que Pfizer l'a homologuée. C'est un médicament antipaludisme qui aurait pu être utilisé dans les années 1990. En 1997, un essai comparatif randomisé important — le type d'étude que M. Libman a qualifié de « norme d'excellence » des preuves cliniques — a été réalisé sur des soldats en Indonésie par une équipe de recherche de l'armée américaine. Cette étude a révélé que c'est un médicament antipaludisme extrêmement efficace. Le degré d'efficacité était de 99 %.
    La tolérabilité du médicament était également excellente.
    Vous dîtes qu'il y a des solutions de rechange plus sûres à la méfloquine. Pourquoi dites-vous cela?
    C'est une solution de rechange plus sûre parce que ce médicament n'a pas le profil neuropsychiatrique que l'on constate depuis le début avec la méfloquine. Dès les années 1980, on savait que des événements neuropsychiatriques étaient associés à ce médicament. En 1989, l'Organisation mondiale de la Santé a publié un document technique précisant que les personnes faisant fonctionner de la machinerie lourde ne devaient pas utiliser ce médicament. En 1991, ils ont réitéré leurs préoccupations au sujet des événements neuropsychiatriques en disant qu'il fallait vraiment faire plus de recherche sur ces événements — leurs causes, la façon de les atténuer et la façon de les prévenir entièrement.
    Dès le début, on sait que le profil neuropsychiatrique de la méfloquine présente des risques. C'est pourquoi j'ai dit que la méfloquine présente un danger particulier pour les soldats, car les soldats doivent fonctionner à leur rendement maximal sur le plan psychologique pour accomplir leur travail.
(1555)
    Docteur Libman, vous en avez parlé brièvement, mais j'aimerais vous poser la question directement: quelle est la mesure de votre expérience concernant l'étude de la méfloquine en particulier?
    Je crois être au courant de presque toute la recherche qui a été réalisée. Je n'ai pas participé aux projets de recherche.
    Connaissez-vous les recherches de la Dre Ritchie, du Dr Nevin, de Mme Jane Quinn, de l'Australie, et du Dr Edward Sellers? Toutes ces personnes sont venues témoigner au Comité.
    Oui, je connais généralement leurs recherches. Je ne peux pas dire que je les ai examinées en particulier pour les fins de mon témoignage actuel, mais j'ai lu la plupart de ces études en général.
    D'accord.
    Docteur Croft, avec combien de vétérans avez-vous travaillé directement concernant la méfloquine et ses effets sur nos soldats? Je pense bien que dans votre cas, on parle de la Grande-Bretagne. Est-ce qu'il y en a eu au Canada également?
    Quand je travaillais à plein temps comme médecin militaire au sein de l'armée britannique, j'ai participé aux activités touchant les politiques de prévention des maladies infectieuses, ce qui comprend le paludisme. Depuis que j'ai quitté l'armée, je n'interviens pas du tout au sein d'organisations d'anciens combattants. Je ne participe à aucun groupe de pression. Ce n'est pas par hasard, mais parce que je ne voulais pas donner une impression de partialité. Je suis demeuré indépendant. J'espère que cela répond à votre question.
    D'accord. Merci.
    Êtes-vous au courant de ce qui se passe aux États-Unis et en Australie concernant la méfloquine et leur approche actuelle concernant…? Les gens n'utilisent pas ce médicament maintenant. Même au Canada, notre médecin général a indiqué que c'est un médicament de dernier recours. J'ai une liste des personnes qui ont pris ce médicament à compter de 2003. Il n'y en a presque plus.
    Cependant, il y a des personnes qui ont subi les effets de ce médicament à l'époque où il était censé être à l'étude. Le médecin général a indiqué qu'il n'avait trouvé aucun élément de preuve satisfaisant aux critères d'inclusion concernant les effets indésirables potentiels à long terme de la méfloquine. Pourtant, la monographie de Santé Canada a nettement changé et indique maintenant que ce médicament peut avoir des effets à long terme.
    Parlez-vous de 1992-1993? Oui. C'était en Somalie. C'était avant l'homologation du médicament.
    En effet.
    J'ai échangé des lettres à ce sujet avec le député John Cummins, à cette époque, et d'après ce que je comprends, le médicament n'avait pas été homologué au Canada encore. Cependant, on en avait approuvé l'utilisation dans le cadre d'un programme d'expérimentation qui en permettait l'essai…
    C'était censé être un scénario d'essai, en Somalie.
    Dans des conditions précises, on pouvait l'administrer à des patients qu'on pouvait alors surveiller de très près. D'après ce que je comprends, 900 soldats ont été placés dans cette catégorie, sont partis en Somalie et ont pris le médicament, ce qui a entraîné des conséquences désastreuses, comme nous le savons.
    Ils ont été obligés de le prendre, pour commencer. Le médicament n'était pas homologué à l'époque, et aucune étude n'avait été réalisée parce qu'il ne répondait pas aux critères. Ils ont indiqué, essentiellement, que le théâtre ne convenait pas à cela, mais ils ont quand même administré le médicament aux soldats. Je ne suis pas chercheuse, mais si on vous confie la tâche d'examiner un médicament et que vous l'administrez aux gens sans l'examiner, en quoi est-ce éthique?
    Je crois comprendre qu'on s'est déjà penché là-dessus. Je crois que le vérificateur général du Canada a mené sa propre enquête à ce sujet et qu'il s'est montré très critique en 1999. Tout ce que je peux faire, c'est réitérer ce que le vérificateur général du Canada a dit sans connaître les détails exacts.
    D'accord. C'est bon.
    Se contenter de donner un médicament à un très grand nombre de personnes et leur dire de s'en aller sans vraiment rien prévoir pour les suivre avec soin est une manière bizarre de mener une étude, alors que c'était la raison de leur donner le médicament avant son homologation.
    En effet.
    Merci.
    Monsieur Eyolfson, c'est à vous.
    Merci à vous deux de votre présence.
    Docteur Croft, j'aimerais que vous en disiez plus sur votre déclaration selon laquelle ce médicament est « particulièrement dangereux » pour les soldats. Quel niveau de preuve vous permet de tirer cette conclusion?
    Le profil d'effets secondaires du médicament est surtout axé sur l'aspect neuropsychiatrique, alors qu'avec la doxycycline, par exemple, le profil d'effets secondaires est plutôt axé sur les aspects gastro-intestinaux et dermatologiques. Je crois que les soldats peuvent tolérer un peu de…
    Non. Je comprends cela. Je m'interroge sur le type d'études que vous regardez. Est-ce que vous regardez le nombre de soldats qui ont été exposés à cela, ceux qui ont développé des symptômes, ceux qui n'en ont pas…?
     Je suis médecin et j'ai aussi fait de la recherche médicale avant d'entrer à l'école de médecine. Nous avons des niveaux de données probantes qui nous viennent du laboratoire. Nous avons des niveaux de données probantes quand nous nous penchons sur l'aspect biochimique. Pour en arriver à une tendance permettant de dire qu'un médicament fait telle ou telle chose, il faut bien sûr d'importants essais. Sur quelles études fondez-vous votre certitude qu'un soldat risque beaucoup plus d'avoir des problèmes neuropsychiatriques avec ce médicament qu'avec d'autres médicaments?
(1600)
    Oui. Je devrais remonter à une étude pivot réalisée en 1995. C'était une étude de contrôle fondée sur n égale deux, ou deux individus. Il s'agit du rapport de Wittes et Saginur, que je me rappelle avoir lu à l'époque et en avoir été très frappé.
    Je vais devoir vous fournir un peu plus d'explications. C'était une étude sur deux géologues qui se sont rendus en Tanzanie. Je suis sûr que vous allez vous souvenir de cela. L'un d'eux était d'Ottawa, en fait. Ils ont partagé une tente pendant huit semaines. Je pense que les deux géologues étaient dans la quarantaine. Ils étaient jeunes et en santé. Un des géologues…
    Je suis désolé de vous interrompre, mais vous pourriez nous fournir cette information ultérieurement. Mon temps est très limité et j'ai d'autres questions.
    J'ai envoyé cette information à l'avance.
    Merci. Nous allons en prendre connaissance.
    C'est très important.
    Oui.
    J'ai entre les mains un article publié en 2018 dans l'American Journal of Tropical Medicine and Hygiene. C'est un article sur l'utilisation de médicaments antipaludisme chez les anciens combattants américains qui ont participé aux guerres en Irak et en Afghanistan. L'étude a couvert près de 19 500 anciens combattants. Les chercheurs se sont penchés sur les divers symptômes apparus chez ces anciens combattants et sur les divers médicaments qu'ils ont pris. Je répète que nous parlons de près de 20 000 anciens combattants.
    Voici en gros la conclusion de cette très vaste étude:
Ces données semblent indiquer que les problèmes de santé physique et mentale signalés dans la population à l'étude sont, dans une grande mesure, attribuables à l'exposition au déploiement de combat.
    Selon cet article, en corrigeant les résultats de l'étude pour tenir compte de l'exposition au déploiement de combat, ils n'ont pas pu trouver de lien ou de différence dans les nombres d'effets neuropsychiatriques parmi les individus qui avaient reçu de la méfloquine par comparaison avec ceux qui n'en avaient pas eu.
    Avez-vous de vastes études qui viennent réfuter cela?
    Oui. Je vais revenir à un essai comparatif randomisé, mais avant de donner des précisions à ce sujet, je dois souligner au président que ce que vous décrivez est une étude par observation. Les études par observation sont par définition des sources de données probantes faibles. Une telle étude n'est pas nécessairement puissante parce qu'elle est vaste. Cela signifie simplement qu'elle risque d'être encore plus faible. Je ne crois pas que nous puissions accorder beaucoup de valeur à cela. Nous devons nous concentrer sur…
    Quelles sont les autres études? Si les autres études ne sont pas des études d'observation… parce que, comme nous l'avons dit, si vous avez quelque chose qui va avoir des effets neuropsychiatriques, d'un point de vue éthique, en ce moment, nous ne pourrions pas réaliser un essai comparatif randomisé.
    C'est juste.
    Quels sont les types d'études que vous mentionnez et qui ne sont pas des études d'observation?
    En 1995, j'ai réalisé deux essais comparatifs randomisés contrôlés avec des troupes britanniques au Kenya, parce que mes supérieurs m'ont dit de le faire. Le premier a été plutôt insatisfaisant. Les soldats ne prenaient pas leurs comprimés et ils ont admis ne pas s'être conformés. J'ai réalisé un deuxième essai, et cette fois, nous leur avons dit: « De grâce, prenez vos comprimés. C'est très important. » Nous avons inclus cela dans les ordres et nous avons déployé tous les efforts possibles pour nous assurer qu'ils s'y conformaient.
    Les résultats ont été surprenants. L'étude portait sur 600 soldats. Ils ont été répartis aléatoirement pour recevoir de la méfloquine ou de la chloroquine et du proguanil, une combinaison qui est maintenant désuète. Environ 280 soldats prenaient de la méfloquine et 280 soldats, l'autre combinaison. C'était une étude à double insu. Nous avons eu deux événements critiques chez les soldats. Un des soldats est devenu psychotique. Il avait des hallucinations auditives et on a dû le transférer par voie aérienne vers un établissement de soins de santé mentale en Angleterre. Sa carrière militaire a été ruinée. Peu de temps après la fin de l'essai, un soldat s'est suicidé. Quand on a déchiffré le code, on a constaté qu'il prenait lui aussi de la méfloquine. Ce sont deux événements vraiment très graves que nous avons connus.
    C'était 600 soldats répartis aléatoirement.
    Oui.
    Donc, deux soldats sur 300 ont développé des symptômes psychotiques.
    Oui, alors qu'aucun de ceux qui ont pris la combinaison de chloroquine et de proguanil n'en a développé, ce qui représente pour moi…
    Je suis désolé de vous interrompre.
    Si vous regardez l'incidence des troubles psychotiques dans la population générale, 2 personnes sur 300, c'est un peu inférieur à ce que vous auriez dans la population générale.
    Est-ce que vous pouvez vraiment conclure que ces 2 cas de symptômes psychotiques sur 300 ont une signification statistique?
    Si vous étudiez des soldats pendant six semaines, vous n'aurez pas 2 soldats sur 600 qui deviennent psychotiques — un qui se suicide et l'autre qui doit être confiné à un établissement de soins de santé mentale. Par définition, les soldats sont en bonne santé psychologique. Quelque chose a donc causé ces événements terribles chez ces soldats.
    Je dois ajouter que l'essai, vers la fin, est tombé à l'eau. Je dois vous dire que mes supérieurs pouvaient voir que l'essai n'allait pas dans le sens qu'ils souhaitaient. On m'a alors enlevé le contrôle de cet essai en particulier et on m'a envoyé en Bosnie. Ce n'est que plusieurs années plus tard que j'ai découvert par hasard qu'un soldat s'était suicidé.
    Il y a eu une enquête du coroner sur ce cas, et le coroner a demandé si ce soldat prenait de la méfloquine. J'étais en Bosnie à l'époque — je ne savais même pas qu'il y avait une enquête —, et on a dit au coroner: « Nous ne le savons pas. Il prenait peut-être de la méfloquine. Nous ne pouvons pas le savoir. C'est malheureux qu'il soit mort, qu'il se soit suicidé, mais de toute façon, la méfloquine ne cause rien de particulièrement… Elle n'a pas plus d'effet sur les soldats que sur les civils. » C'est assez vague comme réponse. Donc, la conclusion…
(1605)
    D'accord. Désolé, mais je dois vous interrompre.
    Combien de temps me reste-t-il, monsieur le président?
    Votre temps est écoulé.
    On a conclu à des causes naturelles.
    C'est à vous, madame Blaney.
    Merci à vous deux de votre présence.
    Docteur Croft, j'écoutais votre témoignage et vos réponses à certaines questions, et je n'ai pas pu m'empêcher de penser au principe de précaution.
    Oui.
    Franchement, si 2 des 280 personnes qui prennent un médicament vivent ce genre d'épisode, je dois dire que je ne suis pas prête à faire subir à aucun des hommes et des femmes en uniforme de ce pays…
    Bien.
    … un tel risque.
    Entre autres, dans votre témoignage, vous avez dit que dans l'armée, vous faites ce qu'on vous dit de faire.
    J'aimerais que vous nous parliez un peu de cela et des répercussions que cela pourrait avoir sur les gens qui ont servi notre pays. La députée conservatrice avec qui vous avez parlé précédemment, Cathay Wagantall, a parlé des statistiques qui ont été fournies. Je n'ai pas les chiffres devant moi, mais le nombre de personnes qui ont pris de la méfloquine est énorme.
    L'une des grandes sources de préoccupation que j'ai, c'est que nous n'avons pas en fait de programme pour joindre ces vétérans et leur proposer de vérifier pour voir s'il est possible que… C'est là le défi. Des médecins nous ont dit que parfois, les gens sont traités pour un trouble de stress post-traumatique, ce qui pourrait être le cas ou pas, mais s'ils ne sont pas traités convenablement pour ce qui leur est arrivé à cause de la méfloquine, ils n'obtiennent pas un traitement complet et cela peut être très difficile pour eux et pour leurs proches.
    Je me demande si vous pouvez nous parler de cela. Comment pouvons-nous les joindre? Quelle est la réalité d'un système où vous devez faire ce qu'on vous dit de faire? Quelles responsabilités devons-nous demander au gouvernement canadien de prendre?
    Les soldats forment une population différente de la population visée par le CCMTMV, soit des voyageurs qui peuvent décider en connaissance de cause de prendre le médicament A, le médicament B ou le médicament C. En général, les soldats se font dire: « Vous allez à cet endroit. Vous allez prendre ce médicament et recevoir ces vaccins. » On ne leur permet pas de choisir un médicament en connaissance de cause. D'une certaine façon, il faut qu'il en soit ainsi, car cela minerait la discipline.
    De l'autre côté, la norme d'innocuité et de tolérabilité doit être au plus haut niveau possible pour les soldats. Leur donner un médicament qui sera dangereux en soi me semble constituer un affront à la vulnérabilité des soldats. C'est une chose qui n'aurait jamais dû se produire.
    De la même manière, maintenant que cela s'est produit, il faut déployer tous les efforts pour les joindre afin de voir ce qui peut être fait pour atténuer les préjudices qu'ils ont subis. Je ne peux pas vraiment parler au gouvernement canadien et lui dire quoi faire, mais il me semble qu'essayer maintenant de réparer les dommages causés est une question d'éthique fondamentale.
    Je vous remercie.
    Vous avez parlé du profil — et j'espère que je ne me trompe pas, car je ne suis vraiment pas médecin — des répercussions neuropsychiatriques. J'aimerais que vous expliquiez ce que cela signifie, que vous fassiez une comparaison avec les autres médicaments antipaludisme et que vous nous disiez en quoi ces profils sont différents.
    Je sais que votre comité souhaite pouvoir s'en remettre aux recherches les plus récentes. Celle que j'ai menée remonte maintenant à un certain nombre d'années. Je crois que le Dr Libman conviendra avec moi que la plus récente est celle du groupe Cochrane. J'ai moi-même réalisé le premier examen Cochrane sur la méfloquine dont les résultats ont été publiés dans le British Medical Journal en 1997. Il y a eu quatre mises à jour de cet examen depuis. La plus récente date de 2017. Elle visait à extraire des données semblables au moyen d'essais cliniques randomisés.
    Ce dernier examen était fondé sur 20 essais cliniques randomisés de la méfloquine. On a ainsi pu constater que les gens qui prennent de la méfloquine sont trois fois plus susceptibles d'y renoncer en raison des effets secondaires que ceux auxquels on a prescrit de l'atovaquone-proguanil, pour utiliser cet exemple.
    C'est un traitement qui devient par conséquent moins efficace. Je vois que le Dr Libman semble très sceptique, mais le risque relatif est effectivement évalué à 2,86, ce qui me permet de dire que ceux qui prennent de la méfloquine sont trois fois plus susceptibles d'arrêter ce traitement, auquel cas ils s'exposent à contracter le paludisme.
    Dans le cadre de cette analyse, on a comparé la méfloquine à l'atovaquone-proguanil. Les chercheurs ont découvert que 6 % des utilisateurs de la méfloquine arrêtaient la médication, 13 % souffraient d'insomnie, 14 % avaient des rêves anormaux, 6 % étaient anxieux et 6 % étaient déprimés. Voilà qui vous donne une idée du genre de résultats auxquels il faut s'attendre, en n'oubliant toutefois pas que ces essais cliniques randomisés sont généralement réalisés auprès de gens parfaitement en santé et ne souffrant aucunement du stress. On peut donc prévoir des chiffres tout au moins comparables, si ce n'est encore plus élevés pour les soldats.
    Lorsqu'on compare avec la doxycycline, les résultats sont encore plus inquiétants. Ainsi, 31 % des consommateurs de méfloquine ont des rêves anormaux alors que cette proportion n'atteint que 3 % chez les utilisateurs de la doxycycline.
(1610)
    C'est toute une différence!
    Parmi les utilisateurs de la méfloquine, 18 % souffrent d'anxiété et 11 % ont une humeur dépressive. Ces chiffres sont beaucoup moins élevés pour la doxycycline.
    Tout au long de cette analyse des plus rigoureuses, on peut observer des effets neuropsychiatriques prédominants chez les utilisateurs de la méfloquine. On peut donc se demander qui peut bien vouloir prendre ce médicament, et qui peut choisir de le prescrire à des soldats étant donné que ceux-ci doivent demeurer en bonne santé, aussi bien du point de vue mental que physique.
    D'après ce que d'autres témoins nous ont indiqué, ce serait justement l'aspect préoccupant. Certains effets résultant de la prise de ce médicament sont exactement les mêmes que ceux que vous pourriez ressentir simplement du fait que vous voyagez outre-mer.
    Comment un soldat peut-il faire la différence et signaler qu'il a un problème?
    Tout à fait.
    Il ne faut bien sûr pas perdre de vue le fait qu'un soldat ne va pas aller voir son sergent-major pour lui dire qu'il se sent un peu anxieux ou déprimé ou encore qu'il fait des rêves bizarres. Il se ferait répondre qu'il ne doit pas se laisser arrêter par de telles choses.
    Comme un soldat ne ferait pas le lien avec le médicament qu'il prend, il poursuivrait sans doute sa médication. Tout indique qu'une personne qui continue de prendre de la méfloquine verra ses effets indésirables s'intensifier et risquer de se prolonger, voire de devenir permanents, comme on a pu le constater dans certains cas.
    Les touristes et les voyageurs ne s'exposent pas à des risques semblables parce qu'ils ne prennent généralement le médicament que pendant quelques semaines. Nous parlons ici de soldats qui doivent habituellement le prendre pendant une période de six mois, ce qui, a mon avis, représente un risque inacceptable.
    Merci.
    Monsieur Bratina.
    Merci. Je vais partager mon temps avec M. Eyolfson.
    Docteur Libman, voici ce qu'on peut lire dans les conclusions d'une étude menée assez récemment en Australie:
Il ne fait aucun doute dans l'esprit du Comité que les professionnels de la santé ne jugent pas la preuve médicale suffisante pour appuyer les allégations suivant lesquelles les symptômes actuellement observés ont été causés par la consommation d'un médicament antipaludique il y a 18 ans. Des témoins ont d'ailleurs indiqué au Comité que les problèmes à long terme résultant de l'utilisation de la méfloquine sont rares...
Le Comité a appris que l'on estime à 40 millions le nombre de doses de méfloquine utilisées à l'échelle planétaire, avec des données établissant son innocuité pour au moins un million d'utilisateurs... Le Comité n'a été saisi d'aucun élément indiquant que les symptômes signalés par certains anciens combattants se manifestent au sein de la population civile de l'Australie et d'ailleurs dans le monde. On a indiqué au Comité qu'il n'y avait aucun signe de l'émergence d'un problème de santé publique à l'échelle mondiale.
    Je ne sais pas si vous êtes au fait de cette étude, mais j'aimerais que vous nous disiez si tout cela concorde assez bien avec vos propres observations.
    On ne peut aucunement nier les effets neuropsychiatriques mentionnés par le Dr Croft lorsqu'il citait l'examen Cochrane.
    Vous soulevez plutôt ici la question des effets à long terme par rapport à ceux à court terme. Dans mes propres études, j'ai toujours pu constater le même genre d'effets à court terme que ceux qui ont été mentionnés. On ne peut pas établir qu'il y a des effets à long terme, car ces études ne portent tout simplement pas sur une période assez longue. C'était le cas pour les études d'observation, et ce sont ces études-là qui n'ont pas permis de démontrer qu'il y avait un problème à long terme.
    Tous conviennent qu'il y a des effets à court terme. Dans la vaste majorité des cas, il suffit d'arrêter de prendre le médicament pour que les effets secondaires disparaissent. Les soldats ne font pas nécessairement partie de mes patients, mais je peux certes comprendre qu'une personne qui ressent des effets neuropsychiatriques va sans doute vouloir arrêter la médication pour en choisir une autre, si cela est vraiment nécessaire.
    Pour revenir toutefois à votre question, je crois que vous citiez un rapport du comité australien des anciens combattants.
(1615)
    Oui.
    C'est un comité semblable au vôtre, si je ne m'abuse.
    Ils essaient de faire ressortir la question des effets à long terme. Les recherches menées auprès de soldats et d'autres patients nous permettent-elles de déterminer que les effets neuropsychiatriques et autres demeurent une fois qu'on arrête de prendre le médicament? C'est l'élément essentiel à élucider.
    Est-ce que l'on peut prouver que les effets se poursuivent pendant une longue période une fois la médication arrêtée? D'après les données à notre disposition, il semblerait que ce soit seulement dans de très rares cas. Toutes les études qui ont tenté de le démontrer ont failli à la tâche. Certains éléments indiquent que cela a pu se produire, mais il s'agit de cas individuels, ce qui fait qu'il est difficile de déterminer si c'est plus courant pour ceux qui ont pris de la méfloquine que pour les personnes qui ont utilisé n'importe quel autre médicament.
    Nous pouvons formuler l'hypothèse que c'est quelque chose de très rare. Dans ce contexte, il convient donc de se demander si les avantages du médicament l'emportent sur les risques encourus. Les avantages sont très clairs, car il faut absolument prévenir le paludisme.
    Permettez-moi de vous interrompre, car je souhaite laisser un peu de mon temps à M. Eyolfson.
    À vous la parole, Doug.
    Merci, monsieur Bratina.
    Docteur Libman, connaissez-vous l'étude que je mentionnais tout à l'heure, celle réalisée auprès d'anciens combattants américains en Irak et en Afghanistan qui ont été suivis de 2001 à 2008?
    Oui.
    Que pensez-vous de cette étude? Croyez-vous que les résultats sont fiables? Est-il possible d'en tirer des conclusions quant aux effets neuropsychiatriques à long terme étant donné la taille de l'échantillon et la durée du suivi auprès de ces personnes?
    Il est vrai que de telles études d'observation par cohortes n'offrent pas le même niveau de confiance. Nous avons tout de même cette étude qui produit des résultats qui vont dans le même sens que ceux de diverses études menées auprès de groupes militaires ou civils et de voyageurs à court et à long terme. Nous accumulons ainsi des éléments nous permettant d'en arriver au même constat: il est très difficile d'établir que les effets à long terme de la méfloquine sont plus fréquents que ceux de tout autre médicament.
    Tout indique que deux conclusions sont possibles. Ou bien ce n'est carrément pas le cas ou encore c'est très rare. Si l'on combine les résultats de cette étude avec ceux de toutes les autres qui ont été réalisées, comme l'examen Cochrane, on peut conclure que c'est effectivement très rare. Il faut ensuite se demander si ces rares effets indésirables enlèvent toute valeur à ce médicament, selon la manière dont on l'utilise. Il est toujours possible de passer à d'autres médicaments lorsque des effets néfastes se manifestent. Je dirais donc à la lumière des données disponibles que les effets à long terme sont ou bien inexistants ou encore très rares. Il est très difficile de savoir exactement ce qu'il en est.
    Merci.
    Connaissez-vous le travail du Dr Remington Nevin?
    Oui.
    Que diriez-vous de la véracité scientifique de ses affirmations voulant qu'il y ait des lésions au tronc cérébral et des effets neuropsychiatriques importants? Comment jugez-vous la valeur de ses résultats?
    Sans entrer dans les détails, je vous dirais que la communauté médicale ne prête généralement pas foi aux résultats de ses travaux. On n'estime pas qu'il met de l'avant des données aussi probantes et fiables que les différentes études qui ont été mentionnées ici, sans compter toutes les autres qui ont été analysées.
    Merci.
    Madame Ludwig.
    Merci à vous deux pour vos témoignages.
    Docteur Libman, êtes-vous au fait de recherches qui auraient été menées auprès de soldats d'autres pays que le Canada auxquels on a prescrit de la méfloquine et qui ont participé au conflit en Somalie?
    Désolé, mais je n'ai pas bien saisi votre question.
    Auriez-vous pris connaissance de travaux de recherche menés à l'étranger auprès de soldats qui ont participé au conflit en Somalie en 1992 et 1993 et auxquels on aurait prescrit de la méfloquine?
(1620)
    De mémoire, je ne suis pas en mesure de vous parler d'études qui auraient été menées auprès d'anciens combattants en Somalie. Je suis au fait de différentes études portant sur des militaires, tout particulièrement des Américains, mais je ne pourrais pas vous dire de mémoire où ces soldats ont servi ni à quel moment exactement ils ont été exposés à la méfloquine. Je ne peux donc pas vous fournir une réponse précise à ce sujet. Comme nous venons de l'indiquer, il y a certes toutefois eu plusieurs études sur des populations militaires déployées dans des zones de combat.
    D'accord. Je vais être bien franche avec vous. J'aimerais que vous m'en disiez plus long au sujet d'un point bien particulier. D'après ce que j'ai pu lire, avant de participer au conflit en Somalie, nos forces armées canadiennes étaient davantage considérées comme un contingent de maintien de la paix sous l'égide des Nations unies. Suivant différentes indications, nous n'étions peut-être pas aussi bien préparés que nous aurions dû l'être pour prendre part à ce conflit, compte tenu notamment de ce qui attendait nos soldats sur le terrain.
    Est-ce que cette préparation insuffisante a pu avoir des incidences sur certains des effets à long terme qu'une partie de nos soldats ont ressentis?
    C'est une question qui sort un peu de mon domaine de compétence. Il y a cependant une chose qui est bien claire. Tout individu, qu'il soit soldat ou non, se retrouvant dans une situation difficile et stressante est susceptible d'en subir les conséquences sur le plan psychiatrique. C'est l'un des éléments qui contribuent à compliquer les choses. Quiconque est placé dans une situation de stress peut en ressentir des effets à long terme. Il est toujours quelque peu difficile de déterminer dans quelle mesure ces effets sont attribuables aux médicaments qu'il prend ou encore à la situation qu'il vit.
    C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la plupart de ces études ont été menées, notamment auprès des militaires, sous forme d'une comparaison entre les différents médicaments pouvant être utilisés. On essaie de déterminer s'il y a une différence. C'est la seule façon de savoir si c'est le médicament qui est responsable.
    D'après ce que nous avons pu apprendre grâce à ces études de grande portée, il ne semble pas y avoir de différence entre un médicament et un autre pour ce qui est des effets psychiatriques à long terme.
    D'accord. Merci.
    Il y a toutefois une différence à court terme.
    Docteur Croft, pouvez-vous m'indiquer quelle entreprise pharmaceutique a effectué le travail de recherche et développement pour la méfloquine et qui en détient le brevet?
    Oui. Le médicament a été découvert par l'armée américaine à l'institut de recherche militaire Walter-Reed situé dans le Maryland, à proximité de Washington. Comme l'armée américaine n'est pas autorisée à commercialiser quoi que ce soit, elle a confié la méfloquine à une entreprise pharmaceutique, soit la multinationale suisse Hoffman-LaRoche. C'est donc cette entreprise qui en a assuré la mise en marché.
    La situation a bien sûr été un peu délicate du fait que le médicament avait été conçu pour traiter le paludisme. Au Vietnam, les soldats contractaient la maladie à un taux effarant: chaque jour, 1 % de l'unité de combat était touché. Jour après jour, le commandant d'un régiment devait ainsi composer avec six hommes en moins en raison du paludisme. Le parasite avait développé une résistance à la chloroquine, si bien que l'on avait urgemment besoin d'un médicament antipaludique, et ce fut la méfloquine.
    Dès qu'elle a pris le contrôle du médicament, Hoffman-LaRoche a changé la donne en le commercialisant aux fins de la prévention du fait que le marché des médicaments pour le traitement n'était pas vraiment intéressant. C'est ce qui est dangereux. Pour le traitement du paludisme, on peut tolérer un certain niveau d'effets indésirables produits par un médicament. Un voyageur en pleine santé recherche plutôt un médicament qui va lui permettre de continuer à bien se sentir.
    Si je puis me permettre, pourriez-vous m'indiquer si Hoffman-LaRoche a pris toutes les dispositions généralement requises pour l'étude d'un médicament avant qu'il ne soit rendu accessible à la population?
    Non. L'entreprise s'est simplement appuyée sur la série d'expériences menées par l'institut Walter-Reed. On avait effectué deux essais cliniques auprès de prisonniers, croyez-le ou non. Dans les années 1970, on a indiqué à ces prisonniers que l'on souhaitait se servir d'eux pour tester un nouveau médicament.
    Ce serait un autre sujet d'étude intéressant.
    Oui, à n'en pas douter. On leur a injecté le parasite de la maladie avant de leur donner de la méfloquine. Le paludisme a ainsi été enrayé. C'est donc un médicament qui est efficace à la fois pour le traitement et la prévention du paludisme. On l'a ensuite remis à Hoffman-LaRoche.
    Hoffman-LaRoche souhaitait le commercialiser très rapidement. On a sauté l'étape des études pivots, ce qu'on appelle les essais de phase III, que l'on aurait normalement dû réaliser auprès de touristes, car c'est la population cible. Il n'y a donc eu aucun essai clinique clé du médicament auprès de touristes avant 2001, alors qu'une autre entreprise s'en est chargée.
    Puis-je alors vous demander, compte tenu de ce que l'on nous a indiqué, si Hoffman-LaRoche est revenu en arrière pour approfondir son étude ou son analyse en vue d'apporter certains changements par rapport à ses efforts initiaux de recherche et développement?
(1625)
    Une fois qu'une entreprise pharmaceutique a obtenu l'homologation d'un médicament, elle ne voit aucun avantage à faire une chose pareille. Elle veut tout simplement vendre une quantité aussi grande que possible de ce médicament. Vous pouvez comprendre les raisons pour lesquelles elle ne voudrait pas agir dans le sens de ce que vous suggérez.
    L'entreprise n'a pas pris les mesures souhaitables pour évaluer les effets indésirables et à long terme. Elle aurait par exemple pu mener une étude cas-témoins relativement aux effets néfastes rares. Comme Hoffman-LaRoche ne l'a pas fait, je dois vous répondre par la négative.
    Merci.
    Monsieur Kitchen.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie nos deux médecins d'être des nôtres aujourd'hui. Nous vous sommes reconnaissants de votre présence.
    Docteur Croft, vous avez parlé de la population civile qui voyage, et docteur Libman, vous vous intéressé notamment aux voyageurs dans le cadre de votre travail au sein du Comité consultatif de la médecine tropicale et de la médecine des voyages (CCMTMV). Aussi bien dans le contexte de la présente étude que lors de celles qui l'ont précédée, des anciens combattants nous ont parlé du fait qu'ils doivent composer avec des effets secondaires et d'autres problèmes graves. Nous avons aussi entendu le témoignage de civils qui ont voyagé un peu partout dans le monde, et notamment en Asie. On leur a prescrit de la méfloquine avant qu'ils ne se fassent dire par les Australiens de cesser de prendre ce médicament et de se tourner plutôt vers des solutions comme la doxycycline.
    Cela dit, Santé Canada a publié une liste de vérification concernant les contre-indications à l'usage de la méfloquine en ajoutant dans une mise à jour de leur monographie que « le risque d'étourdissements, de vertige, d'acouphènes et de perte d'équilibre permanents a été clarifié ». On apporte ces précisions pour s'assurer que les praticiens et les professionnels de la santé sont au fait de la situation.
    On va même jusqu'à fournir les indications suivantes dans la section « Messages clés à communiquer aux patients »:
De graves effets secondaires sur la santé mentale et le système nerveux peuvent survenir à tout moment pendant le traitement par la méfloquine. Chez un petit nombre de personnes, ces effets peuvent persister des mois, voire des années après l'arrêt du traitement par la méfloquine. Chez certaines personnes, les étourdissements, le vertige, les acouphènes et la perte d'équilibre peuvent devenir permanents.
    Au cours des six derniers mois, les Forces militaires canadiennes ont indiqué qu'elles allaient cesser d'utiliser la méfloquine...
    Voilà une bonne nouvelle.
    ... en raison de ses effets secondaires et qu'on ne la prescrirait que sur demande.
    Docteur Libman, je constate que le CCMTMV recommande toujours l'atovaquone-proguanil, vendue sous la marque Malarone, la doxycycline et la méfloquine. Pendant que Santé Canada nous dit d'éviter ce médicament et que les forces militaires abondent dans le même sens, votre comité indique aux Canadiens qu'ils peuvent continuer d'en prendre.
    J'aimerais que vous puissiez nous dire ce qu'il en est exactement, car nous avons pu observer des effets secondaires vraiment considérables, et qu'ils sont encore plus marqués pour nos anciens combattants.
    Je dois préciser que les recommandations formulées par le CCMTMV s'adressent aux cliniciens, et non pas au grand public. Il ne s'agit pas de conseils que nous donnons à la population en général, mais plutôt d'un guide à l'intention des cliniciens qui doivent conseiller les voyageurs.
    Les mises en garde concernant la méfloquine ont été faites parce que certains cas ont été signalés, et non parce qu'il a été démontré de manière irréfutable que la méfloquine était en cause dans les cas en question. Il y a tout de même un risque dont les professionnels de la santé doivent tenir compte lorsqu'ils conseillent une personne. Ces cas semblent toutefois très rares.
    Contrairement à ce qui se passe avec les forces militaires, nous traitons avec les voyageurs de façon individuelle. Nous pouvons par exemple discuter avec eux des avantages de la méfloquine. Comme je l'ai indiqué très brièvement au départ, l'un des problèmes principaux vient du fait que les gens ne prennent pas les médicaments qui leur sont prescrits. Ils s'exposent dès lors à contracter le paludisme.
    C'est exact. À cause des effets secondaires dont on entend parler et des problèmes qu'ils causent. Le fait est que ce n'est pas un vaccin. Ce n'est pas immunisant. C'est purement un médicament à prendre pendant qu'on se trouve sur un théâtre d'opérations.
    Les contre-indications de cette liste sont reconnues par Santé Canada. Nous devons nous assurer de ne pas imposer la même chose à nos soldats et à les soumettre à ce trouble.
    Je pense que la question est vraiment... Encore une fois, je ne peux pas parler précisément du choix de ce qu'il faut administrer aux soldats en général ou à tel soldat, mais la question est toujours de déterminer si les avantages sont supérieurs aux risques pour telle personne.
    Je peux vous dire qu'après un entretien individuel, beaucoup de personnes préfèrent la méfloquine. Elle est plus facile à prendre. Elle est moins chère. Elle se tolère bien. Elle ne provoque pas d'effets. On la choisit particulièrement parce qu'elle se prend hebdomadairement plutôt que quotidiennement.
    On l'a dit, j'en suis certain, que la prise hebdomadaire plutôt que quotidienne est attrayante pour certains. Le médicament devient beaucoup plus facile à prendre et plus susceptible d'être pris. Dans certains cas, cet avantage excède ce que nous considérons comme un risque minime de ce genre de complications. Le risque de contracter le paludisme est immensément plus grand que celui des effets particuliers que vous avez mentionnés. Le fait que le médicament est facile à prendre et qu'il est effectivement pris compte beaucoup en consultation individuelle.
(1630)
    Dans vos recherches, avez-vous déjà examiné des anciens combattants qui prenaient...
    En règle générale, je ne prends pas de militaires en charge. Nous avons vu un petit nombre de militaires malades, mais nous ne nous mêlons pas de la gestion, en général, des cas qui surviennent chez les militaires.
    Vous n'en avez jamais examiné, n'est-ce pas?
    Non. Il m'est arrivé d'examiner des soldats malades qui étaient hospitalisés. C'est tout.
    Merci.
    Docteur Croft, en mars dernier, l'Australie a annoncé une initiative au coût de 2,1 millions de dollars pour soutenir les anciens combattants qui avaient pris de la méfloquine. Ça comprend un examen de santé complet, notamment des anciens combattants ayant souffert de séquelles du médicament. Êtes-vous d'accord avec cette initiative?
    Le montant — 2,1 millions — semble plutôt modeste, convaincu que je suis que des centaines d'Australiens sont touchés. En principe, je suis d'accord. La somme me semble insuffisante, mais je pense que ce genre d'initiative est nécessaire. Même s'il est impossible de réaliser des études expérimentales avec la méfloquine, pour des raisons d'éthique, il reste possible d'en faire de rétrospectives, comme des études cas/témoins, pour clarifier les risques exacts auxquels ont été exposées les personnes qui en ont pris. L'État, par des subventions, pourrait financer ce genre de recherche.
    Merci.
    Monsieur Chen, vous avez la parole. Vous avez dit que vous partagiez votre temps avec M. Eyolfson.
    Oui. Merci, monsieur le président.
    Docteur Croft, vous avez dit que des médicaments étaient plus sûrs et aussi efficaces que la méfloquine.
    Oui.
    Actuellement, les Forces armées canadiennes ont officiellement reconnu que, ces deux dernières années, seulement trois militaires, hommes et femmes, s'étaient fait prescrire la méfloquine et que la pratique actuelle était de n'en donner que sur demande expresse. Pouvez-vous parler des médicaments de rechange et dire ce que vous feriez dans ce cas? Êtes-vous d'accord avec la décision de la prescrire à ceux qui la réclament?
    Oui, certaines personnes peuvent en prendre sans complications. Si vous en avez pris et que vous faites partie des chanceux qui n'en ont pas souffert, vous pourriez donc très bien vouloir en reprendre, parce que c'est un danger connu. Ces personnes sont peu nombreuses, et, au fil du temps, leur nombre se réduit et continue de le faire exponentiellement. Je peux comprendre qu'on le conserve comme dernier recours, mais ce devrait être absolument à cette fin, pour ceux qui en veulent expressément.
    Ce n'est pas tout le monde qui peut prendre une décision en connaissance de cause sans posséder l'information nécessaire, et, trop souvent, nous nous fions aux renseignements figurant sur l'emballage pour connaître les risques.
    Que faut-il, d'après vous, pour mieux informer les soldats canadiens et mieux les sensibiliser avant de leur demander de prendre cette décision?
    Je pense que, pour être absolument sûr, on devrait retirer le médicament de la pharmacopée et ne pas le rendre facultatif, à cause du risque de confusion sur les conséquences de la prise de ce médicament. Tous ne sont pas au courant de sa réputation. On pourrait croire qu'une prise hebdomadaire est mieux qu'une prise quotidienne, ce contre quoi, à propos, je m'inscris en faux. En déploiement, tous les jours se ressemblent. On ne se dit pas qu'aujourd'hui c'est lundi. C'est simplement un autre jour. Dans ces conditions, il vaut bien mieux s'imposer une routine quotidienne centrée sur la prise de l'antipaludéen. Personnellement, je...
    Vous dites qu'il faut retirer le médicament et ne pas l'offrir comme médicament facultatif.
    Oui, retirez-le carrément.
    Merci.
    Monsieur Eyolfson.
    Merci, monsieur le président et merci, monsieur Chen.
    Docteur Libman, revenons au rapport du Sénat australien, dont nous avons parlé. Il est de M. Geoffrey Quail, président du collège australasien de médecine tropicale. Il se fonde sur des études sérieuses de plus de 360 000 militaires américains, dans lesquelles on a comparé la méfloquine à d'autres antipaludéens. D'après ce rapport, la toxicité à long terme de la méfloquine est minime.
    Cette conclusion vous semble-t-elle raisonnable? Apparemment, vous avez aussi lu ce rapport.
(1635)
    La conclusion est raisonnable. Encore une fois, je pense qu'on confond un peu les effets à court terme et les effets à long terme.
    Absolument.
    Je serais absolument d'accord avec vous pour dire que ces études sur de très nombreux sujets laissent entendre que les effets à long terme sont impossibles à distinguer entre chacun des médicaments ou qu'ils se manifestent rarement avec la méfloquine.
    Très bien. Merci.
    Voici une question qui vous semblera simpliste: Si je déclare avoir pris tel médicament et n'avoir pas réussi ensuite à m'endormir, est-ce que ça établit de façon absolue un lien de causalité entre le médicament et mon insomnie?
    C'est visiblement l'un des problèmes, particulièrement si d'autres facteurs vous empêchent de dormir.
    Précisément. Oui.
    Si je vous disais que l'année dernière, en Inde, ma femme et moi avons pris de la Malarone, un antipaludéen, et que, pendant une semaine, nous avons souffert d'insomnie et d'anxiété — ce qui s'est produit, au fait — quelqu'un pourrait nous dire... mais, en même temps, sa mère souffrait d'une infection respiratoire et était aux soins intensifs en Inde. Peut-être que ça pourrait expliquer nos problèmes de sommeil.
    Ne seriez-vous pas d'accord pour dire que, pour incriminer tel médicament pour tels symptômes, il faut maîtriser toutes les autres variables?
    Je suis d'accord. Mais, cela étant dit, d'assez bonnes données de contrôle montrent que, à court terme, le mauvais sommeil est plus fréquent.
    Absolument, à court terme. Je m'en servais seulement comme exemple de causalité.
    Vous êtes persuadé que les effets neuropsychiatriques à long terme de ce médicament, le cas échéant, sont rares.
    Oui.
    Très bien. Merci.
    Je n'ai pas d'autre question.
    Monsieur McColeman.
    Merci, monsieur le président.
    Docteur Croft, quand M. Eyolfson a voulu passer à une autre question et que vous n'avez pas eu le temps de terminer votre réponse, vous commenciez une explication au sujet de deux hommes dans la quarantaine. Pourriez-vous, s'il vous plaît, la terminer pour notre édification?
    C'est tiré d'un article publié dans la livraison de février 1995 du Journal de l'Association médicale canadienne. Il pourrait avoir été lu par tous les médecins canadiens, y compris les médecins militaires.
    Deux hommes partageaient la même tente. L'un d'eux prenait de la méfloquine; l'autre rien, parce que c'était un dur. Ils étaient prospecteurs en Tanzanie. Celui qui prenait le médicament le faisait tous les dimanches, et tout allait bien. Il n'éprouvait aucun effet secondaire.
    Après trois semaines, un samedi soir, ils ont partagé entre eux une bouteille de whisky. Celui qui prenait de la méfloquine est devenu psychotique, tandis que l'autre n'a rien ressenti. Le premier a commencé à avoir des hallucinations auditives et visuelles qui l'ont convaincu que son compagnon allait l'assassiner. Il allait prendre les devants, mais il s'est maîtrisé.
    Le lendemain, il s'est senti très déprimé toute la journée. Puis il s'est rétabli. Il se sentait un peu étrange, mais, dès le mardi, il était bien. Tout est bien allé pendant la semaine.
    Pendant la fin de semaine suivante — à propos, tout ça est dans l'article, et c'était des géologues canadiens — les mêmes faits, exactement, se sont reproduits: whisky, réaction psychotique et hallucinations, chez celui qui prenait de la méfloquine, qui l'ont convaincu des intentions meurtrières de son compagnon et ont fait germer dans son esprit la nécessité de prendre les devants; le lendemain, cachet de méfloquine et profonde dépression d'une journée; le mardi, retour à la normale.
    Soupçonnant une interaction entre la méfloquine et de fortes doses d'alcool, il a décidé de délaisser le whisky pendant la fin de semaine, et, pendant le reste de l'expédition, il s'est bien senti. De retour au Canada, il s'est fait examiner à l'hôpital municipal d'Ottawa. Il a confié ses doutes sur la gravité de l'interaction. Le rapport ensuite publié a été très mal accueilli par le fabricant du médicament, qui ne voulait pas qu'on mette les touristes, auxquels il était destiné, en garde contre la consommation d'alcool.
    Le fabricant a organisé sa propre étude — que je qualifierai de bidon — sur l'effet de l'alcool, qu'il a publiée l'année suivante et qui visait à discréditer le rapport canadien très important et, d'après moi, très convaincant. Pour l'étude néerlandaise, on avait rassemblé un échantillon de 40 jeunes hommes en excellente santé, plus ou moins abstinents. On leur a administré un doigt d'alcool — 50 grammes — dans du jus d'orange en deux heures. Certains prenaient aussi de la méfloquine, d'autres non, mais ils n'en avaient pas pris depuis 24 heures. On leur a ensuite fait prendre le volant et on les a soumis à d'autres tests. On a ensuite publié un rapport montrant l'absence absolue d'interaction entre l'alcool et la méfloquine, du moins à faibles doses.
    De cette manière, Roche a pu discréditer cette étude très importante, d'après moi, qui révélait le danger de la méfloquine. Inévitablement, les soldats affronteront ce danger, parce que les soldats ne boivent pas modérément. Ils prennent un bon coup une fois par semaine, et si ça coïncide avec la journée de l'absorption de méfloquine, ils semblent exposés à un risque important, d'après l'étude canadienne.
    Pendant les 20 ans que j'ai passés dans l'armée, j'en ai vu les manifestations à maintes reprises. C'était très souvent la consommation d'alcool en même temps que la prise de méfloquine qui faisait agir les soldats de manière irrationnelle et complètement surprenante.
    Après quelque temps, j'ai persuadé l'armée britannique à modifier sa politique, ce qui a été fait en décembre 2005, dans une lettre d'orientation interdisant la consommation d'alcool aux soldats qui prenaient de la méfloquine; elle interdisait aux soldates la prise d'un contraceptif oral — qui semblait avoir le même genre d'effet que l'alcool — et d'autres médicaments délivrés sur ordonnance.
    Ç'a semblé atténuer le risque. Par la suite, nous avons observé beaucoup moins d'incidents, si vous me passez l'expression, attribuables à la méfloquine.
(1640)
    Merci.
    Peut-être le savez-vous, mais un groupe d'anciens combattants a entamé une poursuite. Victimes de la toxicité de la méfloquine, ils poursuivent l'État canadien. Le procès aura lieu. Ce sont des anciens combattants que je qualifierais d'honorables, qui ont servi notre pays de façon honorable, des personnes assez lucides pour s'apercevoir que les choses ont terriblement dégénéré sur les théâtres d'opérations, particulièrement en Somalie. Un sénateur actuel, ex-général qui a dirigé ces opérations en Somalie, affirme qu'il ne donnerait jamais de méfloquine à nos soldats.
    Voilà de quoi il en retourne ici. Il se passe quelque chose, mais le gouvernement essaie de le discréditer, comme vous pouvez le voir par les questions qui se posent aujourd'hui sur le fait que la science n'est pas tout à fait à la hauteur de ce qu'on voudrait. Mais, la réalité est que nous avons des soldats, des anciens combattants handicapés, qui demandent à l'État d'agir, à l'exemple de l'Australie et des États-Unis. Des témoins militaires se sont présentés aussi et ils ont également dit, comme le Dr Libman, aujourd'hui, qu'ils ne sont pas absolument convaincus. Voilà pourquoi le médicament reste facultatif pour nos soldats.
    Je suppose que je voudrais seulement connaître votre réaction à ces observations.
    Docteur Croft, je vous en prie.
    Rapidement, s'il vous plaît, nous sommes à court de temps.
    S'il n'y avait pas de bonne solution de rechange à la méfloquine, je dirais qu'il faudrait donner le médicament sous surveillance attentive. Mais, comme au moins deux autres médicaments — la doxycycline et l'atovaquone-proguanil — sont des antipaludéens aussi efficaces, mais en présentant un profil bien plus avantageux d'effets secondaires, il n'est vraiment pas logique de prescrire la méfloquine, quelles que soient les circonstances, aux soldats. C'est une population vulnérable, que nous devons protéger.
    Merci.
    Madame Blaney.
    Je vous remercie encore, tous les deux, pour votre témoignage très intéressant.
    Docteur Libman, vous avez notamment dit qu'il est toujours possible de changer de médicament. Je me demande seulement si vous pouvez expliquer comment ça se passe dans l'armée. J'ai entendu de nombreux témoignages selon lesquels, dans le passé, les soldats n'avaient pas nécessairement la faculté de changer de médicament. En fait, s'ils s'étaient manifestés pour dire qu'ils éprouvaient certaines des inquiétudes au sujet des risques auxquels ils pouvaient être exposés, d'après les avertissements sur l'emballage — anxiété, insomnie, et ainsi de suite — ça aurait risqué de nuire à leur carrière.
    Quand vous dites qu'il y a toujours moyen de changer de médicament, est-ce que c'est fondé, dans le cas des soldats?
(1645)
    Je dois vous présenter mes excuses. Je ne suis pas médecin militaire. Je ne peux pas vraiment formuler d'observations relativement à d'éventuels problèmes qu'éprouvent des soldats avec ce médicament ou tout autre médicament. Je ne peux simplement pas dire comment décider du bon parti à prendre, dans cette situation, du point de vue médical.
    Merci.
    Docteur Croft, au sujet de l'observation selon laquelle il y a toujours moyen de changer de médicament quand on sert son pays, est-il facile de le faire, en invoquant les réactions qu'il fait subir personnellement?
    Je suppose que ça dépend de l'endroit où le soldat se trouve. Sur le front, quelque part en Afghanistan, où le centre d'aide médicale est éloigné — peut-être de 40 milles — il doit se contenter des médicaments qui s'y trouvent. Le changement de médicament ne sera pas facile. C'est vraiment la difficulté, dans l'armée, où, souvent, on ne peut pas consulter le médecin d'une unité sur un théâtre d'opérations. Ce sera difficile, mis à part le fait, dont nous avons déjà parlé, que si on accuse le médicament de sa tristesse, on se met simplement dans de mauvais draps, à cause de la marque d'infamie qui entache, dans l'armée, quiconque signale sa détresse ou sa tristesse psychologique.
    Je pense qu'il faut voir un lien avec le fait que les personnes qui se manifestent sont d'anciens combattants, qui ne servent plus.
    Effectivement, d'anciens combattants désormais libres de s'exprimer, quand, sous les drapeaux, ils ne le pouvaient pas, en raison des contraintes du service.
    Merci. Je n'ai plus de questions.
    Ceci met un terme à notre séance. Je remercie les deux témoins de s'être déplacés.
    Un député: Absolument d'accord.
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