ACVA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des anciens combattants
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 25 octobre 2016
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Bonjour. La séance est de nouveau ouverte. Bienvenue à tous ici aujourd’hui.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 29 septembre, le Comité entame son étude de la santé mentale et de la prévention du suicide chez les vétérans.
Aujourd’hui, nous accueillons Claude Lalancette, le Dr Nevin, le Dr Greg Passey et la Dre Elspeth Ritchie (par vidéoconférence), qui s’exprimeront à titre personnel.
Nous commencerons par M. Lalancette, qui fera une brève déclaration. Puis nous passerons à la Dre Ritchie et aux autres témoins. Chaque témoin dispose de 10 minutes.
Bonjour, merci de me recevoir aujourd’hui. Je m’appelle Claude Lalancette. J’étais parachutiste et je suis aujourd’hui un ancien combattant souffrant de troubles mentaux. J’ai pris des mesures drastiques pour venir vous voir aujourd’hui et vous parler de quelque chose qu’on ignore et qu’on oublie.
Depuis que j’ai découvert la méfloquine il y a cinq mois, j’ai cherché de l’information. Je n’en reviens pas à quel point le gouvernement ne voit pas clair. Je me suis battu bec et ongles pour sensibiliser le gouvernement à ce médicament antipaludique, la méfloquine. Je vous jure que, après cette réunion, vous envisagerez la santé mentale différemment. Il faut communiquer l’information que vous donneront ces spécialistes aujourd’hui. C’est votre devoir.
Jeudi, je vais témoigner avec trois autres frères d’armes au sujet de ce médicament antipaludique. Je vous en prie, écoutez ces spécialistes. Ils essaient de se faire entendre depuis un moment. Pour moi, ce sont des vies qui en dépendent. Il faut commencer le traitement tout de suite, et vous devez examiner cette question sérieusement, dans l’urgence et l’attention. C’est une question de santé nationale.
Merci.
Bonjour. Je suis très heureuse d’être parmi vous aujourd’hui.
Petite correction, c’est Elspeth Ritchie.
C’est un bon vieux nom écossais, et la famille Ritchie est venue au Canada bien avant la révolution américaine. Donc, mes racines remontent loin chez vous.
Aujourd’hui, je vais vous raconter une histoire. Elle n’est pas longue, mais elle couvre environ 25 ans.
J’ai été psychiatre dans l’armée jusqu’à ma retraite en 2010. Aujourd’hui, je travaille pour la Veterans Health Administration, pour son hôpital, à Washington D.C., mais je m’adresse à vous à titre personnel et non en tant que représentante d’une organisation.
Les questions que je vais aborder aujourd’hui perdurent depuis presque 30 ans. Ce sont le manque de consentement éclairé concernant l’utilisation de la méfloquine, le manque de dépistage du syndrome de stress post-traumatique, des traumatismes crâniens, de la dépression et d’autres maladies psychiatriques, le manque de documentation sur le médicament et ses effets secondaires, la façon de distinguer l’utilisation de la méfloquine pour le syndrome de stress post-traumatique et les traumatismes crâniens, et il y a des moyens de le faire, mais ce n’est pas toujours facile, et, enfin, le lien que nous avons constaté au fil du temps, entre l’expérience de la guerre et la violence conjugale.
Je vais donc retenir trois cas. Le premier est la Somalie en 1993. Le deuxième est Fort Bragg en 2002. Et le troisième est la guerre en Irak et la guerre en Afghanistan, mais plus particulièrement le massacre de villageois afghans par le sergent d’état-major Bales en 2012.
J’espère que mes exemples attesteront ce que les Drs Nevin et Passey diront de leur côté.
J’ai été déployée en Somalie en 1993 dans le cadre de l’opération « Restaurer l’espoir ». Je faisais partie du groupe de gestion du stress au combat, en provenance de Fort Bragg, en Caroline du Nord, le 528e — et c’est là que, si on est dans l’armée, on dit « Hooah ». Les marines ont une version différente. La première nuit que j’ai passée là-bas, j’ai vu un soldat évacué de Somalie, par Mogadiscio, qui était complètement psychotique. Nous avons appris plus tard qu’il avait probablement pris de la méfloquine tous les jours au lieu d’une fois par semaine comme c’est prévu.
À l’époque, en 1993, on ne savait pas grand-chose des effets secondaires neuropsychiatriques de la méfloquine. On discutait avec les médecins militaires de médecine préventive et on débattait des risques calculés du paludisme d’une part et de la méfloquine d’autre part, comparativement à ses avantages. On pensait améliorer le respect de la posologie en prenant le médicament une fois par semaine plutôt qu’une fois par jour, comme le Malarone et la doxycycline.
La méfloquine était donc largement acceptée — j’en ai pris moi-même —, mais on commençait, à l’époque, à entendre parler des « lundis de la méfloquine » ou des « mardis psychotiques », ou encore des « jeudis enragés », des jours où les bataillons étaient administrés en formation, et les rêves et cauchemars qui s’ensuivaient. Et puis, un jour, on m’a demandé de faire une évaluation du caporal Matchee. Vous connaissez l’histoire. Il avait essayé de se suicider la veille à cause d’une enquête sur la torture et le meurtre d’un jeune Somalien. Quand je suis allé voir le caporal Matchee, il était comateux, en état de mort cérébrale, ou du moins c’est ce que nous avons cru alors.
Les rumeurs ont commencé à se répandre sur l’irritabilité et la violence provoquées par la méfloquine. Et je suis sûre que vous allez revenir sur cette époque de l’histoire du Canada, parce que vos militaires ne se sont jamais remis de cette enquête et de cet incident.
Passons à Fort Bragg en 2002. À l’époque, les attentats du 11 septembre avaient eu lieu, et on envoyait des troupes en Afghanistan. On était en plein déploiement.
Au cours de l’été 2002, Il y a eu quatre meurtres de conjointes et deux suicides en même temps. Le sergent d’état-major était un cuisinier du nom de Griffin. Il n’a jamais été déployé. Il ne prenait pas de méfloquine. Les trois autres étaient le sergent Nieves, le sergent Floyd et le sergent Wright. Je faisais partie de l’équipe qui a été envoyée. Je travaillais au service de santé du ministère de la Défense à l’époque. Je suis allée avec une équipe de l’armée. Nous avons examiné le lien entre méfloquine et violence.
Il y a un problème récurrent ici : il est difficile de déterminer ce qui relève de quoi, mais permettez que je vous explique rapidement ces situations.
Le sergent Nieves venait de rentrer d’Afghanistan. Il prenait de la méfloquine. Lui et sa femme se sont disputés, et il l’a abattue, puis s’est suicidé. Le sergent Floyd était rentré six mois avant de tuer sa femme et de se suicider. Je pensais alors, comme nous tous, que, si le médicament influençait le comportement, ça se serait produit six mois plus tôt. Il avait un comportement paranoïaque et étrange au moment du meurtre. Enfin, il y a le cas qui me trouble le plus jusqu’à aujourd’hui. Le sergent d’état-major Wright était un soldat des forces spéciales. Il avait été promu, était revenu et prenait de la méfloquine. Il a frappé sa femme avec un bâton de baseball ou une coupe ou il l’a étranglée, on ne sait pas très bien, et probablement devant ses enfants. Il a traîné le corps de sa femme vers une tombe peu profonde où il a mené la police trois semaines plus tard. Il est allé en prison. On a dit qu’il était délirant, paranoïaque, anxieux et qu’il voyait et entendait des choses en prison. Il s’est pendu six mois plus tard.
En 2002, on pensait que l’incidence des effets secondaires neuropsychiatriques était très faible, de l’ordre de 1 sur 10 000 ou de 1 sur 16 000. La recherche effectuée à l’époque portait souvent sur des voyageurs néerlandais qui se rendaient en Thaïlande et prenaient des hallucinogènes. Alors, comment pouvait-on attribuer ça à la méfloquine? Mais, dans les années suivantes, entre autres grâce au travail de mes collègues, le Dr Nevin et d’autres, on s’est rendu compte de l’incidence accrue des effets secondaires neuropsychiatriques, et, selon la plupart des estimations, 25 à 50 % des gens qui prennent de la méfloquine souffrent d’effets secondaires neuropsychiatriques, qu’on définisse ces effets comme des mauvais rêves ou des cauchemars. Le Dr Nevin va vous en parler un peu plus en détail.
Je voudrais terminer en rappelant quelques cas. En Irak, on prenait de la méfloquine durant la première année, mais on s’est aperçu que le paludisme n’était pas très présent dans le pays, et on a arrêté. En Afghanistan, les troupes en ont pris presque tout le temps durant le long conflit, quoique, au fil du temps, on ait remplacé la méfloquine par de la doxycycline ou du Malarone parce qu’on se rendait de plus en plus compte des effets secondaires neuropsychiatriques.
Cela dit, il n’y a qu’un seul suicide qui, à ma connaissance, peut être directement attribuable à la méfloquine, c’est le spécialiste Yuan Torrez en 2004, mais l’épisode dont je veux parler pour terminer est celui du sergent d’état-major Bales. Vous vous rappelez peut-être le sergent d’état-major Bales. En 2012, il a quitté son dortoir, est allé dans deux villages différents, a massacré 16 civils afghans, en a blessé un certain nombre d’autres et a brûlé leurs corps. Il était, semble-t-il, étrangement vêtu et avait des hallucinations visuelles.
Quand j’en ai entendu parler pour la première fois, j’ai aussitôt pensé que c’était une réaction à la méfloquine, notamment le comportement paranoïde délirant — et c’est quelque chose dont vous entendrez parler systématiquement — et les hallucinations visuelles. Et, effectivement, le sergent d’état-major Bales prenait de la méfloquine en Irak. Il avait subi un traumatisme crânien et n’aurait donc pas dû prendre ce médicament. On ne sait toujours pas s’il en prenait au moment de l’incident. On lui avait prescrit de la doxycycline. Et on sait qu’il n’en prenait pas. Il se trouvait dans un secteur où la méfloquine était couramment utilisée par les soldats des forces spéciales à l’époque. Ce n’est plus le cas. Les forces spéciales ont complètement cessé de l’utiliser.
Ce qui est le plus troublant dans cette histoire, que le soldat ait pris de la méfloquine ou des stéroïdes et de l’alcool, comme il semble l’avoir fait, c’est qu’on se trouve dans la même situation que ce dont je parlais au début : manque de consentement éclairé, manque de vérification des traumatismes crâniens et manque de documentation.
L’armée n’a jamais révélé s’il en prenait ou non, et je crois qu’elle ne le savait pas.
Ce qui est absolument clair, c’est le préjudice politique que cela a entraîné pour les militaires américains dans les relations avec l’Afghanistan. J’estime que c’est trop dangereux pour nos soldats et nos marines, qui manipulent des armes, qui peuvent subir d’autres formes de stress, qui peuvent souffrir de syndrome de stress post-traumatique ou de traumatismes crâniens et qui sont souvent, sur le terrain, dans des situations où il est difficile de faire une bonne évaluation médicale… J’estime qu’aucun militaire ne devrait prendre de la méfloquine à l’heure actuelle. Le risque de violence est trop important.
Je vois que l’écran vient de s’éteindre, je vais donc terminer ici. Je crois que le Dr Nevin va vous parler de l’avertissement encadré de noir qui a été placé sur la méfloquine, en recommandant une fois encore de ne pas utiliser ce médicament en raison de la multiplicité des effets secondaires neuropsychiatriques, dont la paranoïa, l’irritabilité, les idées délirantes et les hallucinations visuelles, qui ont donné lieu à la conclusion qu’il est très toxique sur le plan neurologique.
Merci de votre attention.
Merci beaucoup, monsieur le président. C’est un grand privilège pour moi d’être invité à parler au Comité aujourd’hui pour discuter du médicament antipaludique qu’est la méfloquine.
Je m’appelle Remington Nevin. J’étais médecin de médecine préventive dans l’armée américaine. J’ai été formé à la Uniformed Services University School of Medicine et j’ai obtenu ma maîtrise et mon doctorat de médecine en santé publique à l'Université Johns Hopkins. J’ai suivi ma formation en internat au Walter Reed Army Institute of Research, et je termine actuellement, grâce à une bourse, des études postdoctorales en médecine professionnelle et environnementale à l'Université Johns Hopkins.
J’ai travaillé 14 ans dans le service médical actif des États-Unis, dont des déploiements à l’étranger dans des zones de l’Afrique et de l’Afghanistan où le paludisme est endémique et où j’ai eu l’honneur de servir brièvement aux côtés des Forces canadiennes à Kandahar.
C’est en Afghanistan que je me suis intéressé pour la première fois à la méfloquine et plus particulièrement aux effets du médicament sur la santé mentale. Durant les 10 années qui ont suivi, j’ai été l’auteur ou le coauteur de dizaines de chapitres de livres, de lettres et d’articles dans différentes revues scientifiques et médicales sur le paludisme ou sur les médicaments antipaludiques, dont la méfloquine, et notamment, avec la Dre Ritchie, ce qui a été la première analyse des effets du médicament dans des ouvrages psychiatriques de médecine légale.
L’Armée américaine m’a accordé une subvention de 264 000 $ pour étudier les fondements génétiques de la susceptibilité aux effets indésirables de la méfloquine, et j’ai entrepris un certain nombre d’autres études de pharmacosurveillance sur le médicament, dont une analyse détaillée des données sur les manifestations indésirables connues, qui sera publiée sous peu. Ma thèse de doctorat déposée à la Johns Hopkins s’intitule « Pharmacovigilance of Neuropsychiatric Adverse Reactions to Mefloquine », c’est-à-dire « Pharmacosurveillance des effets indésirables neuropsychiatriques de la méfloquine ».
Dans les dernières années, ma recherche dans ce domaine a généralement alimenté les politiques militaires qui ont rapidement évolué au sujet de l’usage de la méfloquine, ainsi qu’une récente réévaluation de la réglementation du médicament aux États-Unis et en Europe. Par exemple, j’ai témoigné devant la U.S. Food and Drug Administration avant qu’elle publie une mise en garde encadrée sur l’étiquette de la méfloquine en 2013. Mes travaux ont également eu un effet direct sur l’interdiction de l’utilisation de ce médicament parmi le personnel des opérations spéciales de l’Armée américaine cette année-là. J’ai témoigné devant des comités du Sénat américain et du Parlement britannique à ce sujet. On m’a demandé de témoigner dans le cadre d’un certain nombre de procédures judiciaires au civil et au criminel, au nom de clients invoquant les effets indésirables de ce médicament.
Je tiens à préciser que je n’ai pas accepté de commandite ni reçu de financement d’entreprises pharmaceutiques pour faire mes travaux et que les opinions que je formule ici sont les miennes et pas nécessairement celles de mon employeur, l'Université Johns Hopkins.
Monsieur le président, j’aimerais, pour commencer, proposer aux membres du Comité un bref aperçu de ce qu’on sait aujourd’hui des effets chroniques indésirables du médicament sur la santé mentale de ses utilisateurs, puis décrire comment, dans certains pays, dont les États-Unis, la connaissance de plus en plus répandue de ces effets a récemment alimenté une meilleure évaluation et un meilleur traitement des anciens combattants à qui on a prescrit ou distribué de la méfloquine pendant leur service militaire.
On a cru longtemps, à tort, que la méfloquine n’avait pas d’effets à long terme sur la santé mentale. On croyait que, une fois le médicament évacué de l’organisme, les effets indésirables se dissipaient. Mais, comme les organismes de réglementation pharmaceutique des États-Unis et de l’Europe l’ont expressément reconnu, chez certains patients, l’utilisation de ce médicament est associée au risque que des effets sur la santé mentale perdurent des années durant, voire qu’ils soient permanents, après cessation de l’utilisation du médicament. On n’en connaît pas bien les raisons, mais on sait que, contrairement à d’autres médicaments antipaludiques plus sûrs et mieux tolérés, la méfloquine est un neurotoxique, c’est-à-dire que, comme le plomb ou le mercure, c’est une substance apte à causer de graves perturbations dans le fonctionnement des cellules du système nerveux central et, éventuellement, à entraîner une détérioration permanente de ces cellules. Pour être plus concis, les effets toxiques de la méfloquine peuvent entraîner une encéphalopathie, puis un traumatisme neurotoxique du cerveau.
Rétrospectivement, il semble que cette propriété de la méfloquine était connue depuis un certain temps. Par exemple, depuis l’approbation du médicament aux États-Unis, il y a plus d’un quart de siècle, 1989, le fabricant d’origine, la compagnie Roche, a fait allusion à la possibilité d’ajouter une mise en garde sur l’étiquette du médicament, qui préciserait que, si certains « symptômes prodromiques » se manifestaient, comme de l’anxiété, de la dépression, de l’agitation ou de la confusion, il fallait interrompre immédiatement le traitement pour réduire le risque de ce qu’il appelait par euphémisme « un événement plus grave ». Dans les cas extrêmes, cet événement plus grave a même été qualifié d’encéphalopathie, se manifestant souvent par une profonde confusion ou des idées délirantes, voire une profonde amnésie, et s’accompagnant de certains autres symptômes graves comme la psychose.
Comme l’indiquent aujourd’hui les mises en garde encadrées sur les étiquettes du médicament aux États-Unis et en Europe, on sait que cette même encéphalopathie peut entraîner des effets plus subtils, mais durables, voire permanents, en termes d’altération de l’humeur, de la personnalité, de la capacité cognitive, du comportement et du sommeil, dont de l’insomnie, des cauchemars, de l’anxiété, de la dépression et un changement de personnalité.
C’est notamment parmi ceux qui reviennent au pays que ces symptômes durables risquent de ne pas être correctement diagnostiqués, car ils seront attribués aux effets de traumatismes crâniens et de troubles de stress post-traumatique. Mais, comme les récents changements apportés à l’étiquetage aux États-Unis et en Europe devraient permettre de le clarifier, ces symptômes, bien souvent, n’ont rien à voir avec l’expérience de la guerre, mais traduisent simplement les effets encéphalopathiques toxiques du médicament.
Par exemple, dans une récente étude sur les voyageurs danois ayant signalé des effets indésirables de la méfloquine, on a constaté que 21 % de ceux qui signalaient des cauchemars et 33 % de ceux qui signalaient une dysfonction cognitive ont fait savoir que les effets indésirables du médicament perduraient plus de trois ans après la cessation de l’utilisation du médicament.
Au Canada, malheureusement, les anciens combattants, les médecins, et même les fonctionnaires du gouvernement ne le savent peut-être pas. Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, Santé Canada n’a pas encore mis à jour l’étiquetage de la méfloquine pour tenir compte de ces nouveaux éléments d’information. C’est peut-être pour ça que l’honorable Kent Hehr, ministre des Anciens Combattants, a dernièrement informé un ancien combattant, à tort, que la méfloquine n’a pas d’effets à long terme.
Par contre, dans un nombre grandissant de pays, dont les États-Unis et l’Australie, on reconnaît, même si c’est à contrecoeur, ces effets à long terme. On commence à prendre des mesures pour soigner les anciens combattants qui peuvent en souffrir. Aux États-Unis, le commandement des opérations spéciales de l’Armée américaine a distribué un ordre reconnaissant que les effets de la méfloquine « peuvent être confondus avec le diagnostic de syndrome de stress post-traumatique ou de traumatisme crânien » et invitant les commandants et le personnel médical à « évaluer la possibilité et l’impact de la toxicité de la méfloquine dans leurs groupes ».
Le département des Anciens combattants des États-Unis prend actuellement des mesures pour lancer une étude sur les anciens combattants touchés par ce problème et il a récemment accordé pour la première fois des indemnités d’assurance-invalidité à long terme pour des symptômes, en l’occurrence des troubles du sommeil et de fréquentes attaques de panique, attribués à l’utilisation du médicament dans le cadre du service militaire.
Cette année, une loi a été adoptée par le Congrès américain pour élargir la mission de divers centres, dont le Center for Deployment Health Research et les Defense Centers of Excellence for Psychological Health and Traumatic Brain Injury, pour qu’ils procèdent à l’évaluation clinique, au diagnostic, à la gestion et à l’étude épidémiologique des effets indésirables de la méfloquine parmi les anciens combattants américains.
En Australie, la Repatriation Medical Authority, ou RMA, a reconnu un certain nombre de symptômes comme susceptibles de découler de l’usage de la méfloquine et au titre desquels des indemnités d’invalidité peuvent être accordées. Il s’agit notamment de troubles neurologiques durables associés à l’usage du médicament, mais aussi de certains troubles psychiatriques, dont la dépression et la bipolarité. La RMA est en train d’examiner le rôle de la méfloquine dans les états d’anxiété et de panique, mais aussi dans les idées suicidaires et tentatives de suicide.
C’est sur la question du suicide que je vais terminer mon exposé.
Aujourd’hui, nous savons que des symptômes d’encéphalopathie grave généralement associés à l’usage du médicament peuvent aussi s’accompagner d’un grave risque d’idées suicidaires, de suicide effectif et, dans certains cas, d’agression extrême et de violence contre autrui. Nous commençons également à prendre conscience du rôle de cette encéphalopathie toxique dans le risque de suicide même des années après la cessation de la prise du médicament. Presque tous les suicides doivent être analysés dans le contexte plus général de la maladie mentale. Étant donné que la méfloquine accroît le risque de symptômes de maladie mentale durables et que les symptômes de maladie mentale sont fortement corrélés au suicide, on ne doit pas s’étonner que des anciens combattants à qui on a prescrit ce médicament semblent beaucoup plus exposés au risque de suicide.
Il faut cependant, aussi, tenir compte du fait que l’éventualité d’un traitement erroné des anciens combattants ayant pris de la méfloquine puisse contribuer à accentuer ce risque. Nous savons que certains d’entre eux sont traités par suite d’un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique ou de traumatisme crânien, mais nous savons aussi que beaucoup d’autres, dont ceux qui n’ont pas été exposés à des traumatismes ou qui n’ont jamais souffert de commotion et dont les symptômes durables sont difficiles à expliquer, ont été accusés de simulation, ont fait l’objet d’un diagnostic de troubles de la personnalité ou se sont fait dire que tout ça se passait dans leur tête.
Dans certains cas, ces anciens combattants ont été libérés du service sans prestations médicales et laissés à eux-mêmes. Il n’est pas surprenant que certains de ces usagers de la méfloquine, mentalement atteints et rejetés par l’armée qui les avait involontairement empoisonnés, soient tombés dans le désespoir et se soient suicidés.
C’est ce qu’on a constaté, malheureusement, même dans des pays comme l’Australie et les États-Unis, où des mesures ont été prises pour reconnaître et attester le problème. Il faut faire plus, et vite, pour reconnaître et mieux comprendre les effets durables du médicament et la façon dont ces effets pourraient être traités, pour veiller à ce qu’aucun ancien combattant touché par ces effets continue de souffrir seul et sans les soins qu’ils méritent à juste titre.
C’est ce qui conclut mon exposé. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Bonjour, mesdames et messieurs. Bonjour aussi à mes amis anciens combattants. Je vous suis très reconnaissant de m’avoir invité à venir parler au Comité.
Pour commencer, je vais vous emmener dans un voyage de 40 ans, qui est le mien depuis 1976, date à laquelle j’ai commencé à exercer, pour ensuite entrer dans les Forces canadiennes.
En 1993, j’ai commencé à faire des évaluations et à donner des traitements pour le syndrome de stress post-traumatique, après une recherche effectuée en 1992-1994 sur un RG, le 1er Régime de génie de combat, le 2e Bataillon du Royal Canadian Regiment, et le 2e Bataillon du Princess Patricia's Canadian Light Infantry, qui avaient été déployés dans l’ex-Yougoslavie. À l’époque, on s’est aperçu qu’environ 15 % des membres des troupes de maintien de la paix de l’ONU revenaient chez eux avec des troubles de stress post-traumatique.
Au cours de ma carrière, j’ai eu l’occasion d’évaluer et de traiter des anciens combattants et des militaires de la Première Guerre mondiale, de la Deuxième Guerre mondiale, de la guerre de Corée, de la guerre du Vietnam, de zones troublées comme le Cambodge, l’Amérique centrale, Haïti, l’ex-Yougoslavie, Srebrenica, l’enclave de Medak, Sarajevo, Chypres, les hauteurs du Golan, etc., jusque et y compris la guerre d’Afghanistan et la guerre du Golfe.
En 1993, suite à ma première recherche, j’ai recommandé à l’armée canadienne de créer des cliniques de santé mentale multidisciplinaires à l’échelle des brigades pour faire face à l’augmentation importante qu’on prévoyait dans le nombre de problèmes de santé mentale parmi les militaires. L’appui du général Dallaire à la fin des années 1990 a facilité la création de centres de soutien pour trauma et stress opérationnels dans les principales bases des Forces canadiennes au Canada. C’est ce qui a finalement donné naissance aux cliniques de traitement des traumatismes liés au stress opérationnel, financées par les Affaires des anciens combattants.
J’ai fait partie de l’équipe de soins en santé mentale déployée au Rwanda durant la dernière partie de l’été 1994. On nous y avait envoyés à la suite de ma première recherche sur les anciens combattants de la Yougoslavie, compte tenu de prévisions selon lesquelles les cas seraient plus nombreux au Rwanda.
Il se trouve que, durant notre séjour là-bas, le nombre de cas de syndrome de stress post-traumatique ou de dépression, par exemple, a été presque nul. Par contre, il y avait beaucoup de symptômes, comme ce qu’on appelait les vendredis cauchemardesques, c’est-à-dire des rêves très intenses et effrayants tous les vendredis, quand nous prenons de la méfloquine. Lorsque j’ai été déployé, je m’attendais à ce qu’on fasse un suivi de ces troupes six mois et un an plus tard, mais l’armée canadienne a décidé que non. C’est tout à fait dommage parce que certains membres du personnel médical déployé là-bas à ce moment-là dont je sais personnellement qu’ils ont tenté de se suicider dans les années qui ont suivi. J’ai toujours pensé que c’était dû au syndrome de stress post-traumatique parce que, comme tout le monde à ce moment-là, je n’avais pas idée que la méfloquine puisse être un problème une fois qu’on cessait d’en prendre.
J’ai vu de mes yeux des membres de l’équipe médicale avec laquelle j’ai été déployée avoir un comportement paranoïde, s’isoler et devenir menaçants quand ils prenaient de la méfloquine, au point que l’un d’eux a un jour sorti un couteau près de moi pendant une réunion et s’est mis à jouer avec d’une manière menaçante.
Après le retour de notre équipe au pays, un membre du Régiment aéroporté du Canada, le caporal Scott Fraser Smith, s’est suicidé par balle à l’aide d’un C-7 au stade de Kigali, au Rwanda, le 25 décembre 1994. L’enquête qui a suivi n’a jamais vraiment permis de connaître les causes de ce suicide. Est-ce que c’était le stress post-traumatique faisant suite à son déploiement dans le Golfe, en Somalie et au Rwanda et l’idée que son unité serait déployée en Croatie par la suite, en 1995? Est-ce que c’était la méfloquine? Une combinaison des deux? Une combinaison des deux plus l’alcool, puisque nous étions autorisés à en consommer à l’époque? Est-ce que d’autres sources de stress étaient en cause? On ne sait pas.
En 1996, en janvier je crois, j’ai envoyé une lettre aux membres du Comité. J’ai écrit une lettre au groupe d’enquête sur la Somalie pour proposer mon témoignage et pour informer l’équipe d’enquête, mais aussi les membres du gouvernement et le système médical des Forces canadiennes, des effets de la méfloquine et partager mes réflexions sur son rôle dans le comportement des membres du Régime aéroporté du Canada en Somalie, jusqu’à la mort de Shidane Arone.
Je dois dire que, à l’époque, avant que je témoigne, mon commandant est venu me sonner les cloches en disant que je n’aurais pas dû proposer de témoigner et que le chirurgien général de l’époque, le général Wendy Clay, en était très fâché.
Il se trouve que, environ une semaine avant mon témoignage, l’enquête a été interrompue. À l’époque, c’était en 1996, ni le gouvernement ni les Forces canadiennes n’avaient jamais eu la possibilité d’analyser ce problème et de prendre des mesures.
J’ai aussi envoyé une lettre au Comité en 1998, en passant par ma hiérarchie, pour exprimer mon inquiétude concernant les problèmes de santé du Régiment aéroporté. J’ai demandé un suivi médical de tous les membres de cette unité, mais on ne m’a jamais répondu, et ça n’a jamais été fait.
Le fait que ni le gouvernement ni les Forces canadiennes n’aient apporté leur soutien et la façon dont les membres du Régiment aéroporté ont été traités à leur retour, puis le démantèlement de ce régiment, ne pouvaient que provoquer des problèmes médicaux, y compris des suicides.
Je voudrais faire une brève digression ici. Je ne suis pas un expert de la méfloquine. Mon domaine de spécialisation est le syndrome de stress post-traumatique, mais je voudrais vous parler un peu des troubles cérébraux.
Il y a beaucoup d’éléments communs au stress post-traumatique, à d’autres formes d’anxiété, aux formes d’anxiété profonde, aux effets à court et à long terme de la méfloquine et aux traumatismes crâniens. On ne sait pas exactement ce qui se passe. On ne connaît pas la physiologie électrique et on ne connaît pas la physiologie de ce qui se passe. Ce qu’on sait, grâce à des techniques plus modernes comme l’analyse quantitative du signal EEG, qui fournit une vue électrique tridimensionnelle du cerveau, et l’imagerie par résonnance fonctionnelle, ce sont les zones du cerveau qui sont touchées.
Le problème, c’est un peu comme si vous me dites que vous avez mal à la poitrine et que je vais donc diagnostiquer ce mal… eh bien, il y a beaucoup de choses qui peuvent causer cette douleur.
En ce qui concerne le cerveau, la médecine en est là où elle en était il y a un siècle pour le reste du corps. On commence à peine à disposer de la technologie permettant de faire des diagnostics plus précis. Le DSM-IV et le DSM-5, utilisés par les psychiatres, sont des descripteurs. Ils ne vous indiquent pas la pathologie en cause. Comme tout descripteur, ce qu’ils fournissent peut recouvrir toutes sortes de choses.
Nous avons eu à traiter des soldats souffrant d’idées suicidaires, de cauchemars, d’irritabilité, d’agressivité et d’anxiété. Les diagnostics sont multiples et il y a énormément de points de recoupement.
Je voudrais parler de nos méthodes de traitement actuelles. La pharmacothérapie et les dialogues psychothérapeutiques ont donné lieu à beaucoup d’échecs. Rien ne permet de traiter ces troubles au-delà d’un taux de réussite d’environ 60 %.
Le Dr Mark Gordon est un endocrinologue interventionniste qui se spécialise dans les traumatismes crâniens et dans le syndrome de stress post-traumatique. Il s’intéresse à la chimie sanguine et aux anomalies stéroïdiennes hormonales et neuronales. Par exemple, on sait aujourd’hui que certaines voies métaboliques peuvent devenir anormales en raison d’un traumatisme crânien ou d’un syndrome de stress post-traumatique, et aussi, je pense, à cause de produits chimiques comme la méfloquine.
Le Dr Marty Hinz est un autre Américain qui utilise des précurseurs de neurotransmetteurs au lieu d’antidépresseurs. C’est intéressant parce que les antidépresseurs peuvent appauvrir à long terme les neurotransmetteurs, et, quand on essaie d’aider quelqu’un à ne plus consommer d’antidépresseurs, tous les symptômes reviennent.
Permettez encore, si vous voulez bien, que je prenne un moment pour vous parler des soldats inconnus tombés au combat. Je parle de nos soldats qui reviennent au Canada, prennent leur retraite ou sont libérés pour raisons médicales et qui finissent par mourir de ces troubles, qu’il s’agisse de troubles physiques ou crâniens, ou par se suicider des mois ou des années plus tard. Bien souvent ils passent inaperçus, on n’en parle pas, et ils finissent seuls. Leur nom n’est pas inscrit dans le Hall d’honneur, et pourtant ils ont servi leur pays et ont fini par mourir par suite de leur engagement.
Rapidement, concernant les idées suicidaires, le taux de suicide augmente corrélativement au diagnostic de syndrome de stress post-traumatique : 49 % des victimes penseront à se suicider. Je ne vois pas de cas simples, qu’il s’agisse de troubles de l’humeur, de traumatismes crâniens, de méfloquine, de diagnostic complexe, de syndrome de stress post-traumatique, de douleur chronique, de consommation d’alcool, etc. Mais surtout il y a ce sentiment de ne pas être soutenu que ce soit dans l’unité, au gouvernement ou au ministère des Affaires des anciens combattants. Le rejet des demandes d’indemnités a un effet énorme et accroît le risque de suicide parmi les anciens combattants. Je pourrais passer une heure à vous donner des exemples dont j’ai eu connaissance de demandes rejetées suivies d’un suicide.
Je sais que nous avons peu de temps. J’ai envoyé un exemplaire de mon exposé aux membres du Comité. Et je serai heureux de discuter de l’un ou l’autre des sujets que j’y aborde.
Merci.
Excellent, je vous remercie. À tous les témoins d’aujourd’hui, si vous remettez des documents au greffier après la séance, il les distribuera aux membres du Comité.
Passons à la première série de questions.
Madame Wagantall, c’est à vous.
Merci beaucoup.
Je tiens à dire d’entrée de jeu que je trouve dégoûtant qu’on ait si peu de temps pour poser des questions. Donc si vous voulez bien tous répondre à mes questions aussi rapidement que possible, on aura le maximum de réponses possible.
Il semble donc que les symptômes des effets de la méfloquine peuvent être confondus avec le syndrome de stress post-traumatique et d’autres ou y ressembler. Comment faites-vous pour distinguer les symptômes de ces troubles des effets de méfloquine?
Je vais répondre rapidement, puis passer la parole à mes collègues psychiatres.
Nous avons rédigé des articles sur la façon dont les symptômes provoqués par la méfloquine peuvent dans certains cas être confondus avec le syndrome de stress post-traumatique. Je pense que, dans le cadre de brèves séances de diagnostic, de brèves rencontres avec les patients, si un clinicien ne connaît pas à fond les nombreux symptômes provoqués par la méfloquine, il peut être enclin à attribuer certaines combinaisons des symptômes provoqués par le médicament au syndrome de stress post-traumatique. Mais je crois, et le Dr Ritchie pourra peut-être vous en dire plus ou expliquer plus en détail, que certains symptômes ne peuvent pas être associés au syndrome de stress post-traumatiques. Par exemple, les étourdissements provoqués par la méfloquine ne pourraient probablement pas s’expliquer par le syndrome de stress post-traumatique. L’amnésie, la dissociation extrême et la psychose sont des symptômes courants de l’usage de méfloquine dans certains cas, mais ils ne peuvent pas être associés au syndrome de stress post-traumatique.
Compte tenu de mon expérience de l’évaluation de ces cas, j’estime pouvoir faire la distinction entre les symptômes de la toxicité de la méfloquine et d’autres troubles psychiatriques, grâce à ma connaissance de l’épidémiologie psychiatrique. Mais je pense qu’il faut approfondir la recherche et que nous devons sensibiliser les psychiatres à ces troubles pour qu’ils en tiennent compte dans leur pratique. Je me tourne vers mes collègues pour la suite.
Le plus important est d’avoir gardé un fort soupçon à l’esprit quand on demande à quelqu’un s’il a pris un médicament antipaludique, s’il s’agissait de Malarone ou de doxycycline, si l’usage était quotidien ou hebdomadaire, etc. Les soldats et les autres militaires savent que, si la dose est hebdomadaire, il s’agit de méfloquine. Ensuite, il y a ces symptômes qui se recoupent, mais nous pensons que certains sont propres à la méfloquine. Ce sont les dégâts causés à la partie vestibulaire du cerveau, au tronc du cerveau, et cela entraîne des étourdissements, le nystagmus, vos yeux roulent d’un côté à l’autre, et il faut tenir compte aussi de tous les autres symptômes.
Nous venons d’entamer une étude, à l’administration des anciens combattants, pour essayer de classer les symptômes, et nous espérons trouver ce qu’on appelle les symptômes pathognomoniques et d’autres symptômes propres à la méfloquine. On n’en est pas là, mais nous pensons pouvoir trouver une combinaison de caractéristiques neurologiques et psychologiques. Évidemment, elles ne sont pas mutuellement exclusives, et cela fait partie du problème. Le sujet a servi en Somalie, il a servi en Afghanistan, il a été exposé aux explosions des combats, et il peut donc souffrir d’un traumatisme crânien et d’un syndrome de stress post-traumatique.
Les militaires à qui on demande à quoi ils ont été exposés se sentent terriblement soulagés. Ils s’en inquiètent souvent et ils ont l’impression que personne ne prend cela au sérieux. Le simple fait d’écouter ce qu’ils ont à dire et répondre que, oui, on pense que la méfloquine pourrait être un facteur…
Très rapidement, le problème est qu’on ne sait pas encore comment traiter cela, et il faut entamer de la recherche à ce sujet. Si on a ces symptômes, quel est le meilleur traitement?
J’aimerais ajouter un mot si vous permettez. Oui, le diagnostic est un élément important, surtout pour ceux qui pensent qu’ils sont en train de devenir fous, et le ministère des Affaires des anciens combattants exige un diagnostic. C’est important à cet égard, mais il y a beaucoup de recoupements.
Ce qui doit nous préoccuper actuellement, c’est comment on va traiter cela. Comment traiter le syndrome de stress post-traumatique, les traumatismes crâniens, les effets de la méfloquine? Quelles techniques peut-on utiliser? Nos stratégies de traitement actuelles ne sont pas suffisantes. Notre capacité actuelle à évaluer ce qui se passe dans le cerveau n’est pas suffisante. Il faut d’abord faire appel à ces nouvelles technologies. Ensuite nous pourrons peut-être trouver des stratégies de traitement. Peut-être qu’on arrivera à distinguer les troubles.
Ma prochaine question est la suivante. Si j’ai bien compris, la méfloquine reste une option dans notre armée, si on a le choix. C’est un médicament qu’on peut prendre tous les jours ou une fois par semaine. Je ne sais pas si on dépiste et documente actuellement, mais, compte tenu de ce qu’on nous a dit aujourd’hui et de ce que vous avez découvert depuis 25 ans, est-ce que le Canada ne devrait pas envisager de rouvrir la commission d’enquête sur la Somalie pour soulever ces questions?
Docteur Passey, voulez-vous être le premier à répondre?
Je pense que, quand le comportement d’un soldat devient aberrant, il faut essayer de comprendre ce qui se passe. Nous avons des gens très entraînés dans les Forces canadiennes et ils sont essentiellement formés à appliquer une force meurtrière. Il faut comprendre ce qui se passe. Oui, le syndrome de stress post-traumatique peut être un problème, mais je n’aurais pas soulevé ces questions en 1996, et de nouveau en 1998, si je ne pensais pas qu’elles étaient importantes et qu’il fallait les régler.
Je ne suis plus dans l’armée. J’ai été libéré pour raisons médicales en 2000. Donc, je ne sais pas ce qu’on fait en ce moment. Mais je peux vous dire que, en 1993, la seule mise en garde qu’on nous disait était qu’on risquait d’avoir des rêves très intenses. Aucune mise en garde sur les conséquences à long terme de l’usage de la méfloquine.
Vous avez posé deux questions : est-ce que les militaires, dans les Forces canadiennes en particulier, devraient continuer à utiliser la méfloquine, et l’autre question portait sur la réouverture de la commission d’enquête sur la Somalie.
Je ne recommande pas aux militaires d’utiliser la méfloquine. J’ai déjà dit officiellement que je pense qu’on ne devrait pas l’utiliser. Je serai même très réticent à l’accepter comme médicament de dernier recours à défaut d’autres médicaments, mais il faudrait alors l’employer avec beaucoup de précaution. J’en parle plus en détail dans certains de mes travaux publiés.
La commission d’enquête sur la Somalie s’est intéressée essentiellement au problème central des effets d’un comportement inusité. Ses travaux ont été interrompus avant qu’on fasse enquête sur la contribution éventuelle de la méfloquine à ce type de comportement. Je pense qu’on en sait beaucoup plus aujourd’hui qu’alors sur les effets de ce médicament. Il pourrait donc être utile de rouvrir l’enquête, compte tenu de ce que nous savons des dangers associés au médicament et de ce qu’on a appris par la suite au sujet de l’usage inapproprié de la méfloquine comme médicament expérimentale dans les premiers mois de cette mission.
D’accord. Dans le passé, l’une des raisons pour lesquelles nous avons utilisé la méfloquine était d’ordre financier, et on croyait aussi que les gens respecteraient mieux une posologie d’une fois par semaine. Mais le coût n’est rien comparé aux vies ou aux massacres. Du point de vue du respect de la posologie, nous avons constaté que les gens la respectent moins quand il s’agit de la méfloquine parce qu’ils ont entendu parler de ses effets effrayants, et donc ils n’en prennent pas et risquent de contracter le paludisme.
Merci à tous d’être venus nous voir.
Ma première question est celle-ci. Il existe d’autres médicaments antipaludiques. Est-ce qu’on a associé ce genre de symptômes neuropsychiatriques à d’autres médicaments de ce type ou est-ce que c’est propre à la méfloquine?
Je voudrais répondre. C’est le sujet de certaines de mes recherches récentes avec le Dr Croft, un collègue de l’armée britannique. La méfloquine fait partie d’une catégorie de médicaments qu’on appelle les quinoléines. En fait, ce n’est pas la première quinoléine utilisée par les militaires qui a ce genre d’effets. C’est au cours de la Deuxième Guerre mondiale qu’on a pour la première fois fait un usage généralisé d’une quinoléine de synthèse, la mépacrine ou quinacrine. Je crois que c’est commercialisé sous le nom d’Atabrine ici et au Royaume-Uni. Son usage a donné lieu à des signalements semblables d’états de confusion et de psychose dissociative, d’anxiété et de crises de panique. À l’époque, on l’a également associé à des effets chroniques.
L’armée américaine a développé un certain nombre de médicaments expérimentaux pendant la Deuxième Guerre mondiale pour remplacer l’Atabrine, et leurs effets étaient semblables. Il y a tout lieu de croire que la chloroquine, le principal dérivé de la quinoléine employé presque tout au long du siècle dernier, partage aussi ces propriétés jusqu’à un certain point.
Je me suis intéressé à l’hypothèse inusitée et très nouvelle selon laquelle une partie de ce que nous avons attribué au stress des combats depuis des années pourrait en fait être dû aux effets durables de divers médicaments de la catégorie des quinoléines et pas seulement de la méfloquine, en remontant à la Deuxième Guerre mondiale.
Aujourd’hui, il existe des médicaments plus sûrs. Les médicaments antipaludiques disponibles actuellement pour usage quotidien n’ont pas les effets neurotoxiques et encéphalopathiques des quinoléines. Ils ont quelques effets mineurs, mais, contrairement à la méfloquine, ces effets n’exigent pas d’interruption immédiate du médicament pour prévenir d’éventuels effets indésirables permanents.
Parfait, merci.
À votre avis, en ce qui concerne les médicaments actuellement utilisés, soit doxycycline et Malarone, y a-t-il des doutes quant à leur efficacité en tant que médicaments antipaludiques, à part la question de savoir si nos militaires les prendront puisque ces médicaments doivent être pris tous les jours?
Absolument pas. La doxycycline tout comme Malarone sont aussi efficaces, voire davantage, que la méfloquine. Il n'y a pas un seul endroit dans le monde où nous envoyons des militaires et où ces médicaments ne sont pas efficaces. Par contre, dans une grande partie du monde, on observe de plus en plus de résistance à la méfloquine.
Quant à savoir si les soldats accepteront la dose quotidienne par opposition à la dose hebdomadaire, ces questions ont été réglées depuis bien longtemps. Lorsque l'armée américaine a abandonné la méfloquine, le médicament qu'elle privilégiait, au profit de la doxycycline, et par la suite de Malarone en 2009, nous avons observé une diminution fulgurante du paludisme. Comme l'a mentionné la Dre Ritchie plus tôt, les soldats se conforment en général à leur doxycycline et Malarone. Par contre, dans le cas de la méfloquine, nous devons nous attendre à ce que près du tiers des militaires qui prennent ce médicament cessent de le prendre conformément aux renseignements que l'on trouve sur la notice du produit. Ce médicament n'est tout simplement pas pratique si les soldats sont autorisés à en cesser l'usage conformément à ce qui est inscrit sur l'étiquette. Ils vont le faire eux-mêmes sans en informer leur commandant.
Le meilleur exemple concret de l'efficacité différentielle de ces médicaments nous vient probablement des militaires américains. En 2003, nous avons déployé quelques centaines de marines au Libéria dans le cadre d'une mission humanitaire. En l'espace de quelques semaines, on a interrompu la mission. Des douzaines de marines ont été évacués parce qu'on soupçonnait qu'ils souffraient de paludisme. Ils prenaient tous de la méfloquine, ou étaient censés en prendre. Comparez cette expérience désastreuse avec la méfloquine à nos opérations récentes et fort réussies au Libéria. Des milliers de militaires ont passé des mois dans cette même région où le paludisme est endémique, mais ils prenaient de la doxycycline et Malarone, des médicaments à prendre quotidiennement et dont l'innocuité est beaucoup plus grande. À mon avis, la preuve n'est plus à faire.
Parfait, merci.
Je lance ma question à tous les témoins. Nous parlons de différentes études. Bien entendu, avec les preuves dont vous disposez, il est absolument impossible que vous puissiez former la règle d'or de l'essai clinique randomisé avec cela. Pour ce qui est des associations, lorsque vous examinez les recherches en cours, quelle est la taille des échantillons en cause? Combien de militaires en font partie? Combien ont été déployés? Combien faisaient usage de Malarone? Quelle est la taille des échantillons dont nous parlons dans les études?
Je pourrais peut-être répondre.
Tout d'abord, la recherche qui est effectuée est absolument minimale, de sorte que nous ne pouvons pas vous dire quelle est la taille des échantillons. Une grande partie des recherches faites au départ portaient sur des rats. En passant, elles portaient sur des rats mâles, de sorte que si nous parlons de femmes militaires — ce qui est une question tout à fait différente au sujet des effets sur la grossesse et la reproduction —, nous ne disposons d'aucun renseignement.
À ce moment-ci, il n'est pas éthique de réaliser une étude prospective, car nous savons que la méfloquine présente de graves effets secondaires neuropsychiatriques. Au département des Anciens combattants à Washington D.C., dans ce que l'on appelle le WALIISC, soit le Centre d'étude des blessures et des maladies liées à la guerre, nous avons commencé à prendre les personnes qui disent avoir été exposées à la méfloquine et nous essayons de caractériser leurs symptômes. Pour l'instant, nous avons 51 personnes qui se sont identifiées elles-mêmes.
Si vous approfondissez — je pense que cela fait partie de l'expérience de M. Nevin, et également de la mienne — en un rien de temps, vous auriez de nombreux militaires qui se présenteraient et qui diraient « Jai des symptômes, étudiez-moi. » Cela constitue probablement une première étape raisonnable pour nos voisins du Nord d'examiner systématiquement les personnes qui se présentent.
Souvent, ces gens estiment avoir été tout simplement écartés par les militaires et ont l'impression que personne ne les prend au sérieux. Seulement pour faire l'objet d'une étude... Nous pouvons vous donner quelques autres précisions sur notre façon de procéder et sur les études, qu'il s'agisse d'une IRM, d'un examen de TEP, d'un examen vestibulaire — soit l’une des choses par lesquelles nous commençons — examen neuropsychologique, ou examen des effets sur la reproduction. Il s’agit d’un domaine scientifique en pleine croissance. C’est ce que je ferais d’abord — étudier les marins, les soldats et les aviateurs que vous avez en ce moment et voir quels sont leurs symptômes.
Comme je l’ai déjà indiqué, nous avons une pharmacothérapie standard. La plupart des médicaments que nous utilisons dans le cas du TSPT ne sont en fait pas recommandés pour ce trouble lorsqu’il est question d’aspects comme le sommeil, la réduction de l'irritabilité, etc.
Nous savons que la pharmacologie en soi n’est pas la réponse. Il en est de même pour les dialogues psychothérapeutiques… Même dans les bonnes études, le taux de réussite atteint rarement 60 % et il y a toujours la rechute plus tard.
En réalité, nous avons besoin d’examiner de nouveaux types de traitement. J’ai mentionné deux personnes qui œuvrent en ce sens, le Dr Mark Gordon et le Dr Marty Hinz. Ils ont adopté une voie tout à fait différente, c’est-à-dire qu’ils ont recours à des analyses sanguines et des analyses d’urine pour tenter de déterminer quelles voies métaboliques sont en réalité anormales dans ce genre de troubles.
J’ajouterais que l’un des véritables défis est de savoir comment le traiter.
Malheureusement, la méfloquine est encore utilisée au sein du Corps de la Paix. J’ai eu la regrettable occasion d'assister au retour de plusieurs bénévoles du Corps de la Paix qui, parfois, ont fait l’objet d’une évacuation sanitaire pour raison de psychose. La question est de savoir si vous les traitez à l’aide d’un antipsychotique ou si c'est contre-indiqué. J’ai également vu des personnes dont les symptômes ont duré quelques années, troubles dépressifs et anxieux, mais nous ne le savons pas.
Je suis entièrement d’accord avec le Dr Passey. Il faut plus de traitements. Soit dit en passant, nous nous rendons compte que c'est la première fois que nous nous rencontrons aujourd'hui.
De façon générale, la voie que j'ai empruntée dans le cas du trouble de stress post-traumatique s'ajoute aux médecines parallèles, à la médecine intégrée, au yoga, à la méditation et à l'exercice. Je recommande l'exercice à tous mes patients qui souffrent du trouble de stress post-traumatique. J'aimerais examiner dans quelle mesure ces traitements peuvent être utiles pour les personnes aux prises avec une toxicité provoquée par la méfloquine. Selon mon hypothèse, ces exercices aideraient à calmer l'irritation que vous voyez chez les personnes qui prennent la méfloquine.
Rapidement, j'ai quelques points dont j'aimerais parler. Il y a des accommodements auxquels on peut recourir, par exemple des verres fumés — il y a beaucoup de photosensibilité. On peut aussi utiliser une canne. Finalement, ce que j'ai trouvé très utile, c'est lorsque les militaires ou leur conjoint... C'est souvent le conjoint ou la conjointe qui tend la main et dit « Ça suffit. Il n'avait aucun problème jusqu'à ce qu'il aille en Afrique occidentale ou en Afghanistan », et cette explication est bien logique.
Je veux insister sur le commentaire antérieur de la Dre Ritchie. Après avoir parlé à plusieurs vétérans qui ont découvert que la méfloquine pouvait être la cause de leurs symptômes, j'ai constaté un soulagement incroyable. D'après moi, il y a une valeur véritablement thérapeutique à apprendre la cause de ses symptômes.
Ils reviennent au pays après avoir pris de la méfloquine, et leur personnalité dans de nombreux cas est fondamentalement changée. Ils ne peuvent pas s'expliquer pourquoi ils se sentent ainsi et pourquoi ils sont tout d'un coup accablés par ces nombreux problèmes. Le fait d'apprendre qu'il ne s'agit pas d'un trouble psychiatrique mais bien d'un empoisonnement peut être très thérapeutique.
Nous nous employons à essayer de réduire le stigmate associé aux diagnostics de trouble mental. Par contre, pour de nombreux militaires, le fait de savoir qu'il ne s'agit pas en réalité d'un diagnostic de trouble mental, qu'ils ne sont pas faibles, qu'aucun défaut de personnalité ne sous-tend leurs symptômes, que c'est l'effet d'un poison, tout cela est extraordinairement thérapeutique pour un grand nombre d'entre eux.
Nous devrions continuer à combattre le stigmate, mais nous devons reconnaître qu'il est thérapeutique pour de nombreux militaires de le savoir.
À l'heure actuelle, lorsque des militaires sont déployés dans ces pays ou vont dans de tels pays, j'aimerais savoir s'il y a d'autres médicaments qu'ils prennent à part celui-ci? Le savez-vous?
Je ne peux pas parler des pratiques qui ont cours dans les Forces canadiennes. Peut-être que le Dr Passey peut vous le dire. Je peux parler de ma connaissance des pratiques qui ont cours chez les militaires américains. De fait, mes recherches lorsque j'étais en Afghanistan ont permis de déterminer qu'une fraction assez importante de nos militaires prenaient des psychotropes: antidépresseurs, médicaments anxiolytiques, et dans certains cas même des médicaments antipsychotiques qui leur avaient été prescrits pour des troubles mentaux prévalents.
Dans de nombreux cas, les soldats ne divulguaient pas qu'ils prenaient ces médicaments au moment de l'évaluation pour déterminer le médicament antipaludique à prendre lors d'un déploiement outre-mer.
En conséquence, mes recherches ont démontré qu'un militaire sur sept ayant un état qui constituait une contre-indication, notamment la prise d'un médicament psychiatrique, se faisait prescrire de la méfloquine. Bien entendu, l'expérience américaine, du moins au plan historique, est qu'il y a eu un risque élevé de coprescription de méfloquine avec des psychotropes. Je suppose que c'est semblable dans d'autres pays.
Très rapidement, je ne peux pas parler... parce que je ne fais pas partie des militaires. Par contre, à l'époque, j'ai traité des personnes aux prises avec le TSPT, une grave dépression. Par exemple, je leur prescrivais des antidépresseurs, je les amenais à un point où ils pouvaient être déployés. Ils ont donc été déployés alors qu'ils prenaient des médicaments psychiatriques, mais vous devez faire un dépistage très minutieux de ces personnes. Je ne sais pas si l’on a déjà examiné ou non la question sous l'angle de prescrire effectivement de la méfloquine.
... j'ai interprété votre question comme faisant référence aux drogues illégales locales et nous voyons effectivement des opiacés dans des zones de combat ou en Afghanistan. Nous voyons des méthamphétamines qui sont envoyées par les postes là-bas. En Somalie, c'était du khat.
Nous ne savons pas grand-chose de l'interaction entre les drogues illégales et la méfloquine, mais d'après ce que nous savons, nous nous attendrions à ce que leurs effets sur le foie, les effets sur les reins, les effets sur le cerveau aient probablement une incidence synergétique négative sur le cerveau.
Apparemment, le sergent Bales consommait des stéroïdes et de l'alcool. Mon hypothèse consiste à savoir si sa consommation de méfloquine était récente, chronique ou de longue date. Nous savons qu'il en prenait. Le problème est que ces drogues ont eu une incidence sur son cerveau déjà affaibli de façon très dangereuse.
Merci de tous ces renseignements précieux au sujet de ce médicament. D'après ce que vous dites, la difficulté réside essentiellement dans la diffusion de tous ces facteurs pour essayer de déterminer le problème de base, mais les preuves que vous avez présentées aujourd'hui sont très convaincantes.
Le Dr Nevin a dit que les vétérans se sentaient réconfortés, à défaut d'un autre terme, de recevoir un diagnostic de blessure plutôt que de maladie mentale, cette expression vague. Je pense qu'à mesure que nous progressons, que nous étudions plus en profondeur la maladie mentale et que nous sommes en mesure de fournir des raisons physiques, ce sera utile pour les vétérans.
J'ai quelques questions précises au sujet du médicament. Tout d'abord, j'aimerais savoir s'il existe d'autres médicaments qui ne peuvent pas être prescrits contre le paludisme et dont l'incidence est semblable à celle de la méfloquine. Existe-t-il un autre médicament avec lequel nous pouvons faire un parallèle avec ce que nous voyons et qui aurait ces répercussions neurologiques?
Je dirai quelques mots, puis je m'en remettrai à mes collègues en psychiatrie, qui sont peut-être plus au courant d'autres catégories de médicaments.
J'ai mentionné plus tôt que toute cette catégorie de médicaments synthétiques à base de quinoléine, notamment la méfloquine, et je suppose la chloroquine, certainement l'atébrine ou la mépacrine durant la Deuxième Guerre mondiale, et vraisemblablement même la quinine — dont nous avons tous profité à un moment ou à un autre dans notre soda tonique — qui peut avoir cette propension en raison d'un effet de catégorie.
Dans quelques manuscrits, j'ai écrit que les effets de l'encéphalopathie ou de l'intoxication par méfloquine ressemblent à ceux que l'on voit dans des cas extrêmes avec certains autres médicaments, notamment certaines drogues à usage récréatif. Une chose que je vais souligner, c'est que la combinaison de symptômes et de blessures neurologiques causées par cette catégorie de médicament est, à mon avis, unique. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, on a découvert que les quinoléines causent cette forme absolument fascinante de blessure microscopique, spécifique des cellules à divers centres du tronc cérébral et du cerveau profond, dans le système limbique — extraordinaire, selon la description des auteurs de l'époque. À ma connaissance, cette constatation n'a vraiment pas été reproduite dans n'importe quelle autre catégorie de drogue.
Donc, bien que certains des effets — je pense à la psychose, à la perte de mémoire, aux changements dans le comportement — soient certainement partagés par plusieurs autres stupéfiants, la combinaison d'effets psychiatriques et neurologiques d'après moi est propre à cette classe.
Cela n'a peut-être rien à voir, mais je sais qu'il existe de nouveaux médicaments qui aident les gens à cesser de fumer, par exemple, et j'ai entendu des anecdotes sur le fait qu'ils auraient des répercussions à long terme.
Est-ce que ce serait semblable?
Le médicament auquel vous faites référence, Chantix, a été associé à de nombreux effets secondaires neuropsychiatriques; un autre, Zyban, ou Wellbutrin, beaucoup moins. Je ne prescris pas Chantix à mes patients psychiatriques parce qu'ils viennent me consulter en raison de leur idéation et de leurs pensées suicidaires.
Pour revenir à votre autre question à savoir s'il y a d'autres médicaments qui ont autant d'effets secondaires, si vous prenez les 10 principaux médicaments qui ont des effets secondaires, et des effets secondaires neuropsychiatriques, ils sont à peu près tous des psychotropes, des antipsychotiques pour soigner le trouble bipolaire ou les crises d'épilepsie, qui sont souvent la même chose. Donc, la méfloquine est dans ce groupe. Je pense que si nous avions un autre médicament qui provoquait autant d'effets secondaires, il aurait été retiré du marché depuis longtemps.
Un élément historique que nous n'avons pas mentionné est que la méfloquine, qui a été mise au point par l'armée et Hoffmann-Laroche, n'a pas fait l'objet d'une surveillance post-commercialisation. Autrement dit, après sa mise en marché, personne n'a recueilli les effets secondaires, contrairement aux autres médicaments qui ont été créés d'une façon plus conventionnelle. En l'occurrence, cela fait partie du problème et le Dr Nevin peut apporter des précisions à cet effet.
J'aimerais mentionner un autre élément qui est très important à mon avis. Nous avons dit sans plus de précision que cette drogue entraîne une toxicité dans le tronc cérébral et le système limbique. C'est ce que nous observons lorsque nous prenons des rats, leur coupons la tête et examinons les incisions. Ils ont des vacuoles, des endroits où la méfloquine a empoisonné le tronc cérébral, qui est la source de votre équilibre. Le problème à ce niveau, c'est l'étourdissement, le nystagmus. Le Dr Nevin a mentionné le système limbique. C'est là que se trouvent nos émotions, qui mènent à l'amygdale, sur laquelle agit le trouble de stress post-traumatique. L'hypothèse — encore une fois non démontrée — est que ces changements dans le système limbique sont à l'origine de cette agressivité intense, de cette colère, et c'est à mon avis ce qui rend ce médicament si dangereux.
Pourquoi est-ce que certaines personnes y réagissent et d'autres non? Il se pourrait que ce soit génétique. Ma théorie est qu'en Somalie, il était très difficile de s'hydrater, de boire suffisamment d'eau. L'environnement était très primitif. Je me rappelle des camions-citernes remplis d'eau que nous attendions tous avec impatience. Il faisait chaud et les gens ne buvaient pas suffisamment. Je pense qu'en Somalie, le tort fait aux vétérans était plus grand que, disons, en Iraq ou en Afghanistan, où le théâtre était mature et les gens buvaient plus d'eau. Je le répète, il s'agit d'une hypothèse. Un autre élément est que chez certaines personnes, il se produit des changements dans leur barrière hémato-encéphalique. Elles métabolisent davantage les agents. Il est évident que bien que certaines personnes soient gravement touchées, d'autres ne le sont pas du tout. D'ailleurs, c'est ce qui a soulevé certaines questions. Par exemple, il s'agit tout simplement d'une réaction hystérique de la part du journaliste car j'ai pris de la méfloquine et je n'ai eu aucun problème. Effectivement, je prenais de la méfloquine et je n'avais aucun problème, mais je me trouvais aussi dans une unité médicale, où je pouvais boire de l'eau. Concernant l'expérience de Claude, j'aimerais savoir s'il était en mesure de rester hydraté. Dans le même ordre d'idées, concernant le Régiment aéroporté du Canada, je pense que ces militaires se trouvaient dans des conditions primitives.
Finalement, ce que j'observe souvent dans le cas de la méfloquine, c'est la goutte qui fait déborder le vase. Vous vous retrouvez dans des situations épouvantables, difficiles, vous êtes irritable, la nourriture est abominable, l'eau est abominable, vous ne pouvez aller nulle part, veuillez excuser mon langage, pour vous défouler de sorte que cela vous irrite davantage, votre femme est sur le point de vous quitter. En même temps, vous avez cette pilule qui s'ajoute au reste et qui ne fait qu'accentuer votre rage, et vous l'entendez continuellement, et vous avez ces rêves fous, ces rêves d’apparence réelle, ces cauchemars, et vous éclatez tout simplement.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur participation à cette réunion de comité.
On dit que la méfloquine, commercialisée par l'entreprise pharmaceutique F. Hoffmann-La Roche AG sous le nom de Lariam, a cessé d'être offerte au Canada en 2013, mais que le médicament générique continue d'être disponible.
Premièrement, pouvez-vous expliquer pourquoi le médicament d'origine a été retiré et non le médicament générique?
Deuxièmement, des études comparatives de la méfloquine ont ont-elles été faites auprès de civils?
Je lance la question. Je crois que M. Nevin semble avoir des réponses.
[Traduction]
Oui, merci.
Je peux répondre à cette question pour ce qui est du Canada et d'autres pays. À ma connaissance, Roche a cessé la fabrication, ou la distribution, ou la commercialisation de sa marque Lariam ces dernières années, du moins au cours de la dernière décennie. Cela coïncide avec le retrait de Lariam dans plusieurs autres marchés. Roche a cessé la vente de Lariam aux États-Unis en 2009, je crois. Elle a récemment cessé la vente de ce médicament en Irlande et dans plusieurs autres pays européens.
Il est tout à fait inhabituel pour une société pharmaceutique de cesser la vente d'un médicament qui jouit d'une telle notoriété. Essentiellement, la valeur marchande de la marque signifie que le médicament restera rentable, même face à des génériques vraisemblablement meilleur marché. Beaucoup pensent que la décision prise par Roche de cesser la commercialisation de Lariam aux États-Unis, au Canada et dans d'autres pays a été prise pour des raisons juridiques, à cause de préoccupations liées à une exposition juridique en raison de poursuites éventuelles reliées à la consommation du médicament.
La société soutient qu'il s'agissait d'une décision commerciale fondée sur une baisse des ventes. C'est certainement le cas. Aux États-Unis, la méfloquine générique est toujours disponible — et elle est disponible indépendamment des inquiétudes relatives à une responsabilité juridique. D'après une décision rendue par la Cour suprême, les fabricants de médicaments génériques aux États-Unis ne peuvent pas être poursuivis pour des lacunes dans l'étiquetage du produit ou pour avoir omis de donner un avertissement. Je ne connais pas suffisamment les systèmes juridiques d'autres pays, dont celui du Canada, pour savoir si une motivation semblable éclaire la poursuite de la vente de la méfloquine ici.
J'espère que cela répond à votre question.
Oui.
[Français]
Y a-t-il eu des cas semblables dans le monde civil? On sait que des civils ont éprouvé des effets indésirables après avoir pris de la méfloquine.
[Traduction]
Oui, je peux répondre à la question à savoir si des civils ont été touchés par la méfloquine. Je dois préciser que je crois que ce sujet suscite beaucoup d'attention. Le problème des effets indésirables sur la santé chez les vétérans suscite le plus d'attention, car il est question d'un groupe élevé de personnes, soit une importante partie de la population à qui l'on administre le médicament à un moment donné et les problèmes liés au médicament seront peut-être donc plus apparents dans des groupes militaires. Aux États-Unis, en outre, on utilise la méfloquine depuis un certain temps déjà auprès de volontaires du Corps de la paix dont les membres sont des civils. Il s'agit d'un sujet controversé qui suscite de plus en plus d'inquiétudes. Il suscite une vive attention dans les médias à ce moment-ci aux États-Unis. Bien entendu, nous nous attendons à ce que les civils soient aussi susceptibles que le personnel militaire d'être touchés par ces effets indésirables.
Je tiens à préciser — et j'estime qu'il est important de comprendre pourquoi nos vétérans peuvent avoir été plus affectés que d'autres personnes — qu'il ne faut pas oublier la notice du produit. Selon le mode d'emploi du fabricant, il est clairement stipulé qu'il ne faut plus utiliser le médicament au début de l'apparition de certains symptômes : anxiété, dépression, agitation ou confusion. Il s'agit là, je crois, des conseils qui ont été prodigués aux Canadiens depuis le début de la mise en marché du médicament. Aujourd'hui, la consigne est encore plus rigoureuse : en cas de symptôme psychiatrique, il faut cesser immédiatement de prendre le médicament. Cette mesure est recommandée afin d'éviter des effets plus graves.
Les vacanciers respecteraient sans aucun doute cette consigne si on les prévenait, mais les soldats bien souvent ne le peuvent pas. Les soldats pourraient avoir eu à faire face à tous ces symptômes et davantage, et on aurait pu leur dire de continuer d'utiliser le médicament. Voilà pourquoi je pense que nous avons constaté que les militaires avaient souffert de nombreux autres effets secondaires plus graves que chez les voyageurs civils, car on leur avait ordonné de prendre ce médicament contrairement à la directive sur la notice du produit.
J'espère que ces précisions ont permis de répondre à la question. Les civils peuvent simplement ne plus utiliser le médicament, mais les militaires doivent dans bien des cas suivre les ordres, ce qui accentue le risque de faire face à ces effets plus graves.
Si je peux ajouter une brève précision, le médicament a été pris par un autre segment de la population, soit des journalistes, puisque ceux-ci sont souvent appelés à suivre les militaires. L'étude qui a été menée à ce sujet n'est pas rigoureuse, mais de nombreux journalistes à qui j'ai parlé ont mentionné en avoir pris une première fois, mais ils ne répéteraient plus l'expérience. Ils n'étaient pas obligés de le prendre ou ils se sont rendus dans une clinique médicale pour voyageurs et on leur a dit d'éviter de prendre ce médicament ou ils avaient les moyens de recourir au médicament plus dispendieux, le Malarone.
C'est problématique lorsqu'il y a une petite pharmacie, par exemple à Fort Polk, qui accueille 1 200 soldats qui doivent être déployés, et l'on a le choix entre le Malarone, qui coûte 3 $ le comprimé, et la méfloquine, qui coûte 30 ¢ environ par semaine et que l'on accorde une quantité nécessaire pour six mois à ces 1 200 soldats, le choix du Malarone augmenterait considérablement les coûts budgétaires.
Merci, monsieur le président.
J'ai une question précise qui s'adresse à vous trois, mais je désire relever un sujet qui vient d'être mentionné par le Dr Nevin et il vise le Dr Passey. Nous savons tous qu'un soldat doit obéir aux ordres et si on lui ordonne de prendre le comprimé, il respecterait cet ordre. D'après votre expérience, quelles ont été les conséquences pour les soldats qui n'ont pas pris le comprimé comme il a été ordonné?
Nous suivons les ordres, vous savez? La mission passe avant la vie et les membres. C'est aussi simple que cela. Nous sommes entraînés pour suivre les ordres. En période de déploiement, l'idée de ne pas suivre les ordres est au fond impensable et imputable.
Je crois qu'il y a eu — et je ne peux me souvenir du nom de cet homme — un militaire qui a refusé un vaccin avant son déploiement, et il a été traduit en cour martiale. Je ne connais pas l'issue de cette affaire. Mais si l'on est en zone de combat, la question ne se pose même pas.
Pour autant que je sache, non.
Il est question en particulier d'un grand nombre d'unités — il faut réaliser — qui forment un peloton, etc. Il se peut qu'il n'y ait pas nécessairement de personnel médical du tout là-bas ou les infirmiers peuvent ne pas nécessairement être au courant de toutes les conséquences éventuelles de ce type de médicament. Comme je l'ai mentionné, j'ai été médecin-chef lors de mon déploiement au Rwanda et je n'étais pas au courant. On nous a parlé des rêves et c'est tout. Nous n'avions pas d'autre information. Il faut prendre le comprimé le vendredi.
La discussion d'aujourd'hui a été enrichissante.
Je vais vous demander à vous trois de vous prononcer sur cette question. Je sais que le temps est compté, mais quelles recommandations proposeriez-vous au gouvernement canadien ou à Anciens Combattants sur la façon de traiter cette question, Dr Nevin, quelles seraient vos suggestions? Je sais, Dre Ritchie, que vous avez abordé brièvement la question.
Je vous poserais également cette question. Nous traitons ce sujet à titre de comité des anciens combattants. Est-ce ce genre d'enjeu, par exemple, que devrait étudier Santé Canada étant donné qu'il y a certains civils qui font encore face à ce problème? Et, bien entendu, il y a les retombées sur les militaires.
Je m'adresse à l'un ou l'autre de vous trois.
Je vais répondre à cette question, monsieur le président.
Je viens de publier une analyse sur l'étiquetage relatif à l'innocuité des médicaments dans six pays, dont le Canada, les États-Unis, certains pays européens, la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Cette analyse permet d'établir clairement que, dans ces pays occidentaux développés, l'information sur l'étiquette du médicament de la méfloquine ici au Canada accuse un important retard. Elle est relativement désuète. Je crois, comme nous l'avons mentionné dans le manuscrit, que les voyageurs canadiens sont exposés à un certain risque en n'obtenant pas le même mode d'emploi mis à jour que les voyageurs d'autres pays.
Je ne sais pas pourquoi l'on tarde à mettre à jour l'étiquette du médicament de la méfloquine au Canada afin de tenir compte des nouvelles connaissances des effets permanents de ces médicaments et également de la directive très claire indiquant qu'il faut abandonner immédiatement l'usage de ce médicament dès l'apparition de tout symptôme neuropsychiatrique. La plupart des organismes de réglementation des médicaments sont réticents à reconnaître que la plupart des étiquettes des médicaments sont désuètes, mais je crois, d'après notre expérience visant la méfloquine, qu'il faut accorder une plus grande attention à l'exactitude et à l'intégralité de l'information figurant sur l'étiquette.
L'information sur l'étiquette de la méfloquine au Canada étant dans une certaine mesure désuète, cela pourrait expliquer le fait que le ministère de la Défense nationale continue à utiliser le médicament ou en soutient l'usage. Peut-être que si l'étiquette du médicament était mise à jour afin de tenir compte de nos connaissances actuelles, les politiques canadiennes relatives à l'usage du médicament commenceraient à refléter celles d'autres pays occidentaux. Je recommanderais sans aucun doute à Santé Canada d'examiner — de façon indépendante, bien entendu — les données factuelles.
Je recommande de cesser d'utiliser complètement la méfloquine. Je ne suis pas d'accord avec le Dr Nevin. Je ne crois pas qu'il faudrait s'en servir comme dernier recours. Je pense qu'on ne devrait pas du tout s'en servir. Si une personne ne peut pas tolérer la méfloquine, ne les déployez pas dans une zone impaludée, envoyez-les en Antarctique. J'ai cru comprendre qu'il fait froid dans le Nord canadien où il n'y a pas d'insectes. Ne les envoyez pas dans cette zone.
Ensuite, il faut contrôler l'exposition à la méfloquine. Ces efforts devraient être menés par des civils. Vous n'avez pas la même administration relative à la santé des anciens combattants qu'aux États-Unis et il y a beaucoup de civils qui traitent les vétérans. Ce sujet devrait faire l'objet d'une discussion nationale. Encore là, c'est facile de s'en occuper une fois par semaine contre une fois par jour.
Et puis, enfin, le volet du traitement est plus difficile, mais il faut le faire. Au sujet brièvement de la question de la grossesse chez les militaires et la méfloquine, nous devons probablement mieux nous assurer que les femmes militaires obtiennent une méthode de contraception à longue durée d'action avant leur déploiement — pour différentes raisons — car nous ne connaissons pas les effets de la méfloquine sur le développement du foetus. Même si les relations sexuelles sont interdites en zone de combat, cela se produit, qu'elles soient consensuelles ou non, alors nous devons nous assurer qu'il n'y a pas de grossesse en même temps que la militaire utilise la méfloquine.
Je m'occupe des demandes visant Anciens Combattants depuis maintenant 23 ans et vous posez une excellente question. Une personne est déployée et elle prend de la méfloquine et si des symptômes apparaissent lorsqu'elle utilise ce médicament, alors on peut au moins avoir une piste. Il est difficile de savoir ce qui se passe si la personne n'est pas nécessairement au courant du problème ou n'y accorde pas d'attention? Elle encaisse en silence et adopte un style macho et puis, 20 ans plus tard, elle arrive et affirme avoir utilisé de la méfloquine et de souffrir de tous les symptômes connus. Son allégation est-elle valide?
Il est difficile de répondre à cette question et Anciens Combattants doit l'étudier attentivement. De façon générale, concernant les dossiers médicaux dans les Forces canadiennes, si un militaire utilise des médicaments, nous devrions avoir une note au dossier, mais les dossiers se perdent.
Merci beaucoup, monsieur le président. Je remercie chacun d'entre vous de votre présence ici et de nous présenter certains renseignements très intéressants.
Je désire commencer par vous, docteur Nevin. Pour reprendre l'une des dernières questions de mon ami, vous avez mentionné que vous ne verriez pas d'objections à utiliser ce médicament s'il s'agissait d'un médicament de dernier recours et que vous ne pourriez pas utiliser d'autres produits. Pouvez-vous préciser pourquoi? Votre propos diffère un peu de l'information obtenue de Dre Ritchie. Vous avez piqué ma curiosité. Je présume que si vous n'aviez pas d'autre option en raison des effets secondaires d'autres médicaments ou peu importe la raison, alors cela vaut mieux que d'être exposé à la malaria. Quels sont vos commentaires à ce sujet?
La position que j'ai adoptée à ce sujet a évolué au fil des ans et il s'agit d'un enjeu complexe et nuancé qui témoigne également de la politique complexe de cette question.
Au Royaume-Uni, tout récemment, après notre témoignage et une enquête complète du Parlement, le ministre de la Défense a essentiellement adopté une politique selon laquelle la méfloquine serait un médicament de dernier recours. On ne voulait pas apparemment reconnaître ce sujet comme tel, mais la politique est très claire. La méfloquine doit être utilisée seulement lorsqu'un soldat ne peut tolérer tout autre médicament sécuritaire et aussi efficace.
S'il faut demander au ministre de la Défense de déclarer qu'il s'agit d'un médicament de dernier recours afin d'atténuer le plus possible la menace sur la santé publique, alors qu'il en soit ainsi. La perfection est l'ennemi du bien. Je préférerais que l'on n'utilise pas la méfloquine dans un contexte militaire, car j'estime qu'il est pratiquement impossible pour les militaires de respecter le mode d'emploi du produit. Comment est-il possible pour un prescripteur de conseiller un patient qui sera déployé dans une zone de combat où il souffrira d'insomnie, d'anxiété et aura peut-être des cauchemars des suites de cette expérience? Comment un prescripteur peut dire à un patient : « Voici un médicament et utilisez-le conformément au mode d'emploi du fabricant et vous devez cesser de l'utiliser si vous avez des cauchemars, de l'insomnie ou de l'anxiété »? Il s'agirait d'une faute professionnelle pour un médecin civil de faire cela. Je ne crois pas que c'est possible pour nous de l'utiliser en toute sécurité dans un cadre militaire.
Ceci étant dit, j'admets que ce médicament a été efficace pour certaines personnes qui s'en sont servies à de nombreuses reprises auparavant. Pour ces personnes-là, si elles veulent continuer à s'en servir, j'imagine que c'est correct, mais pour les nouveaux soldats qui n'ont jamais pris ce médicament, je crois que le risque est trop élevé. J'estime que nous serons unanimes en fin de compte à convenir que ce médicament n'a pas sa place, mais jusqu'à ce moment-là, j'aimerais que l'on puisse en réduire l'usage.
Avez-vous un commentaire à exprimer sur le nombre de personnes qui ne seraient pas en mesure de prendre d'autres types de médicaments?
Oui. Nous avons étudié la question dans plusieurs ouvrages. On compte deux médicaments alternatifs plus sécuritaires à prendre quotidiennement dans la plupart des régions du monde où sévit une résistance à la chloroquine, et l'un est le Malarone, qui est très bien toléré, et de véritables contre-indications ou une intolérance au Malarone sont très rares et le taux est peut-être de 1 %. Pour le 1 % des personnes qui ne peuvent tolérer le Malarone, il y a la doxycycline. Le recours à la doxycycline est peut-être abandonné dans 20 % des cas ou plus. Le taux est nettement moindre que le 1 % de personnes qui auraient besoin de prendre la méfloquine en observant rigoureusement le mode d'emploi comme médicament de dernier recours.
Je ne crois pas qu'il soit plausible d'imaginer un scénario dans lequel d'importants groupes de soldats ne seraient pas en mesure d'être déployés si une telle politique était appliquée et les avantages potentiels de le faire pourraient être énormes.
Êtes-vous au courant s'il y a eu des poursuites? Docteur Nevin, vous avez abordé la question, mais y en a-t-il parmi vous qui savent si des poursuites ont été intentées au civil sur un territoire où ce médicament a été testé afin de déterminer si une responsabilité a été avérée ou non afin de présenter une allégation à ce sujet?
Oui, je suis au courant qu'il y a eu de nombreuses poursuites, qui sont soit terminées, soit en cours. J'ai été appelé à titre de consultant ou de spécialiste dans plusieurs affaires ayant obtenu gain de cause aux États-Unis. J'ai également assumé ces fonctions dans plusieurs causes à l'étranger et je m'attends dans les prochaines années à une hausse du nombre de réclamations contre les prescripteurs, contre les gouvernements qui ont supervisé le fait de prescrire ce médicament, qui vont devoir faire face à de lourdes sanctions financières.
Aux États-Unis, le système militaire est protégé contre des allégations de responsabilité en raison d'une pratique que l'on nomme la doctrine Feres. Avant l'audience, je discutais de cette question avec mes collègues. Je crois comprendre que le Canada n'a pas de tel programme d'immunité contre divers délits, alors je crois qu'il est important pour les gouvernements de savoir s'ils sont exposés à ce genre d'enjeu.
J'aimerais ajouter que je suis d'accord avec tout ce que vient de dire le Dr Nevin. L'analogie que l'on peut faire avec les États-Unis, c'est au sujet de l'agent orange, défoliant qui a servi au Vietnam. À vrai dire, la méfloquine est l'un parmi plusieurs agents d'exposition toxique, mais nous nous concentrons aujourd'hui sur ce produit-là. Comme analogie à l'agent orange, on a déjà entendu « oh, ce n'était rien, tout cela est dans votre tête ». Maintenant, des patients de l'époque de la guerre au Vietnam viennent constamment me consulter. Ils ont été exposés à l'agent orange. C'est un facteur qui a contribué à leur incapacité. C'est en partie la raison pour laquelle Anciens Combattants les indemnise. Et je ne serais pas du tout étonnée de constater, dans 30 ans ou avant, que l'on compare la méfloquine à l'agent orange pour cette génération de vétérans en Somalie et en Afghanistan.
Merci.
Je peux peut-être m'adresser à M. Passey pour lui poser une question rapide. Vous avez parlé des cauchemars du vendredi. La Dre Ritchie a mentionné les cauchemars du lundi ou quelque chose du genre. Je regrette si cette question vous semble stupide, mais est-ce simplement attribuable au fait que l'on prenne le médicament une fois par semaine, les cauchemars ont réellement lieu les journées de l'administration du médicament? Est-ce que cela survient le jour même ou y a-t-il d'autres effets pendant toute la semaine également?
Il peut certainement y avoir des effets pendant toute la semaine, mais la plus grande concentration, la fréquence la plus élevée, survient le jour de la prise du médicament. Il s'agit simplement de la façon dont le médicament est absorbé, etc. On peut garantir que la plupart des gens auront des cauchemars clairs, voire complets, ce jour-là. Lorsque j'étais à l'étranger, c'était les vendredis. Ce moment aurait pu survenir les lundis pour quelqu'un d'autre, mais cela s'est définitivement passé ce jour-là précisément.
Je vous remercie tous de votre présence aujourd'hui.
J'ai beaucoup de questions. Je n'ai pas pris autant de notes depuis si longtemps. Je vais essayer d'en poser autant que je peux en ce bref laps de temps.
Docteur Nevin, pouvez-vous m'indiquer quels essais cliniques auraient été menés avant la mise en marché de ce médicament? Je crois comprendre qu'une personne ne lance pas tout simplement une idée comme celle-là, alors voici, une étude est menée avant de mettre le produit sur le marché et de l'utiliser. D'après votre recherche, pouvez-vous approfondir?
Il faut comprendre le contexte du développement de la méfloquine. Il s'agit de la dernière en lice dans une série de médicaments à la quinoline dont le service militaire américain, qui a développé la méfloquine, possède une bonne expérience. J'ai toujours cru qu'il serait raisonnable pour le service militaire américain de s'attendre à ce que la méfloquine obtienne beaucoup des mêmes effets secondaires qu'il avait constaté auparavant sur plusieurs autres médicaments synthétiques à la quinoline, dont l'atébrine, ayant servi lors de la Seconde Guerre mondiale.
D'ailleurs, j'ai trouvé un ouvrage de l'époque de la Seconde Guerre mondiale qui précise que l'atébrine cause des symptômes d'anxiété, de dépression, d'agitation et de confusion et il s'agit de symptômes avant-coureurs de l'apparition d'effets psychotiques plus sérieux ou ce que je nomme l'encéphalopathie. C'est cette même formulation qui semble avoir trouvé écho dans la notice du produit lorsque la pharmaceutique Roche a finalement commercialisé le médicament. Je crois, au moment de la commercialisation du médicament, que l'on connaissait certains de ces effets.
Avec un recul sur certaines des études qui ont été menées, il est étonnant que l'on n'ait pas constaté autant de détails que nous observons aujourd'hui dans les études. Les chercheurs ont été bien chanceux de ne pas avoir observé ces effets, ou bien est-ce un autre facteur qui est entré en ligne de compte?
Un élément important à souligner, je crois, c'est que la première expérience du Canada avec ce médicament faisait partie d'une étude en matière de sécurité qui a été menée au début des années 1990, ce qui a permis au ministère de la Défense nationale d'avoir accès à de grandes quantités de méfloquine pour usage au cours des premiers mois de la mission en Somalie. Ce médicament n'était pas homologué en 1992 et pendant les premières semaines de 1993 lorsque de nombreux militaires ont commencé à prendre le médicament et à être déployés en Somalie.
L'accès du ministère de la Défense nationale à ce médicament était conditionnel à sa participation à une étude de sécurité qui aurait dû éclairer l'homologation du médicament, éclairer le contenu de l'étiquette du produit ainsi que les médecins pour les informer des effets secondaires qui seraient apparus en utilisant régulièrement ce médicament.
Vous me demandez quelles études ont été menées. L'étude qui aurait dû avoir été effectuée auprès du personnel militaire n'a pas eu lieu et le médicament a été homologué sans pouvoir profiter de ce qui aurait constitué, en rétrospective, de l'information très importante.
Nous savons que la référence absolue est l’essai clinique contrôlé, qui est difficile à effectuer dans ces circonstances, mais la situation que vous décrivez est exacte. Nous savons que les soldats reçoivent des ordres, et quand on leur donne des ordres, ils les suivent ; leurs familles reçoivent aussi des ordres.
Mon père a travaillé à la base militaire de Gagetown, et il a été exposé à l’agent Orange dans le cadre de tests effectués au Canada, comme la Dre Ritchie l'a mentionné. De même, nous avons vécu au Pakistan et on nous a dit qu’il nous fallait prendre des médicaments antipaludiques spécifiques, point à la ligne.
Je me permets de prendre une tangente plus scientifique, pour vous dire que nous cherchons toujours des données concrètes pour faire état de la situation, mais il est très difficile d’en trouver lorsqu’il s’agit de troubles neuropsychiatriques. Il s’agit de la toxicité hépatique, de la toxicité du tronc cérébral, et de la toxicité limbique.
Docteur Passey, vous avez parlé de tests sanguins. J'aimerais que vous nous donniez quelques précisions pour éclairer le comité au sujet de ces tests, dont le besoin peut être évident ou non, et de leur nature expérimentale.
Le Dr Mark Gordon travaille dans ce domaine depuis environ 19 ans aux États-Unis. Il travaille avec des anciens combattants, y compris les Bérets verts, les SEALS de la Marine, et les Rangers de l'armée, etc. Il étudiait principalement les traumatismes crâniens, mais il a aussi découvert qu’il existe des voies métaboliques reliées au stress post-traumatique chez les individus qui ont subi un traumatisme crânien. Ma perception du SSPT est très différente. Il s’agit en fait d’un traumatisme au cerveau. C’est un effet secondaire lié au stress extrême ou au stress cumulatif, mais il provoque en fait un dysfonctionnement du cerveau. Je n'aime pas toutes ces histoires au sujet de la santé mentale.
Le Dr Gordon a effectivement identifié l’existence de ces voies métaboliques, et j’effectue maintenant toutes les lectures pour essayer de mettre à jour mes connaissances à ce sujet afin de réussir cet examen, pour que je puisse mettre en pratique ses méthodes ici au Canada. On ne corrige pas ces voies métaboliques avec des médicaments. On les corrige en fait au moyen des précurseurs et composés qui se trouvent normalement dans le corps humain. C’est en corrigeant ces voies que l’on corrige les symptômes.
Très rapidement, il se produit une montée de cortisol. Les gens qui éprouvent un grand stress sécrètent du cortisol. Et lorsque cela se produit, l’autre voie est pour la testostérone, qui n’est pas sécrétée. Une absence de testostérone dans le cerveau causera des troubles tels l'anxiété, l'insomnie, l'irritabilité et les problèmes de concentration. Le Dr Gordon a traité ces troubles reliés aux voies chez un homme dénommé Andrew Marr, et il a guéri tous ses symptômes, tout en élimant complètement ses besoins en matière de médicaments psychiatriques. À mon avis, c'est la direction qu’il nous faut prendre.
Merci.
Madame Jolibois, vous disposez de trois minutes. Nous aurons ensuite un rapide tour de questions de trois minutes chacune, avant de conclure notre réunion.
Merci.
Docteure Ritchie, je sais que votre réponse porte sur l’utilisation de la méfloquine.
Pouvez-vous nous décrire davantage le fonctionnement du système canadien actuel, pour me permettre de mieux comprendre si nous devons cesser ou continuer d’utiliser ce médicament?
Je crois comprendre que notre système canadien utilise toujours ce médicament, alors comment pouvons-nous poursuivre la discussion dans le but d’établir si nous allons continuer ou discontinuer l’usage de ce médicament?
Si vous le permettez, monsieur le président, les changements de politique que nous avons observés dans les forces armées des autres pays — les États-Unis, le Royaume-Uni — ont en général été le résultat ou le reflet d’une réévaluation du médicament effectuée par les instances réglementaires.
Aux États-Unis, à peu près au moment où l’armée a formellement déclaré qu’il s’agissait d’un médicament de dernier recours, la Food and Drug Agency a exigé qu’on place un avertissement en encadré sur les contenants. De même, une mise en garde semblable a été adoptée au Royaume-Uni et à travers l’Europe il y a quelques années, et le ministère de la Défense a déclaré qu’il s’agit d’un médicament de dernier recours.
À mon avis, toute réévaluation substantielle des politiques du Canada devrait examiner la possibilité de modifier l’étiquetage de la méfloquine. Au Canada, l'étiquetage de ce produit n'indique pas qu’il peut causer des effets permanents, et il ne stipule pas, comme on le fait dans les autres pays, qu’on doit cesser de le prendre dès le début de cauchemars ou de rêves anormaux.
Je dirais que l'on devrait mettre à jour l’étiquetage avant de procéder au réexamen des politiques. Cela dit, si le ministère de la Défense nationale et d'autres organismes sont d’avis qu'il y a suffisamment d'information sur les étiquettes pour justifier une action, même en l'absence d’une mise à jour, je crois qu’il serait alors entièrement raisonnable d’adopter une politique semblable à celles mises en place dans les autres pays.
Peut-être pourrais-je ajouter quelques observations. Je crois que le Dr Nevin et moi serions heureux de conseiller un groupe ou de le consulter, si vous en formiez un pour examiner cet enjeu. C’est souvent là où les choses commencent, par le biais d’une réévaluation de la science.
Il y a parfois des partis pris. Dans certains cas, les gens pensent qu’il s’agit encore une fois d’une réaction hystérique. Dans l’un des volets du travail que nous accomplissons à la Veterans Administration, un neurologue nous a carrément dit qu'il croyait que la méfloquine n’était pas toxique. Il a profondément bouleversé un patient et à sa femme en leur donnant cet avis. Il nous faut des universitaires, et des gens indépendants.
À titre d’exemple, aux États-Unis, nous avons l'Institut de médecine, un organisme qui pourrait rassembler les penseurs. Je recommanderai la création d’un genre de rassemblement, il s’agirait d’épidémiologistes, de gens qui font de la recherche sur le paludisme.
Je reviens à l'autre question au sujet des tests. Il nous importe de réfléchir au fait que les tests neuropsychologiques peuvent être très utiles, et d’identifier quels tests sont utiles dans le cadre de cet effort.
Merci.
Nous allons amorcer la prochaine série de questions de trois minutes chacune, et nous allons commencer avec Mme Wagantall.
Je suis ravi d’avoir entendu les paroles qui viennent d’être prononcées, qui soulignent votre désir de participer à la résolution de cette question au Canada, en partageant vos connaissances et en faisant partie de cette dynamique.
Or, de toute évidence, des gens seraient disposés à venir faire les études. Ce sont les gens qu’il nous faut étudier. Croyez-vous qu’un programme de sensibilisation à l’endroit de nos anciens combattants serait un volet important de ce processus, que cela nous permettrait d’obtenir les précisions dont nous avons besoin ici au Canada? Ce sont ces gens qui nous préoccupent relativement à cet enjeu.
Docteur Nevin.
Si vous le permettez, ce serait une campagne de sensibilisation spécifiquement à l’intention des anciens combattants qui auraient pu être affectés. Il s'agit d'une demande récurrente que font les groupes d'anciens combattants à l'échelle internationale. Nous savons que cette demande a été formulée en Irlande, au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie.
À mon avis, il serait utile de mettre en œuvre un tel programme de sensibilisation, lequel permettrait au gouvernement de démontrer qu’il reconnaît le problème, soit par l’entremise du ministère de la Défense ou du ministère des Anciens Combattants. Cela est essentiel ici, tout comme aux États-Unis où, pendant de nombreuses années, la méfloquine ressemblait en quelque sorte au Seigneur Voldemort, c'est à dire, qu’il s’agissait d’une chose dont-on-ne-devait-pas-prononcer-le-nom. On ne pouvait dire que ce médicament avait des effets néfastes. Aujourd’hui, les cliniciens qui avaient soupçonné pendant de nombreuses années que ce médicament avait blessé leur patient sont moins réticents à se manifester étant donné qu’on prend maintenant des mesures tangibles pour parrainer des études.
Je crois qu'un programme officiel de sensibilisation aurait l'avantage de permettre au gouvernement de dire clairement aux militaires, aux gens qui travaillent avec les anciens combattants et aux cliniciens qu’il prend la question au sérieux, qu’il appuiera les personnes affirmant que ce médicament aurait pu blesser un soldat. En outre, ce programme aurait l'avantage pratique de donner aux anciens combattants et aux soldats des informations qu'ils n'ont peut-être pas reçues. Les médias sociaux et les médias traditionnels ont leurs limites. À mon avis, on pourrait communiquer avec un bien plus grand nombre d’anciens combattants grâce à un tel programme.
Et, si vous le permettez, j’ajouterai rapidement qu’un tel programme pourrait rejoindre les proches, car ils sont souvent très préoccupés et profondément touchés. Ce serait d’un grand intérêt pour eux.
Pouvez-vous nous expliquer brièvement s’ils peuvent être traités pour le SSPT en même temps? Et s’il ne s’agit pas du SSPT, quelles sont les complications relatives à la prise de médicaments dans le cadre de ce traitement?
Désolé, il ne s’agit pas d’une question de 30 secondes.
Soyons clairs. À l'heure actuelle, je ne traite pas nécessairement le SSPT. Je traite les symptômes dont souffre la personne.
Qu'il s'agisse d'une lésion cérébrale traumatique, d'un syndrome de stress post-traumatique, d'une dépression majeure ou de la méfloquine, nous sommes limités à l'heure actuelle dans ce que nous pouvons examiner et analyser. Alors qu'est-ce que je fais? J'utilise mon régime actuel de médicaments et mes consultations pour traiter les symptômes avec lesquels sont aux prises.
Je dois vous dire que cette séance a été à la fois brillante et inquiétante, surtout pour moi, étant donné que je parraine une motion et un projet de loi d'initiative parlementaire qui portent sur l’encéphalopathie toxique, les tuyaux de plomb et les effets du plomb dans le développement des enfants. Nous savons que le plomb attaque le cortex préfrontal et entraîne des dommages irréparables au cerveau et, par conséquent, aux comportements et au potentiel de ces jeunes.
Vous avez parlé de l'imagerie cérébrale des soldats qui ont utilisé la méfloquine. L'imagerie cérébrale est-elle un indicateur clair?
Si je peux me permettre de reformuler la question : existe-t-il une méthode de test objective? Existe-t-il une modalité d'imagerie? Existe-t-il une sorte d’examen qui pourrait être administré aux anciens combattants pour savoir s'ils souffrent de ces effets chroniques?
Malheureusement, la réponse est non. À ma connaissance, il n'existe aucune modalité d'imagerie qui pourrait distinguer de manière fiable et valide entre les personnes qui en souffrent et celles qui n’en souffrent pas.
Je pense — et les autres témoins voudront peut-être ajouter quelque chose — qu'il existe certaines modalités d'imagerie qui pourraient être prometteuses conjointement avec d'autres tests. Mais pour le moment, le diagnostic, si vous voulez — et nous devrions reconnaître qu'il n'existe encore aucun diagnostic médical accepté à l’égard du syndrome de toxicité de la méfloquine. Un jour, il y en aura peut-être un. C’est principalement en clinique qu’on identifie les personnes qui souffrent de ce malaise en examinant leur historique, la date à laquelle les symptômes se sont manifestés, et la combinaison des signes et des symptômes.
Docteur Passey, les dossiers de service font-ils état de l’usage de la méfloquine, ou présume-t-on simplement que vous l'utilisiez probablement si vous étiez en Afghanistan ou en Somalie?
C'est une bonne question. En général, les dossiers doivent faire état des vaccins et des médicaments utilisés. Mais est-ce qu’ils en font état? Voilà une bonne question qu'il faudrait poser aux militaires. Lorsque je rentrerai chez moi, je vérifierai mon propre dossier pour voir si ces détails y figurent.
Enfin, en ce qui concerne la surveillance de ces drogues et médicaments, vous dites que vous devez les prendre, mais ils ne sont probablement pas pris devant un prestataire médical. À quel endroit un soldat déployé sur le terrain prendrait-il sa méfloquine?
Je crois que cela dépend de l'unité. Règle générale, ce médicament était distribué les vendredis par la pharmacie, pour l’essentiel.
Je suis curieuse. Docteure Ritchie, vous avez parlé du Dr Matchee. Comment puis-je obtenir des renseignements à son sujet? Il vit dans ma circonscription. Sa famille vit dans ma circonscription. Sa famille s'est manifestée pour obtenir de l'aide à ce sujet. Qui pourrait me fournir ces renseignements?
Monsieur le président, si vous me le permettez, j’ignore si la Dre Ritchie a parlé à la famille. J'ai parlé avec la femme de Clayton Matchee. J'ai également parlé avec un certain nombre de ses services et de ses membres. Je suis très sûr de pouvoir donner une opinion quant à savoir si son comportement au cours de cette période avait été en quelque sorte affecté par la drogue.
J'ai une très forte opinion à cet égard. Je ne sais pas s’il s’agit du bon endroit pour partager cette information. Ce qui est peut-être plus important, c'est que les informations dont nous disposons aujourd'hui, avec la documentation, la science, les récentes déclarations des organismes réglementaires admettant que ces médicaments avaient des effets, nous permettent d’évacuer plusieurs des points de confusion qui ont dominé cette discussion au cours des dernières décennies. Conséquemment, c’est sur une base beaucoup plus solide que nous pourrions convenir des événements de cette journée et du rôle qu’a joué le médicament dans ce cas particulier.
Merci.
Je crois que je poserai cette question à tous les membres du comité. Il m'a été signalé que certains anciens combattants aux États-Unis ont été indemnisés pour les conditions causées par la méfloquine.
A-t-on évalué le nombre de militaires indemnisé pour la même raison, et le montant des indemnisations? J’aimerais avoir une idée des chiffres et des modalités relatifs aux indemnités.
Encore une fois, si vous le permettez, sans parler de l'expérience canadienne en particulier, mais de celle à l'étranger...
Je peux répondre à cette question.
Aux États-Unis, nous avons la Veterans Administration qui approuve des réclamations d’invalidité pour des conditions comme le stress post-traumatique et les conséquences des traumatismes crâniens.
D'après mon expérience, bon nombre d'anciens combattants qui souffrent principalement des effets de la méfloquine peuvent recevoir une certaine compensation par le biais d’indemnités pour ces autres conditions. Il est possible que certains anciens combattants aient reçu un diagnostic erroné de syndrome de stress post-traumatique. En présence des effets de la méfloquine, s'interroger sur la validité du diagnostic devient une question théorique. D'autres personnes ont reçu des diagnostics erronés de lésions cérébrales traumatiques.
Par contre, les anciens combattants sont confrontés à de plus grandes difficultés lorsque les symptômes de toxicité de la méfloquine se manifestent, par exemple, principalement comme un trouble psychotique, ou principalement comme un trouble de panique, ou ce que l'on nomme parfois un trouble de l’adaptation. Les décideurs peuvent être moins enclins à accepter que le combat cause cette condition. Évidemment, cela souligne que nous n'avons pas encore de diagnostic à l’égard de ce qui est, à mon avis, un véritable syndrome.
Si jamais la communauté médicale formulait des critères de diagnostic formels pour ce syndrome tout en lui accordant une reconnaissance formelle, alors ce syndrome serait le même que celui pour lequel on offre une indemnité aux États-Unis. Je pense que de nombreuses années de recherches seront nécessaires avant que nous puissions nettement faire cette distinction.
Permettez-moi d’ajouter que les troubles mentaux sont les principales invalidités dont s’occupe l'Administration des anciens combattants. Ces troubles sont en grande partie liés au SSPT et à la dépression, et certains d’entre eux à la psychose. Selon mon expérience, il est relativement facile d'obtenir un diagnostic de santé mentale. Bien sûr, le DSM a changé. Dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, quatrième édition, le diagnostic de SSPT, à mon avis, a été rendu plus accessible. Je ne crois pas que le nombre réel d'anciens combattants ayant un diagnostic de santé mentale changerait beaucoup, pour paraphraser le Dr Nevin. Par contre, ce nombre risquerait fort de changer, si l'on ajoutait le fait d’avoir été exposé à la méfloquine et à la toxicité.
De plus, auparavant, pour recevoir un diagnostic de SSPT, on devait avoir participé au combat et été touchés par des événements traumatisants. De nombreuses personnes qui prenaient de la méfloquine n’ont pas nécessairement participé au combat ou été touchées par des événements traumatisants. Il est possible qu’ils n’aient pas reçu un tel diagnostic, car ils n’étaient pas réellement dans une zone de guerre, et qu’ils étaient, mettons, dans la Corne de l'Afrique ou dans un endroit semblable.
Merci.
C’est tout le temps dont nous disposons aujourd’hui pour les questions.
Nous pouvons accorder une minute à chaque témoin pour conclure.
Nous commencerons avec le Dr Passey.
Avez-vous des observations finales?
Je crois que dans toute la question entourant les troubles de santé mentale, je n'aime pas le terme, il s’agit plutôt de troubles du cerveau. Qu’ils soient causés par la toxicité des produits chimiques, ou la toxicité des expériences cumulatives ou traumatiques, ils ont une incidence négative sur le cerveau et c'est le sujet qui devrait nous préoccuper. Le terme « diagnostic » n'est pas aussi important que l'effet réel et le degré de dysfonction que nous observons chez nos anciens combattants. Nous devons nous examiner de nouvelles approches relatives à notre capacité de diagnostiquer et de traiter ces troubles.
Oui.
Tout d’abord, cette discussion est vraiment passionnante. J’ai souvent travaillé avec les Forces canadiennes et dans divers endroits. Je voudrais poursuivre la conversation.
Au niveau du SSPT et du suicide, nous avons observé que les États-Unis, avec un plus grand nombre d’effectifs militaires, ont souvent été les premiers à percevoir les problèmes. Je crois que c’est que l’on a observé relativement à la méfloquine; toutefois, nous constatons que l'Australie, le Royaume-Uni et le Canada auront les mêmes problèmes que nous d’ici quelques années.
Je désire vraiment vous féliciter tous d’avoir eu assez de courage pour participer à cette conversation.
Merci beaucoup, monsieur le président.
C'est un grand honneur pour moi d’avoir été invité à prendre la parole devant le comité aujourd'hui. Originaire du Canada, je suis né et j'ai grandi à Toronto. Je suis vraiment ravi de pouvoir revenir chez moi pour aider le comité dans son examen de cette question importante.
Je vois quelques domaines d'actions prioritaires. Comme je l'ai mentionné, Santé Canada devrait être encouragé — à travers toutes ses autres responsabilités, je le reconnais — à réexaminer l'étiquetage de ce médicament. Si le ministère des Anciens Combattants estime que d'autres mesures sont nécessaires, il faudra faire de la recherche, de la recherche et encore de la recherche. Le financement est nécessaire pour motiver les cliniciens, les médecins, et les scientifiques, à déployer les efforts nécessaires pour réaliser une enquête approfondie.
Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur le président.
Merci. Au nom du Comité, je tiens à remercier tous les témoins de leurs excellents témoignages aujourd'hui.
Encore une fois, si vous désirez faire parvenir d'autres documents au comité, vous pouvez les envoyer au greffier par courriel et le greffier nous les transmettra.
M. Bratina propose une motion d'ajournement.
La séance est levée.
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