FINA Réunion de comité
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STANDING COMMITTEE ON FINANCE
COMITÉ PERMANENT DES FINANCES
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 7 novembre 2001
Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): Je déclare la séance ouverte et je vous souhaite à tous la bienvenue.
Comme vous le savez tous, à l'ordre du jour aujourd'hui, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous examinons le rapport sur la Politique monétaire de novembre 2001.
J'ai le plaisir d'accueillir le gouverneur de la Banque du Canada, M. David Dodge, et le premier sous-gouverneur, M. Malcolm Knight.
Monsieur le gouverneur, je vous souhaite la bienvenue. Nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à nous dire.
M. David A. Dodge (gouverneur, Banque du Canada): Merci beaucoup, monsieur le président. Nous sommes très heureux tous les deux d'être ici aujourd'hui à l'occasion de la publication de notre rapport sur la politique monétaire de novembre. Comme toujours, nous anticipons avec plaisir, nos deux visites annuelles ici à l'occasion de la publication de ce rapport, afin d'en discuter à fond.
Monsieur le président, à l'heure actuelle, toutes les économies nationales sont actuellement aux prises avec des difficultés... qui tiennent à un nouveau recul de la croissance mondiale et aux actes terroristes commis aux États-Unis. En cette période où les entreprises, les gouvernements et les ménages, tant au Canada que dans le reste du monde, s'efforcent de faire face aux conséquences de ces attentats, il est naturel que nous nous préoccupions d'abord des problèmes à court terme.
Mais, comme je l'ai dit dans une allocution prononcée à Moncton, il y a deux semaines, il importe aussi, en pareilles circonstances, de maintenir un certain recul et de ne pas perdre de vue les tendances à long terme et le potentiel de notre économie. Sous cet angle, les perspectives sont plus encourageantes. Au cours de la dernière décennie, nous avons remarquablement renforcé les assises de notre économie. Les progrès que nous avons réalisés à ce chapitre devraient nous aider à surmonter les difficultés, peu importe les turbulences et les incertitudes à court terme que nous devons affronter.
• 1535
Les incertitudes, il est vrai, sont énormes en ce moment et je
pense qu'il est important, monsieur le président, que je commence
aujourd'hui en disant quelques mots à ce sujet.
[Français]
Lorsque j'ai témoigné devant ce comité en mai 2001, la Banque du Canada croyait que la croissance allait connaître une modeste reprise au second semestre de 2001 et s'accélérer encore en 2002, mais au milieu de l'été, il est devenu de plus en plus clair que la relance des investissements aux États-Unis serait retardée et que le ralentissement dans ce pays serait plus prononcé et plus long que prévu. L'activité à l'extérieur de l'Amérique du Nord avait aussi commencé à davantage ralentir.
Au même moment, au Canada, on notait que la demande intérieure, qui était demeurée soutenue durant la première moitié de l'année, faiblissait. De plus, la correction des stocks semblait moins avancée que prévu, en particulier dans le secteur des produits électriques et électroniques.
[Traduction]
Les actes terroristes commis aux États-Unis, et leurs répercussions un peu partout dans le monde, ont beaucoup accentué l'incertitude et assombri encore davantage les perspectives de croissance à court terme. C'est pourquoi la Banque est intervenue exceptionnellement le 17 septembre, en dehors de son calendrier normal d'annonces, pour réduire les taux d'intérêt de un demi-point de pourcentage et raffermir la confiance.
Monsieur le président, il est très difficile d'évaluer les effets économiques des actes terroristes car cette situation est sans précédent dans l'histoire nord-américaine, et il faudra encore un certain temps pour en comprendre toutes les retombées. Il faudrait, comme je le disais à M. Nystrom, il y a un instant, être un psychologue national plutôt qu'un économiste, pour vraiment tenter de comprendre les événements
Étant donné les effets directs des attentats, leurs conséquences immédiates sur la confiance des ménages et des entreprises, et les ajustements nécessaires pour faire face aux risques accrus à la sécurité, la Banque s'attend à ce que la croissance de la production au Canada soit à peu près nulle ou légèrement négative au second semestre de 2001. Pour l'ensemble de l'année, celle-ci devrait ainsi avoisiner 1,5 p. 100.
Mesdames et messieurs, pour ce qui est de 2002, le moment et la vigueur de la reprise dépendront essentiellement de la conjoncture géopolitique ainsi que de la rapidité avec laquelle la confiance retournera à la normale en Amérique du Nord. Mais une fois que l'incertitude engendrée par les actes terroristes se sera dissipée, je suis convaincu que la production, l'investissement et l'emploi reprendront un rythme sain de croissance, vu la solidité des assises de l'économie canadienne.
[Français]
À l'heure actuelle, on peut imaginer deux scénarios. Dans le premier, la confiance pourrait se rétablir rapidement et l'économie pourrait retrouver sa vigueur à la faveur des mesures monétaires et budgétaires fortement expansionnistes déjà mises en place. Dans le deuxième, cependant, la confiance pourrait demeurer fragile encore un certain temps et, par conséquent, la croissance resterait anémique durant la majeure partie de 2002.
Mais dans les deux cas, notre économie devrait fonctionner encore en deçà de ses limites à la fin de l'an prochain. On s'attend donc à ce que l'inflation mesurée par l'indice de référence descende à quelque 1,5 p. 100 au deuxième semestre de 2002. Si les cours de l'énergie restent aux niveaux du début de septembre ou en dessous, l'inflation mesurée par l'IPC global devrait aussi tomber à environ 2 p. 100 d'ici la fin de 2001 et ensuite glisser sous ce niveau en 2002.
[Traduction]
À la lumière de ces considérations, mesdames et messieurs les députés, nous avons, le 23 octobre, abaissé de nouveau notre taux directeur de 0,75 point de pourcentage. Les réductions totalisant 3 points de pourcentage opérées depuis janvier visent à soutenir la croissance et à maintenir l'inflation près de notre cible de 2 p. 100 à moyen terme.
• 1540
Étant donné le grand nombre d'inconnues de la conjoncture
actuelle, monsieur le président, nous continuerons de suivre la
situation de très près, et réévaluerons les perspectives de
l'économie canadienne au fur et à mesure que nous recevrons de
nouvelles informations.
Monsieur le président, Malcolm et moi répondrons avec plaisir à vos questions.
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer à la période des questions et des réponses. Nous allons commencer par M. Kenney. Ce sera un tour de 10 minutes.
M. Jason Kenney (Calgary-Sud-Est, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier le gouverneur et M. Knight d'avoir pris le temps de venir nous voir aujourd'hui.
Monsieur le gouverneur, je ne vous apprends rien en vous disant qu'au deuxième trimestre de cette année, l'économie du Canada était, à toutes fins pratiques, au point mort. Au troisième trimestre, la croissance était négative, et je suis persuadé que vous acceptez l'opinion généralisée qu'au dernier trimestre de cette année, la croissance sera également négative. Cela signifie une récession. Acceptez-vous que le Canada soit en récession?
M. David Dodge: Comme nous l'avons dit, au mieux, nous pensons que la croissance au cours du deuxième semestre de l'année sera de zéro ou négative. Nous aurons les chiffres, cela variera un peu entre les chiffres préliminaires et les chiffres définitifs. Mais il est très clair qu'essentiellement, depuis le mois de mai, il n'y a eu aucune croissance et qu'au cours du deuxième semestre, la croissance sera probablement légèrement négative, vous avez raison.
M. Jason Kenney: Donc, bref, vous pensez que le Canada est en récession?
M. David Dodge: Je vous ai dit exactement quel est notre meilleur aperçu de la croissance. Il va falloir attendre pour donner des chiffres précis, de voir ce qui se passe trimestre par trimestre, que nous allons devoir prendre. Mais vous savez, l'an dernier, à cette époque, nous sortions d'une période de croissance de plus de 4 p. 100. Nous sommes maintenant à un taux nul ou légèrement négatif. Ce n'est pas un climat économique sain.
M. Jason Kenney: De façon générale, en principe, monsieur le gouverneur, en période de récession, pensez-vous qu'il est approprié ou nécessaire d'avoir recours à la politique fiscale pour stimuler la demande tout en utilisant également la politique monétaire?
M. David Dodge: Je pense qu'il faut toujours se garder de faire des généralisations trop globales. Vous vous rappelez qu'au début des années 90, lorsque nous avons connu de graves difficultés économiques, la marge de manoeuvre des gouvernements était très limitée à cause de leur situation financière. En fait, au cours de la dernière baisse de l'activité économique, en fait un repli très marqué le gouvernement du Canada, à cause de sa situation financière, a dû réduire ses dépenses en pleine période de crise économique.
Nous avons fait beaucoup de travail—nous tous, au palier fédéral et au palier provincial—depuis dix ans. Nous sommes maintenant dans une situation où nous pouvons permettre ce que les économistes appellent l'intervention de stabilisateurs automatiques. Nous avons clairement déclaré publiquement que nous pensons que le moment est venu de permettre à ces stabilisateurs automatiques d'intervenir.
M. Jason Kenney: Évidemment, monsieur le gouverneur, ils interviendront. C'est pourquoi on les appelle «automatiques». Les prestations d'assurance-chômage joueront le rôle. Mais pensez-vous que ce soit vraiment suffisant sous l'angle fiscal? Si l'on regarde la réaction des Américains—réductions agressives des taux par la banque fédérale; des mesures fiscales de 1 milliard de dollars visant à stimuler l'économie qui se trouvent actuellement devant le Congrès qui favorise fortement les réductions d'impôt des sociétés auxquelles s'ajoutent de 40 à 50 milliards de dollars de dépenses supplémentaires—pensez-vous que ce soit approprié dans le contexte américain? Pensez-vous qu'il soit approprié que le gouvernement fédéral ici dise tout simplement, laissons les stabilisateurs automatiques faire leur travail sans adopter une nouvelle politique budgétaire pour contrer une récession?
M. David Dodge: Ce qui est essentiel, c'est que les gouvernements, au niveau fédéral ou provincial, engagent les dépenses qui amélioreront nos perspectives de croissance économique à long terme et cherchent à s'attaquer aux problèmes structurels de l'économie.
• 1545
Évidemment, en ce moment, nous avons un problème de sécurité
qui touche tout particulièrement le gouvernement fédéral, mais
certains gouvernements provinciaux aussi. Il est tout à fait
approprié de prendre des mesures pour s'attaquer à ce problème, car
elles sont nécessaires pour assurer la santé et la sécurité de
l'économie à long terme.
M. Jason Kenney: Je présume que vous appuyez le principe que le gouvernement fédéral doit éviter d'être déficitaire et faire tout son possible pour rester excédentaire n'est-ce pas?
M. David Dodge: Ce que j'ai dit—et c'est très clair—c'est qu'à mon avis, ces stabilisateurs automatiques vont jouer leur rôle. Ce dont nous sommes certains c'est que les recettes fiscales seront considérablement moindres l'an prochain que nous ne l'avions pensé il y a un an.
Malheureusement, il est tout à fait probable que les paiements d'assurance-chômage seront supérieurs à ce que nous avions envisagé il y a un an. Il est également clair que nous allons devoir consacrer plus d'argent pour mettre en place diverses mesures de sécurité, particulièrement à la frontière.
Que nous nous retrouvions avec un excédent d'un milliard de dollars ou un déficit d'un milliard de dollars, c'est vraiment sans conséquence, à mon avis. Ce qui est essentiel, c'est de continuer à mettre en place des mesures qui améliorent la structure de l'économie à long terme.
M. Jason Kenney: Monsieur le gouverneur, vous favorisez les changements qui amélioreront la structure de l'économie. J'en conclus donc que vous pensez que certaines dépenses s'appliquant aux programmes gouvernementaux sont plus utiles à cet égard que d'autres. Pensez-vous que le gouvernement devrait songer à réévaluer ses priorités?
Voilà donc une question. J'en ai une deuxième et ensuite je céderai la parole à mon collègue, M. Solberg.
Aujourd'hui, le cours de notre dollar s'établit à 62,62c. soit le taux intrajournalier le plus faible de son histoire, encore une fois. Donc d'une part, votre mandat consiste à tenter de protéger la devise canadienne—qui se trouve à son niveau le plus bas de tous les temps et dont les perspectives ne sont pas très réjouissantes dans un avenir prévisible—et vous abaissez les taux afin de tenter de soutenir l'économie en période de récession. Comment pouvez-vous atteindre ces deux objectifs contradictoires? Comment pouvez-vous soutenir le dollar canadien en continuant de réduire les taux d'intérêt? Comment allez-vous résoudre cette énigme?
M. David Dodge: C'est très clair dans notre esprit. Notre tâche consiste à maintenir l'inflation à environ 2 p. 100. Nous pensons que l'an prochain, l'inflation de base chutera en deçà de 2 p. 100 à cause de la faiblesse de l'économie; par conséquent, nous prenons les mesures appropriées pour parvenir à nos fins, c'est-à-dire maintenir l'inflation à environ 2 p. 100.
Le président: Monsieur Solberg.
M. Monte Solberg (Medicine Hat, Alliance canadienne): Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai une question au sujet du dollar américain. Certains estiment qu'il est surévalué à l'heure actuelle. Vu que les États-Unis accusent actuellement un déficit énorme dans leur compte courant, croyez-vous que cela aura pour effet de réduire la valeur du dollar américain dans un avenir rapproché?
M. David Dodge: Prévoir la valeur des devises est vraiment une façon de se faire avoir. Évidemment, vous avez parfaitement raison de dire, qu'à long terme, aucune économie au monde ne peut indéfiniment accuser des déficits de son compte courant de 3 à 4 p. 100, et il y aura une correction des cours à un certain moment. Comme je l'ai déjà dit, j'espère que celle-ci se fera sans heurts plutôt que très brusquement avec un effet perturbateur mais il y aura une correction des cours avec le temps.
Le président: Merci, monsieur Solberg.
Monsieur Paquette, cinq minutes.
[Français]
M. Pierre Paquette (Joliette, BQ): Merci, monsieur le président.
Ce matin, un sondage nous apprenait que 55 p. 100 des Canadiens envisageaient la création d'une monnaie commune avec les Américains. Par contre, il y en avait 59 p. 100 qui étaient contre l'idée d'adopter immédiatement le dollar américain. Donc, les gens sont d'accord sur une monnaie commune, mais ils ne sont pas d'accord sur la dollarisation de l'économie canadienne.
Vous avez déjà avancé l'idée que, si l'intégration économique avec les États-Unis s'accélérait, le dollar canadien pourrait disparaître d'ici une génération. Par la suite, vous avez légèrement nuancé vos propos.
• 1550
On connaît la spéculation
sur le dollar canadien
qui se vit présentement et qui est
d'ailleurs tout à fait normale.
L'Europe ayant créé sa monnaie commune, il y a de moins
en moins de monnaies secondaires intéressantes pour les
spéculateurs, et le dollar canadien sera constamment,
comme il l'a été ces derniers jours, l'objet d'attaques
spéculatives, comme le sont le dollar australien et la
couronne norvégienne.
À la lumière de ces événements, ne pensez-vous pas que la Banque du Canada devrait étudier sérieusement les scénarios menant à une monnaie commune? Est-ce que le gouvernement canadien ne devrait pas, lui aussi, prendre l'initiative d'un débat sur une monnaie commune? Si on ne le fait pas, on risque, au bout du compte, de se faire imposer le dollar américain et de vivre une dollarisation de l'économie canadienne, plutôt que de le faire dans le cadre d'un échéancier et d'avoir des conditions, comme cela a été le cas en Europe.
Je voudrais savoir quelle est aujourd'hui votre position concernant ce débat sur une monnaie commune avec les États-Unis.
M. David Dodge: Je crois que la dernière fois que nous sommes venus ici, nous avons mis notre position sur la table. Elle n'a pas changé depuis.
Maintenant et dans le futur prévisible, le Canada a avantage à avoir le régime que nous avons, c'est-à-dire des cibles d'inflation et un dollar flottant, parce que cela permet des ajustements dans toutes les circonstances.
Si, après des années, les structures des économies canadienne et américaine convergent, ce sera peut-être une bonne idée, mais en ce moment, les structures sont assez différentes, et le fait d'avoir une devise flottante permet des ajustements beaucoup moins difficiles dans notre économie quand les prix relatifs des produits changent sur le marché.
M. Pierre Paquette: Il y en a qui avancent l'idée que la faiblesse du dollar canadien est justement un incitatif à la paresse au plan des investissements et de la productivité, parce qu'on bénéficie artificiellement, d'une certaine façon, d'un avantage concurrentiel avec ce dollar faible. À long terme, est-ce que cela ne risque pas d'affaiblir encore plus l'économie canadienne?
On sait aussi que dans certains dossiers commerciaux, par exemple celui du bois d'oeuvre, qui est actuellement sur la table, un des avantages concurrentiels que nous avons sur les marchés américains est la faiblesse du dollar canadien. Ce n'est pas le seul, mais c'en est un.
Donc, il se peut très bien que les Américains, confondant les éléments du dossier, en viennent à accuser, comme dans le cas du bois d'oeuvre, notre gestion forestière d'être responsable du faible coût de notre matière première, alors que ce faible coût est en grande partie attribuable à la faiblesse du dollar canadien. Il y a toute une série d'entreprises qui traversent les frontières et qui transigent déjà en dollars américains. Est-ce qu'à tout le moins, la Banque du Canada étudie sérieusement les scénarios entourant la création d'une monnaie commune ainsi que les étapes par lesquelles on devrait passer?
M. David Dodge: La tâche de la Banque du Canada est d'étudier toutes les choses qui touchent la politique monétaire, et on les étudie continuellement.
Malcolm, veux-tu dire quelque chose?
M. Malcolm Knight (premier sous-gouverneur, Banque du Canada): Merci, monsieur le gouverneur.
C'est une question très importante. Il faut toujours étudier la façon dont on va mettre en oeuvre la politique monétaire. Nous avons un régime où il y a une cible pour l'inflation et un taux de change flexible. C'est un régime qui, à mon avis, marche très bien parce que la cible pour l'inflation donne un point de repère aux agents qui prennent les décisions dans l'économie. Il n'y a pas de volatilité dans l'inflation, et cela diminue l'incertitude dans l'économie.
• 1555
Mais il y a toujours des chocs qui viennent de partout
au monde. Le taux de change est très
flexible dans notre économie et on peut faire
les ajustements
macroéconomiques nécessaires selon les conditions.
Nous poursuivons nos analyses dans ce domaine, mais nous sommes convaincus qu'un tel régime est un très bon régime dans le monde actuel.
M. Pierre Paquette: Ai-je le temps de poser une autre question ou de faire un petit commentaire?
Il y a quelques mois, je suis allé à une conférence de la Chaire Raoul-Dandurand. Cela portait justement sur les conditions d'une monnaie commune des Amériques. Il y avait là des gens du Japon, d'Asie et de partout aux États-Unis, mais il n'y avait aucun représentant du gouvernement canadien, et cela m'a dépassé. Des gens qui font affaire avec nous s'étaient déplacés de presque partout sur la planète pour voir ce que cela pouvait représenter, alors qu'il n'y avait personne du gouvernement canadien. Cela me paraît tout à fait irresponsable de notre part de nous mettre la tête dans le sable comme cela.
Vous parlez souvent dans vos documents de la cible de 2 p. 100. La fourchette, elle, va de 1 à 3 p. 100. Je dois vous dire que je suis très content. Je suis économiste et j'ai déjà travaillé à la CSN. On a dénoncé je ne sais combien de fois la politique de la Banque du Canada au début des années 1990, au moment où on était en récession et où nos taux d'intérêt demeuraient très élevés, alors que les Américains baissaient les leurs. D'ailleurs, ils ont eu une performance enviable en termes d'emploi. Chez nous, on maintenait un taux de chômage artificiellement élevé par cette politique monétaire trop restrictive.
On ne connaît pas l'avenir, et je pense que les événements du 11 septembre l'ont bien montré. Est-ce qu'à l'intérieur de cette fourchette de 1 à 3 p. 100... L'économie étant au ralenti, on s'attendrait à ce que ce soit en bas de 2 p. 100, mais supposons qu'à un moment donné, il y ait une flambée des prix du pétrole parce que le Moyen-Orient s'embrase ou je ne sais quoi, et que la pression sur le taux d'inflation monte en haut de 2 p. 100. Seriez-vous alors prêts, pour des considérations liées à la relance de l'économie et au maintien des emplois, à accepter un taux d'inflation supérieur à 2 p. 100 dans le cadre d'une période de relance économique?
M. Malcolm Knight: En fait, nous l'avons déjà fait. Depuis mars 1999, les prix de l'énergie ont considérablement monté. Cet essor des prix de l'énergie a beaucoup influencé notre taux d'inflation selon l'indice global. Au commencement de cette année, du premier mois de cette année jusqu'en mai, le taux d'inflation mesuré par l'indice global était au-dessus du plafond de notre fourchette cible, mais nous savions que le taux d'activité fléchissait et nous avons pu baisser les taux d'intérêt dès janvier. Nous avons pu le faire parce que nous utilisons l'indice tendanciel pour des fins opérationnelles lorsque nous mettons en marche la politique monétaire.
Notre régime peut, selon la conjoncture, modérer les fluctuations de l'activité. C'est une des raisons pour lesquelles on a cette cible pour l'inflation.
[Traduction]
Le président: Monsieur Pillitteri.
M. Gary Pillitteri (Niagara Falls, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur le gouverneur, c'est un plaisir de vous revoir.
Monsieur le gouverneur, je veux vous poser une question un peu différente de celles que mes collègues vont vous poser. Je suis en affaires—un entrepreneur—depuis toujours, et je me souviens que dans les années 90, les taux d'intérêt étaient à 9,5 p. 100 et le taux de chômage à 11 et 12 p. 100. Évidemment, je me souviens aussi d'un cours très élevé du dollar canadien et des taux d'intérêt plus faibles aux États-Unis.
• 1600
Aujourd'hui, je veux transmettre un message, non seulement à
moi-même, mais aux entreprises comme la mienne qui emploient au
plus 50 personnes—oui bien sûr je suis satisfait d'un taux
d'intérêt d'environ 5 p. 100 comme je paie maintenant. C'est
beaucoup mieux que tout ce que j'aurais pu m'imaginer.
Toutefois, depuis le 11 septembre, automatiquement parce que nous sommes voisins des États-Unis, les pertes de revenus des entreprises, surtout dans le secteur touristique, sont énormes. Comme entreprise, nous sommes toujours en mesure d'exercer notre activité en disant que nous ne voulons pas mettre nos employés à pied, que nous voulons rester en affaires. D'ailleurs, cela ne s'est pas produit. Je pense que la plupart des gens à qui j'ai parlé, continuent, dans l'espoir que les choses se replaceront disons dans six mois ou un an.
Monsieur le gouverneur, pouvez-vous nous assurer ou pouvez-vous nous donner une idée du temps qu'il faudra avant...? Comme je l'ai dit, comme entreprise, nous sommes prêts à assumer certaines pertes, mais d'après ce que je vois, la construction domiciliaire n'a pas diminué, l'immobilier marche bien, les automobiles se vendent bien, les articles de prix unitaire élevé continuent à se vendre—tous les éléments qui nous rassurent sont toujours présents. Faut-il continuer à croire qu'il s'agit dans notre cas d'un effet à court terme ou devons-nous formuler des plans à plus long terme?
M. David Dodge: Je pense que nous tous, à la banque, aimerions pouvoir vous donner une réponse tout à fait définitive. Mais il ne serait pas prudent de le faire, tout simplement parce que, en dehors des limites de l'économie et des finances, nous n'avons vraiment pas la moindre idée de ce qui arrivera dans l'ensemble du monde, ni comment les attitudes et la confiance évolueront aux États-Unis.
Toutefois, nous pouvons affirmer que la confiance des Canadiens, les ventes canadiennes, les investissements canadiens se tirent mieux d'affaire que de l'autre côté de la frontière aux États-Unis. Les événements du 11 septembre ont vraiment eu une grande incidence alors que le secteur manufacturier était déjà faible, et nous ne savons pas quelles vont être les réactions des consommateurs et des entreprises.
Toutefois, on peut s'imaginer un scénario où, s'il n'y a pas d'autres grandes perturbations, la confiance pourrait revenir assez tôt au cours de la nouvelle année et on pourrait voir une croissance relativement forte aux États-Unis à compter du premier semestre de 2002, tendance qui se maintiendrait ce qui ferait disparaître un grand nombre de nos problèmes. Toutefois, nous n'en savons rien, il pourrait s'écouler beaucoup plus de temps.
Pour le Canada, cela signifie directement la perte de ventes qu'il s'agisse de petites ou de grandes entreprises. Cela suscite également des craintes chez nos gens d'affaires que la frontière pourrait leur être fermée ou qu'il pourrait devenir prohibitif d'acheminer des produits de l'autre côté de la frontière.
Il existe donc un degré d'incertitude ici qui ne découle pas directement de l'incertitude des entreprises et des consommateurs comme c'est le cas aux États-Unis. Il est possible également que les Américains prennent des mesures pour resserer la libre circulation à la frontière, une inquiétude supplémentaire et évidemment un problème auquel, à titre de parlementaires, vous allez devoir vous atteler.
M. Gary Pillitteri: Merci.
Le président: Merci, monsieur Pillitteri.
Monsieur Murphy.
M. Shawn Murphy (Hillsborough, Lib.): Merci, monsieur le président.
Dans la même veine que M. Pillitteri, la Banque du Canada a-t-elle des projections financières pour le second semestre de 2002? Quelles sont vos projections les plus optimistes relativement à la croissance du PIB? Est-ce que les choses reviendront à la normale au cours du second semestre de 2002?
M. David Dodge: Permettez-moi de dire tout d'abord que, si l'on se fonde sur les conditions économiques que nous avons observées et sur la structure de l'économie, lorsque la reprise commencera, nous pensons qu'elle sera relativement solide et que les taux de croissance, par trimestre, seront de l'ordre de 4 p. 100 annuellement. Est-ce que cela commencera au deuxième trimestre de 2002, au troisième ou au quatrième, c'est très difficile à dire. Comme je l'ai expliqué en réponse à la question de M. Pillitteri, j'aimerais bien pouvoir le dire, mais ce serait vous induire en erreur, vous, et tous les Canadiens, que de tenter de donner une réponse trop catégorique à cette question.
Comme hypothèse de travail, nous pensons que nous commencerons à voir une croissance forte au cours du deuxième semestre de 2002. Cela signifie toutefois qu'à la fin de l'année, le niveau d'activité économique—pas le taux de croissance, mais le niveau d'activité économique—demeurera inférieur à notre potentiel d'activité économique. Nous nous attendons donc à ce que les prix augmentent d'environ 1,5 p. 100, bien en deçà de l'objectif. Voilà ce dont nous tenons compte dans la formulation de la politique monétaire.
M. Shawn Murphy: Je crois comprendre également qu'en ce qui concerne bien des mesures monétaires qui sont prises actuellement—y compris votre décision d'abaisser les taux d'intérêt il y a un mois et demi—, on semble généralement s'accorder sur le fait qu'il y a un décalage de six mois entre la prise des mesures et les effets de stimulation escomptés.
M. David Dodge: Il y a certainement un décalage. Maintenant, est-ce un décalage de 6 ou de 12 mois? Cela dépend un peu de la conjoncture, et même avec un certain recul, il est difficile de le dire. Cela dit, les effets complets ne se feront peut-être sentir que d'ici 18 ou 24 mois, et sur ce point, je laisserai à mon collègue le soin de répondre.
M. Malcolm Knight: Effectivement, c'est ce qui ressort des recherches que nous avons effectuées. Mais pour revenir à votre question, l'un des points soulevés par le gouverneur est que la vitesse à laquelle la politique monétaire ou d'autres mesures d'intervention influent sur l'économie dépend beaucoup du degré de confiance des consommateurs et du milieu des affaires. Ces deux facteurs rendent plus incertaine la durée du décalage par rapport à nos interventions au cours de l'année à venir.
M. Shawn Murphy: Voilà qui m'amène à ma dernière question, monsieur le président. Ce ne sera peut-être pas une question portant sur la politique budgétaire ou monétaire. C'est peut-être une question d'ordre plutôt psychologique. D'après vos recherches et vos connaissances, qu'est-ce qui influe le plus sur la confiance des consommateurs et du milieu des affaires? Cela semble être le coeur du problème. C'est difficile à prédire, car on ignore la tendance de la confiance du milieu des affaires et des consommateurs. Est-ce la politique budgétaire? Est-ce la politique monétaire? Est-ce le discours politique? Quels sont les facteurs qui influent positivement ou négativement sur la confiance du milieu des affaires et des consommateurs dans la conjoncture actuelle?
M. Malcolm Knight: C'est une excellence question. J'aimerais pouvoir vous donner une réponse complète. Nous savons que ce qui influe le plus sur la confiance des consommateurs, ce sont les perspectives d'emploi et le revenu disponible. Manifestement, la confiance du milieu des affaires dépend principalement de la capacité de faire des bénéfices. Or, le problème fondamental auquel nous faisons face—et c'est un problème auquel se heurte tous les économistes actuellement—, c'est qu'il est très difficile de mesurer l'incertitude créée dans le monde par les attentats du 11 septembre et des lendemains incertains, notamment pour ce qui concerne la rentabilité des entreprises et les perspectives d'emploi. Les entreprises traversent une période difficile.
Le président: Je vous remercie, monsieur Murphy.
Madame Barnes, la parole est à vous.
Mme Sue Barnes (London-Ouest, Lib.): Merci.
Bienvenue à tous les deux, et merci d'être venus.
Je vais poursuivre sur le thème de la psychologie, car il me semble que l'aspect psychologique est beaucoup plus important que les théories que nous avons entendues jusqu'à présent de la part des économistes traditionnels. Les gens modifient leur comportement dès qu'ils commencent à entendre parler de «récession», et ce changement de comportement touche différents aspects. Ainsi, ils modifient leur façon de dépenser, de s'endetter et de faire des épargnes. Les gens commencent donc à prendre des décisions différentes, mais cela dépend énormément de la façon dont les gens parlent de tout ce qui les entoure quand la situation économique empire. Ils se mettent alors en mode passif et réactif, alors que normalement, ils prennent des décisions et vivent leur vie. Ils ne prennent plus tellement de décisions, que ce soit pour dépenser ou économiser de l'argent, et ne se demandent plus s'ils peuvent se permettre de grossir leur compte Visa et ainsi de suite. C'est là l'aspect psychologique.
• 1610
Est-ce un facteur important? Les décisions que prennent les
Canadiens sur ces trois fronts, c'est-à-dire les dépenses, les
économies et l'endettement, peuvent-elles avoir de plus vastes
répercussions que celles des entreprises, plus que la majorité des
gens ne le croient? Personnellement, j'estime que le milieu des
affaires réagit en fonction des Canadiens, c'est-à-dire selon que
ceux-ci modifient leur comportement en matière de dépenses,
d'économies et d'endettement personnel.
M. David Dodge: Soyons très clairs. Vous avez absolument raison. Les consommateurs ou les ménages représentent environ 70 p. 100 de la demande au sein de l'économie. Donc, si les ménages décident de faire la grève, si vous me passez l'expression, il s'ensuit que les entreprises ne seront pas en mesure de réaliser des ventes importantes. Cela est tout à fait vrai, et la confiance des ménages est un facteur qui a une importance extraordinaire.
Je pense qu'il est également vrai—bien que cela ne soit qu'une observation personnelle et non une analyse professionnelle—que par les temps qui courent, où les circonstances sont très inusitées, les gens ont tendance à adopter une attitude attentiste, comme je l'ai indiqué.
Comment les amener à redevenir actifs? C'est très difficile à dire. Malheureusement, ce qui est capital pour notre croissance, c'est la confiance du consommateur américain. D'après moi, le consommateur canadien n'a pas été aussi—et permettez-moi d'utiliser un mot qui n'a rien de scientifique—traumatisé par les événements du 11 septembre et par leurs conséquences que le consommateur américain.
C'est très difficile, car nos économies sont intimement liées. En effet, 85 p. 100 des voitures fabriquées en Ontario sont vendues aux États-Unis. Même si les Canadiens achètent un nombre considérable d'automobiles, cela ne se traduira pas forcément par une augmentation de la production à Oshawa, à Windsor ou à Oakville.
Le président: Monsieur Nystrom, vous avez cinq minutes.
M. Lorne Nystrom (Regina—Qu'Appelle, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président. Monsieur le gouverneur, monsieur Knight, je vous souhaite la bienvenue.
J'aimerais vous poser des questions dans trois domaines, si vous me le permettez.
Ma première question porte sur la dollarisation, et elle complète en quelque sorte la question de Pierre. En 1991, l'Argentine a décidé d'aligner son peso sur le dollar américain, et vous le savez comme moi, l'économie comme les finances de l'Argentine sont un véritable désastre maintenant. J'aimerais savoir ce que pense le gouverneur de la catastrophe de l'Argentine et des conséquences à tirer pour une éventuelle monnaie unique pour le Canada et les États-Unis. Y a-t-il des leçons à tirer de la décision d'aligner le peso argentin sur le dollar américain et du manque de souplesse de l'économie argentine en conséquence? Cela nous donne-t-il une idée de ce qui pourrait se produire dans notre pays si nous devions convertir notre devise au dollar américain? Vous avez dit que la Banque fait des recherches sur tous les sujets.
M. David Dodge: Dieu merci, la situation de l'Argentine est très différente de celle du Canada, et elles ont été très différentes depuis le début des années 90. L'Argentine a adopté un régime de caisses d'émission pour donner une sorte d'assise à ses politiques, étant donné qu'elle ne jouissait pas de crédibilité en matière de politique budgétaire et monétaire. La caisse d'émission devait servir de point d'ancrage.
Cela dit, ce régime a considérablement limité la marge de manoeuvre des autorités argentines. Certes, cela a été utile au départ dans la mesure où la confiance perdue a été rétablie, reste qu'il a rendu la vie particulièrement difficile ces dernières années. Tout cela pour dire que je ne crois pas que l'Argentine soit un bon exemple de pays à suivre.
M. Lorne Nystrom: Ravi de vous l'entendre dire.
• 1615
J'ai une deuxième question. En juin dernier, la Banque a
décidé de privatiser l'administration des Obligations d'épargne du
Canada, nous faisant ainsi perdre un des symboles de la
souveraineté canadienne. J'ai reçu de nombreux appels et lettres de
mes électeurs à ce sujet, qui s'inquiétaient de nos valeurs, de
notre souveraineté et de toute la symbolique.
Pourquoi avoir pris cette décision? Combien d'argent cela vous a-t-il permis d'économiser? Pourquoi avez-vous confié l'administration à une entreprise privée du Texas, ADS of Texas? Évidemment, les centres d'appels sont toujours au Canada. Il y en a un à Mississauga, si je ne m'abuse, et un autre ici à Ottawa. Mais pourquoi avoir privatisé l'administration des Obligations d'épargne du Canada au profit d'une entreprise qui se trouve dans l'État de George W?
M. Malcolm Knight: Tout d'abord, une précision s'impose. Nous sommes toujours responsables de l'administration du service après-vente des obligations d'épargne du Canada. C'est nous qui en sommes responsables.
Les gens qui ont assuré l'administration étaient très efficaces et les logiciels que nous utilisions l'étaient également. Cependant, nous avons constaté que cela était très coûteux et qu'il nous en coûterait moins de confier l'administration à une entreprise qui pourrait tirer un meilleur parti de ces avoirs de qualité supérieure par rapport à d'autres activités. Nous avons estimé que nous pourrions réduire considérablement le coût d'administration des obligations d'épargne du Canada si le service après-vente était confié à quelqu'un d'autre, tout en maintenant un rôle de supervision. En fin de compte, c'est le contribuable canadien qui bénéficie de ces économies.
M. Lorne Nystrom: Autrement dit, il serait rentable d'amalgamer le dollar canadien avec le dollar américain. Est-ce que vous le recommanderiez?
M. Malcolm Knight: Comme l'a signalé le gouverneur, nous discutons d'un régime monétaire. Nous avons une stratégie très claire fondée sur une cible d'inflation et un cours de change flottant. Nous pensons que cela marche très bien pour l'économie canadienne et pour les Canadiens. Il est intéressant de noter que d'autres pays sont en train d'adopter notre cadre de politique monétaire.
S'il est vrai que nous n'avons pas participé à la conférence que M. Paquette a évoqué, il n'en demeure pas moins que nous avons parrainé, en juin, une conférence de tous les pays du G-20 pour discuter des meilleurs régimes de cours de change selon les circonstances particulières des pays. Différents points de vue y ont été exprimés, mais je pense que s'agissant de notre pays, il est assez évident que nous sommes sur la bonne voie.
M. Lorne Nystrom: Ma troisième et dernière question concerne la stratégie de gestion de la dette du ministère des Finances. La Banque du Canada détient actuellement environ 8 p. 100 du marché obligataire canadien. La dette canadienne représente quelque 440 milliards de dollars. En 1974, la Banque détenait environ 21 p. 100 ou 22 p. 100. La Banque serait-elle disposée à intervenir davantage sur le marché obligataire au fur et à mesure que les obligations arrivent à échéance?
D'aucuns avancent que, si la Banque détenait davantage de titres de créance, on pourrait dépenser davantage, notamment au chapitre de l'infrastructure. Le service de notre dette représente encore quelque 42 milliards de dollars par année. Si la Banque du Canada devait assumer 4 p. 100 de plus de ses dettes, on pourrait soutenir que cela dégagerait des fonds supplémentaires que l'on pourra alors consacrer à autre chose comme le logement social et l'aide aux agriculteurs des Prairies, soit ma région.
C'est une opinion qui semble être partagée par un nombre croissant de personnes, et je ne pense pas uniquement à Paul Hellyer.
M. Malcolm Knight: Je vous dirais deux choses: premièrement, vous avez évoqué l'exemple de l'Argentine un peu plus tôt. L'une des grandes vulnérabilités de l'Argentine, c'est le niveau élevé de la dette publique. Au Canada, ces dernières années, nous avons réduit considérablement notre niveau de dette publique par rapport à notre économie. C'est un facteur de vulnérabilité qu'on a réduit.
En ce qui concerne le montant réel de la dette publique détenu par la Banque du Canada, je dois dire que les considérations touchent principalement la manière dont nous appliquons notre politique monétaire. Lorsque nous injectons des liquidités dans le système afin de réduire le taux d'intérêt au niveau national, nous achetons forcément une partie supplémentaire de la dette publique. En revanche, quand nous essayons de resserrer les conditions monétaires pour ralentir l'inflation, nous avons tendance à acheter une moins grande partie de la dette publique. Le montant exact de la dette publique que nous détenons, en termes absolus ou relatifs par rapport à la taille de la dette totale, n'est pas vraiment une considération très importante sauf dans la mesure où cela nous aide à mettre en oeuvre notre politique monétaire.
Le président: Monsieur Brison, la parole est à vous.
M. Scott Brison (Kings—Hants, PC/RD): Merci, monsieur le président. Monsieur Dodge, monsieur Knight, je vous remercie d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.
Ma première question concerne le siphonnage des avoirs des entreprises canadiennes, siphonnage qui a commencé il y a quelques années et qui semble s'accélérer. Le dollar se dépréciant, un nombre accru d'entreprises étrangères acquièrent les avoirs d'entreprises canadiennes, que ce soit la West Coast Energy, Canadian Hunter ou MacMillan Bloedel. Cette tendance suscite de vives inquiétudes. Est-ce que vous êtes d'accord avec la plupart des économistes qui pensent que la faiblesse du dollar canadien a contribué à créer ce climat de bradage lequel, par conséquent, compromet la souveraineté économique du Canada?
M. David Dodge: Je suis d'accord avec la plupart des économistes pour dire que la faiblesse du dollar canadien n'a pratiquement rien eu à voir avec cela.
M. Scott Brison: Autrement dit, vous dites que la faiblesse du dollar canadien n'a pas contribué à créer ce climat de bradage des avoirs des entreprises canadiennes étant donné leur dépréciation?
M. David Dodge: Entendons-nous tout d'abord sur ce qui se produit depuis un certain temps déjà. En réalité, la quote-part des Canadiens au chapitre de l'investissement étranger direct est supérieure à celle des étrangers investissant au Canada. Notre dette extérieure nette est à la baisse. Si on regarde ce qui s'est produit au début des années 90, on constatera que la dette extérieure nette du Canada, directe et en portefeuille, était de l'ordre de—je n'ai peut-être pas les chiffres précis mais c'est grosso modo juste—45 p. 100 du PIB. Aujourd'hui, elle est de 20 p. 100 ou un petit peu moins; au cours des quatre dernières années, au seul chapitre de l'investissement étranger direct, les Canadiens ont été beaucoup plus actifs à l'étranger que ne l'ont été les étrangers au Canada.
M. Scott Brison: Vous ne croyez donc pas qu'il y a eu une vague de prises de contrôle des avoirs d'entreprises canadiennes par des entreprises étrangères?
M. David Dodge: À tout prendre, les Canadiens ont acquis plus d'avoirs étrangers que ne l'ont fait les étrangers au Canada. Il y a une vague de regroupement d'avoirs commerciaux à l'échelle mondiale. Il est tout à fait vrai que—et vous avez donné l'exemple de l'industrie pétrolière—dans ce processus de reprise, il y a eu beaucoup plus d'avoirs canadiens qui ont été achetés par des entreprises étrangères. Cela est tout à fait vrai.
M. Scott Brison: Si l'on compare les cibles d'inflation au Canada avec celles de la Réserve fédérale américaine, on constatera que la Banque du Canada a appliqué pendant la majeure partie des années 90 une politique fondée sur une valeur élevée du dollar. Pourtant, notre dollar est faible. Vous avez décrit quelques problèmes financiers structurels qui distinguent notre économie de celle des États-Unis. Vous avez donné l'exemple de la productivité. Partagez-vous l'opinion de votre homologue américain, M. Greenspan, qui a tenu les propos suivants au sujet des impôts sur les gains en capital:
-
Si on éliminait les impôts sur les gains en capital, cela
entraînerait vraisemblablement, avec le temps une croissance
économique, ce qui augmenterait les recettes vu que les impôts sur
le revenu des particuliers et celui des sociétés [...]
-
Le problème principal de cet impôt est qu'il entrave l'activité des
entrepreneurs et la formation du capital.
Seriez-vous d'accord avec votre homologue américain, M. Greenspan, pour dire que l'une des lacunes structurelles de l'économie canadienne est notre régime d'impôt sur les gains en capital?
M. David Dodge: Non.
M. Scott Brison: Dans ce cas-là, quelles lacunes structurelles aimeriez-vous que l'on règle sur le plan budgétaire? Vous avez évoqué ces lacunes, alors quelles sont-elles? Est-ce seulement la dette? Est-ce le régime fiscal? Le gouvernement devrait-il dépenser davantage? Que dites-vous au juste?
M. David Dodge: Il est évident qu'au Canada nous nous employons à améliorer notre productivité, et, de toute évidence, il existe des obstacles qui empêchent tant les entreprises que les pouvoirs publics d'apporter les améliorations voulues. Il nous incombe à tous de faire mieux.
Il n'y a pas de solutions simples, et je ne prétends pas comparaître devant vous pour fournir des réponses simples. La tâche est vraiment colossale, et il faut travailler sur différents fronts.
Pour revenir à la question de M. Nystrom, afin d'augmenter la productivité de ces personnes dont le talent est extraordinaire qui s'occupaient des obligations d'épargne du Canada, nous les avons placées dans un environnement où elles pouvaient en faire davantage pour que leur travail soit réparti également sur l'ensemble de l'année. Dans une certaine mesure, nous essayons de créer un environnement où ces gens peuvent travailler à plein régime.
M. Scott Brison: Pour ce qui concerne la productivité, partagez-vous l'opinion de bien des économistes qui disent que la faiblesse du dollar canadien nuit à la productivité, d'une part parce que cela crée un faux sentiment de sécurité chez les exportateurs canadiens, puisque ceux-ci ne se sentent pas obligés de faire les investissements nécessaires pour améliorer la productivité, estimant qu'ils sont protégés, du moins à court terme, par la faiblesse du dollar canadien, et d'autre part, cela accroît les coûts de l'équipement nécessaire pour renforcer la productivité, lequel équipement est généralement importé et payé en dollars américains?
M. David Dodge: Je ne le crois pas.
Prenons l'exemple du bois d'oeuvre dont on a déjà parlé. Depuis 10 ans, les entreprises, moyennes et grandes, de ce secteur, ont fait des investissements considérables. Les scieries canadiennes sont beaucoup plus efficaces et rentables que les scieries américaines, celles surtout du sud-est des États-Unis. Or, c'est de ce genre de secteur dont vous parlez quand vous dites que les gens deviendront indolents si le dollar est flottant.
Rien ne permet de croire que cela rend indolent. Cela ne veut pas dire que certains particuliers, certaines entreprises, ne se laissent pas porter par le courant de temps en temps, mais je ne crois pas qu'il y ait de données concrètes justifiant une telle conclusion.
Le président: J'aurais une question à vous poser, monsieur le gouverneur. À la «note technique 1», page 12, sous le titre «Effets économiques à court terme des attentats terroristes», je note que votre analyse porte essentiellement sur l'économie nord-américaine et vous dites même: «En raison de la proximité des États-Unis et de l'intégration étroite des deux économies, le Canada est particulièrement vulnérable».
Ainsi, monsieur le gouverneur, d'après votre rapport, vous semblez convaincu de l'intégration de l'économie nord-américaine. Certains s'inquiètent de cette intégration bien qu'ils vivent cette réalité tous les jours. Je me demande dans quels autres secteurs nous pourrions promouvoir l'intégration afin d'en tirer les avantages. Dans quels autres secteurs pourrions-nous réaliser une telle intégration? J'imagine que nous appartenons à ce bloc économique nord-américain parce que c'est avantageux pour nous.
M. David Dodge: Monsieur le président, je ne sais pas au juste comment répondre à cette question.
Prenons votre première hypothèse. Chaque économiste est, de par sa formation, libre-échangiste et souhaiterait supprimer tous les obstacles qui nuisent aux échanges puisque ces derniers apportent de véritables avantages. Nous nous y employons au Canada depuis 1947, certainement, et nous sommes allés encore plus loin avec l'ALE et l'ALENA.
Bien entendu, plus on progresse et plus il est difficile d'obtenir des gains supplémentaires. Quand on élimine des droits tarifaires de 25 p. 100, cela rapporte gros dans l'immédiat.
• 1630
Mais oui, je crois que vous avez raison et cela ne touche pas
que les États-Unis; c'est un phénomène mondial. Il devra y avoir
une certaine harmonisation des règles et des règlements au fur et
à mesure de la libéralisation des échanges tant en ce qui a trait
aux échanges de services qu'au commerce de marchandises.
Le président: Plus tôt, en réponse à une question portant sur une devise commune, vous avez utilisé le terme «convergence». Quand y a-t-il convergence?
M. David Dodge: Il y a là deux éléments importants. Il y a d'abord la question de l'intégration, à savoir le volume des échanges. Il y a ensuite les structures respectives des économies.
Notre économie a une structure bien différente de celle des États-Unis. Cela signifie que quand nous constatons d'importantes variations des prix relatifs de diverses marchandises, cela a des répercussions bien différentes sur nos deux économies. Nous ne savons pas si à l'avenir ces structures vont converger ou diverger—c'est-à-dire vers une plus grande spécialisation ou plutôt une diminution de la spécialisation.
Dans certains secteurs il est probable, voire vraisemblable, qu'il y ait divergence. Vu la taille de notre économie, nous allons développer une plus forte proportion de nos réserves de pétrole et de gaz que les Américains. Ainsi, dans la mesure où nous dépendons davantage des réserves de pétrole et de gaz de l'Amérique du Nord, nos structures deviendront plus concentrées et divergeront de plus en plus de celles des États-Unis. Dans d'autres secteurs, nous nous rapprocherons du modèle américain. Toutefois, nous n'avons aucune certitude.
C'est ce que je tentais de faire comprendre plus tôt, qu'il se peut fort bien que dans 30 ans, la valeur économique résultant d'une devise distincte sera sensiblement moindre qu'elle ne l'est aujourd'hui puisque les structures des deux économies auront convergé. D'autre part, s'il y a divergence, ce qui est tout à fait possible, la valeur qui résulte d'une devise distincte sera encore plus grande qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Le président: Merci.
Monsieur Discepola.
M. Nick Discepola (Vaudreuil—Soulanges, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur le gouverneur, j'aimerais vous poser deux petites questions. Je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites que notre principal problème à l'heure actuelle, comme vous l'avez dit dans votre exposé liminaire, c'est que nous nous préoccupons trop des problèmes à court terme. Je crois que si nous réussissons à tenir le coup pendant cinq ou six mois, nous pourrons nous préoccuper aussi du moyen et du long terme.
La confiance des consommateurs est sans doute à son plus bas niveau. Je crois personnellement que les événements du 11 septembre n'ont fait qu'exacerber une condition préexistante car Nortel et d'autres grandes entreprises avaient commencé à mettre à pied des dizaines de milliers d'employés avant le 11 septembre. Je suis donc convaincu que si nous maintenons des taux d'intérêt bas, par exemple, cela stimulera la confiance des consommateurs. Je crois que cela ne se produira que quand l'économie aura repris de la vigueur. Je ressens une certaine inquiétude chaque fois que j'entends mentionner vos cibles d'inflation. Vous semblez être fixés sur ce taux d'inflation de 2 p. 100, et je me demande pourquoi ce chiffre est si magique. Pourquoi l'inflation ne pourrait-elle pas être de 3, 4, 5 ou 6 p. 100, si cela permettait de stimuler la confiance des consommateurs?
Deuxièmement, je crois que le gouvernement devra, lors du prochain budget, saisir une occasion qui ne reviendra peut-être plus jamais. Quand je vois ce qui se passe au Congrès, où le président Bush a fait voter je crois une dépense publique de 100 milliards de dollars, je me demande si c'était très prudent. J'aimerais savoir ce que vous en pensez car je me demande si dans le prochain budget il faut prévoir des mesures pour stimuler l'économie. Si oui, quelles mesures pourrions-nous prendre, devrions-nous prendre, et faut-il le faire quitte à enregistrer un déficit? J'ai entendu un économiste dire, cette semaine, qu'un déficit de 1 à 2 milliards de dollars ne serait pas la mer à boire si nous réussissions à stimuler l'économie. J'aimerais connaître votre réaction, s'il vous plaît.
Et si vous ne pouvez pas donner de conseils au ministre des Finances—je sais qu'il ne peut pas vous en donner—vous pourriez peut-être faire passer le message par l'entremise du comité.
M. David Dodge: J'hésite à donner des conseils sur des points précis bien que j'aimerais énormément revenir à votre souhait que nous réussissions à tenir le coup à court terme. J'espère que ce n'est pas ainsi que nous envisageons les choses. D'ailleurs, j'estime qu'il serait très dangereux de s'en tenir au court terme. Je crois que nous devons tous tenter de déterminer ce qui nous donnera les meilleures chances de succès à l'avenir, et pas uniquement à court terme, parce que si nous n'agissons qu'en fonction du court terme nous risquons de commettre de très graves erreurs qui nous empêcheront de répondre aux besoins des Canadiens plus tard.
Peu importe les décisions budgétaires que prendra le Parlement, je le prie de ne pas se contenter de viser des résultats à un horizon de deux ou trois mois, mais de penser à ce qui serait bon à plus long terme.
Tout ce que je puis ajouter c'est que l'histoire nous a enseigné certaines leçons quant aux répercussions à court terme de diverses politiques. L'histoire nous a notamment enseigné que les réductions temporaires d'impôt ne contribuent pas énormément à stimuler l'économie puisqu'une forte proportion de la somme est thésaurisée. Ensuite, côté dépenses, les programmes qui nécessitent énormément de planification, de sorte que l'effet ne se fait sentir que deux, trois ou quatre ans plus tard, ont tendance à stimuler l'économie mais au mauvais moment.
Il est très difficile d'accorder des réductions d'impôt ou d'engager des dépenses au moment parfait pour obtenir les effets escomptés. La réduction considérable permanente de l'impôt sur le revenu accordée l'automne dernier a été une décision de gestion extraordinairement bonne car elle fait sentir ses effets exactement au bon moment. Mais la décision n'a pas été prise en fonction de difficultés conjoncturelles mais plutôt en raison de ses effets positifs à long terme sur l'économie.
Malcolm, pendant vos années au FMI, vous avez analysé la situation d'un grand nombre de pays. Y a-t-il des leçons qui pourraient nous être utiles?
M. Malcolm Knight: Je souhaitais réellement répondre à votre question sur notre détermination à maintenir le taux d'inflation à un niveau faible et stable de 2 p. 100 par an. Vous avez demandé si un taux d'inflation de 5, 6 ou 7 p. 100 ne redonnerait pas confiance aux consommateurs en stimulant la croissance? En raison de l'expérience que j'ai acquise sur la scène internationale et qu'a mentionnée le gouverneur il y a un instant, je pense tout le contraire.
Le problème que pose la gestion de la demande globale de façon à obtenir des taux d'inflation élevés c'est que ces derniers ne restent pas stables. Cela crée énormément d'incertitude, cela plonge également le cours du change dans un cercle vicieux et en définitive, cela ne contribue pas à renforcer la demande et la confiance des consommateurs. Tout le contraire. Et un taux d'inflation plus élevé soutenu se solde par des taux d'intérêt beaucoup plus élevés.
Dans le passé, nous avons traversé une période où l'inflation était trop élevée et où nous avons dû augmenter énormément les taux d'intérêt pour juguler l'inflation, ce qui a étouffé l'activité économique, tandis que dans l'actuelle période de ralentissement, les taux d'intérêt sont très faibles ce qui devrait à terme contribuer à rétablir la confiance des consommateurs et des entreprises.
M. Nick Discepola: Vous semblez vous contenter d'apporter des ajustements en fonction de ce que fait le gouvernement fédéral aux États-Unis et la Réserve fédérale. J'aimerais savoir si la réduction des taux d'intérêt contribue réellement à rétablir la confiance des consommateurs, comme nous devons le faire dans la conjoncture actuelle?
M. David Dodge: D'abord, il y a là deux questions, et je vais y répondre très brièvement. Nous prenons des décisions en fonction de ce qui serait bon pour le Canada dans les circonstances. Nous agissons de temps à autre dans le même sens que la Réserve fédérale, mais pas toujours, mais la décision dépend de ce que nous jugeons préférable pour le Canada.
Le rapport décrit les perspectives au Canada et, partant, la politique adaptée à nos besoins. Bien entendu, nous sommes un pays très ouvert et nous sommes sensibles à la situation ailleurs dans le monde. Voilà mon premier commentaire.
Ensuite, ce n'est pas le taux d'intérêt à lui seul qui est important. Si vous comparez la situation actuelle à ce que nous avons vécu au début des années 90, au début des années 80, vous constatez que nous avons eu un taux d'inflation très faible et très stable parce que les consommateurs savent qu'ils peuvent compter à moyen terme sur un taux d'inflation de 2 p. 100. Nous avons donc pu réduire les taux d'intérêt bien que le taux d'endettement des consommateurs soit beaucoup plus élevé aujourd'hui qu'il ne l'était au début des années 80, de sorte que les ménages consacrent aujourd'hui au service de leur dette un peu plus de 8 p. 100 comparativement à 12 p. 100 à l'époque.
Nous avons donc traversé une difficile période d'adaptation mais la situation actuelle comporte d'énormes avantages qui contribuent de façon appréciable à rétablir la confiance des consommateurs. C'est certainement un facteur, même si ce n'est pas le seul.
Le président: M. Solberg, puis Mme Bennett.
M. Monte Solberg: Merci, monsieur le président.
Monsieur le gouverneur, aujourd'hui, le dollar frôle son niveau historique le plus bas et nous avons des taux d'intérêt qui n'ont pas été aussi faibles depuis très longtemps. Je me demande ce qui se produirait s'il y avait une autre attaque terroriste contre l'Amérique du Nord, particulièrement si elle visait le Canada. Manifestement, cela provoquerait une fuite des capitaux hors du pays. Et nous voulons bien entendu protéger le dollar.
Que peut faire la banque pour empêcher que le dollar ne tombe en dessous de la barre de 61 c. ce qui ébranlerait la confiance des consommateurs et, par conséquent, freinerait davantage l'économie? Que pouvons-nous faire pour éviter pareille chose? Je ne crois pas que ce soit un scénario inimaginable. Vous devez savoir ce que vous feriez le cas échéant. Quelle forme prendrait votre intervention?
M. David Dodge: D'abord, prenons l'hypothèse principale de votre question. Il n'est pas du tout évident que dans un tel cas les gens paniqueraient en raison de l'attaque ayant lieu au Canada.
M. Monte Solberg: Le cours du dollar a énormément fléchi depuis le 11 septembre et je crois que beaucoup craignent que la frontière canado-américaine ne soit fermée. La confiance des investisseurs en serait ébranlée. Quiconque a de l'argent ici et tente d'exporter aux États-Unis, ou encore les gens qui envisageaient d'investir au Canada, seraient inquiets.
M. David Dodge: Votre hypothèse est légèrement différente de celle de votre première question. Vous avez mis le doigt sur ce que la banque considérerait, du point de vue analytique, comme un problème important découlant des événements du 11 septembre, à savoir la crainte qui persiste chez les Canadiens, les entreprises tant canadiennes qu'étrangères, que les autorités américaines ferment la frontière et privent le Canada de la possibilité d'exporter des biens et des services. Et vous avez absolument raison de dire que c'est l'un des facteurs qui expliquent la réticence des entreprises à investir.
• 1645
Malheureusement, cela échappe au champ d'action de la banque.
C'est au gouvernement du Canada et aux provinces d'intervenir.
M. Monte Solberg: D'accord, mais les attaques contre les États-Unis ont provoqué une crise des liquidités. Quels plans d'intervention avez-vous élaborés? Quels sont vos moyens d'intervention en pareil cas? Devez-vous nécessairement relever du jour au lendemain les taux d'intérêt pour soutenir le dollar? Est-ce un sujet de préoccupation? Vous inquiétez-vous de la valeur du dollar? Permettez-vous qu'il se déprécie? Achetez-vous des dollars? Devez-vous compter sur la Banque d'Angleterre ou la Réserve fédérale pour qu'elles achètent des dollars? Que se passerait-il en pareil cas?
M. David Dodge: Il y a plusieurs motifs d'intervention. Je vais demander à Malcolm, qui était aux commandes au moment des attaques du 11 septembre, puisque j'étais dans un avion au-dessus de l'océan. Il pourra vous expliquer ce que la banque a fait. Nous avons les moyens d'agir en pareil cas, et nous pouvons aussi faire appel aux autres banques centrales.
Advenant une perte soudaine et totale de confiance dans les valeurs canadiennes—pour ainsi dire—où il y a une ruée massive hors du pays, tout dépend de la cause de cette réaction. Le fait est que nous disposons d'un grand nombre d'outils d'intervention. En règle générale, il faut une intervention qui va bien au-delà de la seule politique monétaire et qui nécessite non seulement une action concertée avec d'autres autorités monétaires mais aussi une intervention des gouvernements.
Votre question sur ce que nous avons fait le 11 septembre et par la suite est très intéressante. Monsieur le président, il serait peut-être utile que Malcolm vous explique pendant quelques minutes comment nous avons géré, avec succès je crois, une situation difficile au Canada et ailleurs dans le monde.
M. Malcolm Knight: Merci, monsieur le gouverneur.
Il m'apparaît important de donner une réponse en deux temps. D'abord, un événement imprévu a des répercussions financières à très court terme. Ensuite, il s'agit de voir quelles répercussions l'événement aura sur la tenue de l'économie et sur les choix de la politique monétaire et autres.
Dans le cas du 11 septembre, nous avons évidemment dû nous assurer que nous avions des contacts étroits avec le monde de la finance, avec la Bourse de Toronto, avec les courtiers en investissement et avec les grandes institutions financières. En gros, nous avons trouvé que cela s'est très bien passé.
Ce qui nous a surtout inquiétés le mardi 11 septembre, c'est que lorsque ces événements effroyables se sont produits, nous avons vu s'installer une paralysie dans ce que nous appelons notre système de transfert de paiements de grande valeur. Cela risquait d'être très grave car c'est par le biais de ce système que tous les paiements entre institutions financières finissent par passer dans l'économie canadienne. Nous avons donc pris des mesures rapides en cours de journée pour rassurer les gestionnaires de trésorerie et leur dire que nous allions mettre à leur disposition de très grosses quantités de liquidités garanties dans le courant de la nuit.
Normalement, pour vous donner un exemple, en fin de journée nous injectons dans le système financier environ 15 millions de dollars pour graisser les rouages du système. Mais ces jours-là, nous en avons injecté 20 fois plus. Nous y avons mis un milliard de dollars. Nous avons aussi pris d'autres mesures qui me semblaient très importantes pour aider les gestionnaires de trésorerie à gérer la situation, au moyen d'opérations spéciales de rachat, etc.
• 1650
Je ne vais pas entrer dans tous les détails techniques. Nous
avons fait le bilan de notre action du 11 septembre. Nous avons
discuté avec les banquiers et nous allons continuer. Nous allons
notamment travailler à des scénarios du genre de ceux que vous
évoquez, et essayer d'imaginer d'autres situations auxquelles nous
pourrions être confrontés.
L'autre aspect, c'est la question de savoir quoi faire à long terme en matière de politique monétaire. En réalité, même si nous traversons une période d'incertitude économique, nous avons établi au cours des dernières années des positions financières durables au niveau des gouvernements fédéral et provinciaux. Nous avons un niveau d'inflation faible et stable. Nous avons un excédent du compte courant. La perte de confiance que vous évoquez semble donc peu probable.
Le 17 septembre, le même jour que la Réserve fédérale, nous avons réduit nos taux d'intérêt de 50 points de base parce que nous estimions que c'était nécessaire pour relancer la confiance. Depuis, évidemment, nous avons de nouveau réduit les taux d'intérêt. Nous estimons que c'est éminemment souhaitable pour gérer la politique monétaire et redonner un élan à l'économie.
Il y a donc ces deux aspects distincts. Nous travaillons énormément sur les deux en permanence, mais ce sont tout de même des éléments assez distincts.
Le président: Monsieur Kenney, vous avez une question.
M. Jason Kenney: Merci, monsieur le président.
Monsieur Dodge, le fait que le dollar canadien ait perdu 25 p. 100 de sa valeur en huit ans ne semble pas vous préoccuper. Je comprends que nous avons une inflation faible et stable, et je m'en réjouis. C'est un résultat remarquable que les Canadiens ont payé très cher. Vos prédécesseurs ont joué un rôle très important dans la réalisation de cet objectif. Néanmoins, n'êtes-vous pas ainsi que la banque un peu inquiets de constater que notre dollar, qui valait 89c. américains il y a 10 ans n'en vaut plus que 62 maintenant?
La deuxième partie de ma question est la suivante: jusqu'où peut-on descendre? Vous avez une marge d'inflation. À partir de quand la valeur de la devise devient-elle une préoccupation pour les autorités monétaires du Canada?
M. David Dodge: Nous sommes évidemment très préoccupés par la devise car nous aimerions bien que nos échanges commerciaux et nos investissements se négocient à un niveau plus conforme aux données fondamentales de l'économie. Pour l'instant, il est sans doute juste de dire que notre dollar est sous-évalué par rapport à ces données fondamentales.
Évidemment, c'est quelque chose qui préoccupe la Banque du Canada, mais je tiens à vous affirmer clairement qu'à long terme, si l'on se préoccupe seulement de la valeur au jour le jour d'une devise—M. Knight pourra vous parler plus abondamment des pays qui ont essayé de le faire—on ne fait qu'affaiblir l'économie nationale et en fin de compte affaiblir la devise.
Ce que nous avons de mieux à faire, c'est d'accomplir correctement notre travail en gardant confiance dans le pouvoir d'achat futur de cette devise. Évidemment, ce ne sont pas les taux de change qui nous permettent de le faire, et par conséquent cela a des répercussions sur ce que nous faisons. Mais maintenir ce pouvoir d'achat, donner aux Canadiens la conviction que ce pouvoir d'achat se maintiendra... Le pouvoir d'achat, c'est aussi en partie la possibilité d'acheter des biens et services étrangers.
• 1655
Donc la réponse est que si, nous sommes très préoccupés. Nous
répondons à cette préoccupation en agissant de façon à atteindre
nos objectifs en matière d'inflation.
Le président: Madame Bennett.
Mme Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): Merci, monsieur le président. J'ai deux petites questions.
Premièrement, dans tous les discours que nous avons entendus depuis le 11 septembre, on a naturellement parlé du blanchiment d'argent et du rôle éventuel de la banque. Que fait la banque pour étouffer ce genre d'activités? Quels sont les instruments dont vous disposez et comment se comparent-ils avec ceux qui existent ailleurs dans le monde? Devrions-nous en faire plus?
Ma deuxième question s'inscrit un peu dans le sillage de celle de M. Discepola, parce que quand on parle du dollar canadien, de la dollarisation et de ce genre de choses, les gens ne comprennent pas toujours ce que vous faites. Dans les classes de 10e année, les jeunes se demandent ce que vous faites et s'il est vraiment nécessaire d'avoir une politique monétaire canadienne distincte. Que se passe-t-il exactement quand on modifie un taux d'intérêt? Quelles sont ou quelles doivent être les retombées d'une telle initiative sur l'économie?
Il serait bon d'expliquer à ces élèves du Canada et peut-être même à certains députés, pourquoi le Canada a besoin d'une politique fiscale et monétaire distincte de celle de notre grand voisin.
M. David Dodge: Je vais d'abord répondre à la première question. La Banque du Canada n'est pas responsable du blanchiment d'argent à l'échelle internationale. Ce sont le ministère des Finances et, dans le cadre d'une surveillance quotidienne, le Bureau du surintendant des institutions financières qui s'occupent de cela. Nous sommes en fait responsables de la stabilité financière d'ensemble, mais pas de cet aspect particulier des choses.
Que fait la Banque du Canada? C'est une bonne question qu'on nous pose souvent. Notre produit le plus simple, évidemment, c'est la monnaie de papier que vous avez dans la poche, avec la signature de Malcolm et la mienne. C'est le produit que nous mettons en circulation.
Pour que ce produit soit utile, il faut que les gens aient confiance dans le maintien de son pouvoir d'achat. En 1991, nous avons adopté une stratégie fondée sur une cible d'inflation pour donner confiance à tous les citoyens canadiens dans le maintien du pouvoir d'achat de notre dollar.
La contribution la plus utile de notre politique monétaire à long terme, c'est de donner aux citoyens confiance dans le pouvoir d'achat de leur devise. À ce moment-là, ils cherchent à maximiser la valeur de leurs investissements quand ce sont des entreprises, ou la valeur de leur consommation quand ce sont des consommateurs, au lieu d'aller chercher des moyens de se mettre à l'abri des ravages de l'inflation. Encore une fois, dans le temps comme dans l'espace, il est largement prouvé que c'est ce que nous pouvons faire de plus utile.
Mme Carolyn Bennett: Dans la foulée de la question de M. Discepola, j'aimerais savoir si vous avez des exemples à opposer aux critiques qui vous accusent de suivre aveuglément la Réserve fédérale américaine? Avez-vous des exemples de cas où vous avez suivi une voie différente pour obtenir un effet différent au Canada?
M. David Dodge: Bien sûr. Ce n'est pas un gros problème. Si l'on remonte à l'époque de la crise asiatique en 1997-1998, tout le monde savait très bien qu'elle n'allait pas avoir dutout les mêmes répercussions sur le Canada que sur les États-Unis. Par conséquent, pour poursuivre sur la question de M. Solberg, nous nous sommes servis des outils que nous avions à notre disposition pour permettre au Canada de s'adapter très rapidement à une situation extrêmement délicate, et à très faible coût finalement. Donc, pour répondre à votre question, le fait de disposer de ces instruments présente des avantages réels, compte tenu de la structure de notre économie.
• 1700
Malcolm, vous vouliez ajouter quelque chose?
M. Malcolm Knight: Comme l'a dit le gouverneur de la banque, si vous regardez ce qui s'est passé, même il y a quelques années seulement, en 1998 par exemple, vous pouvez constater que l'évolution des taux d'intérêt en fonction de la politique canadienne a été différente de celle qu'on a pu constater aux États-Unis parce que la situation était différente.
À long terme, il y a deux choses qui sont aussi pertinentes.
Au cours des années 70 et 80, nous avons progressivement accumulé un niveau d'endettement public plus élevé que celui des Américains proportionnellement à la taille de notre économie. Au cours de cette période, nous avons aussi eu des périodes très prononcées d'inflation élevée et instable. C'est une situation que d'autres pays industriels ont aussi connu, mais nous ne nous en sommes pas tirés aussi bien que nous aurions dû.
Depuis le début des années 90, notre politique monétaire a eu pour objectif de tourner la page sur cette situation. En fait, depuis cinq ans, presque chaque mois à l'exception de deux peut-être, notre taux d'inflation a été inférieur à celui des États-Unis.
Cette politique nous a bien servi et je crois qu'elle se traduit par le fait que nous avons un fort niveau d'emploi et une solide croissance de la production depuis 1996, avec un excédent du compte courant.
Mme Carolyn Bennett: En tant que présidente du Sous-comité sur les personnes handicapées, je vous remercie pour les billets de 10 $ à perception tactile.
Le président: L'une des questions qui intéressent notre comité, monsieur le gouverneur, c'est la question de la productivité. Dans notre étude, nous avons constaté que les investissements y jouaient un rôle important. J'aimerais vous demander de nous parler des investissements étrangers directs au Canada. Où en sommes-nous, et est-ce quelque chose qui devrait nous préoccuper?
M. David Dodge: C'est une question plutôt vaste, monsieur le président.
Vous avez raison. Le niveau des investissements est extrêmement important pour la croissance de la productivité, d'une part parce que cela nous donne plus d'instruments et d'autre part, ce qui est peut-être plus important encore, parce que ces investissements nous amènent de nouvelles technologies et de nouvelles façons de faire les choses. C'est donc quelque chose d'extrêmement important.
Peu importe que ces investissements soient réalisés par une entité étrangère ou une entité canadienne. Toutefois, il faut tout de même reconnaître que, traditionnellement, on constate que les investissements réalisés par des multinationales dans des secteurs à la pointe de la technologie contribuent généralement plus à la productivité que les investissements réalisés par des entreprises qui sont un peu moins à la pointe du progrès technique. Or, quelquefois ce sont des entreprises canadiennes.
Il ne s'agit donc pas d'opposer le Canada à l'étranger; il s'agit plutôt d'essayer d'encourager les investissements d'entreprises qui sont à la pointe, parce que ce sont ces investissements-là qui sont vraisemblablement les plus productifs.
• 1705
Disons que c'est une espèce de leçon globale de l'histoire.
Quant à savoir comment le faire concrètement, c'est autre chose.
Le président: Monsieur Knight, vous avez des commentaires?
M. Malcolm Knight: Les investissements sont certainement très importants.
Aux États-Unis, les investissements ont commencé à augmenter dès 1992. Ils ont été surtout concentrés sur la machinerie et l'équipement, qui étaient généralement porteurs de nouvelles technologies.
Cela a donc été un important facteur pendant une bonne partie de la dernière décennie. Ces investissements ont permis aux États-Unis d'obtenir des taux très élevés de croissance de la productivité, pas seulement comparativement à nous, mais comparativement à tous les autres.
Nous avons eu un rendement un peu plus faible au début de cette décennie, mais à partir de 1996 notre taux d'investissement a aussi commencé à grimper très rapidement. Ces investissements ont été concentrés sur le secteur de la machinerie et de l'équipement. Donc, nous l'avons fait avec un certain retard sur les États-Unis, mais je pense que cela va se répercuter sur la croissance de notre productivité. C'est un premier point.
Ma deuxième remarque, c'est que quand on regarde autour de nous dans le monde, on constate que c'est dans l'économie américaine qu'on innove dans ce qu'on appelle les industries de technologie de pointe.
Il y a eu une période pendant laquelle on a beaucoup surinvesti dans ce domaine mais il s'agissait d'un secteur plus important de l'économie américaine qu'ailleurs, et comme c'était un secteur qui avait un taux de croissance et de productivité élevé, c'est l'économie américaine toute entière qui semblait en profiter.
Nous n'en sommes pas là, mais comparés à d'autres pays, nous ne nous débrouillons pas si mal. Il y a certains créneaux, comme nous le savons à Ottawa, où les entreprises canadiennes sont à la pointe de la technologie.
Donc, même si les gains de productivité ont été impressionnants aux États-Unis au cours de la dernière décennie, nous connaissons certains des facteurs qui ont permis ces gains et nous commençons à voir ce genre d'influence se manifester aussi au Canada.
Le président: Merci.
Nous allons passer à M. Epp, suivi de Mme Picard, et ensuite nous conclurons.
M. Ken Epp (Elk Island, Alliance canadienne): Excusez mon impatience, monsieur le président. Je pensais que vous alliez conclure avant.
Monsieur le gouverneur, je vous remercie d'être venu nous rencontrer. Je me demande si les Canadiens comprennent bien toute cette notion d'inflation. Vous avez ce merveilleux objectif que vous atteignez. On fait croire à tout le monde que c'est 2 p. 100, mais en réalité vous n'incluez pas dans votre calcul le chauffage, le coût de l'éclairage de nos maisons et de nos entreprises, le coût de nos transports. Vous n'incluez pas les impôts secondaires ou la parafiscalité, par exemple les impôts municipaux et ce genre de choses.
En outre, la chute du dollar qui est passé de 89c. à environ 63c. américains en neuf ans représente une inflation de 3,8 p. 100 par an pour tout ce que je voudrais acheter à prix constants. C'est le cas par exemple pour les machines agricoles. C'est aussi le cas pour tous les manufacturiers qui importent de l'équipement des États-Unis ou d'ailleurs. Tout cela contribue donc beaucoup à l'inflation, et je crois que le véritable niveau d'inflation de notre pays est beaucoup plus élevé que ce que vous dites.
J'aimerais donc savoir comment vous mesurer l'inflation et si cette mesure est juste.
Mon autre question concerne le fait que dans le passé la banque défendait le dollar en prenant certaines mesures. Avez-vous fait quelque chose? J'ai l'impression que non.
M. David Dodge: Je vais commencer par votre première question.
Tout d'abord, évidemment, ce que nous examinons à moyen terme, c'est l'indice des prix à la consommation, c'est-à-dire la mesure du panier complet de denrées et de biens, y compris les produits étrangers, les services étrangers, les produits intérieurs, les services intérieurs, du gazole au dentifrice...tout.
Toutefois, à court terme, comme il y a là-dedans des éléments qui fluctuent beaucoup—certains qui grimpent, comme on l'a vu, et qui retombent brutalement—nous excluons ces éléments instables pour avoir une meilleure idée de la tendance. C'est ce que nous appelons notre indice de référence, qui ne comprend ni le gazole ni l'essence. En revanche, cet indice inclut le coût de l'électricité parce qu'il est relativement stable. Il exclut les fruits et légumes frais, dont le prix fluctue beaucoup, mais il inclut la plupart des autres denrées alimentaires.
• 1710
Voilà donc pour ce qui est de notre indice de référence. Comme
il est moins instable, nous avons une meilleure idée de la
tendance. Ce qui nous intéresse, c'est l'indice total des prix à la
consommation. Je dirais pour conclure que ce total englobe en
moyenne tout ce que les Canadiens achètent à l'étranger, que ce
soit des vacances, des automobiles étrangères, du brocoli en
hiver...
M. Lorne Nystrom: Des cigares cubains.
M. David Dodge: Des cigares cubains. Tout est inclus, et c'est donc votre pouvoir d'achat calculé d'après le panier moyen de la ménagère au Canada.
M. Ken Epp: Mais ces chiffres n'ont aucun rapport avec la réalité car, comme je l'ai dit, une telle dégringolade du dollar...c'est 3,8 p. 100 par an, alors que vous n'arrêtez pas de répéter aux Canadiens que le taux d'inflation se maintient aux environs de 2 p. 100.
Si vous incluez vraiment cette inflation des prix entraînée par la dépréciation de notre dollar, je trouve curieux que vous nous disiez que vous avez atteint votre objectif de 2 p. 100 pour l'inflation, car 2 p. 100, c'est à peine un peu plus que la moitié de 3,8 p. 100 simplement par rapport au dollar américain.
M. David Dodge: C'est parce que durant cette période les Canadiens... Cela nous ramène à ce que disait M. Knight. D'une part, nous produisons de façon plus efficace et d'autre part, nous avons réduit les marges de vente des biens et services au Canada.
Je fais confiance à Statistique Canada, qui publie ces données, lesquelles avec le temps se sont révélées assez exactes et nous donnent une très bonne idée de notre situation.
Je comprends ce que vous dites, mais j'en déduis que le prix d'une tablette Crunchie ne représente qu'un prix parmi bien d'autres et que ce qui nous intéresse en l'occurrence c'est le panier total de services et de biens que les Canadiens consomment.
M. Ken Epp: En conclusion, j'aimerais simplement dire que j'ai la nette impression qu'un Canadien qui a reçu une augmentation de salaire de 2 p. 100 par année pour chacune des dernières neuf années, s'en tire moins bien aujourd'hui qu'en 1992. J'ai l'impression qu'il existe un écart, mais je ne peux pas l'identifier. Vous avez dit que votre exemple est tiré du Canada, mais je crois qu'il y a un écart dans ce cas-là.
De toutes façons, je n'ai plus de questions, monsieur le président.
[Français]
Le président: Madame Picard.
Mme Pauline Picard (Drummond, BQ): Je voudrais partager mon temps avec Pierre Paquette, s'il vous plaît.
Monsieur le gouverneur, vous dites dans votre énoncé que «l'économie pourrait retrouver sa vigueur à la faveur des mesures monétaires et budgétaires fortement expansionnistes». Est-ce que les mesures de soutien supplémentaires de 3 milliards de dollars qui ont été prises par le gouvernement du Québec dans son dernier budget, soit l'investissement dans le logement social, l'investissement dans les infrastructures et l'amélioration de la compétitivité de l'économie québécoise, sont pour vous des mesures expansionnistes et sont suffisantes?
M. David Dodge: Ce sont des mesures expansionnistes comme les mesures qui ont été prises par d'autres gouvernements, y compris le gouvernement fédéral avec la réduction des impôts, etc. Donc, oui, ce sont des mesures expansionnistes.
Sont-elles suffisantes? C'est beaucoup plus difficile à dire. Ce qui est important, comme je l'ai déjà dit, c'est que les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, mettent des stabilisateurs automatiques en marche et prennent des mesures qui aident les économies à long terme. Je n'ai pas étudié suffisamment les détails du budget de Mme Marois, mais ils ont décidé de laisser fonctionner les stabilisateurs automatiques et de consentir une petite réduction temporaire des impôts au moyen des crédits pour les familles.
• 1715
Donc, il est difficile de dire si c'est
suffisant, mais cela a assez de sens.
M. Malcolm Knight: Je voudrais ajouter un point. Lorsqu'on parle de la politique monétaire dans le rapport et qu'on dit que les mesures budgétaires qui ont déjà été prises ont eu des effets stimulants, on parle non seulement des réductions d'impôt ici, au Canada, au début de cette année, mais aussi du fait qu'aux États-Unis, les rabais d'impôt qui ont été mis en oeuvre à la fin de juillet ont eu des effets budgétaires assez stimulants, comme d'autres mesures qui ont été prises aux États-Unis. Ces mesures auront un effet stimulant chez nous parce que nous sommes des exportateurs importants vers cette économie.
Donc, on parle non seulement des effets des politiques budgétaires ici, au Canada, mais aussi des effets des politiques de notre partenaire au sud.
Le président: Monsieur Paquette.
M. Pierre Paquette: Voici une dernière question de notre part.
Cet après-midi, à la période de questions, on a évoqué l'intervention de M. Martin concernant sa volonté de faire en sorte que la politique budgétaire, fiscale et monétaire aille dans le même sens. Cela a été interprété par certains comme une pression indue sur la Banque du Canada, qui doit avoir une indépendance certaine face au gouvernement.
Si vous avez déjà subi des pressions politiques, qu'est-ce qui vous permet de vous protéger de ces pressions politiques et qu'est-ce qui nous permet de croire que la Banque du Canada est effectivement indépendante face aux politiques du gouvernement et plus particulièrement du ministre des Finances?
M. David Dodge: Il est certainement important que nous maintenions notre indépendance, mais en même temps, pour prendre les mesures les plus efficaces, nous devons consulter les ministres des Finances des provinces et du fédéral, afin que ceux-ci sachent quelle est notre politique en termes généraux et quelle est notre façon de penser, et afin que nous comprenions ce qu'ils vont faire ainsi que leur point de vue sur l'économie.
Donc, cette indépendance ne veut pas dire que nous ne parlons pas avec les ministres des Finances, les premiers ministres des provinces et même le premier ministre du Canada et, naturellement, avec les autorités des États-Unis et des autres pays pour recueillir de l'information ainsi que leurs points de vue, et pour obtenir l'aide que nous pouvons avoir pour formuler notre politique.
Le président: Monsieur le gouverneur, au nom des membres du comité, j'aimerais vous remercier. Vous avez su clarifier quelques questions à un moment où l'économie traverse une période d'incertitude, mais, comme toujours, vous nous avez donné des informations qui nous sont très utiles. Merci beaucoup.
La séance est levée.