HRPD Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON HUMAN RESOURCES DEVELOPMENT AND THE STATUS OF PERSONS WITH DISABILITIES
COMITÉ PERMANENT DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES ET DE LA CONDITION DES PERSONNES HANDICAPÉES
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 31 mars 1998
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown (Oakville, Lib.)): Bonjour, mesdames et messieurs. C'est avec plaisir que je vous accueille à cette réunion du Comité permanent du développement des ressources humaines et de la condition des personnes handicapées, qui poursuit ses audiences publiques sur le projet de loi C-19, Loi modifiant le Code canadien du travail, partie I, la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence.
Nos premiers témoins de cet après-midi sont les représentants de l'Association canadienne des pâtes et papiers, M. David Church et M. Bob Elder. Je crois que M. David Church va faire un exposé pour commencer.
Nos témoins ont apporté le texte de leurs déclarations en français et en anglais, mais comme il n'y en a pas suffisamment d'exemplaires, nous sommes en train de les photocopier et nous vous les distribuerons dès qu'ils arriveront. Merci.
Monsieur Church.
M. David Church (directeur général, Transport, recyclage et approvisionnement, Association canadienne des pâtes et papiers): Madame la présidente et membres du comité, nous vous remercions infiniment d'avoir invité l'Association canadienne des pâtes et papiers à prendre la parole devant vous aujourd'hui au sujet du projet de loi C-19 modifiant la partie I du Code canadien du travail.
Je m'appelle Dave Church et je suis directeur général du Transport, du recyclage et de l'approvisionnement de notre association. Je suis accompagné de Bob Elder, directeur du transport chez Weldwood of Canada Limited, en Colombie-Britannique. À Vancouver, M. Elder est président de la section du transport et de la distribution de notre association. Weldwood exploite 11 usines de l'Alberta et de la Colombie-Britannique.
Lorsque nous avons demandé au comité à comparaître, nous avons dit que nous serions également accompagnés de M. Marcel Matteau, premier vice-président, Relations du travail, chez Abitibi Consolidated. Malheureusement, d'autres obligations ont obligé M. Matteau à quitter la ville. Il se trouve à Kénogami, où il doit rencontrer les gens de l'usine de là-bas.
Nous avons apporté avec nous la copie de notre mémoire dans les deux langues officielles, et je crois qu'on doit vous en distribuer des photocopies. Je croyais que nous devions apporter cinq exemplaires dans chaque langue officielle, et c'est ce que nous avons fait. Je m'excuse de ne pas en avoir apporté plus.
Notre association éprouve de sérieuses inquiétudes à l'égard du paragraphe 87.7(1) du projet de loi. Si elle est adoptée, cette disposition fera en sorte que le port continuera à acheminer le grain en cas de grève ou de lock-out tandis que les produits de notre secteur seront immobilisés en attendant le règlement du conflit. À notre avis, le paragraphe 87.7(1) n'est pas équitable. Il accorde un traitement de faveur à une industrie aux dépens de toutes les autres.
Le Canada est un pays exportateur, et le secteur des produits forestiers est une industrie exportatrice. C'est nous qui contribuons le plus à la balance commerciale du pays, et pour vendre nos produits sur le marché nous avons besoin d'un réseau de transport efficace, peu coûteux et fiable.
Nous avons deux principales raisons de croire que cette disposition qui est proposée au paragraphe 87.7(1) devrait être modifiée. Il y a d'abord une question de principe. Le paragraphe 87.7(1) va directement à l'encontre du principe de l'équité. Il va limiter la compétitivité des industries exportatrices du pays. Il est également contraire aux pratiques internationales et aux méthodes des partenaires commerciaux du Canada.
Il y a ensuite une question de logistique. Cette disposition s'appliquera à tous les ports qui manutentionnent le grain, mais ses répercussions se feront surtout sentir en Colombie-Britannique. Dans l'est du pays, si un port est fermé, par exemple le port de Montréal, il y en a bien d'autres, comme ceux de Québec, Trois- Rivières, Philadelphie et New York, qui resteront ouverts et qui pourront acheminer nos produits. En cas de conflit de travail dans les ports de la Colombie-Britannique, pratiquement tous les ports seront fermés, sauf pour le grain. Néanmoins, les négociations syndicales-patronales pencheront en faveur des syndicats, et nous savons que cela prolongera l'interruption du service.
Le secteur des produits forestiers est le deuxième usager des ports de la Colombie-Britannique, juste derrière l'industrie charbonnière. Si les ports de la Colombie-Britannique ferment, l'infrastructure de transport est telle que les produits de notre secteur ne pourront pas être transportés outre-mer. Nous perdrons des marchés, et nos clients s'adresseront à d'autres fournisseurs pour obtenir les produits que nous vendons. Cela aura des répercussions négatives sur la compétitivité de notre secteur.
• 1535
Au cours de l'automne dernier, dans le cadre d'un regroupement
d'associations d'employeurs, nous avons mis au point une
proposition de rechange pour remplacer le paragraphe 87.7(1), que
nous avons largement distribuée aux députés et aux ministres du
gouvernement. Elle repose sur les principes suivants: la loi doit
être juste et traiter équitablement toutes les entreprises touchées
par le conflit ou le risque de conflit dans les ports canadiens; la
loi doit faire en sorte que toute décision d'intervenir dans un
conflit de travail se fonde sur des renseignements complets et
convaincants et, enfin, elle doit donner au ministre tout un
éventail d'options pour tenir compte de la nature du conflit en
question.
Le ministre pourrait nommer un conseiller spécial ou un comité consultatif pour surveiller les négociations collectives qui risquent de se répercuter sur le fonctionnement d'un port canadien. Le conseiller spécial pourrait entrer en contact, non seulement avec les employeurs et les syndicats qui participent à l'exploitation du port, mais également avec les grandes entreprises qui dépendent du port et avec les autorités provinciales responsables de l'industrie, du commerce et des finances dans la province touchée. Le conseiller spécial devrait informer régulièrement le ministre de l'état des négociations et de leurs effets sur tout arrêt de travail dans le port.
Avant toute intervention, le conseiller spécial disposerait d'un délai précis pour publier un rapport décrivant les conséquences qu'un arrêt de travail aurait pour les usagers du port et pour l'économie. D'après l'évaluation qu'il ferait de toute conséquence néfaste pour l'économie, le ministre pourrait intervenir, dans l'intérêt public, de diverses façons, notamment en déclarant une période de réflexion au cours de laquelle les parties ne pourraient prendre aucune mesure, déterminer les limites s'appliquant éventuellement à l'exercice du droit de grève ou de lock-out, nommer un médiateur pour faciliter le règlement du différend et exiger des parties qu'elles soumettent la totalité ou certains éléments des questions contestées à une procédure de règlement final et exécutoire, telle que l'arbitrage des propositions finales.
Nous croyons que cette proposition établit un juste équilibre pour tous les usagers et parties prenantes.
Je vais maintenant demander à M. Bob Elder de vous dire quelques mots au sujet des répercussions de cette disposition sur son entreprise.
M. Robert E. Elder (directeur, Transport, Association canadienne des pâtes et papiers): Madame la présidente et membres du comité, je vous remercie de nous accueillir ici aujourd'hui. Je n'ai pas préparé de mémoire écrit, mais je désire partager avec vous certaines des réflexions d'un directeur des transports de la côte Ouest. Je travaille pour Weldwood depuis six ans. Comme David l'a dit, Weldwood exploite 11 usines dans l'Ouest, soit deux usines de pâtes et papiers et neuf scieries. Avant d'entrer chez Weldwood, j'étais directeur du transport dans une grande compagnie de l'Est, où j'ai occupé ce poste pendant près de 20 ans.
Je voudrais parler plus tard des différences géographiques entre l'est et l'ouest du pays.
Le climat commercial actuel nous oblige à desservir les marchés mondiaux. Notre clientèle exige à la fois de la qualité et une livraison à temps ainsi qu'un approvisionnement ininterrompu de produits. Le service que je dirige consacre 60 p. 100 de son temps à atteindre ces objectifs. C'est une tâche que nous prenons très au sérieux et dont nous devons nous acquitter quotidiennement. Si nous ne pouvons pas garantir la fiabilité, nous risquons de perdre un client.
Le paragraphe 87.7(1) suscite de graves inquiétudes. En prolongeant les conflits de travail et en permettant aux syndicats de financer une grève en retenant des produits, cette disposition ne favorise pas un règlement rapide. Que l'exemption s'applique au grain, à la potasse, au charbon ou aux produits forestiers, les résultats sont les mêmes: cela prolonge les grèves. La comparaison Est-Ouest occupe une place importante dans mon exposé d'aujourd'hui. Ayant travaillé dans l'Est du pays, je sais quelles sont les conditions qui y règnent. La région de l'Est est desservie par la 401 et des services de camionnage et peut également avoir accès aux ports des États-Unis. Comme David l'a mentionné, lorsqu'une grève a lieu au port de Montréal, cela ne veut pas nécessairement dire que les mêmes conditions s'appliquent aux ports de Québec, Trois-Rivières, Boston ou Philadelphie.
Plus de 90 p. 100 des produits de Weldwood doivent être transportés par chemin de fer. Cela ne nous pose pas de problème. Nous travaillons en collaboration étroite avec les chemins de fer, mais une grève prolongée signifie certainement un embargo sur les wagons utilisés pour l'exportation, et même une pénurie de wagons. Tout ce qui peut nous empêcher de desservir notre clientèle et d'approvisionner le marché mondial constitue une menace. Si nous fermons le robinet, nous risquons de perdre pour toujours une partie de notre clientèle.
• 1540
Nous ne pouvons pas cesser d'expédier vers les marchés
d'exportation pendant un mois et nous attendre à ce que nos clients
comprennent pourquoi. À l'heure actuelle, la clientèle cherche des
solutions de rechange, comme elle en a le droit, et si elle ne les
trouve pas au Canada elle les trouvera dans d'autres pays.
À un moment où l'industrie forestière est extrêmement menacée, ce projet de loi menace toute l'industrie extractive, y compris la nôtre. Nous ne pouvons pas encore mesurer toute l'ampleur des dégâts que ce projet de loi pourrait causer. S'il reste tel quel, nous nous demandons quel tort cela causera à notre secteur et aux autres industries extractives.
Je vous remercie de votre attention.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci beaucoup.
Vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. David Church: Non, voilà qui termine notre exposé officiel. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Très bien. Merci beaucoup.
Monsieur Johnston, êtes-vous prêt?
M. Dale Johnston (Wetaskiwin, Réf.): Certainement. Merci, madame la présidente.
Je vous remercie de votre exposé. Vous nous avez dit que, dans les régions du pays autres que la côte Ouest vous aviez d'autres solutions pour expédier vos produits. N'en avez-vous pas aussi dans l'Ouest, par exemple les ports du Pacifique? Ne pourriez-vous pas vous diriger vers Seattle ou Portland, par exemple? Dans ce cas, quel désavantage économique cela représenterait-il pour vous?
M. Bob Elder: Du point de vue économique, il y a évidemment pour commencer la différence dans le taux de change, qui est de près de 30 p. 100. Mais c'est surtout un problème de disponibilité des services. Nous avons déjà constaté les difficultés du Union Pacific Railway et du Burlington Northern Railroad, qui desservent le port de Seattle.
Le camionnage n'est pas vraiment une solution pour les entreprises situées au nord de Vancouver. Si vous êtes établis à Vancouver, vous avez sans doute accès à des entreprises comme Schneider et Hunt, qui utilisent la 401, mais nous recourons certainement à un tas de petites compagnies familiales qui n'ont qu'une capacité limitée. Nous faisons appel au camionnage davantage pour des urgences que pour de longs parcours.
Au cours de la dernière grève qui a touché le port, au bout de quatre jours il y avait à peu près pour 18 jours de retard au port de Seattle. Nous avons donc envisagé cette solution, mais elle ne s'est jamais révélée très pratique.
M. David Church: J'ajouterais qu'il vous faut également des terminaux pour les produits forestiers. Dans ces ports, nous avons des endroits où nous pouvons entreposer nos produits en attendant qu'ils soient chargés à bord des bateaux. Un grand nombre des ports plus au sud sur la côte Ouest ont des terminaux pour produits forestiers qui ne se comparent, ni en nombre ni en taille, avec ceux du port de Vancouver ou des autres ports de la Colombie- Britannique.
Par conséquent, c'est aussi une question de logistique, compte tenu des services que peut offrir le port de Vancouver.
M. Dale Johnston: Vous avez également mentionné que vous seriez pour un mécanisme de règlement des différends. Comme il n'y en a pas dans ce projet de loi, pensez-vous que le Parlement devra intervenir dans les arrêts de travail et légiférer pour ordonner le retour au travail en cas de grève?
M. David Church: Je pense que nous avons une certaine expérience de l'arbitrage des propositions finales. Dans le secteur du transport, nous connaissons bien la Loi sur les transports au Canada et la Loi sur les transports nationaux qui l'a précédée. Ces deux lois prévoient l'arbitrage des propositions finales.
J'ai pu constater que ces deux dispositions forçaient les parties à négocier. Si l'on opte pour l'arbitrage des propositions finales selon lequel une partie présente son offre et les chemins de fer la leur, chaque partie veillera à proposer sa meilleure offre. En effet, si un arbitre doit choisir l'une ou l'autre des propositions, vous risquez de perdre, et de perdre gros.
L'avantage de cette méthode, qui compte parmi un éventail d'options à la disposition du ministre, c'est qu'elle force au moins les deux parties à s'entendre sur un règlement. Cela peut très bien entraîner une grève. Vous ne pourrez peut-être pas vous entendre. Néanmoins, l'arbitrage des propositions finales est certainement un moyen de réduire le nombre des arrêts de travail dans le port.
M. Dale Johnston: Merci.
Comme vous le savez peut-être, j'ai déjà été agriculteur. En fait, je le suis toujours. Toute disposition raisonnable qui permet d'acheminer le grain de la ferme jusqu'au port et vers les marchés étrangers a donc mon appui. Vous avez toutefois soulevé un aspect intéressant. Je crois vous avoir entendu dire que l'exemption proposée pour le grain au paragraphe 87.7(1) du projet de loi aurait pour effet de financer et de prolonger la grève.
• 1545
Pourriez-vous nous dire comment cela se produirait?
M. Robert Elder: J'allais dire que nous avons un passé commun, étant donné que j'étais agriculteur moi aussi avant de venir en Colombie-Britannique. J'avais une petite ferme à Huntingdon, au Québec, et je comprends donc bien votre point de vue.
Ce qui nous inquiète, c'est que, quel que soit le produit, du charbon, de la potasse ou des produits forestiers, si vous laissez la main-d'oeuvre manutentionner ne serait-ce que 30 p. 100 des produits, cela lui apportera un revenu qui servira à financer la grève et à la faire durer plus longtemps.
Jusqu'ici, le grain avait été immobilisé en attendant le règlement du conflit. Que nous soyons d'accord ou non, cela a accéléré beaucoup le règlement du différend. Nous craignons que l'exemption de tout produit ne permette aux gens de travailler et de prolonger le conflit, et c'est la durée de la grève plus que son résultat qui nous inquiète. Combien de temps cette grève va-t-elle pouvoir durer et, une fois qu'elle sera terminée, quelles conséquences cela aura-t-il pour l'infrastructure?
Une grève de 10 jours signifie sans doute un retard de 30 jours pour les wagons frappés d'embargo. Chaque wagon chargé de marchandises va rester en attente quelque part et ne bougera pas avant la fin de la grève. Par conséquent, si la grève dure 15 jours, vous devrez sans doute attendre 45 jours avant qu'il y ait suffisamment de matériel pour acheminer vos produits vers le marché.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci.
Monsieur Nault.
M. Robert D. Nault (Kenora—Rainy River, Lib.): D'après votre expérience, pouvez-vous me dire quelle est la durée moyenne d'une grève dans le secteur des pâtes et papiers?
M. Robert Elder: Je dois être prudent, car Weldwood n'a pas eu de grève à Hinton, en Alberta, depuis son implantation. Nous sommes en pleine négociation et nous avons eu de la chance que notre entreprise n'ait pas...
Fletcher Challenge—et je ne suis pas ici pour parler en son nom—est en grève depuis six ou sept mois. Je crois que M. Whitehead serait mieux placé pour parler des conséquences de cette grève pour l'industrie. Il s'agit certainement d'une grève prolongée, n'est-ce pas?
M. Robert Nault: Mais l'Association canadienne des pâtes et papiers doit avoir des chiffres en fonction de la durée moyenne de ses grèves. J'essaie d'établir si les grèves de votre secteur dure plus longtemps en moyenne que celles de la côte Ouest en général. Personnellement, je suis pas mal certain qu'en moyenne ces grèves sont beaucoup plus longues dans votre secteur que sur la côte Ouest, si vous faites la moyenne des dix dernières années, simplement parce que jusqu'ici nous n'avons pas légiféré pour ordonner le retour au travail dans votre secteur. Est-ce exact?
M. Robert Elder: C'est exact. Encore une fois, je ne suis pas expert des questions syndicales, mais je dirais seulement que, dans le cas de Fletcher Challenge, la conséquence est que cela offre sans doute davantage de possibilités à ceux qui offrent le même produit. S'il y a une pénurie sur le marché, les Canadiens en profitent dans une certaine mesure. Je suppose que le reste est absorbé par des entreprises étrangères qui offrent les mêmes produits que Fletcher Challenge, et cela fait du tort à l'économie canadienne. Pour ce qui est des statistiques, je ne les connais pas.
M. David Church: Je ne suis pas certain que nous ayons des statistiques pour notre association. Je peux certainement vérifier si nous en avons, mais, comme Bob l'a mentionné, si une société est touchée, cela représente une ou deux usines en grève. Il y a plusieurs autres usines qui fabriquent le même produit, au Canada ou à l'étranger, et qui vont approvisionner cette clientèle à leur place. C'est le risque que vous courez.
Notre secteur sera touché par cette disposition parce que les entreprises de la côte Ouest n'ont d'autre choix que de passer par les ports de la Colombie-Britannique. Il n'y a pas, ailleurs, l'infrastructure voulue pour absorber le tonnage qui sera acheminé jusqu'au port ou qui cherchera d'autres marchés, et, si nous ne pouvons pas approvisionner nos clients de l'étranger lorsque les ports de la Colombie-Britannique sont fermés, d'autres fournisseurs prendront notre place.
M. Robert Nault: Je comprends. Chaque fois qu'il y a une grève et que le processus de négociation collective arrive à une impasse, cela fait du tort aux gens d'une façon ou d'une autre. Les sociétés sont généralement touchées sur le plan financier. Je ne pense pas que ce soit contestable.
Je veux dire que si vous prenez la durée moyenne des arrêts de travail dans les divers secteurs... Je m'étonne que vous ne connaissiez pas la moyenne pour le vôtre.
Le gouvernement canadien a modifié arbitrairement le processus de négociation collective sur la côte Ouest depuis maintenant plusieurs années. Vous nous demandez de rétablir ce processus. En fait, vous ne proposez rien de plus que le statu quo. Cela force le gouvernement à légiférer pour ordonner le retour au travail. C'est très bien si c'est la solution que vous choisissez. Mais ce n'est pas celle que choisiraient la plupart de ceux qui s'intéressent à la négociation collective.
Je ne pense donc pas que ce soit un avantage. Vous dites que, selon votre proposition, le ministre devrait être convaincu au préalable qu'une intervention est nécessaire. C'est déjà le cas. Même si nous adoptons le paragraphe 87.7(1), il y aura toujours la possibilité que le gouvernement canadien intervienne et légifère pour ordonner le retour au travail.
Si quelqu'un changeait les règles du jeu, ce que fait cet article, en cas de grève prolongée sur la côte Ouest, ne pensez-vous pas que le gouvernement serait soumis aux mêmes pressions? Cela lui forcerait la main, et, en cas de grève prolongée, il devrait légiférer pour ordonner le retour au travail. Voilà ma première question, madame la présidente.
En deuxième lieu, si cela fonctionnait—nous ne le savons pas, vu que nous n'avons pas encore essayé—cela pourrait ramener sur la côte Ouest la négociation collective, qui semble avoir disparu. Tant du côté des syndicats que de la partie patronale, les gens se réfugient derrière l'idée que le gouvernement va intervenir pour ordonner de toute façon le retour au travail; alors pourquoi négocier de bonne foi?
Telles sont mes deux questions. J'essaie d'établir pourquoi vous ne seriez pas prêts à essayer cette formule, simplement parce qu'elle est préférable à celle qui existe maintenant.
M. Robert Elder: Sans contester vos arguments, je dirais seulement qu'en permettant au syndicat de continuer à travailler pendant le conflit, ne lui permettez-vous pas de gagner du temps? Il va s'en servir pour négocier un règlement. Quand le gouvernement interviendra-t-il? Si les syndiqués peuvent financer leur trésor de guerre, pourquoi ne continueraient-ils pas? Combien de temps cela va-t-il durer sans faire du tort aux autres industries touchées par l'exemption?
M. Robert Nault: Monsieur Elder, je voudrais comprendre ce que vous dites à propos du fonds de grève. Le gouvernement canadien n'ordonne pas le retour au travail parce que les syndicats ont constitué un important fonds de grève. Il le fait parce que la grève cause de sérieux torts à l'économie. Nous ne pouvons pas la laisser continuer pendant très longtemps.
C'est pourquoi les grèves des chemins de fer ne durent pas plus d'une semaine environ. La circulation des marchandises s'arrête dans tout le pays, alors que nous sommes une nation exportatrice. Nous ne nous préoccupons pas du trésor de guerre du syndicat et des chemins de fer. Cela importe peu au gouvernement canadien. Nous préférerions rester en dehors du processus de négociation collective. Je ne suis pas certain de comprendre votre argument.
M. David Church: Je pourrais peut-être vous expliquer les choses ainsi. Si le transport du grain se poursuit comme le permettra cette disposition, il y aura suffisamment de travail pour que les débardeurs puissent se le répartir entre eux. Ils pourront donc gagner un revenu, peut-être un salaire de grève, continuer à travailler et répartir la charge de travail entre tous les employés.
Nous croyons que cela fera pencher la balance en faveur des syndicats. Vous avez mentionné qu'en cas de grève dans les chemins de fer tout le monde était touché de la même façon. Nous pensons que cette disposition confère au ministre davantage d'options que ce n'est le cas actuellement. Elle prévoit une période pour calmer les esprits. Elle prévoit une médiation. Elle prévoit également une procédure d'arbitrage des propositions finales.
• 1555
Nous estimons donc que si ces procédures sont à leur
disposition, cela permettra d'avoir des négociations de bonne foi,
ce qui ne s'est peut-être pas produit par le passé, comme vous
l'avez dit. Cela obligera les deux parties à s'efforcer de parvenir
à une entente.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci, monsieur Nault.
[Français]
Monsieur Rocheleau.
M. Yves Rocheleau (Trois-Rivières, BQ): J'aimerais simplement demander aux témoins s'ils considèrent que le traitement de faveur, pour employer leurs termes, qui est accordé à l'industrie céréalière lui est accordé à cause de son impact économique ou à cause du caractère périssable des biens qui sont transportés, soit les céréales.
[Traduction]
M. David Church: Nous ne savons pas exactement pourquoi cela a été accordé à l'industrie céréalière. Nous ne pensons pas que le grain soit plus périssable que d'autres produits, comme les pâtes et papiers. Il y a maintenant des silos à grain très bien équipés, des wagons, des terminaux, tout un matériel qui permettra de conserver ce grain pour qu'il reste vendable.
Nous ne voyons pas trop quelle est la raison d'être de cette disposition, si ce n'est peut-être que le secteur céréalier oblige le gouvernement à intervenir en cas de grève. Mais je peux vous assurer qu'en cas de conflit de travail dans le port notre secteur sera aussi véhément que les autres pour réclamer la fin du conflit. Comme Bob l'a mentionné, cela cause des problèmes au niveau des usines, de même qu'un embargo sur le matériel roulant, ce qui force les usines à chercher d'autres marchés au sud de la frontière ou à entreposer les pâtes et papiers dans des entrepôts de la Colombie-Britannique.
[Français]
M. Yves Rocheleau: Si vous appreniez que ce privilège découle de l'application de la Constitution de 1867 et qu'il faut demander un amendement pour corriger la situation, le processus d'amendement étant ce que l'on connaît, auriez-vous pendant longtemps le goût de mener ce genre de combat?
[Traduction]
M. David Church: Excusez-moi, je ne suis pas certain de comprendre votre question.
[Français]
M. Yves Rocheleau: La semaine dernière, un témoin faisant partie de l'industrie des céréales nous a appris, à bon nombre d'entre nous, que ce traitement de faveur découlait de l'application de la Constitution de 1867. Il semblerait qu'il est prévu dans la Constitution que l'industrie céréalière doit être protégée. Pour corriger ou modifier cela, il faudrait amender la Constitution avec tout ce que cela comporte.
Donc, je vous demande si vous avez le goût de mener ce genre de combat, avec les autres secteurs industriels qui défilent ici pour nous demander de telles modifications, afin qu'il soit apporté un amendement à la Constitution sur ce point.
[Traduction]
M. David Church: Je ne suis pas un spécialiste de la Constitution. On a déjà fait valoir que les céréales font l'objet d'une exception dans la Constitution, mais nous ne croyons pas que cela s'applique de nos jours.
Le secteur des céréales est un secteur d'exportation. Nous croyons qu'aucun secteur au Canada ne devrait faire l'objet d'un traitement préférentiel. Ils devraient tous être traités sur un pied d'égalité. Puisque nous appartenons à un pays exportateur, nous avons tous à vendre nos produits à l'étranger. Je ne crois pas que l'exception garantie par la Constitution puisse s'appliquer au marché d'aujourd'hui.
J'espère avoir répondu à votre question.
[Français]
M. Yves Rocheleau: Vous en prenez-vous surtout au fait que l'industrie céréalière est protégée et a un statut particulier, ou si vous souhaitez au fond ne pas être empêchés de fonctionner, même en situation de grève? Vous en prenez-vous au fait que ce privilège est accordé à l'industrie céréalière seule ou si vous souhaitez que toutes les entreprises puissent en profiter?
[Traduction]
M. David Church: Nous nous opposerions à ce qu'une exception soit consentie à tout autre secteur, y compris à celui des produits forestiers, comme l'a dit M. Elder.
Nous ne croyons pas qu'accorder des exceptions à certains secteurs permettra de résoudre les conflits de travail dans les ports; cela ne fera qu'accroître le problème en raison des limites de l'infrastructure et des contraintes de transit des marchandises dans les ports.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci, monsieur Rocheleau. Merci, monsieur Church et monsieur Elder. Puisqu'il n'y a pas d'autres questions, je suppose que nous en avons fini avec vous. Nous allons demander aux autres témoins de prendre place.
Je vous remercie de vos témoignages et des documents que vous nous avez fournis.
M. Bob Elder: Merci beaucoup.
M. David Church: Merci beaucoup.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Je vous en prie.
Mesdames et messieurs, permettez-moi de vous présenter Me Sylvie Graton, avocate du cabinet Ogilvy Renault, de Montréal.
Maître Graton.
[Français]
Me Sylvie Graton (avocate, étude Ogilvy Renault, Conseil du Patronat du Québec): Merci.
Au nom du Conseil du patronat du Québec, le CPQ, que je représente aujourd'hui, j'aimerais remercier à mon tour les membres du comité de nous donner l'occasion de faire nos commentaires sur le projet de loi C-19.
Vous avez déjà devant vous le mémoire du CPQ, qui est quand même assez bref. Ses commentaires sont limités à certains éléments bien précis contenus dans le projet de loi. Je reviendrai sur certains de ces éléments spécifiques.
Cependant, je pense qu'il est important de rappeler ce qui est mentionné dans l'avant-propos de notre mémoire. Je fais allusion ici aux deux paragraphes de la fin, où il est dit que le CPQ est bien conscient que ce projet de loi est le résultat de très nombreuses consultations qui se sont échelonnées sur de nombreux mois et qu'il y avait déjà eu un projet de loi précédent.
En conséquence, le CPQ a fait le choix, dans le mémoire qu'il vous a soumis, de ne pas prendre la peine de réitérer l'ensemble de ses positions traditionnelles à l'égard de plusieurs questions en matière de relations de travail. Il est clair, toutefois, qu'il ne faut pas déduire de la portée limitée de notre mémoire qu'il endosse plusieurs des modifications proposées dans le mémoire.
Mon propos d'aujourd'hui va donc se limiter à trois volets du projet de loi: d'abord, le volet du Conseil canadien des relations industrielles sur lequel je vous formulerai quelques commentaires; ensuite le volet des travailleurs à distance; finalement, l'accréditation d'un syndicat qui pourrait être émise par le Conseil à la suite d'une pratique déloyale de l'employeur.
Abordons le premier volet relatif au Conseil canadien des relations industrielles. Le projet de loi qui abolit le Conseil canadien des relations du travail qui vous est maintenant familier. Je pense que tous ceux qui oeuvraient dans le milieu étaient conscients des grandes difficultés vécues au sein de l'ancien Conseil. Il y avait clairement nécessité de changements au niveau de l'organisme, notamment en ce qui concerne les pouvoirs administratifs reliés à la gestion de l'organisme même. Je pense que le CPQ considère que le projet de loi répond bien à ces besoins.
Cependant, il faut être conscient que si on ne change pas également les personnes qui faisaient partie de l'ancien organisme, l'objectif poursuivi par le projet de loi ne sera pas atteint. La nécessité d'injecter du sang neuf à l'intérieur du nouveau Conseil canadien des relations industrielles est bien indiqué dans le projet de loi. Vous en trouverez la mention dans les dispositions transitoires, à l'article 87. On y dit que «le mandat des membres de l'ancien Conseil prend fin à la date de référence». Donc, il est très clair qu'il n'y a pas de renouvellement automatique du mandat des anciens membres dans le nouveau Conseil. Je pense qu'il sera important que les députés s'assurent du respect de cette volonté exprimée clairement dans le projet de loi.
• 1605
Maintenant, quant à ceux qui assumeront les fonctions
importantes—je fais évidemment allusion aux postes
de président et de vice-présidents, et vous savez comme
moi que le président a déjà été nommé—le projet de
loi prévoit qu'ils seront nommés par le gouverneur en
conseil sur recommandation du ministre.
Il n'y a cependant pas, pour le choix du président et des vice-présidents, qui, comme on le sait, sont les personnes importantes au niveau du Conseil, de processus de consultation auprès des intervenants du milieu.
Le CPQ insiste au contraire pour qu'il se fasse des consultations au moment des mises en nomination, notamment dans l'optique du paragraphe 10(5) du projet de loi qui stipule, ce qui est nouveau:
-
(5) Le président
et les vice-présidents doivent avoir une expérience et
des compétences dans le domaine des relations
industrielles.
Je pense que la meilleure façon de s'assurer que cet objectif du projet de loi soit atteint est de faire des consultations, évidemment auprès du CPQ, mais aussi auprès de l'ensemble des intervenants du milieu.
Toujours à propos du Conseil des relations industrielles, vous trouverez dans le mémoire des commentaires peut-être un peu plus pointus, à la page 2, sur les pouvoirs de prorogation des délais.
Le CPQ s'oppose évidemment à cette disposition qui a pour effet de permettre une prorogation de délai et, par conséquent, de causer de l'insécurité et de l'instabilité pour les parties. Finalement, on ne saurait à aucun moment si une situation est définitive parce que les délais seraient susceptibles d'être prorogés ou réactivés.
Vous verrez également dans notre présentation que, si cette disposition permettant de proroger les délais devait néanmoins être maintenue, le CPQ demande que ce pouvoir soit à tout le moins encadré comme celui qu'on propose dans le même projet de loi pour les arbitres des griefs. À tout le moins, il devrait être encadré par l'ajout de certains critères que le Conseil devrait respecter dans le cas de prorogation de délai. Notamment, le Conseil devrait être d'avis que la prorogation est justifiée et ne porte pas atteinte indûment aux droits de l'autre partie. Je pense que c'est un minimum à faire avant de prolonger des délais.
Le deuxième volet que je voudrais maintenant aborder est la situation des travailleurs à distance. Le CPQ a toujours formulé ses objections à toute modification du Code canadien du travail qui viserait à faciliter à outrance la syndicalisation. Nous soutenons que c'est justement le cas de l'article 109.1 proposé au Code canadien, lequel a pour effet de permettre qu'on fournisse la liste et les adresses des travailleurs à distance. C'est une mesure que le CPQ ne saurait cautionner, d'autant plus que selon le rapport Sims, qui est à l'origine de ces différentes modifications, il n'y a jamais eu de preuve que l'isolement de cette clientèle lui crée une difficulté à se syndiquer. Cette difficulté pourrait facilement s'expliquer par des intérêts particuliers que les employés peuvent avoir relativement à leur éloignement.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Madame Graton, j'ai un peu de difficulté à suivre votre témoignage par rapport au mémoire que vous nous avez présenté. Suivez-vous le texte?
Mme Sylvie Graton: Non, je ne le suis pas. Le mémoire ne fait aucune mention de la situation des travailleurs à distance.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Lorsque vous abordez un nouveau sujet, il serait peut-être utile que vous nous disiez où cela se trouve dans votre mémoire.
Mme Sylvie Graton: D'accord. Certains aspects du mémoire sont très techniques, et je n'ai pas l'intention de les aborder cet après-midi, sauf si vous me posez des questions à ce sujet.
Pour ce qui est du mémoire, la première partie de ce dont j'ai parlé se trouve à la page 3, à la disposition sur la prorogation de délais. Je ne parlerai pas cet après-midi des autres aspects, dont l'accréditation. J'ai l'intention de passer maintenant à la page sur les pratiques déloyales, c'est-à-dire à la dernière page de la version anglaise.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Je vous signale également que vous disposez d'une demi-heure pour votre témoignage, ce qui comprend toutes les questions et observations en plus de votre exposé.
Mme Sylvie Graton: Je croyais avoir 15 minutes.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Vous pouvez faire un exposé de 15 minutes et garder 15 minutes pour répondre aux questions. Je ne savais pas si on vous avait informée du fait que vous disposez en tout d'une demi-heure.
Mme Sylvie Graton: D'accord.
Notre dernière observation porte sur les pratiques déloyales.
[Français]
Donc, à propos des plaintes portant sur des pratiques déloyales, j'aimerais attirer votre attention sur l'article 99.1 proposé. Je vous le lis rapidement pour qu'on soit en mesure de comprendre la recommandation du CPQ.
-
99.1 Le Conseil est autorisé à accorder l'accréditation
même sans preuve de l'appui de la majorité des employés
de l'unité si l'employeur a contrevenu à l'article
94...
C'est celui qui traite des plaintes de pratique déloyale.
-
...dans des circonstances telles que le Conseil est d'avis
que, n'eût été la pratique déloyale ayant donné lieu à
la contravention, le syndicat aurait vraisemblablement
obtenu l'appui de la majorité des employés de l'unité.
Vous voyez le grand impact qu'aurait cette disposition, selon le CPQ. Elle permet, en fin de compte, d'émettre une accréditation alors qu'il n'y a pas de preuve de la volonté des salariés. Le texte le dit lui-même: «même sans preuve de l'appui de la majorité des employés».
Si vous me le permettez, je vais prendre une minute pour situer le contexte dans lequel une telle disposition pourrait être appliquée. Il y a, bien sûr, à l'origine, le dépôt d'une requête en accréditation. À l'appui de cette requête en accréditation, il y a toujours une preuve de représentation. Par exemple, s'il n'y a pas 35 p. 100 d'adhésion des salariés, cela entraîne habituellement le rejet de l'accréditation. Si, par contre, on a entre 35 et 50 p. 100 d'appui, on prend le vote. Si le vote va à l'encontre de la mise sur pied du syndicat, pour que s'applique l'article 99.1 proposé, il faudra qu'une plainte de pratique déloyale ait été déposée simultanément. Il faudra qu'il y ait eu des comportements déloyaux de la part de l'employeur et qu'ils soient prouvés. Certains ont beaucoup d'imagination à cet égard. Le Conseil conclurait donc que les gestes posés par l'employeur ont été tels que c'est ce qui a empêché le syndicat d'augmenter le nombre de ses membres ou a entraîné le vote négatif.
La solution proposée par le projet de loi, à l'article 99.1 proposé, dans des situations comme celle-là, alors qu'il n'y a aucune preuve de la volonté majoritaire des salariés de se syndiquer, est d'accréditer quand même le syndicat. On pourrait même dire que dans un cas comme celui-là, non seulement il n'y a pas de preuve, mais la preuve observable va même dans le sens contraire.
Ce que le CPQ propose, c'est qu'au lieu de donner au Conseil le pouvoir d'accréditer directement, on lui donne le pouvoir d'ordonner la prise d'un vote. Ce vote serait pris dans des circonstances que le Conseil pourrait encadrer par le biais de ses différents pouvoirs d'ordonnance. Ce vote permettrait la libre expression de la volonté des salariés.
Il nous apparaît extrêmement difficile que le Conseil puisse se prononcer sur ce qu'aurait été la situation, n'eût été la pratique déloyale. Je pense également que cela va contre l'économie générale du Code qui est, bien sûr, d'accorder de vastes pouvoirs à un agent accrédité, mais seulement dans la mesure où l'intention majoritaire des employés a été démontrée.
Dans ce contexte, il nous paraît important que, pour l'ensemble des parties concernées, les employeurs mais aussi les syndiqués, les salariés et le syndicat, de donner à l'accréditation une légitimité qu'elle n'aurait pas si une décision arbitraire du Conseil était rendue. Cette situation pourrait facilement conduire à des conflits, sachant qu'après ils devront négocier une convention collective. C'est le cas typique où la convention collective serait finalement imposée au lieu d'être négociée.
Pour que l'accréditation ait de la crédibilité, nous vous suggérons que l'employeur puisse être vraiment convaincu, grâce à un vote, que c'était le désir de ses employés. Cela jouerait aussi en faveur de l'intention du législateur. Rappelons que l'intention recherchée par le Code n'est pas de favoriser à tout prix la syndicalisation, mais plutôt de reconnaître le droit des employés de se syndiquer tout en fournissant un encadrement qui permette de saines relations de travail.
Ce sont les commentaires que le CPQ voulait vous présenter.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci beaucoup.
M. Johnston posera les premières questions.
M. Dale Johnston: Merci, madame la présidente.
Je vous remercie de votre exposé, madame Graton. Vous avez indiqué qu'il vous est parfois difficile de protéger la vie privée des employés. Je suppose que ce dont vous parliez, c'est le fait que les employeurs peuvent fournir aux organisateurs syndicaux tous les noms et adresses des travailleurs à distance. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
Mme Sylvie Graton: Dans le cas des travailleurs à distance, le problème vient surtout de ce que les noms et les adresses de ces travailleurs peuvent être fournis à un syndicat. Mais du point de vue technique, nous connaissons très bien les changements qui ont été apportés au projet de loi C-66 pour produire le projet de loi C-19. La protection de ces renseignements personnels se trouve confirmée dans le nouveau projet de loi. Notre principal préoccupation à ce sujet réside surtout dans le principe... Le CPQ estime qu'il n'est pas du tout nécessaire de fournir les noms et les adresses des travailleurs au syndicat.
M. Dale Johnston: Si ce n'est pas du tout nécessaire, je ne vois pas comment le syndicat pourrait communiquer avec les employés.
Mme Sylvie Graton: Je ne suis pas en mesure de donner des trucs au syndicat à cet égard. Je crois toutefois...
M. Robert Nault: Je vais vous l'expliquer, Dale.
M. Dale Johnston: Non. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet. Vous avez dit que vous étiez préoccupés par l'absence de consentement des employés. Comment le projet de loi pourrait-il être modifié afin de répondre à cette préoccupation?
Mme Sylvie Graton: Malheureusement, le CPQ estime que cet article ne devrait pas être modifié. L'article 109 existe déjà; ce qui est nouveau, c'est l'article 109.1 proposé. Dans le cas de ce dernier article, le CPQ ne voit pas très bien comment en effet le processus pourra être mis en place, mais lorsqu'il le sera nous n'aurons pas de modification à proposer.
M. Dale Johnston: D'accord. Merci.
Au sujet des mécanismes de règlement des différends, comment ces mécanismes pourraient-ils être utilisés lorsqu'il n'existe pas de services de rechange, comme c'est souvent le cas dans les milieux de travail régis par le gouvernement fédéral? Dans ces cas, une grève peut avoir des effets dévastateurs pour l'économie, puisqu'il n'existe pas de solution de rechange à ces services. Avez-vous réfléchi à la façon dont ces mécanismes de règlement des différends pourraient être utilisés?
Mme Sylvie Graton: Non. Le CPQ n'a pas d'opinion précise à ce sujet. Il y a bien sûr les dispositions contre les briseurs de grève, qui ont déjà été discutées dans des consultations précédentes, mais je n'ai pas d'argument à faire valoir aujourd'hui à ce sujet.
M. Dale Johnston: Certains nous ont dit, au sujet de la loi interdisant le recours aux travailleurs de remplacement, qu'une interdiction totale du recours à ces travailleurs permettrait d'avoir des grèves plus brèves et plus pacifiques. Quelle est votre opinion à ce sujet?
Mme Sylvie Graton: Le CPQ s'est toujours opposé à une telle conclusion. Pour nous, il n'existe absolument aucun lien entre les dispositions interdisant le recours aux briseurs de grève et le caractère pacifique des relations de travail ou des conflits de travail. Il n'existe aucune preuve de cela au Québec, où une telle disposition est appliquée depuis longtemps. Il y a trop d'autres aspects dont il faut tenir compte, et nous nous opposons donc à des conclusions de ce genre. Par le passé, le CPQ a toujours estimé que les dispositions de ce genre limitent le droit de l'employeur de faire fonctionner son entreprise et de répondre au droit de grève des employés. Nous estimons que l'employeur s'en trouve lésé.
M. Dale Johnston: Comme d'habitude, je manque de temps juste comme j'arrive au coeur du sujet.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): M. Martin prendra peut-être le relais là où vous terminez...
M. Dale Johnston: J'ai l'impression qu'il le fera.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): ...mais peut-être vers une autre direction.
M. Pat Martin (Winnipeg-Centre, NPD): Merci, madame la présidente.
Vous avez dit que les syndicats font souvent preuve de beaucoup d'imagination dans leurs allégations de pratiques déloyales. Vous avez dit ensuite que le conseil devrait avoir le pouvoir d'exiger un vote, plutôt que d'accorder une accréditation automatique, si le syndicat qui fait la demande est en mesure de prouver l'existence de ces pratiques déloyales.
D'après mon expérience, les pratiques déloyales ont bel et bien cours durant les campagnes d'organisation. Pour intimider les travailleurs, on les menace soit de les renvoyer, soit de fermer l'usine.
Vous avez dit que le conseil devrait exiger un vote. Pour ma part, j'estime que si on accorde une accréditation automatique, c'est parce que de telles mesures de coercition sont exercées et qu'il n'est pas possible de déterminer ce que veulent vraiment les employés. Le processus se trouve vicié par l'ingérence de l'employeur, ou alors cette ingérence est si grave qu'il serait impossible de déterminer ce que veulent vraiment les employés en tenant un vote, immédiatement ou six mois plus tard. Je m'oppose tout à fait à votre position à ce sujet.
Vous avez déclaré que votre but est d'établir un équilibre, mais l'objectif de cette mesure est de reconnaître le déséquilibre qui existe dans les relations de pouvoir entre l'employeur et les employés. Voilà quel est l'objectif de ce projet de loi: réduire au minimum un déséquilibre qui a toujours existé.
Pour ce qui est du recours aux briseurs de grève, les gens nous ont présenté ici des témoignages dans lesquels ils comparaient le règne de Duplessis, au Québec—il n'existait pas alors de telles mesures de protection, il y avait des grèves prolongées et violentes, et des travailleurs ont été blessés, ou même tués, en fait, sur les lignes de piquetage—et la situation actuelle, dont j'ai une expérience personnelle. J'ai joint les rangs des travailleurs de mon syndicat qui étaient en grève au Québec, et il n'y avait pas de ligne de piquetage. J'ai demandé où je pouvais me procurer mon piquet pour me joindre à la ligne de piquetage, mais il n'y avait pas de ligne de piquetage, puisque ce n'était pas nécessaire. Les travailleurs ne craignaient pas que des briseurs de grève viennent prendre leur emploi.
Je m'oppose totalement à ce que vous avez dit. Vous laissez entendre qu'il n'existe pas de preuve empirique démontrant la diminution de la violence sur les piquets de grève et la réduction du nombre de jours de travail perdus en raison de grèves et de lock-out, comparativement au bon vieux temps, à la période de violence au Québec. Je m'oppose à bon nombre de vos déclarations. Si vous avez suffisamment de temps, vous pouvez répondre. Je n'ai pas vraiment de questions à poser.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci.
Voulez-vous répondre, madame Graton?
Mme Sylvie Graton: Je respecte votre opinion. Je n'ai pas eu l'occasion d'entendre les gens qui ont exprimé des opinions contraires. Comme je vous l'ai dit, la position du CPQ à ce sujet est très claire. Même s'il est vrai que certains conflits de travail au Québec sont moins violents, je ne peux pas faire de lien direct entre cela et l'interdiction du recours aux briseurs de grève. C'est une question d'opinion, et je n'ai pas de réponse précise à ce sujet.
Pour ce qui est du vote, d'un point de vue plus technique, je comprends clairement dans quel contexte le conseil pourrait décider d'accorder une accréditation automatique, mais il existe à mon avis d'autres façons pour le conseil de réagir aux pratiques déloyales. Après un certain délai, six mois par exemple, il serait possible de prendre certaines mesures qui permettraient aux employés d'exprimer leur opinion à l'égard de l'accréditation.
M. Pat Martin: Vous recommandez donc que soit stipulé un délai fixe entre le moment où l'on allègue des pratiques déloyales et celui où l'on exige le vote?
Mme Sylvie Graton: Non, mais vous avez parlé de six mois.
M. Pat Martin: Oui, c'est ce que j'ai dit, mais avez-vous mentionné un échéancier dans votre exposé, ou en recommandez-vous un?
Mme Sylvie Graton: Non, il n'y a pas d'échéancier. C'est le conseil qui devrait en décider, car tout cela dépend des circonstances.
M. Pat Martin: Mais après six mois ou un an, les employés pourraient déposer une demande de désaccréditation. S'ils ne veulent pas être représentés par le syndicat, rien ne les empêche de se désaccréditer.
Mme Sylvie Graton: Oui, mais à ce moment-là ils ne sont pas accrédités du tout.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci, monsieur Martin.
Madame Chamberlain.
Mme Brenda Chamberlain (Guelph—Wellington, Lib.): Ma question est dans la même veine que celle de M. Martin. Elle porte sur le pouvoir d'exiger un vote, au lieu d'accorder une accréditation automatique.
Supposez que vous êtes une employée. Si votre employeur veut vous intimider, il peut vous menacer de vous renvoyer, de réduire votre salaire ou de vous affecter au quart de nuit, plutôt qu'au quart de jour, comme c'est le cas depuis 15 ans. Les employeurs peuvent faire toutes sortes de choses qui peuvent bouleverser la vie des gens.
C'est l'orientation que veut adopter le gouvernement—et c'est très clair. Si l'on peut prouver qu'il y a eu pratiques déloyales, il est possible d'utiliser un mécanisme d'accréditation si c'est justifié, et seulement si c'est justifié. C'est là l'important. Ce que le gouvernement veut, c'est ajouter à cette mesure législative une dose d'équité qui n'existait pas nécessairement.
Vous avez dit qu'il était possible d'avoir de nouveau recours au conseil, qu'on pourrait prévoir un délai, mais dans les faits, lorsque les travailleurs font l'objet de tactiques d'intimidation, qu'ils sont menacés de renvoi, ils se taisent et baissent les bras.
Mme Sylvie Graton: Oui, mais à ce moment-là le conseil a normalement reconnu qu'il y a eu pratiques déloyales et a imposé les sanctions nécessaires. Je ne prétends pas que cela n'a aucune répercussion, mais il existe des sanctions très précises. Le conseil peut rendre une décision dans laquelle il réaffirme les droits des employés. Mais après cela—et je crois que c'est également la position du CPQ—ce n'est pas parce que des pratiques déloyales ont pu influencer les employés—je sais que cela peut se faire dans certains cas—que nous devons supposer que ces employés veulent, en majorité, être accrédités. Car rien ne peut fonder une telle conclusion. Les employés doivent pouvoir décider librement de ce qu'ils veulent.
Bien sûr, si la majorité des employés veulent être accrédités, nous devons respecter leur décision. Mais on ne peut pas conclure qu'une majorité des employés voudront être accrédités parce qu'il y a eu pratiques déloyales...
Mme Brenda Chamberlain: Idéalement, si l'on pouvait faire abstraction de ce facteur d'intimidation et obtenir un vote sincère... mais lorsque des menaces ont été proférées, il est très difficile d'en faire fi six mois ou un an plus tard.
Mme Sylvie Graton: J'ai déjà vu de tels cas dans l'exercice de ma profession, et j'estime que c'est la meilleure façon d'atteindre les objectifs fixés dans le code.
Mme Brenda Chamberlain: Merci.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci, madame Chamberlain.
Monsieur Rocheleau, avez-vous des questions à poser?
[Français]
M. Yves Rocheleau: Je suis surpris que vous ne vous inspiriez pas davantage de l'expérience québécoise, compte tenu que depuis 1977, en termes de travailleurs de remplacement, on a la paix sociale au Québec, et que le Conseil du patronat prenne ses distances, lui qui, historiquement, a obtenu un verdict positif de la part de la Cour suprême dans une démarche pour contester cette loi, mais a jugé bon, compte tenu de la paix sociale régnant au Québec, de ne pas poursuivre la démarche pour ne pas déranger et peut-être parce qu'il était bien conseillé par le premier ministre Bourassa à l'époque.
Pourquoi n'êtes-vous pas plus audacieux aujourd'hui et ne conseillez-vous pas au gouvernement canadien d'aller dans le sens du Québec?
Me Sylvie Graton: Je vous dirai, monsieur Rocheleau, de faire attention parce que vous risquez de nous redonner des idées d'aller contester auprès de la Cour suprême.
M. Yves Rocheleau: Il n'y a pas de problème.
Me Sylvie Graton: Je veux simplement préciser que des mémoires avaient été déposés par le Conseil du patronat lors des consultations antérieures. Je fais allusion à un mémoire de novembre 1995 qui avait été déposé auprès des membres de la commission Sims. Je pourrais en transmettre une copie aux membres du comité si cela vous intéresse.
Le litige qu'il avait porté auprès de la Cour suprême portait essentiellement sur son statut d'association d'employeurs et son droit de contester ces dispositions-là. Quand la Cour suprême s'est prononcée, le Conseil a décidé de ne pas refaire le débat de fond pour diverses considérations. Je ne suis pas prête à dire qu'il faut en déduire que nous appuyons les dispositions antibriseurs de grève, pas du tout.
• 1630
Maintenant, dans ce contexte, comme je vous l'ai dit,
nous nous sommes toujours opposés aux dispositions antibriseurs
de grève, notamment parce que nous jugeons que sur
le plan factuel, on ne peut tirer de conclusion, parce
que ni la nature ni le nombre de
conflits n'ont changé. J'ai abordé ce sujet avec M. Martin
tout à l'heure. Il y a un déséquilibre au niveau
des relations entre le syndicat et les employés, ce qui
va contre l'économie générale des relations de
travail dans l'industrie.
Je pense que le CPQ s'est toujours opposé à ces dispositions. Quant à nous, l'expérience du Québec ne milite pas en faveur de l'adoption de telles mesures.
M. Yves Rocheleau: Vous avez le fardeau de la preuve.
Me Sylvie Graton: Écoutez, je réitère une position...
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci, monsieur Rocheleau. Merci également, madame Graton.
Il ne semble pas y avoir d'autres questions. Merci de votre témoignage.
Mme Sylvie Graton: Merci.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): J'invite maintenant les représentants des travailleurs et travailleuses du Québec...
M. Dale Johnston: Cela perd de son charme en anglais, n'est-ce pas?
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Oui, je sais. En anglais, nous ne parlons pas de travailleuses; il n'y a que des travailleurs. Pourtant, nous avons des serveurs et des serveuses dans les restaurants.
Mesdames et messieurs, permettez-moi de vous présenter les représentants de la FTQ, M. Denis Courteau, directeur régional, M. Émile Vallée et M. Jean-Pierre Néron.
Je ne sais pas lequel d'entre vous prendra le premier la parole. Monsieur Courteau? Allez-y.
[Français]
M. Denis Courteau (vice-président, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec; directeur régional pour le Québec, Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes): Merci, madame la présidente. Merci à tous les assistants et assistantes, ainsi qu'à tous les députés représentant le gouvernement et tous les autres partis ici présents.
Nous ferons aujourd'hui une présentation verbale. Nous n'avons préparé aucun document écrit. Notre présentation se divisera en trois parties. La première sera présentée par M. Émile Vallée, conseiller politique à la FTQ, la deuxième partie par Jean-Pierre Néron, conseiller juridique de la FTQ, et je terminerai en parlant des travailleurs de remplacement à la toute fin de l'exposé.
Je cède maintenant la parole à Émile Vallée.
M. Émile Vallée (conseiller politique, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec): Madame la présidente, la FTQ a quelque 480 000 membres au Québec. C'est la plus grosse centrale. Quelque 60 000 de ses membres travailleurs sont couverts par le Code canadien du travail.
La FTQ fait partie de la famille du CTC, le Congrès du travail du Canada, dont vous avez déjà entendu parler. Nous regroupons au Québec les membres des syndicats qui sont affiliés au CTC. Le président de la FTQ siège à l'exécutif du CTC et, en vertu d'une entente entre les deux centrales, la FTQ est de fait le CTC au Québec.
La FTQ a suivi depuis le début la démarche qui a mené au projet de loi C-19. Nous avons participé aux travaux du groupe de travail conjoint CTC-ETCOF et présenté un mémoire au groupe de travail Sims, et nous sommes venus appuyer les grandes lignes du projet de loi C-66 l'an dernier. L'été dernier, nous avons même demandé précisément au ministre du Travail, après sa nomination, de déposer de nouveau le projet de loi C-66, qui est maintenant le projet de loi C-19.
• 1635
Tout ce préambule, madame, vise à vous laisser savoir
que la FTQ est une participante très intéressée au processus
et qu'elle espère qu'après avoir tenu
compte de nos quelques commentaires
sur certains aspects du projet de loi, votre comité en
recommandera l'adoption par la Chambre.
Le projet de loi représente un progrès réel dans le
domaine des relations de travail régies par le Code canadien
et nous souhaitons qu'il soit adopté. Jean-Pierre.
M. Jean-Pierre Néron (conseiller juridique, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec): Madame la présidente, il y a effectivement des dispositions dans le projet de loi à l'étude qui nous intéressent vivement et qu'on souhaite voir adoptées rapidement.
Premièrement, je parlerai du Conseil. La FTQ réclame depuis de nombreuses années la disposition qui fera en sorte que nous aurons désormais un conseil représentatif. Naturellement, être représentatif signifie qu'on a les employeurs d'un côté et les employés de l'autre. Ça nous va très, très bien.
Nous souhaitons que ce conseil représentatif soit aussi représentatif des régions, c'est-à-dire qu'on tienne compte des différentes régions du Canada, ainsi que de la composition hommes et femmes. Ce sont tous des aspects à l'égard desquels nous souhaitons que ce projet de loi soit adopté.
Cependant, je ferai une petite remarque. Au paragraphe 10(2), on dit que le ministre va nommer les membres autres que le président et les vice-présidents après consultation auprès des organisations. On aurait souhaité, comme on l'a déjà soulevé dans d'autres mémoires, que les nominations soient faites à partir de listes fournies par les associations. Cela dit, nous saluons l'ouverture qu'il y a et la création d'un conseil représentatif.
On constate tout au long du projet de loi que ce conseil aura des pouvoirs accrus, y compris pour régler et corriger les injustices qui auront pu survenir au cours des relations de travail. Ici, on pense tout particulièrement au pouvoir d'accréditer en cas de pratique déloyale dont fait état l'article 99.1. proposé. Dans ce sens-là, on appuie le principe qui est exprimé à cet article.
Cependant, nous formulons une première remarque. On voudrait que revienne à l'employeur fautif le fardeau de prouver que sa conduite n'a pas eu d'effet sur la campagne de syndicalisation, et non au syndicat de démontrer que, n'eût été les pratiques déloyales, il aurait eu une majorité.
Pourquoi est-ce important? C'est parce que dès qu'il y a pratique déloyale, contrairement à ce que vous disait l'intervenante du CPQ, qui vous proposait d'ordonner un vote dans un tel cas, nous pensons que le mal est fait et que c'est fini. On pourrait peut-être avoir un vote, mais comme en convenaient tout à l'heure des députés, lorsqu'on a été menacé de perdre son emploi, le dommage est fait et c'est fini. On n'a plus les conditions réelles dans lesquelles les gens sont libres de choisir librement un syndicat.
C'est pourquoi il faut corriger cette injustice et envoyer aux employeurs un message clair pour leur dire que ce genre de pratiques n'est pas toléré au Canada. Nous croyons que la liberté des gens doit primer et qu'ils doivent être libres de faire des choix. S'ils choisissent de ne pas avoir de syndicat, on est d'accord sur ça, mais on ne veut pas d'ingérence et de pratiques déloyales, et ça doit être très, très clair. Cela dit, cette demande a été faite par plusieurs autres syndicats, entre autres les Travailleurs canadiens de l'automobile.
Nous voulons que ce conseil représentatif soit suffisamment flexible et, à mon avis, ce projet de loi nous donne cette flexibilité. Par exemple, bien qu'on ait des bancs de trois personnes, à un moment donné, le président ou le vice-président pourra siéger tout seul. On pense que ces pratiques sont de nature à accélérer le processus et contribueront à ce que nous ayons un conseil qui soit vraiment souple.
Ce conseil doit aussi pouvoir s'adapter à une société qui est en mouvement, qui change, où les formes d'organisation de travail changent. L'article 109.1 proposé traite de l'accès aux employés et des communications avec les travailleurs à distance. Là aussi, nous sommes en désaccord avec les intervenants précédents.
• 1640
Il est nécessaire, si on veut que ces gens-là
aient réellement la possibilité de se syndiquer,
de pouvoir les rejoindre. Nous approuvons
les amendements qui ont été apportés dans les projets
de loi C-66 et C-19 et qui ont permis d'encadrer
certaines dispositions servant à protéger la vie privée
de ces gens. C'est une notion très
importante dans notre société et nous y souscrivons,
mais on doit aussi pouvoir communiquer avec ces
gens afin de pouvoir les aider à se syndiquer. C'est
un élément pertinent de
ce projet de loi.
Avant de passer au problème des travailleurs de remplacement, je voudrais dire que l'article 44 constitue un plus puisqu'il prévoit que des entreprises sous juridiction provinciale peuvent être couvertes par le nouveau Code canadien. C'est ce qu'on appelle les droits de succession.
En revanche, il reste une grande partie des travailleurs et des travailleuses sous juridiction fédérale, c'est-à-dire tous les travailleurs et travailleuses qui sont régis par la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, qui ne sont pas couverts. Si jamais ces gens-là passent sous l'empire Code canadien, il y aura un vide juridique. C'est déjà arrivé dans le passé. À ce moment-là, il faudra refaire signer les cartes et renégocier des ententes. C'est un élément de ce projet de loi qui nous déçoit un peu. Vous avez fait une ouverture pour les provinces en disant que vous leur donneriez une protection si elles venaient se mettre sous le Code canadien et vous ne l'avez pas fait pour votre propre juridiction. Je trouve un peu bizarre que ça ne soit pas là.
Ce sont les remarques que nous voulions faire. On va maintenant passer à la question des travailleurs de remplacement.
Merci.
M. Denis Courteau: Madame la présidente, je voudrais préciser tout d'abord qu'en plus d'être vice-président de la FTQ, je suis directeur national du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes. Je suis donc très bien placé pour vous parler des travailleurs de remplacement puisque j'ai vécu cette situation à trois reprises, à savoir deux fois en 1987 et la dernière fois en 1991.
Nous pensons, à la FTQ, qu'il est très malheureux qu'on n'ait inclus aucune disposition sur le non-recours aux travailleurs de remplacement. Prenons l'exemple de l'expérience du Québec depuis 1977. On a réussi à civiliser des conflits entre deux parties. Le mot «civiliser» peut vous sembler bizarre, mais c'est bien le terme qu'il faut employer. Je voudrais aussi vous faire remarquer que, bien que cela existe au Québec depuis 20 ans et bien qu'il y ait eu des changements de gouvernement, personne du côté de l'employeur n'a, jusqu'à aujourd'hui, demandé à ce que l'on abroge la loi au Québec.
Il est clair que lorsque l'on permet le recrutement de travailleurs de remplacement, on introduit un tiers dans un règlement entre deux parties. Je tiens d'abord à faire remarquer qu'il n'y a pas seulement le syndicat qui est en cause. Je me reporte à mon expérience personnelle, mais vous pouvez aussi vous renseigner auprès des chômeurs qui ont été menacés de perdre leur assurance-chômage s'ils n'acceptaient pas de servir de scabs lors de conflits de travail.
Si on compare les grèves au cours desquelles on a eu recours à des travailleurs de remplacement et celles au cours desquelles on n'y a pas eu recours, on constate qu'il y a beaucoup de violence lorsqu'il y a des travailleurs de remplacement et qu'il n'y en a pratiquement pas quand il n'y a pas de travailleurs de remplacement.
Pendant la dernière grève des Postes, bien qu'elle ait été dure, il n'y a pas eu de travailleurs de remplacement et il n'y a pas eu de violence. Il y avait quand même un certain désir de retour au travail et, même s'il fallait se plier à la loi, un respect mutuel entre les parties était visible. Cela n'a pas été le cas lorsqu'on a recruté des travailleurs de remplacement. Les relations de travail ont été plus difficiles et cela a pris des années avant de pouvoir ramener la paix sociale entre l'employeur et le syndicat et surtout les employés.
Il y a aussi le principe du rapport de force. Vous savez que Postes Canada est une grosse entreprise où il y a beaucoup d'employés. Mais il y a aussi beaucoup de petites entreprises au Canada. Si vous donnez aux petites entreprises la possibilité de remplacer des travailleurs, vous allez faire disparaître un rapport de force. Les employés n'auront plus aucun moyen de se défendre contre leur employeur.
Si on prend l'exemple du Québec, on ne peut reconnaître à cette loi aucun avantage envers les syndiqués. Si vous regardez les salaires ou les avantages, vous verrez que cette loi n'a aucunement influé sur les conditions de travail ou les salaires.
• 1645
Tout cela n'a pas été une forme de chantage. On
pourrait plutôt dire que cela a civilisé les relations
de travail.
Pour toutes ces raisons, nous croyons qu'il devrait y avoir une réflexion sur l'inclusion du non-recours aux travailleurs de remplacement, cela dans le but de civiliser les relations de travail et de conserver, lors de conflits, un respect mutuel entre les parties. Après 20 ans, la preuve est faite au Québec qu'il est préférable de ne pas avoir de travailleurs de remplacement.
Tantôt j'entendais parler du passé, de Duplessis, etc. Dans le passé, avant 1977, il y a eu au Québec des gens tués, des bagarres, des gestes de violence, des bombes, etc. On ne voit plus cela aujourd'hui. Donc, un tel amendement aurait vraiment sa raison d'être.
Je vous remercie d'avoir accepté de nous entendre. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci beaucoup.
Monsieur Johnston, êtes-vous prêt?
M. Dale Johnston: Je laisserai mon collègue, M. Anders, entreprendre ce tour de table.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Monsieur Anders.
M. Rob Anders (Calgary-Ouest, Réf.): Je retiens deux points intéressants. Vous avez dit que c'est aux employeurs qu'il devrait revenir de prouver qu'il n'y a pas eu de pratiques déloyales. À mon avis, cela va à l'encontre de la présomption d'innocence. L'idée que l'on puisse les accuser de pratiques déloyales sans avoir à fournir de preuves et que ce soit à eux de prouver le contraire va, à mon avis, à l'encontre de certains principes fondamentaux de justice.
Deuxièmement, vous dites que l'interdiction du recours aux travailleurs de remplacement permet de rendre pacifiques les relations de travail. Cette affirmation se fonde sur le postulat que ce sont les organisateurs syndicaux qui commettent des actes de violence ou qui incitent les travailleurs à la violence lors des grèves et sur les piquets de grève. On peut en déduire que lorsqu'il y a des grèves ou des lock-out, ce sont les organisateurs syndicaux et les gens qui incitent à la violence qui sont responsables de la violence des travailleurs. À la mine de Yellowknife, par exemple, au Canada, de nombreux mineurs ont été tués par l'explosion d'une bombe—vous avez mentionné cela également, pas dans l'exemple de Yellowknife, mais dans celui de certains actes qui ont été commis au Québec. Cela indique bien, à mon avis, que le problème de la violence syndicale ne vient pas des travailleurs de remplacement, mais bien plutôt des gens qui veulent empêcher ces travailleurs d'entrer pacifiquement dans leurs lieux de travail.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Qui veut répondre à cela? M. Vallée m'a semblé prendre des notes.
M. Émile Vallée: Je ne répondrai pas à la question du fardeau de la preuve que doit assumer l'employeur sous le régime de l'article 94.1. C'est Jean-Pierre qui y répondra.
Pour ce qui est des cas de violence au Québec, lorsqu'il y a eu des actes de violence commis durant des grèves au cours des dernières années, il s'agissait de cas relevant de la compétence fédérale. Il y a eu les cas d'Ogilvie et de Robin Hood—des grèves de la CSN, dont vous avez peut-être entendu parler—et nous avons eu également des cas dans le secteur du transport aérien, chez Nationair. Aucun de ces cas ne relève de la compétence provinciale.
M. Rob Anders: C'est un peu ridicule. Si l'entreprise est fermée et qu'elle ne peut fonctionner, il ne peut pas évidemment y avoir de fiers-à-bras du syndicat à l'extérieur pour inciter les travailleurs à la violence pour cause de recours aux travailleurs de remplacement, n'est-ce pas?
M. Émile Vallée: Des fiers-à-bras—il y a deux faces à cette médaille. Ils peuvent appartenir à l'un ou l'autre camp. Il est vrai qu'à certaines occasions les syndicats ont usé de violence pour faire valoir leurs arguments. Mais dans certains cas ils l'ont fait parce qu'ils ont été provoqués par les employeurs. Lorsque les travailleurs font la grève, c'est pour faire valoir leurs arguments. C'est leur emploi qui est en jeu. Les travailleurs ne veulent pas perdre leur emploi. Mais lorsqu'un employeur a recours à des travailleurs de remplacement, à des briseurs de grève, il fait savoir aux travailleurs qu'ils ne sont pas nécessaires, qu'ils peuvent être remplacés par d'autres. Évidemment, les travailleurs réagissent. On ne peut pas s'attendre à ce que les travailleurs laissent bien sagement d'autres gens prendre leur emploi. C'est impossible.
M. Rob Anders: Mais ces emplois ne sont pas leur propriété.
M. Émile Vallée: Je ne crois pas que la violence soit attribuable uniquement aux syndicats. C'est une déclaration trop facile. Chaque cas doit être examiné sérieusement.
• 1650
Il faut voir quelle est la situation au Québec. Comme nous
l'avons dit, cette loi existe chez nous depuis 20 ans. Les
employeurs auraient pu invoquer toutes sortes de motifs pour
demander à la Cour suprême de statuer. Ils ne l'ont pas fait.
Le gouvernement qui a adopté cette loi au Québec a été défait depuis. Il y a eu d'autres gouvernements, et ces gouvernements, comme tout le monde d'ailleurs, ont estimé que cette loi, que les gens l'aiment ou non, a vraiment permis de réduire les conflits au Québec et d'apaiser les tensions entre les employeurs et les syndicats. À l'heure actuelle, il y a moins de conflits de travail et de grèves au Québec qu'il n'y en a jamais eu. Il y en a moins que dans bien d'autres provinces. On peut donc dire qu'à cet égard la loi a eu des effets bénéfiques sur les relations de travail.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci.
Monsieur Néron, pourriez-vous répondre à l'autre question?
[Français]
M. Jean-Pierre Néron: Je voudrais dire que je ne trouve pas cela injuste. Je pense que le législateur a jugé et décidé à plusieurs reprises quelle était la partie qui devait assumer le fardeau. On pense par exemple au congédiement pour cause: c'est à l'employeur de démontrer qu'il a une cause juste et suffisante. Je ne pense donc pas que cela soit injuste. Naturellement, ce qu'il faut en retenir, c'est le message que la société canadienne veut envoyer à l'ensemble, ce qui inclut tout le monde. De la même manière, on veut vous envoyer le message de «civiliser» les relations de travail. Cela va dans le sens de régler des pratiques déloyales, mais c'est aussi pour s'assurer que les travailleurs et les travailleuses ne subissent pas des torts irrémédiables. C'est un équilibre que l'on essaie d'atteindre, et je pense qu'il manque à ce projet de loi certains éléments pour obtenir le parfait équilibre recherché dans le rapport.
M. Denis Courteau: Je voudrais juste ajouter quelque chose. Il me semble voir une affirmation gratuite dans le fait d'accuser les syndiqués de violence. Personnellement, j'ai pu voir des employeurs provoquer tout simplement une ligne de piquetage dans le but de se débarrasser de certains employés qui n'étaient plus protégés. Je trouve donc un petit peu sarcastique qu'on dise qu'il y a des têtes folles d'un côté, car il y en a parfois autant de l'autre côté.
Il faut faire attention quand on parle de civiliser les règlements, les relations de travail. En fait, et c'est ce qui a été fait au Québec, il s'agit de civiliser les deux parties.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Voulez-vous poser une question, monsieur Nault?
M. Bob Nault: Merci, madame la présidente.
Pour ce qui est de prouver que l'interdiction du recours aux briseurs de grève améliore les relations de travail, il faut reconnaître, à quelque camp que l'on appartienne, que la question a déjà été débattue. Même si l'expérience québécoise des 20 dernières années montre une amélioration spectaculaire des relations de travail et une diminution de la violence, il y a encore des gens qui sont réticents et qui ne veulent pas accepter les effets bénéfiques d'une mesure qui se trouve, dans ce cas-ci, dans le Code du travail du Québec.
À votre avis, existe-t-il une façon de démontrer, autrement que par les statistiques, que cette mesure a de bons effets dans votre province, et peut-être aussi dans d'autres? C'est au Québec que l'on applique depuis le plus longtemps cette façon de régler les différends. Il y a bien sûr une mesure semblable en Saskatchewan, mais la main-d'oeuvre industrielle y est si peu nombreuse qu'il est très difficile de savoir ce quÂil en est.
Ce que nous cherchons, en fait, ce sont des arguments solides permettant de démontrer les effets bénéfiques d'une loi interdisant le recours aux briseurs de grève.
M. Denis Courteau: La Colombie-Britannique a adopté une mesure semblable il y a quelques années. Elle n'y est pas appliquée depuis aussi longtemps qu'au Québec, depuis deux ans environ, je crois.
M. Bob Nault: Cela fait trop peu de temps pour que...
M. Émile Vallée: L'Ontario a également une mesure semblable, bien sûr, mais pas depuis très longtemps. Le Québec est vraiment le seul endroit où l'on puisse vérifier les effets d'une loi semblable. Il existe sans doute des centaines de raisons pour lesquelles le climat des relations industrielles a changé de façon aussi profonde au Québec, mais un examen minutieux oblige à constater que tout cela a coïncidé avec la mise en oeuvre de cette loi. On peut prétendre que ce n'est pas le cas, mais pour nous, en tout cas, la coïncidence est intéressante.
• 1655
Nous estimons que nos relations avec les employeurs—la
négociation n'est jamais facile, bien sûr—le rapport général entre
les entreprises, les travailleurs, les syndicats, les employeurs et
les associations d'employeurs a évolué si profondément au cours des
vingt dernières années que nous pouvons maintenant régler les
problèmes et faire des recommandations au gouvernement, parfois
conjointement. Reste à voir si tout cela est attribuable à la loi
interdisant le recours aux briseurs de grève. Néanmoins, le point
tournant semble coïncider avec cette date. Que dire de plus? Le
régime est appliqué depuis 20 ans.
M. Robert Nault: L'autre changement auquel les deux camps semblent favorables, c'est la représentativité du conseil. D'après votre expérience, pourquoi croyez-vous que cela fonctionnera mieux? Je comprends les aspects régionaux de la composition du conseil, car il est très important d'avoir au sein du conseil des spécialistes des relations de travail qui connaissent bien les régions, et même les secteurs. Par exemple, lorsqu'il s'agit de régler des différends dans le secteur du transport ferroviaire ou du transport aérien, il est logique qu'il y ait, au sein du conseil, quelqu'un qui s'y connaisse en transport.
Toute cette question de la représentativité du conseil, dans les relations entre les travailleurs et les employeurs... Je suis, je suppose, l'un de ceux qui craignent un peu cela, puisque les choses allaient très bien auparavant au niveau fédéral, du moins jusqu'à l'arrivée de M. Weatherall. Maintenant, bien sûr, les choses sont structurées différemment.
Ne craignez-vous pas qu'il y ait une polarisation des employeurs et des travailleurs? Il y aura bien sûr d'autres gens qui seront neutres dans une certaine mesure. Mais auparavant les membres du conseil étaient tous censés être neutres et étudier les dossiers pour ce qu'ils étaient. Ne craignez-vous pas qu'un gouvernement auquel vous vous opposeriez puisse, plus tard, composer le conseil de façon à nuire à son efficacité? Je pense plus particulièrement au gouvernement Harris, mais c'est une longue histoire, et nous n'avons pas le temps de la raconter.
[Français]
M. Jean-Pierre Néron: À la FTQ, nous avons eu l'occasion d'expérimenter sur plusieurs conseils la participation des employeurs et des employés, que ce soit sur les commissions de travail ou les commissions consultatives. On ne peut pas dire que cela ne fonctionne pas.
À notre avis, tout ce qui est du domaine des relations de travail doit se discuter entre les employeurs et les employés. Je ne pense pas qu'on puisse dire que l'on veut des gens neutres parce que, justement, ce n'est plus cela que nous voulons. Nous voulons avoir des gens qui ont été formés, qui ont un background en relations de travail, en négociation, etc. Ils doivent venir de ces milieux et on pense que c'est comme cela que les choses doivent fonctionner.
Tout à l'heure, Émile parlait du climat qui existe au Québec. Il est vrai qu'il est difficile de mettre le doigt sur quelque chose de précis et de dire que c'est cette loi-là qui a tout changé. Mais nous pouvons vous dire que les employeurs et les représentants des travailleurs se parlent au Québec. Ce climat n'existe peut-être pas ailleurs, dans les autres provinces, mais il existe au Québec. Cela explique certainement que tous ces conflits aient pu être évités.
Quand vous avez des morts sur une ligne de piquetage, il est bien difficile de retraverser la ligne et d'aller serrer la main des autres personnes. Toutes ces choses-là ont été nettoyées, et je pense que c'est un bon départ pour avoir de meilleures relations.
M. Émile Vallée: Des conseils représentatifs existent dans la plupart des juridictions au Canada et, à ma connaissance, les employeurs et les syndicats sont tout à fait satisfaits de cette formule. Cela me fait penser qu'au Québec, nous n'avons pas de conseil représentatif.
Au Québec, en vertu du Code québécois, nous avons ce qu'on appelle des commissaires du travail. On réfléchit sérieusement, à la FTQ, sur le fait de demander des conseils représentatifs comme on en a en Ontario, au Nouveau-Brunswick, en Colombie-Britannique et partout ailleurs.
• 1700
Nous pensons que nous aurions ainsi un sens
d'urgence qui nous permettrait de régler les
problèmes plus facilement et d'avoir une
compréhension plus rapide et plus directe
des problèmes à régler. Je pense que cela vaut la
peine d'être expérimenté puisque cela réussit
ailleurs.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci, monsieur Nault.
Monsieur Rocheleau.
[Français]
M. Yves Rocheleau: J'aimerais d'abord féliciter les trois témoins pour leur témoignage éloquent.
Je voudrais ensuite faire une remarque. Quand on parle de la violence syndicale en présence de scabs, il faut peut-être se rappeler certains conflits. Pensons à celui de United Aircraft, qui est devenu Pratt & Whitney. Pensons aussi à celui dont on parle peu, c'est-à-dire Murray Hill, où j'ai vu des gens armés sur le toit tirer sur les grévistes en bas.
Je ne pense pas qu'on puisse parler de violence syndicale. La violence découle malheureusement d'un conflit de travail mal géré comme on en a vu autrefois au Québec.
J'aurais une question concernant les travailleurs de remplacement. Je ne sais pas si vous êtes conscients qu'entre le projet de loi C-66 et le projet de loi C-19, le gouvernement a renforcé et même compliqué le fardeau de la preuve de la partie syndicale. C'est mon avis et j'aimerais avoir opinion sur la partie qui dit:
-
...dans le but établi de
miner la capacité de représenter plutôt que pour
atteindre des objectifs légitimes de négociation...
Qu'est-ce qui inspire le gouvernement? D'où viennent les pressions? Comment concilier cet article avec l'appui global que vous donnez à ce projet de loi? J'aimerais qu'on m'éclaire sur la position de la FTQ.
M. Émile Vallée: Il est vrai que la mesure proposée rend la situation plus difficile. On pense que ça va rendre plus facile l'utilisation de travailleurs de remplacement. On n'a pas voulu faire de commentaires sur la disposition elle-même étant donné qu'on demande une nouvelle rédaction de l'article afin d'empêcher le recrutement des travailleurs de remplacement. Je reconnais que si on considère cet article plus froidement, on voit bien que ce sera plus difficile.
Comment pouvons-nous concilier cela avec l'appui que nous donnons au projet de loi? Il est exact que nous aimerions avoir une loi antiscabs comme celle du Québec pour que nos membres qui sont sous juridiction fédérale soient sur le même pied que les autres travailleurs au Québec. Mais, de façon générale, quand on regarde l'ensemble du projet de loi, on constate que cela représente quand même un progrès pour les raisons mentionnées par Jean-Pierre, qui sont la la composition du conseil, et la mise sur pied de procédures de médiation et de conciliation plus flexibles et mieux adaptées à la situation d'aujourd'hui.
En ce qui concerne les travailleurs à domicile, nous pensons que le projet de loi dans son ensemble représente vraiment un progrès par rapport à ce qui existe actuellement et mérite d'être appuyé même s'il ne comporte pas les mesures antiscabs qu'on demande.
M. Denis Courteau: Nous ne voulons pas être obligés de faire des commentaires sur un problème qui, à notre avis, ne devrait pas exister. Est-ce que vous comprenez notre position?
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci.
Permettez-moi de poser également une question, qui ne nécessite pas une longue réponse. Monsieur Vallée, vous avez dit qu'il y a eu une diminution des conflits de travail depuis l'interdiction du recours aux travailleurs de remplacement. Votre organisme possède-t-il des statistiques, peut-être sous forme de tableau, quant au nombre annuel de grèves des années antérieures, comparativement à aujourd'hui?
M. Émile Vallée: Je n'ai pas ces statistiques avec moi, madame, mais nous pourrons vous les fournir.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Je me demandais si ce serait possible.
M. Émile Vallée: Les chiffres existent, bien sûr. Ces statistiques sont produites par le ministère du Travail. Elles illustrent le climat de travail au Québec et montrent que le nombre des grèves a diminué de façon spectaculaire. Le nombre des grèves au Québec était auparavant supérieur à la moyenne canadienne, et il est maintenant inférieur à cette moyenne.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Oui, j'ai compris cela dans votre exposé, mais j'aimerais savoir si vous pourriez nous faire parvenir un tableau qui illustre ces chiffres.
M. Émile Vallée: Oui, nous vous ferons parvenir ces données.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Vous avez également signalé qu'il y avait moins d'interruptions de travail au Québec que dans les autres régions. Pourriez-vous nous faire parvenir le tableau pertinent?
M. Émile Vallée: Certainement.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci beaucoup.
Monsieur Martin.
M. Pat Martin: Je m'intéresse plus particulièrement aux commentaires que vous avez faits sur le fardeau de la preuve. Jean-Pierre disait que c'est l'employeur qui devait assumer ce fardeau dans les cas d'accréditation automatique. Moi je pense, et dites-moi ce que vous en pensez, qu'on devrait renverser cette responsabilité et l'imposer à l'employeur en ce qui a trait aux briseurs de grève.
• 1705
En vertu du libellé actuel de la loi, les employés doivent
démontrer que l'employeur a eu recours à des briseurs de grève
simplement pour miner la position du syndicat à l'égard des droits
de négociation. Mais je me demande comment on peut savoir ce que
voulait accomplir l'employeur. Comment les travailleurs peuvent-ils
démontrer quelles sont les vraies intentions de l'employeur? Qu'en
pensez-vous?
De plus, il y a la question des affaires entendues par un seul intervenant. Convenez-vous que cela permettrait peut-être d'éliminer dans une certaine mesure les arriérés de demandes d'accréditation? Croyez-vous que dans certaines circonstances on pourrait demander à un seul président, par opposition à la formation, d'entendre une affaire?
Je ne poserai pas d'autres questions, parce que je sais que le temps file.
[Français]
M. Jean-Pierre Néron: Concernant les travailleurs de remplacement et la question de savoir si les travailleurs vont être capables de faire cette preuve-là, je ne sais pas comment cela va se passer dans les faits. On sait comment ça se passe au Québec. On essaie d'avoir des informations et de les donner.
Récemment, dans le dossier Nationair, qui est couvert par le Code canadien, il y a eu une cause qui a été entendue par le juge-arbitre et qui est en appel devant la Cour d'appel fédérale. Vous savez que vous ne pouvez pas avoir droit à des prestations d'assurance-emploi si vous faites la grève. Je dois vous dire que le juge-arbitre en est venu à la conclusion que, dans ce cas-là, étant donné que l'employeur avait remplacé tous ses employés et qu'il n'y avait eu aucun changement dans les activités de la compagnie, on ne pouvait plus parler de grève, et il a accordé les prestations d'assurance-emploi, qui était à cette époque l'assurance-chômage, à tous ces travailleurs.
Il faut bien constater que les travailleurs ne sont pas dépourvus de moyens, mais il est évident que, quand on a la possibilité de mettre un fardeau sur le dos de l'autre, on est beaucoup mieux équipé que quand on n'a rien du tout et qu'il faut chercher l'information.
En ce qui concerne le fait d'avoir des bancs d'une personne au lieu de trois, nous pensons que tout cela est de nature à accélérer le processus. En effet, on soutient l'idée d'un conseil parce que l'on veut déjudiciariser le processus et faire en sorte qu'il y ait moins d'interventions des tribunaux, des avocats, etc. On veut que, dans les relations de travail, les employeurs et les employés se parlent et essaient de régler les problèmes entre eux plutôt que de faire intervenir le gouvernement ou des avocats et des tribunaux. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'une seule personne au lieu de trois pourrait faire accélérer le processus. Il y a certainement des tas de décisions simples qui ne nécessitent pas des bancs de trois.
[Traduction]
M. Pat Martin: Merci.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown): Merci beaucoup, monsieur Martin, et messieurs, d'être venus nous rencontrer cet après-midi. Ce fut très intéressant.
Chers collègues, j'aimerais faire un ou deux rappels. Tout d'abord, nous nous réunirons demain de 15 h 30 à 17 h 30, puis, et cela s'est changé, de 18 h 30 à 20 h 30. De cette façon, vous pourrez rentrer à la maison un peu plus tôt demain soir. N'oubliez cependant pas que vous devez revenir pour 18 h 30.
De plus, M. Johnston nous a rappelé que nous avons adopté une motion l'autre jour précisant que toutes les propositions de modifications visant ce projet de loi devraient être reçues le 15 avril au plus tard. Monsieur Martin, avez-vous entendu? Nous ne changerons pas cet échéancier, parce qu'on en a décidé ainsi par une motion.
Cependant, il faut régler la question de la distribution des modifications, au fur et à mesure que la greffière les recevra. Nous n'avons pas adopté de motion en ce sens. Il faudrait donc l'unanimité pour convenir de distribuer tous les amendements reçus aux membres du comité après le 15 avril.
Y a-t-il consentement unanime?
Des voix: Oui.
La vice-présidente (Mme Bonnie Brown) : Ainsi faites parvenir vos amendements à la greffière, et ils seront distribués à tous les députés. Je vous demande de dire à vos collègues qui font également partie du comité que nous procéderons de cette façon.
• 1710
Merci beaucoup. Nous reprendrons nos travaux demain à 15 h 30.
La séance est levée.