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Nous vous remercions de nous accueillir ce matin.
D'entrée de jeu, je vais vous parler des débuts de notre organisme et vous expliquer sa raison d'être.
Au coeur des familles agricoles est un organisme qui existe depuis 2003. Sa raison d'être est née des intervenants du milieu agricole qui ont vu, au début des années 2000, une augmentation de la détresse chez les producteurs agricoles. On a constaté que ces producteurs n'allaient pas chercher de l'aide dans le réseau de la santé. Lorsqu'ils le faisaient, malheureusement, ils constataient que le réseau de la santé n'était pas adapté à la réalité de la clientèle du monde agricole.
La spécificité de l'organisme Au coeur des familles agricoles est fondée sur le modèle des travailleurs de rue, mais il est adapté à la réalité agricole. Nous avons mis en place un service de « travailleurs de rang », qui font des interventions proactives et préventives. Nous n'attendons pas que les producteurs sollicitent notre aide. Nous nous déplaçons pour aller voir les gens à la ferme. C'est ce qui distingue nos services de ceux offerts par le réseau de la santé du Québec.
Nous faisons aussi ce que nous appelons des « runs de lait », à la manière du conducteur de camion qui fait du porte à porte pour récupérer le lait sur les fermes. Nos travailleurs de rang se déplacent et vont aléatoirement sur les fermes pour rencontrer les producteurs, leur parler et connaître leur état d'esprit sous l'angle de la santé mentale, mais surtout pour faire connaître notre organisme et nos services.
Nos travailleurs de rang font de l'accompagnement psychosocial, mais dans les limites de leurs connaissances et de leurs compétences. Si les besoins des producteurs dépassent nos compétences ou nos connaissances, nous l'accompagnons dans le réseau de la santé; nous ne les abandonnons pas à eux-mêmes. Nous les aidons à trouver de l'aide. Nous sommes conscients que, d'eux-mêmes, ils ne feraient pas de démarche pour trouver ces services.
Ces travailleurs ont des connaissances et possèdent soit un baccalauréat en travail social soit un diplôme d'études collégiales en travail social. Ils ont ainsi des compétences pour pouvoir intervenir auprès de la clientèle agricole. Un autre préalable très important pour nous est déterminant dans l'embauche d'une personne, et c'est sa connaissance du monde agricole. L'intervenante — j'utilise le mot au féminin parce que ce sont uniquement des femmes qui travaillent pour l'organisme en ce moment — a des compétences et des connaissances qui lui permettent de créer rapidement des liens avec les agriculteurs. Le lien de confiance se tisse rapidement parce que l'agriculteur sait que la personne devant lui comprend sa réalité.
Nos services sont offerts 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Nous offrons aussi un service de répit. Notre maison de répit à Saint-Hyacinthe peut recevoir des agriculteurs de tout le Québec et héberge ceux qui ont un besoin plus pressant ou urgent de se reposer. Ils y rencontrent une intervenante sur une base quotidienne pendant une semaine et peuvent éventuellement revenir, si leur besoin est plus grand.
En 2017, nous avons fait 1 157 interventions auprès de la clientèle agricole. Ces producteurs sont venus nous rencontrer parce que les soins offerts par le réseau de la santé ne correspondaient pas à leurs besoins. En raison de notre expertise et de notre connaissance du milieu agricole, ils se sont déplacés pour bénéficier de nos services.
Soixante-deux pour cent des personnes qui sont venues chercher de l'aide étaient des hommes. On part de la prémisse que les hommes sont déjà une clientèle difficile à rejoindre quand un problème de santé mentale est en cause. Cela démontre à quel point l'approche que nous utilisons avec eux est positive.
Au fond, nous couvrons toutes les productions. C'est peut-être davantage lié à l'annonce qui a été faite hier, mais je tiens à vous dire et à vous répéter que, au cours des deux dernières années, les gens qui ont été les plus nombreux à faire appel à notre aide provenaient du secteur de la production laitière. En effet, 72 % des demandes de soutien que nous avons reçues provenaient de personnes appartenant à ce secteur. Nous offrons nos services au Québec. Nous avons fait des interventions dans onze régions administratives, mais nous sommes présents dans sept régions.
En terminant, j'aimerais vous dire que que 25 % de notre financement provient de subventions. Le reste de notre financement provient de collectes de fonds, de dons et de commandites que nous obtenons des entreprises agricoles, donc d'entreprises qui travaillent avec les agriculteurs.
Voilà qui termine ma présentation sur l'organisme Au coeur des familles agricoles.
Je suis travailleuse sociale, travailleuse de rang depuis 2016 à l'organisme Au coeur des familles agricoles, dans la région Chaudière-Appalaches.
Au cours de l'été, un psychologue du CLSC a communiqué avec moi au sujet d'une personne qu'il accompagnait depuis déjà un certain temps. Cette dame vivait certaines difficultés. Étant donné mon expertise en agriculture, il a fait appel à mon aide pour que nous travaillions en équipe afin d'accompagner cette dame. Les rencontres visaient vraiment à ce que j'accompagne la dame dans une affaire de rachat de ses parts auprès de ses parents.
Au cours des dernières semaines, j'ai reçu une lettre de cette dame que je vais vous lire:
« C'est fini Nancy, j'abandonne ma vie. Plus rien ne me retient. Je suis constamment abandonnée par ceux que j'aime. Mon plan se dessine tranquillement. Je serai seule en fin de semaine: pas de [Charlie], personne avec moi. Ce sera le moment idéal pour partir et m'endormir tranquillement sans me réveiller. Pis, va pas courir après mes parents, je veux rien savoir d'eux. C'est à cause d'eux que je suis dans un tel état depuis tant de semaines. [Sylvain] part pour la chasse toute la semaine prochaine. Il a ben d'autres choses en tête que moi. Ma nouvelle rencontre a fait le beau et m'a dit de belles paroles pour me jeter comme une moins que rien à la poubelle. [Stéphanie] est ben trop occupée pour s'apercevoir que je vais mal. C'est le moment ou jamais de me mettre en action. À chaque fois que je commence à avancer, il arrive toujours de quoi, mais là, c'est fini. J'ai atteint le fond du bocal et j'ai aucune issue pour m'en sortir. J'ai plus la force de me battre. Toi, au moins, tu avais ta famille pour t'aider, te soutenir et t'aimer. Moi, je suis une mauvaise mère qui a de la misère à prendre soin de sa fille. Je suis toujours là pour les autres et, comme toujours, personne prend le temps d'entendre mes messages de détresse. Aussitôt la semaine finie, il y aura plus de [Cindy], tout le monde sera débarrassé de moi. »
J'ai reçu ce courriel à 7 h 45. Je dois vous dire que j'ai été un peu secouée par cette lettre. J'ai pris rapidement mon téléphone et j'ai appelé directement l'auteure pour lui dire que j'étais là, que j'étais présente et vraiment inquiète à la suite de la lecture de sa lettre.
Pourquoi cette dame m'a-t-elle choisie? Pourtant, un psychologue l'accompagne déjà depuis presque plus d'un an, alors que moi, c'est seulement quelques semaines.
Je l'ai dit tout à l'heure en commençant: c'est à cause de mon expertise en agriculture. Si vous l'avez bien compris, quand je me suis présentée, j'ai dit que j'étais une ancienne productrice laitière. Le fait que je sois une ancienne productrice laitière vient créer un lien solide avec la personne qui vient me rencontrer.
Qu'est-ce que j'ai fait? Je l'ai appelée. Après 15 minutes, je me suis rendu compte que sa fille était derrière elle. Je lui ai demandé si sa fille allait à la garderie ce matin-là. Elle m'a répondu que oui. Je lui ai demandé pourquoi elle n'irait pas la conduire à l'école, nous pourrions ensuite nous reparler. Elle m'a répondu que c'était une très bonne idée.
Pendant ce temps, je suis rapidement entrée en contact avec le psychologue. Nous étions déjà en communication, car la dame nous avait donné l'autorisation, au cours des dernière semaines, de travailler ensemble pour son mieux-être.
Le psychologue était surpris. Il m'a dit avoir vu la dame la semaine précédente et qu'elle allait très bien. De plus, il a ajouté qu'il était même surpris qu'elle aille si bien que cela. Je lui demandé ce que nous allions faire.
Mon rôle de travailleuse de rang est resté vraiment en lien avec tout ce qui est du domaine agricole, tandis que le psychologue s'est chargé de trouver un hébergement de fin de semaine à la dame, de faire en sorte que quelqu'un d'Urgence-Détresse la rappelle pour vérifier si elle allait se rendre au centre de crise, en fin de semaine.
Notre but commun était de réduire les stresseurs vécus par la dame. De mon côté, j'ai appelé son employeur, qui est un producteur laitier, pour l'aviser du fait que la santé mentale de son employée s'était beaucoup détériorée au cours des derniers jours. J'ai également appelé ses parents pour les informer de l'état de santé mentale de leur fille. Logiquement, les parents auraient dû être au courant mais, dans ce cas-ci, ils ne l'étaient pas.
Je n'ai pas mentionné que, depuis plusieurs semaines, la dame vivait des difficultés financières, une séparation, un problème de santé mentale ajouté à un conflit familial, qui est en lien avec la relève, comme vous pouvez peut-être vous en douter.
La seule bonne nouvelle contenue dans cette lettre est que c'était alors le mardi matin, et que la dame était prévu mettre son plan à exécution le vendredi.
Cela nous donnait donc le temps de mettre un filet de sécurité en place, pour que madame soit bien accompagnée.
Comme je l'ai dit, mon travail est vraiment lié à l'agriculture. Je n'ai pas empiété sur le travail du psychologue. Ce dernier, à son tour, a rappelé la dame en fin d'avant-midi. Je l'ai moi-même appelée à 10 heures et il l'a fait à 11 h 30. Il lui a donné rendez-vous le lendemain et nous sommes demeurées en contact par courriel. C'est donc l'une des interventions parmi tant d'autres que j'ai faites.
Tout à l'heure, si j'ai un peu de temps, je vais parler des « runs de lait » et de ce que cela veut dire. Nous n'attendons pas que les gens viennent chercher de l'aide. J'arrive, au hasard, dans les fermes, en me présentant et en disant quelle est la mission de notre organisme. Par la suite, je m'intéresse à ceux qui sont là. Souvent, cette rencontre ne dure pas que cinq minutes, elle peut durer 15 ou 20 minutes et, dans certains cas, je passe l'avant-midi sur place, si je suis arrivée au bon moment, alors que la personne avait vraiment besoin de parler.
Je vous remercie.
Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant vous.
Je vous parle en tant que fille, soeur et conjointe de producteurs agricoles, mais aussi en tant que psychologue spécialisée depuis plus de 20 ans auprès des entreprises agricoles. Alors, je présenterai deux aspects de la situation, aujourd'hui.
Je vous parlerai d'une nouvelle menace qui vient s'ajouter à tous les stresseurs que l'on connaît, et des besoins imminents que nous avons en formation des intervenants.
En plus de tous les stresseurs de l'agriculture que vous connaissez probablement, je veux porter à votre attention, aujourd'hui, une menace de plus en plus présente, celle provenant des activistes animalistes. Benoît Gagnon, doctorant de l'École de criminologie de l'Université de Montréal disait déjà, en 2010, qu'il s'agissait d'une menace terroriste. C'est comme cela qu'on décrit le mouvement. Cela n'est pas si nouveau, mais cela risque de devenir de plus en plus important. Certains auteurs affirment qu'il s'agit du prochain grand mouvement révolutionnaire.
Qui sont les activistes animalistes? Vous allez comprendre pourquoi cela peut être aussi important d'en parler. Ce sont d'abord des végétaliens, bien qu'ils ne soient pas des activistes. Ils sont en faveur de l'antispécisme, c'est-à-dire qu'ils prônent l'idée selon laquelle l'animal est l'égal de l'humain. Ils veulent l'abolition complète de toute forme d'utilisation des animaux. Évidemment, ils sont donc contre la production agricole qui répond à la consommation de viande et de ses sous-produits et contre le fait de posséder des animaux de compagnie. Ils font des pressions pour que ferment les abattoirs. C'est très important et nous devons nous soucier de la montée de ce mouvement parce qu'on sait qu'il y a de plus en plus de végétaliens chez les membres de la génération du millénaire. Cela dit, je répète que tous les végétaliens ne sont pas des animalistes.
De plus, aujourd'hui, à cause de la puissance des réseaux sociaux, on peut causer énormément de tort à toute une industrie au moyen d'une vidéo devenue virale. Il y a aussi une plus grande préoccupation du bien-être animal, de la santé et de l'environnement, ce qui est très bien en soi. Toutefois, il y a une grande diminution du nombre de fermes, ce qui fait que de moins en moins de gens connaissent la réalité de la production agricole.
Qui est ciblé par les animalistes? Bien entendu, les premiers dans la mire sont les producteurs. À présent, en plus de les traiter de pollueurs, on les traite d'agresseurs, de violeurs à cause de l'insémination artificielle, de kidnappeurs d'enfants et de tueurs. Vous savez, ce sont des mots extrêmement lourds de conséquences. Comme me le disait un producteur, quand on se lève le matin, qu'on voit cela sur Facebook et qu'on se demande déjà comment on va s'en sortir, cela vient alourdir de beaucoup le stress et la détresse. Je tiens à souligner que la détresse psychologique est très élevée chez les agriculteurs canadiens. Plusieurs recherches l'ont démontré.
Les producteurs, les inséminateurs, les transporteurs d'animaux, les vétérinaires aussi, les gens qui travaillent dans les abattoirs, les bouchers, bref tous les gens de la filière agroalimentaire sont touchés par les animalistes. La conséquence en est que nos producteurs agricoles souffrent de plus en plus de violence psychologique, de harcèlement et de cyberintimidation. Cela fait augmenter les conflits et, bien sûr, la détresse. Plusieurs experts disent qu'une grande source de stress est en train de se développer et est en pleine émergence. Je voulais donc porter à votre attention cette nouvelle menace qui en ajoute à une grande détresse déjà présente.
Mon deuxième volet touche ce dont nous avons besoin. Nous avons besoin de plus en plus d'intervenants. M. Beauregard et Mme Langevin ont dit tout à l'heure qu'il y avait des aspects très spécifiques aux producteurs agricoles. Nous ne devons pas intervenir de la même façon auprès d'hommes, d'entreprises familiales, d'un système particulier et nous n'avons pas assez d'intervenants formés dans le milieu. Nous manquons aussi de psychologues qui comprennent bien la réalité agricole. Nous devons donc former de plus en plus de psychologues dans des cliniques privées mais aussi au sein du système de santé. Nous avons besoin de plus de travailleurs de rang. Nous devons les aider et les soutenir davantage et continuer à les former.
Nous devons certainement former aussi des entrepreneurs agricoles à la base, travailler en amont, les amener à développer de plus grandes compétences entrepreneuriales, à mieux gérer le stress, le changement et la conciliation travail-famille. Bref, il faut développer des compétences en leadership afin de faire face aux défis et aux enjeux d'aujourd'hui et de demain.
On dit que l'agriculture se complexifie de jour en jour. Pour pouvoir faire face aux défis de l'avenir, nous avons besoin d'un haut niveau de compétence entrepreneuriale. Nous allons donc devoir aider les entrepreneurs agricoles avant que la situation ne se détériore. Avant qu'ils sombrent dans la détresse, nous pourrions prendre des initiatives pour qu'ils soient plus aptes à faire face aux problèmes. En agriculture, le niveau de détresse est élevé, et il touche directement les entrepreneurs, leurs familles et les entreprises agricoles.
Alors, une seule conclusion s'impose. Nous devons investir pour et avec nos producteurs agricoles, puisque des leaders en meilleure santé vont contribuer à améliorer la santé de nos entreprises agricoles et de notre société.
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Merci beaucoup monsieur le président. Je tenterai de partager mon temps. Je sais que M. Motz a une question.
Cependant, tout d'abord, j'aimerais m'adresser à Pierrette Desrosiers.
Ce dont vous avez parlé représente précisément les enjeux clés en matière d'agriculture. Je dis depuis des années, tout comme je pense que vous l'avez indiqué, que nous avons des problèmes avec des militants des droits des animaux et d'autres groupes et organisations qui s'intéressent à... Je suis producteur céréalier, ils se penchent donc sur les barrières non tarifaires et d'autres enjeux, comme les OGM, les néonicotinoïdes et les oligo-éléments, c'est-à-dire tout ce qui est fait pour protéger les investissements des autres. Lorsque les agriculteurs voient cela, ils comprennent ce qui se passe. Il règne une certaine discorde entre les agriculteurs et ceux qui habitent dans les centres urbains.
Un autre aspect, et je pense que c'est un point qui concerne aussi d'autres invités, est le fait que votre exploitation agricole est votre lieu de travail et votre lieu de travail est votre exploitation agricole. Et les importants investissements que vous faites sont toujours en péril.
Par ailleurs, il existe tous ces groupes qui s'en moquent tout simplement. Prenez par exemple la publicité d'A&W dans laquelle on annonce qu'il n'y a pas d'hormones ajoutées, où l'on passe de cinq nanogrammes d'oestrogènes à sept, s'ils sont employés, alors que le pain, lui, compterait des milliers de nanogrammes. C'est le genre de choses qui nous frustrent et qui sont faites simplement pour gagner des parts de marché.
Je me demandais si vous pouviez nous faire part de vos observations à ce sujet, puis je céderai le reste de mon temps à M. Motz.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Merci à nos témoins d'être présents.
Ma circonscription est principalement composée de zones rurales agricoles, soit 30 000 kilomètres carrés. Je viens aussi d'un milieu agricole. Je fais toujours de la culture et de l'élevage, ce qui me permet d'avoir une compréhension approfondie des répercussions de l'agriculture sur notre économie et de son importance pour elle, mais aussi pour les Canadiens en ce qui concerne la production d'aliments de qualité.
L'été dernier, j'ai bien vu que le niveau de stress des gens de ma circonscription a augmenté lorsqu'ils ont entendu le gouvernement actuel les caractériser de fraudeurs du fisc. Le gouvernement cherchait des façons d'obtenir davantage d'eux, en allant se servir dans leurs poches et en rendant plus difficile la transmission de leur exploitation agricole à la prochaine génération.
Dans ma région, les termes employés pour accuser les gens ont suscité chez eux colère et frustration et ont bien illustré le clivage qui existe entre la communauté agricole et le gouvernement actuel.
Ce genre de discours est-il source de problèmes pour ceux qui ont déjà des difficultés? Ce serait ma première question.
Mon autre question serait la suivante: avez-vous pu observer la moindre conséquence sur les membres de la communauté agricole que vous connaissez des politiques proposées ou du discours qui a été employé qui aurait encore plus de répercussions sur eux, ou ont-ils simplement encaissé les affronts qui leur ont été faits?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie nos témoins d'être ici aujourd'hui.
J'aimerais saluer tout particulièrement les représentants d'Au coeur des familles agricoles, de Saint-Hyacinthe, tout à côté de ma circonscription. Je salue surtout M. Beauregard, qui est demeuré très humble au cours de sa présentation. En effet, en plus d'être le directeur général de cet organisme, il est le maire de Saint-Joachim-de-Shefford, une municipalité rurale de ma circonscription. Il est également un ancien producteur agricole, et il s'y connaît donc très bien dans le travail qu'il fait.
D'entrée de jeu, je tiens évidemment à vous féliciter de votre excellent travail, madame Langevin et monsieur Beauregard. Votre organisme est un modèle, et nous aimerions voir se multiplier ce genre d'organisation, qui offre beaucoup de répit et d'accompagnement aux agriculteurs de notre région. Nous sommes donc choyés, chez nous, de vous avoir. Je vous remercie grandement.
Plusieurs études ont été réalisées aux États-Unis et au Canada et elles ont révélé que les agriculteurs étaient deux fois plus susceptibles d'avoir des problèmes de santé mentale que le reste de la population. Monsieur Beauregard et madame Langevin, pourriez-vous nous parler de ces problèmes d'anxiété et de stress que vous constatez dans votre travail, et nous dire quelles en sont les trois ou quatre causes les plus importantes?
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Je vais répondre à cette question.
En fait, il s'agit de ce dont a parlé M. Beauregard. C'est souvent une accumulation de frustrations. Puisque nous parlons des producteurs laitiers, je rappelle que ceux-ci vivent les mêmes problèmes que M. et Mme Tout-le-Monde: des séparations, des deuils, des accidents. J'ignore si vous avez écouté les nouvelles, la semaine passée, mais deux personnes sont décédées après être tombées dans un silo. Ce genre de situation fait partie des causes de leur stress. De plus, ces jours-ci, la question de la gestion de l'offre s'ajoute à ces frustrations et au stress que les producteurs laitiers vivent déjà.
Les lois du marché n'arrêtent pas de leur demander d'accroître leur efficacité et la rentabilité de leur entreprise, et les producteurs commencent un peu à être essoufflés de cette exigence constante. Le message qu'ils en tirent est qu'ils doivent devenir de plus en plus gros pour être de plus en plus efficaces. Cependant, ils ne sont pas tous prêts à sacrifier l'entreprise familiale qu'ils ont connue toutes ces années.
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Oui, je suis d'accord. Je pense qu'il est honteux d'avoir un système qui doit payer le prix des problèmes de surproduction d'un autre pays, et je sais que c'est la même situation pour les producteurs laitiers de ma région et tous les agriculteurs qui dépendent de la gestion de l'offre. Le système leur a permis d'établir des plans à long terme pour effectuer ces investissements pour ensuite se faire promettre une chose et obtenir l'inverse, c'est la raison pour laquelle j'ai énormément d'empathie pour eux.
J'aimerais passer à un autre sujet.
Lors de la dernière séance de notre comité, nous avons entendu un témoignage fascinant de Mme Jones-Bitton de l'Université de Guelph. Elle nous a parlé d'une courbe en cloche qui illustrait les différents types de stress: le stress vert, le stress orange, et le stress rouge. Lorsque l'on se trouve trop dans la zone de stress rouge, on a le sentiment d'être dépassé, d'être perdu et désespéré. Il y a du bon stress et du mauvais stress.
Elle nous a proposé trois recommandations. L'une d'entre elles consiste à appuyer les programmes de formation agricole fondés sur des données probantes. À votre avis, quelles seraient les implications de cela et pensez-vous que le gouvernement fédéral en particulier soit bien placé pour les dispenser, sachant qu'au final, nous souhaitons émettre des recommandations?
Je sais que c'est une vaste question. Vous pouvez tous deux tenter d'y répondre.
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Je vois ce qui est fait au Québec avec l'organisme Au coeur des familles agricoles depuis les 16 dernières années, déjà. Malheureusement, le rythme de vie accéléré des agriculteurs et le stress que cela engendre perturbent leur santé mentale. Cela n'a jamais été considéré comme étant quelque chose de différent de ce que vit la population en général, mais il faut pourtant reconnaître la réalité particulière des agriculteurs.
Il faudrait commencer par mener une étude pour reconnaître cette différence. Il faut reconnaître que, pour l'agriculteur, son lieu de travail, son entreprise, est son lieu familial. Le jour, son père est son partenaire d'affaires, et le soir, c'est son père. Il est souvent dans la même cour que son père. Tous ces facteurs comptent. C'est la seule entreprise qui vit cette situation.
Il y a beaucoup d'entreprises familiales dans d'autres domaines. On se fait dire que, dans le secteur privé, il y a des entreprises père-fils. Par contre, le soir, ils ne sont pas sur le même terrain. Ils ne regardent pas l'entreprise en arrière et, à côté, la maison du père, avec qui cela ne s'est pas nécessairement bien passé pendant la journée.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Beauregard, madame Langevin, madame Desrosiers, je vous remercie du travail que vous faites.
Je ne suis pas un jeune producteur, mais certains de mes amis le sont. Nous n'avons pas encore ces services chez nous, mais je vous tire mon chapeau. Il m'est arrivé une fois d'être au bon endroit au bon moment: je ne sais pas si la personne était suicidaire, mais elle était vraiment en détresse. J'imagine, madame Langevin, que c'est ce que vous vivez chaque jour auprès des agriculteurs.
Monsieur Beauregard, vous avez mentionné les situations où l'exploitation de la ferme est partagée entre le père et son fils ou sa fille. Dans ma famille, mon père et mon grand-père siégeaient au même conseil municipal et ils n'avaient pas toujours la même vision des choses. Ma grand-mère leur disait que, à la table, chez nous, on ne faisait pas de politique. Cependant, l'agriculteur vit une tout autre réalité, puisque toute famille travaille à la ferme.
Comment faites-vous pour gérer ces crises? J'imagine qu'il y a parfois des chicanes familiales et que cela cause du stress.
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J'ai encore de la difficulté à le comprendre, parce qu'on dirait que le contact se fait très rapidement. Je n'ai pas besoin de me mettre à parler d'agriculture pour que les gens sentent que je les comprends, cela se fait automatiquement. Ils n'ont pas non plus besoin de me dire grand-chose pour que je les comprenne.
Tantôt, nous donnions l'exemple d'un agriculteur qui va chez son médecin et se fait prescrire un mois de repos. Moi, je ne fais pas cela quand les gens viennent s'asseoir dans mon bureau, parce que si je le faisais, je les perdrais tout de suite. Je leur suggère plutôt de prendre deux heures pour s'occuper de leur santé mentale au cours de leurs 90 heures de travail hebdomadaire. Avec le temps, ils finissent se rendre compte que deux heures par semaine, ce n'est pas assez. Ils calculent, car ils sont habitués à calculer, que cela leur fait à peu près 15 minute. Ils ont à peine le temps de commencer à penser à leur santé mentale que c'est déjà terminé. Ce n'est pas assez.
Je ne prescrirai donc pas à quelqu'un de prendre une semaine de congé parce que, comme le disait M. Beauregard, j'augmenterais son stress. Il se demanderait comment il pourrait y arriver, qui s'occuperait de ses bêtes, qui s'occuperait de son entreprise pendant qu'il serait parti. J'interviens plutôt, comme je viens de l'expliquer, en privilégiant la recherche d'un équilibre. À un moment donné, j'ai même aidé un producteur qui en était rendu à travailler 60 heures par semaine. Il a fini par couper 30 heures, de lui-même. Si je le lui avais prescrit, par contre, je l'aurais perdu.
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Comme je le disais plus tôt, la meilleure manière d'inciter les agriculteurs à aller chercher de l'aide est de leur faire comprendre que ce n'est pas négatif de le faire. Il pourrait y avoir un programme pour inciter les producteurs à aller chercher de l'aide dans le réseau de la santé dans la mesure du possible, mais aussi auprès d'intervenants qui sont là pour eux, comme ceux d'Au coeur des familles agricoles ou d'autres organismes ailleurs au pays. Je pense que c'est important.
Depuis deux ans, au Québec, l'UPA parle beaucoup de la détresse psychologique des agriculteurs et essaie de trouver des solutions. Cela a fait en sorte que les personnes qui viennent consulter aujourd'hui voient de moins en moins cette démarche comme honteuse. Elle est plutôt vue comme un acte positif.
Le gouvernement fédéral a tout avantage à regarder ce qui pourrait être fait pour inciter davantage les producteurs à aller chercher de l'aide. Il pourrait offrir aux agriculteurs des autres provinces des services comme ceux que nous offrons. Je vois l'impact positif qu'a notre travail au Québec. Nous sommes absents de certaines régions, mais nous devrions y être présents car il y a des communautés agricoles.
D'année en année, nous peinons à trouver du financement pour maintenir les activités de notre organisme et continuer à le développer. Par le passé, nous voulions étendre nos services pour les offrir à toutes les régions. Maintenant, ce sont les gens des régions qui nous appellent. Ils sont conscients des difficultés qui se vivent chez eux et ne sont pas capables de trouver des ressources pour répondre à leurs besoins.
Que peut-on faire pour répondre aux besoins? Faudrait-il créer un programme de soutien financier à l'intention des travailleurs qui suivront une formation spécifiquement conçue pour aider les agriculteurs? Cela s'est fait au Québec. Des sentinelles ont été formées en collaboration avec l'UPA et l'Association québécoise de prévention du suicide, pour qu'il y a un programme spécialement conçu pour les agriculteurs. On pourrait mettre en place un service d'aide aux agriculteurs comme celui que nous offrons, mais qui serait offert partout au pays.
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Bonjour tout le monde. Je m'appelle Sean Stanford. Je suis un producteur céréalier de 34 ans du Sud de l'Alberta. Je pratique ce travail ici avec mon épouse et nos deux jeunes enfants.
J'aimerais d'abord vous dire que je ne suis pas faible, je suis simplement un peu malade, et cela ne fait pas moins de moi un homme. Je souffre d'anxiété, de dépression et du syndrome de stress post-traumatique. J'ai obtenu un diagnostic il y a près de deux ans, et j'ai pris de multiples médicaments et consulté de multiples thérapeutes pour m'aider.
Je ne suis peut-être pas bien différent de nombreux Canadiens, mais l'industrie dans laquelle je travaille fait en sorte qu'il soit un peu plus difficile de composer avec la situation. Les agriculteurs et les producteurs doivent en fait faire face à des défis supplémentaires, défis auxquels la population générale n'a pas à faire face.
L'agriculture est l'un des quelques domaines qui dépendent beaucoup de la température. Comme vous le savez très bien, personne ne peut contrôler la température. Je peux vous dire qu'il est très stressant de savoir que votre chèque de paye dépend en grande partie d'un facteur qui ne relève pas de vous. Il y a de nombreux agriculteurs dans ma province qui n'ont pas terminé leurs récoltes, qui sont couvertes de neige. Après un été très très sec et un automne pluvieux, les gens ont les émotions à fleur de peau.
Les agriculteurs passent aussi nombre d'heures et de jours isolés sur leurs terres. J'ai moi-même passé des jours sans voir personne d'autre de toute la journée. Cela donne à votre cerveau beaucoup trop de temps pour vous jouer des tours. Cela vous donne beaucoup trop de temps pour douter de vos compétences et vous demander si vous prenez les bonnes décisions pour votre entreprise. Nous n'avons pas le temps de réfléchir à ce qui se passe réellement dans le vrai monde. Dans les champs, nous souffrons de solitude et notre famille nous manque. L'isolement signifie aussi un accès limité à l'aide professionnelle comme les médecins, les thérapeutes et les psychologues. Ces trois professions font partie intégrante du rétablissement de personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale.
Les experts disent que de nombreux éléments doivent être réunis pour garder une personne en santé. Cela comprend l'exercice, l'alimentation, la détente et le sommeil. Je peux vous dire qu'il est presque impossible pour un agriculteur de réunir tous ces éléments pendant la saison occupée. Travailler 100 heures ou plus par semaine n'est pas inhabituel. Manger un repas qui ne sort pas d'une boîte à lunch est aussi inhabituel. Avez-vous déjà tenté de faire des sauts avec écart dans un tracteur? Ce n'est pas si facile.
Voici les grandes questions: quelles sont les ressources offertes et quelles sont celles qui manquent?
Le Canada rural est en train de rapetisser. Nos hôpitaux locaux et cabinets de médecins ont fermé il y a de nombreuses années. Pour recevoir des services de counselling ou de la thérapie, je dois parcourir une cinquantaine de kilomètres. Je sais que c'est beaucoup plus loin pour d'autres. Ensuite, pour obtenir un rendez-vous avec un de ces professionnels, il faut parfois attendre de nombreuses semaines. C'est inacceptable. Le coût de ces services est aussi très élevé. Nous avons besoin d'un meilleur accès plus abordable à ces professionnels de la santé.
J'ai eu ma première interaction avec mon thérapeute par l'intermédiaire de mon service d'incendie local. J'y ai fait du bénévolat pendant 14 ans, d'où mes problèmes de SSPT. Lorsque j'ai demandé à mon chef des incendies de m'obtenir de l'aide, il avait déjà toute une gamme de services à m'offrir. Les services d'urgence semblent avoir déjà les bons processus en place. En ce qui me concerne, il n'y a pas de telles ressources consacrées aux agriculteurs et aux producteurs agricoles.
Nombre des médicaments prescrits pour traiter l'anxiété et la dépression peuvent coûter très cher également. Heureusement, j'ai les moyens de payer la Croix bleue pour ma famille, mais les médicaments ne sont pas tous couverts. Les médicaments doivent être plus abordables pour tous.
J'ai beaucoup appris et tissé de nombreux liens grâce à Internet et aux médias sociaux. Twitter m'a beaucoup aidé à trouver des ressources et à établir des liens avec des amis prêts à m'aider dans les moments difficiles. Des services cellulaires efficaces au Canada rural sont essentiels pour cette raison. Ils facilitent le contact avec le monde extérieur lorsqu'on est isolé; le recours à un téléphone intelligent et à Internet m'a été d'une grande aide.
Que manque-t-il d'autre? À quoi n'avons-nous pas encore pensé? Les conditions de travail spéciales des producteurs agricoles requièrent peut-être des solutions spéciales. Peut-être qu'il serait utile d'avoir une quelconque appli de santé mentale sur les téléphones cellulaires pour aider à diagnostiquer les problèmes ou offrir des pistes de solution en période difficile? Peut-être que la téléconférence ou la vidéoconférence avec un thérapeute aiderait aussi? L'élimination des préjugés liés à la santé mentale est tout un obstacle à surmonter, surtout dans le domaine de l'agriculture.
De nombreuses personnes, dont moi, estiment que les problèmes de santé mentale devraient être quelque chose que chaque personne puisse régler elle-même. Certains producteurs ont essayé de faire tomber ce mur de la stigmatisation et ont dû faire face à une pluie d'attaques personnelles et à du harcèlement, je peux en témoigner personnellement. Il faut trouver une façon de dire aux gens qu'ils sont malades et qu'ils ont besoin de traitements adéquats. Que cette maladie n'est pas différente d'un rhume ou d'une blessure à la main. Il faut mettre un terme aux préjugés.
J'espère que mes réflexions personnelles en ce qui concerne la santé mentale dans le secteur agricole vous ont éclairés. Je vous remercie de m'avoir invité ici aujourd'hui.
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J'ai grandi à Calgary, en Alberta, et j'ai travaillé pendant 11 ans dans l'industrie cinématographique avant de rencontrer mon époux et de déménager dans la campagne saskatchewanaise. C'est là que je suis devenue cultivatrice de céréales. Je me suis rapidement rendu compte que cette activité pouvait être difficile et stressante et qu'elle pouvait causer de l'isolement.
Bien que 2016 fut l'année de ma quatrième récolte, c'était la première fois que j'observais mon champ, qui valait littéralement des centaines de milliers de dollars, être détruit en l'espace de 10 minutes par une tempête de grêle. C'est aussi la première fois de ma vie que je me suis sentie comme une véritable ratée — j'essuyais un échec à titre d'agricultrice, de conjointe et de pourvoyeuse de ma famille. C'était la première fois, mais malheureusement pas la dernière, que j'ai senti que la seule valeur que j'apportais à ma famille, c'était celle de ma police d'assurance-vie.
J'aimerais bien témoigner devant vous toute la journée et vous dire que les choses vont mieux et que je suis la seule à me sentir ainsi parmi tous les agriculteurs canadiens. Ce serait mentir. Nous affrontons des épreuves pour la troisième année consécutive. Des phénomènes météorologiques extrêmes sapent notre capacité à cultiver la quantité de céréales nécessaire pour faire un profit. Le prix des produits de base est loin de nous permettre de couvrir nos dépenses. Des problèmes de transport nous empêchent de payer nos factures à temps. J'en suis à un point où je ne sais plus à quoi ressemble la vie sans stress. Mon époux fait maintenant face à des problèmes d'anxiété déclenchés par le stress lié à l'agriculture et à la difficulté de joindre les deux bouts. J'ai vu le stress l'accabler à un point tel qu'il s'est effondré à genoux en pleurant.
Si vous me demandiez maintenant si j'espère que mes filles voudront prendre la relève de notre exploitation agricole de quatrième génération, je vous dirais que je les encouragerais plutôt à faire n'importe quoi sauf de l'agriculture. Toutefois, la dure réalité, c'est que si nous continuons dans cette voie, il ne restera plus de ferme à leur léguer.
En ce moment, vous vous dites sans doute que nous sommes de mauvais agriculteurs et que notre plan d'entreprise comprend sans doute des lacunes. Après tout, chaque entreprise doit réduire les risques tout en essayant de générer des profits. Saviez-vous que le coût des intrants des producteurs céréaliers au Canada se situe au deuxième rang de tout le secteur agricole? Il s'agit des semences, du traitement des semences, des engrais et des produits chimiques dont nous avons besoin pour cultiver. Par ailleurs, en raison de la sécheresse du climat et de la courte saison de croissance, nous n'arrivons pas à produire autant que d'autres pays. Au cours d'une année moyenne, les boisseaux produits par ma terre n'arrivent pas à couvrir mes dépenses, y compris le remboursement de mon hypothèque et le loyer foncier.
Je dois travailler à l'extérieur de la ferme, non seulement pour nourrir ma famille, mais également pour subventionner mes dépenses agricoles. Si je faisais le métier d'institutrice, d'infirmière ou de banquière, ou si j'étais toujours dans le domaine cinématographique, je n'aurais pas à occuper un deuxième emploi pour rentabiliser le premier.
Vous voyez, je ne peux pas demander plus pour mes céréales afin de m'aider à couvrir l'augmentation des coûts liés à leur culture. Lorsque je dois vendre des grains pour payer mes factures, j'essaie d'obtenir le meilleur contrat possible mais, au bout du compte, j'ai très peu de contrôle sur les prix. Je suis habituellement obligée de vendre à un moment où les prix sont bas, en raison des nombreuses récoltes, afin de rembourser les factures accumulées pendant l'année. Si on m'impose en plus une taxe sur le carbone, cela ajoutera 30 000 $ à ma liste de dépenses.
En février, je me suis retrouvée dans une salle avec 400 autres producteurs. Notre rôle consistait à nous lever lorsqu'une question posée s'appliquait à nous. La première question était: « un membre de votre famille ou un ami s'est-il déjà suicidé? » Quatre-vingt-dix pour cent des gens présents dans la pièce se sont levés, et cela m'a brisé le coeur.
Les agriculteurs éprouve des difficultés, non seulement au Canada, mais partout dans le monde. Nous éprouvons des difficultés ainsi que des niveaux de stress, d'anxiété et de dépression élevés. Nous ne pouvons pas nous plaindre ni admettre que nous avons des difficultés parce qu'on nous dit d'être forts. On nous dit qu'il faut endurer. On nous dit que nous ne sommes pas de véritables agriculteurs si nous demandons de l'aide. Si nous cherchons à obtenir un traitement, nous risquons de nous voir refuser une assurance-vie ou de voir nos cotisations monter en flèche. Les compagnies d'assurance estiment que nous posons un risque plus élevé lorsque nous voulons nous soigner et chercher de l'aide.
Nous ne dormons qu'entre trois et cinq heures lorsque la saison bat son plein — c'est-à-dire lors des semailles et de la récolte — et nous passons de nombreuses semaines sans avoir vraiment de temps pour nos familles et nos enfants. Nous passons plus de 15 heures par jour seuls à opérer de l'équipement agricole.
Pendant ces heures de solitude, nous calculons notre bilan financier et nous nous faisons du souci quant à nos factures tout en nous isolant de plus en plus. Il arrive quelques fois que nos enfants nous accompagnent. Nous devons faire avec parce que nous n'avons pas accès à des services de garderie. Il arrive bien souvent que nous soyons bénévoles dans nos collectivités à titre de premiers répondants, qui se retrouvent sur des scènes d'accidents et qui doivent composer avec la mort d'amis et de membres de la collectivité.
Cet été, un ami a publié un message selon lequel un agriculteur dans sa collectivité venait de se suicider. Je ne connaissais pas la personne, mais je me suis mise à sangloter à la table de la cuisine. Quand j'ai réfléchi sur la raison qui m'amenait à pleurer la mort de quelqu'un que je ne connaissais pas, j'ai été obligée d'affronter une crainte que je préférerais ignorer: c'est une angoisse qui surgit lorsque je ne peux pas entrer en communication avec mon époux. À ce moment-là, je crains qu'il ait possiblement baissé les bras face à l'anxiété et au stress constants liés à la ferme et à la nécessité de pourvoir aux besoins de notre famille.
Les choses commencent à changer. Les producteurs commencent à s'ouvrir, mais ce n'est qu'un début. La stigmatisation entourant la santé mentale dans le secteur agricole continue d'être lourde. Nous avons besoin de nous entraider et de bénéficier du soutien de nos collectivités en plus des services offerts par nos systèmes de soins de santé. Qui plus est, nous devrions être en mesure de nous adonner à l'agriculture sans devoir trouver du travail à l'extérieur.
Merci pour votre temps. Merci de m'avoir permis de m'adresser à vous aujourd'hui.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie tous nos invités.
Moi aussi, je suis agriculteur. À l'heure actuelle, 80 % de nos cultures sont sous la neige. Cela permettra seulement de couvrir une petite partie des dépenses de base pour le mois, et ce ne sera pas suffisant pour le reste de l'année. Je sais exactement ce que vous vivez, de bien des façons.
Honnêtement, les gens ne comprennent pas ce que tout cela signifie vraiment. Vous devez monter à bord d'une machine qui coûte 300 000 $. Vous êtes stressé. Vous dormez trois ou quatre heures par nuit, si bien que vous travaillez 18 heures par jour. Les gens ne semblent pas être conscients de ce que cela représente.
Plusieurs études ont montré « Regardez... voici le revenu moyen d'un agriculteur; c'est l'argent qui rentre. » Ils ne comprennent pas les investissements. Ils ne comprennent tout simplement pas leur importance.
Monsieur Stanford, vous avez parlé de certains types d'intimidation et d'autres problèmes, et de toute la frustration que vous ressentez face à tout cela. Ici, nous allons essayer de trouver des solutions. Vous pouvez peut-être nous en dire un peu plus sur le stress que ressentent les gens qui ne sont pas prêts à avancer ou qui ne comprennent pas pourquoi il faut avancer.
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Oui. À l'heure actuelle, la plupart des Canadiens sont à trois générations d'écart de la ferme de leurs ancêtres. Il y a un énorme décalage. J'en faisais moi-même partie.
Nous avons besoin d'une initiative nationale. À l'heure actuelle, nous avons « Agriculture in the Classroom » en Saskatchewan. L'Alberta essaie d'implanter le même programme. Mais il n'y a rien de coordonné. Ce que j'ai remarqué récemment, c'est qu'il y a une perte de confiance entre, d'une part, le consommateur, l'agriculteur et les compagnies auprès desquelles nous achetons nos produits et Santé Canada, d'autre part. Toute l'affaire du glyphosate se déroulait aux États-Unis. J'ai participé aux débats et j'applaudissais: « Regardez, Santé Canada a examiné la question en 2017 ». Mais les gens ne le croient pas. Ils ne font pas confiance aux organes de réglementation qui examinent ces questions.
Il faut trouver une façon de sensibiliser les jeunes dans les salles de classe, partout au Canada, car nous savons que la meilleure façon d'influencer les gens de mon âge ou plus âgés, c'est de passer par leurs enfants ou leurs petits-enfants qui leur rapportent l'information ensuite. Il faut agir à l'échelle nationale. Nous pouvons peut-être travailler avec Santé Canada pour y parvenir, pour créer quelque chose qui soit compatible avec les programmes scolaires; pour que ce soit facile pour les enseignants — car il faut que ce soit facile pour eux, comme vous le savez. Nous pouvons essayer de rétablir la confiance des deux côtés, avec les agriculteurs et aussi avec le gouvernement et Santé Canada.
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Comme Sean l'a dit, nous ne pouvons contrôler la météo. Nous pouvons toutefois contrôler nos intrants, et cela nous coûte très cher.
Nous devons être très positifs dès le départ et nous dire que même si nous commençons en période de sécheresse, les choses vont changer. Si nous traitons notre culture avec des herbicides, des fongicides et des insecticides pour tuer les mauvaises herbes afin qu'il n'y ait pas de compétition, et que la météo change, soudainement nous avons une récolte. Si nous ne nous sommes pas occupés de notre culture, nous n'aurons pas une bonne récolte.
Nous utilisons ces intrants en espérant que nous aurons la température dont nous avons besoin, mais il est fort probable que ce ne soit pas le cas. Cette année, nous avons reçu plus de six centimètres de pluie. Nous avons connu une année de sécheresse, et non une bonne année de récolte. Nous dépensons en espérant que nous récupérerons cet argent, mais souvent ce n'est pas le cas.
Comme Sean l'a dit, Internet en région rurale doit être vu comme une ligne terrestre. La ligne terrestre était une nécessité. Au fédéral, on s'est assuré qu'il y ait des lignes terrestres partout. Il y avait une subvention pour s'assurer que ce soit le cas. Maintenant, c'est l'approche que nous devons adopter à l'égard d'Internet en région rurale, non seulement pour la connectivité, mais aussi pour nos affaires. On fait maintenant des affaires en agriculture.
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Merci, monsieur le président.
Comme mon collègue l'a dit, je vous trouve courageux de témoigner devant un comité parlementaire qui est télévisé.
Vous avez dit que la stigmatisation est toujours bien présente dans votre communauté. Je suis convaincu que par le fait d'être ici et d'exprimer votre opinion, vous engagez le dialogue. Je sais que beaucoup d'agriculteurs se disent qu'ils ressentent la même chose que vous.
Dans d'autres professions, comme dans les forces armées et dans le domaine des premiers répondants, il existe une culture de virilité où il faut tout simplement composer avec les problèmes. La donne est toutefois en train de changer. On a vu l'incidence de cette culture sur les membres du personnel. Les gens ne peuvent être efficaces au travail.
Vous savez cela si vous êtes premier intervenant ou pompier volontaire. J'ai des amis qui font la même chose. Je viens d'une collectivité rurale. Souvent, mes amis sont les premiers arrivés sur les lieux d'un accident de la route, et ils pourraient très bien y reconnaître quelqu'un de la communauté.
J'aimerais commencer en vous remerciant d'être venus aujourd'hui.
Il y a tant de facteurs que les agriculteurs ne peuvent contrôler.
Une de nos forces, surtout au gouvernement, c'est d'essayer d'atténuer les problèmes qui surviennent. Si une tempête de grêle balaie vos récoltes, est-ce que les programmes de gestion des risques de l'entreprise qui sont offerts arrivent à répondre à vos besoins? Ces programmes sont-ils adéquats? Quelles améliorations pourrions-nous apporter pour donner aux agriculteurs un filet de sécurité leur permettant de surmonter une situation difficile?
Avez-vous des commentaires à ce sujet?
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Stanford et madame Reynolds, merci pour vos témoignages.
Pour ce qui est de la stigmatisation, je crois que vos témoignages, aujourd'hui, nous permettent de briser ces obstacles.
J'aimerais parler des médias sociaux. Monsieur Stanford, puisque vous êtes un agriculteur de quatrième génération et que vous y étiez, vous vous souvenez probablement de l'époque où il n'y avait pas de médias sociaux, quand vous donniez un coup de main à votre père ou à votre mère. Comment vivez-vous face aux pressions des médias sociaux?
M. Dreeshen a parlé des défenseurs des droits des animaux qui militent en ligne et des pressions exercées par la société. Quand vous cultivez vos terres, chez vous, vous êtes en quelque sorte isolé, mais en même temps, le monde entier fait pression sur vous. Parlez-moi de cette situation. Cela a-t-il eu des effets sur vous?
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Je ne sais pas si nous avons nécessairement dépassé le point de non retour. Il est certain que l'agriculture a changé. Les exploitations agricoles sont de moins en moins nombreuses, mais semblent de plus en plus grandes. Comme vous l'avez indiqué, il y a de moins en moins de producteurs individuels que vous pouvez rencontrer avec vos collègues agriculteurs sur le parvis de l'église ou dans le cadre d'une visite ou d'une activité.
Nous devons établir un meilleur contact avec les producteurs dans les mêmes situations. Étant donné que nous sommes moins nombreux, peut-être qu'il nous faut aller plus loin pour trouver le même groupe de gens, le même nombre de gens. Comme je l'ai dit, les médias sociaux et l'Internet en milieu rural aident énormément.
Je sais que dans ma région, il existe un grand nombre de colonies huttérites qui ne s'associent pas vraiment, sur le plan social, à un grand nombre d'autres agriculteurs. Cependant, elles occupent une importante partie des terres, ce qui fait qu'il y a de moins en moins d'exploitations agricoles individuelles dans ma région.
Les choses changent. Je ne crois pas que tout soit perdu d'avance; il faut simplement modifier notre façon de penser.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie beaucoup les témoins de leur présence aujourd'hui. Nous apprécions que des gens sur le terrain viennent au Comité. Cela nous aide à bien comprendre la situation, à trouver des solutions et à faire des recommandation pour les aider dans l'avenir.
On sait que le travail d'un agriculteur est un travail très solitaire. L'agriculteur a sa famille et ses amis autour de lui, mais il n'a pas toujours de collègues ou de patron sur lesquels s'appuyer. Il est son propre patron.
Je ne sais pas si vous étiez ici tout à l'heure, quand le premier groupe de témoins a comparu. Parmi eux se trouvaient des représentants d'un organisme qui fait de la prévention grâce à ce qu'on appelle des travailleurs de rang. Ces gens, qui sont des psychologues ou des travailleurs sociaux, rendent visite aux producteurs agricoles de façon aléatoire pour leur expliquer les services qu'ils peuvent leur offrir.
Quand il ne se sent pas bien, un agriculteur n'a pas toujours le temps de consulter quelqu'un. Des professionnels vont chez l'agriculteur et lui posent des questions, et ils voient avec lui quels services ils pourraient lui offrir.
Avez-vous accès à ce genre de service? Serait-il intéressant pour vous qu'une organisation offre des services de ce genre dans votre province?