HUMA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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CANADA
Comité permanent des ressources humaines, du développement social et de la condition des personnes handicapées
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 5 décembre 2006
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Conformément à l'ordre de renvoi adopté le 25 octobre par la Chambre des communes et à la motion adoptée le 23 novembre par le comité, celui-ci reprend maintenant son étude du projet de loi C-257.
Nous siégerons pendant 75 minutes au plus. Les témoins disposeront de sept minutes pour faire leurs déclarations, après quoi suivront deux tours de table, un de sept minutes et un autre, de cinq.
Je vais garder le pendule à l'oeil. Nous avons si peu de temps. Nous accusons déjà un retard de quinze minutes, ce qui signifie que certains membres du comité devront probablement manger ici sur le pouce, tout à l'heure.
Je tiens toutefois à rappeler à chacun que les questions doivent être adressées à la présidence. Je vais commencer par céder la parole à M. Brazier, pour sept minutes, après quoi nous ferons un tour complet de table.
Monsieur Brazier.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
M. George Smith, président de l'ETCOF, qui serait normalement ici comme porte-parole lorsqu'un projet de loi d'une telle portée est étudié, vous transmet ses plus sincères regrets. Malheureusement, comme vous le savez, nous avons tous été invités avec très peu de préavis. Il avait déjà un engagement à Montréal qu'il ne pouvait reporter.
Je n'ai pas eu l'occasion de m'entretenir avec Mme Lafrance avant le début de la séance, mais j'espère que vous avez tous reçu des exemplaires, en anglais et en français, du mémoire que j'ai envoyé dimanche.
Tout d'abord, j'aimerais commencer par vous expliquer un peu qui je suis. Pendant trente ans, j'ai travaillé chez CPR dans le domaine des relations de travail. Trois fois durant cet emploi — et peut-être certains membres qui étaient ici aux alentours de 1995 y ont participé —, les cheminots ont fait l'objet d'une loi de retour au travail à la suite d'une grève qui nuisait énormément à l'économie canadienne. Je m'y connais donc un peu en matière de services essentiels.
Depuis 25 ans, je participe aux discussions concernant l'ordre public qui visent à modifier le droit du travail et son règlement d'application. Ainsi, j'ai participé à l'élaboration de modifications aux parties I, II et III du code et à plusieurs autres textes réglementaires et législatifs. Je m'y connais donc assez bien en élaboration de lois.
Je vais commencer par souligner qu'au début, les relations de travail étaient de compétence fédérale. Il aura fallu une décision de la cour de 1926 — en fait, une décision du comité des affaires juridiques du Conseil privé britannique — pour établir que les syndicats ne sont pas des agents de commerce interprovincial, mais en fait, des organismes de défense des droits civils et, par conséquent, qu'il convenait mieux d'en confier la réglementation aux provinces, sauf bien sûr certaines industries désignées comme étant d'intérêt national, c'est-à-dire celles qui sont énumérées à la partie I ou au début du Code canadien du travail. Elles sont de compétence fédérale parce que leur nature est essentielle au Canada.
Comme Mme Lavallée l'a fait remarquer en réponse au ministre ou dans une question qu'elle lui a posée, vous avez parfaitement raison de dire que les entreprises de compétence fédérale ne sont pas les mêmes que les entreprises de compétence provinciale.
Je ne vais pas passer en revue avec vous la liste des raisons pour lesquelles elles sont essentielles. Nous savons tous que les postes, les communications et les transports fournissent des services essentiels. Je n'ai donc pas besoin de vous les énumérer.
Si quelqu'un souhaite se faire une bonne idée du secteur fédéral, je lui conseille de lire l'introduction du rapport d'Harry Arthurs sur la partie III du Code canadien du travail qui a été récemment présenté au ministre, il y a probablement quelques semaines, parce qu'il résume plutôt bien le secteur.
Naturellement, le secteur fédéral a ceci de commun avec les autres secteurs qu'une très grande proportion d'employés travaillent pour de grandes sociétés. Ainsi, ils travaillent dans l'industrie bancaire, qui est un oligopole. On dénombre cinq ou six grandes banques, et je sais qu'il en existe beaucoup d'autres. Ce sont de grandes sociétés qui emploient beaucoup de personnes. Il en va de même pour l'industrie de la radio et de la télédiffusion, pour les communications, pour le transport et le transport par rail, par exemple : ce sont de grands organismes lourdement réglementés au sein desquels les relations en matière de négociation ont atteint la maturité, ce qui devient souvent un facteur dans la négociation collective. Ils sont technologiquement avancés, en état constant de réorganisation et doivent souvent traiter avec de multiples syndicats, une autre caractéristique du secteur fédéral. Bien sûr, il en existe aussi dans le champ de compétence provinciale qui doivent traiter avec plusieurs syndicats, mais pas autant qu'au niveau fédéral — et croyez-moi, après avoir travaillé pour un organisme comme le CPR où les employés étaient regroupés en quatorze syndicats à mon arrivée, les problèmes de relations de travail se multiplient.
Si vous faites la somme de tous ces éléments, les nouveaux règlements, les changements technologiques, le jeu réciproque des syndicats, vous comprendrez aisément le genre de tensions qui s'accumulent en matière de relations de travail.
Comprenez-moi bien : je ne cherche pas, par ces propos, à dénigrer le secteur provincial. Certaines industries extrêmement importantes relèvent de la compétence provinciale. J'en mentionnerai uniquement trois : l'automobile, les produits forestiers et l'extraction et la transformation des hydrocarbures. Cependant, elles n'ont pas le même impact. Évidemment, si une grève frappait l'industrie de l'automobile, si toute l'industrie du sud de l'Ontario —
Le président: Il vous reste deux minutes.
M. Don Brazier: Je n'ai plus que deux minutes? Mon Dieu! Je venais à peine de commencer. S'il ne me reste pas plus que cela, je vais simplement vous mentionner quelques autres points.
Le projet de loi à l'étude, s'il est adopté, deviendrait la loi la plus draconienne que nous ayons au niveau fédéral. Ce matin, j'ai entendu tous ceux qui parlaient de la disposition relative aux services essentiels. Elle serait l'équivalent de l'article 111.17 de la loi du Québec et de l'article 72 de la loi de la Colombie-Britannique. Il n'y a rien de tel dans le projet de loi à l'étude. Il n'y a absolument rien. On peut tous en parler. Naturellement, on peut prévoir une disposition relative aux services essentiels, mais où est-elle? Il n'y en a pas. C'est encore plus draconien que ce que prévoit la loi en Colombie-Britannique. Même Blouin — que vous avez cité — aurait permis l'adjudication de contrats qui est interdite par le projet de loi C-257.
Soit dit en passant, je ne vais pas discuter de chiffres. Je crois qu'il en a déjà été beaucoup trop question. La décision au sujet du projet de loi, son évaluation, ne sera pas fonction de différents chiffres. Toutefois, Blouin lui-même, à la page 174 de son rapport, a précisé que les données relatives à l'impact de la loi sur les briseurs de grève n'étaient pas concluantes. C'est là en clair, dans son rapport, à la page 174.
Le seul autre point que je tiens à mentionner, puisque je manque de temps, est que je ne laisserais jamais entendre que c'est là la bonne façon de modifier le Code canadien du travail. Cependant, s'il fallait vraiment en envisager la possibilité, il existe une foule d'autres points dont il faut tenir compte. Le CCRI verra sa charge de travail augmenter considérablement si le code est modifié. Il recevra de multiples requêtes sous le régime de l'article 87.4 du Code canadien du travail.
Une modification très importante et controversée apportée au code en 1999 a été la procédure de conciliation de 60 jours. Nul ne la jugeait efficace. Elle était vraiment controversée. En fait, nous poussions vraiment loin la limite en insérant ce genre de disposition, parce qu'on estimait que cela ferait augmenter le nombre de grèves. Selon moi, il faut s'interroger sérieusement sur l'utilité d'une pareille disposition quand le recours aux travailleurs de remplacement est interdit. Il faudrait examiner les règles s'appliquant aux grèves et aux lockout et, bien sûr, ce que j'ai déjà mentionné, soit l'absence d'une disposition relative aux services essentiels.
Comme je l'ai déjà précisé, si le projet de loi est adopté, cette mesure législative serait la plus draconienne du droit canadien du travail.
Je vais m'arrêter là.
Monsieur Brazier, je vous remercie.
Nous accueillons maintenant M. Côté et M. Alborino — c'est bien votre nom?
Lequel de vous deux va prendre la parole?
Le président: Dans ce cas, vous avez la parole, monsieur. Je vous demanderais de bien vouloir vous limiter aux sept minutes.
M. Santo Alborino: Je vous remercie.
L'Association des banquiers canadiens vous remercie de l'avoir invitée à participer à vos audiences publiques sur le projet de loi C-257 concernant les travailleurs de remplacement.
Je vais commencer par vous citer quelques données statistiques. Nous représentons les 54 banques à charte du Canada qui, au total, emploient près de 249 000 Canadiens, dont 218 000 relèvent de la compétence fédérale. En plus de leurs employés, les banques représentent également les intérêts de millions de clients partout au pays — des Canadiens qui comptent sur un système bancaire disponible 24 heures sur 24, sept jours sur sept.
L'ABC est vivement opposée au projet de loi à l'étude. Selon elle, il présente de graves lacunes et il ne devrait pas être adopté. J'aimerais vous soumettre nos quatre grandes sources de préoccupation.
Premièrement, les services financiers du XXIe siècle dépendent du secteur des télécommunications pour assurer la prestation des services bancaires et l'exploitation du système interbancaire de paiement, de règlement et de compensation qui est en bonne partie géré par l'Association canadienne des paiements. Le système de paiement repose essentiellement sur la capacité d'échanger des paiements électroniques.
L'interdiction du recours aux travailleurs de remplacement proposée dans le projet de loi C-257 entraînerait, pour le secteur des services financiers, un niveau de risque opérationnel élevé si une grève frappait le secteur des télécommunications et qu'il était interdit aux entreprises de ce secteur d'avoir recours à ces travailleurs. Dans pareille situation, lorsque les lignes téléphoniques ou lignes de transmission de données ne sont pas entretenues et qu'elles tombent en panne, il pourrait aussi y avoir de graves conséquences sur la clientèle de particuliers et d'entreprises. Je parle en réalité de M. et Mme Tout-le-monde. Il n'est pas question de l'industrie bancaire comme telle. Cela vous touche tous.
Les progrès technologiques ont révolutionné les services bancaires ces dernières décennies. Ils font tomber les barrières géographiques, consolident les réseaux d'infrastructure et rendent possibles les transactions bancaires électroniques, des avantages importants dans un pays aussi vaste et relativement peu peuplé que le Canada. Ce fut vraiment avantageux. Les Canadiens apprécient au plus haut point le choix et la commodité des services bancaires électroniques et continuent d'en profiter, grâce à l'Internet et à d'autres moyens électroniques. Nous sommes convaincus que la technologie continuera de prendre de l'ampleur et qu'elle sera adoptée par les Canadiens grâce à l'Internet.
Des services financiers électroniques sont offerts par le truchement de divers réseaux. Vous trouverez dans notre mémoire une liste partielle de ces systèmes. Permettez-nous de vous en mentionner quelques-uns.
L'Association canadienne des paiements gère quatre grands réseaux qui sont fournis par de grandes entreprises de télécommunications. L'un de ces réseaux assure le transfert électronique des fonds, principalement entre entreprises, le dépôt direct de salaires, les prélèvements automatiques et le règlement de factures. Des millions de messages sont échangés par le biais de ce système chaque jour, de sorte que tous sont touchés. Une grève dans l'entreprise qui fournit cette ligne pourrait avoir de graves répercussions si la ligne devait ne pas être entretenue et tomber en panne pour une raison ou une autre.
Bien qu'il existe un système de secours, il s'agit d'un système manuel qui fonctionne plus lentement : les lignes commutées assurant le service aux terminaux de crédit et de débit dans les points de vente de biens et services aux Canadiens — nous parlons bien de Canadiens, non pas de l'industrie bancaire — seraient compromises. Les Canadiens sont les plus grands utilisateurs de cartes de débit au monde. Le service de paiement direct Interac permet aux clients d'utiliser leurs cartes de débit pour régler leurs achats chez les détaillants. Ce service, offert par les institutions financières membres d'Interac chez plus de 391 000 détaillants répartis dans tout le Canada, serait durement touché.
Voici rapidement quelques données statistiques qui illustrent l'impact sur l'économie : en 2005, plus de 3 milliards de transactions de paiement direct évaluées à plus de 137 milliards de dollars ont été traitées par le service de paiement direct Interac.
Les services bancaires en ligne utilisent les services de grands fournisseurs d'accès Internet qui, à leur tour, comptent sur la disponibilité des lignes de télécommunications pour livrer le service. Un sondage mené en 2006 par l'Association des banquiers canadiens a révélé que 27 p. 100 des Canadiens effectuaient la majorité de leurs transactions bancaires par Internet et que 45 p. 100 en effectuent au moins une partie en ligne. Nous savons que ces taux continueront d'augmenter considérablement au fil des ans.
Le problème est le suivant : selon l'Association canadienne des paiements, la possibilité de panne dans les réseaux de télécommunications représente un risque opérationnel important pour le système de paiement canadien. Les retards survenant dans le système de paiement — et à plus forte raison les pannes — peuvent avoir des effets catastrophiques sur les entreprises et les consommateurs. Pour assurer l'intégrité du système, le recours à des travailleurs de remplacement serait essentiel, si une grève sévissait dans le secteur des télécommunications, que ce soit à l'échelle régionale, nationale ou internationale.
Deuxièmement, le projet de loi ne reconnaît pas le rôle national unique assumé par les secteurs sous réglementation fédérale. Il ne tient pas compte du fait que ces secteurs forment l'infrastructure qui assure la stabilité et la croissance de l'économie canadienne. Tous les secteurs sous réglementation fédérale sont de diverses façons essentiels aux activités commerciales du pays, par leurs réseaux très intégrés et parfois complexes de transport, de télécommunications et de services financiers. La défaillance d'un maillon d'un secteur sous réglementation fédérale (par exemple, les sociétés aériennes, les ports, les services financiers) est susceptible d'avoir sur les entreprises et les consommateurs des répercussions qui auraient une portée tant nationale qu'internationale et qui pourraient même nuire à la réputation du Canada à l'étranger. Il faut pouvoir maintenir un niveau minimal de service. C'est essentiel.
Les données statistiques présentées par les partisans du projet de loi ont été choisies à dessein et ne traduisent pas la véritable situation de l'agitation ouvrière et des grèves dans les provinces où le recours à des travailleurs de remplacement est interdit.
Nous avons consulté la statistique publique disponible sur le site Web de la Direction de l'information sur les milieux de travail de Ressources humaines et Développement social Canada. Notre analyse visait à établir si la législation limitant le recours à des travailleurs de remplacement au Québec et en Colombie-Britannique avait contribué à rendre les relations de travail plus harmonieuses dans ces provinces, comparativement à l'Ontario qui, sauf durant trois années (de 1992 à 1995), n'a pas interdit le recours aux travailleurs de remplacement. Nous avons examiné trente ans de données, soit de 1976 à 2005, et nous avons évité de faire des comparaisons des variations d'année en année, car elles risquent d'induire en erreur en raison des différentes dates d'échéance des conventions collectives et du moment où elles ont été négociées.
Vous trouverez dans notre mémoire des tableaux illustrant nos constatations à cet égard. Chaque minute compte, de sorte que je vais sauter la partie sur les données statistiques.
Durant toute la période de trente ans, la probabilité qu'un travailleur du Québec soit en grève, au cours de toute année, était deux fois et demie plus élevée qu'en Ontario. Pendant la même période, la probabilité qu'un travailleur de la Colombie-Britannique soit en grève, au cours de toute année, était plus de deux fois et demie supérieure, comparativement à l'Ontario. Durant cette même période, les grèves au Québec duraient en moyenne 87 p. 100 plus longtemps que les grèves en Ontario, alors que la durée des grèves en Colombie-Britannique était deux fois plus longue.
Il y a une dernière donnée statistique que j'aimerais mentionner à cet égard. Le nombre de grèves au Québec, par milliers de travailleurs, était plus élevé qu'en Ontario chaque année — de 90 p. 100 environ, en moyenne — alors qu'en Colombie-Britannique, il ne l'était que par 8 p. 100.
Quatrièmement et fondamentalement — j'arrive à la fin de ma déclaration —, le projet de loi ne tient pas compte du droit de l'employeur de poursuivre ses activités pendant une grève ou un lockout, de servir ses clients et, par ricochet, de conserver leur loyauté et leur clientèle. Deux très importants groupes de travail ont été chargés, à trente ans d'intervalle, d'examiner le régime fédéral des relations de travail de leur époque, soit le groupe de travail Woods et le groupe de travail Sims de 1996. Ils en sont tous deux venus à la même conclusion sur la question des travailleurs de remplacement : ces travailleurs sont essentiels et il ne devrait pas être interdit d'y avoir recours.
Pourquoi, croyez-vous, une seule autre province que le Québec, c'est-à-dire la Colombie-Britannique, a jugé bon d'adopter ce genre de loi en plus de trente ans?
Conclusion, on ne doit pas tenir pour acquis le fragile équilibre et le nouveau code adopté en 1999, qui reposent sur des analyses soignées, et les rejeter du revers de la main.
Nous demandons instamment aux membres du comité de prendre le temps de bien réfléchir aux répercussions éventuelles du projet de loi C-257. L'interdiction du recours aux travailleurs de remplacement détruirait l'équilibre actuel qui correspond à l'intérêt des employeurs, des syndicats, des travailleurs et de l'économie canadienne. Le projet de loi ferait reculer considérablement les relations de travail au pays. Plutôt que d'être tourné vers l'avenir et vers l'établissement de relations plus constructives, il nous ramène au contraire aux violents conflits des décennies antérieures.
Il n'est tout simplement pas nécessaire de modifier ce qui fonctionne bien. Nous vous exhortons à ne pas adopter le projet de loi à l'étude.
Je vous remercie de votre attention.
Monsieur Alborino, je vous remercie. Nous vous sommes reconnaissants de cet exposé.
Nous allons maintenant entendre MM. Yussuff et Georgetti.
Je vous remercie.
Je suis le président du Congrès du travail du Canada et je suis accompagné de notre secrétaire-trésorier, Hassan Yussuff. Nous sommes élus pour représenter les 3,2 millions de travailleurs canadiens et pour faire entendre leurs voix.
J'aimerais commencer par établir officiellement que le service 911 est un service de compétence provinciale, non pas fédérale. Aux fins du compte rendu officiel, je signale qu'il y a eu en Colombie-Britannique deux conflits auxquels participaient les répartisseurs de ce service essentiel et qu'il n'y a pas eu dans cette province une seule interruption du service sous le régime de cette loi.
Il faudrait peut-être aussi que je précise que moins du quart de 1 p. 100 de l'industrie bancaire est syndiqué au Canada et qu'on exagère vraiment quand on dit qu'un conflit affecterait les clients.
J'aimerais aussi faire remarquer que le pays numéro un où brasser des affaires l'an dernier était l'Irlande. Or, elle a une loi antibriseurs de grève.
J'étais le président de la Federation of Labour de la Colombie-Britannique quand la dernière loi antibriseurs de grève est entrée en vigueur en 1993. Monsieur le président, je puis vous donner l'assurance que tous les arguments que vous avez entendus et toute cette hyperbole qu'on vous sert, je l'ai déjà entendue en Colombie-Britannique. Rien de tout cela ne s'est produit. Je ne crois pas qu'on devrait comparer des données statistiques d'une sphère de compétence à l'autre. Voyez les tableaux pour la Colombie-Britannique et le Québec. Le nombre et la fréquence des conflits est demeuré le même avant et après l'adoption de la loi antibriseurs de grève. Là n'est pas la question.
Je suis d'accord avec le ministre du Travail sur un seul point. Le problème en est un d'équilibre des forces. On veut vous faire croire que cet équilibre existe déjà, mais c'est faux.
Lorsque des Canadiens employés par de grandes transnationales et multinationales soumises à une réglementation fédérale tentent de traiter avec elles, il n'y a pas d'équilibre des forces en présence.
Ce qui a changé en Colombie-Britannique, d'après le bilan que nous avons dressé après coup, c'est le ton et le fond des conflits, surtout par après, quand tout le monde — les employés comme les employeurs — a dû reprendre le travail en faveur d'une cause commune, soit assurer le succès de l'entreprise.
Nos délégués syndicaux et nos affiliés et représentants dans ces entreprises ont tous affirmé que le ton et la teneur de ces conflits avaient facilité le retour au travail par la suite parce que les emplois des travailleurs n'avaient pas été menacés.
J'aimerais aussi faire ressortir, simplement pour éclairer les membres du comité, que la grande majorité des blessures et incidents survenant sur les lignes de piquetage était due aux piqueteurs eux-mêmes, non pas aux briseurs de grève. Habituellement, les blessés, parfois très graves, sont les grévistes eux-mêmes. Les agents de liaison de la GRC qui ont traité avec nous en Colombie-Britannique nous ont très clairement dit que leur travail avait été grandement facilité et rendu beaucoup plus efficace après l'entrée en vigueur de la loi antibriseurs de grève et que la GRC n'est presque plus jamais appelée sur les lieux de ligne de piquetage en Colombie-Britannique.
Je pourrais aussi ajouter peut-être que les deux provinces, c'est-à-dire le Québec et la Colombie-Britannique, en dépit de changements de pouvoir, de programmes politiques différents, ont décidé, à bon droit, de ne jamais changer cette loi.
Ce genre de loi assure à nos concitoyens canadiens un certain équilibre des forces en présence lorsqu'il faut négocier avec le même employeur.
Le seul autre point que je vous demanderais de retenir, c'est que j'espère que certains intervenants parlent de lockout, pas uniquement de grève, parce que bien souvent, nous sommes mis en lockout par ces employeurs; nous ne faisons pas forcément la grève. Le projet de loi à l'étude vise donc à réinjecter un peu de justice et d'équilibre dans le système.
Ne vous appuyez pas sur des prévisions spécieuses lors de vos délibérations, pour être franc. Concentrez-vous sur les faits et sur les deux juridictions qui ont de pareilles lois. Quand vous examinez une juridiction, pensez en termes de réglementation fédérale. Il est dans notre intérêt de maintenir les services essentiels. Le mouvement syndical n'a jamais hésité à les fournir quand ils étaient justifiés. J'estime qu'il faudrait une tierce partie qui arbitrerait les différends en matière de services essentiels, comme ce qui existe en Colombie-Britannique actuellement, où la formule s'avère extrêmement efficace.
Je suis reconnaissant au comité de nous donner l'occasion de témoigner.
Le Congrès du travail du Canada rassemble les syndicats nationaux et internationaux du Canada, les fédérations provinciales et territoriales du travail et 137 conseils du travail de district. Nos membres, bien sûr, travaillent dans presque tous les secteurs de l'économie canadienne et exercent toutes les professions dans toutes les régions du Canada. C'est donc là un nombre imposant de membres qui reflète l'envergure du CTC.
Le projet de loi C-257 porte sur un sujet critique de la législation fédérale du travail, sur un problème qui n'a pas encore été réglé en dépit d'années de discussions, de recherches et d'expériences amères. Il s'agit du problème que posent les travailleurs et travailleuses de remplacement et de la question de savoir si les employeurs du ressort fédéral peuvent y recourir pendant les grèves ou les lock-out. Nous croyons que le recours aux travailleurs ou travailleuses de remplacement est défavorable aux familles travailleuses, aux affaires et au Canada. Ce recours compromet le respect des droits fondamentaux du travail, encourage quelques employeurs destructeurs — j'ai bien dit quelques — et réduit la productivité de l'économie canadienne.
Le CTC croit fermement que les grèves et les lock-out pendant lesquels l'employeur fait appel à des travailleurs ou travailleuses de remplacement imposent des tensions inutiles aux relations syndicales-patronales.
Monsieur Yussuff, pourriez-vous ralentir le débit un peu? Les interprètes ont de la difficulté à vous suivre. Je sais qu'il faut essayer d'en dire le plus possible dans un très court laps de temps, mais peut-être pouvons-nous vous accorder du temps supplémentaire.
Parmi ces tensions, on inclut des conflits plus longs et plus amers, plus de grèves et de lockouts, une augmentation des affrontements et de la violence dans les piquets de grève, une réduction de la liberté de négociation et de l'utilité de la négociation collective et des problèmes qui rendent le règlement du conflit encore plus difficile.
Le CTC et d'autres syndicats s'efforcent depuis des années d'apporter équilibre et équité dans les relations de travail qui relèvent du fdéral en préconisant l'interdiction du recours aux travailleurs et travailleuses de remplacement. Malheureusement, nous avons assisté à d'amers conflits de travail chez Vidéotron, au Québec, Telus en Colombie-Britannique et en Alberta, Sécur au Québec, Giant Mine dans les Territoires du Nord-Ouest et, naturellement, le plus récent, Ekati, dont ma collègue Patty Ducharme va vous parler.
Ce qui ressort clairement de tous ces conflits, c'est que lorsque des employeurs irresponsables mettent des travailleurs ou travailleuses dans des situations désespérées, ils créent presque inévitablement des situations dangereuses. Le gouvernement a pour rôle de prévenir ces circonstances en mettant le syndicat et la direction sur un pied d'égalité. La plupart des employeurs du ressort fédéral en conviennent.
Il y a dix ans, un groupe de travail présidé par Andrew Sims, qui a déjà été mentionné tout à l'heure, a publié un rapport sur la réforme de la partie un du code. Le groupe a entendu toute une gamme de témoins et a présenté une série de recommandations, mais il était partagé au sujet d'une grande question : le traitement des travailleurs et travailleuses de remplacement sous le régime législatif fédéral.
Il a également été mentionné que Rodriguez Blouin a présenté un rapport minoritaire accablant sur la question des travailleurs et travailleuses de remplacement. Son point de vue est sans équivoque :
L'utilisation des travailleurs de remplacement mine les éléments structurels qui assurent la cohésion interne du régime de la négociation collective. Il en est ainsi parce que cette pratique injecte un corps étranger dans un conflit impliquant exclusivement deux parties nettement identifiées, débalance l'équilibre du rapport de forces économiques, brime la liberté d'expression des grévistes ou des travailleurs mis en lock-out, déplace la zone frontalière originale du conflit et aboutit en fin de ligne à une perception d'une certaine forme d'exploitation de l'individu.
L'expérience confirme les pires craintes de M. Blouin. Lorsqu'il y a eu des conflits, les employeurs n'ont eu qu'à donner l'impression qu'ils négociaient de bonne foi. S'ils répondent à ce critère, les employeurs peuvent recourir aux travailleurs et travailleuses de remplacement. Dans le cas de Telus, d'Ekati Mines, de Vidéotron, de Sécur et de Giant Mine, c'est précisément ce qui s'est passé. Quand quelques employeurs renégats pensent autrement, il est essentiel d'avoir en place des règles qui protègent les parents qui travaillent, notre économie et l'engagement pris par le Canada à l'égard des droits des travailleurs. Les règles concernant les travailleurs de remplacement sont éloquentes quant aux priorités des lois fédérales en matière de travail.
En fin de compte, le débat sur le projet de loi C-257 soulève une question plus générale et va au coeur de ce que devrait viser un système de relations de travail, soit l'équilibre et l'équité pour toutes les parties liées par des relations de travail.
À mesure qu'il s'outille pour le XXIe siècle, le Canada doit recourir à un modèle économique qui correspond à ses valeurs — ou choisira-t-il un modèle économique qui favorise la productivité des entreprises au détriment des droits fondamentaux dans le domaine du travail? Préférera-t-on plutôt suivre l'exemple de pays éclairés et choisira-t-on un modèle qui insiste sur la recherche dynamique, sur des compétences d'avant-garde et sur un engagement sincère à l'égard des droits des travailleurs?
Nous incitons le gouvernement fédéral et le comité des ressources humaines à choisir cette dernière option, nettement préférable. Les règles du gouvernement fédéral sur les travailleurs et travailleuses de remplacement continuent de faire l'objet d'une controverse et en feront l'objet jusqu'à ce que les craintes légitimes des parents qui travaillent soient apaisées. Lorsque le projet de loi C-257 a été adopté en deuxième lecture à la Chambre des communes, le Canada s'est rapproché des pays qui accordent beaucoup de valeur aux droits dans le domaine du travail. Ce fût un moment remarquable lorsque les hommes et femmes politiques ont mis de côté leurs divergences d'opinion partisane pour s'unir afin d'agir honorablement.
Dans l'intérêt d'un véritable équilibre, de l'équité et des droits des parents qui travaillent, nous vous incitons à continuer sur votre lancée et à amender la législation fédérale sur le travail afin qu'elle témoigne des valeurs de la plupart des Canadiens et Canadiennes.
Dans notre mémoire, nous avons fait valoir deux points centraux qui avaient déjà été soulevés devant le comité. Durant les échanges entre le CTC et les députés, tous les partis politiques et de nombreux députés ont demandé à savoir de quelle façon le projet de loi C-257 permettra de se conformer à l'exigence relative aux services essentiels prévue dans le Code canadien du travail.
Le code énonce clairement la responsabilité qu'ont les syndicats et les employeurs de maintenir les services essentiels durant une grève ou un lockout. L'article 87.4 la mentionne particulièrement. Le point que nous tenons à faire valoir, c'est que le CTC soutient avec conviction que le projet de loi C-257 est conforme aux dispositions du Code canadien du travail, en ce sens qu'il faut faire en sorte que les services essentiels sont maintenus durant une grève ou un lockout. De plus, nous parlons aussi des pouvoirs qu'a le ministre d'enquêter, lorsqu'il y a infraction à la loi, et de la meilleure autorité pour le faire. Nous recommandons que la Commission des relations de travail du Canada soit chargée de la responsabilité de voir à toute infraction à la nouvelle loi.
Je vous remercie.
Monsieur Yussuff et monsieur Georgetti, je vous remercie tous deux.
Nous allons maintenant entendre notre dernier témoin. Madame Ducharme, vous avez sept minutes, et je vous prierais de respecter cette limite.
Je vous remercie de m'avoir invitée ici aujourd'hui. Je me présente : Patty Ducharme, vice-présidente exécutive nationale de l'Alliance de la fonction publique du Canada, c'est-à-dire l'AFPC, un syndicat national représentant 163 000 travailleurs répartis d'un bout à l'autre du Canada. Tout comme les deux témoins qui m'ont précédée, j'ai également été élue pour représenter les membres avec lesquels je travaille.
L'AFPC accorde son plein appui au mémoire complet présenté par le CTC, dont nous sommes un syndicat affilié.
Avant de poursuivre, permettez-moi d'affirmer qu'aucun syndicat ne souhaite organiser une grève, qu'aucun syndiqué ne veut faire la grève. C'est une réalité incontournable, une réalité ancrée dans le fait qu'une grève, quelle qu'elle soit, fragilise le bien-être et les relations des personnes, réduit le revenu des familles et, trop souvent au Canada, entraîne sur les lignes de piquetage des incidents qui blessent, des incidents qui laissent des séquelles. C'est une réalité fondée sur le fait qu'une grève a de coûteuses conséquences sur l'économie du pays, qu'elle cause des inconvénients au consommateur et qu'elle mine la compétitivité.
Comme je le disais, la réalité est incontournable, une réalité qui appelle à l'action de la part des parlementaires et des assemblées législatives à l'échelle fédérale, provinciale et territoriale. En tant que parlementaires, vous êtes incapables à vous seuls d'empêcher la frustration, le manque de respect et les injustices économiques qui engendrent une grève. Toutefois, vous pouvez favoriser le franc-jeu en décourageant les employeurs de prolonger une grève et d'éviter la violence qui parfois l'accompagne.
Des 160 000 personnes que représente l'AFPC, moins de 10 000 ont obtenu l'accréditation en vertu du Code canadien du travail. Il s'agit de membres qui travaillent dans de nombreux secteurs et pour de nombreux employeurs, notamment le Vieux-Port de Montréal et la mine de diamants Ekati, propriété de BHP Billiton, pour n'en nommer que quelques-uns. Nous avons vécu plusieurs grèves chez ces employeurs. Encore une fois, c'est là le lot des syndicats. Cependant, il est vrai aussi que certaines de ces grèves ont été beaucoup plus amères qu'il n'était vraiment nécessaire.
Je vais maintenant passer tout de suite à la grève menée à Ekati.
J'aimerais que nous parlions maintenant de la grève menée plus tôt cette année par les membres de l'AFPC qui travaillent à la mine de diamants Ekati. Elle illustre parfaitement bien combien l'absence d'une loi anti-briseurs de grève a permis qu'une âpre grève s'éternise, comment elle a semé la discorde parmi les travailleurs et travailleuses, les collectivités et les familles. D'ailleurs, ses séquelles se font encore sentir aujourd'hui. Elle illustre aussi comment l'absence d'une loi anti-briseurs de grève permet à des multinationales de brasser des affaires au Canada sans le moindre respect pour les travailleurs et travailleuses ainsi que pour leurs familles.
Le 7 avril 2006, soucieux d'obtenir leur première convention collective, les 400 membres de l'AFPC qui travaillent à la mine de diamants Ekati ont déclenché la grève contre leur employeur, BHP Billiton, une multinationale dont le siège social est en Australie. Les membres sont chauffeurs de camion, soudeurs, travailleurs dans des usines de transformation, grutiers, électriciens, pour ne vous donner qu'un aperçu. La mine se trouve près du cercle polaire arctique. Le travail dans la mine peut être dangereux, et la situation géographique de la mine Ekati expose ses travailleurs et travailleuses à des froids extrêmes. La seule façon de s'y rendre est de prendre l'avion, si bien que les travailleurs et travailleuses y sont transportés par air pour des durées de deux semaines.
Les négociations visant à conclure une première convention collective se sont éternisé pendant 24 mois. Pendant ce temps, BHP se traînait les pieds jusqu'à ce que le syndicat, en dernier recours, déclenche la grève. BHP Billiton avait tout avantage à ne pas signer une convention et elle le savait. Les principaux points en litige étaient les salaires, la sécurité d'emploi et les congés annuels.
La grève a duré près de 12 semaines. Elle a entraîné des blessures sur les lignes de piquetage et a provoqué une amère division entre les travailleuses et les travailleurs, leurs familles et la collectivité. La grève n'a pas provoqué de tragédie aussi effroyable que le lock-out de la mine Giant en 1992, qui continue de diviser les familles et la collectivité. Toutefois, l'absence de loi anti-briseurs de grève a prolongé la grève à Ekati et a contribué au profond sentiment de trahison et d'animosité en milieu de travail et dans la collectivité, sentiment qui mettra des années à s'atténuer.
Étant les forts taux de chômage qui sévissent dans le Nord, l'ouverture de la mine Ekati a été accueillie comme une bénédiction et elle a attiré des travailleuses et des travailleurs venant surtout d'Edmonton, de Yellowknife et de trois petites localités des Territoires du Nord-Ouest, soit Fort Simpson, Hay River et Rae-Edzo.
Les leaders et les sages Autochtones ont bien accueilli la nouvelle de l'ouverture de la mine Ekati sur les terres visées par les traités 8 et 11. BHP a signé des ententes sur les répercussions et les avantages. Ces ententes sont confidentielles, mais on sait qu'elles assurent l'appui de l'exploitation de la mine et l'embauche de travailleuses et de travailleurs autochtones et assurent de avantages pécuniers aux collectivités autochtones.
BHP est la plus importante société minière au monde. Elle est reconnue cette année comme l'une des 100 meilleures entreprises au Canada. Ce conglomérat au siège social en Australie a connu l'an dernier des profits atteignant 7,5 milliards de dollars. Ce n'est pas un secret. BHP a contribué aux efforts visant à modifier la loi du travail en Australie, ce qui s'est soldé par l'affaiblissement des droits collectifs du travail.
Lorsqu'il a commencé à exploiter la mine, l'employeur a choisi de négocier des ententes individuelles et arbitraires avec chaque membre de son personnel, sans norme de classification, sans approche assurant une rémunération équitable. Nous savions que la négociation d'une première convention collective avec une multinationale manifestement antisyndicale allait s'avérer tout un défi.
Une loi antibriseurs de grève aurait assuré un certain équilibre. BHP a prétendu publiquement, comme élément de sa stratégie de relations publiques, qu'il n'allait pas se servir de briseurs de grève. Nous savons que ce ne fut pas le cas. Pendant la grève, des membres de la direction de BHP ont téléphoné à des grévistes, à leur domicile, les invitant à franchir la ligne de piquetage et à retourner au travail. Ils ont aussi offert de payer les amendes imposées aux membres syndiqués qui consentiraient à franchir la ligne de piquetage et à travailler. Et malheureusement, certains l'ont fait.
Les entrepreneurs sur le site minier ont aussi effectué du travail de l'unité de négociation pendant la grève. Il est évident que BHP aurait pu conclure une première convention collective équitable avec son personnel. Pourtant, la société était déterminée dès le départ à ne pas le faire.
Bien que le projet de loi C-257 n'aborde pas tous ces points, les députés devraient comprendre que cette grève, comme bien d'autres ailleurs, ne se serait pas produite ou aurait entraîné moins de division au sein de la collectivité et du lieu de travail s'il y avait eu une loi proactive pour empêcher la société d'avoir recours aux briseurs de grève.
Je vous remercie encore une fois de m'avoir permis de faire cette présentation.
Merci, madame Ducharme.
Nous allons maintenant commencer la première tournée de questions avec M. Coderre. Vous avez sept minutes.
[Français]
Merci, monsieur le président.
J'aimerais m'excuser de mon retard. Étant donné que je savais déjà ce que le ministre allait dire, qu'il allait répéter le même discours et qu'il allait sortir ses bonshommes sept-heures, j'ai cru bon de me préparer pour les autres témoins.
Vous comprendrez que cela me fait quand même plaisir d'être ici, mais entre-temps, j'ai eu le temps de parler aux journalistes de la presse au sujet des changements qu'on veut apporter au Code canadien du travail concernant l'équilibre des relations.
Ma première question s'adresse à M. Brazier, M. Côté et M. Alborino. Comme législateurs, notre rôle est de nous assurer qu'il y ait justice et apparence de justice. Quand nous faisons une étude, il faut donner la raison pour laquelle nous tenons ce genre de débat et déterminer ce que nous voulons accomplir.
En ce qui concerne les modifications au Code canadien du travail, il est clair qu'on recherche un équilibre. Personne ne tire avantage à déjouer le système ni à perdre de l'argent. En tant que consommateurs, nous voulons avoir des services, mais nous voulons aussi nous assurer que les employés travaillent dans un environnement décent. En fait, vous faites beaucoup d'argent, mais c'est beaucoup parce que les travailleurs et les travailleuses font partie de votre équipe. C'est une force et une plus-value, ce qui explique pourquoi vos affaires vont bien.
Pouvez-vous m'expliquer pourquoi vous pensez qu'il serait mauvais de ne pas avoir de travailleurs de remplacement hors du Québec?
Ne me sortez pas les mêmes bonshommes sept-heures que le ministre, qui disait tout à l'heure que tout sera paralysé, que ce sera la fin du monde et l'apocalypse. Dites-moi quel problème il y a à vouloir négocier dans un environnement sain. Comme consommateur, je ne veux pas être à la merci des syndicats ou des employeurs. Il est certain qu'il peut y avoir des différends. C'est sain, on n'est pas communistes. C'est la loi du marché et des négociations. C'est normal qu'il y ait des conflits.
Pouvez-vous m'expliquer pourquoi il devrait y avoir des travailleurs de remplacement? Vous pouvez aussi faire du tort en ayant un lock-out. Les employés peuvent se servir de leur droit de grève, mais vous pouvez vous servir du lock-out. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi un travailleur de remplacement est une bonne chose hors du Québec et de la Colombie-Britannique?
Ne me répondez pas en me donnant des chiffres; parlez-moi franchement.
Je ne vous citerai pas de chiffres. Je vais vous donner des exemples concrets, qui concernent des individus. Je vais vous parler d'une expérience que j'ai vécue dans l'organisation où je travaille, donc, là où une personne va travailler tous les jours. Nous avions une succursale à Fermont, et les employés étaient représentés par un syndicat avec lequel nous avons eu des relations très harmonieuses pendant bien des années. Il n'y a jamais eu de problèmes, et les relations étaient bonnes. C'était la seule institution financière dans la ville de Fermont. Elle desservait les gens de la mine, tous les commerçants, les employés et d'autres clients.
Vous avez mentionné que le lock-out était un droit de l'employeur. Dans ce cas — je ne dis pas que c'est toujours ainsi —, le syndicat a décidé de faire une grève et il nous avait avisés en ce sens. Pour protéger nos opérations, considérant que c'était la seule institution financière dans cette ville et que la mine comptait plusieurs centaines de mineurs qui utilisaient nos services, nous avons décidé de faire un lock-out. Mais c'était pour protéger les opérations en question.
Vous ne me direz pas que cela ne faisait pas souffrir l'organisation, au contraire. Vous parlez des travailleurs de remplacement, mais quand on parle de remplacer, on ne remplace pas tout. On remplace des services de base comme la préparation de la liste de paie des employés de la mine, la possibilité aux commerçants de faire des transactions...
Permettez-moi de vous interrompre, monsieur Alborino. C'est exactement le point qui m'amène à dire que ce projet de loi donne aux cadres le pouvoir et la capacité de faire le travail, comme au Québec. Alors, au lieu d'avoir un travailleur de remplacement, c'est un cadre qui va faire le travail. Or, pendant ce temps, on devra régler la grève ou le lock-out.
Alors, quel est le problème?
Je vous soumet qu'il est impossible que les cadres, dans tous les cas, puissent faire le travail. Il est inconcevable de penser que, dans certaines circonstances, les cadres peuvent remplacer des gens qui ont des compétences et des profils spécialisés.
Alors, pourquoi cela fonctionne-t-il au Québec? Sommes-nous différents depuis qu'on a déclaré qu'on était une nation? Est-ce que c'est ça, le problème?
En Colombie-Britannique, ils sont à la veille d'être une nation aussi.
On dit que cela fonctionne, mais il n'y a pas de preuve. À notre avis, il n'y a pas de preuve tangible que ce projet de loi ferait une différence.
D'ailleurs, les statistiques —
Je ne suis pas pro-syndicat, même que la FTQ me lance des oeufs pendant mes campagnes électorales. Je ne suis pas une personne à la merci des syndicats, mais je suis pour la justice et l'équilibre.
Au Québec, cette loi existe depuis 30 ans. On nous dit que cela va créer des irritants pour l'investissement, on nous dit que ce sera l'apocalypse, mais ça fonctionne très bien. Les cadres font très bien le travail.
Mais quand on parle d'une grève qui dure 10 mois à Fermont ou chez Vidéotron, peu importe, il y a des familles qui souffrent. Alors, il faut qu'un cadre puisse assurer les services essentiels. Je vous parle en tant que consommateur et je vous dis que cela va forcer l'équilibre pour arriver à une solution.
Alors, quel est le problème?
Les statistiques qu'on vous a soumises démontrent le contraire.
L'hon. Denis Coderre: Moi aussi, j'ai des statistiques.
M. Santo Alborino: Justement, quand on parle de statistiques, on peut sortir des arguments, et ils peuvent être plausibles, d'un côté comme de l'autre.
[Traduction]
Merci, monsieur Coderre.
C'est tout le temps dont nous disposions pour ce tour. Nous passons à l'intervenant suivant.
[Français]
Madame Lavallée, vous avez sept minutes.
Effectivement, c'est beaucoup trop court pour un sujet aussi important que celui-ci, mais nous en parlons en profondeur. Si vous vous étiez présenté devant le Comité législatif chargé du projet de loi C-2, sur les conflits d'intérêts et le financement électoral, ce ne serait pas sept mais deux minutes que vous auriez obtenues.
C'est dommage que M. Coderre soit parti. Je voulais lui dire qu'il a manqué une bonne prestation du ministre, qui s'est levé à la Chambre pour déclarer, avec sérieux, que dans les provinces où une loi antibriseurs de grève est en vigueur, il y a moins d'investissements.
Il s'appuyait sur des études, l'une de l'Institut Fraser et l'une de l'Institut économique de Montréal. Or, c'est exactement la même étude, faite par le même auteur et tout. Finalement, nous lui avons démontré — il y croyait dur comme fer — que cela n'avait aucun sens, étant donné que cette étude s'appuie sur des données recueillies entre 1963 et 1995, donc sur des données désuètes. De plus, il s'agit d'un sondage effectué auprès des grandes entreprises, et non auprès des PME qui forment le noyau économique du Québec. Nous avons réussi à le faire changer d'avis, car il n'en a pas reparlé ce matin. C'est assez étonnant.
Par ailleurs, il nous sert les mêmes mots depuis deux ou trois jours. C'est une campagne de peur qui est menée, et vous y participez aussi, monsieur Alborino et monsieur Brazier. Je suis étonnée. Vous utilisez des mots tels que « paralysie totale », « tout est essentiel ». Vous avez peur des défaillances, y compris celle du service téléphonique d'urgence 911.
Monsieur le ministre est venu nous parler du 911. Au Québec, je sais comment fonctionne le 911, c'est un service de compétence municipale. À Longueuil, où j'habite, c'est de compétence municipale, c'est la police municipale qui est responsable du 911. Ce n'est pas de compétence fédérale. Dans les autres provinces, M. Georgetti vient de nous dire que le 911 est de compétence provinciale. Alors, ce n'est pas un secteur qui serait touché par ce projet de loi.
Par ailleurs, monsieur Alborino, vous dites que : « La capacité d'offrir au moins un niveau de service minimal est essentielle afin de préserver l'intégrité de notre infrastructure nationale ».
Bravo, c'est parfait! Vous allez retrouver dans le projet de loi C-257 cette capacité d'offrir un niveau de service minimal, parce qu'il permet aux cadres de remplacer les travailleurs. C'est écrit au paragraphe (2.2)a) proposé, que je peux vous lire, si vous le voulez. Les cadres peuvent effectivement remplacer les travailleurs en grève. C'est une façon honnête et équilibrée de faire les choses.
Au Québec, nous l'avons constaté il y a deux ans, durant la grève de la SAQ. Imaginez cela : les employés de la Société des alcools du Québec en grève durant le temps des Fêtes. Nous nous sommes débrouillés, nous les Québécois, parce que les cadres ont remplacé les travailleurs en grève. Cela s'est bien passé : la grève a duré trois mois. Une grève est toujours trop longue mais finalement, nous nous sommes débrouillés, et c'est comme ça dans tous les secteurs de la société.
Qui plus est, il existe une Loi sur les services essentiels pour les services gouvernementaux. Au Québec, on a trouvé l'équilibre pour les travailleurs relevant de la compétence provinciale. L'équilibre dans les relations de travail s'installe lorsque les employeurs, lors d'un conflit de travail, ont une production beaucoup moindre et que les employés se privent de leurs revenus. C'est ça, l'équilibre et c'est ça qui fait en sorte que les deux parties s'assoient à la même table, se parlent et ont hâte de régler la situation. Si l'entreprise continue à offrir tous les services, quel intérêt un employeur a-t-il à s'asseoir avec le syndicat et à continuer à négocier? Il n'a aucun intérêt à le faire, il se dit que de toute façon, les affaires fonctionnent quand même.
Quand les cadres doivent faire le travail à la place des syndiqués, ils vont exercer suffisamment de pression pour obliger l'employeur à rencontrer le syndicat et à négocier correctement.
Ceci m'amène à poser une question à M. Georgetti. Le ministre dit — et il l'a déjà dit au cours d'autres témoignages à ce même comité — que l'équilibre se fait quand l'employeur peut continuer à produire. Par ailleurs, M. Rodrigue Blouin, dans son excellente analyse faite en 1999, dit que les travailleurs de remplacement sont des intrus. C'est « un chien dans un jeu de quilles », si je peux dire ainsi. C'est une troisième partie qui s'installe dans une négociation qui, normalement, devrait se faire entre deux parties, c'est-à-dire la partie patronale et la partie syndicale.
Je voudrais avoir l'opinion du CTC à ce sujet. Comment considérez-vous l'équilibre dans les négociations?
[Traduction]
Tout le but d'une grève et d'un lockout, c'est d'imposer une sanction économique qui pousse la partie à résoudre un différend. D'après notre expérience, si les employeurs ou employés ne ressentent pas de pressions économiques, le différend s'éternise. Mais le fait est que cela reviendrait à payer entièrement leur salaire aux employés qui sont en grève; il serait assez difficile de les pousser à résoudre le problème.
C'est la même chose pour l'employeur. S'il continue ses activités, la sanction économique est sans effet, et par conséquent, il n'y a pas d'équilibre. Avec la loi qui a été promulguée en Colombie-Britannique, ce que nous avons constaté, c'est qu'elle faisait que les parties étaient plus égales à la table de négociation, et dans toute la résolution du différend.
Je dois continuer d'insister là-dessus : nos représentants du personnel qui négocient sur le terrain disent que les relations de travail se sont améliorées après cette loi, parce que lorsque les employés retournent au travail, il n'y a pas d'animosité. Si des briseurs de grève interviennent, les grévistes ont l'impression que leurs employeurs leur volent leur emploi. Il leur arrive de réagir par l'agression. Des gens sont blessés — c'est une chose — mais aussi l'employeur est diminué en fin de compte parce que la productivité est en baisse par la suite. On veut que les gens reprennent le travail dans un climat positif, avec le sentiment d'être des égaux, d'avoir été traités équitablement, pour que la productivité puisse augmenter et se maintenir.
J'insiste encore là-dessus : 98 p. 100 des négociations collectives que nous menons au Canada aboutissent à un règlement. Nous sommes très productifs dans les industries où nous travaillons. Les 3 p. 100 qui deviennent des conflits doivent être résolus rapidement et efficacement. Nous pensons que ceci rétablit beaucoup mieux l'équilibre pour les citoyens canadiens, particulièrement quand on a affaire à ces énormes compagnies multinationales qui ont très peu d'égards pour les droits des Canadiens ou des citoyens — c'est votre travail.
Les citoyens canadiens nous disent, par le biais de nos mécanismes, que là où il y en a, tout va, et quand il n'y en a pas, ils en veulent. Ce sont des citoyens canadiens qui vous parlent. C'est ce pour quoi vos électeurs vont vous voir. C'est ce que veulent vos citoyens.
Les entreprises ne l'apprécieront peut-être pas, mais d'après mon expérience avec elles, elles s'adaptent très bien aux conditions avec lesquelles elles doivent vivre. ils font du bon travail en Islande et en France, et dans d'autres pays, en Corée du Sud, où il y en a. Ils font du bon travail ici au Canada aussi, quand il y en a.
Madame Lavallée, vos sept minutes sont écoulées.
Nous laissons la parole à Mme Davies pour sept minutes.
Merci beaucoup.
Je remercie les témoins d'être venus aujourd'hui et de nous exposer leur point de vue.
J'aimerais revenir à cette question des services essentiels. Quels mécanismes sont en place, et sur quoi devons-nous nous pencher? Le ministre, ce matin, nous a laissé l'impression que si nous adoptions ce projet de loi, nous allions en quelque sorte provoquer le chaos économique au pays, parce que le projet de loi l'aura causé. Je ne pense vraiment pas que ce soit la réalité. Je pense que les représentants syndicaux, aujourd'hui ont brossé pour nous un tableau très juste de la réalité, de ce qui se passe vraiment avec ce genre de lois qui, en fait, améliorent le climat des relations de travail.
Il me semble que les employeurs ont deux mécanismes à leur disposition lorsqu'il y a grève et s'ils ne peuvent pas remplacer des travailleurs. L'un est le recours aux gestionnaires. Il y a cette disposition dans le projet de loi. L'autre, c'est la question des services essentiels.
Monsieur Georgetti, vous avez souligné, et vous aussi monsieur Yussuf dans votre mémoire, que la disposition actuelle du Code canadien du travail devrait être intégrée à ce projet de loi, qu'en fait, ce projet devrait y être comparable. Je me demande seulement quelle expérience vous avez eue avec vos entreprises affiliées de l'utilisation de cet article. Actuellement, l'employeur ou le syndicat peut recourir, je pense, à l'article 87.4. S'ils ne peuvent parvenir à une entente entre eux, ils peuvent s'adresser au Conseil. Le Conseil peut intervenir et déterminer quels sont les services essentiels. Donc, il y a une tierce partie qui intervient.
Tout d'abord, est-ce que vous considérez que c'est un processus valable? J'ai demandé au ministre s'il pensait que ce devait être changé. Il n'a pas répondu, alors je ne peux que supposer qu'il estime que c'est valable. J'aimerais savoir si vous pensez que c'est suffisant tel quel.
Deuxièmement, j'aimerais seulement dire que pour ce qui est du différend de la mine Ekati, j'y étais, j'ai rendu visite aux travailleurs, et je peux dire absolument que l'absence de ce type de loi a vraiment exacerbé l'animosité et les difficultés auxquelles qu'affrontent ces travailleurs. Je pense que l'employeur le savait; il savait jusqu'où il pouvait aller parce qu'aucune restriction ne lui était imposée.
Alors, peut-être pourriez-vous répondre et dire si vous pensez que les dispositions du Code actuel sont suffisantes pour régler la question des services essentiels.
En ce qui concerne le Code canadien du travail actuel, la partie 1, qui est actuellement l'article 87.4, porte sur l'offre de services essentiel.s Il y a deux critères importants pour déterminer ce qu'est un service essentiel. Le premier, bien entendu, c'est la santé et la sécurité publique. La définition n'est pas ambiguë; c'est une définition très claire.
En ce qui concerne le projet de loi C-257, nous soutenons que le projet de loi devrait être compatible avec l'offre de services essentiels. C'est là pour une raison. Cet article établit le fait que vous devez le prévoir, et nous pensons qu'ils devraient être compatibles.
Nous ne pensons pas qu'il y ait conflit, mais encore, le comité peut obtenir un avis juridique quant à la présence d'un conflit. Mieux vaut pêcher par l'excès de prudence, bien entendu, et nous assurer que ce projet de loi ne compromet pas l'article 87,4 du Code.
En outre, le projet de loi C-257 ajoute une disposition qu'il n'y a pas actuellement dans le Code canadien du travail, partie 1. C'est qu'en cas de conflit, les travailleurs de remplacement ne pourraient pas traverser le piquet de grève.
Il prévoit aussi que la direction puisse continuer de s'acquitter de ses responsabilités dans le contexte du lieu de travail, et je pense que c'est une disposition supplémentaire. Nous pensons qu'il est fondamental que le projet de loi soit conforme à l'article 87.4.
Chaque fois que nos entreprises affiliées ont dû aller devant le Conseil pour discuter des éléments des services essentiels ou, plus important encore, quand l'employeur a soulevé cela comme un élément de préoccupation, ils ont vraiment trouvé une solution et conclu une entente satisfaisant les deux parties, et quand ils ne le pouvaient pas, ils faisaient appel au Conseil. Nous avons toujours trouvé que le Conseil réglait ces différends de façon juste et équitable. C'est son travail de déterminer si les parties qui soutiennent que ce devrait être déclaré un service essentiel présentent des arguments légitimes tels que définis dans la loi en vigueur.
Nous avons toujours eu l'impression que le Conseil était juste et équitable, alors si les parties ne peuvent résoudre leurs différends, je pense qu'il est légitime que le Conseil prenne la décision finale. Nous pensons que c'est un élément essentiel des changements qui devraient être appliqués au projet de loi C-257.
J'ai une brève question à vous poser à tous les deux sur le même sujet. Il me semble que la rapidité est absolument essentielle. Quand un différend naît et qu'on ne s'entend pas entre le syndicat et l'employeur, et par conséquent qu'aucune partie ne fait appel au Conseil, il serait vraiment important d'avoir une audience très rapidement.
Quelle est la situation actuelle? Est-ce que ce devrait-être quelque chose que nous devrions examiner? J'ai entendu qu'il peut y avoir des retards. Peut-être Patty Ducharme voudrait-elle répondre aussi, parce que je suis sûre que vous en avez l'expérience.
Bien avant que les parties en viennent à déposer un avis de grève ou de lock-out, une fois qu'on reçoit un avis de négociation, il faut régler la question des services essentiels. Ce n'est pas quelque chose qui se fait à la dernière minute.
Bien avant que les parties entrent dans une situation de conflit ou de lock-out, elles doivent établir la procédure. Ce n'est pas quelque chose qui se fait en dernière minute. C'est déterminé bien avant, à cause de la manière dont c'est structuré dans la loi. Il ne pourrait arriver que les parties présentent leur intention de se mettre en grève dès aujourd'hui et en lock-out, et puis ensuite elles se présentent devant le Conseil. Il y a cette clause pour le Conseil. Si le Conseil canadien des relations industrielles a besoin des ressources adéquates pour s'acquitter de sa responsabilité, c'est le rôle du Parlement que de lui fournir ces ressources nécessaires. C'est un peu comme les services policiers; si vous n'allez pas les financer, ne vous attendez pas à ce qu'ils mènent des enquêtes liées à leurs responsabilités.
Je pense qu'il est essentiel que l'on reconnaisse que le Conseil a une responsabilité. Personne n'a jamais dit que le Conseil ne s'était pas acquitté de sa responsabilité à l'égard de l'offre de services essentiels quand on le lui a demandé.
C'est une petite chose: en Colombie-Britannique, la fédération, là-bas, ne sanctionnera pas une grève à moins qu'il y ait eu entente sur les services essentiels, ou qu'elle ait été sanctionnée par la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique.
J'allais seulement dire que c'est ce que nous faisons, quelle que soit la mesure législative, et que ce soit le code ou le secteur public, de négocier les ententes sur les services essentiels bien à l'avance, mais c'est toujours utile quand il y a un conflit.
Merci. Merci madame Davies.
Nous allons maintenant passer au dernier intervenant pour cette tournée de questions, M. Brown.
Merci monsieur Allison. S'il me reste du temps, j'aimerais le laisser à M. Yelich; je sais qu'il a des questions.
J'ai quelques commentaires. J'apprécie la venue ici des témoins aujourd'hui.
J'entends parler de l'Irlande comme d'un modèle. Je pense que c'est M. Georgetti qui en a parlé. Son succès, à mon avis, relève est du plus faible taux d'impôt sur les sociétés. Je suis sûr que M. Georgetti en est un fervent supporteur, et j'espère que nous l'entendrons en parler devant le Comité des finances à un moment donné.
J'ai aussi entendu parler du service 911 comme d'un service provincial. J'ajouterai que les télécommunications sont de compétence fédérale, alors il est important qu'on n'oublie pas, honnêtement, de le dire.
Je remarque aussi avoir entendu des préoccupations au sujet de la violence. Manifestement, les Canadiens sont très pacifiques, alors je pense que cet argument pourrait être trompeur. S'il y a le moindre risque de violence dans ce contexte, je pense que les risques de violence seraient plus élevés si les gens ne pouvaient obtenir leur chèque de paie et acquitter leur hypothèque à cause de l'arrêt de travail dans les banques à cause des télécommunications, si nous empêchions les télécommunications et faisions obstacle à leur travail; ou si les producteurs de grains ne pouvaient employer les trains et charger leurs produits sur les trains. L'argument de la violence, je le pense, n'est pas très inquiétant. Je pense que c'est plus alarmiste qu'autre chose.
Ma question s'adresse à l'ABC. Est-ce que l'ABC pourrait me dire si elle a fait des recherches sur le sujet? Aussi, peut-elle me donner des exemples de l'impact que pourrait avoir le projet de loi C-257, et pourquoi il est si important pour l'ABC de présenter ses arguments devant nous aujourd'hui?
En ma qualité de député de l'Ontario, je m'en préoccupe aussi beaucoup. J'ai vu la dévastation qu'ont causée des lois similaires en Ontario entre 1993 et 1995. De toute évidence, ce serait une décision d'envergure pour le Parlement que de changer d'idée là-dessus après avoir dit non, il y a à peine deux ans, avec des députés, comme M. Regan, qui avaient très bien fait leurs recherches, qui ont voté contre, ou le tout nouveau chef du Parti libéral. Je pense qu'il serait très important que si une décision aussi radicale doit être prise, elle ait un grave motif. Peut-être l'ABC peut nous exposer ce qu'elle pense de cet important projet de loi.
La question, c'est surtout l'impact qu'il aurait sur les consommateurs par l'intermédiaire des banques. Ce n'est qu'une question de voies de communication. C'est la clef, ici.
Nous ne sommes pas directement touchés, du point de vue des travailleurs de remplacement, parce que, comme l'a dit M. Georgetti, nous n'avons que moins d'un quart de 1 p. 100 de travailleurs syndiqués.
Cependant, si les travailleurs de remplacement sont interdits dans les compagnies de télécommunication, c'est là qu'il y aurait un impact. Comme vous l'avez vous-même souligné, la clef, c'est d'avoir accès à son argent. Si on ne peut pas transférer d'argent, ou si on ne peut pas d'y avoir accès — Chacun d'entre nous, ici, est client quelque part. Si ce n'est à ma banque, c'est à celle de M. Alborino, ou n'importe quelle autre. Il s'agit principalement de la possibilité de ne pas être en mesure de transférer de l'argent ou d'y avoir accès.
C'est la clef ici. Ce n'est pas l'impact direct sur les banques, du point de vue des travailleurs de remplacement. C'est le manque d'accès à tous les moyens financiers et aux investissements financiers que nous avons dans les banques ou dans le secteur bancaire. C'est pour les consommateurs plus que pour les banques.
Je n'ai une question rapide pour l'ETCOF. Je ne sais pas si vous avez regardé vos succursales de l'Ontario et du Québec, mais à en juger par le nombre de jours-personnes perdus parmi les employés en Ontario et au Québec depuis cinq ans, le marché du travail de l'Ontario est plus calme sans cette loi que le Québec qu'il l'a.
Nous cherchons un modèle qui fonctionne. Il semble que l'Ontario fonctionne beaucoup plus efficacement sans elle. Je me demande si vous pouvez commenter cela, en offrant des suggestions ou votre avis sur la raison qui fait que les choses vont beaucoup mieux dans une province qui n'a pas cette loi, pour favoriser la paix dans le milieu de travail.
D'abord, je ne pense pas que les données prouvent quoi que ce soit. Voilà qui montre parfaitement bien qu'on peut faire dire ce que l'on veut aux statistiques.
J'ai commencé à examiner les données publiées par le ministère du Travail du Québec, qu'on a ventilées en fonction du provincial et du fédéral, et j'en ai déduit qu'on ne pouvait justement pas en tirer de conclusions, ce que M. Blouin a constaté également. Je ne crois pas que le recours aux travailleurs de remplacement ait une quelconque incidence sur le nombre de grèves, leur fréquence ou le nombre de jours-personnes perdus.
Il y a de nombreux autres facteurs qui jouent un rôle dans la stabilité des relations de travail. Il peut s'agir de problèmes que doivent régler l'employeur et le syndicat, du nombre de syndicats à la table de négociations ou encore de la relation établie au fil des ans. Un grand nombre de facteurs entreront en ligne de compte dans la stabilité du climat de travail. Je n'irais pas jusqu'à dire que le fait d'embaucher des travailleurs de remplacement n'a pas d'importance, mais ce n'est pas le seul facteur, et compte tenu des données, je doute fort qu'il soit prépondérant.
Quand on y pense, il est plus logique de comparer les industries québécoises aux industries ontariennes et britanno-colombiennes qu'aux secteurs de compétence fédérale.
Par ailleurs, je dirais que les statistiques doivent faire l'objet d'une analyse approfondie. Les données brutes, à mon avis, peuvent induire en erreur. L'an dernier, il y a eu 163 grèves au Québec, ce qui semble énorme. Cette situation est en partie attribuable au fait que RHDCC a compté tout un tas de ce que j'appellerais des grèves tournantes dans la fonction publique comme des grèves distinctes. En constatant qu'il y en a eu 163 au Québec et seulement cinq au fédéral, on pourrait se dire : « Mon Dieu, regardez-moi ça. Personne ne travaille au Québec. »
C'est ce qui pose problème avec ces données. Il faut les interpréter. Dans les faits —
Mon temps sera bientôt écoulé. Pourrais-je obtenir des explications supplémentaires de l'Association des banquiers canadiens là-dessus? Je ne pense pas que ce soit uniquement une question de données. Ces cinq dernières années, les statistiques ont montré la même tendance: en Ontario, comparé au Québec, il y a eu une paix sociale relative en ce qui a trait au nombre de jours de travail perdus pour 1 000 employés dans le secteur privé.
Est-ce que l'ABC pourrait nous expliquer pourquoi, pour ces cinq années consécutives, la différence est aussi marquée en Ontario où la loi n'est pas en vigueur?
C'est pour cela que, dans les tableaux figurant dans notre mémoire, nous avons exposé les données étalées sur une trentaine d'années au lieu d'un an seulement. À elles seules, les données des cinq dernières années appuient ce que vous venez de dire. Comme M. Coderre l'a fait remarquer, cela fonctionne au Québec depuis 30 ans, alors on n'est pas si stupide. Mais ce n'est pas de cela dont il s'agit.
Le fait est que cela fonctionne encore mieux qu'ailleurs depuis 30 ans au fédéral. De là à dire que c'est un échec au Québec — ça peut très bien être le cas, mais les statistiques indiquent que cela a fait ses preuves pendant au moins 30 ans au fédéral. Nous ne pouvons perdre de vue cet argument.
Merci beaucoup, monsieur Brown.
Nous allons passer au second tour de table; je cède la parole à Mme Brown.
Merci, monsieur le président.
Je pense, comme M. Brazier, que nous pouvons nous laisser prendre par les statistiques, au lieu d'adopter une vue d'ensemble comme nous sommes censés le faire en tant que législateurs.
Si je me fie aux propos des banquiers, étant donné que le pourcentage de syndicalisation de leurs employés est faible, leur principale crainte face à ce projet de loi concerne d'éventuelles grèves des travailleurs des télécommunications qui auraient pour effet de ralentir ou de paralyser certaines transactions bancaires. J'aimerais poser une question à M. Georgetti au sujet du degré de syndicalisation des travailleurs en télécommunications, et lui demander s'il a des statistiques — ou plutôt des données factuelles — à nous communiquer là-dessus.
Pour en revenir à la question de l'équilibre et de l'équité, certaines personnes, ici, ont déclaré que la loi actuelle permettait un bon rapport de forces; M. Georgetti a dit une chose des plus intéressantes ce matin, lorsqu'il a affirmé qu'il n'y avait aucun équilibre.
Pouvez-vous nous dire — ou nous trouver de l'information là-dessus — comment les travailleurs des télécommunications, si essentiels à l'industrie bancaire, s'en sont tirés au cours des dernières négociations de leur convention collective? Autrement dit, disposez-vous de données permettant de comparer les profits réalisés par les entreprises ou l'industrie des télécommunications aux augmentations salariales consenties aux travailleurs du secteur? Il me semble que la question essentielle pour nous consiste à savoir si, dans le cas où l'économie est en plein essor et où les entreprises font toujours plus de profits, les travailleurs ont leur juste part du gâteau, eux dont le travail a permis de réaliser de tels profits?
J'aimerais revenir sur cette question élémentaire qui oppose travailleurs et employeurs, car je crois que cela nous aidera à déterminer à quel point il faut remanier la loi en vigueur. Faut-il l'amender ou créer une toute nouvelle loi comme celle qui nous occupe?
J'invite M. Georgetti à me répondre.
D'entrée de jeu, la meilleure réponse que je peux vous donner, c'est que le taux de syndicalisation est assez élevé dans le secteur des télécommunications. Des représentants du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, qui regroupe un grand nombre de membres du secteur, doivent comparaître. Mais ne faites pas l'erreur d'associer les règlements salariaux aux grèves; curieusement, ce n'était pas l'objet de la plupart des grèves prolongées. C'est une toute autre histoire.
Je suis d'accord avec Don lorsqu'il dit qu'en tentant d'analyser les chiffres, on va vers la confusion et pas nécessairement vers des conclusions. Mais là n'est pas la question. Le fait est que, pour démonter l'argument des banquiers, il existe beaucoup d'entreprises de télécommunications; si l'une est en grève, on peut faire appel à une autre. C'est fort simple. On peut recourir à toutes sortes d'options en cas d'imprévu.
Ce n'est pas comme si le ciel allait nous tomber sur la tête. Nous avons déjà eu des conflits de travail dans le domaine des télécommunications : parfois, on a embauché des travailleurs de remplacement, et d'autres fois, non; cela n'a jamais empêché le secteur bancaire canadien de fonctionner. Malgré ces arrêts de travail, la terre n'a pas cessé de tourner. Si l'on confronte ces prédictions aux faits réels, sachez qu'il y a eu des conflits dans tous les secteurs du fédéral, y compris ceux désignés comme services essentiels, sans que le ciel ne nous tombe sur la tête pour autant. Dans beaucoup de conflits de travail, on n'a pas fait appel à des briseurs de grève, et on a fonctionné quand même. Au Québec et en Colombie-Britannique, le PIB continue de croître et les banques, d'ouvrir de nouvelles succursales.
Ce que vous devez vous demander, avec tout le respect que je vous dois, c'est quelle incidence a sur les relations de travail le fait de recruter des briseurs de grève dans le cadre d'un conflit. Vous vous apercevrez que si on n'en embauche pas, les relations de travail à la suite d'une grève sont meilleures. C'est de cela qu'il s'agit.
Si vous vous empêtrez dans un bourbier statistique concernant le nombre de jours perdus... certains peuvent être dus à des conflits de travail au fédéral, tandis que d'autres... toutes sortes de facteurs entrent en ligne de compte. Pour ce qui est du motif du conflit, dans le cas d'Ekati, il ne s'agissait pas des salaires, mais de la reconnaissance du syndicat dans le cadre de la première convention collective. Certains des principaux litiges à l'origine des conflits ne portaient pas sur les salaires; à mon avis, cette question n'est pas pertinente pour vos délibérations.
C'était une situation particulière. Des mineurs tentaient de se syndiquer, de faire reconnaître leur accréditation, etc. Mais prenons l'exemple d'une industrie sous réglementation fédérale ayant fait grève, et dont le syndicat était reconnu. Vous dites que ce n'était pas une question d'argent. Mais il me semble que la plupart du temps, ça l'est.
Le dernier conflit de travail dans le secteur des télécommunications impliquait Telus. Il portait sur la fusion de deux unités de négociation et sur les dispositions de la nouvelle convention. Cela avait très peu à voir avec la rémunération, et tout à voir avec la façon de fusionner deux conventions collectives.
Merci, madame Brown. C'est tout le temps que nous avons.
Je cède la parole à M. Lessard; vous avez cinq minutes.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Mes deux premières questions s'adressent à M. Alborino.
Quel est le taux de syndicalisation du secteur bancaire?
Il est de moins de 1 p. 100, mais j'ajouterais que certaines banques sont syndiquées depuis plus de 25 ans.
C'est très facile à expliquer. Les banques sont en mesure d'offrir aux employés des conditions de travail et des avantages sociaux satisfaisants, de même que des programmes flexibles qui facilitent la conciliation travail-famille. Ils choisissent donc de ne pas se faire représenter par un syndicat. Certains d'entre eux se sont affiliés à certaines centrales pendant deux, trois, quatre ou cinq ans et ont décidé d'en sortir. C'est un choix fondamental que peut exercer chaque employé.
Je sais cela. Vous avez pris la peine de venir témoigner devant le comité pour dire que ce projet de loi mettait en péril les banques. Pourtant, le taux de syndicalisation de votre secteur n'est que de 1 p. 100.
En quoi ce projet de loi met-il les banques en péril, compte tenu du faible taux de syndicalisation du secteur bancaire? Après tout, ce sont les travailleurs syndiqués qui font la grève. J'aimerais que vous répondiez à ma question de façon précise et objective.
Vous avez dit que ce projet de loi mettait en péril les banques, mais vous avez dit aussi qu'en cas de conflit, il fallait maintenir un service minimum. Ai-je bien compris qu'en cas de conflit, vous ne prévoyez pas ou ne souhaitez pas qu'il y ait nécessairement tous les travailleurs?
Je vais répondre à votre première question.
Je n'ai pas dit que le projet de loi mettait en péril les banques. J'ai dit qu'il mettait en péril les services offerts par les banques. C'est très important, parce que cela touche tous les Canadiens.
J'aimerais renchérir sur ce que M. Georgetti a dit sur les communications, en réponse à la question de Mme Brown. Elle a demandé à M. Georgetti comment on pouvait assurer la liaison entre le secteur des télécommunications et les banques. Il a répondu qu'il ne semblait pas y avoir de problèmes présentement dans le secteur des télécommunications. Ça fonctionne bien.
Que considérez-vous comme un service minimum? Vous avez saisi le message de M. Georgetti, mais vous avez dit que les banques devaient offrir un service minimum en cas de conflit.
Le comité devra présenter des propositions à la Chambre de communes; nous devons donc nous assurer de bien comprendre votre message. Qu'entendez-vous par service minimum?
Un service minimum est assuré en vertu de la loi présentement en vigueur. En fin de compte, c'est ce dont il s'agit quand on parle d'équilibre.
M. Georgetti a dit qu'il y avait actuellement un équilibre qui fonctionnait bien. Je crois donc qu'il fonctionne.
D'accord. Vous ne dites pas autre chose que cela? J'avais cru comprendre que vous disiez autre chose.
On a demandé plus tôt à M. Blackburn, le ministre du Travail, s'il avait demandé à la province du Québec, qui a une loi antibriseurs de grève depuis 30 ans, si elle avait l'intention de remettre en question cette loi. Il ne nous a pas répondu; il a dévié la question à deux reprises.
Vous avez un très grand nombre d'affiliés au Québec dont, je pense, la FTQ; 500 000 personnes, ce n'est pas rien. À votre connaissance, le gouvernement du Québec, après avoir expérimenté une loi antibriseurs de grève pendant 30 ans, a-t-il fait des démarches pour remettre cette loi en question?
[Traduction]
Le Québec a une loi depuis presque une trentaine d'années maintenant, et la Colombie-Britannique, depuis plus de quinze ans. Malgré le fait que les gouvernements de diverses allégeances qui se sont succédé aient proposé des changements, aucun amendement n'a été déposé par le nouveau régime concernant une loi anti-briseurs de grève. Si tous ces arguments au sujet du ciel nous tombant sur la tête, des investissements, de l'effondrement du marché ou du monopole conféré à la main-d'oeuvre pour la négociation des conventions collectives étaient vrais, je pense qu'aucun gouvernement ne permettrait le maintien d'une telle situation, compte tenu des conséquences pour l'économie.
La réalité, c'est que si vous demandez aux gouvernements du Québec et de la Colombie-Britannique si cette loi a bien rempli son rôle, ils vous répondront par l'affirmative. Elle a apporté équilibre et équité pour la négociation d'ententes collectives. Plus important encore, elle a fourni un cadre constructif permettant d'en arriver à un règlement en cas de conflit, qu'il s'agisse d'un lockout ou d'une grève.
C'est l'une des principales raisons pour lesquelles il n'y a eu aucun changement. En effet, on a constaté que cette loi était efficace et qu'elle atteignait les objectifs établis lors de sa création, il y a 30 ans au Québec et plus de 15 ans en Colombie-Britannique.
Merci, monsieur Lessard.
Nous allons maintenant passer aux autres intervenants. Madame Davies, vous avez cinq minutes.
J'aimerais poser quelques brèves questions supplémentaires.
Je crois qu'il est juste de dire que la plupart des travailleurs ne souhaitent pas aller en grève. Ils préfèrent de loin négocier et signer une entente, tout comme les employeurs, d'ailleurs. On fait la grève en dernier recours, lorsque tout le reste a échoué.
J'ai trouvé votre remarque très intéressante, monsieur Georgetti, parce que je crois qu'on n'avait pas souligné cela auparavant. Lorsque les travailleurs retournent au travail après une grève, à quoi ressemble leur environnement de travail? Vous dites que là où il y a des lois anti-briseurs de grève, le climat de travail est très différent.
J'ignore si le gouvernement fédéral se penche là-dessus. Aujourd'hui, nous avons cité un certain nombre de rapports et d'études, mais je ne sais pas s'il en existe au fédéral. Je me demande seulement si, au syndicat, vous avez fait une étude au sujet des travailleurs qui retournent au travail, afin de vraiment examiner les différences entre un milieu de travail où la loi est en vigueur et un autre où elle ne l'est pas. Voilà pour l'une des questions.
Je vous pose ma seconde question parce que vous venez de Colombie-Britannique. Il est curieux que cette loi soit toujours en vigueur là-bas. Le gouvernement de cette province est selon moi très proche des conservateurs, à Ottawa, sur beaucoup de questions, mais je n'ai pas entendu dire qu'il avait tenté d'abroger cette loi. Certes, il a pris d'autres mesures assez radicales en ce qui concerne les droits des travailleurs, mais il n'a pas essayé de révoquer cette loi provinciale. Je me demandais ce que vous pensiez du fait qu'elle est toujours en vigueur, puisque le gouvernement en place pourrait s'y opposer d'un point de vue idéologique.
Non, il n'a pas agi dans ce sens. On a modifié le Code des relations de travail, et c'est un gouvernement mu par une très forte idéologie, qui ne tient pas les syndicats en haute estime. Il a mis fin à l'accréditation automatique et à d'autres dispositions de la loi, sans toutefois toucher à la législation sur les travailleurs de remplacement, car il savait très bien, je pense, qu'elle a l'impact voulu et des effets réellement positifs pour les deux parties.
Le fait que la communauté des affaires de Colombie-Britannique n'ait rien tenté elle non plus et qu'elle ne se soit pas plainte en dit long également. À notre avis, cela confirme que la législation a réussi à établir un mince équilibre que le gouvernement ne veut pas briser. Et nous en sommes fiers.
Nous pensions qu'au fil des consultations, cette mesure législative ferait l'objet d'inévitables objections de la part du milieu des affaires, mais l'opposition n'a pas été très vive. Les gens d'affaires s'y attendaient, connaissaient les effets de la loi au Québec — nous en avions beaucoup parlé — et ils savaient qu'ils pourraient composer avec. Comme on l'a vu, ç'a été le cas, et cela fonctionne très bien.
En ce qui concerne la première remarque au sujet des relations pendant et après un conflit, comme les membres du comité le savent peut-être — ou peut-être pas, à moins d'avoir participé à des négociations ou d'avoir évolué dans le domaine —, les relations de travail sont un sujet très délicat. Évidemment, on établit un lien de confiance au fil des ans. Or, bien souvent, un conflit peut détruire toute la bonne volonté qu'il y avait de part et d'autre. Par ailleurs, longtemps après le règlement d'un conflit, il est nécessaire d'entretenir des rapports harmonieux pour pouvoir faire fonctionner l'entreprise efficacement et produire les résultats escomptés, c'est-à-dire générer des profits pour l'employeur.
Quant à savoir ce qui arrive dans le cas d'un âpre conflit de travail où l'on force les travailleurs à choisir leur camp et où l'on fait intervenir un élément étranger tel que des travailleurs de remplacement, nous ne disposons pas de données statistiques ni d'études là-dessus. Mais dans pratiquement chaque milieu de travail où une telle situation s'est produite, d'après ma propre expérience et celle de mes collègues qui comparaîtront devant vous, les relations ne reviennent pas à la normale. Dans les faits, il faut déployer des efforts pendant des années. Parfois, le ministère du Travail doit intervenir pour aider les parties à rétablir cette relation, parce que beaucoup de bonne volonté a été perdue dans le processus, et on tente de la retrouver.
Il est crucial que le comité comprenne que pour qu'un milieu de travail fonctionne efficacement, il faut de la bonne volonté des deux côtés. Si nous devions nous limiter à un aspect de la convention collective, nous n'arriverions à rien. C'est cette souplesse, cette capacité des parties à faire des compromis, à se respecter et à faire fonctionner l'entreprise qui sont nécessaires.
Bien souvent, lorsque cette rupture survient — votre comité entendra des témoignages au sujet de conflits de travail très éprouvants —, on découvre justement que cela a d'énormes conséquences pour l'avenir. D'autres collègues qui comparaîtront pourront vous dire directement quelles ont été les conséquences de ces conflits de travail peu reluisants où l'on a fait appel à des travailleurs de remplacement.
Merci beaucoup.
Je cède maintenant la parole à notre dernier intervenant pour cette ronde de questions. Monsieur Lake, allez-y s'il vous plaît; vous avez cinq minutes.
Merci, monsieur le président.
Merci à tous de votre présence ici aujourd'hui.
Mme Davies a dit brièvement que pour les syndicats, la grève était la solution de dernier recours. En cela, elle réitérait les propos de Mme Ducharme. J'ajouterais que c'est la même chose pour les employeurs. La grève ou le lockout sont des solutions de dernier recours pour les employeurs en ce moment. Je dirais que la situation qui illustre bien l'équilibre en place actuellement consiste en ce que, pour les deux parties, une grève ou un lockout sont des mesures de dernier ressort. Si nous commençons à parler de détruire cet équilibre, ce qui serait le cas avec cette mesure législative, je pense, l'harmonie serait compromise. Cela ne devient plus un dernier recours du point de vue du syndicat, mais cela complique grandement la tâche des employeurs.
J'ai des réserves en ce qui concerne toute la terminologie employée pour parler du monde du travail en général, comme le terme « travailleurs ». Nous sommes tous des travailleurs. Nous travaillons tous très fort. Qu'il s'agisse de personnes de métier, de serveurs, de gestionnaires, de propriétaires de petites entreprises, de PDG ou même de dirigeants syndicaux ou de parents à la maison, les Canadiens sont des gens qui travaillent fort. En tant que parlementaires, nous devons aborder cette question dans l'intérêt de tous les Canadiens, et non d'un seul groupe. Il est important pour nous de trouver un juste milieu pour tous les Canadiens. Certains sont des gens qui consomment les produits offerts par l'industrie des télécommunications ou des transports. Ils prennent l'avion. Ils font toutes sortes de choses. Les Canadiens ne vivent pas en vase clos.
Le terme « conflit de travail » parle de lui-même. Il s'agit un désaccord entre deux groupes qui ont chacun leurs intérêts, n'est-ce pas? Vous avez les employés, un syndicat, qui agit dans l'intérêt des employés et, évidemment, les employeurs, qui ont aussi leurs propres intérêts.
On dirait que les trois autres partis et les dirigeants syndicaux défendent seulement les intérêts d'un seul groupe dans cette affaire, celui qu'ils appellent « les travailleurs », et que tous les problèmes sont de la faute des employeurs.
Monsieur Georgetti, vous avez fait une remarque qui laissait entendre que les employeurs ne se préoccupent guère des travailleurs dans l'impossibilité de subvenir aux besoins de leur famille en cas de lockout ou de grève. Je crois qu'il serait également juste de dire que votre organisation, parfois, a peu de considération pour le sort des gens d'affaires qui ont travaillé d'arrache-pied pour bâtir leurs entreprises. Celles-ci peuvent être durement touchées et mises à mal par une grève ou des actions irréfléchies. Je ne dis pas que tous les actes des syndicats sont déraisonnables, loin de là, mais ils peuvent parfois l'être, tout comme les agissements des employeurs, à l'occasion. Mais tout n'est pas toujours de la faute des employeurs. Bien souvent, ce n'est pas une mesure prise par un employeur, mais plutôt par un syndicat, qui peut-être déraisonnable, et je pense que ce dont il est question ici est un problème fondamental d'équité.
J'aimerais maintenant que le représentant de l'ETCOF m'explique brièvement ce qu'il pense de ce que j'ai dit à propos de l'équilibre, ainsi que de la façon dont cette loi pourrait modifier les rapports de forces.
Évidemment, un processus de consultation très efficace a été mis en place. Il a été très utile et transparent, et a donné lieu à quelque chose qu'on a qualifié d'équilibré. Mais c'est une question de point de vue. Tout dépend de quel côté vous vous situez.
Le problème avec l'autorité exercée par le gouvernement fédéral n'avait rien à voir avec les grèves prolongées. Le problème était que le besoin continu de faire intervenir le gouvernement, le Parlement, pour régler le litige à la place des parties avait un effet paralysant. C'est de cela que le Groupe de travail Sims s'est occupé. Tous les premiers ministres, depuis St. Laurent, ont dû composer avec. Hormis les rares qui ne sont pas restés longtemps au pouvoir. Chaque premier ministre, quelle que soit la durée de son mandat, a dû y faire face. Le premier ministre Trudeau a dit très clairement qu'il ne croyait pas que c'était son rôle de faire le travail des autres.
J'ai participé trois fois au processus, mais je suis bien d'accord que le gouvernement ne devrait pas intervenir, pas plus que le Parlement, et cela semble avoir fonctionné. Pour moi, c'est signe que nous avons atteint un équilibre. On n'a pas demandé une seule fois au Parlement, depuis les amendements apportés au Code canadien du travail en 1999, de faire ce qu'il avait fait pratiquement chaque année pendant 20 ans. On ne lui a rien demandé car la loi a créé une structure qui oblige les parties à s'entendre. C'est précisément ce problème qui existait au moment de la création du Groupe de travail Sims et que celui-ci a réglé. Je pense qu'il faut reconnaître le mérite de Sims, dont le rapport, après de très petits changements, a permis de modifier la loi.
Si vous prenez les rapports sur les droits humains ou l'équité salariale, ces mesures ont avorté parce qu'elles n'étaient pas équitables. C'est pourquoi ils sont intouchables sur le plan politique. C'est pourquoi ils ne sont jamais allés nulle part. Dans le cas de Sims, celui-ci avait institué un processus consensuel. J'étais le président de ce groupe. La coprésidente était Nancy Riche, du CTC, parce que Sims avait fait ce qu'il fallait pour qu'au bout du compte, les recommandations soient justes et équitables.
Certaines de ces recommandations sont controversées. Je fais allusion à la disposition concernant la conciliation dans un délai de 60 jours. Pratiquement personne ne considérait que c'était réalisable, mais parce que les parties, les syndicats et les gestionnaires se sont adressés au gouvernement pour lui dire qu'ils croyaient pouvoir réussir, le gouvernement a été prêt à apporter des amendements au Code canadien du travail, et cela a fonctionné.
La grande crainte que nous avons, c'est que si vous réduisez la capacité de l'employeur à fournir des services essentiels — et, par définition, ils sont essentiels parce que de compétence fédérale —, en cas d'arrêt de travail, nous revenons à la case départ. Le Parlement se retrouvera encore à faire le travail pour les parties. Nous retournerons à l'ancienne situation regrettable.