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ACVA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des anciens combattants


NUMÉRO 045 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 6 mars 2017

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

    Bon après-midi, tout le monde.
    J'aimerais déclarer la séance ouverte. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 29 décembre, le Comité reprend son étude de la santé mentale et de la prévention du suicide chez les vétérans.
    Pendant la première heure, nous recevons Roméo Dallaire, un lieutenant-général et sénateur à la retraite, Scott Maxwell, de l'organisme Wounded Warriors, et le brigadier-général à la retraite Joe Sharpe.
    Nous allons commencer par entendre une déclaration de 10 minutes, puis nous passerons à la période des questions.
    Bon après-midi, messieurs. Merci de témoigner devant nous aujourd'hui. La parole est à vous.
    Merci, monsieur le président, et mesdames et messieurs, de me recevoir dans ces lieux opulents. J'ai eu du mal à m'y retrouver. Je suis très content pour vous. Il était grand temps que ces travaux soient effectués. Vous avez fait du bon travail avec votre personnel pour améliorer votre qualité de vie et atteindre vos missions.
    Je vais lire une courte déclaration. J'espère qu'elle sera courte, ou je vais faire ce que mes amis du Corps des Marines m'ont enseigné: je vais accélérer la cadence.
    Je suis accompagné de deux collègues.
    Joe Sharpe et moi avons participé activement à la rédaction de la politique du Parti libéral sur les anciens combattants et travaillons avec les anciens combattants depuis plus de 10 ans à l'élaboration de mesures précises et de politiques. Nous nous penchons également sur des cas particuliers, et 10 ans avant cela, nous avons travaillé avec le sous-ministre à l'époque, l'amiral Murray. Il avait un comité consultatif, présidé par le Dr Neary, qui a rédigé le livre sur la première Charte des anciens combattants de 1943. Nous avons passé 10 années à travailler ensemble au sein de cette équipe multidisciplinaire. Nous étions également camarades de classe au Collège militaire royal, mais il est décédé.
    Scott Maxwell est le directeur exécutif de Wounded Warriors Canada. Je suis le président d'honneur de Wounded Warriors Canada, qui est de loin, à mon sens, l'entité axée sur l'altruisme et sur la philanthropie qui consacre une grande partie de ses ressources sur le terrain pour venir en aide aux blessés, et principalement à ceux qui souffrent de blessures psychologiques. Je fais allusion à des programmes comme des programmes d'aide au moyen d'animaux, des programmes équestres et le programme de formation des anciens combattants que nous offrons à l'Université Dalhousie avec mon initiative Enfants soldats, où nous formons des anciens combattants pour qu'ils puissent retourner sur le terrain et former d'autres militaires sur la façon de gérer la situation des enfants soldats et de réduire les pertes de vie. Ils suivent un programme officiel d'un mois avec nous à l'Université Dalhousie. Nous pourrons en discuter lorsque nous aborderons les programmes disponibles.
    Je vais me reporter, si vous le permettez, à une correspondance que j'ai eue avec le commandant en chef — soit le gouverneur général — lorsque j'étais sénateur après mon service dans l'armée et que je menais plusieurs activités avec lui — son épouse contribuait grandement aussi — concernant les soins aux anciens combattants blessés, et surtout ceux souffrant de blessures psychologiques. Je veux me servir de cette correspondance pour vous donner une idée de la situation.
    Je tiens d'abord à vous remercier de nous permettre, mes collègues et moi, d'être des vôtres aujourd'hui pour discuter de la prévention du suicide parmi les membres des Forces armées canadiennes et les anciens combattants, tant ceux qui servent toujours dans les forces — et ils sont nombreux — que ceux qui ont été libérés et sont des civils dans la société canadienne. Je vous félicite de votre engagement à l'égard du bien-être de ces individus et de leurs familles, et c'est un honneur pour moi de vous faire part de mes réflexions sur la façon dont nous pouvons réaliser des progrès pour trouver des solutions au problème des personnes qui s'enlèvent la vie parce qu'elles sont blessées.
    Comme je l'ai mentionné à d'autres occasions, publiquement et à d'autres tribunes, j'ai mis sur pied au fil des ans une équipe de conseillers de divers milieux qui connaissent très bien les forces et Anciens Combattants. Ce groupe de conseillers travaille à élaborer des recommandations stratégiques et des outils de sensibilisation qui nous ont permis de maintenir une vue d'ensemble bien documentée et éclairée des problèmes auxquels sont confrontés nos militaires — plus particulièrement ceux qui ont retiré leur uniforme — , et surtout en ce qui concerne les blessures liées au stress opérationnel. Je tiens à préciser que je ne fais pas référence forcément à tous les problèmes de santé mentale; je me concentre sur les blessures liées au stress opérationnel. C'est le principal problème des blessés. C'est le noeud du problème. C'est la lacune opérationnelle que nous constatons à l'heure actuelle.
(1535)
    Parmi ceux qui s'engagent dans ce dossier — je veux vous les nommer, car ils sont tellement dévoués—, il y a le sergent Tom Hoppe et le major Bruce Henwood, tous les deux à la retraite, le Dr Victor Marshall, Mme Muriel Westmorland, Joe Sharpe, qui est ici avec nous, et Christian Barabé. Au fil des ans, ils ont travaillé avec moi pour faire connaître la situation des anciens combattants et m'ont également aidé lorsque j'étais le président du Sous-comité des anciens combattants au Sénat.
    Nos recherches, nos réflexions et nos travaux nous ont amenés à constater que les blessures liées au stress opérationnel, plus particulièrement, peuvent être et sont trop souvent fatales à ceux qui en souffrent. De plus, les conséquences durent souvent toute une vie pour ceux qui ne réussissent pas à s'enlever la vie. Des organismes de soutien par les pairs nous ont fourni dans le passé des statistiques démontrant que les pairs ont été en mesure de prévenir une tentative de suicide par jour, par l'entremise du programme de soutien par les pairs, sans compter les structures plus officielles du système médical.
    Bien entendu, cela inclut les effets dévastateurs pour les familles et ceux souffrant de blessures liées au stress opérationnel. Je crois qu'une approche pangouvernementale exhaustive qui fait participer la société peut apporter d'importantes solutions à ce grave problème d'autodestruction chez les gens afin qu'ils fassent plutôt des progrès notables et qu'ils puissent, à long terme, avoir une vie décente.
    La santé mentale des anciens combattants et des membres actuels des forces et d'Anciens Combattants Canada, est un continuum qui est présenté en tant que question clinique à laquelle la structure de commandement globale participe peu. C'est essentiellement la façon dont les gens sont habitués de vivre, leur contexte culturel, qui est une chaîne de commandement et un mode de vie très structuré. Les dimensions cliniques, thérapeutiques et médicales ont pris préséance sur le problème des blessures liées au stress opérationnel, mais aussi sur le règlement éventuel des conflits qui amènent les gens à s'auto-détruire. La chaîne de commandement a été laissée de côté, si bien qu'il était impossible de savoir ce qui se passait. Les troupes retournaient dans leurs unités sans avoir d'information sur leur état d'esprit pour des raisons de confidentialité ou d'une incapacité de contourner le système d'accès à l'information ou les droits à la protection de la vie privée relativement à la Charte.
    Ce faisant, la chaîne de commandement est devenue déconnectée de la réalité des blessés, ce qui est complètement contraire à tout ce qu'on nous a enseigné. J'ai passé ma vie au commandement d'un peloton ou d'une troupe de 30 militaires, et de la 1re Division du Canada composée de 12 000 membres, en temps de paix comme en temps de guerre. Le commandement, c'est comme une grossesse. Vous êtes en charge en tout temps du commandement pendant votre mission. C'est jour et nuit et, lorsque le bébé naît, vous êtes toujours là, au commandement. Que ce soit en garnison ou dans des théâtres d'opérations, la chaîne de commandement ne peut pas divorcer de la responsabilité ultime de veiller au bien-être des membres et de la structure de commandement afin de s'assurer que les familles sont intégrées dans la structure de soutien.
    Je répète que les familles doivent être intégrées à cette structure de soutien. Ce n'est pas une question de coopérer avec les familles ou de les aider; il faut les intégrer à l'efficacité opérationnelle des forces. Pourquoi? C'est parce que les familles vivent les missions avec nous. Dans mon cas, j'étais blessé à mon retour. J'ai été jeté hors des forces alors que j'étais blessé. Ma famille était blessée. Ma famille n'était plus la même que celle que j'avais laissée à mon départ parce que les médias leur font vivre les missions avec nous.
    Par conséquent, si vous utilisez n'importe quelle de ces politiques qui n'intègrent pas pleinement les familles, y compris les politiques du MDN et des Forces armées canadiennes, pour les anciens combattants actifs et ceux à la retraite, et par l'entremise d'Anciens Combattants Canada, vous vous retrouverez avec certaines des statistiques que j'ai mentionnées — qui sont encore empiriques cependant.
(1540)
    J'ai participé au dernier forum sur la recherche en santé mentale chez les militaires à Vancouver, où j'ai présenté un mémoire dans lequel nous soutenions que les familles qui souffrent de stress et éprouvent des difficultés, les familles dont des membres souffrent de problèmes de santé mentale et les personnes affectées ne reçoivent pas le soutien dont elles ont besoin. Nous voyons maintenant des adolescents, mis à rude épreuve dans des conditions de stress extrême, qui se suicident. Il n'y a pas que les militaires; il y a aussi des membres des familles de ces militaires qui n'arrivent pas à vivre avec ce qu'ils ont vu et qui s'enlèvent la vie.
    Nous devons absolument déceler les premiers signes de détresse psychologique, et nous encourageons les membres à demander de l'aide par l'entremise des programmes de soutien offerts par l'armée, Anciens Combattants Canada, des organismes externes comme Wounded Warriors Canada et les programmes de formation sur la transition des anciens combattants que nous offrons. Ces programmes leur permettent de trouver un emploi dans un domaine qui se rapproche le plus possible de leur expérience. Pourquoi essayer de changer complètement une personne de domaine alors que nous pouvons tirer parti de son expérience? Pourquoi ne pas trouver à ces gens un emploi ou des contrats dans un secteur d'activités qu'ils connaissent et dans un milieu auquel ils ont prêté allégeance, à savoir les forces armées? Nous avons retiré l'uniforme, mais nous ne cessons pas vraiment de le porter, car nous continuons de le porter dans notre coeur. Alors pourquoi les dissocier de ce milieu? Pourquoi ne pas trouver des programmes qui leur permettront de travailler dans un domaine qui s'apparente davantage à leur expertise?
    Je vais écourter mes remarques par manque de temps. Je tiens simplement à dire que des initiatives sont mises de l'avant. La directive stratégique sur la prévention du suicide du chef d'état-major de la défense de janvier 2017 est certainement le meilleur document que nous avons vu depuis longtemps. Il fait clairement état que la chaîne de commandement est la source même de la prévention. Toutefois, lorsqu'on se met à lire les tenants et aboutissants, on constate que les professionnels de la santé ont mis le doigt sur le bobo et, je dirais, en minimisent la gravité. Ils sont censés appuyer la chaîne de commandement, et non pas la créer.
    Je vais terminer en vous présentant les recommandations suivantes pour que nous puissions avoir le temps de discuter. Mes collègues pourront vous donner plus de détails et répondre à vos questions. J'espère que vous n'y verrez pas d'inconvénient.
    Tout d'abord, la directive de la stratégie de prévention du suicide des Forces armées canadiennes doit être financée, mise en oeuvre et validée. Au besoin, nous pouvons adopter celle que nous avons adoptée après la Somalie. Il faut créer des comités de surveillance ministérielle qui relèvent du ministre. C'est ce que nous faisons depuis près de trois ans. J'étais le sous-ministre adjoint du personnel à l'époque. Pendant trois ans, nous avons eu six comités de surveillance qui ont rendu des comptes au ministre tous les deux mois sur la mise en oeuvre de ce type d'initiatives. Il n'y a rien de mal à assurer une surveillance politique de la mise en oeuvre des initiatives en cas de crise comme celle-là.
    En ce qui concerne le cadre et la stratégie de prévention du suicide d'Anciens Combattants, je ne les ai pas vus. Je ne sais pas ce qu'ils renferment. Ce cadre et cette stratégie devaient être mis en place. C'est essentiel, car le ministère compte des anciens combattants qui sont à l'extérieur des forces, mais aussi un grand nombre d'anciens combattants qui sont à l'intérieur des forces. Ce cadre et cette stratégie sont essentiels et devraient être financés et mis en oeuvre.
    Le troisième volet de cette orientation stratégique est ce que l'on appelle la stratégie commune de prévention du suicide des Forces canadiennes et d'ACC. C'est là où nous voulons que les deux ministères collaborent. Au MDN, c'est ce que l'on dit. C'est ce que les FAC veulent. Je n'ai pas vu cette stratégie non plus. C'est celle qui empêchera les gens de passer entre les mailles du filet. C'est ce qui assure le continuum. C'est là où la loyauté n'est pas perdue et où les gens continuent à s'engager.
    Cette troisième stratégie doit exister — et être mise en oeuvre, évaluée, mais également validée six ou huit mois plus tard. Cette validation doit obliger les gens à rendre des comptes. C'est pourquoi je vais répéter que, dans ces comités de surveillance ministérielle, il n'y a rien de mal à afficher les conclusions en ligne et à offrir de l' aide.
(1545)
    Je pense qu'Anciens Combattants Canada doit reconnaître les décès causés par les blessures liées au stress opérationnel, comme il l'a fait pour les 158 militaires qui ont été tués outre-mer ou n'importe quel autre membre qui a été tué au combat. Si nous prouvons qu'une blessure liée au stress opérationnel a causé le décès d'un individu, cet individu fait partie des statistiques. Nous n'avons pas perdu 158 militaires. Nous en sommes à quelque 200 décès maintenant. Alors pourquoi n'utilise-t-on pas ce nombre?
    Imaginez qu'un membre revient pendant quatre ans et qu'on le perd. Après quatre ans à s'efforcer de le sauver, on le perd et il n'y a aucune réelle reconnaissance. On ne reconnaît pas son service, autrement que par la remise d'une médaille.
    Maintenant que vous avez transféré les centres de ressources pour les familles des militaires au ministère des Anciens Combattants, venez en aide aux familles par l'entremise de ces centres également. Insistez sur cette ressource. Ces centres prennent soin des familles. Laissez-les s'occuper de cet aspect pour Anciens Combattants Canada et les FAC, car ils le font déjà.
    Enfin, offrez aux anciens combattants des emplois rémunérateurs dans des domaines qui se rapprochent le plus à l'expérience qu'ils possèdent, à leur loyauté envers l'armée ou au milieu militaire. Pourquoi essayer de les changer pendant qu'ils sont déjà dans une situation de crise?
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup.
    Nous allons entamer la première série de questions.
    Nous allons commencer avec M. Kitchen.
    Merci, monsieur le président.
    Général, merci énormément d'avoir servi notre pays et de vous engager dans cet important dossier.
    J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus, si vous le pouvez, sur la chaîne de commandement. Pouvez-vous nous donner des suggestions quant à la façon dont nous pouvons gérer le défi de la chaîne de commandement? Avec ce dont vous nous avez fait part aujourd'hui, c'est probablement la première fois que nous recevons un témoin au Comité qui aborde les conflits existant entre la chaîne de commandement et la santé mentale, la présentation clinique. Pouvez-vous nous donner des idées sur la façon dont nous pouvons concilier les deux?
    Je vais laisser mes collègues prendre la parole également.
    La réponse immédiate est que la chaîne de commandement doit être informée. En ce qui concerne la confidentialité, on ne peut rien y faire, mais on ne peut pas laisser des gens être transférés sous la responsabilité d'un autre organisme, même aux unités de soutien conjointes où ils ont été transférés ou renvoyés. Le commandant de l'unité, qui est responsable de la vie des militaires sur le terrain, est également responsable du commandement des militaires de retour au pays. On ne peut pas simplement les renvoyer dans leur unité sans fournir des renseignements aux commandants. Ils n'ont aucune idée de la façon de gérer ces cas, car ils ne connaissent pas la gravité de la blessure dont souffre l'individu.
    Nous avons tous des médecins dans nos régiments, dans nos unités. À moins qu'il y ait un moyen que ces médecins puissent fournir ces renseignements et que l'on puisse les communiquer au niveau le plus bas, si l'on veut favoriser le retour des individus blessés dans une unité, il faut informer les gens de leur présence. Les gens ne savent pas quoi faire avec eux. Cela les isole davantage et les pousse davantage à vouloir mettre fin à leur vie.
    Une voix: Je suis d'accord.
    L'hon. Roméo Dallaire: Joe?
(1550)
    Je vais répéter le point que le général Dallaire a soulevé plus tôt, à savoir que c'est une question de leadership, et non pas une question médicale. Je pense que c'est un refrain auquel je reviendrais sans cesse.
    Les cloisons, si je peux m'exprimer ainsi, créent des obstacles aux soins. C'est une grande préoccupation ici. Pour utiliser les statistiques de 2015, 13 des 14 suicides recensés en 2015 ont été commis par des gens qui avaient demandé de l'aide au cours de l'année précédant leur suicide, et 10 d'entre eux se sont enlevé la vie dans les 30 jours précédant leur suicide.
    Il y a un message de leadership à faire passer ici. Il y a une occasion d'intervenir, et je pense que c'est un flux d'information qui crée cet obstacle. Lorsqu'un membre fait la transition vers Anciens Combattants, c'est une autre cloison. C'est un autre obstacle. C'est un obstacle qui nous empêche de régler le problème.
    Nous entendons beaucoup parler d’obstacles et c’est là le principal problème; il existe plusieurs obstacles. À mon avis, la chaîne de commandement en est un autre exemple. En tant que clinicien, comment puis-je respecter mon serment d’Hippocrate lorsque je dois composer avec la chaîne de commandement? Donc, je vous remercie pour ces commentaires.
    Général Dallaire, vous avez parlé brièvement des enfants-soldats. C’est un problème important, cela ne fait aucun doute. Nous avons tous les deux participé à la conférence de l’ICRSMV. Une déclaration faite lors de cette conférence m’est restée en mémoire: souvent, les soldats sont confrontés avec une contradiction violente de leurs attentes morales. Alors que nous tentons de lutter contre ce problème, et nous pourrions y être à nouveau confrontés, nous réalisons que, pour beaucoup de nos soldats, c’est un conflit énorme.
    J’aimerais vous entendre sur le sujet. Je sais qu’une stratégie a été proposée…
    Oui.
    Vous y avez participé.
    Nous y travaillons depuis deux ans avec l’Armée canadienne, en particulier, et aussi avec l’OTAN. Nous avons mené des recherches en Afrique, car mon institut, la Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative, basée à l’Université Dalhousie, est axé sur le terrain. Nous formons des forces armées et policières de différents pays pour les envoyer dans des zones de conflit.
    Nous avons réussi à influencer le contenu de l’Armée canadienne en faisant de celle-ci la première armée au monde à adopter officiellement une nouvelle doctrine… Une doctrine, c’est une référence à partir de laquelle on élabore des tactiques, crée des organisations, fabrique des équipements et offre la formation nécessaire pour accomplir des missions. En adoptant officiellement cette doctrine, l’Armée canadienne est devenue une chef de file mondiale à ce chapitre. Nous allons amorcer la formation des formateurs pour faire progresser cette stratégie.
    Cette doctrine est particulièrement importante, car dans tous les conflits, les enfants servent de système d’arme principal. On parle d’enfants de 9, 10, 11, 12, 13, 14 ou 15 ans. Tous ces conflits posent un dilemme éthique, mais aussi moral pour les soldats. C’est ce que nous…
    Nous avons toujours cru que les embuscades et accidents étaient les plus difficiles à vivre, mais en réalité, c’est le dilemme moral et la destruction du moral d’avoir à affronter des enfants.
    Un sergent m’a approché à Québec, où je vis. Il avait l’air bien. Il m’a parlé de cinq missions et la conversation allait bien. Je lui ai demandé quel était son travail au sein du bataillon et il a fondu en larmes, là, au beau milieu du centre commercial. Il était incapable de parler. Il bégayait. Il vacillait et pleurait. Je l’ai pris à part et il m’a dit: « Je faisais partie du peloton de reconnaissance. Mon travail consistait à empêcher les bombes humaines d’atteindre les convois. » Il m’a dit: « Vous savez, c’était il y a quatre ans et je n’ai toujours pas serré mes enfants dans mes bras. »
    Nos pertes sont énormes, car nous ignorons comment composer avec les enfants-soldats. Cette doctrine nous permettra de faire des progrès à ce chapitre et nous participerons à ce programme de formation.
    Merci.
    Madame Lockhart, vous avez la parole.
    Merci, messieurs.
    Merci, général, de votre service et d’avoir accepté de venir répondre à nos questions.
    J’aimerais parler d’une citation tirée de votre livre Premières lueurs. Vous dites:
Personne ne comprenait ce que je faisais à l’époque. Pas même moi. Personne ne m’a dit que j’étais blessé et je ne croyais pas l’être, quoique demander à être relevé de mon commandement pesait lourd sur mes épaules. Extérieurement, j’étais toujours engagé, déterminé, stable. Intérieurement, le stress que je m’imposais m’écrasait et venait s’ajouter au stress que j’éprouvais dans mon travail.
    Anciens Combattants peut-il faire quelque chose pour intervenir lorsqu’un soldat se trouve dans un tel état d’âme pour prévenir ou interrompre la progression de cet état vers le suicide?
(1555)
    Dans le cas de la maladie mentale, surtout les blessures de stress opérationnel, la blessure s’aggrave au fil des ans. Si vous perdez un bras, vous le savez. Le but est ensuite de trouver une prothèse qui vous aide autant que possible. Si l’on n’affiche pas le même sentiment d’urgence dans le cas des blessures de stress opérationnel en reconnaissant ces blessures et en les traitant, celles-ci s’aggravent et deviennent plus difficiles à définir et à guérir.
    Il m’a fallu quatre ans avant de toucher le fond. J’ai perdu un de mes officiers 15 ans plus tard et après avoir suivi des traitements. Il y a un vide. On ignore comment amener ces gens à cesser de vivre comme s’ils n’étaient pas blessés, à faire fi des préjudices.
    Nous croyions avoir mis fin à ces préjudices en disposant de forces armées d’expérience, et ce fut le cas jusqu’à tout récemment. Maintenant, beaucoup plus de civils sont touchés. Nous revivons ce que nous avons vécu dans les années 1950. À l’époque, beaucoup de vétérans étaient touchés, mais aussi beaucoup de civils. Il y avait des frictions entre les deux groupes et les gens disaient: « Ah, je ne serais pas touché de la sorte. » Nous n’avons pas reconnu les blessures de stress opérationnel. Alors, les soldats se sont mis à consommer de l’alcool jusqu’à en mourir ou ils ont quitté les forces. Ils sont devenus des sans-abri et sont morts dans la rue, car nous les avions abandonnés. Seule exception: la Légion. La Légion a beaucoup aidé, mais il y avait beaucoup de problèmes d’alcool.
    Nous n’avons pas la capacité de discerner ces problèmes tôt et de les traiter de manière progressive.
    La première fois que j’ai suivi un traitement, on m’a offert huit séances. Cela fait maintenant 14 ans que je suis un traitement. Je consulte encore un psychiatre et un psychologue et je prends encore neuf pilules par jour. C’est ce qui me permet d’être qui je suis.
    Cependant, il y a des moments difficiles. Par exemple, la semaine dernière, la version française de mon livre est parue et ma réaction a été catastrophique. La rédaction de ces livres nous ramène toujours en enfer. Ils sont sans valeur réelle pour moi, mais j’espère qu’ils seront utiles pour d’autres.
    Il faut trouver une façon d’empêcher ces maladies de s’aggraver. Il ne suffit pas de les identifier; il faut aussi les empêcher de s’aggraver. Si nous n’intervenons pas tôt dans le processus, ces maladies s’aggraveront.
    Chez Wounded Warriors Canada, nous voyons deux problèmes concurrents. D’abord, il y a la frustration que l’on ressent lorsqu’on demande à un diplômé d’un de nos programmes de nous parler de ses blessures… J’aimerais simplement ajouter une chose aux propos du général. La majorité des blessures, lorsque les gens se sentent à l’aise de nous dire quand elles sont survenues, découlent d’une interaction quelconque avec des enfants.
    Ensuite, ces gens mettent habituellement entre 8 et 10 ans après avoir subi leur blessure ou après l’incident qui a causé la blessure avant de demander ou de recevoir l’aide qu’ils méritent. Vous pouvez imaginer la vie qu’ils ont vécue et l’impact sur leur famille pendant cette période avant qu’ils ne prennent des mesures pour traiter leur blessure.
    Un autre problème que nous avons remarqué après avoir écrit pour dire à ces gens de chercher de l’aide, de s’auto-identifier et de communiquer avec leurs pairs, c’est que, comme le problème est plus connu et abordé et que plus de gens se sentent à l’aise de demander de l’aide, nous recevons de plus en plus de demandes d’aide. Cela signifie, pour des programmes comme les nôtres, qu’il y a maintenant une liste d’attente pouvant aller jusqu’à deux ans. Il y a un grave problème d’accès au Canada. C’est bien que les gens demandent de l’aide, mais vous pouvez imaginer l’impact sur leur santé mentale et générale et sur leur famille s’ils ne peuvent pas obtenir l’aide nécessaire.
    L’enjeu est gros; c’est un problème très sérieux.
    Merci.
    Je crois que mon temps est écoulé, mais c’était très bien, merveilleux, même.
(1600)
    Madame Mathyssen, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation. Nous vous remercions beaucoup de votre expertise et de votre franchise, car il s’agit d’un enjeu très important.
    Nous devons aller au fond des choses dans ce dossier. Des vétérans nous ont fourni énormément d’information que contredisent les spécialistes ou les gens d’ACC ou du MDN. C’est frustrant et cela remet en question notre capacité à faire ce qu’il se doit. J’aimerais aller au vif du sujet.
    Au cours du week-end, je me suis entretenue avec des vétérans sur la côte Ouest. Ils m’ont dit qu’évidemment, ils cachent leurs blessures et nient être blessés, car cela se traduirait par leur libération des forces. Ils se retrouveraient exclus d’une confrérie, d’une famille dont ils ont besoin.
    Ils m’ont dit que des membres actifs au sein des Forces canadiennes pensent eux aussi au suicide. Cela ne se limite pas à ceux qui ont été libérés. Des membres actifs aussi pensent au suicide, mais cela est géré à l’interne et ces gens sont poussés vers la sortie de façon à ce que, s’ils se suicident alors qu’ils ne sont plus dans les Forces canadiennes, le MDN n’ait pas à rendre de comptes sur leur mort.
    C’est frustrant. Je suis convaincue qu’il y a des opinions divergentes sur la question, mais un fait demeure: le lien de confiance a été brisé. Les vétérans avec qui je me suis entretenue étaient en colère et ils m’ont parlé des éléments déclencheurs, de toute la paperasse et de leur insécurité financière. Ils ont quitté les forces sans pension ou sans soutien financier, ne sachant quoi faire, et se disaient que la seule option pour eux était de mettre fin à leurs jours. Ils avaient l’impression d’être inutiles pour leurs familles. Soit ils se cachaient dans un sous-sol, soit ils s’en prenaient violemment à quelqu’un.
    Que pouvons-nous faire? C’est un dilemme. Comment tendre de nouveau la main à ces vétérans? Comment rétablir la confiance?
    Général, vous avez parlé de cette étude. Y avons-nous accès, à cette étude du CEMD, à cette stratégie dont vous parliez? Y avons-nous accès?
    Vous avez parlé également de mesures qui devraient être prises en matière de santé mentale et vous dites ignorer où nous en sommes à ce chapitre. Tout cela nous pousse à nous demander ce qui se passe, ce qu’il advient des services de soutien et quand nous pouvons nous attendre à avoir une réponse sincère qui satisfait aux besoins de ces vétérans.
    Je sais que j’ai dit beaucoup de choses et que je n’ai pas vraiment posé de questions, mais j’aimerais connaître votre opinion.
    Je n'ai pas l'habitude d'être bref, moi non plus, alors, ne vous en faites pas.
    Je dirai d’abord ceci. Après des années de travail sur le sujet, nous avons conclu que s’il n’y a pas une atmosphère d’engagement au pays, au sein de la population canadienne et au sein des gouvernements — et je parle aussi du milieu parlementaire, qui semble vouloir s’engager, mais aussi de la bureaucratie, qui ne semble pas nécessairement vouloir s’engager —, et non un contrat social, car cela implique une négociation, tout comme la Charte des anciens combattants actuelle…
    C’est moi qui ai fait adopter cette charte au Sénat, en l’espace d’une journée et demie, et je le regrette depuis, car elle ne tient pas compte des 10 années de travail que nous avons menées. C’est un document bureaucratique pour tenter de faire des économies et qui lie les mains du ministre en raison de tous les règlements qu’il contient. Il s’agit d’un nouveau phénomène dans le domaine de la législation. Auparavant, il n’y avait rien de la sorte. Aujourd’hui, il y en a partout dans la législation.
    Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle charte. Il suffit d’effectuer une réforme importante de la charte actuelle de façon à ce que ces hommes et femmes puissent obtenir des réponses appropriées en temps opportun. D’ici là, il y aura des problèmes.
    La seule façon de les convaincre, c’est de croire sincèrement que le gouvernement est responsable de ces gens du début à la fin, et non jusqu’à 65 ans et non de façon limitée, qu’il s’engage à assumer une responsabilité illimitée, qu’il reconnaît que les soldats sont revenus blessés et que certains sont morts et que, bien entendu, leurs familles ont été touchées et qu’il prendra soin d’elles jusqu’à la fin.
    Sans cela, vous n’arriverez pas à faire renaître leur confiance. Tout cela a commencé avec le syndrome de la guerre du Golfe. Nous avons tout fait pour les empêcher d’obtenir quoi que ce soit. Tous les avocats et membres du personnel médical en ville ont avancé des arguments pour justifier leur décision de ne pas prendre soin de ces gens. Cela a fragilisé leur engagement opérationnel. Est-ce que je veux être blessé? Cela a aussi ébranlé les familles et, en réaction, elles ont créé un vide d’expérience en demandant à leur proche de quitter les forces.
(1605)
    Monsieur Eyolfson, vous avez la parole.
    Non, non. Merci. J’aurai une autre occasion.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup de votre service et d’avoir accepté de venir nous parler de suicide. C’est un sujet important que nous avons en commun. Je pratique la médecine depuis 20 ans et je vois aussi ce problème dans ma profession. Lorsque j’étais résident, il y a eu trois suicides à mon école de médecine en l’espace de 15 mois. Je suis sensible aux professions où le suicide est un problème.
    Les préjugés contre ceux qui demandent de l’aide sont un autre problème que nous avons en commun. Il y a une place en enfer pour celui qui a dit: « Médecin, guéris-toi toi-même. » Cette attitude a causé beaucoup de dommages. Les militaires vivent probablement la même situation.
    Nous savons que les gens hésitent à demander de l’aide, qu’ils craignent d’avoir l’air faibles et de ne pas avoir ce qu’il faut. Selon vous, depuis votre départ des forces, y a-t-il moins de préjugés par rapport aux TSPT?
    Je vais laisser Joe vous en parler plus longuement, mais je tiens seulement à vous mentionner que je me considère... étant donné que j'ai un psychiatre et un psychologue. Je reçois des soins et du soutien par les pairs. Je ne m'en cache pas. Si vous étiez un docteur que je consultais pour mon cancer, je parlerais de vous, et je dirais que vous êtes un idiot ou un très bon docteur, que je vous adore, etc. Nous parlons de ces docteurs. Pourquoi ne parlons-nous pas de nos psychiatres et de nos psychologues? C'était le cas dans certains films au début des années 1970.
    Nous devons rendre cela aussi honorable que toute autre blessure, ce qui éliminera les préjugés. Nous commençons à assister à une recrudescence des tensions au sujet des préjugés, ce que nous pensions avoir passablement réussi à éliminer grâce au changement de culture, dont Joe parle, par les non-vétérans qui sont incapables d'accepter quelque chose qu'ils ne peuvent pas voir. Ils sont très darwiniens; ce sont des types de personnes très visibles dans l'armée, parmi les premiers répondants et toute personne qui porte un uniforme: les policiers, les pompiers, etc. Si nous ne pouvons pas le voir, ils ne peuvent pas accepter qu'une personne ne soit pas à 100 %.
    Pour ce faire, il faut sensibiliser les gens et les former.
    J'aimerais seulement ajouter un très bref commentaire à l'intervention du général Dallaire.
    Nous parlions plus tôt aujourd'hui d'un jeune militaire avec lequel j'ai travaillé jeudi dernier; ce jeune caporal m'a avoué très candidement être atteint d'un état de stress post-traumatique et recevoir des soins à ce sujet, mais il m'a dit: « Monsieur, la haute direction de l'organisation dit tout ce qu'il faut. » C'est un engagement honnête que prend la haute direction des Forces armées canadiennes. Ce jeune fantassin est en voie d'être libéré. Il a dit: « Sur le terrain, les sergents et les adjudants n'en croient pas un mot. Pour eux, c'est de la bouillie pour les chats. Si vous demandez de l'aide au sein de votre peloton ou de votre compagnie, vous êtes un maillon faible, et ils ne veulent pas de vous là. » Cette situation m'a été décrite jeudi dernier.
    Les préjugés ont-ils disparu? Absolument pas. Les préjugés sont encore bien vivants, mais c'est parce que nous mettons très fortement l'accent sur la modification de ce comportement dans l'immédiat. Si un haut gradé vous surprend à dénigrer ces militaires, vous serez réprimandé. Nous nous inquiétons des comportements, mais nous n'avons pas vraiment mis l'accent sur les croyances, alors que nous aurions vraiment dû mettre l'accent sur cet aspect et aussi la culture. C'est un combat de longue haleine qui nous attend pour modifier la culture. Je crois que nous mettons l'accent sur les comportements plutôt que les croyances et la culture.
    J'aimerais seulement faire valoir un autre point au sujet des personnes qui ont été libérées — et non celles encore au sein des Forces canadiennes — et qui forment la population de vétérans du côté civil. Dans leur cas, je crois que la situation s'est un peu améliorée en ce qui concerne les préjugés. Ils ont évidemment déjà quitté le milieu; il y a donc moins de risques, et ils sont plus à l'aise de parler de leur situation. Ils sont à l'aise de se placer dans une position très vulnérable, et ce, souvent en compagnie de leurs pairs. Nous le voyons partout au pays. Comme je l'ai déjà mentionné, notre problème est d'élargir l'accès aux programmes; ce n'est pas d'essayer de trouver des personnes malades et blessées qui veulent participer à nos programmes. Je crois que cela témoigne certainement des progrès réalisés concernant les personnes libérées et les vétérans du côté civil. Ils peuvent se manifester, lever la main et obtenir de l'aide. Il y a une petite lueur d'optimisme de ce côté. Le problème, c'est évidemment que nous devons nous assurer de pouvoir leur venir en aide lorsqu'ils viennent nous voir.
(1610)
    Merci.
    Monsieur Fraser, allez-y.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Général, monsieur Sharpe, monsieur Maxwell, merci beaucoup de votre présence ici aujourd'hui.
    Je tiens tout d'abord à mentionner que vendredi dernier dans ma circonscription, Nova-Ouest, j'ai participé à une activité à l'appui du centre de ressources pour les familles des militaires à la 14e Escadre Greenwood. C'était une excellente activité pour sensibiliser les gens aux questions liées à la santé mentale et à l'état de stress post-traumatique chez les militaires et les vétérans et lever des fonds pour le Centre de ressources pour les familles des militaires.
    J'ai été heureux de vous entendre parler de la manière dont les familles peuvent avoir accès aux centres de ressources pour les familles des militaires et de vous entendre dire que les familles des vétérans devraient également avoir accès aux centres. J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet. Je suis au courant de l'excellent travail qui est fait dans ces centres. Comment pensez-vous que cela pourrait se faire? Comment le ministère de la Défense nationale pourrait-il élargir les services?
    Anciens Combattants Canada a maintenant signé une entente avec les Forces canadiennes. Nous pouvons prendre soin — je dis « nous »; voilà; la preuve...
    Des députés: Ah, ah!
    L'hon. Roméo Dallaire: ... et je dis cela après avoir passé 10 ans au Sénat — des vétérans blessés qui ne font plus partie des Forces canadiennes et de leur famille.
    Je considère que les centres de soutien des familles sont l'un des ponts déterminants qu'ils peuvent emprunter pour s'en sortir et se rendre dans un nouveau monde. Les centres de ressources pour les familles des militaires offrent beaucoup d'expertise et ont accès aux ressources des provinces, des collectivités et surtout des Forces armées canadiennes et d'ACC pour influer sur le combat et donner plus rapidement aux gens du soutien.
    Cependant, ils ont de la difficulté, parce que l'argent n'y est pas investi, qu'ils ne peuvent pas embaucher de personnel et que les vétérans ne peuvent pas obtenir ce soutien spécial. À mon avis, le grave problème que nous n'avons toujours pas réglé, c'est que nous améliorons la situation des membres des Forces canadiennes qui sont toujours en service et des vétérans qui reçoivent des soins dans nos différentes cliniques, par exemple, mais nous n’améliorons pas la situation des familles.
    Seulement la moitié du problème est réglée; l'autre moitié ne l'est pas, et cette moitié souffre. Cela nuira à tout ce que vous faites. D'ici à ce que nous considérions la famille comme aussi en déploiement... J'estime que maintenant les familles sont liées à l'efficacité opérationnelle des forces, et cela ne se limite pas qu'au soutien à ce chapitre. Les membres de la famille parlent sur Skype à leurs proches une heure avant qu'ils partent en patrouille. Comment est-ce possible de les traiter ainsi?
    Si les familles sont intrinsèquement liées à l'efficacité opérationnelle des forces, elles devraient avoir accès au même niveau de soins. Cela signifie qu'il faut investir davantage d'argent dans Anciens Combattants Canada et le ministère de la Défense nationale pour prendre soin des familles. Nous transférons déjà des sommes colossales aux provinces. Disons aux provinces que nous allons nous-mêmes réparer notre gâchis. Nous avons causé les blessures de ces personnes, et nous allons en prendre soin. Nous allons vous acheter les ressources au lieu de tout simplement les laisser tomber et créer une rupture très grave.
    Oui. Allez-y, monsieur Maxwell.
    Je crois qu'il faut aussi mentionner que ces centres sont d'excellents carrefours; ce sont des lieux physiques où les gens peuvent se rendre et obtenir du soutien par les pairs.
    Par contre, comme tout le reste, je vous mets en garde; le problème et l'étendue sont tellement vastes qu'un organisme ou un centre de ressources pour les familles des militaires ne sera jamais capable d'y arriver seul. Nous en sommes témoins tout le temps au sein de l'organisme Wounded Warriors Canada. Si nous finançons un programme et que nous faisons un don de 375 000 $ pour offrir un programme partout au pays, c'est merveilleux. Cependant, nous ne pouvons pas aider tout le monde, et tout le monde ne peut pas y participer. Il en va de même pour les centres de ressources pour les familles des militaires.
    Nous mettons notamment l'accent sur un aspect dont il est beaucoup question ici: les partenariats. Nous collaborons avec les services aux familles des militaires, qui gèrent les centres de ressources pour les familles des militaires au pays. Cela permet aux centres de faire participer un couple à l'un de nos programmes — le soutien à la famille, par exemple —, et ce, sans frais, étant donné que les participants au programme géré par Wounded Warriors Canada ont été recommandés par un centre de ressources pour les familles des militaires.
    Vous êtes à même de comprendre à quel point cela se multiplierait rapidement à l'échelle nationale. Nous n'avons donc pas un cadre régional qui fonctionne très bien à un endroit, mais moins bien à Esquimalt, par exemple. Lorsque nous avons de telles discussions, nous voulons nous assurer que cela sera mis en oeuvre partout au pays, parce qu'il y a des gens aux quatre coins du pays.
(1615)
    Je crois que vous avez raison. Je vous remercie de votre commentaire. C'est très important de reconnaître qu'un tel outil peut être la solution pour venir en aide aux gens dans les petites collectivités. Un tel établissement de confiance est très important.
    Nous ne pourrions pas le faire seuls. Il faut l'avouer. Si nous voulons offrir un programme, comment trouver les personnes qui ont besoin d'aide? Nous avons recours à des partenaires comme le programme SSBSO et les centres de ressources pour les familles des militaires, et nous collaborons avec eux et de façon plus générale avec les services aux familles des militaires.
    Vous avez absolument raison. Cela se fonde sur des partenariats, et il faut établir des liens entre l'information, les outils et les programmes. Si une personne se rend dans un centre de ressources pour les familles des militaires et qu'elle peut tirer parti d'un certain programme, que le centre n'offre peut-être pas, le personnel du centre est au moins capable de lui donner accès au programme qu'elle mérite.
    Mon temps est très limité.
    Par contre, convenez-vous aussi que la présence et l'intégration de la famille dans la mission sont importantes pour nous assurer que, si une intervention est nécessaire, elle se fera peut-être plus rapidement? Vous avez une personne qui peut constater qu'un militaire éprouve de la difficulté ou détecter plus rapidement le problème.
    Monsieur Fraser, vous venez de mettre le doigt sur un point important.
    Si la famille sent qu'elle participe étroitement à l'efficacité opérationnelle des forces, elle aura l'impression d'avoir la responsabilité d'aider le membre à comprendre que cela fait partie de son processus pour redevenir efficace sur le plan opérationnel ou s'adapter à un autre emploi valable.
    Actuellement, des membres confrontent leur famille, parce qu'ils ne veulent pas demander d'aide. Si la famille était intégrée au programme, les membres ne pourraient pas le faire. Ils se renforceraient mutuellement pour obtenir cette aide. C'est le hic; c'est le noeud du problème.
    Merci.
    Madame Wagantall, vous avez la parole.
    Merci beaucoup de votre présence ici aujourd'hui. C'est très utile.
    J'aimerais me concentrer en particulier sur votre premier commentaire concernant la stratégie de prévention du suicide des Forces armées canadiennes et sa mise en oeuvre avec les comités ministériels de surveillance. Vous avez mentionné la Somalie.
    Je m'implique énormément auprès des vétérans concernant la question de la méfloquine. Nous entendons encore les autorités affirmer que seulement un membre des forces sur 11 000 est touché. En ce qui concerne la poursuite de l'utilisation de la méfloquine, notre propre ministre de la Santé a récemment écrit le 22 février dernier qu'à titre de prophylaxie antipaludique le ministère considère que les bienfaits de la méfloquine l'emportent sur les possibles risques lorsque le médicament est utilisé conformément aux conditions d'utilisation énoncées dans le PGPC.
    Selon ce que j'entends de vétérans de la Somalie, du Rwanda, de l'Ouganda, de l'Afghanistan et de la Bosnie qui ont pris ce médicament, ils n'avaient pas le choix de l'utiliser. Nos alliés, soit l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Australie et les États-Unis, ont pris des mesures; or, le gouvernement ne reconnaît toujours pas ce qui s'est passé en Somalie et poursuit sur sa lancée. Cela nuit au taux de suicide. Je sais que c'est ce que les vétérans me disent directement.
    Pouvez-vous nous en parler?
    J'ai pris de la méfloquine un an. Au bout de cinq mois, j'ai écrit au Quartier général de la Défense nationale pour expliquer que ce médicament nuisait à ma capacité de penser, qu'il détruisait mon estomac, qu'il nuisait à ma mémoire et que je voulais arrêter de le prendre. À l'époque, les Allemands ne prenaient aucun médicament, mais ils ont changé leur fusil d'épaule, lorsque le paludisme cérébral a emporté deux personnes en 48 heures.
    J'ai ensuite reçu une réponse, et c'était probablement l'une des réponses les plus rapides que je n'avais jamais reçues. En gros, j'ai reçu l'ordre de continuer de prendre le médicament. Si jamais je décidais de désobéir aux ordres, je serais traduit en cour martiale pour m'être infligé intentionnellement une blessure, parce que c'était le seul outil que nous avions. La méfloquine est une ancienne façon de penser, et ce médicament nuit vraiment à la capacité de fonctionner.
    À mon avis, ces statistiques ne...
(1620)
    Elles ne sont pas exactes.
    ... tiennent pas vraiment la route. Même si c'est le cas, que se passe-t-il si c'est le commandant qui est touché, soit le poste que j'occupais à l'époque? Mon adjointe administrative surveillait attentivement ma consommation de méfloquine. Il y a d'autres prophylaxies beaucoup plus efficaces.
    En ce qui concerne tout simplement le commandement et à plus forte raison notre capacité d'intervenir lorsque nous nous trouvons dans des situations très complexes ou lorsque nous sommes en présence d'enfants, par exemple, et que nous avons des nanosecondes pour décider de tuer ou non un enfant pour sauver d'autres personnes, nous ne voulons pas que notre jugement soit altéré. Or, il se peut qu'un médicament continue d'avoir des effets secondaires sur nous.
    Que répondez-vous à cela? Devrions-nous réaliser des études pour déterminer...
    Je dis que nous devrions nous en débarrasser et utiliser le nouveau médicament.
    Merci. C'est la solution la plus rapide que j'aimerais nous voir prendre.
    Oui.
    Veterans Helping Veterans, soit l'un des groupes qui viennent en aide aux vétérans, a parlé de la nécessité de veiller à la transition des militaires, parce que nous leur inculquons un mode de vie. Je comprends la réponse combat-fuite et l'attitude qui les pousse à y aller et à penser aux autres en premier. Cependant, lorsque le militaire retourne chez lui, il a oublié comment dormir normalement. Certains prétendent qu'il est possible de les reprogrammer pour les réhabituer à une structure du sommeil adéquate, à des aliments réguliers, etc. Tous ces éléments sont très importants pour la santé.
    Je sais que votre sommeil vous a causé énormément de problèmes. Voyez-vous cela comme une mesure que nous pourrions prendre pour aider nos militaires?
    J'allais vous répondre de lire mon livre, mais je vais m'abstenir.
    Je ne l'ai pas encore fait. J'en suis désolée. Vous l'avez sans doute deviné.
    La difficulté, c'est qu'à notre retour, nous essayons de dormir dans un lit et dans un environnement qui nous sont étrangers. Voici pourquoi. Je suis revenu, et le massacre d'environ un million de personnes ne comptait pas. J'étais de retour à titre de commandant adjoint de l'armée, et je me suis fait dire: « Dieu merci, vous êtes rentré. Vous n'aurez plus d'affectations à l'étranger. Écoutez, la priorité maintenant, ce sont les compressions budgétaires. » C'est comme si cela ne s'était jamais produit.
    Il y a une rupture parce que nous savons que ces gens existent, que nous n'avons pas terminé notre travail et que des choses horribles se sont passées. Ensuite, nous rentrons au pays, et tout le monde s'en fiche; personne ne reconnaît réellement la situation.
    Nous avons beaucoup de difficulté à nous ajuster à l'opulence, à l'insignifiance et à la nature de notre société. Ce qui nous empêche d'y arriver, c'est notre fatigue, notre incapacité de raisonner. C'est dû au manque de sommeil.
    Oui.
    Nous avons de la difficulté à trouver le sommeil parce ces choses nous hantent sans cesse. S'il existe des programmes d'aide — je sais qu'il y a toutes sortes d'initiatives —, tant mieux, mais je dirais que nous sommes aux prises avec deux grandes frictions culturelles qui ne sont pas faciles à concilier.
    Merci.
    Monsieur Bratina.
    Je vous remercie, et merci à vous, général Dallaire.
    Les problèmes que nous étudions au sein du comité des anciens combattants découlent de la période de service actif. Je suis donc impressionné par votre notion de stratégie commune de prévention du suicide. Bien entendu, deux groupes différents vont devoir travailler ensemble pour résoudre les problèmes. Comment entrevoyez-vous cette stratégie commune de prévention du suicide? Prévoyez-vous des lignes directrices?
    En 1998, lorsque j'étais sous-ministre adjoint du personnel — ce que l'on appelle aujourd'hui chef du personnel militaire, ou CPM-RH —, je me suis entendu avec le SMA d'Anciens Combattants Canada, un certain Dennis Wallace, pour prêter un général à Anciens Combattants Canada et lancer les premières discussions conjointes. Nos systèmes informatiques n'étaient pas interopérables — rien n'était compatible. Nous ne pouvions même pas nous parler. Nous avons donc créé un simple bureau où les employés tenaient, d'un côté, les dossiers des anciens combattants et, de l'autre, ceux des militaires; dès qu'un cas était consigné, ils discutaient entre eux pour le régler.
    Il y a eu beaucoup d'améliorations depuis, mais je ne crois pas qu'on soit allé assez loin. Je ne pense pas que les gens se sentent à l'aise d'être transférés vers un autre ministère. Je suis content que ce soit à Charlottetown. Les employés là-bas ont gardé leur humanisme et ils sont moins froids que ceux du bureau d'Ottawa; la personne n'est donc pas traitée comme un numéro. Je trouve cela acceptable, mais le fait que ce soit un ministère distinct et qu'on soit transféré ailleurs... Prenez mon uniforme, mais ne me retirez pas de la famille. Ne me transférez pas vers quelqu'un d'autre qui a une culture organisationnelle différente, qui travaille peut-être dans un contexte différent et qui doit suivre une réglementation différente.
    Je pense qu'il est temps d'examiner le cas des pays qui ont intégré leur ministère des Anciens Combattants à leur ministère de la Défense nationale. Ces organismes ont leurs budgets et leurs structures, sans que leurs tâches ne se chevauchent. Le client n'est pas refilé à quelqu'un d'autre. Il reste dans la famille. On peut régler beaucoup de cas à l'amiable. On peut apporter une perspective différente à certaines des directives. En relevant du ministre de la Défense nationale, plutôt que du ministre des Anciens Combattants, on peut exercer plus de pouvoir au sein du Cabinet pour apporter des modifications, je crois, parce que cela a un impact direct sur l'efficacité opérationnelle des forces. Si vous ne traitez pas les anciens combattants blessés comme il se doit, les militaires qui sont dépêchés à l'étranger se rendront compte que s'ils reviennent blessés, ils auront à mener un deuxième combat, c'est-à-dire rentrer chez eux et essayer de vivre décemment. Si cela reste dans la même structure, la personne pourra être très honnête et se sentir beaucoup plus responsabilisée.
(1625)
    Merci.
    Pour en revenir à la question de la culture et des préjugés, en quoi consiste le rôle de l'aumônier?
    Ah, quelle excellente question. Dans le cadre de mon Initiative Enfants Soldats, nous avons découvert que les enfants ne sont évidemment pas épargnés par la menace. L'été dernier, nous avons donné un cours à 15 anciens combattants — certains desquels sont déjà déployés au Kenya pour s'entraîner avec des Somaliens —, et deux d'entre eux ont avoué avoir tué des enfants. Ils ne l'avaient jamais dit à qui que ce soit — ni à un thérapeute ni à leurs proches —, mais ils l'ont raconté à ces gars parce qu'ils allaient travailler auprès d'enfants. Ils en souffraient.
    Je crois que l'objectif, au bout du compte, c'est de les faire participer... voilà, ma mémoire me fait défaut. Je vous laisse prendre la relève.
    Vouliez-vous qu'on parle des aumôniers?
    Oui.
    Ah, oui, on parle des aumôniers, du côté spirituel de la chose. Nous avons déjà abordé l'aspect moral. Nos faiblesses morales découlent de notre perte de spiritualité; pourtant, dans les théâtres d'opérations, bon nombre de ces pays ont toujours un côté spirituel. Ce n'est pas purement religieux. C'est culturel. Si vous n'avez pas de valeurs spirituelles sur lesquelles vous rabattre, alors vous sombrez dans le néant, et il vous est d'autant plus difficile de vous rétablir. Par conséquent, les aumôniers jouent, selon moi, un rôle très proactif et très efficace sur le terrain, et ils représentent une autre option pour la résolution de problèmes.
    Oui, notre directeur de programme national vient de prendre sa retraite après 25 ans de service en tant qu'aumônier des Forces canadiennes auprès d'un régiment du génie de combat à Toronto. En travaillant avec lui et avec l'organisme Wounded Warriors, j'ai interagi avec une foule de militaires qu'il avait aidés au fil des ans. Durant la cérémonie du Départ dans la dignité organisée en son honneur, j'ai rencontré une dizaine d'entre eux, et nous avons justement parlé de cette question. Que faisait Phil, en l'espèce, pour être d'un si grand secours?
    Au sein de la famille régimentaire, c'était presque un endroit où aller si on ne tenait pas à passer par la chaîne de commandement ou à en parler à ses supérieurs, parce qu'on n'était pas sûr de la gravité du problème ou même si cela valait la peine d'en parler. C'était comme un refuge dans la famille régimentaire, un endroit où aller pour au moins amorcer une discussion avec quelqu'un de rassurant, sans craindre de subir des conséquences pour avoir dit quelque chose ou pour avoir posé une question.
    Cela a eu un impact énorme sur la suite des choses pour ces militaires, à partir de là.
    J'appuie le point soulevé par le général Dallaire.
    Oui.
    Permettez-moi de faire une petite observation là-dessus.
    Pourriez-vous être bref, je vous prie?
    Oui. J'ai visité une importante base militaire afin d'interroger les aumôniers sur leur rôle concernant l'état de stress post-traumatique et les blessures liées au stress opérationnel. Parmi les 16 aumôniers sur cette base, 14 avaient reçu le diagnostic d'état de stress post-traumatique.
    Donc, si nous allons recourir à des aumôniers — et nous le devons, car ils jouent un rôle crucial —, il faut prendre soin d'eux également. Ce n'est pas une approche de type « médecin, guéris-toi toi-même ».
(1630)
    Ils doivent porter un lourd fardeau, en effet.
    Merci.
    Monsieur Brassard.
    Cinq minutes, monsieur le président?
    Merci. Général, je suis content de vous revoir. Nous nous sommes croisés à Barrie, à l'occasion de l'ouverture de l'École secondaire Roméo-Dallaire. Je sais que les élèves, le personnel et les membres du conseil étaient enchantés de voir que vous aviez pris le temps d'être là pour l'ouverture d'une école baptisée en votre nom. Alors, merci, monsieur.
    J'y expose également tous mes artéfacts.
    Je crois que j'ai dû parler français pendant tout le temps que j'étais là.
    J'aimerais parler des problèmes liés à la transition, parce que nous préparons nos soldats à se battre, mais nous ne leur montrons pas comment réintégrer la vie civile. La question de la transition a été soulevée à maintes reprises durant les témoignages. En fait, l'ombudsman du ministère de la Défense nationale a parlé d'un service de conciergerie destiné aux militaires qui sont libérés pour des raisons médicales afin de veiller à ce que tout soit en place. D'ailleurs, notre comité a présenté un rapport au Parlement, qui réaffirme la proposition de l'ombudsman.
    Scott, je sais que vous étiez sur les ondes de CP24 il y a trois ans, et on vous avait alors interrogé sur la question de la transition. Dans le peu de temps dont nous disposons, si je demandais à tous les trois d'énumérer trois mesures prioritaires que nous devons prendre pour aider à diminuer les facteurs de stress pour ceux qui font la transition de la vie militaire à la vie civile, par égard à leur famille, en quoi consisteraient-elles?
    Scott, je vais commencer par vous.
    J'appuie sans réserve le rapport et les recommandations de l'ombudsman du ministère de la Défense nationale. Je l'ai dit publiquement il y a bien longtemps, me semble-t-il, maintenant que j'y repense, et l'ombudsman a évidemment formulé de nouvelles recommandations depuis.
    Il qualifie cela de tâches faciles à accomplir.
    C'est tout à fait le cas. Une des particularités — et il en parle aussi —, c'est que ce n'est pas nécessairement un changement de coût. Il s'agit plutôt d'un changement de procédure. Je crois que c'est exact. Si nous allons avoir affaire aux deux ministères — sachant que les choses ne se passeront pas comme le général vient de le proposer, même si elles le devraient —, nous devrons nous assurer de faire tous les préparatifs nécessaires, dans la mesure du possible, lorsqu'un militaire quitte les forces, c'est-à-dire lorsque son dossier est transféré d'un ministère à l'autre. Nous devons veiller à ce que la transition se déroule le plus en douceur possible parce que nous savons, ayant travaillé avec ces gens, qu'il suffit de peu pour qu'ils cessent de prendre soin d'eux-mêmes, se laissent abattre et s'isolent de tout, y compris des activités propices à leur bien-être.
    Nous en entendons parler beaucoup trop souvent. Notre organisation se penche là-dessus et cerne les lacunes pour ensuite essayer de les combler. Une des plus importantes lacunes que nous observons, c'est le délai d'attente après la libération pour passer d'un ministère à l'autre. C'est là que ces gens perdent leur identité. Il s'agit d'une lutte constante, et ils ont l'impression qu'ils doivent raconter de nouveau leur histoire, trop de fois à trop de personnes, qui ne s'en soucient pas assez pour leur donner les services de soutien dont ils ont besoin et pour les aider à répondre à toutes les questions qu'ils se font poser par leurs proches, comme: « Que comptes-tu faire maintenant? Quelle est la prochaine étape pour nous et notre famille? »
    C'est sérieux, et tout ce que je peux dire en quelques mots, c'est ceci: adoptez les recommandations de l'ombudsman du ministère de la Défense nationale. Il s'agit de mesures faciles à accomplir, mais je crois qu'elles constituent un point de départ très important.
    Il y a quelques points que j'aimerais souligner très rapidement. Ils sont semblables à ceux soulevés par Scott.
    Tout d'abord, comblez l'écart. C'est un gros problème. Nous devons rapprocher ces deux ministères, et je crois que nous devons cesser de retirer le statut de membre à la personne qui quitte l'armée. Autrement dit, une fois que vous êtes membre des Forces armées canadiennes, vous le restez. Ce que nous faisons à l'heure actuelle, c'est que nous découpons les cartes, et vous devez vous débrouiller seul. Vous êtes classé dans une autre catégorie.
    Nous devons éliminer le choc provoqué par la transition, lorsque la personne est rejetée de la famille, si je puis m'exprimer ainsi.
    C'est juste.
    Ensuite, nous devons réduire la bureaucratie, c'est-à-dire la complexité de la procédure de transition. Ce n'est pas comme si nous allions dans un autre pays; nous restons au Canada. Nous ne faisons qu'une simple transition vers un autre ministère gouvernemental, mais l'horrible bureaucratie qui entoure cette démarche dépasse l'entendement — même lorsque vous êtes en santé. Si vous êtes malade ou blessé, c'est un obstacle qui est presque insurmontable.
    Enfin, je dirais qu'il faut éliminer tous les obstacles à la transition. Étudiez sérieusement ce qui pose problème aux membres et à leur famille, et adoptez une approche ciblée pour faire disparaître ces obstacles. Nous ne pouvons nous passer des complications qui existent actuellement.
    Général, vous avez le dernier mot.
    Ne vous perdez pas dans les détails et adoptez plutôt une perspective stratégique; autrement dit, si nous inculquons un sentiment de loyauté à ces gens, dès leur premier jour de service... Lorsque je me suis enrôlé, mon père m'a dit: « Ne t'attends pas à des remerciements. Attends-toi à une carrière intéressante, mais tu ne seras jamais un millionnaire. » À l'époque, il m'avait aussi dit: « Change ton nom pour Dallard, parce qu'avec Dallaire, tu n'iras nulle part. » En tout cas, les temps ont changé.
    Faites ce qui s'impose en gardant à l'esprit que la loyauté perdure en raison des expériences extraordinaires qui nous unissent. Ce qui compte, c'est le fait de servir le pays. Par conséquent, débarrassez-vous de cette approche qui consiste à traiter le même problème de deux façons. J'étais un ancien combattant en service. Toutefois, une fois que je n'étais plus en service, j'ai connu une kyrielle de circonstances différentes — on n'avait plus besoin de moi.
    Adopter une perspective stratégique consiste, en partie, à faire en sorte que les deux ministères, aux règlements différents, aident la même personne de façon continue ou presque.
    Deuxièmement, ne créez pas une nouvelle charte, mais comme je l'ai souvent dit à la Chambre, réformez la version actuelle. Débarrassez-vous des nombreuses règles stupides.
    Oui, cela vous coûtera plus cher. Eh bien, pensez aux milliards de dollars que nous dépensons pour former ces gens, pour les équiper, pour leur donner des munitions, de la nourriture, des fournitures médicales, pour les déployer dans le théâtre d'opérations et faire tout en notre pouvoir afin de réduire le nombre de victimes et de gagner la guerre, ce qui exige des sommes faramineuses. Songez aussi aux milliards de dollars que nous devons dépenser après coup pour reconstruire et remplacer l'équipement et pour reconstituer nos stocks. Ensuite, comparez cela au montant réel que nous consacrons aux êtres humains qui ont subi de telles épreuves. C'est le décalage le plus flagrant qu'on puisse imaginer.
    Le ministère des Anciens Combattants a un budget de 3 milliards de dollars, ce qui est tout à fait insuffisant par rapport à l'ampleur de l'engagement que nous prenons dans toutes les autres dimensions, sauf celle qui concerne l'être humain proprement dit.
    Voilà donc la position stratégique qu'il faudrait adopter.
(1635)
    Merci.
    Madame Mathyssen, vous avez trois minutes.
    Merci.
    J'ai besoin de tellement plus de temps, mais je vais...
    Nous aussi.
    Je veux revenir en arrière et souligner tout ce que vous avez dit, car c'est exactement ce que nous avons compris.
    Ma question s'adresse à vous, Scott, et à vous, Général Dallaire. Vous avez dit que vous étiez dans une situation horrible et que vous êtes revenus à une vie superficielle où les gens ne comprenaient pas votre expérience. Comment pouvons-nous changer cela? Comment faire pour nous assurer que lorsqu'un membre des Forces revient, on reconnaît son expérience et ce qui lui est arrivé pendant son déploiement?
    L'élément central de cette question, en particulier avec les réservistes, qui sont partout en région et souvent abandonnés... Rappelez-vous que la situation se complique quand on parle des réservistes. Ce ne devrait pas être le cas, mais ce l'est.
    Je pense que l'élément central de cette question est de les mettre en relation avec leur famille. C'est leur ancrage.
    D'accord.
    Pour un réserviste célibataire, ce serait ses parents. Ils font partie des Forces. S'il est marié, ce serait sa famille proche ou ses intimes, ses enfants. Faites fond sur l'aspect humain de ces personnes pour qu'elles puissent s'en servir comme point de départ. Nous avons perdu beaucoup de personnes parce qu'elles avaient perdu leur famille et qu'il ne leur restait rien. Elles n'ont pas seulement perdu leur travail. Elles ont perdu leur famille à cause de cela et ont fini par s'enlever la vie.
    Essayez de garder cet élément fondamental de notre société avec elles et aidez-les à traverser les années difficiles à vivre avec des personnes comme cela.
    L'approche est fondée sur les familles. Le mieux pour faire en sorte qu'elles soient disponibles est de passer par les centres de soutien aux familles. Personne n'est plus qualifié que leurs intervenants.
    La chose dont le Général Dallaire a souvent parlé en ce qui concerne notre travail est celle de s'assurer qu'ils n'aient plus jamais à se battre. C'est une affirmation tellement percutante. Si, à leur retour au pays, ils sentent qu'ils se battent toujours pour accéder aux services qui leur sont offerts ainsi qu'à leur famille, cela pose un problème énorme.
    Lorsqu'on parle de chasser ce sentiment et de la façon de le faire, pourquoi ne pas commencer par s'assurer qu'ils n'aient pas à se battre encore une fois pour recevoir les services auxquels ils ont droit lorsqu'ils rentrent au Canada après un déploiement?
(1640)
    D'accord.
    Vous avez dit quelque chose de très important, qu'on avait essayé d'économiser. C'est l'impression que j'ai constamment, qu'il soit question de la Nouvelle Charte des anciens combattants, de la méfloquine ou du syndrome de la guerre du Golfe.
    Il y a quelques années, le comité a mené une étude sur le syndrome de la guerre du Golfe. Nous avions des montagnes de preuves selon lesquelles il s'agissait d'un mal psychologique, imaginaire, alors que nous recevions des anciens combattants chauves et clairement très désorientés.
    Nous aurions pu leur donner 70 000 $ et leur dire qu'on reconnaissait qu'il s'agit d'une blessure. Même si nous n'arrivons pas à comprendre tous les aspects légaux de la question, et même si certains d'entre eux nous arnaqueront, on s'en fout.
    Cela aurait eu pour effet de changer l'attitude des troupes pour ce qui est de rentrer au pays blessé. Si vous amoindrissez le fait qu'ils sont blessés, vous amoindrissez leur efficacité opérationnelle et le fait qu'ils prennent les risques appropriés, ainsi que la capacité des familles de composer avec eux à leur retour.
    C'est la même chose en ce qui concerne la méfloquine.
    J'ai demandé directement si les soldats étaient avertis, s'ils étaient surveillés et si quelqu'un prenait la peine de se renseigner sur les effets de ce médicament, et on m'a répondu que non. J'ai demandé s'il y avait des conséquences pour quelqu'un qui affirme choisir de ne pas prendre ce médicament, et on m'a répondu: « Oh, non, cela passe par la chaîne de commandement. »
    La chaîne de commandement vous imposera des sanctions parce que vous vous infligez des blessures à vous-mêmes en rejetant les conseils médicaux qu'elle a elle-même approuvés.
    Même s'ils servaient de cobayes.
    Nous en avons terminé avec les témoignages des membres de ce groupe.
    Nous allons faire une courte pause.
    Au nom du Comité, je tiens à vous remercier tous les trois d'avoir été au service du Canada et de ce que vous avez fait pour les hommes et les femmes des forces armées.
    Nous allons faire une pause de deux minutes et nous reviendrons ensuite avec le deuxième groupe.
    Merci.
(1640)

(1645)
    Reprenons nos travaux.
    Au cours de la deuxième heure, nous allons devoir abréger un peu le temps que nous consacrons à la question.
    De l'Association québécoise de prévention du suicide, nous accueillons Kim Basque, coordonnatrice de la formation, et Catherine Rioux, coordonnatrice des communications.
    Nous allons commencer par 10 minutes de témoignages.
    Roméo Dallaire va rester avec nous, mais probablement pas pour répondre à des questions. Il veut seulement voir comment le Comité travaille.
    Nous allons commencer nos travaux avec notre nouveau groupe.
    Merci. La parole est à vous.

[Français]

    Monsieur le président, membres du Comité et monsieur Dallaire, nous vous remercions tout d'abord de nous avoir invités à participer à cette consultation. Nous savons que les Forces armées canadiennes et Anciens Combattants Canada agissent déjà en faveur de la santé mentale et de la prévention du suicide. Nous vous remercions de votre intérêt à aller encore plus loin.
    Depuis 30 ans, notre association développe la prévention du suicide sur le territoire québécois. Elle rassemble des chercheurs, des intervenants, des cliniciens, des endeuillés par suicide ainsi que des organisations privées, publiques et communautaires.
    Nos champs d'action sont la sensibilisation, la mobilisation citoyenne ainsi que la formation des intervenants et des citoyens. Vous aurez compris que notre association n'est pas experte dans le domaine militaire. La pertinence de notre comparution devant le Comité aujourd'hui réside dans notre expérience à conseiller des acteurs variés de la société et à élaborer des stratégies de prévention pour des milieux très variés. Nous l'avons fait récemment pour des producteurs agricoles et pour des centres de détention.
    Comment réduire le nombre de suicides chez nos vétérans? Ce que nous savons tous, c'est qu'il n'y a pas de réponse simple et que nous devons agir sur plusieurs fronts. Les quelques pistes que nous pourrons proposer pendant cette heure et qui nous apparaissent incontournables touchent la sensibilisation, la formation et l'offre de services.
    Je vais commencer par la sensibilisation, ou le changement de culture et de mentalité.
    Grâce à des campagnes de sensibilisation répétées, les mentalités ont commencé à changer au sujet du suicide et de la santé mentale. Les tabous sont moins tenaces et commencent à s'estomper. Le suicide n'est plus perçu ou est moins perçu comme une fatalité et un problème individuel comme c'était le cas il y a 10, 15 ou 20 ans. On sait davantage que c'est un problème collectif et qu'il est possible de le prévenir.
    Des gens parlent davantage de leurs problèmes de santé mentale et la demande d'aide est davantage valorisée. Nous avons fait beaucoup de chemin à ce chapitre, mais beaucoup de travail reste à accomplir. C'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui.
    Nous avons quelques propositions à faire en ce qui concerne la sensibilisation. Nous sommes persuadés qu'il faut d'abord travailler en amont en sensibilisant les militaires actifs au sein des forces armées, particulièrement ceux faisant partie d'unités plus à risque de suicide, comme les métiers de combat.
    Il y a toutes sortes d'initiatives. Il peut s'agir, par exemple, de renforcer la cohésion autour d'une personne qui vit des difficultés ou qui est mise à l'écart de son unité pour des raisons de santé. On peut penser à des messages qui répètent que s'occuper de sa santé mentale est aussi important que prendre soin de sa santé physique. Il y a aussi des campagnes visant à faire connaître les ressources d'aide existantes.
    Il faut aussi travailler à réduire l'acceptabilité sociale du suicide. Chez certains hommes qui adhèrent au rôle traditionnel masculin, il semble que cette acceptabilité soit plus forte. Certaines approches thérapeutiques visent à réduire cette acceptabilité et réussissent à rendre moins acceptable le suicide et à valoriser le fait qu'en trouvant d'autres façons de mettre fin à ses souffrances, on peut devenir un modèle pour ses enfants et un modèle de résilience pour sa communauté.
    Nous sommes profondément convaincus que le suicide ne doit pas être une option, individuellement et collectivement. C'est pourquoi nous appuyons des messages qui vont dans ce sens et qui invitent à trouver d'autres avenues à la détresse et à la souffrance.
    Nous croyons aussi que, dans la sphère de la sensibilisation, il faut poser des gestes pour éviter de glorifier les personnes décédées par suicide, étant donné que cela comporte un risque de contagion. Pour éviter cela, il est nécessaire de sensibiliser les médias. Je sais que cela se fait déjà, mais il faut répéter sans cesse ce message, parce que les salles de presse et les journalistes changent constamment.
(1650)
    Il faut aussi sensibiliser les gens responsables des rituels lorsque survient un décès par suicide ainsi que les familles endeuillées. C'est une chose très délicate à faire, mais si l'on veut préserver la vie des vétérans qui souffrent, il faut prêter attention à cela. Il y a certaines pratiques qui peuvent avoir des conséquences, par exemple ériger des monuments honorifiques à la mémoire de militaires décédés par suicide. Nous y voyons un risque réel pour les vétérans qui souffrent, qui sont vulnérables au suicide et qui ont perdu énormément de reconnaissance et de valorisation. Ces vétérans pourraient voir le suicide comme une façon de retrouver un certain honneur et une certaine reconnaissance. Entendons-nous bien: il faut des services funèbres appropriés pour les militaires qui se sont enlevé la vie, tout comme pour les militaires décédés d'autres causes, toutefois il faut bien mesurer l'aspect de la glorification et de la contagion possible.
    Pour bien évaluer les services et les formations à offrir, il faut comprendre dans quel état se trouve la personne suicidaire.
    Toutes les personnes suicidaires, militaires ou non, croient qu'elles ne valent rien, que leur situation ne changera jamais et que personne ne peut les aider. Dans ce contexte, il devient extrêmement difficile d'aller chercher de l'aide, de la trouver et de faire un pas vers une ressource. C'est d'autant plus difficile quand on est un homme qui adhère au rôle traditionnel masculin, alors que la force physique, l'autonomie, l'indépendance, la résolution de ses problèmes par soi-même sont valorisées. Quand une personne se trouve dans une période plus difficile de sa vie où elle pense qu'elle ne vaut rien, que personne ne peut l'aider et que la situation ne changera jamais, tous ces obstacles font en sorte qu'il devienne extrêmement difficile et douloureux pour elle d'aller chercher de l'aide.
    Par contre, en dépit de sa souffrance, la personne vivra toujours de l'ambivalence. Cela veut dire qu'une partie d'elle veut arrêter de souffrir, et c'est pour cela qu'elle pense mettre fin à ses jours, cependant il y a toujours une partie d'elle qui veut vivre. C'est cette partie qui doit être reconnue par la personne en détresse et c'est le travail des intervenants et des professionnels de faire grandir cette partie d'elle-même. Chaque fois que la personne suicidaire demande de l'aide, qu'elle manifeste sa détresse, c'est la partie d'elle qui veut vivre qui s'exprime et qui continue d'avoir de l'espoir.
    Pour ce qui est de nombreux anciens combattants — il s'agit généralement d'hommes —, les caractéristiques de leur manière de demander de l'aide doivent être prises en considération. C'est vrai pour le suicide en général, c'est vrai également dans les forces armées. La demande d'aide ne se manifestera pas de la même façon, et la manière de leur offrir des services doit également être adaptée.
    La recherche nous démontre que quand un homme adhère au rôle traditionnel masculin, il est cinq fois plus à risque de commettre une tentative de suicide que quelqu'un d'autre dans la population générale. Au sein des forces armées, une libération pour des raisons médicales constitue un échec du système, mais c'est aussi un échec pour cet homme qui vit une situation de vulnérabilité. Comme cette perception est généralisée à l'intérieur de lui et au sein de son unité, il ressent de la honte et il a de la difficulté à aller chercher de l'aide, comme on vous le mentionnait. Le fait de passer du service militaire actif à la vie civile et de devenir un ancien combattant représente alors un moment critique pendant lequel le soldat vulnérable va perdre le réseau fort et uni auquel il s'identifiait et dont il était partie prenante. Cela va donc représenter un moment extrêmement difficile qu'on doit prévoir et encadrer, d'où l'importance de la consultation actuelle.
    De nombreux services sont offerts par Anciens Combattants Canada, comme on le sait. Cependant, les professionnels qui agissent en prévention du suicide, les intervenants vers lesquels nos anciens combattants vont pouvoir se tourner, sont-ils suffisamment formés? Sont-ils en mesure de reconnaître les indices de détresse et d'agir rapidement?
    Une formation pour les citoyens du Québec a fait ses preuves. « Agir en sentinelle pour la prévention du suicide » est une formation qui ne s'adresse pas à des professionnels, mais à toute personne qui souhaite jouer un rôle dans sa communauté, au cours de ses loisirs, auprès de ses collègues de travail et de ses pairs. Cela permet d'agir proactivement, de repérer les indices de détresse, de diriger la personne vers les ressources d'aide et de l'y accompagner. La formation de réseaux de sentinelles fonctionne. C'est efficace et c'est déjà implanté dans certaines communautés militaires. Cela favorise le repérage rapide et la proactivité.
    Dans la société civile comme dans différentes communautés particulières, ces sentinelles doivent pouvoir se référer à un intervenant désigné. Elles doivent être soutenues pour jouer leur rôle et pouvoir ensuite aider rapidement la personne suicidaire à avoir accès à un intervenant qui va faire une intervention complète et déterminer les démarches à entreprendre par la suite.
(1655)
    Une formation en prévention du suicide est fondamentale pour les intervenants et les professionnels en santé mentale ainsi que pour les médecins qui travaillent auprès des militaires et des anciens combattants. Il ne faut pas tenir pour acquis qu'un médecin, une infirmière ou un psychologue ont reçu une formation spécialisée en prévention du suicide. Cependant, ces formations existent et elles fonctionnent.
    Si le taux de suicide chez les hommes a grandement diminué au Québec au cours des années 2000, c'est précisément grâce à une stratégie nationale dans le cadre de laquelle la formation était au coeur des actions. Nous vous proposons donc d'en faire la pierre angulaire de la prochaine stratégie destinée aux anciens combattants.
    Par ailleurs, nous attirons votre attention sur trois éléments majeurs à considérer relativement à l'actuelle offre de services ou à l'égard de ce que vous pourriez mettre en oeuvre. Le général Dallaire y a fait allusion plus tôt. Il s'agit de l'importance d'harmoniser les services proposés à nos militaires actifs et à nos anciens combattants. Cette transition doit être vécue le mieux possible pour que, ultimement, la personne ou le militaire suicidaire ayant besoin de services, ayant réussi à demander de l'aide et ayant trouvé quelqu'un pour l'aider et l'accompagner dans cette démarche n'ait pas à changer d'intervenant ou d'équipe traitante et n'ait pas à répéter son histoire, que ce soit avant ou après une tentative de suicide.
    Pour éviter cette cassure, nous proposons que l'unification des centres de traitement des blessures de stress opérationnel des Forces canadiennes et des centres des anciens combattants soit considérée, de façon à ce l'équipe traitante soit la même. L'alliance thérapeutique est importante. Parfois, les anciens combattants reviennent même à l'équipe et aux professionnels de la santé qui étaient les leurs lorsqu'ils étaient en fonction.
    Nous avons également parlé de soutien social. Le général Dallaire a abordé ce sujet. Il s'agit du soutien social des familles et des pairs, mais aussi du soutien provenant de l'unité ainsi que du rassemblement autour des Forces et des militaires actifs. Ce soutien doit être partie intégrante des soins et de ce que les professionnels et les intervenants proposent aux militaires.
    Les hommes sollicitent principalement leur conjointe, parfois même uniquement celle-ci, lorsqu'ils veulent obtenir du soutien émotif. Quand ils ne vont pas bien, une séparation survient parfois. D'autres problèmes peuvent s'ajouter, notamment des problèmes de santé mentale, d'alcoolisme et de toxicomanie. Tout cela exerce une pression considérable sur les proches. Il est d'autant plus important de tenir compte de cette réalité pour favoriser le rétablissement du militaire et de l'ancien combattant.
    Les Forces armées canadiennes sont une grande et solide famille. Chaque membre peut compter sur l'autre pour sa survie. Il s'agit maintenant de faire en sorte que cette force et cette entraide se poursuivent après la libération, que cette dernière soit ou non pour des causes médicales.
    Par ailleurs, nous faisons des recommandation en ce qui touche la prévention sur le Web et l'intervention en ligne. La détresse se manifeste de plus en plus sur les diverses plateformes. Les personnes communiquent sur le Web leurs idées suicidaires et leur détresse. C'est notamment le cas des jeunes et des personnes isolées, mais ce comportement est de plus en plus répandu chez diverses personnes. Nous croyons que les stratégies de prévention du suicide doivent désormais tenir compte de cette réalité en incluant un volet Web. Cela permettrait aux gens de diffuser des messages de prévention, de faire du repérage, d'être proactifs et de proposer des services complets d'intervention en ligne.
    En conclusion, je rappelle les éléments que doit comprendre une stratégie efficace en matière de prévention du suicide. Tout d'abord, tous les acteurs sont concernés. Ensuite, les gestionnaires des divers niveaux de la chaîne de commandement doivent suivre une formation, adhérer au principe et faire preuve de leadership. Également, une formation particulière en prévention du suicide doit être offerte aux professionnels et aux intervenants. De plus, il faut soutenir la création de réseaux de sentinelles. Il faut aussi avoir un soutien social fort et répandu. En outre, il faut que les gens soient davantage sensibilisés aux problèmes de santé mentale et qu'ils soient mieux informés sur l'aide qui peut être offerte; il faut favoriser la demande d'aide pour changer, ultimement, les cultures et les mentalités. Il est important aussi de porter attention aux messages et aux rituels, de façon à ce qu'ils n'augmentent pas l'acceptabilité sociale du suicide. Bien sûr, il faut un financement adéquat pour mettre en vigueur les mesures proposées. Enfin, il faut évidemment des soins accessibles et adaptés à la clientèle à laquelle ils s'adressent.
(1700)
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Merci.
    Nous allons commencer notre première série de questions, que nous allons devoir écourter à cinq minutes par personne. Je suis désolé.
    Nous allons commencer par M. Kitchen.
    Merci, monsieur le président.

[Français]

    Merci beaucoup, mesdames Rioux et Basque.

[Traduction]

    Je vous sais gré d'être venues. Malheureusement, c'est tout ce que je peux vous dire sans l'aide d'un interprète.
    Des députés: Oh, oh!
    M. Robert Kitchen: Vous avez toutes les deux dit quelque chose qui a retenu mon attention, et je n'ai pas beaucoup de temps vu que je partagerai mon temps avec Mme Wagantall.
    Madame Rioux, vous avez parlé du besoin d'éviter de glorifier la mort par suicide. Pouvez-vous expliquer ce que vous vouliez dire par cela?

[Français]

    En utilisant le suicide comme moyen de mettre fin à ses souffrances, un militaire risque de recevoir des honneurs, de l'attention et de la reconnaissance. C'est ce que j'appelle la glorification du suicide. On peut glorifier la personne décédée ou lui rendre hommage, mais il est important de dissocier cela de son geste, de son suicide. Il ne faut pas qu'un militaire considère qu'en posant un tel geste il va recevoir plus d'honneur qu'un autre soldat décédé d'une crise cardiaque ou d'une autre cause. Il faut éviter qu'il y ait un phénomène de contagion et que les gens pensent que c'est une façon de retrouver de la reconnaissance de la part des Forces canadiennes et de la société.
(1705)

[Traduction]

    Merci.
    Quelqu'un qui tente de s'enlever la vie parce qu'il souffre peut-être de dépression ou qu'il vit d'autres situations difficiles se fait souvent accoler une étiquette. C'est une tare. Quelqu'un se dit qu'il ne vaut rien. J'essaie de concilier cette perspective avec votre commentaire concernant la glorification du suicide et la question de savoir si une personne chercherait vraiment à passer à l'acte, mais je vous sais gré de vos commentaires.
    Mademoiselle Basque, vous avez parlé de formation sur la prévention du suicide. Dans quelle mesure est-elle importante au sein de votre organisation?

[Français]

    C'est un volet extrêmement important de notre organisation. L'AQPS conçoit des produits de formation avec des partenaires majeurs comme le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, de même qu'avec d'autres organisations ayant une expertise en données probantes. Nous devons nous inspirer et apprendre de la recherche pour offrir à nos intervenants et à nos concitoyens l'occasion d'acquérir des compétences concrètes qui leur permettront de jouer un rôle en prévention du suicide.
    L'AQPS a actuellement une vingtaine de produits de formation différents. Nous avons formé au-delà de 19 000 intervenants pour qu'ils utilisent les bonnes pratiques et les outils cliniques leur permettant de reconnaître les facteurs proximaux du suicide. Il y a 75 facteurs associés au suicide, et certains ont plus de poids que d'autres. On observe certains facteurs de façon très rapprochée lors d'un passage à l'acte.
    Grâce à l'expertise que nous avons acquise et aux outils dont nous disposons, nous améliorons nos interventions auprès des personnes suicidaires ambivalentes afin qu'elles renouent avec leurs raisons de vivre.
    La formation pour les sentinelles est élaborée selon un modèle similaire, en tout respect, bien sûr, du rôle et des responsabilités qui appartiennent à des citoyens volontaires dans leur milieu. Cette formation va outiller ces gens afin qu'ils soient en mesure de vérifier la présence d'idées suicidaires, de connaître les ressources et d'accompagner la personne suicidaire vers ces ressources, car c'est souvent un pas difficile à franchir pour cette personne.
    Nos produits de formation sont complémentaires et visent à resserrer le filet de sécurité autour des personnes suicidaires.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    J'espère que j'ai laissé suffisamment de temps à Mme Wagantall pour poser des questions.
    Comme vous le savez, au Canada, nous avons récemment légalisé le suicide assisté et l'aide médicale à mourir. Depuis ce temps, 800 Canadiens ont choisi cette option. Avec l'entrée en vigueur de ces mesures législatives, je me suis beaucoup préoccupée de nos anciens combattants, de nos soldats, qui estiment que la vie ne vaut plus la peine d'être vécue et qui pourraient voir cela comme une affirmation. Dans le cadre de votre travail, remarquez-vous la moindre différence depuis l'adoption de ces mesures législatives?

[Français]

    Il est trop tôt pour faire l'état de la situation ou obtenir une documentation pertinente concernant l'aide médicale à mourir — c'est comme cela que nous l'appelons au Québec.
    Cela dit, nous sommes extrêmement préoccupés par ce sujet. Au moment de l'élaboration de cette loi, il y a déjà quelques années, nous avons participé aux consultations de la commission parlementaire de l'Assemblée nationale du Québec pour faire part de nos préoccupations quant à un possible glissement en matière d'acceptabilité sociale du suicide.
    Une personne en fin de vie a l'impression, à tort ou à raison, que sa vie ne vaut plus la peine d'être vécue; c'est le jugement qu'elle porte. C'est pour cela qu'elle souhaite demander l'aide médicale à mourir, pour provoquer sa mort. Même dans un contexte médical, on comprend bien les raisons qui poussent les gens à vouloir se prévaloir de cette mesure.
    Nos préoccupations portaient sur la manière d'offrir à une personne vulnérable, qui ne va pas bien, qui a l'impression que sa souffrance est intolérable, qui est dépressive et suicidaire, les mêmes soins auxquels elle devrait avoir droit, sans légitimer une demande d'aide médicale à mourir dans un contexte où légalement cela ne s'appliquerait pas.
    Nous sommes extrêmement préoccupés par cette question. Pour l'instant, il est trop tôt pour mesurer les effets concrets et documentés de l'aide médicale à mourir.
(1710)

[Traduction]

    Merci de votre réponse.
    Monsieur Graham.

[Français]

    Merci de vos commentaires.
    Vous avez beaucoup parlé de formation. Dans le contexte des anciens combattants, j'aimerais savoir qui on devrait former.
    Les équipes soignantes devraient recevoir une formation spécialisée pour faire une intervention complète et accueillir adéquatement les anciens combattants en tenant compte de la demande d'aide des hommes militaires qui ne se présente pas toujours de la même façon. Ces équipes devraient aussi utiliser des outils cliniques précis ainsi qu'assurer le suivi et l'accès aux services et aux ressources.
    Les réseaux de sentinelles auxquels nous faisions référence peuvent aussi être proposés. Les sentinelles doivent être des adultes volontaires qui sont déjà dans un rôle où ils ont la confiance de la personne qui pourrait se confier et accepter de s'ouvrir sur sa difficulté. Cela ne peut pas être l'équipe soignante. Il faut vraiment que ce soit des personnes qui gravitent autour des anciens combattants et qui sont capables d'avoir accès à eux même si elles ne sont pas des spécialistes.
    Permettez-moi de faire un parallèle entre les anciens combattants et le milieu agricole. Nous avons formé des réseaux de sentinelles de façon massive et nous avons même mis sur pied une formation propre au milieu agricole. Les producteurs agricoles sont souvent isolés. Ils ne font pas nécessairement partie d'un réseau. Cela dit, il y a quand même des gens qui gravitent autour d'eux et qui les côtoient, parce qu'ils leur offrent des services. Ce sont ces gens qui ont été formés à titre de sentinelles pour rejoindre les producteurs agricoles.
    On pourrait penser à mettre sur pied un système similaire pour les anciens combattants, c'est-à-dire évaluer dans quels lieux ils se retrouvent, qui ils voient, avec qui ils sont en contact régulièrement dans leur vie quotidienne. Ces gens peuvent devenir des sentinelles, s'ils le désirent, bien sûr. En effet, cela ne peut pas être une obligation. Tout cela est intimement lié à la formation d'intervenants. La sentinelle doit avoir accès à du soutien pour elle-même et pour être en mesure d'accompagner la personne suicidaire vers un intervenant 24 heures sur 24.
    On pourrait donc former les familles et les militaires eux-mêmes.
    Oui, si le militaire n'est pas lui-même suicidaire et si la famille n'a pas elle-même besoin de soins et d'accompagnement.
    Les proches des personnes suicidaires ont d'autres besoins et doivent obtenir des soins. Ils ne peuvent pas agir à titre de sentinelles dans un moment plus difficile de leur vie familiale. Ils ont besoin de prendre soin d'eux-mêmes et de leurs proches et de savoir comment accompagner et soutenir le conjoint ou la conjointe qui ne va pas bien. Nous essayons d'éviter de former les proches, précisément quand ils vivent un moment difficile. Bien sûr, à d'autres moments, c'est possible de le faire.
    Vous avez aussi parlé d'éviter la glorification des militaires morts par suicide.
    Un peu plus tôt, nous avons parlé avec le général Dallaire du besoin de compter les suicides de guerre comme des morts de guerre.
    Comment peut-on réconcilier ces deux approches?
    Pouvez-vous répéter la question? Je veux être certaine d'avoir bien compris.
    On veut éviter de glorifier le suicide, bien sûr, mais on veut aussi reconnaître les vétérans qui se sont suicidés à cause de blessures mentales subies à la suite de leur participation à la guerre. On doit les reconnaître, mais sans les glorifier. Comment peut-on concilier cela?
    C'est sûr qu'il faut reconnaître comme des victimes les gens qui ont combattu. Évidemment, cela pose un certain risque. Certains intervenants en prévention du suicide s'inquiètent de faire ce parallèle. C'est une question complexe.
    Nous vous recommandons de prendre un certain temps et d'en parler avec des spécialistes de la question. Il y en a plusieurs au Québec, notamment des chercheurs comme Brian Mishara. Certains intervenants qui travaillent au sein de l'armée ont aussi une spécialisation en la matière.
    Nous n'avons pas toutes les réponses, mais nous croyons qu'il est important de s'attarder à cette question et de trouver les bonnes pistes afin d'éviter une telle glorification.
    Voici la nuance qu'il convient de faire. Bien sûr, il faut recueillir des renseignements utiles sur les suicides de militaires et d'anciens combattants afin de comprendre ce qu'on aurait pu faire pour les éviter et pour mettre en place des services adéquats. Cependant, en rendant hommage à une personne décédée par suicide, il ne faut pas envoyer le message qu'on rend aussi hommage à la manière dont elle a mis fin à ses souffrances. Il ne faut pas non plus occulter le fait qu'il fallait offrir des services à cette personne et placer un filet de sécurité autour d'elle afin d'éviter qu'elle ne passe à l'acte.
    C'est une préoccupation qu'il y a dans tous les milieux. À la suite d'un décès par suicide, on parle de postvention. Cela consiste à se demander quelles interventions on peut faire auprès des proches, des pairs et des milieux qui ont vécu la perte de quelqu'un. On est toujours préoccupé par la manière dont les gens ayant perdu quelqu'un qu'ils aimaient souhaitent lui rendre hommage. On ne veut pas que cela envoie un message de glorification ou qu'on lui rende un hommage démesuré. On s'inquiète des risques que pose le fait de mettre l'accent sur la manière dont une personne est décédée, c'est-à-dire sur le fait qu'elle s'est enlevé la vie.
(1715)

[Traduction]

    On vient juste de me demander de renforcer cette affirmation, monsieur le président.
    Vous devrez être bref. Nous manquons de temps.
    Avant que les personnes se suicident, l'option est d'avoir un système qui reconnaisse qu'elles ont été blessées de façon honorable. Si vous avez une façon fiable de montrer qu'elles l'ont été, et si elles estiment que cela a été reconnu — comme dans le cas des personnes qui ont perdu un bras ou une jambe — vous avez ensuite un équilibre entre ces personnes et celles qui ont seulement choisi l'autre option. Je suis tout à fait d'accord avec les témoins pour dire qu'il ne faut pas essayer de leur rendre hommage simplement parce qu'elles se sont suicidées. Il faut reconnaître au préalable que les militaires ont subi une blessure de façon honorable et les traiter honorablement comme l'ont fait leurs régiments et d'autres. On réussira alors à trouver un équilibre.
    Merci.
    Allez-y, madame Mathyssen.
    Merci.
    Je suis ravie que vous ayez soulevé cet argument, général Dallaire, car le trouble de stress post-traumatique est une blessure qui a affaibli un ancien combattant d'une certaine façon.
    Vous avez parlé des personnes au combat qui souffrent de cette blessure, mais nous savons que le trouble de stress post-traumatique peut frapper les personnes qui ne sont pas au combat. Je pense notamment à une statistique tirée du sondage de 2016 de Statistique Canada qui révèle que plus du quart des femmes dans les forces armées ont dit avoir été agressées sexuellement au moins une fois dans leur carrière.
    Vous êtes-vous demandées si les agressions sexuelles dans l'armée — pas seulement contre les femmes, mais aussi contre les hommes — sous-tendaient les cas de trouble de stress post-traumatique en situation de combat ou de non-combat?

[Français]

    À ma connaissance, le lien de cause à effet n'a pas été très bien démontré, comme c'est le cas pour d'autres types de difficultés. Je ne veux en rien diminuer les effets des agressions sexuelles, qui sont épouvantables tant sur les femmes comme sur les hommes, mais je veux seulement préciser qu'on peut fragiliser quelqu'un qui ne l'est pas et fragiliser davantage quelqu'un qui est déjà en détresse.
    Le suicide est complexe. Les facteurs de vulnérabilité au suicide sont également complexes. Il n'y a pas de cause unique qu'on puisse associer directement au suicide. Je ne sais pas si des données particulières ont permis de démontrer le lien entre le suicide chez les militaires et les agressions sexuelles.

[Traduction]

    D'accord, merci.
    Je me demande si les professionnels de la santé mentale devraient jouer un rôle plus central pendant la transition d'un ancien combattant. Est-ce qu'une présence plus marquée de ces professionnels faciliterait cette transition, soulignerait la valeur de l'ancien combattant et montrerait que les fonctionnaires du MDN et d'AAC comprennent ses problèmes de santé mentale et éprouvent de la compassion pour lui?

[Français]

    Nous proposons que la même équipe de soins suive le militaire, qu'il soit un militaire actif ou un ancien combattant qui a été libéré des Forces canadiennes en raison de son état de santé. Bien sûr, cela favoriserait la transition. Ultimement, cela ferait en sorte d'éliminer cette transition. Il s'agirait de la même équipe de soins qui s'occuperait d'un même militaire dont les besoins évolueraient. Comme la demande d'aide continue d'être fragile chez les hommes militaires, il est important de l'accueillir dans sa particularité. Il faut continuer de construire le lien de confiance qui s'est créé plutôt que de changer d'intervenant.
(1720)

[Traduction]

    Merci.
    Nous savons et avons entendu dire à maintes reprises à quel point les familles sont importantes pour le bien-être général de l'ancien combattant. Dans quelle mesure votre organisme intervient-il auprès des membres de la famille? Je ne pense pas seulement à la façon dont il soutient et aide les anciens combattants, mais aussi comment il aide les membres de la famille à survivre.
    Dans un témoignage précédent, nous avons entendu dire que le nombre de suicides chez les enfants d'anciens combattants était à la hausse, ce qui est très troublant. Comment intervenez-vous auprès des familles?

[Français]

    Notre association n'est pas un organisme qui offre des services aux citoyens qui ne vont pas bien. Nous avons une expertise en prévention du suicide, mais nous travaillons avec plusieurs partenaires qui offrent des services cliniques, dont les centres de prévention du suicide. Notre expertise tient compte de cela.
    Au Québec, la façon d'intervenir a changé. Il y a quelques années, par exemple, on croyait à tort que le fait que la personne qui n'allait pas bien téléphone elle-même favorisait sa prise en charge. Or aucune recherche ne démontre que le rétablissement est plus efficace si la personne demande elle-même de l'aide. Ce que nous savons sur le suicide rend cette présupposition d'autant plus inappropriée.
    Au Québec, on a adapté les services offerts afin qu'on accueille la demande d'aide provenant des proches et, bien sûr, pour qu'on soutienne ces derniers quand ils font cette demande, quand ils manifestent de l'inquiétude pour quelqu'un d'autre. Les services offerts par les centres de prévention du suicide et les centres intégrés de santé tiennent compte de cette réalité.

[Traduction]

    Je pense que c'est très important. En Ontario, il faut demander de l'aide soi-même. Votre famille ne peut pas le faire à votre place. C'est extrêmement frustrant.
    Vous avez parlé des outils et des organismes externes. Nous avons aussi entendu dire qu'il y a un véritable esprit de famille au sein des forces armées. Trouvez-vous...
    Je suis désolé, votre temps est écoulé.
    C'est maintenant au tour de M. Fraser.
    Merci.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie nos deux invités de nous avoir livré leur présentation et d'être venus discuter d'un sujet aussi important. L'information dont vous nous faites part sera très utile à notre comité.
    Vous avez déjà parlé de l'importance des familles et des proches dans ces situations. Pourriez-vous nous dire comment, dans les cas de suicide, il serait possible d'intervenir plus tôt avec l'aide des familles et des proches? Comment serait-il possible de rallier ces personnes autour du vétéran dans de telles situations?
    La prévention du suicide est l'affaire de tous, mais c'est aussi l'affaire des proches des personnes suicidaires. Ces dernières laissent des indices de détresse. On ne les voit pas toujours. On n'a pas toujours accès à l'ensemble du portrait. Chaque individu possède un morceau du casse-tête, et c'est quand on assemble tous ces morceaux qu'on arrive à comprendre dans quel état se trouve la personne, quels besoins ont été précisés et quels indices de détresse devraient nous mettre la puce à l'oreille.
    Pour ce qui est des soins à offrir à la personne suicidaire, les proches ont de l'information privilégiée. Les ressources et les soins que nous pourrons offrir aux proches aideront ceux-ci à traverser la crise, à bien jouer leur rôle et à devenir un peu plus solides.
(1725)
    Il faut qu'ils sachent que des lignes spécialisées en prévention du suicide existent, notamment au Québec. Une ligne canadienne pour la prévention du suicide sera mise en oeuvre prochainement. Des projets pilotes sont mis sur pied. Cette ligne s'adressera à la population civile, mais aussi aux militaires et à leurs proches. En effet, ceux-ci peuvent se poser d'énormes questions, être inquiets et se trouver dans un état d'extrême vigilance. Il est donc important de faire savoir aux proches que ces ressources existent et qu'ils peuvent être guidés par des spécialistes en prévention du suicide.
    Dans le cadre d'une stratégie sur la prévention du suicide, la postvention est extrêmement importante. Si on élabore une stratégie, il faut penser à des mécanismes de postvention. Que fait-on après le suicide de quelqu'un? Comment annonce-t-on les choses? Comment protège-t-on son environnement, ses collègues et sa famille, notamment? On peut faire de la prévention auprès de ces gens, qui sont plus susceptibles de commettre un suicide après le décès de quelqu'un.
    Il est important d'inclure de telles personnes dans le processus. En effet, plus on intervient tôt dans une situation de suicide, meilleur est le résultat.
    Est-ce bien cela?
    Oui.
    Madame Basque, vous avez parlé, je crois, de services en ligne associés à votre organisation.
    En vous basant sur votre expérience, me diriez-vous si les personnes en crise utiliseront les services en ligne? Peut-être qu'elles n'utiliseront aucun autre moyen de communication. C'est nouveau pour certains vétérans, mais c'est un mode de communication moderne. Pensez-vous que certaines personnes n'utiliseront que les services en ligne?
    Oui, nous le pensons. Des expériences ont été menées un peu partout dans le monde. Quelques-unes ont été faites au Canada, mais je dirais que nous sommes très peu avancés dans ce domaine. Au Québec, notamment, nous accusons du retard à cet égard. Certaines expériences démontrent que le Web permet de rejoindre d'autres types de clientèle, par exemple des gens qui n'iraient pas rencontrer des intervenants ou qui n'utiliseraient pas le téléphone pour demander de l'aide. Comme nous le disions un peu plus tôt, c'est le cas des personnes plus isolées. Les jeunes, aussi, communiquent très peu par téléphone maintenant.
    On peut offrir d'autres façons d'interagir, notamment les textos et le clavardage. Dans certains pays, il y a de l'intervention en ligne. Il ne s'agit pas seulement d'établir un premier contact et d'intervenir par la suite au téléphone pour créer une alliance thérapeutique. Cela peut se faire en ligne, à distance. Pour certaines personnes, c'est moins intimidant. Elles se livrent davantage et peuvent choisir la fréquence des contacts.
    Toutes sortes de modèles existent actuellement. Au Québec, le Centre de recherche et d'intervention sur le suicide et l'euthanasie, le CRISE, étudie beaucoup la question.
    Bref, il y a des choses à explorer dans ce domaine, mais nous accusons du retard, malheureusement. Ce retard touche non seulement les militaires, mais la société civile également.
    Je vous remercie beaucoup.
    Cela signifie qu'il faut mettre en oeuvre les services dont les personnes suicidaires ont besoin là où elles se trouvent. Si c'est sur le Web, il faut être présent sur le Web. Si c'est au bout du fil, il faut être présent au bout du fil. Si elles se trouvent dans un lieu physique plus isolé, mais sont tout de même en contact avec une personne une fois par semaine, il faut que cette personne assure la vigilance et favorise cette demande d'aide.
    Après le décès par suicide d'une personne, il n'est pas rare que, sur les réseaux sociaux, les gens discutent du décès et expriment leur détresse et leur désarroi. Cela créé du désarroi parmi les intervenants en prévention du suicide, notamment les intervenants scolaires. Les gens ne savent pas trop quoi faire. Il y a des pistes de solution à proposer. Il faut mettre quelque chose en oeuvre pour que ces gens puissent repérer, dans les forums de discussion et les réseaux sociaux, les personnes qui sont les plus vulnérables.
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Merci.
    Malheureusement, c'est tout le temps que nous avions pour les témoignages aujourd'hui. Je m'en excuse.
    Je tiens à remercier votre organisme et à vous remercier toutes les deux du soutien que vous offrez aux hommes et aux femmes qui ont servi dans les forces armées.
    De plus, si vous souhaitez ajouter quelque chose à votre témoignage, prière de l'envoyer au greffier, qui pourra ensuite le transmettre au Comité.
    Sur ce, je vais suspendre la séance pendant une minute exactement, et nous nous occuperons ensuite d'affaires du Comité pendant environ cinq minutes. Je m'excuse auprès des membres du Comité d'avoir à vous garder un peu plus longtemps. Toutes les personnes qui n'ont pas besoin d'être ici peuvent partir. Nous allons commencer à étudier les affaires du Comité dans une minute.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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