[Traduction]
Bienvenue à tous. Aujourd'hui, le Comité poursuivra son étude sur les défis en santé mentale dans la communauté agricole.
Nous accueillons ce matin la directrice générale du Conseil canadien de l'horticulture, Rebecca Lee. Ravi de vous revoir, Rebecca, et merci d'être ici ce matin. Elle est accompagnée de la présidente du Comité de la main-d'oeuvre du Conseil canadien de l'horticulture, Beth Connery. Soyez la bienvenue, Beth.
Nous recevons en outre la directrice générale des Ontario Sheep Farmers, Jennifer MacTavish. Bienvenue parmi nous, madame MacTavish.
Nous allons débuter par les déclarations liminaires, d'une durée de six minutes chacune.
Voulez-vous commencer, madame MacTavish? Vous disposez de six minutes. Je vous remercie.
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Je représente ce matin les Ontario Sheep Farmers et je vous remercie de me donner l'occasion de parler de la santé mentale des agriculteurs.
La contribution à l'économie ontarienne des 3 000 éleveurs que représentent les Ontario Sheep Farmers dépasse 465 millions de dollars. C'est en Ontario que se trouve le plus gros cheptel ovin du Canada. Nous transformons plus de la moitié de tous les moutons et agneaux nés au Canada. Avec nos partenaires de l'Alberta et du Québec, nous avons formé le Réseau ovin national afin de mettre en commun les ressources de nos provinces et d'unir nos forces dans divers dossiers d'intérêt mutuel.
Cela dit, si je suis ici aujourd'hui, c'est d'abord et avant tout parce que je travaille avec des agriculteurs depuis près de 17 ans, et je dois dire que leur santé mentale m'inquiète de plus en plus. Même si j'ai passé une bonne partie de ma carrière à promouvoir l'agriculture et la gestion des risques opérationnels — ce qui, dans le domaine agricole, est souvent synonyme de santé animale —, la santé mentale des agriculteurs eux-mêmes a toujours été l'une de mes priorités.
Il y a quelques années, j'ai suivi le cours de premiers soins en santé mentale qu'offre la Commission de la santé mentale du Canada. J'étais entourée de premiers intervenants et de travailleurs sociaux, mais c'est aux éleveurs du comté de Wellington que je pensais, car à l'époque, ils luttaient contre une éclosion de grippe aviaire. Avant de suivre le cours, j'avais lu le témoignage d'agriculteurs qui parlaient de l'isolement social qu'ils subissaient parce que leurs bêtes étaient infectées. Je me souviens tout particulièrement de l'un d'eux, qui racontait que personne ne voulait s'asseoir près de sa famille à l'église.
Par après, je me suis rappelé les nombreux agriculteurs qui m'appelaient de temps à autre pour se plaindre du faible prix des terres ou de tel ou tel nouveau règlement. Il y en a un qui est venu me voir, une fois, pour me raconter, les larmes aux yeux, qu'un coyote avait attaqué l'agneau 4-H de sa fille. Je n'ai pas pu m'empêcher de me demander si j'en avais fait assez pour ces gens. Les avais-je bien soutenus ou avais-je plutôt soupiré de frustration parce que je n'y pouvais rien, moi, au prix des terres? Avais-je été tentée de raccrocher au plus vite pour me remettre sans tarder à mon « vrai » travail?
J'ai alors commencé à partager mes inquiétudes concernant la santé mentale des agriculteurs à qui voulait bien m'entendre. Pour tout vous dire, au départ, ils étaient bien peu. C'est toutefois encourageant de constater que, depuis, mon auditoire s'est accru et que le milieu agricole a fini par se mobiliser. Heureusement, la Dre Andria Jones-Bitton, de l'Université de Guelph, m'a non seulement écoutée, elle a pris les choses en mains et elle s'est dès lors intéressée de près à la santé mentale des agriculteurs. Ses recherches ont directement contribué à l'établissement d'un dialogue sur le sujet, en plus d'aider les gens à bien comprendre ce phénomène.
Nous savons que l'agriculture est un métier risqué qui nécessite une incroyable faculté d'adaptation à l'incertitude et au changement. Seulement dans la dernière année, les agriculteurs du pays ont subi les affres de la sécheresse et de la diarrhée épidémique porcine, sans parler des répercussions financières qu'a eues la renégociation de l'ALENA et de celles qu'aura sa nouvelle mouture, l'Accord États-Unis-Mexique-Canada, l'AEUMC. Même si tout le monde sait que ces problèmes peuvent avoir un effet sur les affaires des agriculteurs, on ne dit pas assez souvent qu'ils sont complètement indépendants de leur volonté et qu'ils peuvent aussi avoir une incidence sur leur santé mentale, ce qui se répercute alors sur leur productivité et, de là, sur la viabilité de leur ferme.
Ajoutons à tout cela le fait que, plus une ferme grossit, plus le fermier qui l'exploite est en proie à l'isolement, physiquement, d'abord, mais aussi socialement. Le public est de moins en moins familier avec le fonctionnement d'une ferme, quand il n'a pas une conception réductrice de l'agriculture en général, et des agriculteurs en particulier.
Les agriculteurs ont toujours assumé ce fardeau seuls, sans broncher. Il faut que ça change. C'est la pérennité et la viabilité de tout le milieu agricole canadien qui est en jeu si on ne se soucie pas davantage de la santé mentale des agriculteurs. Les recherches de la Dre Jones-Bitton le confirment: le stress aigu, l'anxiété et la dépression font tous partie de la vie agricole, tout comme le manque de résilience et les risques de surmenage. De nombreux reportages ont d'ailleurs souligné que l'agriculture figure parmi les métiers les plus stressants du monde. Aux États-Unis, la principale cause de décès parmi les agriculteurs est le suicide.
On comprend encore mal les répercussions que les problèmes de santé mentale et le manque de résilience peuvent avoir sur l'exploitation d'une ferme. On peut toutefois déduire, à partir des recherches sur le sujet portant sur d'autres occupations, qu'il s'agit d'un obstacle à la productivité, à la croissance et à l'innovation. On croit même que ce phénomène pourrait contribuer à l'attrition que connaît actuellement le milieu agricole. Je représente les éleveurs de bétail, alors je ne peux pas faire comme si leur santé mentale n'avait aucune incidence sur leur capacité à bien prendre soin de leurs bêtes. Même si je suis tout à fait consciente qu'on ne pourra jamais éliminer complètement le stress des exploitations agricoles, nous devons soutenir les agriculteurs afin qu'ils cessent de survivre et se mettent à bien vivre de leur métier.
Nous devons aussi concevoir des programmes et des mécanismes de soutien spécialement pour eux. On ne peut pas se contenter d'adapter les programmes destinés au reste de la population, car ils n'ont aucun succès dans le milieu agricole. Rien ne sert par exemple de recommander aux agriculteurs de prendre des vacances ou de passer plus de temps dans la nature, d'abord parce que c'est impossible, ensuite parce qu'ils risquent de le prendre plutôt mal.
On me fait signe que mon temps de parole achève, alors je passe tout de suite au dernier paragraphe de mon allocution.
Je vois très mal comment le Canada pourrait espérer compter sur un bon système d'approvisionnement alimentaire si la santé de ses agriculteurs est défaillante. Les fermiers et éleveurs canadiens nous disent que leur santé mentale les préoccupe grandement, et tous les signes montrent qu'ils ont besoin d'aide. Il faut faire quelque chose.
L'heure est venue de passer à l'action et de mieux prendre soin de ceux et celles qui nous nourrissent.
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Pour ce faire, le milieu a toutefois besoin de soutien assidu, et les conditions d'affaires doivent inciter les agriculteurs à poursuivre leur métier.
Je m'appelle Beth Connery et je suis la présidente du Comité de la main-d'oeuvre du Conseil canadien de l'horticulture. J'aimerais aujourd'hui vous faire part de mon expérience.
Pour ces gens, les sources de stress sont partout: pression financière, pénurie de main-d'oeuvre, affaiblissement de la concurrence, météo défavorable et j'en passe. La pénurie de main-d'oeuvre constitue un problème particulièrement important pour les producteurs horticoles. Nous comptons énormément sur le programme de travailleurs saisonniers pour trouver les employés dont nous avons besoin pour planter, cueillir et emballer nos produits. Cette année, de nombreux employeurs ont eu du mal à trouver tous les effectifs requis en temps voulu. Résultat: certaines cultures n'ont pas été semées ou transplantées, tandis que d'autres sont restées dans les champs, faute de personnel pour en faire la récolte. Notre marge de profit est très mince, alors quand nous débutons la saison avec une perte, c'est très difficile de faire des heures supplémentaires toute l'année dans l'espoir de rattraper le temps perdu et de faire ne serait-ce qu'un profit minime.
Comme la plupart des gens, les agriculteurs ont leurs façons bien à eux de composer avec le stress, l'anxiété et la dépression. Certains vont se tenir occupés à tout prix, d'autres vont vivre dans le déni et d'autres encore vont se tourner vers la procrastination. Sur une ferme, une bonne partie des tâches se font seules, ce qui accroît alors le sentiment d'isolement. Même ceux qui ont déjà connu la dépression peuvent être pris au dépourvu par cette maladie insidieuse.
Au Manitoba, les conditions printanières et estivales étaient assimilables à une sécheresse. Un ami à moi croyait résister plutôt bien au stress: il discutait de la situation avec ses amis, faisait de l'exercice, prenait soin de lui — bref, tout ce qu'on recommande généralement aux gens qui ont déjà été dépressifs — jusqu'à ce que tombe la première véritable averse de la saison. Il a alors eu l'impression qu'il avait un poids de moins sur les épaules. Il souriait plus facilement et se sentait mieux en général.
Les regroupements d'agriculteurs s'inquiètent de plus en plus pour la santé mentale de leurs membres, et la majorité, pour ne pas dire la totalité d'entre eux incluent des liens vers des ressources dans leurs communications. Les campagnes menées sur les médias sociaux font activement la promotion d'information et de ressources. La fondation Do More a été mise sur pied, et l'Université de Guelph élabore actuellement des ressources à partir des résultats d'un sondage sur la santé mentale auquel nous avons été nombreux à répondre.
Je viens d'une famille d'agriculteurs, alors nous sommes tout à fait conscients de la pression qui nous est imposée et des conséquences que l'anxiété et la dépression peuvent avoir. En juin 2012, mon mari dépressif s'est enlevé la vie. Son frère, qui était aussi son partenaire d'affaires, était mort d'une crise cardiaque six mois plus tôt, et il s'efforçait, avec de plus en plus de difficulté, à faire son travail en plus du sien. Nous avions déjà surmonté la dépression auparavant, mais cette source supplémentaire de pression a finalement eu raison de mon mari.
Selon moi, les personnes qui se suicident ne choisissent pas d'abandonner leur famille, ni de se débarrasser de leurs problèmes. Ils choisissent de mettre fin à leurs souffrances. Ce n'est pas un sentiment que je comprends, parce que je n'ai jamais vécu ce qu'ils ont vécu, mais c'est quand même à nous de ramasser les pots cassés par après et de continuer à avancer du mieux que nous le pouvons.
Nous avons beaucoup discuté de santé mentale, tous ensemble, en famille, mais aussi en privé. Nous avons consulté à plusieurs reprises, ensemble et séparément. Une personne de mon entourage a même appelé une ligne d'aide parce que le besoin de parler était trop grand. Somme toute, l'expérience fut positive, parce qu'elle a eu l'impression d'avancer lorsqu'on lui a attribué un rendez-vous avec un spécialiste.
Le hic, c'est que, la plupart du temps, les spécialistes connaissent peu la réalité agricole. Pour la plupart d'entre nous, être agriculteur n'est pas un métier, c'est une façon d'être. Or, la distinction peut s'avérer capitale quand on est submergé par les émotions et qu'on doit s'aventurer dans l'inconnu.
De nos jours, la pression que subissent les familles d'agriculteurs est énorme. Nous voulons être à la hauteur, mais nous avons besoin de l'aide des autorités pour régler les problèmes qui sont de leur ressort. Nous ne pouvons rien contre la météo. Prenons mon cas à moi: il pleut — enfin — au Manitoba depuis environ un mois, mais cela veut aussi dire que j'ai pour 1 million de dollars de carottes qui dorment dans mes champs et aucun moyen de les cueillir. Il y a de quoi chambouler n'importe quel plan d'affaires.
Le gouvernement doit nous aider au lieu de nous nuire. Nous sommes fiers de produire des aliments sûrs et nutritifs pour les familles et les consommateurs et nous estimons prendre bien soin de la terre. Nous aimerions bien léguer nos fermes aux prochaines générations, de la même manière qu'elles nous ont été léguées par nos ancêtres, mais avec la pression que nous subissons actuellement, il y a de quoi nous demander si nous voulons faire vivre la même chose à nos enfants.
Merci encore une fois de nous avoir invitées, et je répondrai avec plaisir à vos questions.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie tous nos témoins de leur présence.
Madame Connery, nous sommes assurément de tout coeur avec vous. Nous comprenons à quel point ce type de situation est difficile. Puis, bien entendu, il revient à des gens comme vous de continuer malgré les difficultés.
Vous avez dit entre autres que le gouvernement doit vous aider au lieu de vous nuire. Je crois que c'est un aspect essentiel, car je ne pense pas que nous examinons les choses du point de vue des trois types d'administrations... et ce qui se passe.
Nous parlons ici de questions relevant du fédéral, car nous pouvons aider à cet égard. Il y a aussi notamment des règlements provinciaux et des normes du travail qui s'appliquent. Même à l'échelle municipale, des propriétaires de terres se demandent de temps à autre pourquoi une odeur se dégage — parce qu'on a épandu du fumier — et pourquoi c'est poussiéreux. À l'occasion, ils disent que l'on doit cesser les activités pour qu'ils puissent dormir. Nous n'avons jamais eu à nous préoccuper de ce genre de choses.
Madame Connery, je me demande si vous pouvez parler de la main-d'oeuvre et nous dire s'il y a des problèmes à cet égard. En Alberta, nous en sommes au point où l'on dit que s'il y a un certain nombre de personnes, elles ont le droit de se syndiquer. On ne tient tout simplement pas compte de ce qui est investi dans l'exploitation par rapport aux gens qui vont et viennent quotidiennement.
Nous comprenons les questions liées à la sécurité des personnes, par exemple, et pourquoi il faut assurer leur sécurité, mais est-ce que ces questions se glissent dans votre industrie également?
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Dans la culture des fruits et des légumes, et dans de nombreux autres secteurs de l'horticulture, la main-d'oeuvre est extrêmement importante. Nous ne pouvons pas mener nos activités si nous manquons de main-d'oeuvre. Il n'y en a pas suffisamment sur le marché canadien et c'est pourquoi bon nombre d'entre nous ont recours au Programme des travailleurs agricoles saisonniers ou au volet agricole du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Sans ces gens, nous ne pouvons pas travailler. Voilà à quoi se résume la situation.
De plus, il semble que le système se complique de plus en plus. Il y a 25 ans, il n'y avait pas autant de formalités administratives qu'aujourd'hui. Nous n'avons aucune objection à respecter les règles et à ce qu'il y ait des règles claires et bien définies, mais nous devons avoir accès à ces gens.
Environ 56 étrangers viennent travailler sur notre exploitation au cours de l'année. Ils commencent à travailler en mai, au moment de l'ensemencement. Nous commençons par les asperges. La période des récoltes dure six mois. Pour ceux d'entre vous qui savent à quel point les récoltes nous tiennent occupés, les nôtres durent six mois. Les hommes — car il s'agit surtout d'hommes — restent tout au long de la période, jusqu'à la fin de septembre ou jusqu'en octobre. Tout dépend du moment où se termine la récolte des brocolis et des carottes — à un moment donné, je l'espère.
Sans ces gens, nous ne pouvons pas travailler, et cela vaut pour presque toutes les exploitations horticoles. C'est nécessaire.
Je sais que des gens croient que nous devrions pouvoir trouver des travailleurs au Canada, ou que les gens qui viennent au pays devraient pouvoir devenir des résidents permanents. Nous serions ravis que les choses se passent ainsi pour nos employés. Cependant, puisque nous n'avons pas de travail à leur offrir durant les quatre ou six autres mois de l'année, comment la population canadienne les appuiera-t-elle au cours de cette période?
:
À ce sujet... Je connais des gens qui travaillent dans votre secteur. En plus des autres facteurs de stress, il faut acheter une pièce d'équipement de 250 000 $ pour retirer cinq ou six personnes qui travailleraient dans la chaîne de production, parce qu'on n'en a tout simplement pas les moyens.
Bien sûr, l'autre chose, malheureusement — qui ne concerne pas tant les travailleurs étrangers que les autres travailleurs —, c'est que s'ils sont censés être présents un jour donné, peut-être qu'ils appelleront pour dire qu'ils ne viendront pas — ou peut-être pas. Ce sont les autres problèmes. Comment gérer une entreprise de cette façon?
Madame MacTavish, vous avez parlé entre autres du dénigrement de l'industrie et des attaques de la part de groupes d'intérêts, j'imagine. Peu importe leurs intentions, cela finit par faire du tort aux exploitations agricoles.
Pourriez-vous en parler dans le peu de temps qu'il me reste?
Il y a deux ou trois différents exemples.
Tout d'abord, lorsqu'il s'agit de l'élevage de ruminants, les gens croient que faire paître des vaches et des moutons cause un tort irréparable à l'environnement. On dit qu'il ne faut plus faire paître les animaux. En réalité, lorsque nous le faisons, nous améliorons la santé du sol et nous fournissons des habitats aux pollinisateurs et aux oiseaux.
Il y a toujours... Je ne devrais pas le dire de façon aussi catégorique. Souvent, les gens ont des points de vue sans nuances: « Nous ne devrions pas manger de viande, faire l'élevage d'animaux, faire paître des animaux. »
Pour les éleveurs de bétail, il est parfois difficile d'entendre de telles choses.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
[Traduction]
Je remercie les témoins de leur présence.
Ma question s'adresse à Mme MacTavish et peut-être aux représentantes du Conseil canadien de l'horticulture également. Concernant les moyens que vous prenez pour amener vos membres à discuter de santé mentale, est-ce que ces discussions ont lieu?
Par exemple, je sais que la Fédération de l'agriculture de l'Ontario a commencé à tenir des discussions. Or, comme vous le savez, à moins qu'il y ait un problème majeur, il est parfois difficile d'attirer beaucoup de monde. S'il y a un grave problème, les gens se présentent. Sinon, moins de gens se présentent habituellement.
Comment communiquez-vous ce message, et que faites-vous pour faire comprendre aux agriculteurs que c'est correct de demander de l'aide?
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vais d'abord interroger Mme MacTavish. Avant la réunion, nous avons discuté de notre amour pour les moutons. Ce sont des animaux remarquables. J'ai un très petit troupeau. J'ai fait tricoter un chandail Cowichan avec la laine de mes moutons. Je viens de l'île de Vancouver, et j'ai demandé à des membres des tribus des Cowichan de me tricoter un chandail.
Beaucoup de fausses idées circulent au sujet de l'élevage et du rôle essentiel qu'il joue, non seulement à la ferme mais pour notre économie. Je sais que dans certains cas, les inquiétudes sont justifiées. Toutefois, comme vous l'avez dit, je ne crois pas que les gens comprennent bien comment fonctionne l'élevage des animaux. Il est dans l'intérêt supérieur des agriculteurs que les animaux soient en bonne santé. C'est leur source de revenus.
Je voudrais savoir quelles sont les mesures à prendre. Plutôt que d'amener les deux camps à se parler, par quels moyens pouvons-nous discuter, avoir un dialogue respectueux dans lequel nous commençons à mettre en valeur l'importance qu'ont les agriculteurs? Avez-vous des recommandations à cet égard?
Madame Connery, nous avons déjà parlé des problèmes de main-d'oeuvre. Je sais que c'est un problème qui perdure. Je parle au nom des agriculteurs de ma région. S'ils pouvaient embaucher des gens de la région, ils le feraient, mais puisque personne ne répond à l'appel, ils doivent souvent avoir recours à des travailleurs étrangers temporaires, saisonniers.
Dans le cadre de l'étude, il y a de nombreuses variables qui échappent au contrôle des agriculteurs. Vous avez parlé de la météo. Toutefois, nous pouvons agir sur d'autres variables, dont la question de la main-d'oeuvre, à mon avis. Je me demande si vous pouvez en dire un peu plus à ce sujet. Y a-t-il des recommandations que vous voulez que notre comité fasse au sujet du programme des travailleurs saisonniers de sorte que nous puissions alléger le fardeau que subissent bon nombre de gens de votre secteur sur le plan de la santé mentale?
:
Nous avons tenu cette année une table ronde sur la main-d'oeuvre agricole qui a permis d'abattre un boulot considérable dans ce dossier. À notre point de vue, la situation est notamment problématique du fait que notre programme semble relever de plusieurs instances au sein du gouvernement. C'est un travail en vase clos auquel on s'efforce de mettre fin. Nous devons nous adresser à différents ministères, comme Emploi et Développement social Canada (EDSC) et Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), et les dossiers passent d'une main à l'autre. Il arrive que les communications ne soient pas suffisantes pour que chacun puisse vraiment savoir à quoi s'en tenir.
Il y a de nouveaux éléments qui se manifestent. Cette année, c'est la biométrie qui sera notre nouvel enjeu. Comme EDSC ne l'a appris qu'au printemps, le ministère n'a pas pu mettre IRCC au courant des répercussions de ce changement. Nous allons devoir régler cette question cette année. Une meilleure communication entre les ministères serait certes utile.
Par ailleurs, les agriculteurs apprécieraient être mieux renseignés au sujet du déroulement du processus. Nous envoyons notre demande et nous ne pouvons rien faire d'autre qu'attendre. Nous ignorons dans quelle mesure les choses ont pu progresser, dans un sens ou dans l'autre. Il faudrait un genre de système de suivi pour que nous sachions à quel moment notre étude d'impact sur le marché du travail a été approuvée, si l'information a été transmise au pays d'origine, si elle a été communiquée à IRCC, et si ce ministère l'a effectivement reçue. Si nous savions que les choses progressent normalement ou qu'il y a un blocage quelque part, nous pourrions poser des questions ou fournir les réponses nécessaires pour faire avancer notre dossier. Des mesures semblables pourraient assurément nous aider en nous donnant une meilleure idée des échéanciers, si bien que nous serions dans un meilleur état d'esprit. Nous étions nombreux à nous demander le printemps dernier à quel moment ces travailleurs allaient pouvoir se pointer. Nous étions assis à attendre pendant que nos récoltes risquaient de pourrir dans les champs. C'était très pénible.
:
Je dirais effectivement que bon nombre des facteurs de stress sont communs. On les retrouve également dans notre secteur. Lorsqu'on fait ses courses à l'épicerie, on ne croirait jamais qu'il n'y a pas de culture du brocoli au Canada en février. Il y en a toujours dans les étalages. Le grand public n'a pas vraiment idée du caractère saisonnier de nos cultures et de toute l'ingéniosité dont nous devons faire montre pendant que la saison bat son plein. Il y a aussi certains produits que nous emmagasinons pour l'hiver et que nous emballons pendant cette période de l'année. Il serait donc bon que l'on fasse comprendre aux gens qu'il est important d'acheter des produits canadiens.
Pour ce qui est des différents facteurs de stress et de la manière dont les gens y réagissent... Je peux vous dire par exemple que je ne dors pas très bien ces jours-ci avec toute cette récolte qui attend dans les champs. Lorsque vous manquez de sommeil, vous risquez d'être moins aimable que vous le souhaiteriez dans vos relations avec les autres. Vous vous efforcez de faire du mieux que vous pouvez dans les circonstances, mais il est possible que vous ne preniez pas les meilleures décisions qui soient en raison de la fatigue et de la surcharge de travail.
C'est une situation courante pour bien des agriculteurs. C'est très difficile lorsque les prix de vos intrants sont dictés par quelqu'un d'autre et que vous n'avez d'autre choix que de les acheter. Nous écoulons bon nombre de nos produits sur le marché mondial. Encore là, ce n'est pas nous qui décidons du prix. Nous acceptons le meilleur prix que nous sommes capables de négocier sur le marché. Nous essayons de dégager la faible marge bénéficiaire qui nous permettra de poursuivre nos activités.
Compte tenu de toutes les décisions que nous devons prendre au jour le jour et qui peuvent influer sur la vie et les moyens de subsistance de nombreuses familles, 80 dans mon cas, il va de soi que nous ressentons de la pression. Nous vivons ainsi constamment sous pression.
:
C'est malheureusement tout le temps que nous avions. Notre séance de ce matin a dû être écourtée.
Madame MacTavish, j'aime vraiment votre suggestion d'offrir une formation en la matière à certains intervenants du milieu agricole. Il ne s'agit pas d'en faire des psychologues, mais plutôt de leur permettre tout au moins de pouvoir discuter de ces enjeux.
Madame Connery, nous vous offrons nos plus sincères condoléances et nous vous remercions d'avoir tout de même pu être des nôtres aujourd'hui.
Madame Lee, merci pour tout le travail accompli par votre organisation et vous-mêmes. Merci également de votre présence parmi nous.
Nous allons faire une brève interruption, le temps que les prochains témoins s'installent.
:
Merci. Nous allons maintenant débuter la deuxième heure de notre séance.
[Français]
J'aimerais souhaiter la bienvenue à M. Marcel Hacault.
[Traduction]
M. Hacault est le directeur général de l'Association canadienne de sécurité agricole.
Nous accueillons également Mary Ann Doré, chef d'équipe, Service en ligne, pour le réseau Ag Women's Network.
Bienvenue à tous les deux et merci de bien vouloir contribuer à notre étude sur la santé mentale des agriculteurs canadiens.
Nous allons débuter avec une déclaration préliminaire de six minutes.
[Français]
Monsieur Hacault, vous avez la parole.
:
Je tiens à remercier le Comité de me permettre de prendre la parole aujourd'hui.
Je vais d'abord faire un bref survol de mon parcours. J'ai été éleveur de porcs jusqu'en 2004, si bien que j'ai pu connaître tous les hauts et les bas de ce secteur. J'ai également travaillé pour l'organisation Keystone Ag Producers en 1996 alors qu'on m'a demandé d'intervenir auprès de certains des groupes touchés par les inondations. J'ai donc une connaissance directe des facteurs de stress qui touchent le milieu agricole et de leurs répercussions sur les gens, en commençant par ma famille et moi-même.
Je suis actuellement directeur général de l'Association canadienne de sécurité agricole (ACSA). Nous envisageons un Canada où chacun pourrait pratiquer l'agriculture sans mettre sa santé en péril. Notre mission consiste à faire de l'agriculture un milieu de travail et de vie sain et sécuritaire en aidant les producteurs et leurs partenaires locaux à identifier et à gérer les risques. Il s'agit pour une bonne part de reconnaître que les agriculteurs travaillent et vivent au même endroit et que le milieu agricole ne se limite pas au seul producteur. Il y a toute une communauté qui gravite autour d'eux et bien des gens qui interagissent avec eux.
Notre association existe depuis un bon moment déjà. Lors de mon arrivée en poste en 2004, nous avons commandé un sondage qui était l'un des premiers du genre. Nous voulions simplement à ce moment-là nous faire une meilleure idée des niveaux de stress, des causes principales de ce phénomène et des ressources vers lesquelles les agriculteurs se tournent en pareil cas. Vous trouverez un lien vers ce sondage dans mes notes d'allocution.
Un agriculteur sur cinq s'est alors dit très stressé tandis que près de la moitié d'entre eux disaient se sentir plutôt stressés. Ces résultats sont à peu près les mêmes que ceux obtenus par la Dre Andria Jones-Bitton. Les principaux facteurs de stress cités en 2004 étaient une mauvaise récolte et une faible production, les politiques gouvernementales et la situation financière de la ferme. Je pense que ces trois éléments figurent encore au sommet de la liste 14 ans plus tard. Notons par ailleurs que les agriculteurs préfèrent rencontrer quelqu'un individuellement pour parler de ces questions, plutôt que de prendre part à des séances de groupe ou d'obtenir de l'aide au téléphone.
En 2006, la Coop fédérée a mené un sondage auprès de ses membres. Cette enquête a révélé que 50 % des producteurs agricoles doivent composer avec un niveau élevé de stress. Il s'agissait donc de résultats très semblables. Le stress était particulièrement présent pour les éleveurs de porcs (66 %), les producteurs laitiers (48 %) et les aviculteurs (36 %). En sachant que le niveau de stress ressenti se situait à 20 % pour l'ensemble de la population québécoise, on constate que les agriculteurs étaient certes particulièrement touchés par ce phénomène en 2006.
Pas plus tard que l'an dernier, nous avons commandé une étude sur les programmes d'assurance offerts. Comme les travailleurs ont souvent accès à des programmes d'aide aux employés pour pouvoir consulter un spécialiste ou obtenir un soutien quelconque, nous nous sommes dits qu'il serait bon que les agriculteurs puissent bénéficier d'un appui de la sorte par le truchement d'un régime d'assurance. Nous avons constaté que la plupart des agriculteurs qui le souhaitent peuvent bénéficier d'une protection couvrant les soins de santé. Ils sont toutefois vraiment désavantagés du fait qu'il leur est à peu près impossible d'avoir accès à une assurance pouvant les protéger en cas de problèmes de santé mentale.
Tout cela étant dit, on peut se demander ce qui a changé entre 2004 et 2018. Je pense que nous avons toujours su que les agriculteurs... C'est un secteur bien différent des autres. La plupart des agriculteurs considèrent que c'est une vocation. Ils ont de longues heures de travail et doivent composer avec l'imprévisibilité de la météo et des récoltes, mais ils ont toujours pensé que le grand public reconnaissait leur contribution à sa juste valeur et respectait leur travail en conséquence. C'est ce qui a changé selon moi. Ils se sentent maintenant surveillés et pris à partie par la population. Ils ont essentiellement l'impression que leur profession est dévalorisée.
Nous parlons toujours de pommes pourries. Il arrive qu'il soit question dans les actualités d'agriculteurs qui maltraitent leurs animaux. La Dre Andria Jones-Bitton pourrait sans doute établir un lien de cause à effet, car ces situations sont fréquemment attribuables au stress. Au sein de notre secteur, nous nous sommes trop souvent — et je pourrais m'inclure dans le lot — contentés d'affirmer qu'il s'agissait simplement d'une pomme pourrie, alors que nous aurions dû nous dire que l'agriculteur en question avait besoin d'aide. Que faisons-nous pour l'aider à traverser cette période difficile? Tout le monde peut voir les symptômes se manifester, mais quelles sont les causes profondes qui font en sorte que cet agriculteur a sans doute besoin d'aide?
Qu'est-ce qui a changé? Les agriculteurs semblent désormais beaucoup plus disposés qu'il y a 15 ans à parler de leurs facteurs de stress et des répercussions de ceux-ci sur leur santé mentale. Dans ce contexte, je me réjouis d'autant plus d'être des vôtres aujourd'hui.
En 2005, nous avons formulé des recommandations au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie concernant la santé mentale. C'est dans la foulée de ces recommandations que la Commission de la santé mentale du Canada a été créée. Son mandat initial visait à trouver les moyens d'offrir une aide optimale aux sans-abri vivant avec des problèmes de santé mentale. Je pense que l'on devrait songer à élargir ce mandat pour intervenir également en milieu rural, en régions éloignées et dans le secteur agricole.
Nous aimerions que l'on élabore une stratégie nationale mettant l'accent sur la santé mentale des agriculteurs et des éleveurs de manière à permettre la coordination et la mise en commun des ressources et des informations sur la situation qui prévaut dans l'ensemble du pays.
On devrait appuyer la mise en place d'un service national pour la prévention du stress et du suicide. Nous misions auparavant sur une ligne téléphonique pour discuter des problèmes de stress, mais je pense qu'un tel service national s'impose désormais.
Il faudrait en outre mieux appuyer la recherche en santé mentale en s'efforçant d'établir le lien entre bien-être mental et vie saine et sécuritaire, autant pour les êtres humains que pour les animaux. D'un point de vue plus technique, on pourrait rendre obligatoire l'utilisation des codes CIM-10 pour permettre un suivi plus facile.
On devrait de plus s'appuyer sur les données probantes disponibles pour déployer des ressources en santé mentale adaptées aux besoins des agriculteurs, aussi bien de par leur contenu que via les méthodes utilisées.
J'estime que le gouvernement du Canada a un rôle essentiel à jouer en transmettant les messages appropriés à l'appui des agriculteurs et des éleveurs. On parle souvent de la production des agriculteurs en mettant uniquement l'accent sur les marchés d'exportation. Il est très rare que l'on dise que l'on apprécie la contribution apportée jour après jour par les agriculteurs, leurs familles et les travailleurs agricoles.
Je me nomme Mary Ann Doré, productrice laitière de septième génération, originaire de Brampton, à proximité de Toronto. En 2010, l'étalement urbain nous a obligés, mon mari et moi, à déménager nos vaches à New Dundee, où nous avons formé un partenariat avec mon frère et mes parents. J'ai rencontré celui qui allait devenir mon mari pendant mes études secondaires. Ce Montréalais n'avait encore jamais vu de vache avant le début de nos fréquentations.
Avec lui, j'ai rédigé un article sur ce que nous avons vécu, sur son anxiété et sa dépression en 2017. C'était la première fois que nous en parlions publiquement. Après coup, nous pouvons dire que nous en savons plus sur la santé mentale et que nous pouvons déceler beaucoup de signes et de symptômes avant-coureurs, que nous ne pouvions pas remarquer ou dont nous ne pouvions pas discuter à l'époque, faute des compétences nécessaires.
La santé des animaux, le travail avec les membres de la famille — qui peut être le meilleur et le pire de ma profession —, la recherche de temps pour ma fille, alors que nous travaillons de 5 heures à 18 h 30, et pour soi-même dans un moment attendu de répit, voilà ce qui me stresse. Il est très difficile de se réserver du temps à soi. Les contraintes financières, les fluctuations du marché, la hargne des médias sociaux contre notre industrie, la météo, tout cela échappe à ma volonté, mais m'affecte directement.
Tout ça touche aussi mon mari, mais sa famille présente aussi des antécédents de problèmes de santé mentale, et ses parents ont divorcé lorsqu'il était jeune. Il a vécu de nombreux déménagements et beaucoup de stress financier quand il était jeune homme. Comme il ne faisait pas partie d'une famille d'agriculteurs, il a dû apprendre rapidement. Toutes ces pressions supplémentaires ont influé sur sa résilience d'une manière que nous n'avions pas comprise avant qu'il ne soit victime d'une crise.
Après la publication de notre article sur le site Web du réseau Ag Women's Network, beaucoup de personnes nous ont révélé leurs propres luttes. Cela nous a conduits à une invitation à faire partie d'un groupe de discussion avec Andria Jones-Bitton sur la santé mentale. Nous avons ensuite commencé à faire partie de son groupe de travail, qui est un atelier constitué d'agriculteurs, d'industriels et de professionnels de la santé mentale, pour collaborer à son programme. J'ai été sidérée par le nombre de personnes désireuses de parler de ce sujet autrefois tabou et de la volonté bien nette, dans l'industrie, de finalement agir.
Je représente aujourd'hui le réseau Ag Women's Network, programme animé par des bénévoles, qui existe depuis cinq ans et dont je fais partie depuis quatre ans. Le réseau travaille surtout en ligne, à des sujets qui englobent la santé mentale, la promotion du secteur, le développement personnel, les partis pris inconscients, la conciliation travail-famille, les garderies en milieu rural et les profils de producteurs. Nous entamons notre deuxième année d'un programme de mentorat.
« Développer des chefs de file et les réseauter pour renforcer le secteur agricole », telle est notre devise. Nous avons un site Web et des blogues. Sur Facebook, notre groupe fermé compte plus de 2 200 membres, et notre groupe ouvert d'hommes et de femmes en compte plus de 2 400. Chaque fois que le sujet de la santé mentale est soulevé, nous sommes toujours sidérés par les manifestations positives d'appui. Cela a touché la vie de tous.
Toutes nos conversations animant le réseau Ag Women's Network, les discussions avec le groupe de travail d'Andria Jones-Bitton, par le truchement de l'Université de Guelph et les conversations avec des amis du secteur et, également, des étrangers, nous révèlent le profond besoin d'un programme spécialement destiné aux agriculteurs pour s'attaquer aux problèmes de santé mentale. Les agriculteurs en ont besoin pour se sentir à l'aise d'appeler à l'aide, étant entendu qu'il est très important de bien se faire comprendre quand, en crise, on franchit le pas important de contacter quelqu'un.
Le désir d'une ressource nationale, d'accès facile pour tous les agriculteurs et leur réseau d'écoute est profond. Cette ressource éviterait les répétitions inutiles et elle maximiserait les ressources. Sa simplicité d'emploi et son accessibilité sont essentielles si on espère la faire connaître et en rendre l'emploi non stressant. Un service national devrait être librement accessible à tous les joueurs du secteur agricole et, également, à leurs réseaux d'écoute.
Tout de suite après le besoin d'aider la personne en crise, vient celui de soutenir son adjoint. Je parle d'expérience, et j'ai entendu beaucoup d'anecdotes personnelles de la part d'adjoints qui se sont sentis débordés et émotionnellement vidés pour avoir essayé de protéger la personne en crise contre tout ce qui aurait pu la contrarier. Dans un contexte agricole, cela signifie se charger de plus de travail et de plus de tâches, dans l'exploitation et dans la famille, pour soulager la personne en crise d'un surplus de stress. C'est exténuant, particulièrement quand on est soi-même stressé.
Mon espoir est que le service national sera tellement banal et accessible — comme Télésanté — qu'on se sentira à l'aise d'y faire appel avant de se trouver en crise, et le réseau d'écoute pourra aussi utiliser la ressource.
L'agriculteur travaille souvent en solitaire. Son premier point de contact pour discuter de sa santé mentale pourrait être un nutritionniste ou un vétérinaire. Ils ont besoin de savoir comment réagir. Des groupes comme 4-H Canada profiteraient de la sensibilisation des dirigeants aux signes et aux symptômes des crises de santé mentale, tandis que la formation des équipes de vente du secteur et des vétérinaires contribuerait beaucoup à la diffusion de l'information et à la sensibilisation des personnes qui ont besoin de savoir. Le secteur a besoin de connaître les signes et les symptômes d'une éventuelle crise et les mesures à prendre pour diriger la personne vers les ressources dont elle a besoin.
Le moment est venu pour nous de considérer la santé mentale comme une question de santé. Tout le monde connaît un cancéreux, et il ne viendrait à l'esprit de personne de le dénigrer pour avoir demandé de l'aide, un soutien psychologique et moral ou des médicaments. Il en va de même, nécessairement, pour la santé mentale.
Je vous remercie infiniment de votre intérêt pour l'agriculture et la santé mentale. C'est un sujet qui me tient à coeur.
Une chose, particulièrement, vous importe, madame Doré, la famille et les exploitations agricoles familiales. La fiscalité des planifications successorales et ce genre de chose bougent beaucoup. De plus, un témoin nous a dit que son mari dépressif était mort de sa dépression, en raison du décès d'un frère, six mois plus tôt. Ayant moi-même de la famille dans le secteur agricole, il me semble tout simplement que, dans certains cas, la participation des enfants, des petits-enfants, des frères et des soeurs à l'exploitation y favorise beaucoup la santé mentale.
Pourriez-vous faire des observations sur les éléments du modèle d'exploitation agricole familiale qui, d'après vous, favorisent la santé mentale des agriculteurs, puis ceux qui, peut-être, lui sont nuisibles?
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Oui. Un sujet qui revient souvent est que, peu importe à quel point la journée s'annonce belle, rien n'a un effet aussi déprimant pour le groupe qu'une vache malade ou une vache qui s'est blessée du fait d'une chute.
Lundi, par exemple, de retour du congé de fin de semaine, nous avons appris, à 5 heures du matin, que, pendant la nuit, une vache que mon frère croyait en bonne voie de guérison était morte. On se dit que c'est terrible mais que, bon, on continue. Ensuite, mon frère et mon mari sont allés préparer les vaches pour que je les traie et j'apprends la chute et l'immobilisation de l'une des vaches préférées de mon père. Nous avons dû la soulever et l'installer sur le carrousel. Ça faisait deux grosses tuiles à survenir dès les 10 premières minutes de la matinée. C'était vraiment difficile. Nous construisons une nouvelle étable et c'est très excitant, les travaux avancent bien, mais cette guigne nous déprime.
Nous sommes très fiers de nos animaux, et notre réussite dépend en grande partie d'eux. Nous somme donc personnellement touchés quand nous abandonnons le bêtes blessées à leur sort. Voilà pourquoi, aussi, nous sommes tellement bouleversés par la hargne des médias sociaux. Récemment, j'ai cessé d'aller sur Twitter. J'y avais exprimé des opinions sur l'ALENA et d'autres sujets et j'avais simplement besoin de me distancier de la twittosphère, parce que les discussions sur ces sujets en ligne étaient stériles.
Malgré la nécessité du dialogue avec les non-agriculteurs, cette activité m'impose beaucoup de responsabilités, en sus de toutes les autres, notamment prendre la défense de l'agriculture et me défendre moi-même. C'est exténuant.
Madame Doré, vous représentez une exploitation agricole soumise à la gestion de l'offre. Si j'ai bien compris, vous êtes la septième génération. J'ai visité des fermes laitières dans ma circonscription et cela a été une expérience fantastique.
À mon avis, une des forces de notre système de gestion de l'offre, c'est que tous les agriculteurs estiment que cela leur donne des certitudes. En général, ils ont une idée de leurs revenus potentiels, ce qui les aide à planifier à long terme. Certains de leurs investissements dans les équipements pour leurs exploitations... C'est assez astucieux. C'est formidable. Ils ont ouvert leurs fermes au public pour que tous puissent voir comment cela fonctionne, ce qui est très instructif.
Vous avez parlé des facteurs de stress chez les agriculteurs. Dans le contexte des récents accords commerciaux que nous avons signés, comme l'AECG, le PTPGP et l'AEUMC, le gouvernement ne cesse de dire aux agriculteurs soumis à la gestion de l'offre qu'il protégera le système de gestion de l'offre. Cependant, chaque fois que nous cédons un certain pourcentage, cela réduit la certitude.
Mardi, des témoins ont abordé ce sujet, je me demande quel lien on peut faire avec la santé mentale. Quel est l'effet sur le degré de certitude au sein de l'industrie?
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Cela entraîne un stress considérable.
Avec mon mari, j'avais décidé de quitter l'industrie si cet accord commercial entraînait la disparition du système de gestion de l'offre. Je n'ai aucun intérêt à travailler si fort pour des consommateurs qui ne sont pas prêts à nous appuyer. J'étais prête à abandonner.
Pour moi, c'est la stabilité et la possibilité d'investir qui rendaient le système de gestion de l'offre si attrayant. On dit à la blague que les banquiers aiment beaucoup les producteurs laitiers et les producteurs de poulet parce qu'ils savent qu'ils rembourseront leurs prêts. Cela ne fait pas l'affaire d'un de mes amis, un éleveur de porcs, parce qu'il ne peut obtenir un prêt aussi élevé que moi pour un projet comparable. Les banques savent que mes revenus sont stables. Ils ne sont peut-être pas aussi élevés que ceux de mon ami, mais ils ne varient pas. J'aime avoir cet élément de stabilité, étant donné les variations considérables dans nos nombreux autres secteurs d'activité. Il est bien de pouvoir s'appuyer sur la gestion de l'offre.
Je suis heureuse que le système ait été maintenu, mais j'ai l'impression que chaque fois que l'industrie progresse, nous cédons un pourcentage pour chaque nouvel accord commercial.
Je ne blâme pas le gouvernement actuel d'avoir conclu cet accord commercial, car il a été placé dans une situation intenable. Je n'ai pas de reproches à faire, mais en même temps, il est très décourageant de céder des acquis.
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Je vais vous donner un exemple. Un de nos vendeurs vend des clôtures et de l'équipement laitier. Mon mari Joe et moi participions à un groupe de discussion lors d'une foire agricole. Le vendeur arrive et nous dit que les agriculteurs lui ont souvent parlé de ces enjeux au cours de la dernière année. Il est intéressant de constater que les gens en parlent plus ouvertement. Huit agriculteurs l'ont approché pour parler de leurs difficultés. Il a dit qu'il ne savait pas s'ils en avaient parlé à d'autres personnes. Il ne savait pas où les diriger et il n'était pas certain d'avoir les informations nécessaires pour bien les diriger vers un conseiller ou un médecin. C'est une lourde responsabilité à faire porter aux gens.
Nous avons souvent abordé le sujet avec notre vétérinaire. Les vétérinaires vivent aussi du stress psychologique, car ils sont souvent présents lorsque vous passez une mauvaise journée parce que vos animaux sont malades. À mon avis, l'important est de former tous les acteurs de l'industrie pour qu'ils remarquent les changements chez les gens.
En rétrospective, je sais qu'à l'époque où mon mari était en crise, il ne voulait pas participer à des foires commerciales et à des réunions comme il le faisait auparavant. Il y avait une multitude de signaux très subtils. Je me disais simplement qu'il lui arrive d'être de mauvaise humeur et que cela va aller. À bien y penser, je me rends compte que c'était un signal.
Il y a quelques mois, je ne voulais pas assister à une réunion. J'étais plutôt maussade et je ne voulais rien faire. J'ai pris conscience qu'il y avait un problème. J'ai commencé à faire attention pour corriger la situation.
Cette formation et ces connaissances supplémentaires permettront aux gens de rester à l'affût et de remarquer si quelqu'un... Si vous entrez dans une grange et qu'elle n'est pas aussi propre que d'habitude, cela devient facilement un prétexte pour entreprendre cette discussion et chercher à savoir comment la personne se sent vraiment. Il faut aussi savoir comment réagir à la réponse qu'on vous aura donnée.