Mesdames et messieurs, merci de nous recevoir pour témoigner sur ce projet de loi qui n'est pas nouveau pour nous, à la FTQ.
Le droit de recourir à des travailleurs de remplacement équivaut, à toutes fins pratiques, à donner à l'employeur le droit de congédier tous ses travailleurs lorsqu'il y a un conflit de travail.
Nous serons deux à témoigner ce matin. Je suis accompagné de Mme Allard, qui a travaillé à la Société canadienne des postes et qui a vécu des conflits de travail mettant en cause des travailleurs de remplacement.
On présente des arguments contre le recours à des travailleurs de remplacement depuis 30 ou 40 ans. Chaque fois qu'on a eu recours à des travailleurs de remplacement, le conflit a tourné à la violence. Il est ridicule de croire, même de nos jours, qu'il n'y aurait pas de violence si des travailleurs de remplacement traversaient les lignes de piquetage.
Il y a quelques semaines, à Montréal, des citoyens sont venus manifester devant des grévistes qui formaient une ligne de piquetage depuis neuf mois. Il est absolument insensé de penser que des travailleurs en grève depuis neuf mois sont de bonne humeur et que la traversée d'une ligne de piquetage mise en place depuis aussi longtemps ne tournera pas à la violence.
Aux États-Unis, le gouvernement a pratiquement congédié certains contrôleurs aériens. Au Canada, au début du siècle, la compagnie Maclaren a utilisé des travailleurs de remplacement: des chefs syndicaux ont été tués et leurs familles ont été bannies de la région pendant 50 ans.
En 1974, la United Aircraft a connu une grève de 20 mois qui a occasionné des affrontements, des congédiements, des emprisonnements et des blessés. Le conflit a été tellement difficile que la compagnie a dû changer de nom pour pouvoir continuer à mener ses activités au Québec.
Ce conflit et plusieurs autres sont à l'origine de la loi antibriseurs de grève au Québec. Avant l'application de cette loi, des gardes du corps ont tiré sur des travailleurs au cours du conflit chez Robin Hood, à Montréal. Plus récemment, il y a eu le conflit chez Vidéotron.
Je vais laisser à Monique le soin de parler maintenant du conflit à la Société canadienne des postes.
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Je vais témoigner à titre de travailleuse. Je participe au marché du travail depuis 40 ans, dont 32 ans à l'emploi de la Société canadienne des postes. J'ai vécu plusieurs grèves. Je peux donc vous parler longuement de mon expérience de piquetage. Comme je n'ai pas beaucoup de temps, je vais essayer de vous résumer ce que représente le fait d'être en grève et de faire la grève, avec ou sans briseurs de grève.
La décision de voter pour la grève est un choix ultime. Aucun travailleur ou travailleuse ne décide d'aller en grève de gaieté de coeur. Être en grève entraîne un niveau de stress élevé, car on ne sait pas combien de temps la grève durera ni quels seront les revenus. Ce ne sont pas des allocations de 150 $ à 175 $ par semaine qui feront prendre aux travailleurs plaisir à faire une grève. La grève est donc un choix ultime.
Je vous ramène à la grève qui s'est déroulée en 1991 à la Société canadienne des postes. À l'époque, je travaillais au centre de tri postal de Ville-Saint-Laurent, et nous, les grévistes, avions le droit de faire une grève légale. La Société canadienne des postes, qui dispose de moyens énormes, a utilisé des briseurs de grève, qu'elle transportait par hélicoptère au-dessus de nous pour les amener sur le terrain de l'installation. De plus, des gardes du corps avec des chiens doberman patrouillaient le terrain, alors que nous étions de l'autre côté.
Comme si cela ne suffisait pas, on voyait un convoi formé d'une dizaine d'autobus de briseurs de grève traverser les lignes de piquetage avec non seulement la police de Montréal, mais également l'escouade anti-émeute. Pour ma part, j'ai eu trois côtes endommagées à cause de l'escouade anti-émeute. Je leur dois cela et je pense souvent à eux.
J'ai connu des gens qui, au cours de leur carrière, étaient des personnes qu'on n'entendait jamais parler, des employés modèles qui se transformaient lorsqu'ils étaient sur une ligne de piquetage parce que le recours à des travailleurs de remplacement est un vol légal. À mon avis, on vole nos emplois, alors qu'on a le droit de faire une grève légale. La décision de faire la grève n'est pas un premier moyen, c'est un moyen ultime.
À mon avis, lorsqu'on élabore un projet de loi antibriseurs de grève, on devrait mesurer l'impact qu'il peut avoir sur la vie des gens. Des travailleurs et des travailleuses ont vu leur vie basculer. Certaines personnes, dont des employés modèles, ont perdu leur emploi à cause des briseurs de grève. Des gens se sont retrouvés avec un casier judiciaire à cause des briseurs de grève. Ces vies sont à jamais perturbées.
Je ne sais pas combien de personnes réunies autour de cette table ont vécu ce que je viens de raconter, ont dû faire du piquetage, affronter la police et ne pas savoir si elles auraient un travail après la grève. Je ne sais pas s'il y en a beaucoup, mais j'espère au moins que vous avez pu imaginer ce qu'est un conflit où on doit, jour après jour, se rendre sur la ligne de piquetage et voir des briseurs de grève traverser la ligne avec une certaine arrogance, car ils ont la protection de la police. Je ne souhaite cela à personne.
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Bonjour. Merci de bien vouloir nous entendre. J'irai droit au but. J'ai sept minutes de présentation et sept considérations à vous soumettre.
Les rapports collectifs de travail reposent sur trois piliers qu'il faut continuellement avoir en tête : premièrement, la liberté d'association et la reconnaissance syndicale; deuxièmement, l'obligation de négocier de bonne foi; et troisièmement, la possibilité de recourir à des moyens de pression économiques pour favoriser la conclusion d'une convention collective.
C'est précisément pour garantir ce troisième élément que le projet de loi dont on discute ici doit être adopté. Le droit de grève est un droit démocratique fondamental, il doit pouvoir s'exercer dans des conditions qui n'en minimisent pas l'impact.
Deuxièmement, je parlerai du prétendu équilibre. L'équilibre à rechercher dans une loi est celui des parties, pour favoriser la conclusion d'une négociation. Or, en prétendant, comme le fait la loi actuelle, équilibrer les droits économiques des uns et des autres, on ne fait que déséquilibrer le rapport de force. Le droit de poursuivre les activités durant un conflit de travail rend inefficace le recours à la grève. Ce faisant, on introduit un tiers qui ne cadre pas dans ce type de régime de relation bipartite; les forces en présence s'en trouvent déséquilibrées. Bref, cela se traduit par l'allongement des conflits, par la violence, par la perte de droits pour les travailleurs.
Il y a un troisième élément à considérer : les dispositions actuelles sont insignifiantes. La CSN ne partage pas l'avis du ministre à l'effet que le recours prévu dans le code actuel protège adéquatement les travailleurs et leurs syndicats. D'abord, cela rend légitime une pratique que nous considérons, nous, illégitime au départ. Ensuite, cela impose un fardeau indu au syndicat, qui doit faire la preuve de l'intention de l'employeur de vouloir miner la capacité de représentation du syndicat, comme si la seule conséquence de ce fait n'était pas suffisante. Enfin, c'est une preuve qui repose sur une double condition, celle de poursuivre des objectifs légitimes de négociation, du charabia, une immense coquille vide, un prétexte gratuit pour légaliser les scabs.
Pas étonnant, dans ce contexte, que sur plus de quelques centaines de conflits depuis 1999, seulement 19 plaintes aient été déposées et que 14 d'entre elles aient d'ailleurs été retirées avant audition. C'est dire toute l'efficacité du prétendu mécanisme de protection.
Le quatrième élément touche le fait que huit provinces ne veulent pas d'une loi antibriseurs de grève. C'est une belle excuse pour verser dans l'immobilisme. Le code fédéral s'applique à environ 10 p. 100 de la main-d'oeuvre au Canada. Ces travailleurs sont régis par des dispositions qui leur sont propres et qui sont tantôt meilleures, tantôt équivalentes, tantôt moins bonnes que les lois des différentes provinces. Refuser de bouger en évoquant le fait que huit provinces n'ont pas de loi antiscabs de grève n'équivaut-il pas à refuser d'exercer sa propre compétence sur les salariés assujettis au Code du travail? Il s'agit là d'un raisonnement incongru, irresponsable, inapproprié.
Le cinquième élément traite de l'impact des dispositions antiscabs sur la durée des conflits. Le ministre, bien sûr, a déposé de façon partielle et sélective une série de statistiques sur les journées de grève, pour tenter de démontrer le peu d'impact de ces dispositions. Nous faisons quant à nous une lecture radicalement différente de ces données. Au fédéral, le nombre de jours de grève est généralement plus important qu'au Québec, par 1 000 travailleurs, depuis quatre décennies, et la tendance va en augmentant dans les années 2000. Au Québec et en Ontario, on a connu une diminution sensible des jours perdus au fil des ans. Toutefois, cette tendance est beaucoup plus marquée au Québec qu'en Ontario; le Québec a divisé par 10 les jours perdus entre 1976-1977 et les années 2000, et durant la même période, l'Ontario, qui n'a pas de disposition antibriseurs de grève, a divisé par cinq ses propres résultats, soit deux fois moins qu'au Québec. Entre 1996 et 2005, la durée moyenne des conflits chez des travailleurs relevant de la compétence fédérale au Québec était de 19,7 jours, contre 15,5 pour ceux relevant de la compétence provinciale. Ce n'est pas rien, quand on constate cet écart sur une aussi longue période.
Il y a donc, à notre point de vue, au Québec comme en Colombie-Britannique, une prépondérance statistique indiquant que les législations antiscabs civilisent les relations de travail, réduisent le nombre et la durée des conflits. J'ajoute qu'au Québec, nombre de représentants patronaux se sont souvent publiquement exprimés quant à l'à-propos d'une telle législation.
J'arrive au sixième élément. À propos de la croissance économique, j'en appelle à un peu plus de rigueur. Le niveau des investissements dépend de plusieurs facteurs : relations de travail, qualité de la main-d'oeuvre, infrastructure, fiscalité, etc. Isoler ces facteurs nécessite beaucoup de travail que ni l'Institut économique de Montréal ni l'Institut Fraser n'ont fait.
Le taux de syndicalisation dans le secteur privé au Québec est de 28 p. 100, et encore moindre dans les PME. Dans un tel contexte, comment expliquer qu'on ait pu perdre 30 000 emplois dans les PME et que cela ait empêché l'investissement dans tout le secteur privé? C'est de la véritable démagogie, c'est du délire économique.
Je vous réfère de façon plus sérieuse à l'étude du professeur Nicolas Marceau, de l'UQAM, qui adopte une tout autre vision de cette réalité.
Et je conclus en soulignant que le Parlement canadien a la chance inestimable d'adopter un projet de loi dont les dispositions précises ont été expérimentées pendant 30 ans, avec succès, au Québec.
J'invite les députés à tenir compte de la dimension suivante : l'entreprise est une personne morale : elle ne souffre pas. Les travailleurs et travailleuses subissent, dans leur quotidien, les effets d'un conflit de travail, d'une convention collective signée à genoux. Ils ont des besoins et des personnes à charge qui, elles aussi, ont des besoins. On ne peut décemment placer sur un pied d'égalité ces deux réalités, au moment de faire le débat sur le présent projet de loi. Or, si la justice sociale vous préoccupe, voilà mon point de vue : c'est un excellent terrain pour la faire avancer.
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Merci, monsieur le président.
C'est un honneur pour nous d'être ici aujourd'hui pour discuter de ce très important projet de loi.
[Traduction]
Je suis accompagné aujourd'hui de l'un de ces experts de première ligne dont vous avez parlé lors de votre séance précédente. Il s'agit de M. Vito Lotito, vice-président des ressources humaines de l'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto. Nous sommes tellement convaincus de l'importance de la question que nous avons amené des experts de première ligne.
Les aéroports du Canada croient que vous devriez être informés de l'impact potentiellement dévastateur qu'un tel amendement aurait sur la communauté aéroportuaire de tout le Canada. Si la loi est promulguée, elle pourrait occasionner la fermeture d'aéroports canadiens dans l'éventualité d'une grève.
Le Conseil des aéroports du Canada est l'association nationale représentant les aéroports du Canada. Nos 45 membres regroupent plus de 150 aéroports et traitent pratiquement tout le trafic de fret et tout le trafic international de passagers, de même que 95 p. 100 du trafic intérieur de passagers.
La position que nous vous présentons aujourd'hui est appuyée par l'Association du transport aérien du Canada qui représente les transporteurs aériens du Canada — une organisation à laquelle votre comité n'a pas accordé une audience. Nous espérons que vous lui en accorderez une à une date ultérieure.
Les aéroports du Canada constituent un élément essentiel de l'infrastructure du pays. Pour les collectivités qu'ils desservent, et d'ailleurs pour l'ensemble du pays, les aéroports du Canada jouent un rôle économique et social vital. Ils jouent aussi un rôle important dans la santé et la sécurité de notre nation. L'armée, les évacuations sanitaires, les aéronefs de recherche et sauvetage et les avions citernes qui combattent les incendies de forêt se servent tous de nos aéroports comme base d'opérations. Les aéroports sont particulièrement importants pour les collectivités nordiques et éloignées. Pour certaines collectivités, le service aérien constitue le seul lien avec le reste du monde.
Fermer un aéroport équivaut à affaiblir notre système de transport national. Le ministre des Transports, l'hon. Lawrence Cannon, connaît très bien le rôle critique que jouent nos aéroports. Au mois d'octobre, il a déclaré au Comité sénatorial permanent des transports et des communications que nous devons nous assurer que les politiques et lois fédérales continuent à renforcer nos réseaux de transport nationaux. S'assurer qu'ils sont appropriés est une question de compétitivité.
Or, nous considérons que le projet de loi 257 ne saisit pas l'importance de ces propos puisqu'il met en péril la compétitivité du Canada. Les conséquences du projet de loi nous préoccupent à tel point qu'en novembre dernier nous avons écrit au ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités pour l'informer que si le projet de loi devient loi, les aéroports du Canada risquent fort de ne pas pouvoir s'acquitter de leurs responsabilités prévues en vertu du Règlement de l'aviation canadien si certains groupes d'employés faisaient une grève. Nous devons nous acquitter de ces responsabilités; nous n'avons pas le choix. Or, selon nous et selon nos conseillers juridiques, les aéroports du Canada ne pourront le faire si le projet de loi est adopté.
Permettez-moi de vous présenter quelques exemples pour vous illustrer la gravité de nos préoccupations. Si les employés affectés à l'avitaillement font une grève, les avions ne voleront pas. Si les préposés au dégivrage font une grève, les avions ne voleront pas en hiver. Si les employés affectés à la manutention des bagages et du fret font la grève, les gens et les marchandises ne pourront ni embarquer ni débarquer. Sans passagers, sans bagages et sans fret, les avions ne voleront pas. Si le personnel de piste est en grève, les avions ne pourront pas circuler sur l'aire de trafic et, encore une fois, nous ne pourrons pas voler. Si le personnel de sécurité d'un aéroport est en grève, la sécurité des installations risque d'être compromise et l'exploitation de l'aéroport pourrait être réduite ou stoppée. Si les agents de contrôle de pré-embarquement font la grève, personne ne pourra prendre l'avion.
Certains pourraient avancer que la protection existante des services essentiels intitulée « maintien des activités » à l'article 87.4 du Code canadien du travail assurera le maintien de ces services critiques lors d'une grève ou d'un lockout. Nous ne sommes pas d'accord. Malheureusement, l'article 87.4 s'est avéré être terriblement insuffisant. Le secteur de l'aviation du Canada n'a pas été bien servi par les dispositions actuelles visant le maintien des activités.
Par exemple, il y a déjà près de six ans que les employeurs et les syndicats du secteur de l'aviation attendent une décision finale du Conseil canadien des relations industrielles sur le contrôle du trafic aérien et les services connexes assurés par Nav Canada. Si l'on ajoute à cette protection insuffisante des services essentiels une interdiction sur l'utilisation de travailleurs de remplacement, nous avons une recette pour le chaos total dans les aéroports s'il y avait une grève.
Compte tenu du rôle essentiel que les aéroports du Canada jouent dans le bon fonctionnement de notre pays, nous prévoyons que des lois de retour au travail seront encore une fois à l'ordre du jour. Avant les amendements de 1999 au Code canadien du travail, le gouvernement fédéral a adopté d'urgence des mesures de retour au travail à 17 occasions. Depuis les amendements de 1999, il n'y a eu aucun cas où le gouvernement fédéral a dû légiférer la fin d'une grève ou d'un lockout. C'est la meilleure preuve d'un code du travail équilibré qui sert les intérêts de toutes les parties, soit les travailleurs, les employeurs, le gouvernement et, le plus important, l'ensemble des Canadiens.
Vous avez été bombardés de statistiques conflictuelles en faveur et contre une interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement. Nous aimerions ajouter notre perspective à cette dimension du débat.
Premièrement, je tiens à dire que nous respectons l'expertise de la neutralité des fonctionnaires qui cette année ont préparé le rapport intitulé Observations concernant l’impact des dispositions anti-briseur de grève sur les travailleurs. Ce document présente des constatations très importantes que nous vous demandons de prendre en considération avec autant d'attention que le projet d'interdire les travailleurs de remplacement. Il n'y a pas de preuve que la législation sur les travailleurs de remplacement réduit le nombre d'arrêts de travail. Ce document dit également qu'il n'y a aucune preuve que la législation sur les travailleurs de remplacement entraîne une diminution de la durée des arrêts de travail et qu'il n' y a aucune preuve que la législation sur les travailleurs de remplacement réduit le nombre de jours de travail perdus.
Ainsi, les experts du ministère du Travail ne partagent pas les assertions des syndicats voulant que les travailleurs de remplacement prolongent les grèves ou augmentent leur fréquence. Si vous ne l'avez pas encore fait, nous vous encourageons fortement à lire le rapport du ministère du Travail.
Nous avons aussi des statistiques révélatrices que nous voulons partager avec vous aujourd'hui. Nous représentons 150 aéroports qui ont chacun au moins une convention collective qui est renégociée environ tous les trois ans. Ainsi, les aéroports et leurs syndicats ont négocié au moins 450 conventions collectives ces dix dernières années. Autrement dit, il y a eu eu au moins 450 occasions où une grève ou un lockout aurait pu se produire. Il me fait plaisir de dire qu'il y a eu moins de cinq conflits de travail durant cette période. Le système est donc équilibré. Nous vous demandons de ne pas perturber cet équilibre en augmentant considérablement et injustement le pouvoir de négociation des syndicats.
Le Canada n'a pas besoin du projet de loi . Il existe une restriction sur le recours à des travailleurs de remplacement depuis près de sept ans, et le Conseil canadien des relations industrielles n'a pas eu à rendre une seule décision dans des circonstances où un employeur a recouru à des travailleurs de remplacement. Les lois devraient être modifiées uniquement pour résoudre des problèmes. Or, il n'y a aucun problème à résoudre ici.
Pour conclure, les aéroports du Canada sont très préoccupés par le projet de loi C-257 parce qu'il pourrait entraîner la fermeture d'aéroports canadiens en cas de grève. Considérant le rôle vital que les aéroports jouent dans nos collectivités et à l'échelle du pays, nous espérons que votre comité ne permettrait pas que cela se produise. Ce projet de loi n'est pas nécessaire.
Comme nous l'avons indiqué plus tôt, notre position est appuyée par les transporteurs aériens du Canada. Une loi interdisant les travailleurs de remplacement nuirait sérieusement aux aéroports du Canada, aux collectivités qu'ils desservent et à l'économie canadienne dans l'ensemble. Les lois fédérales doivent renforcer et non affaiblir l'infrastructure de transport et l'économie du Canada.
Monsieur le président, merci beaucoup.
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Bonjour. Je m'appelle Michel Kelly-Gagnon. Je suis président du Conseil du patronat du Québec. Je suis accompagné par Me André C. Giroux, du cabinet d'avocats Ogilvy Renault.
Le Conseil du patronat est une confédération patronale dont les membres, directs ou affiliés par l'entremise des organisations sectorielles, embauchent près de 70 p. 100 de la main-d'oeuvre québécoise.
Notre message d'aujourd'hui est simple et direct : de grâce, rejetez ce projet de loi, car il n'apportera aucun des bénéfices annoncés, mais plusieurs effets pervers.
D'entrée de jeu, j'aimerais apporter une clarification. Monsieur le député de Gatineau a affirmé devant ce comité, le 28 novembre dernier, que le Conseil du patronat du Québec n'avait jamais mis de bâtons dans les roues pour empêcher l'existence du projet de loi et la mise en place d'une loi pour empêcher les travailleurs de remplacement au Québec.
Or, à l'époque, le Conseil du patronat est allé jusqu'en Cour suprême du Canada pour faire reconnaître son intérêt juridique et combattre cette loi. Ensuite, après avoir gagné en Cour suprême son intérêt juridique, il est allé jusqu'en Cour d'appel du Québec pour tenter de combattre ce projet de loi. Voyant qu'il était en train de perdre, à la fin, en cour d'appel, il s'est retiré. Aller jusqu'en Cour suprême et ensuite jusqu'en Cour d'appel, ce n'est pas ce que j'appelle ne mettre aucun bâton dans les roues.
Je trouvais que cette clarification factuelle était importante, car ce dossier fait l'objet de beaucoup de désinformation.
J'aimerais rappeler que le fardeau la preuve repose sur les partis politiques et sur les groupes qui appuient ce projet de loi, et non pas sur nous. En effet, pour obtenir votre assentiment à ce projet de loi, ils ont le devoir de vous prouver son efficacité et sa capacité de livrer les bénéfices promis. On doit vous prouver que ce projet de loi va, en soi, réduire les conflits de travail en quantité, en durée et en intensité, tel que promis. Encore une fois, le fardeau de la preuve repose sur ceux qui veulent amender la loi.
J'aimerais attirer votre attention sur la page 5 de notre mémoire, où l'on retrouve un graphique qui contient des données tirées du site Web actuel de Ressources humaines et Développement social Canada. Si vous voulez trouver les données que nous utilisons, vous pouvez consulter ce site Web.
Ce graphique montre, sur une période de 25 ans — de 1980 à 2005 — la fréquence des arrêts de travail comparés. On constate que les conflits de travail au Québec ont diminué, depuis 1977. C'est vrai, mais ce que les partisans du projet de loi ne vous disent pas, c'est que dans les juridictions où il n'y a pas de loi empêchant le recours à des travailleurs de remplacement, on observe la même tendance et que dans certains cas, elle est même plus prononcée.
Autrement dit, toutes les juridictions ont vu les conflits diminuer de la même façon, qu'il y ait ou non une loi interdisant le recours aux travailleurs de remplacement. De plus, j'invoque la question de l'infrastructure économique et de la sécurité économique des Canadiens. Vous verrez que mon argument ne traite pas de la sécurité physique, mais plutôt de la sécurité économique des Canadiens. Selon nous, cet argument est important, car on touche à l'infrastructure économique du Canada.
On ne parle pas de fleuristes ou de magasins de cartes de souhaits; on parle de banques, de services financiers, de télécommunications, de transport aérien, de transport ferroviaire, et ainsi de suite. Comme le représentant des aéroports l'a expliqué plus tôt, les impacts d'une telle paralysie sont clairs. Imaginez les torts potentiels causés à notre économie, aux familles et aux communautés. J'en appelle à tous ceux qui ont à coeur la compétitivité du Canada.
On a parlé de la question de l'équilibre. Je vais vous dire ce que j'entends par équilibre. Selon le Conseil canadien des relations industrielles, en 2005-2006, 97 p. 100 des conventions collectives relevant de la compétence fédérale ont été signées, et ce, sans qu'on ait eu à recourir à un arrêt de travail : 97 p. 100! Que veut-on essayer de régler avec ce projet de loi? Mettre en jeu la sécurité économique et l'infrastructure du Canada pour 3 p. 100? L'équilibre, pour moi, c'est 97 p. 100.
Je tiens à féliciter ce comité d'avoir eu la sagesse d'aborder d'autres études. On a beaucoup parlé du modèle québécois. Ce n'est pas en sept minutes que je pourrai couvrir le sujet, mais je vous invite à visiter notre belle province et à parler à des entrepreneurs qui vivent sous le joug de cette loi depuis 30 ans. À mon avis, ça vous serait très utile.
Je voudrais également souligner que certains partis politiques appuient cette loi, ce qui est tout à fait légitime puisqu'ils ont une alliance naturelle avec les syndicats. Ils le font donc de façon essentiellement structurelle et automatique. Ça fait partie du mode de fonctionnement normal de ces partis politiques qui, par ailleurs, ont peu de chance de former le prochain gouvernement. Dans certains cas, ils n'ont même pas l'intention de le faire. Par contre, des partis politiques peuvent être appelés à former les prochains gouvernements. À mon avis, ces partis devraient recevoir plus d'attention, en ce qui concerne cette question.
J'aimerais conclure en reprenant une célèbre intervention de Stéphane Dion à la Chambre : Il faut dire non, non, non, au projet de loi C-257, non à un projet de loi qui est impuissant à remplir ses promesses.
Maître Giroux pourra répondre à la question portant sur la violence. Si vous avez des questions à ce sujet, il nous fera plaisir de vous fournir des détails.
Il faut dire non à un projet de loi qui va rompre l'équilibre au niveau des négociations entre la partie syndicale et la partie patronale.
En effet, sur le plan syndical, un employé en grève a le droit de travailler s'il le souhaite. Par contre, la contrepartie ne serait pas vrai pour un employeur qui souhaiterait embaucher des travailleurs de remplacement. Les relations de travail au fédéral vont bien dans la majorité des cas, je le répète.
Il faut dire non à un projet qui vise l'infrastructure économique même du pays et qui est en soi une menace à la sécurité économique des Canadiens. Or, à mon avis, une menace à la sécurité économique des Canadiens devrait suffire amplement à semer le doute dans l'esprit de ce comité.
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On parle de chaos et de dévastation. Je viens du Québec, et si je me fiais à ce que je viens d'entendre, il vaudrait mieux que j'aille retrouver mes enfants avant que tout s'écroule. J'invite M. Kelly-Gagnon à boire un peu d'eau: ça lui fera du bien.
Le rôle d'un législateur et d'un parlementaire est de s'assurer que ses concitoyens ont une meilleure qualité de vie. Le but n'est pas de brandir des épouvantails ou d'invoquer le bonhomme-sept-heures. En fait, plus on le fait, moins on est crédible. Il faut plutôt se demander quelle est la vraie définition du mot « équilibre ». On peut faire dire ce qu'on veut à des statistiques. Ici, ce dont il est question, c'est de paix sociale, d'environnement décent non seulement sur le plan économique mais aussi en termes de relations entre employeurs et travailleurs. Il faut se demander si on a fait tout ce qu'il fallait faire.
M. McDermott nous a parlé du rapport Sims. Il y a eu la question de M. Blouin. Celui-ci a affirmé que tout avait été réglé, sauf la question des briseurs de grève. Il est normal de tenir ce genre de débat décent, sans tomber dans la panique ou faire les manchettes. Je suis en politique depuis 25 ans et je viens du Québec. Je ne sais pas pourquoi vous en voulez aux fleuristes : ils contribuent eux aussi à l'économie. Je ne vois pas non plus de fumée quand je me rends au Québec. Il n'y a ni guerre, ni chaos, ni destruction totale. À mon avis, il faut agir avec un peu plus de calme et se parler des vraies questions.
Dans le projet de loi proposé, deux choses m'intéressent. Sommes-nous capables d'entretenir une relation décente entre le travailleur, le syndicat et l'employeur? Il ne faut surtout pas oublier le concitoyen et la concitoyenne qui, soit dit en passant, sont aussi travailleurs et employeurs. À mon avis, la question des services essentiels, qui est au coeur de toutes sortes de débats, est primordiale.
Madame Carbonneau, monsieur Roy et les autres, vous vivez la situation dans un contexte québécois, mais ce n'est pas un vase clos. Vous savez ce qui se passe dans le reste du pays et ailleurs. On fait partie d'organisations internationales qui signent des conventions, traitent du droit à l'association, etc.
Monsieur Facette, l'article 87.4 est important. En effet, il précise que tout ce qui touche la sécurité et la santé publique doit être couvert par des services essentiels. En cas de grève ou de lock-out, l'employeur et l'employé sont de toute façon tenus de s'entendre dans les 15 jours sur la question des services essentiels, dans le cadre d'une convention collective ou d'une négociation. Bien sûr, nous allons nous demander si nous sommes allés assez loin et si ça concorde avec ce qui existe présentement.
Messieurs Facette et Kelly-Gagnon, vous en avez contre les syndicats. Je vous sens très agressifs. Si vous travailliez dans une entreprise, qu'une grève ou un lock-out — c'est en effet un outil auquel peut avoir recours l'employeur — était déclenché et qu'on vous remplaçait par quelqu'un d'autre, trouveriez-vous la chose acceptable?
En fin de compte, le but ici est de se demander si oui ou non nous sommes d'accord pour qu'il y ait des briseurs de grève. Est-ce que nous trouvons acceptable que pendant une négociation entre un employeur et un syndicat visant à trouver une solution, les travailleurs, sauf dans le cas des services essentiels, soient remplacés par d'autres effectifs?
J'aimerais entendre les commentaires de M. Kelly-Gagnon, puis de M. Facette.
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Premièrement, je suis surpris. M. Facette nous a parlé d'une grève à l'aéroport de Québec qui a eu lieu il n'y a pas très longtemps — peut-être deux ou trois ans — et qui a duré plusieurs mois. L'employeur n'a pas utilisé de travailleurs de remplacement, il n'a pas utilisé de
scabs.
Je préfère le mot « scabs ». Cela peut choquer M. Kelly-Gagnon, mais ce n'est pas moi qui ai rédigé le projet de loi. J'aurais écrit le mot « scabs » dans le projet de loi. Alors, ils n'ont pas utilisé de scabs et ils n'ont pas fermé l'aéroport.
Je suis surpris des déclarations de M. Kelly-Gagnon, du Conseil du patronat, avec qui on siège à divers endroits depuis plusieurs années, avec qui on traite de la loi antiscabs et des services essentiels au Québec.
Il est vrai que le Conseil du patronat a contesté la loi au départ, qu'il a été jusqu'à la Cour suprême. Je me rappelle très bien avoir rencontré son prédécesseur, vers 1983. Il avait abandonné les procédures en disant que la loi antiscabs avait à toutes fins pratiques éliminé la violence dans les conflits de travail. C'était la déclaration de son prédécesseur.
J'imagine que vous pouvez aller le voir et le lui demander. C'est pour cette raison que le Conseil du patronat avait arrêté de contester la loi antiscabs.
Je remercie beaucoup les témoins d'être venus ici ce matin afin de nous livrer leur témoignage. D'ailleurs, le témoignage de Monique Allard était très émouvant et très humain. Je l'ai beaucoup apprécié.
En ce sens, M. Kelly-Gagnon a parfaitement raison. Nous, les députés, sommes ici, à Ottawa, pour défendre nos concitoyens et concitoyennes et les intérêts des travailleurs et travailleuses. C'est ce que nous faisons.
Monsieur Kelly-Gagnon, votre témoignage me laisse perplexe pour plusieurs raisons. J'examine vos conclusions dans le document que vous nous avez distribué. Vous commencez en disant ceci :
Interdire aux employeurs d’embaucher des travailleurs de remplacement, c’est donner aux syndicats le pouvoir abusif de paralyser complètement les secteurs les plus névralgiques de l’économie canadienne [...]
Cela voudrait donc dire que depuis 30 ans, les syndicats ont abusé de leurs pouvoirs et ont complètement paralysé les secteurs les plus névralgiques de l'économie québécoise. Je pense que je ne commets pas de sophisme en faisant cette association. De toute façon, je m'attendais un peu à cela.
Hier, j'ai consulté votre site Internet : vous avez rédigé beaucoup de mémoires au fil des ans. Je voulais voir les arguments que vous alliez soulever aujourd'hui contre la loi antibriseurs de grève. Votre site Internet comporte des archives depuis 1999, et une partie est consacrée à tous vos mémoires. En l'an 2000, vous avez rédigé 12 mémoires; en 2001, vous en avez rédigé neuf; en 2002, 15; en 2003, 10; en 2004, 13; en 2005, 15; et en 2006, vous en êtes rendus à six mémoires. C'est bien. On ajoutera celui d'aujourd'hui.
Depuis 1999, vous avez présenté 81 mémoires. J'ai demandé à quelqu'un de les lire tous. Dans combien d'entre eux parlez-vous de la loi antibriseurs de grève? Dans un seul mémoire. Est-ce que vous parlez contre la loi? Non, pas vraiment. Vous abordez ce sujet dans un document important intitulé : « Réactions du Conseil du patronat du Québec sur le document ministériel pour un Code du travail renouvelé ».
Si les syndicats avaient un pouvoir abusif qui devait complètement paralyser l'économie québécoise, vous n'en parlez que deux fois dans ce document. Une fois, vous avez inscrit les mots « dispositions antibriseurs de grève » entre parenthèses et vous avez mentionné dans vos conclusions : « Songeons seulement aux dispositions suivantes : ». Puis vous développez le sujet. Vous énumérez huit dispositions, dont la première concerne « les dispositions antibriseurs de grève ». Cependant, il n'y a pas un seul paragraphe complet contre la loi antibriseurs de grève. Vous parlez d'autres sujets, dont la notion d'entrepreneur dépendant, les travailleurs autonomes, le nouveau salariat et autres concepts de ce genre, mais jamais vous ne dénoncez la loi antibriseurs de grève.
Alors, cela m'apparaît étrange que le Conseil du patronat, qui représente autant d'entreprises et d'employeurs, n'ait pas pris la défense de la société contre la paralysie totale de l'économie québécoise. Vous avez même écrit dans un mémoire qui n'était pas à prendre à la légère : « Notes pour une rencontre avec les caucus des députés québécois de chacun des partis politiques à Ottawa, novembre 2001 ». Mais vous n'avez jamais parlé de cela. Enfin, j'ai été étonnée : vous avez écrit 80 mémoires en six ans, dans lesquels vous avez écrit deux lignes contre la loi antibriseurs de grève.
Cela étant dit, j'ai aussi regardé vos autres conclusions, dont la suivante :
Interdire aux employeurs d’embaucher des travailleurs de remplacement, c’est troquer la réalité d’un Code du travail fédéral dont personne ne se plaint [...]
C'est faux de dire que personne ne se plaint. Mme Allard, qui est ici, s'en plaint; M. Moreau, qui va certainement nous faire un témoignage tantôt sur Radio Nord, s'en plaint amèrement. Pensez-vous que les employés de Vidéotron sont contents des dispositions du Code canadien du travail? Jamais. Et je ne parle pas de Sécur ni de Cargill. Il y a beaucoup de monde qui s'en plaint. Alors, malheureusement, votre affirmation est fausse, monsieur Kelly-Gagnon.
Ensuite, vous dites :
Interdire aux employeurs d’embaucher des travailleurs de remplacement, c’est provoquer un précédent dangereux qui incitera les autres provinces canadiennes à faire de même [...]
Pourquoi cela les inciterait-elles à en faire autant? Si votre première affirmation est vraie, cela va complètement paralyser les secteurs névralgiques de l'économie canadienne.
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Je m'excuse, c'est le sujet qui m'emporte. Je sais, je veux tellement dire de choses.
Alors, comment se fait-il que des provinces pourraient être désireuses de se doter d'une loi qui paralyserait complètement leurs secteurs les plus névralgiques?
Puisqu'on parle de secteurs névralgiques, vous disiez justement tout à l'heure que c'était bien effrayant, que cela allait paralyser les banques. Mais, monsieur Kelly-Gagnon, moins de 1 p. 100 des banques sont syndiquées, alors cela ne peut pas beaucoup les paralyser. On me dit que 0,25 p. 100 d'entre elles sont vraiment syndiquées. Or, la loi antibriseurs de grève, évidemment, ne s'applique qu'aux employés syndiqués. Dans le cas des banques, c'est grave, mais dans celui des fleuristes, ça ne l'est pas! Mais au Québec, depuis 30 ans, quels groupes ont recherché de meilleures conditions? Les fleuristes, oui, mais aussi les médecins, les médecins spécialistes. Ils ne sont pas à négliger. Or, 0,25 p. 100 des banques et 100 p. 100 des médecins spécialistes, monsieur Kelly-Gagnon, sont assujettis à une loi sur le recours à la grève. Pourtant, je pense que la santé des gens est beaucoup plus importante, dans notre échelle de valeurs, que la santé économique de 0,25 p. 100 des banques.
Enfin, comme vous avez dit plus tôt que personne ne se plaignait de l'absence d'une loi antibriseurs de grève, j'aimerais donner la chance à M. Yvon Moreau, qui représente le syndicat de Radio Nord, de nous expliquer son expérience en Abitibi, qui a duré 22 mois d'ailleurs.
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Absolument : plus de 22 mois, près de 800 jours, 800 levers et couchers de soleil pour 60 personnes, leurs conjoints et leurs enfants. Évidemment, je ne suis pas politicien. Dans la vie de tous les jours je suis journaliste en Abitibi-Témiscamingue, une région qui, vous le savez, est touchée encore aujourd'hui par une importante crise économique.
J'écoutais M. Kelly-Gagnon du Conseil du patronat et j'écoute les gens du Bloc québécois et ceux du Parti libéral. Ce que j'entends depuis que je suis arrivé ce matin me fait penser à un conflit patronal-syndical. Même si je suis président du syndicat où je travaille, je ne veux pas parler du projet de loi comme d'un projet de loi pouvant être l'objet d'un futur conflit patronal-syndical. Je veux parler du projet de loi C-257 comme d'une façon d'harmoniser les relations patronales-syndicales, parce que durant 800 jours, mes collègues et moi avons été en grève, et durant 800 jours, mes patrons ont connu des difficultés économiques à cause de ce conflit de travail. Aujourd'hui, je dois vous dire qu'une loi antibriseurs de grève fédérale ferait en sorte que les conflits de travail au Canada, comme dans les entreprises de compétence fédérale, seraient plus courts. Que l'on permette à des travailleurs de remplacement de remplacer des gens qui veulent régler un conflit patronal-syndical... Le mot le dit : « remplacement ». J'ai vécu cette situation durant 800 jours. Des gens qui remplacent ne sont pas des artisans qui, quotidiennement, ont appris à faire un métier. Qu'il s'agisse de pilotes d'avion, de postiers, de journalistes ou de cameramen, des travailleurs de remplacement sont des gens qui arrivent à l'improviste pour faire un travail qui, normalement, est fait par des artisans qui s'y connaissent.
Alors, quand vous dites qu'une loi antibriseurs de grève sera dommageable pour l'économie, sachez que les désastres que vous prévoyez, si jamais les conservateurs, les libéraux, les bloquistes et les néo-démocrates votent en faveur de cette loi, ne surviendront pas, mais que cette loi permettra d'éviter la tragédie qui a été vécue en Abitibi-Témiscamingue. Sachez que Radio Nord Communications — et mes patrons ne sont pas ici, mais ils le reconnaissent lorsqu'on se rencontre toutes les semaines pour parler de relations de travail — a perdu, dans ce conflit, un demi-million de dollars. S'il n'y avait pas eu de travailleurs de remplacement, on se serait parlés plus rapidement, on aurait réglé plus rapidement et on n'aurait pas perdu un demi-million de dollars chez Radio Nord Communications. Et surtout, deux ans après le conflit, on ne demanderait pas à mes collègues de travail de réduire leur masse salariale de l'équivalent de 300 heures par semaine pour récupérer ce demi-million de dollars.
Alors, le désastre que les gens du Conseil du patronat et les autres prévoient, je l'ai vécu, mes 60 collègues de travail l'ont vécu. Alors, faites en sorte que cela cesse, parce qu'empêcher des patrons et des syndiqués de se parler, c'est faire taire la démocratie. À mon avis, le Canada, comme toutes les provinces canadiennes, est un endroit où la démocratie règne. Permettez qu'on continue de la faire régner.
Merci d'être ici aujourd'hui. Comme vous l'avez tous souligné, ce que nous faisons est important. Pour moi, il s'agit de tenter de créer une certaine harmonie. Il s'agit également de créer une stabilité dans l'industrie et dans la collectivité.
J'étais à l'Assemblée législative de l'Ontario dans les années 90 lorsque la loi anti-briseur de grève a été adoptée, et effectivement, cette loi a apporté une certaine stabilité pendant la courte période au cours de laquelle elle a été en vigueur. Je sais que dans ma propre collectivité... Je viens d'une ville de cols bleus qui travaillent dans le secteur de l'acier, et lorsque j'ai été élu pour la première fois en 1990, il y a eu une grève très difficile là-bas. Nous n'avons pas eu d'autres grèves depuis, en fait. Cela a été cependant très difficile pour toute la collectivité, pour les travailleurs qui faisaient du piquetage et pour ceux qui allaient travailler, car nous devions tous ensuite vivre ensemble. Nous allions jouer au curling, au hockey, nous devions continuer de vivre ensemble.
Dans le nord de l'Ontario, il y a eu une grève très difficile à Red Lake. Je ne sais pas combien d'entre vous s'en souviennent, mais cette grève à Red Lake a duré des années. Le tort qu'elle a causé à cette collectivité est incroyable. Elle a détruit des amitiés et privé la collectivité d'importantes perspectives économiques car bon nombre des travailleurs de remplacement venaient de l'extérieur. Ils ne vivaient pas dans cette collectivité, ils n'y investissaient pas et n'y dépensaient pas leur argent. Enfin, tout le monde a cédé, en fin de compte, et personne n'a gagné, à mon avis.
Je me rappelle, en Ontario, lorsque nous avons éliminé la loi anti-briseur de grève sous le gouvernement de Mike Harris, un groupe de femmes m'a appelé de Kirkland Lake. Ces femmes travaillaient pour l'association pour l'intégration communautaire, elles s'occupaient de nos citoyens les plus marginalisés, les plus à risque. Il y avait un arrêt de travail. Il n'y avait pas de loi pour empêcher les travailleurs de remplacement, de sorte que l'association a fait appel à une entreprise de briseurs de grève de Windsor. La première chose qu'ils ont fait, c'est de regrouper tout le monde, toutes ces personnes très vulnérables, et de les amener à un camp au bord d'un lac — c'est ce qu'ils ont fait —, ce qui a été tout à fait dévastateur pour les travailleurs de cette collectivité.
Je sais que ce n'est pas toujours le cas. Nous avons tous des preuves anecdotiques des deux côtés de la question, mais je pense que pour moi il s'agit de savoir si cela crée toujours de la stabilité et de l'harmonie au sein d'une collectivité, car je pense que c'est ce que nous voulons tous, en tant que Canadiens, les uns pour les autres.
Vous connaissez sans doute mieux que moi la situation au Québec et en Ontario — et j'ai une autre question également que j'aimerais poser à M.Facette et à M. Kelly-Gagnon —, mais auriez-vous des statistiques ou de l'information que vous pourriez nous donner aujourd'hui du côté syndical qui indiqueraient qu'en fait la loi anti-briseur de grève crée cette stabilité pour les travailleurs et pour la collectivité et aussi pour l'investissement?
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Au Québec, la loi antibriseurs de grève existe depuis 1977. Les statistiques remontent avant l'existence de cette loi et portent surtout sur la violence aux lignes de piquetage.
Monsieur Martin, vous savez sûrement que la grève la plus difficile et la plus importante a été celle des employés de la United Aircraft. Cette grève a duré 20 mois, et l'enjeu était la reconnaissance syndicale. La compagnie a utilisé des travailleurs de remplacement, ce qui a produit tous les effets pervers qu'on a pu constater: des emprisonnements, des travailleurs blessés ou congédiés, entre autres. La grève a été tellement difficile que la compagnie a dû changer de nom. Elle s'appelle dorénavant Pratt & Whitney et est située à Longueuil.
Au Québec, la loi antibriseurs de grève a, à toutes fins pratiques, rétabli un équilibre et éliminé la violence dans les conflits de travail. Le Conseil du patronat l'a d'ailleurs reconnu au cours d'une réunion qui a eu lieu en 1983. Je suis d'accord sur les statistiques qui révèlent que les conflits de travail ont diminué, tant au Québec que dans d'autres provinces. Les conflits étaient plus nombreux au Québec, comme Mme Carbonneau l'a souligné. Ils ont moins diminué dans d'autres provinces.
Je vais lui donner la parole, car elle semble avoir des statistiques à vous communiquer.
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J'ai pris la peine de recenser chez nous les grands conflits des cinq dernières années. Cinq pour cent des syndiqués de la CSN relèvent de la compétence fédérale. Parmi les 10 conflits les plus longs, deux relèvent de la compétence fédérale. Déjà, ce chiffre indique un déséquilibre.
Je suis entièrement d'accord sur ce que M. Roy a dit au sujet de la violence des conflits. On peut citer quelques conflits célèbres à cet égard : Robin Hood, United Aircraft, Firestone.
Si on le leur demandait, les services de police des grandes villes pourraient confirmer que l'intervention de l'escouade anti-émeute sur les piquets de grève est un phénomène rarissime de nos jours, alors qu'elle était monnaie courante avant l'adoption de la loi antibriseurs de grève. Sur le plan de la qualité, la loi a changé des choses.
Un conflit est très difficile à vivre sur le moment, mais en plus, il laisse malheureusement des stigmates extrêmement importants. Il faut attendre très longtemps avant de pouvoir rétablir un semblant de relations de travail convenables. Un conflit difficile et déchirant fait ressortir tout ce qu'il y a de plus émotif chez les gens.
On a le sentiment que le recours à des briseurs de grève vole des emplois et annihile tout rapport de force ou toute tentative en vue de forcer l'employeur à se concentrer sur la légitimité de telle ou telle demande et sur la recherche de solutions pratiques.
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J'aimerais commencer par l'industrie de l'aviation et les aéroports.
La première hypothèse opérationnelle dans un aéroport au Canada et dans le monde est toujours le pire des scénarios. À Toronto, nous avons 80 000 passagers par jour, 31 millions par année. Je ne suis pas un avocat, mais je travaille dans le domaine des relations de travail depuis 30 ans et la seule chose que je peux vous donner, c'est la preuve empirique provenant de l'exploitant. Nous avons neuf contrats avec le Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatial, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada, deux avec l'AFPC, l'Alliance de la fonction publique du Canada, et un avec nos pompiers. Au cours des dix dernières années et demie, nous avons négocié à trois reprises.
Les premières négociations ont été difficiles, car lorsque l'aéroport Pearson a été transféré de Transports Canada, nous avons hérité de 27 conventions collectives et de neuf syndicats. Nous avons réussi à consolider essentiellement toutes ces conventions et ces syndicats en deux unités. Vous pouvez donc imaginer ces négociations... 25 ou 26 conventions collectives avec des besoins différents. Malheureusement, pour les deux parties, nous avons fini par avoir une grève de 38 jours. C'était en 1998, avant les services essentiels. Quoi qu'il en soit, nous avons survécu. Les deux parties ont réussi à voir la lumière. Nous avons trouvé la sagesse, avec l'aide du sous-ministre.
Au cours de la deuxième ronde de négociations, nous avons presque fini par avoir une grève. Nous avons cependant réussi à négocier un contrat de trois ans. À l'époque, il y avait le SRAS à Toronto, alors c'était très difficile.
La troisième série de négociations s'est déroulée l'été dernier, et cela a été une victoire tant pour l'employeur que pour le syndicat. Nous avons un contrat de quatre ans. C'est un magnifique contrat.
Ce que je tente de dire ici, c'est qu'il y a un équilibre. Dans ce genre de domaine, dans le domaine des relations de travail, on ne développe pas des relations du jour au lendemain. Il faut beaucoup de temps. Il y a toujours un lendemain dans ce domaine.
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On ne fera pas de débat sur le mot « anecdote ». Parlons donc d'un cas concret, un cas de figure. Dans un cas de figure, on peut parler du dossier Telus.
Si vous le permettez, je voudrais terminer ma réponse. Merci.
Monsieur le président, dans le cas du dossier Telus, où il y a eu plusieurs longues négociations — un contexte que je ne vais pas résumer ici —, quand les offres finales ont été déposées par l'entreprise, le leadership syndical m'a informé qu'il avait choisi de ne pas présenter ces offres à ses travailleurs syndiqués.
Étant donné que la loi actuelle était en vigueur, les travailleurs syndiqués ont pu exercer leur droit démocratique de dissidence. Cela a été particulièrement le cas au Québec et en Ontario, où la quasi-totalité des travailleurs sont allés travailler malgré le mot d'ordre du leadership syndical. Voilà un point qui n'a pas été abordé jusqu'à maintenant.
On n'a pas fait appel à des travailleurs de remplacement. C'était les travailleurs existants qui souhaitaient continuer à travailler. Or, ces travailleurs, si le projet de loi actuel était adopté et que la même situation se reproduisait, n'auraient pas un droit de dissidence et, par conséquent, n'auraient pas le droit d'aller travailler.
Je tente de comprendre la nature des craintes présentées ici ce matin. J'entends M. Lotito dire qu'il a trouvé une façon de travailler avec ses employés et d'en venir à des ententes pour aller de l'avant. Selon mon expérience avec les parties patronales et les travailleurs, les gens sont raisonnables. Ils tentent de trouver des solutions, surtout lorsqu'il y a possibilité de danger. En fait, nombre d'initiatives en matière de santé et de sécurité dans ce pays ont souvent été menées par des groupes d'employés et d'employeurs.
Par exemple j'ai récemment eu un appel des employés, et non de la direction, de mon aéroport. Il n'y avait qu'un pompier sur les lieux à l'aéroport de Sault Ste. Marie, mais pour des raisons budgétaires, on voulait plutôt dépendre d'un service d'incendie à 20 minutes de l'aéroport. Cette décision n'a pas été prise par les travailleurs, mais bien par la direction. À mon avis, c'est totalement inacceptable.
J'adresse ma question à Monique, à René, ou à Yvon. Selon votre expérience, les travailleurs seraient-ils irresponsables dans des cas de situations d'urgence où des vies seraient en danger, même s'ils sont contre les travailleurs de remplacement? Ou diriez-vous, sans votre expérience de négociation avec les employeurs, qu'il s'agit parfois justement des questions qui sont abordées à la table, avant quoi que ce soit d'autre?
Parlez-moi de cela. On semble laisser entendre que les travailleurs seront irresponsables.
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Monsieur Martin, comme je l'ai dit un peu plus tôt lorsque je témoignais à la demande de Mme Lavallée. Nous, les travailleurs de Radio Nord Communications, aurions espéré qu'il n'y ait pas de travailleurs de remplacement de 2002 à 2004, lorsque nous étions en conflit de travail, afin que nous puissions continuer à nous parler et ainsi pouvoir régler notre conflit de travail.
J'aimerais souligner le fait que notre conflit de travail, à Radio Nord Communications, ne portait pas sur les salaires. Nous ne demandions pas une meilleure paie, nous ne cherchions pas à remplir nos goussets. Notre conflit, à l'origine, a éclaté parce que nous, les travailleurs artisans d'Abitibi-Témiscamingue dans le monde des communications, désirions que nos concitoyens aient de meilleures services de communication en radio et en télévision. C'était la source de notre conflit.
J'aimerais vous dire, monsieur Martin, que si le projet de loi C-257 est adopté et si les travailleurs de Radio Nord Communications doivent revivre cela un jour, ils pourront jaser avec leurs patrons, et tous seront dans l'obligation, syndiqués comme patrons, de régler leurs conflits et leurs différends comme doivent le faire normalement toutes bonnes personnes.
La loi actuelle équivaut à dire à un homme qui a un problème de couple qu'il peut prendre une maîtresse, qu'il n'est pas obligé de régler son problème.
Les entreprises de compétence provinciale et nos membres travaillent dans la production de biens de consommation privés. Si les activités d'un fabricant ou d'une entreprise sont interrompues, cela peut mener à la fermeture de l'entreprise, mais sans plus.
À propos, le député du Bloc m'a demandé de donner d'autres exemples. Monsieur le président, il y a
[Français]
Direct Film inc.; Biscuits David Ltée; Magasins Continental Ltée - succursale de Victoriaville; Zellers Ltée - succursale de Chicoutimi.
[Traduction]
Il s'agit de cas en instance. Je ne peux discuter du cas de membres privés, mais je peux vous parler de ces cas qui sont devant les tribunaux.
Vous soulevez un bon point, en ce sens que, si une entreprise de compétence provinciale doit interrompre ses activités en raison d'une grève, « seuls » ses clients ou ses fournisseurs et les gens liés à l'entreprise souffriront les conséquences économiques. Je dis « seuls ». Il s'agit de conséquences graves, mais qui ne peuvent être comparées aux conséquences qu'aurait une grève au CN ou à Air Canada, sans options additionnelles permises.
On ne peut non plus comparer cette situation à une grève d'une entreprise de câblodistribution qui ferait en sorte que les gens d'une région seraient privés de leur accès au câble. L'entreprise pourrait perdre des millions de dollars ou devoir reporter des transactions si personne ne pouvait réparer les câbles endommagés.
Il s'agit de situations très différentes de celles d'entreprises privées produisant des biens de consommation privés. J'espère que cette nuance sera comprise par le plus grand nombre possible de membres du comité.