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Merci, monsieur le président et membres du Comité.
Je vais commencer, puis je passerai la parole à M. Girard.
Tout d'abord, je vais faire un petit rappel de ce qu'est l'Union des producteurs agricoles, UPA. L'UPA représente 41 406 agricultrices et agriculteurs du Québec et 30 000 producteurs forestiers. Son réseau regroupe 12 fédérations régionales ainsi que 26 groupes affiliés ou spécialisés.
La détresse psychologique est un réel problème dans le domaine de l'agriculture, et ce problème est très important. Plusieurs facteurs sont en cause, notamment des investissements de plus en plus grands et une réglementation exigeante.
Le monde agricole vit une incertitude financière. Je pense que tout le monde ici est au fait des négociations en cours concernant l'ALENA et qui auront des répercussions. La question du manque de main-d'oeuvre est aussi un facteur de détresse, tout comme le milieu de travail ou le milieu de vie, où la conciliation travail-famille est difficile à réaliser.
Le problème doit être vu dans son ensemble. Il faut s'adapter, entre autres, aux conditions dans lesquelles les productrices et les producteurs exercent leur métier. C'est bien important. Il faut aussi adapter les services psychosociaux et les services de santé qui leur sont offerts.
Notre présentation propose des recommandations s'inscrivant dans trois axes d'intervention. Je vais commencer par le premier et je vais laisser M. Girard présenter les deux autres.
Ces recommandations touchent d'abord la prévention, notamment les aspects socioéconomiques et la promotion de la santé.
Au chapitre de la prévention, nous recommandons la mise en place de programmes facilitant le transfert de ferme intergénérationnel. C'est un élément assez important sur le plan fiscal, et nous devons faire quelque chose.
Nous mentionnons aussi le développement d'une stratégie de recrutement et de formation d'une main-d'oeuvre compétente, y compris les travailleurs étrangers.
Nous recommandons également la simplification des documents administratifs. Comme vous le savez, la complexité des programmes gouvernementaux exige de plus en plus d'efforts et d'énergie de la part de nos membres et, bien souvent, les gens finissent par abandonner.
Nous prônons aussi l'adoption de mesures compensatoires bien adaptées à la réalité du monde agricole et qui limitent les pertes économiques subies par les entreprises agricoles quand des ententes commerciales ont une incidence sur leur rentabilité.
Nous souhaitons, par ailleurs, la mise en place d'un programme de gestion des risques adapté, notamment en lien avec le climat. À l'heure actuelle, il y a une sécheresse au Québec. Il faut faire en sorte d'avoir des programmes qui sont adaptés à la réalité et qui facilitent les interventions ou les rappels.
Enfin, il est important d'avoir une stratégie nationale pour ce qui est des projets de formation et d'accompagnement des agriculteurs, deux aspects qui ont aussi leur importance.
J'invite maintenant M. Girard à poursuivre la présentation.
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Permettez-moi de me présenter. Je travaille pour l'Union des producteurs agricoles depuis 47 ans, dont 43 à titre de membre permanent. Depuis quatre ans, j'agis en tant que consultant dans le dossier de la santé psychologique.
Pendant ma carrière, j'ai régulièrement été aux prises avec des situations de grande détresse et vu des producteurs avoir des idées suicidaires. Malheureusement, quelques-uns d'entre eux sont passés à l'acte. C'est vraiment ce qui me motive à poursuivre mon travail avec l'Union des producteurs agricoles.
M. Caron faisait mention de trois axes. Le choix de ces axes est basé sur différentes études que vous pourrez éventuellement consulter, sur l'expérience du milieu agricole et, surtout, sur l'« Enquête sur la santé psychologique des producteurs agricoles du Québec » effectuée en 2006 par Ginette Lafleur et Marie-Alexia Allard. Ces dernières se sont penchées sur 78 suicides d'agriculteurs dont plus de la moitié avaient malheureusement reçu un diagnostic de problème de santé mentale. Ce constat nous porte à croire — et nous touchons ici notre deuxième axe — que l'on doit améliorer l'offre de services et l'adapter à la réalité des agriculteurs.
Je reviens à la recommandation concernant l'amélioration des services psychosociaux et des services de santé. Il faut en arriver à ce que le milieu communautaire et le secteur de la santé reconnaissent les particularités du monde agricole. Pour atteindre cet objectif, nous suggérons le développement d'un volet sur l'agriculture à l'Association canadienne pour la santé mentale. Vous verrez que nos recommandations tiennent toujours compte de ces particularités du monde agricole, comme le style de vie, le nombre d'heures de travail, et cette pression que subissent sans cesse nos membres pour devenir plus productifs.
Le deuxième élément est le développement d'une stratégie de prévention par la promotion de la santé et d'un meilleur équilibre de vie. Cette année, nous avons fait le choix de promouvoir l'équilibre de vie. L'agriculture est une vocation, et les agriculteurs sont des passionnés qui dépassent souvent le nombre limite recommandé d'heures de travail. Il le font souvent par obligation, oui, mais ils le font aussi parfois par passion. Nous voudrions donc sensibiliser les producteurs à un meilleur équilibre de vie.
Ensuite, il est question de l'implantation de services publics de santé et de services psychosociaux dans toutes les régions du Canada. Dans les villes et en banlieue, ces services sont assez disponibles, mais dans plusieurs régions du Québec et — je présume — du Canada, l'accessibilité à des services de qualité est très difficile.
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Contact Richelieu-Yamaska est un centre d'intervention de crise desservant l'ensemble de la population. Nous sommes situés dans la région de Saint-Hyacinthe, où se trouvent de nombreux agriculteurs.
Au fil des ans, l'image de l'agriculteur a changé dans la population. Auparavant, il était perçu comme quelqu'un qui n'avait pas beaucoup d'éducation, puis on l'a perçu comme quelqu'un qui avait beaucoup d'argent. Et maintenant, c'est quelqu'un de dérangeant parce que sa machinerie est trop lente sur le chemin. Tout cela pour vous dire que la population n'a pas une très bonne image des agriculteurs, ce qui entre beaucoup en ligne de compte dans leur détresse.
Je vais vous donner des exemples de ce que nous voyons dans notre centre d'intervention de crise. Quand quelqu'un nous appelle, c'est qu'il est rendu au bout du rouleau et qu'il pense au suicide. Des gens nous appellent pour nous dire qu'ils ne sont plus capables, et que leur seule solution, c'est la mort.
Je vous donne l'exemple de cet homme qui s'était pris un bras dans sa machinerie. Pour un agriculteur, perdre un bras, c'est grave, c'est très important: il a l'impression qu'il n'est plus capable de travailler. Cet homme est allé à l'hôpital et c'est là qu'il s'est suicidé. Personne n'a été capable d'intervenir. Sa conjointe a dû faire face à cette situation, et j'ai travaillé avec elle. Le comble du malheur, c'est qu'elle n'a même pas pu aller à l'enterrement de cet homme parce qu'elle devait traire les vaches.
C'est un métier à part, c'est un monde à part. C'est cela qu'il faut comprendre. C'est cela qu'il faut que la population comprenne. C'est cela qu'il faut que le système de santé comprenne. C'est au système de s'ajuster aux agriculteurs, et non l'inverse. Les agriculteurs sont des gens qui travaillent beaucoup. Ils nous appellent quand ils peuvent, et nous devons répondre quand ils appellent. Nous devons les aider quand ils appellent, les aider à trouver d'autres solutions.
Quelqu'un m'a raconté que son arrière-arrière-grand-père avait donné une terre à son arrière-grand-père, qui l'avait léguée à son grand-père, de qui lui-même la tenait, mais qu'il allait la perdre parce qu'il n'avait plus d'argent. Sa seule solution était le suicide, parce que les assurances allaient payer. Ce n'est pas facile de ramener quelqu'un du bord de ce précipice. Cet individu allait non seulement perdre sa ferme, mais aussi son identité, et il deviendrait pour sa famille celui qui qui aurait échoué. Cela vous donne une idée de ce que nous vivons.
Il y a d'autres exemples auxquels les gens ne pensent pas. Dans notre coin, nous n'avons que des pompiers bénévoles, et ce sont souvent des agriculteurs qui font ce métier. Dernièrement, quelqu'un à Saint-Hyacinthe est tombé dans une fosse à purin et il en est décédé. Ce sont ses amis agriculteurs qui l'ont sorti de là. Imaginez leur choc! Ces personnes ont sorti leur ami d'une fosse à purin. Y a-t-il pire façon de mourir? Ces personnes étaient à ramasser à la petite cuillère.
Tous ces gens vivent des traumatismes. Ils ont besoin d'aide. Nous avons réussi à le faire, mais cela prend des structures et le moyen de répondre rapidement à ces besoins pour aider ces gens à faire face à leur souffrance avant qu'elle ne dégénère en une détresse trop grande. Ces agriculteurs sont touchés, et ce souvent des gens qui risquent de devenir suicidaires.
Quand on parle de suicide dans le milieu agricole, cela ne touche pas seulement la personne décédée, mais aussi tout son entourage. J'ai parlé à des fils et des filles d'agriculteurs: les conséquences sont terribles. Souvent, en agriculture, le père est considéré comme le modèle et la personne forte de la famille. Les jeunes se disent que si leur père n'a pas pu résister, ils devraient eux aussi se suicider puisqu'ils sont plus faibles que lui. C'est sur cette perception que les gens ont d'eux-mêmes que nous devons travailler. C'est difficile. Il faudrait se concerter avec les réseaux de santé.
Vous allez rencontrer la semaine prochaine les représentants d'un organisme qui s'appelle Au coeur des familles agricoles, avec lequel nous collaborons. Souvent, nous commençons à nous occuper de leurs clients quand ceux-ci en arrivent à songer au suicide. Nous sommes outillés pour cela, nous avons une structure pour les aider, nous pouvons les héberger ou les voir chez eux, nous pouvons les soutenir. Quand les agriculteurs en sont rendus là, c'est limite. Il y a de 20 à 30 % de plus de suicides chez les agriculteurs que dans le reste de la population active, ce qui prouve que ce milieu est un monde à part.
Je m'arrête ici pour que vous puissiez poser vos questions.
Je vous remercie de cette occasion de prendre la parole devant vous.
Je m'appelle Andria Jones-Bitton, et je suis professeure agrégée au Ontario Veterinary College de l'Université de Guelph. Mes travaux de recherche portent essentiellement sur la santé mentale des agriculteurs. Je crois savoir d'ailleurs qu'il y a parmi vous un certain nombre d'agriculteurs.
Les problèmes de santé mentale éprouvés par les agriculteurs nous sont connus depuis déjà plusieurs générations, mais en raison d'un tabou qui pèse sur la question, et de la culture qui prévaut dans le monde agricole, il était interdit d'en parler. Or, pour diverses raisons, cela est en train de changer, et la communauté agricole ne craint plus d'évoquer la question.
Vous avez maintenant une excellente occasion d'intervenir, car la pérennité de notre système alimentaire dépend de la solidité du monde agricole. Je suis intimement persuadée que le gouvernement fédéral a les moyens de solidifier notre agriculture, et je vous demanderais, à cet égard, de considérer trois recommandations: d'abord, appuyer la création d'un réseau national de services en santé mentale pour les agriculteurs; deuxièmement, fournir un volet de financement fédéral pour la recherche sur la santé mentale des agriculteurs; et troisièmement, appuyer la mise en place, dans les collèges d'agriculture et de médecine vétérinaire au Canada de programmes de formation fondés sur des données probantes.
Si je formule ces recommandations, c'est parce que mon enquête de 2015 sur la santé mentale des agriculteurs a révélé une situation qui me préoccupe de plus en plus. Il devait s'agir, à l'origine, d'une petite enquête pilote sur les éleveurs de bétail de l'Ontario, mais, à la demande d'autres provinces et des représentants d'autres secteurs agricoles, nous avons étendu l'enquête à l'ensemble du pays. Cela montre combien la communauté agricole canadienne souhaite voir évoquer la question de la santé mentale des agriculteurs. À l'aide d'échelles psychométriques validées, nous avons, en sondant plus de 1 100 agriculteurs représentant les diverses régions du pays et les divers domaines de production, mesuré cinq indicateurs en santé mentale.
Hélas, cette étude n'a fait que confirmer les préoccupations que nous inspirait un certain nombre de données empiriques. En effet, on a relevé un niveau de stress élevé chez 45 % des agriculteurs ; de l'anxiété chez 58 % d'entre eux; et des indices de dépression chez 35 % des sujets. L'épuisement professionnel, qui est également un sujet de préoccupation, se mesure selon trois sous-échelles: un fort épuisement émotionnel, un degré élevé de cynisme et une efficacité professionnelle réduite. Et enfin, nous avons mesuré la résilience, c'est-à-dire l'état qui contribue au bien-être et atténue l'impact du stress. Or, les deux tiers de nos agriculteurs se situaient sur l'échelle à un niveau inférieur à celui de l'ensemble de la population des États-Unis. Ils sont particulièrement vulnérables aux conséquences d'un stress chronique, c'est-à-dire l'anxiété, la dépression et le suicide.
La mauvaise santé mentale des agriculteurs est, bien sûr, un sujet d'inquiétude pour les agriculteurs eux-mêmes, mais cela entraîne en même temps des conséquences pour leur famille, ainsi que pour le bétail et la productivité de leur exploitation. Nous n'avons pas encore calculé de manière précise l'incidence que la santé mentale a sur l'ensemble du secteur agricole — mon équipe de recherche travaille actuellement sur la question —, mais d'après les résultats obtenus jusqu'ici, nous pensons pouvoir dire que cet état de choses freine la production agricole et constitue peut-être un obstacle majeur à la croissance et à l'innovation. Le Canada entend porter ses exportations agricoles, qui sont actuellement de 30 milliards de dollars par an, à 50 milliards, puis, éventuellement, à 75 milliards de dollars. Des technologies nouvelles contribueront très certainement à ce développement, mais la santé des agriculteurs est un facteur essentiel de l'équation.
Ajoutons qu'une mauvaise santé mentale fait poser une menace sur le bien-être du bétail. Les recherches que nous avons effectuées confirment en effet que les agriculteurs à la santé mentale précaire se révèlent souvent incapables de s'occuper correctement de leurs bêtes, même si le bien-être des animaux leur tient à coeur. Les incidents de maltraitance grave résultent souvent d'une maladie mentale.
Le Canada jouit, en matière agricole, d'une excellente réputation, et la clientèle a une bonne opinion des produits agricoles canadiens. Mais si nous souhaitons protéger notre image de marque, nous devons veiller à la santé mentale des agriculteurs. Il nous faut également prendre en compte le sérieux risque d'épuisement professionnel. L'épuisement professionnel entraîne par ailleurs un taux élevé de rotation des emplois et un taux médiocre de rétention. Vous avez tous entendu les agriculteurs se plaindre qu'ils ont du mal à conserver leurs employés, et les jeunes agriculteurs ont fait part des doutes qu'ils éprouvent à l'idée de reprendre l'exploitation familiale compte tenu des difficultés éprouvées par leurs parents.
Il est donc pressant d'améliorer la résilience et le bien-être des agriculteurs canadiens. Le métier d'agriculteur expose à tout un éventail de stress. Si l'on ne peut pas espérer entièrement éliminer le stress inhérent à ce métier, on peut aider ceux qui l'exercent à renforcer leur résilience, pour leur permettre de mieux faire face à leurs difficultés. La résilience est en effet quelque chose qui s'apprend. Or, le bien-être contribue à la santé et à la productivité, et aide en même temps à conserver ses employés. Il faudrait, pour cela, mettre en place des programmes de formation efficaces fondés sur des données probantes. J'ai pu constater, au cours de recherches menées auprès des agriculteurs, qu'on n'a guère droit à l'erreur, et qu'à partir du moment où ils estiment avoir perdu leur temps, c'est fini.
Or, en matière de santé mentale des agriculteurs, le Canada n'a pas de stratégie nationale. Cela veut dire que le monde agricole demeure passablement vulnérable. La santé mentale des agriculteurs suscite dans l'ensemble du pays un intérêt croissant. Or, si nous voulons éviter le chevauchement des initiatives, et utiliser au mieux les ressources disponibles, il va falloir, afin de coordonner les efforts à l'échelle nationale, créer un réseau canadien pour la santé mentale des agriculteurs.
Des recherches menées de concert avec les intéressés permettraient de recueillir les éléments pratiques dont les agriculteurs voudraient actuellement pouvoir disposer, et de mettre en place des programmes de formation d'une réelle utilité. Cela nous aiderait à instituer, dans les collèges d'agriculture et de médecine vétérinaire, des programmes de formation au bien-être. Nous pourrions ainsi initier les agriculteurs dès le départ. Mais il nous faut, pour cela, mettre en place dans l'ensemble du pays un réseau transdisciplinaire, et réunir les connaissances propres à l'agriculture, coordonnées par des gens qui connaissent le domaine. Nous pourrons ainsi conforter la situation de nos agriculteurs, consolider l'ensemble du secteur et favoriser son développement et son évolution.
Je vous remercie.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci beaucoup à vous tous de vos témoignages. Nous n'avons pas beaucoup de temps et c'est un dossier qui suscite beaucoup de questions chez les parlementaires. C'est pour cette raison que nous avons voulu garder plus de temps pour pouvoir vous poser des questions.
J'ai deux petites demandes à vous faire. Serait-il possible d'obtenir une copie de votre présentation? Je vois que vous lisez des notes. Ce serait bien si nous pouvions les avoir également, étant donné que nous n'avons pas eu le temps d'entendre vos témoignages au complet. Si vous pouviez les faire parvenir au Comité, ce serait très apprécié.
Monsieur le président, compte tenu de ce que j'ai entendu ce matin, de l'importance de cette étude et de l'importance de parler de la santé mentale des agriculteurs, tous les membres du Comité conviendront avec moi qu'il serait pertinent que cette étude soit télévisée, afin que nous puissions en discuter devant les Canadiens. Serait-il possible de faire des démarches en ce sens pour le reste de l'étude? Ce dossier doit sortir du monde agricole. Nous devons faire comprendre à l'ensemble des Canadiens quels sont les problèmes auxquels doivent faire face les agriculteurs.
Je reviens à votre témoignage, monsieur d'Amours. Vous avez dit que la perception des agriculteurs par la population ne va pas en s'améliorant, malheureusement. Nous avons une occasion unique de mettre l'accent sur les agriculteurs et sur leurs problèmes.
Monsieur le président, pourrait-on voir si c'est possible de faire en sorte que l'étude soit télévisée?
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Permettez-moi d'apporter mon témoignage.
Je suis un producteur laitier et céréalier à Louiseville. Tout comme mon père, je suis né sur mon entreprise agricole. Vous comprendrez que notre entreprise, c'est notre bébé. Nos terres, c'est notre bébé. Il y a un côté émotif, comme cela a déjà été évoqué.
C'est ce côté émotif qui nous différencie. On naît et on grandit parmi les animaux, sur le terrain et tout cela. C'est un lien vraiment familial. Lorsque les producteurs affirment que leur entreprise, c'est leur bébé, c'est parce qu'ils sont prêts à demander à un vétérinaire de venir quand un de leurs animaux est malade. Quand la mécanique fait défaut ou quand les sols ont besoin qu'on intervienne, on fait le nécessaire. Par contre, quand il est question de santé mentale ou psychologique, l'agriculteur passe en deuxième, car il donne la priorité à son entreprise, son bébé. C'est cet aspect qui fait que les agriculteurs sont différents des autres entrepreneurs. Cela vient nous chercher profondément.
Tantôt, on a parlé de la dimension intergénérationnelle. Quand cela fait quatre ou cinq générations qu'une ferme existe, on veut continuer à l'exploiter. On a fait des traces dans le sol et on a vu ses parents et ses grands-parents faire de même. On veut suivre ces traces et on espère qu'une autre génération prendra la relève.
C'est pour cela qu'il est important de vraiment adapter les services et les programmes.
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Mes collègues ont dit des choses très importantes. Il est effectivement essentiel que l'effort soit mené de concert avec les intéressés. Il faudrait obtenir leur participation dès le départ, et aligner nos efforts sur les priorités qui leur sont propres, sans cela, nous n'aboutirons pas.
Les agriculteurs que nous avons contactés ont immédiatement dit ne pas avoir deux journées entières à nous consacrer. Nous avions en effet développé un très bon programme qui s'étendait sur deux jours. Nous leur avons demandé ce qui leur conviendrait, et nous pouvons maintenant leur proposer le choix entre un programme de quatre heures et un programme de huit heures.
Il est essentiel de s'assurer la participation des agriculteurs. Ils sont tout à fait disposés à prendre la parole. C'est simplement que personne ne leur a jamais demandé auparavant.
Comme l'a rappelé M. Caron, il nous faut développer des approches adaptées aux diverses situations.
Nos collègues du Manitoba ont, par exemple, mis en service des numéros d'appel destinés en particulier aux agriculteurs. Ceux qui appellent commencent généralement par poser deux questions: la première « Mon appel va-t-il demeurer confidentiel? » et puis, « Êtes-vous, vous-même, agriculteur? »
Trop souvent, lorsque quelqu'un se décide enfin à demander de l'aide, il se voit répondre: « Je vous conseille de rentrer chez vous et de prendre deux semaines de repos. » Mais on n'entend plus jamais après cela parler d'eux. Ils se découragent après s'être aperçus qu'en matière d'agriculture leur correspondant n'y connaissait rien.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à vous remercier tous des exposés que vous nous avez présentés, et de l'intérêt que vous portez à la question.
Andria, j'ai eu, au mois de mai, l'occasion de vous rencontrer à Guelph. Vous avez à cette occasion évoqué vos recherches, et, depuis, vous avez lancé le programme In The Know.
Lors de la discussion de ce matin, j'ai été frappé par le fait que ceux qui téléphonent commencent souvent en posant la question « Cet appel est-il confidentiel? » et puis « Êtes-vous, vous-même, agriculteur? » Or, on m'a posé essentiellement la même question lorsque je travaillais à Guelph auprès d'anciens combattants. Selon les anciens combattants, seul un ancien combattant est à même de comprendre ce qu'un soldat a vécu.
En 2017, nous avons dégagé 5 milliards de dollars sur 10 ans pour des initiatives en matière de santé mentale dans les provinces et territoires. Les crédits consacrés à la santé mentale des anciens combattants et des personnes autochtones ont eux aussi augmenté.
Vous avez évoqué l'idée d'un centre d'excellence national consacré au milieu agricole. Pourriez-vous nous en dire un peu plus, notamment quant à la manière d'assurer la participation des agriculteurs au sein même de leur communauté, peut-être par l'intermédiaire des églises ou de leurs associations? Quel serait le meilleur moyen d'aller à la rencontre des agriculteurs sur place, dans les lieux mêmes où ils se réunissent normalement, et d'obtenir qu'ils participent à des discussions sur ce sujet qui mérite notre attention?
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Il y a notamment le besoin d'adapter ce que l'on fait aux diverses situations. Pour les multiples raisons invoquées tout à l'heure on ne peut pas simplement reprendre les modèles en vigueur pour les appliquer aux agriculteurs.
Les agriculteurs font face en effet à des stress tout à fait particuliers. De nombreuses exploitations agricoles ne sont pas, certes, des petites entreprises, mais même si d'autres propriétaires de petites entreprises sont, eux aussi, exposés au stress, les types de stress éprouvés par les agriculteurs sont d'un type différent. On a rappelé, à plusieurs reprises, qu'il est fréquent que les gens aient du mal à comprendre la situation dans laquelle se trouvent les agriculteurs.
Une des choses qui m'ont frappée lors du lancement de notre enquête nationale c'est le fait que les agriculteurs ont un peu l'impression d'être en liberté surveillée. Ils se sentent visés par le public, par les groupes qui s'en prennent aux modes d'exploitation agricole, par les gens qui n'hésitent pas à livrer une opinion sur une activité dont ils ignorent pourtant presque tout. Vous pouvez vous moquer de moi en tant que professeur, mais mon métier ne représente qu'un seul volet de mon identité. Ce n'est pas le cas pour les agriculteurs, dont le métier est en quelque sorte consubstantiel à leur identité. La culture dans laquelle ils baignent, et toute leur histoire sont intimement liées à l'agriculture.
C'est dire que les mesures à prendre doivent être adaptées à ce domaine précis d'activité. Comment, donc, établir le contact avec les agriculteurs? D'après moi, le mieux serait de leur poser la question. Le Programme Sentinelle, mis en oeuvre au Québec, me paraît excellent. Je n'en ai pris connaissance que récemment, mais on peut, je pense, s'en inspirer.
D'excellentes choses se font également au Manitoba. Qu'il me soit permis de dire qu'il se fait également d'excellentes choses à Guelph. Si nous voulons effectivement protéger et préparer ceux et celles qui en ont besoin, il va nous falloir en savoir davantage sur ce qui se fait ailleurs.
Il est essentiel que les provinces agissent de concert et que leurs efforts soient coordonnés au niveau fédéral afin d'assurer la cohérence des mesures qui seront prises.
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Je tiens à remercier le Comité du temps qu'il a décidé de consacrer à un sujet qui, d'après moi, n'a pas toujours reçu l'attention qu'il mérite.
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de vous expliquer l'action de la Fédération canadienne de l'agriculture. Il me suffit, je pense, de rappeler que nous représentons les agriculteurs de toutes les régions du pays.
Vous n'ignorez pas que l'agriculture est un secteur d'activité très particulier. Ceux qui la pratiquent assument de grands risques en raison de la volatilité des cours et des incertitudes du temps. Ces facteurs échappent entièrement à leur contrôle et, souvent, l'agriculteur est en outre un peu isolé dans des zones éloignées. Que ce soit l'état des marchés, la météo, les maladies ou l'état de sa trésorerie, le producteur agricole supporte des charges immenses. En raison de ce qu'il a retenu des générations antérieures, et de ce que la société attend de lui, l'agriculteur est habitué à ne pas faire part de ses difficultés.
C'est pour cela que j'éprouve une telle satisfaction à prendre la parole devant vous aujourd'hui. Le fait de pouvoir évoquer en toute franchise, devant un public tel que votre comité, constitue une étape importante de ce long processus qui devrait permettre de lever les obstacles qui empêchent les agriculteurs de parler, aussi ouvertement que nous le faisons lorsqu'il s'agit de santé physique du stress, de l'anxiété et de la santé mentale en général. Il s'agit d'un domaine d'activité appelé à un grand avenir et marqué par un merveilleux sens de la solidarité et de l'entreprise. Or, nous avons à la fois les moyens et l'obligation d'en faire davantage pour aider les agriculteurs qui éprouvent des problèmes de stress ou de santé mentale.
J'avoue avoir moi-même éprouvé certaines difficultés à cet égard. Au début des années 1980, alors que mon épouse Cathy et moi-même en étions encore à nos débuts en agriculture, nous avons soudainement dû faire face aux taux d'intérêt extrêmement élevés en vigueur à l'époque. Sur le moment, je ne m'en suis pas rendu compte, mais en réfléchissant à ce qui s'est passé alors, je comprends que je frôlais la dépression. Je ne dormais plus. J'avais du mal à prendre des décisions. J'avais l'impression de déraper.
Nous avons eu de la chance. Un conseiller agricole a constaté que nous étions plusieurs jeunes agriculteurs dans cette situation. Il a organisé une série de réunions au cours desquelles il nous a exposé les moyens de faire face à nos difficultés financières, et nous a expliqué comment procéder. C'est, selon moi, la preuve que, si l'on veut régler les problèmes de santé mentale chez les agriculteurs, il faut prendre en compte non seulement l'exploitation, mais aussi la famille et le foyer. Si j'ai pu éviter le pire, c'est vraisemblablement parce que quelqu'un est intervenu en temps utile, pour régler ce qui était, dans mon cas, des difficultés essentiellement financières.
Dans le cadre de mes fonctions à la FCA, j'ai entendu des responsables agricoles me dire qu'il y a, dans toutes les régions du pays, un trop grand nombre de producteurs qui continuent à souffrir en silence jusqu'au moment où il est trop tard pour intervenir utilement. Face à cette situation, notre organisation a, en février dernier, organisé un symposium sur la santé mentale dans le domaine agricole. Nous avons pu réunir des spécialistes de la santé mentale, des chercheurs, des producteurs et des représentants de la filière issus des diverses régions du Canada, pour discuter de deux sujets qui revêtent une importance essentielle: d'abord, le besoin de parvenir à un consensus sur l'état actuel de la santé mentale dans le domaine agricole; et puis celui d'examiner ensemble les efforts et les mesures actuellement en cours en matière de santé mentale des agriculteurs.
On nous a communiqué les mêmes statistiques que celles dont Mme Jones-Bitton a fait état aujourd'hui. On a parlé en outre des baisses de productivité, des pensées suicidaires et des problèmes qu'entraîne, pour le bien-être des animaux, le fait de ne pas se pencher à temps sur les difficultés de santé mentale éprouvées par les éleveurs. Nous avons recueilli l'avis des prestataires de services et des associations agricoles des diverses régions du pays sur les mesures qui ont été prises, y compris les numéros de téléphone gratuits mis à la disposition des agriculteurs, les premiers soins en santé mentale et l'accès à des consultations médico-sociales réglées d'avance.
On a éprouvé une grande satisfaction en voyant tout ce qui se fait au Canada en ce domaine, mais nous avons retenu de cela surtout quatre choses.
D'abord, en matière de santé mentale, il faut intervenir bien avant l'étape de la prévention du suicide. Les suicides sont hélas trop nombreux, mais il s'agit d'une issue qui pourrait être évitée par une intervention plus précoce. Il ne faut pas attendre le dernier moment.
Deuxièmement, les mesures d'aide doivent être adaptées à la situation particulière des agriculteurs. Si un agriculteur a affaire à quelqu'un qui ne connaît rien à l'agriculture, il ressentira encore davantage son isolement et l'insuffisance de l'aide qu'on lui propose.
Troisièmement, bon nombre des initiatives qui nous ont été décrites sont menées dans le cadre provincial, sans vraiment chercher à savoir ce qui se fait ailleurs. Cela est, pour la FCA, un objet de préoccupation, car on devrait, au contraire, s'inspirer des pratiques exemplaires, et faire en sorte que les agriculteurs de toutes les régions aient effectivement accès à l'aide dont ils ont besoin.
Et enfin, les efforts en ce domaine peinent à trouver les ressources nécessaires. C'est le cas dans l'ensemble du pays, les services de santé mentale ayant du mal à survivre. Bon nombre d'intervenants, qui auraient tous souhaité pouvoir en faire davantage, se demandaient si, en fait, ils pourraient continuer à assurer les services dans les conditions actuelles. Il est donc essentiel d'accroître le financement des mesures de soutien en matière de santé mentale, tant au niveau fédéral qu'au niveau provincial.
À l'issue de ce symposium, nous avons pu annoncer la signature d'un protocole d'entente avec la Do More Agriculture Foundation. Ce protocole comprend deux volets.
D'abord, la FCA a institué une nouvelle récompense appelée « Prix commémoratif de Brigid Rivoire pour les meilleures pratiques en santé mentale ». Il s'agit de récompenser les personnes et les organisations qui font avancer l'état de la santé mentale au Canada, soit par un don, soit par des campagnes de promotion. Ce prix sera décerné à l'occasion de notre réunion annuelle, les lauréats étant invités à prendre la parole.
Comme beaucoup d'entre vous le savent, Brigid a été la directrice générale de la Fédération canadienne de l'agriculture de 2001 à 2015. Elle a toujours eu la réputation de vouloir aider les personnes qui en avaient besoin et d'être une personne attentive et généreuse. Elle est décédée en 2017, au moment où la FCA élaborait ce programme destiné à sensibiliser la population au sujet des problèmes de santé mentale que l'on retrouve dans l'agriculture.
Le deuxième engagement que nous avons pris avec la fondation Do More Agriculture consistait à lever des fonds pour financer la recherche sur la santé mentale dans l'agriculture, sujet que nous continuons à explorer.
La fragmentation dont j'ai parlé plus tôt est une des raisons pour lesquelles nous sommes encore en train de chercher à savoir comment nous pourrions appuyer la recherche dans ce domaine. Il est difficile de déterminer à qui le financement devrait être destiné, quelles sont les recherches en cours et les organismes qui ont besoin de ces fonds. C'est la raison pour laquelle la FCA se joint à Mme Jones-Bitton pour inviter le gouvernement du Canada à appuyer la création d'un réseau canadien pour la santé mentale dans l'agriculture, de façon à coordonner les activités, de veiller à ce que des études concrètes soient entreprises pour concevoir des mécanismes d'appui efficaces et à finalement inciter les collèges des vétérinaires et de l'agriculture à adopter des programmes sur la santé mentale et la résilience.
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Bonjour, je vous remercie de m'accueillir à votre comité.
Je veux remercier le député de Shefford, Pierre Breton qui, en moins de 24 heures, a répondu à ma lettre par un appel, ce que j'ai beaucoup apprécié.
Je m'appelle Pierre Beaulieu, je suis président-directeur général du Groupe leader plus.
Permettez-moi de vous en dire un peu sur mon parcours. J'ai grandi dans le monde des affaires, j'ai passé 10 ans dans la boulangerie familiale et 10 ans dans une entreprise de distribution de pièces d'automobile avec Esso et Chrysler Canada. J'ai dirigé le Groupement des chefs d'entreprise du Québec pendant 30 ans et d'autres groupes au Nouveau-Brunswick et en Europe. Sous ma direction, le nombre de membres est passé de 130 à 2 000, et le nombre de groupes, de 10 à 235.
Ma mission personnelle est de rassembler des leaders pour les aider à développer leur plein potentiel dans un esprit d'entraide, afin de bâtir une société plus sensée, centrée et prospère. J'ai pris ma retraite du Groupement des chefs d'entreprise du Québec en 2014.
Quand je dirigeais le Groupement, les agriculteurs nous demandaient de les aider à se regrouper, mais ils n'avaient pas les mêmes préoccupations que les PME manufacturières et de distribution. Quand j'ai pris ma retraite, les agriculteurs m'ont demandé d'établir des groupes qui leur permettraient de vivre ensemble, de s'entraider et de progresser comme personnes. La mission du Groupe leader plus, qui a été créé il y a trois ans, est de rassembler et d'accompagner des chefs, leur relève et des propriétaires du secteur agricole et de les aider à faire progresser leurs quatre responsabilités de dirigeants.
La première de ces quatre responsabilités est de développer l'entreprise à cinq niveaux: la croissance, les ressources humaines, les opérations, la réussite financière et la pérennité, et l'ensemble de son réseau.
La deuxième responsabilité est de structurer l'entreprise de cinq manières: réfléchir, planifier, organiser l'entreprise, coordonner les rencontres — une activité inhabituelle pour les agriculteurs, mais en croissance — et contrôler l'entreprise.
La troisième responsabilité est d'assurer la continuité de l'entreprise tout au long des cinq étapes de sa carrière: entrepreneur, directeur gérant, directeur général, PDG et président du conseil. L'une des choses qui ont beaucoup aidé la relève au Québec dans les PME a été la création de ces étapes, qui permettent au chef de l'entreprise de bien asseoir sa place pour ensuite la laisser à la relève, comme prévu.
Enfin, la quatrième responsabilité vise à réussir son équilibre dans les cinq secteurs de sa vie: la vie professionnelle et sociale, les liens significatifs, les santés — physique, psychologique, intellectuelle et spirituelle —, les finances personnelles, et le ressourcement et les loisirs
Ce sont quatre responsabilités sur lesquelles se concentrent les groupes d'entraide du Groupement.
Chaque groupe d'entraide comprend de 10 à 12 chefs d'entreprises — ou chefs aspirants — qui se réunissent de cinq à six fois par année et qui s'engagent à s'entraider et à partager leurs expériences et leur savoir-faire afin d'améliorer leur leadership et de progresser dans les quatre responsabilités d'un dirigeant. Tous les membres s'acceptent de façon consensuelle et s'engagent les uns envers les autres. Tous les groupes bénéficient des services d'un accompagnateur professionnel. L'accompagnement fait ressortir les expériences et le savoir-faire des participants à chaque étape des rencontres, afin de favoriser l'entraide et de faire progresser les participants comme dirigeants ou comme personnes.
L'accompagnateur n'agit jamais comme consultant et fait intervenir des experts au besoin. Le Groupe leader plus développe pour ses membres un réseau de consultants, des outils de gestion et de groupe, ainsi qu'une banque d'expériences. À chaque rencontre thématique, nous résumons les expériences des gens autour de la table, qui servent ensuite à l'ensemble de la province. Une rencontre dure quatre heures. Elle commence par un tour de table où chaque personne dispose d'un temps égal de parole pour décrire comment se passent les choses pour elle, dans sa famille, dans son équipe et dans son entreprise.
D'ailleurs, lors des rencontres, cette période est toujours la plus longue, car elle occupe environ une heure trente sur les quatre heures.
Dans un deuxième temps, les membres peuvent consulter le groupe pour une difficulté liée à un projet, à un problème relationnel ou à un défi administratif. Quel que soit le sujet, les membres peuvent consulter le groupe pour savoir ce que feraient leurs collègues à leur place. C'est très utile, parce qu'ils ont directement accès à l'opinion des gens. Ensuite, ils s'engagent à progresser et à tenir d'autres rencontres, dont nous faisons le suivi.
En troisième partie, la rencontre porte toujours sur un thème principal que nous avons déterminé au début de l'année. En fait, nous planifions des défis stratégiques pour les deux ou trois prochaines années, et nous sommes capables d'élaborer un programme qui couvre les défis stratégiques de chaque membre. Nous traitons notamment de thèmes comme la façon de gérer ses ressources humaines ou la façon dont on vit ses relations familiales. Puis, nous recherchons un consensus autour des meilleures pratiques.
La quatrième partie de la rencontre est une période d'évaluation, et le moment où les participants s'engagent à progresser d'ici à la prochaine rencontre...
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Bonjour à tous. Merci de me donner la possibilité de vous présenter aujourd'hui mon exposé.
La santé mentale est un sujet qui me tient beaucoup à coeur. Je m'appelle Lesley Kelly. Je suis une agricultrice de la Saskatchewan. J'ai participé à la campagne Bell Cause pour la cause, et mon mari et moi avons été très actifs, aussi bien en ligne qu'au sein de nos réseaux, pour faire connaître ce que nous avons vécu en matière de santé mentale. Je ne suis pas seulement une partisane de la lutte contre le stigmate associé à la santé mentale en agriculture, mais je suis également la cofondatrice de la Do More Agriculture Foundation.
Qu'est-ce que cette fondation? La fondation Do More travaille pour la santé mentale et le bien-être mental de tous les producteurs canadiens. Nous essayons de modifier les attitudes dans le secteur de l'agriculture pour que tous les producteurs soient incités à prendre soin de leur santé mentale et pour qu'ils disposent d'appuis et d'outils pour le faire. L'agriculture est un domaine extraordinaire. Il a des racines profondes dans le monde rural, il repose sur le travail, la résilience, la force et les collectivités, mais si nous voulons préserver cette image, il faut savoir que ces caractéristiques peuvent également constituer une faiblesse dans notre secteur, parce qu'elles peuvent devenir des obstacles lorsqu'il s'agit de faire connaître les difficultés vécues et de chercher de l'aide.
Les producteurs sont particulièrement vulnérables lorsqu'il s'agit de problèmes de santé mentale. Le stress, l'angoisse, la dépression, l'épuisement émotionnel et professionnel sont très fréquents chez les producteurs. Pour notre fondation, il y a quatre obstacles.
Le premier vient de nos attitudes. Le secteur de l'agriculture est extraordinaire, mais il repose sur la force et sur la persévérance, aspect qui pourrait être aussi une faiblesse dans notre domaine. Les attitudes que l'on retrouve dans ce secteur sont qu'un agriculteur est censé souffrir en silence, tenir bon et rarement exprimer des émotions, et que l'agriculteur qui demande de l'aide est un faible.
Le deuxième obstacle est la sensibilisation. La plupart d'entre nous ne savent même pas ce que veulent dire vraiment la santé mentale ou les maladies mentales. C'est un domaine inconnu très vaste, en particulier dans un secteur où les acteurs n'ont jamais été incités à parler de cette question.
Le troisième est l'isolement. Les agriculteurs passent la plupart de leur temps dans des secteurs isolés et ruraux, habituellement seuls, bien souvent en train d'utiliser une machine, ce qui n'incite pas à demander une aide professionnelle ou à avoir une conversation avec quelqu'un.
Le quatrième est le manque de ressources. Nous avons accès à peu de ressources parce que ces ressources existent habituellement dans les centres urbains et qu'il faut parfois voyager assez loin pour y avoir accès. Notre fondation essaie de rendre ces ressources plus accessibles à nos producteurs.
Nous avons également constaté qu'il y avait deux lacunes. La première est la difficulté de trouver des ressources adaptées aux agriculteurs. Les ressources destinées à ces personnes sont très limitées. Nous n'en avons découvert que quelques-unes. Nous avons constaté en Saskatchewan l'existence d'une ligne téléphonique pour les agriculteurs souffrant de stress. La deuxième consiste à trouver des ressources autres que celles qu'offre le médecin de famille. Lorsqu'un agriculteur est allé voir son médecin de famille, il éprouve de grandes difficultés à trouver d'autres ressources.
Notre fondation s'attache à travailler sur ces trois piliers dans le but de préserver et de défendre la santé mentale de nos producteurs.
Le premier est la sensibilisation: sensibilisation, éducation et lutte contre ce stigmate. Ce sont les premières mesures à prendre si nous voulons que notre action ait un effet durable et concret dans notre secteur. Nous voulons que les producteurs agricoles sachent bien ce qu'est être vraiment en bonne santé.
Le deuxième est les collectivités. Une collectivité n'est pas simplement un lieu de vie. Une collectivité est également associée à un sentiment d'appartenance à un ensemble plus vaste. Nous voulons créer des collectivités, dans lesquelles les gens peuvent établir des contacts et également trouver les ressources dont ils ont besoin.
Le troisième est la recherche. La recherche est un élément essentiel pour renforcer les ressources et faire en sorte qu'elles soient adaptées à notre secteur. Nous voulons que l'on puisse effectuer davantage de recherche dans ce domaine en appuyant et en finançant les études actuelles et futures, en veillant à ce qu'elles soient diffusées, et en travaillant en étroite collaboration avec nos partenaires, comme l'Université de Guelph et Mme Andria Jones-Bitton.
Qu'avons-nous accompli ces 10 derniers mois? Nous avons lancé en janvier de cette année, et nous sommes en train de mettre sur pied une commission qui représente de nombreux secteurs de l'agriculture, des secteurs régionaux qui touchent la santé mentale. Nous sommes en train d'obtenir le statut d'organisme charitable. Il y a deux semaines, nous avons lancé notre fonds communautaire. C'est un projet pilote. Nous avons réuni suffisamment de fonds pour que 10 à 12 collectivités puissent avoir accès à des services de premiers soins en santé mentale et nous avons reçu jusqu'ici plus de 80 demandes. Cela démontre à la fois qu'il y a un besoin et que nos collectivités rurales souhaitent obtenir ces capacités.
Nous allons lancer une campagne de sensibilisation en novembre. Elle va porter sur la modification du langage utilisé dans le domaine de la santé mentale. Nous avons établi des partenariats avec des fournisseurs de services en santé mentale et avec des ressources communautaires et nous avons créé des partenariats dans l'agriculture, comme ceux dont fait partie la FCA, Bayer et Financement agricole Canada. Nous avons également participé à des événements agricoles et à des foires commerciales pour parler de la santé mentale dans l'agriculture et de la fondation Do More.
Le secteur agricole est vraiment un secteur extraordinaire et nos producteurs sont notre plus grande richesse, mais à l'heure actuelle, ils ont besoin d'aide. Ils souffrent.
Au nom de la fondation Do More, de mon exploitation agricole et de ma famille, je vous invite à adopter une approche visant l'ensemble du secteur agricole, à nous fournir davantage d'aide, à faciliter la sensibilisation et à fournir un soutien et des ressources à nos producteurs canadiens.
Je vous remercie.
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Merci, monsieur le président.
Madame Kelly, je pourrais peut-être commencer par vous. Tout d'abord, je pense que vous faites un travail extraordinaire. Votre travail est extrêmement important. Je sais que vous avez connu des moments difficiles, mais je pense que votre travail est très apprécié.
Il y a d'autres professions où l'on retrouve ce genre d'attitudes et de stigmate. On peut penser à nos anciens combattants, tout comme aux militaires et aux premiers intervenants. Cela ne fait pas longtemps que je suis député, mais j'ai rencontré un certain nombre d'anciens combattants, de membres du service actif et de premiers intervenants. Ils ont réussi à modifier les attitudes au sein de ces professions. On ne parle plus du SSPT en se cachant. On en parle maintenant ouvertement. J'ai des amis personnels qui sont des premiers intervenants. Le fait d'arriver le premier sur les lieux d'un accident, d'être témoin d'un accident de voiture, est stressant.
Le travail que vous effectuez actuellement vous a-t-il permis de connaître les bonnes pratiques provenant d'autres organisations sur la façon d'aborder la question de la santé mentale et des stigmates, de repousser l'approche dure qui consiste à devoir se débrouiller tout seul, que vous pourriez ensuite utiliser pour les agriculteurs?
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Le Groupe leader plus a été créé il y a trois ans et rassemble environ 150 personnes en groupes de 10 ou 12 agriculteurs. Leurs rencontres leur permettent vraiment de s'améliorer. Tout d'abord, ils peuvent apprendre à s'exprimer clairement et à extérioriser leurs émotions, et ils peuvent vérifier auprès de leurs collègues quelles sont les meilleures pratiques. Nous pouvons inviter des experts pour aider les agriculteurs à résoudre des problèmes communs, comme le financement, la gestion des ressources humaines ou n'importe quel autre sujet.
Les rencontres permettent de tisser des liens entre les 10 à 12 dirigeants dans chaque groupe. Chacun s'y sent en confiance et peut compter sur la discrétion des autres. Ces dirigeants ne sont plus dans leur famille ou leur village, ils sont parmi leurs semblables — des chefs — et ils ont hâte de se réunir. Il est toujours très difficile de les rejoindre un par un, mais le fait de pouvoir se réunir en groupe leur fait adorer ces rencontres, où le taux de présence est presque de 100 %. Nous pouvons donc suivre l'évolution des dirigeants et de leurs problèmes. Dans mes groupes, il n'est pas rare qu'une ou deux personnes se mettent à pleurer. C'est fantastique parce qu'ils réussissent enfin à s'exprimer et ils se sentent compris. Je pense qu'il s'agit là d'une excellente recette pour atteindre l'efficience.
Si un membre du groupe a besoin de consulter un psychologue, nous le mettons en contact avec un psychologue. S'il a plutôt besoin d'un conseiller financier, ou que l'ensemble du groupe a besoin de parler d'un thème donné, nous invitons un expert et nous lui donnons une heure pour répondre aux questions des gens. Après son départ, le dirigeant ou le groupe a obtenu l'expertise recherchée et a établi un lien avec l'expert ou le thérapeute, ce qui permet une continuité. Par ailleurs, le groupe soutient le membre qui est en difficulté, les autres lui demandant comment les choses se sont passées depuis la dernière rencontre.
Je pense que tout ce que vous dites est fantastique. Il y avait beaucoup de solitude parmi les entrepreneurs des PME, mais il y en a 10 fois plus chez les agriculteurs, qui ont de la difficulté à se parler en famille. Nous sommes en train de pallier ce manque de rencontres et de voir quels autres services nous pourrions offrir. Les participants paient une cotisation de 900 $ de leur poche — ce n'est pas le gouvernement qui la paie pour eux — pour assister à cinq ou six rencontres, et ils la paient de bon coeur: je n'ai aucune mauvaise créance à déclarer, je peux vous le dire.
Madame Kelly, permettez-moi tout d'abord de vous remercier, vous et votre mari, de vous être manifestés et d'avoir pris la parole. Il y a un élément générationnel. Si vous pouviez jeter un regard autour de la table, vous verriez ceux d'entre nous qui ont été touchés dans les années 1980, et probablement la génération qui est encore plus touchée maintenant.
Je ne me souviens plus qui, vous ou Ron, a dit que dans cette génération, certains hommes plus âgés — je devrais dire des agriculteurs, parce que dans mon cas, c'était à la fois ma femme et moi — ont levé la main et dit: « Vous devez faire quelque chose maintenant ». Je vais être honnête avec vous, l'approche était plus réactive que préventive.
Bien honnêtement, dans cette approche préventive, nous essayons de donner de l'espoir aux gens. Parfois, le simple fait de marcher aux côtés de quelqu'un devient tellement bénéfique avant que les choses n'en arrivent à ce stade grave.
En ce qui concerne la coordination fédérale, provinciale et locale, comment les choses fonctionnent-elles? Y a-t-il une ouverture à tous les niveaux à se réunir et à se concerter? Nous parlons de financement, de ressources et de recherche.
Commençons par vous, madame Kelly, puis Ron pourra intervenir.
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Merci, monsieur Shipley.
Si vous me permettez de faire un commentaire, nous avons eu une excellente discussion aujourd'hui. Nous avons examiné de nombreux aspects de la santé mentale sur la ferme, mais je n'ai pas entendu beaucoup parler de l'effet sur l'ensemble de la famille.
Madame Kelly, je suis sûr que vous pourriez nous en parler, mais sur ma ferme, j'avais ma partenaire, ma femme, qui était ma thérapeute, mais je suis sûr qu'elle vivait aussi le stress, tout comme nos enfants, même s'ils n'en parlent pas beaucoup. J'espère qu'au cours des prochains mois, nous pourrons en parler.
Pour revenir sur ce que M. Longfield a dit au sujet de la dépendance, la semaine dernière, nous avons visité une ferme où il y avait un labyrinthe dans un champ de maïs, une ferme de deuxième ou de troisième génération. Nous marchions ensemble quand ma femme a heurté quelque chose du pied. C'était une bouteille de rhum ou d'un alcool quelconque, encore pleine, sans étiquette. C'était une vieille bouteille. C'est pour dire que le problème existe depuis des générations. Je suis sûr qu'ils consommaient de l'alcool comme thérapie.
Merci beaucoup, monsieur Bonnett. Bien sûr, vous aviez déjà comparu ici. Je vous remercie de vos sages propos.
[Français]
Je vous remercie tous de votre contribution.
Cela met fin à notre réunion.
(La séance est levée.)