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Merci, monsieur le président.
J'ignore si ma présence ici cet après-midi constitue un honneur ou non. Aujourd'hui, cela fait trois semaines que j'ai quitté mes fonctions de juge en chef de la Cour du Banc de la Reine. L'âge de la retraite obligatoire est fixé à 75 ans; j'ai obéi à la loi, et je suis parti à la retraite. Jusque-là, bien entendu, je ne pouvais comparaître devant un organe tel que le vôtre pour faire part de mes opinions, quelles qu'elles soient, au sujet du crime organisé, particulièrement du point de vue de la magistrature à Edmonton et en Alberta.
On m'a invité tardivement jeudi dernier à comparaître ici, et j'ai dit que je pourrais être là. J'ai effectué un petit travail avec l'aide d'une de nos étudiantes. J'ai distribué un court document que vous avez devant les yeux, et qui décrit où l'on se situe à Edmonton par rapport au crime organisé, selon nous.
Je pense que nous devons faire un bref retour en arrière. Il ne faut pas oublier que nous sommes un tribunal de droit commun. Donc, il était de mon ressort non seulement de m'occuper des procédures civiles, mais aussi des procédures pénales et de la désignation des juges. Le seul pouvoir dont je disposais était de dire aux juges où et quand siéger. Lorsque nous étions saisis de ces cas complexes liés au crime organisé, nous nous efforcions de désigner un juge possédant une expérience considérable dans le domaine.
La grande cause soumise aux tribunaux de l'Alberta a été l'affaire Regina c. Chan, il y a cinq ou six ans, pour laquelle on a procédé à 30 arrestations. Nous ne savions pas vraiment comment nous y prendre car la salle d'audience n'avait pas la capacité d'accueil requise. C'est ainsi que, pour environ 2,3 millions de dollars, nous avons construit une salle d'audience entièrement équipée et dotée de cellules adjacentes dans le sous-sol du palais de justice d'Edmonton. Nous avions étudié ce qui s'était fait à Winnipeg, où une affaire très semblable à la nôtre avait déjà commencé. La ville de Winnipeg avait déménagé son palais de justice dans une ancienne usine, je crois, qui était située trois ou quatre milles plus loin. Nous étions contents de nous occuper d'un mégaprocès de ce genre, expérience que nous n'avions jamais vécue auparavant en Alberta. Nous devions essayer de voir s'il était possible de le tenir dans l'enceinte du palais de justice pour des raisons notamment d'ordre sécuritaire.
Ce procès est devenu très compliqué; il y avait un grand nombre d'avocats. Il a finalement été disjoint. La plupart des accusés ont plaidé non coupable, et quelques-uns ont plaidé coupable. La procédure a alors été engagée, mais elle s'est effondrée sous son propre poids car elle avait été intentée en vertu de l'article concernant le crime organisé. Hélas, les procureurs n'étaient pas véritablement formés pour gérer un tel cas, qui était nouveau pour eux. Il y avait demande après demande, y compris toutes sortes de demandes de précisions et de renseignements plus approfondis. Finalement, ces accusations ont été suspendues. À ce moment-là, il s'était probablement écoulé trois ans, et les personnes ayant plaidé coupable étaient déjà remises en liberté, alors que d'autres subissaient encore leur procès. Lorsqu'on a scindé les deux procès et qu'on les a suspendus, la Couronne n'a jamais interjeté appel. On a bien appris la leçon en ce qui concerne les procès et procédures en lien avec les gangs.
Le résultat, c'est que depuis, à Edmonton, nous avons probablement eu trois poursuites engagées en vertu de cet article visant le crime organisé. L'une de ces affaires s'appelait Park et concernait une fraude hypothécaire d'envergure. L'accusé a été acquitté des accusations relatives à la fraude et à la perception d'avantages accordés par des organisations criminelles.
Un procès en cours porte le nom de R. c. Alcantara, qui est une organisation criminelle. Toutefois, la procédure ne porte pas sur le même article relatif au crime organisé, car les procureurs estiment pouvoir mieux traiter ces cas sans faire appel à cet article.
Nous avons une cause appelée « procès Caines », Caines étant le coaccusé d'Alcantara. Il plaidera probablement coupable en raison d'une entente qui, je crois, sera conclue.
Voilà donc l'étendue de notre expérience dans le cadre des procès liés au crime organisé dont nous avons été saisis.
Dans le document que j'ai distribué, vous verrez des remarques provenant d'un certain M. Finlayson. C'est intéressant; il y donne quelques raisons de ne pas engager des procédures en vertu des paragraphes concernant le crime organisé. Il nous recommande de tenir des procès distincts, dans la mesure du possible, et de porter des accusations précises parce qu'elles peuvent être traitées bien plus rapidement, surtout quand vient le moment des demandes de précisions et de divulgation complète.
Je sais que les procureurs seraient réticents à comparaître devant ce comité à ce stade-ci, car ils jouent des rôles actifs dans ces affaires. Mais au moins, vous pourrez profiter de ce qu'un procureur avait à me dire. Ces commentaires proviennent du ministère de la Justice de l'Alberta. D'autres remarques figurant dans ce document pourraient aussi vous être utiles.
Le crime organisé existe sous une forme ou une autre depuis bien longtemps. Quand j'étais jeune, il y avait les criminels en costume, dont les activités consistaient davantage à perpétrer des méfaits qu'à chercher à réaliser des profits grâce au crime organisé. Ainsi que je le constate dans cette ville — et je crois que c'est le sentiment qu'ont également un grand nombre de mes anciens collègues — le crime organisé n'y est pas de taille importante, car il n'a pas pris naissance ici, mais probablement à Vancouver. En Ontario, il tire probablement ses origines de Toronto. Toutefois, les criminels organisés ici enrichissent d'autres personnes. Nous devons lire entre les lignes et tirer des conclusions, mais c'est ce que nous constatons au cours des procès que nous menons. Comparativement à d'autres endroits, nous ne voyons pas beaucoup d'activités de cette nature.
Nous avons un problème particulier à Wetaskiwin, car ce comté englobe Hobbema, où le crime organisé est présent au sein des gangs autochtones. C'est peut-être l'une des régions où les activités du crime organisé sont les plus intenses; l'autre endroit serait Fort McMurray. Encore une fois, il s'agit habituellement d'un groupe identifiable. Beaucoup sont des immigrants. Un grand nombre de ces immigrants arrivent ici avec de nombreuses compétences et ajoutent à notre culture, mais en même temps, ils apportent un bagage avec eux. Parfois, ce bagage est leur participation à une quelconque activité liée au crime organisé dans leur pays d'origine.
Globalement parlant, en Alberta et à Edmonton en particulier, nous n'avons actuellement aucun problème sur le plan de notre capacité à gérer ces cas. Nous reconnaissons que les procureurs continuent d'éprouver des difficultés considérables pour ce qui est de fournir l'information qu'ils sont tenus de fournir aux termes de l'arrêt Stinchcombe. Il s'agit de cas difficiles, qui font habituellement l'objet d'un ajournement. À plusieurs reprises, l'ajournement a servi à s'assurer de la divulgation de l'ensemble des précisions. Beaucoup de ces procureurs sont jeunes; ils sont encore en train d'apprendre leur métier, et ce n'est pas une tâche facile pour eux.
La Loi a changé depuis l'arrêt Stinchombe. Elle a changé depuis la Charte. J'ai été juge pendant 36 ans, et avant la Charte, il était facile de trancher des affaires criminelles. Si le policier n'avait pas tabassé sauvagement quelqu'un, ni le lui avait promis mer et monde, la preuve était admissible. Mais avec la Charte et les droits qu'elle garantit dorénavant, les choses sont devenues très compliquées pour les juges. Ils ont beaucoup de mal à composer avec la Charte.
Nous nous améliorons. Lorsque j'allais à l'école de droit, la Charte se résumait aux articles 96 et 97 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Puis, de 1982 à 1985, nous avons commencé à en apprendre au sujet de la Charte. J'ai rendu un jugement historique dans l'affaire Bridges; j'ai dû appliquer la Charte, et le cas Bridges a eu l'effet de modifier les avertissements que la police devait donner partout au Canada. Nous devions aviser les gens de la disponibilité d'une aide juridique.
Pour être bien franc avec vous, j'ai détesté faire cela. Je savais que ce type n'était peut-être pas coupable, mais bon sang, il était impliqué. Il s'en est tiré impunément. À ce moment-là, les policiers n'étaient pas non plus habitués à traiter avec les individus en appliquant la Charte, car ils appartenaient encore à l'ancienne école.
Pour moi, cela a été un excellent exemple d'un moment où, en tant que juge, je me suis soudainement retrouvé, après avoir siégé pendant une quinzaine d'années... Ça ne vous plaît pas de changer, mais vous changez; vous vous dites que la Charte est la Charte, et qu'elle a maintenant force de loi.
Nous nous améliorons sur le plan de l'application de la Charte, et je crois que les procureurs s'améliorent sur celui de la divulgation. Les procédures se déroulent assez bien. Ces causes prennent un peu plus de temps, et nous les ajournons souvent, mais en même temps, à Edmonton et à Calgary, nous pouvons régler un procès en six ou sept mois après que l'enquête préliminaire ait été menée et la personne convoquée devant le tribunal. Nous sommes très fiers de ce bilan. Peut-être est-ce en partie attribuable au fait que la Couronne procède désormais comme je l'ai indiqué.
Merci beaucoup.
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Merci, juge en chef. J'ai lu au sujet de votre carrière, de votre sens de l'humour et de vos accomplissements dans le domaine juridique. Je suis très impressionné.
Je viens du Nouveau-Brunswick. Dans l'Est du Canada, on trouve certainement un autre type de mentalité criminelle, et ce que nous découvrons dans le cadre de cette tournée du pays, c'est que les problèmes diffèrent selon les endroits. Mais on trouve quelques constantes, et parmi les choses qui nous donnent du fil à retordre et qui nous divisent parfois, il y a l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Certains législateurs proposent des solutions qui consistent à légiférer et à imposer des peines minimales obligatoires ou des directives très strictes aux juges de première instance, dans le but de remédier aux cas de trop grande indulgence de la part du tribunal, d'augmenter les mesures de dissuasion et de faire en sorte que, généralement, les éléments criminels soient davantage réglementés.
J'aimerais savoir si vous pensez qu'il y a eu trop de pouvoir judiciaire discrétionnaire. Ce matin, nous avons reçu des témoins provenant des services policiers, et ils ont avancé que si le système ne fonctionnait pas, c'était en partie parce que les juges ne tenaient pas suffisamment compte de la preuve dans le cadre des enquêtes sur le cautionnement et des audiences de justification. Je sais qu'en tant que juge en chef, vous n'avez peut-être pas beaucoup oeuvré au sein des tribunaux provinciaux de première instance, mais les erreurs qu'on y commet se rendent généralement au niveau où vous vous êtes trouvé pendant de nombreuses années.
Il s'agit d'une question d'ordre général. Comme je l'ai dit, je crois beaucoup au pouvoir judiciaire discrétionnaire, mais comme dans l'exemple des pommes pourries, il y a certains juges qui font erreur. On peut présumer que les cours d'appel et les audiences du Conseil canadien de la magistrature sont utiles à cet égard.
L'autre aspect au sujet duquel je vais vous interroger se situe dans la même veine. Au sein de ce comité, auquel je siège depuis quatre ans, on a laissé entendre que les juges n'avaient aucun compte à rendre. On ne peut interroger nombre d'entre eux. L'idée, c'est qu'il existe le Conseil canadien de la magistrature et les tribunaux pénaux pour traiter les cas des juges, mais que la magistrature n'est pas tenue de rendre des comptes autant que nous, disons, car de temps en temps, nous devons frapper aux portes et être rejetés ou pas. Dans certains cas, on s'en portera mieux si on s'abstient de faire du porte-à-porte, mais...
Croyez-vous que les juges ont suffisamment de comptes à rendre, et à votre avis, l'usage du pouvoir judiciaire discrétionnaire dépasse-t-il les bornes?
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Nous sommes un système humain. Nous avons créé un système humain au sein de notre système judiciaire canadien. À ce titre, il y aura des forces, mais aussi des faiblesses.
Il serait facile de se débarrasser du pouvoir judiciaire discrétionnaire en établissant une grille comme celle qu'on applique Californie, en déclarant: « au bout de trois fautes, vous êtes sorti du jeu » — la troisième fois que vous êtes pris à voler un pain, vous écopez de 21 ans d'emprisonnement.
Le pouvoir judiciaire discrétionnaire, à mon avis, fait partie intégrante de l'indépendance judiciaire. On peut commettre des erreurs au niveau de la première instance, puis se consoler en se disant que les gens pourront s'adresser à la Cour d'appel pour un redressement. Mais je trouve que les juges, en général, se montrent très prudents dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire. S'ils y recourent, ils le font pour une bonne raison. Ce pouvoir est exercé non seulement lorsqu'on envisage des mesures punitives, mais aussi quand on considère que la personne a certaines qualités qui rachètent ses torts, et qu'elle pourrait peut-être, avec le temps, corriger ses agissements.
On nous critique constamment au motif que nous ne sommes pas assez durs. Nous pourrions l'être; c'est facile. Mais à ce moment-là, nous avons affaire à un autre programme, qui consiste à bâtir des prisons. Actuellement, nous avons une population carcérale... En Alberta, la population compte 3,8 millions de personnes, je crois, alors qu'en Hollande, la population s'élève à 14 millions, et nous avons deux fois plus de gens en prison. Il est facile de se montrer dur, mais difficile d'user de son pouvoir discrétionnaire.
Le pouvoir discrétionnaire utilisé par des individus dûment nommés — et habituellement, les personnes nommées sont les meilleurs éléments de leur profession et usent avec grand soin de leur pouvoir discrétionnaire... Dans les faits, en tant que juges, nous devons rendre des comptes. Nous devons tout d'abord répondre de nos actes face à notre propre conscience, et c'est le plus important. Les gens qui occupent ces fonctions ont une conscience. Encore une fois, on peut se consoler en se disant que si l'on erre dans les décisions que l'on prend, la Cour d'appel est là pour redresser nos jugements, et la Couronne, normalement, interjettera appel à leur sujet.
À mon avis, la responsabilisation est une chose que nous avons au Canada; en tant que juges, nous sommes tenus de rendre des comptes. Le Conseil canadien de la magistrature reçoit des plaintes, probablement 150 à 175 par année. Au Canada, nous n'avons jamais vu quiconque être jeté hors du tribunal par le Parlement. Il s'en est fallu de peu à quelques reprises. Dans le système judiciaire fédéral, nous avons plus ou moins 1 200 juges, et environ 120 à 170 plaintes. La Californie, qui a une population de la même taille que le Canada, reçoit plus de 3 800 plaintes chaque année. Il existe là-bas des conseils de la magistrature et des sous-conseils qui siègent pour entendre les plaintes. Quelle est l'origine des plaintes? Habituellement, elles concernent les juges élus. Nous avons vraiment fait de l'excellent travail pour ce qui est de nommer les juges au Canada. C'est le cas de votre gouvernement et des précédents.
De temps en temps, quelque chose se produit. Vous direz à votre juge en chef Smith, au Nouveau-Brunswick, qu'il était une erreur. Rapportez-lui simplement mes propos.
Des voix: Oh, oh!
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Je ne peux répondre pour les juges de paix, comme vous l'avez reconnu. C'est une procédure relativement nouvelle suivie par les juges de paix ces trois ou quatre dernières années quant à la manière de traiter le processus de cautionnement.
Les appels qui sont soumis à notre Cour, et qui sont des révisions des ordonnances de détention, ont considérablement augmenté au fil du temps, et ils durent plus longtemps. Le procureur de la Couronne a l'obligation de produire les rapports. S'il omet de présenter les renseignements, la police ou le public en subira les conséquences car la personne visée sera probablement mise en liberté alors qu'elle n'aurait pas dû l'être.
Un bon exemple de cela est un cas qu'il y a eu ici, à Edmonton, le cas Martin, qui concernait un individu ayant tué sa femme alors qu'elle était enceinte. Il a été mis en liberté par un juge de Calgary à l'occasion d'une révision de l'ordonnance de détention. En lisant ce jugement, vous pouviez arriver à comprendre pourquoi on le mettait en liberté, car à cette étape-là, tous les rapports n'avaient pas été transmis. Il a été mis en liberté, ce qui a soulevé un tollé, mais on ne pouvait rendre publiques les raisons pour lesquelles il était relâché, ni donner d'information à ce sujet. Mais en lisant ensuite le jugement, vous pouviez vous demander ce qui aurait justifié de garder ce type en prison, compte tenu de l'information dont disposait le juge à ce moment-là. La Cour d'appel a renversé cette décision, mais entre-temps, nous avions reçu davantage de renseignements.
L'impression que j'ai, c'est que le grand public aimerait voir ces personnes incarcérées en attendant de passer en jugement, mais nous avons des problèmes d'ordre très pratique concernant la capacité des centres de détention provisoire. À mon époque, j'ai procédé à un grand nombre de révisions d'ordonnance de détention. En fait, l'une de mes décisions a véritablement fixé les lignes directrices concernant les révisions d'ordonnance de détention. C'était lors de l'affaire Lysiak. Lysiak avait volé seulement 17 millions de dollars à la Banque de Montréal — ce n'était pas de la petite bière — mais je l'ai libéré sous caution. Cependant, je lui ai imposé des contraintes, si bien qu'il a dû vivre auprès de ses frères à Mundare en plus de rendre son passeport. Je lui ai permis d'aller à l'église le dimanche. Je lui ai demandé quelle église il fréquentait. Je savais, d'après mes connaissances pratiques, que cette église était ouverte une fois par année seulement — alors il y est allé une fois l'an.
Vous pouvez vraiment entraver quelqu'un. On dépense 13 $ par jour, je crois, pour qu'un individu soit surveillé par un agent de libération conditionnelle, alors qu'on dépensera 130 $ pour le maintenir en prison. Il faut faire preuve d'esprit pratique. En cette époque où nous vivons, grâce à la surveillance au moyen de bracelets et d'autres mécanismes, on peut économiser beaucoup d'argent. À moins d'avoir une très bonne raison de mettre quelqu'un derrière les barreaux — habituellement, c'est le cas pour les crimes violents — je crois fermement que nous pouvons mettre en liberté un grand nombre de ces individus et économiser beaucoup d'argent. Nous éviterons également les problèmes de surpopulation que nous éprouvons dans les centres de détention provisoire, en faisant quand même en sorte que ces personnes se présentent.
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Pour faire suite à la remarque de M. Rathgeber concernant les mesures interlocutoires, permettez-moi d'aborder la question des mesures préalables au procès.
Comme vous le savez, dans le domaine civil, il y a habituellement un juge qui préside la conférence préparatoire et qui n'entendra pas la véritable audience afin de pouvoir donner un avis impartial à son sujet; en outre, sa décision concernera seulement la requête elle-même. Recommanderiez-vous qu'il y ait davantage de procédures de ce genre?
Par ailleurs, dans le cadre d'une poursuite criminelle, c'est le rôle global du procureur, de l'avocat de la défense, du juge, peut-être, et des policiers... On a discuté ce matin, et on parle même depuis des années du fait que tous sont des intervenants dans le processus.
Maintenant, je peux vous dire que d'après mon expérience au cours des quatre années que j'ai passées ici, nous entendons rarement les témoignages des procureurs. Premièrement, ils travaillent pour le gouvernement, alors ils sont un peu réticents; deuxièmement, ils ne gagnent sans doute pas autant d'argent que les avocats de la défense, de sorte qu'ils n'ont pas vraiment les moyens de prendre l'avion pour Ottawa afin de venir papoter; et troisièmement, ils sont peut-être occupés. Je pense aussi qu'on est globalement réticent à se prononcer sur la procédure. Donc, nous n'entendons pas ce qu'ils ont à dire.
Comme je l'ai dit, nous n'entendons jamais les témoignages de juges — c'est arrivé deux fois en quatre ans. Le dernier est décédé un an ou deux après sa comparution, alors soyez prudent en retournant chez vous aujourd'hui.
Des voix: Oh, oh!
M. Brian Murphy: Je blague.
Mais nous entendons continuellement des avocats de la défense. M. Rathgeber et moi sommes d'avis qu'en tant que membres de l'Association du Barreau canadien — et j'en ai discuté avec cette association — le seul filtre que nous semblons avoir...
Il s'agit d'excellents avocats. Ce sont des avocats de la défense en droit criminel. Mais ils sont les empêcheurs de tourner en rond, et ils amènent les autres à croire que tous les avocats ont cette seule idée en tête.
Ma question est celle-ci. D'après votre expérience, à quel point l'opinion des procureurs diffère-t-elle vraiment de celle des avocats de la défense quant au fait que ces procédures préalables au procès et ces requêtes interlocutoires limitent la portée de l'enquête préalable? À quel point leurs positions seraient-elles éloignées, selon vous, si vous pouviez les réunir dans une pièce?
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Il y a des conférences préalables à tous les procès criminels qui durent trois jours ou plus. En général, il y a collaboration entre les deux responsables, ou cela peut être entre les trois avocats de la défense et la partie poursuivante. Parfois, s'il y a un avocat de la défense de plus, les choses se compliquent.
C'est beaucoup mieux maintenant que ce ne l'a été dans le passé. La plupart du temps, les avocats estiment qu'ils ont l'obligation de régler ces questions aussi vite que possible et dans un délai raisonnable.
Ainsi, on accomplit beaucoup de choses dans les conférences qui précèdent les procès: on convient, par exemple, qu'on ne fera pas comparaître tel témoin, qu'on lira simplement sa déclaration, parce qu'on ne va pas le contre-interroger.
Ces conférences sont très efficaces. Par contre, la Couronne n'a pas les ressources nécessaires pour en tenir une avant chaque procès. De plus, on envoie à l'occasion quelqu'un qui ne sera pas chargé du procès. Dans ces cas-là, les conférences sont inefficaces. Il manque du personnel, mais on essaie de se débrouiller. « Pouvons-nous régler cette affaire? Il a été accusé de voies de fait causant des lésions corporelles; le poursuivant a eu l'oeil tuméfié. Pouvons-nous réduire les procédures au minimum et raccourcir le procès de deux ou trois jours?
À Edmonton, on planifie trois procès en même temps. Certains sont ajournés, dans d'autres, les accusés plaident coupables et, pourtant, nous avons assez de juges et tous les procès ont lieu. Nous avons huit juges et nous planifions tous les jours 24 causes. Nous allégeons la charge au moyen des conférences préalables à l'instruction. Il est très rare qu'un procès soit remis à plus tard. Je crois que c'est arrivé deux fois l'an dernier. Les procès ont été remis à la semaine suivante ou à la date qui convenait aux personnes concernées.
Nous réussissons très bien grâce à nos initiatives: les conférences préalables à l'instruction, les tribunaux des actes criminels et ce que nous appelons les mini-procès. Les mini-procès concernent surtout les affaires civiles, mais également, dans de rares cas, les affaires criminelles.
Je crois que, désormais, les membres du barreau collaborent. Il fut un temps où les avocats adoptaient une position de confrontation, de sorte qu'ils ne se parlaient même pas avant de se présenter en cour. Les juges commençaient alors l'audience un peu plus tôt et demandaient aux avocats s'ils avaient discuté de l'affaire. Évidemment, la réponse était négative.
Nous vivons à une époque plus civilisée qu'auparavant. Le système adversatif demande aussi qu'on collabore.
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Je ne vais pas accuser la Cour suprême du Canada de prendre des décisions politiques. Je crois que la décision de la Cour suprême est basée en fait sur la constatation réaliste que la tenue de ces méga-procès est impossible. En Alberta, on s'en est rendu compte de première main.
Il y a sûrement une autre façon de faire. Je ne suis pas certain de la manière dont on devrait s'y prendre, mais je pense qu'on affaiblit tout le système judiciaire si on l'engorge avec des méga-procès au Québec, en Alberta et en Ontario. D'une façon ou d'une autre, on doit trouver un dénouement à ce genre de procès. Je crois que l'Alberta est parvenue en partie à faire cela.
Pour ce faire, nous avons tenu des conférences. J'ai représenté le ministère de la Justice au comité sur la réforme. Ce comité était constitué de trois membres du Conseil canadien de la magistrature et de procureurs généraux du Canada. Un des aspects importants de notre examen était les méga-procès. Nous avons produit un bon rapport à cet égard. Je crois que le comité se réunit toujours, mais je n'en fais plus partie, après y avoir siégé pendant environ cinq ans. À l'époque, il y avait le juge Kennedy, de la Nouvelle-Écosse, moi et le juge en chef adjoint Pidgeon, du Québec.
Maintenant, on étudie aussi la chose du point de vue des juges. On se penche également sur la gestion de cas, ce qui devrait régler bien des problèmes. De plus, on envisage de réformer le système de jury, qui n'a pas fait l'objet d'un examen depuis des années.
La réforme de la justice s'effectue en même temps que votre comité en étudie un aspect. Je suis heureux que, depuis peu, un comité parlementaire se penche sur la question, parce que si on avait le genre de crime organisé qu'on retrouve dans d'autres pays, on ne saurait pas du tout comment s'y prendre.
Je suis fier d'être canadien. Mes grands-parents ont quitté leur pays pour venir ici. À ce que je sache, nous vivons dans le meilleur pays au monde. J'ai enseigné en Russie et en Ukraine, et je peux vous dire que nous sommes bien en avance sur eux. Qu'on fait les juges de l'Ukraine après la chute du Rideau de fer? Ils auraient pu aller ailleurs, mais ils ont choisi de venir dans notre pays, parce que, selon leurs dires, ils voulaient adopter un système semblable à celui du Canada. Ces 30 juges sont allés à Hamilton, à Winnipeg et à Edmonton. Après être passés à Ottawa pour faire le bilan de ce qu'ils avaient appris, ils sont revenus en Alberta deux ans plus tard en disant que le système y fonctionnait très bien. D'une certaine manière, ils nous ont adoptés.
En réalité, les difficultés que connaît le système judiciaire indiquent qu'il n'est pas parfait — seule une dictature lui permettrait de l'être. Cependant, nous pouvons être très fiers de notre bilan concernant la gestion de cas. Nous devrions être prêts à nous adapter et à adopter les changements nécessaires dans le domaine. Je suis donc très heureux qu'on travaille là-dessus.
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Je vous remercie de m'avoir invité à venir témoigner.
Je sais que votre comité se concentre sur les questions de justice et sur les droits de la personne. Dans notre communauté, quand il est question de justice, nous tenons toujours compte de l'aspect social.
Aujourd'hui, je représente les Somaliens de l'Alberta. Je viens parler de notre vécu et du cauchemar qui continue de nous assaillir.
Chaque membre de la collectivité somalienne a quitté sa patrie par peur de la persécution, par crainte pour sa vie et pour celle des siens. Aujourd'hui, il revit cette angoisse, il a l'impression d'être revenu à la case départ — au cauchemar de la terreur, de la peur et de la défiance. Il se sent de retour en Somalie.
La collectivité somalienne de l'Alberta ressent les inconvénients rattachés à son arrivée récente dans cette province. Beaucoup d'obstacles empêchent l'intégration complète de la plupart de ses membres. Cependant, la mort de jeunes hommes de culture somalienne en Alberta, au cours des trois dernières années, a changé sa vie telle que nous la connaissons en tant que Canadiens. Nous ne pleurons pas seulement avec beaucoup de douleur ces morts; nous pleurons également la perte d'un sentiment de sécurité que nous éprouvions en tant que citoyens canadiens, la perte du sentiment d'être, d'une manière ou d'une autre, à l'abri de ces terribles attaques. À bien des égards, le choc a été ressenti encore plus profondément par beaucoup de Somaliens que l'on a dénigrés, alors que la protection de nos droits, en tant qu'êtres humains, pourtant un droit fondamental au Canada, se dégradait.
Nous subissons la violence juvénile, et nos jeunes sont recrutés par des organisations criminelles. Au plus profond de nous-mêmes, nous recherchons la paix et la sécurité, comme toutes les autres collectivités. Certains des nôtres en ont assez — ils en ont assez de la victimisation, de l'injustice.
D'une manière ou d'une autre, nous nous sentons étrangers dans notre pays. Nous sommes Albertains. Nous sommes Canadiens. Nous sentons que nous sommes ici pour les mêmes raisons que celles qui ont attiré nos pères ici, la crainte de la persécution, la liberté de religion, etc. Pourtant, nous ne vivons pas la valeur fondamentale d'être Canadiens, c'est-à-dire la liberté et la justice pour tous. J'espère que le comité, au bout du compte, prendra des mesures en ce sens.
Voici quelques faits et quelques chiffres sur la collectivité somalienne de l'Alberta. Nous sommes 30 000 à 35 0000. Nous sommes concentrés à Calgary, à Edmonton, à Fort McMurray et à Grande Prairie. La moitié de nos membres sont des immigrants de première génération, et l'autre moitié sont nés au Canada; 84 p. 100 ont moins de 35 ans et 97 p. 100 sont musulmans.
Soixante-dix pour cent des Somaliens de l'Alberta sont arrivés dans cette province entre 2003 et 2005; 18 p. 100 sont arrivés entre 2006 et 2009. Nous sommes en majorité des immigrants de deuxième génération d'autres provinces, principalement de l'Ontario, du Québec et de la Colombie-Britannique. D'autres sont arrivés ici en tant que réfugiés ou par d'autres voies.
La plus grande des difficultés auxquelles se heurte notre collectivité, actuellement, c'est l'accueil tiède, parfois hostile, qu'elle reçoit en Alberta. Même si, à l'origine, nous avons été invités à venir nous installer au Canada, nous avons l'impression que les autres portes qui mèneraient à une participation entière à la vie du pays se sont fermées.
D'après un proverbe somalien, nous entrons quelque part non pas par une porte ouverte, mais parce qu'un visage ouvert nous reçoit. Notre collectivité ne se voit pas offrir ce visage. Après avoir franchi la première porte, nous avons cessé d'être les bienvenus. Depuis, notre vie est un combat.
Certains de nos membres prétendent qu'après 30 années de vie au Canada, dont 10 en Alberta, la difficulté consiste à savoir négocier les obstacles systémiques qui s'érigent pour priver de possibilités d'emploi non seulement la première génération, celle qui a été formée en Somalie, mais également la suivante, qui a fréquenté des universités canadiennes et qui, elle non plus, ne trouve pas d'occasions d'emploi en Alberta.
C'est alors que commencent les difficultés. Par exemple, dans une famille, les enfants pourraient s'intégrer plus rapidement que les parents, grâce à la connaissance de la langue, etc. Les parents veulent enseigner aux enfants la culture et les aider à s'ajuster aux conditions nouvelles, mais s'ils travaillent de longues heures, sans bénéficier d'aucun appui, leur tâche est difficile.
En outre, lorsque les espérances des parents sont frustrées par le chômage ou le sous-emploi, les enfants s'en ressentent. S'ils constatent que leur père, qui est ingénieur, travaille à peine, ils se demandent probablement pourquoi se donner la peine de faire des études universitaires, si ces études n'ont pas aidé leur père ni leur grand frère. Voilà donc un facteur.
Si 80 p. 100 de nos membres ont moins de 35 ans, il est impérieux de se concentrer sur les jeunes. Les jeunes sont désillusionnés par le chômage de leurs pères, leur sous-emploi, malgré plusieurs diplômes, alors que beaucoup de gens qui appartiennent à la majorité sont en excellente situation financière. Désappointés, les jeunes hommes abandonnent leurs études, les jugeant inutiles.
Pis encore, ils ont des ennuis avec la justice. Il arrive notamment que, en raison de la violence au foyer, qui influe sur les jeunes, les garçons particulièrement, des parents envoient leurs fils en Somalie. Il est intéressant de constater que des parents envoient leurs fils dans le milieu dangereux qu'ils ont eux-même fui. Ils croient que, dans ce milieu, au moins, leurs enfants n'auront pas affaire au système de justice pénale ni aux bandes organisées. On pourrait très bien se demander ce que cela révèle du Canada.
Voici ce que ces jeunes hommes m'ont répondu quand je les ai questionnés: « Le mot “somalien“ ne veut pas dire grand-chose pour moi. J'ai grandi dans la culture somalienne, où j’étais connu, de sorte que mon identité est intacte. Je ne crois pas, cependant, que cette épithète me décrive bien. Elle éveille chez moi indifférence ou mépris. Toutefois, je m'inquiète pour mes enfants. Dans la société où ils grandissent je crains qu'ils n'intériorisent la connotation négative du mot “somalien“, et non du mot “canadien“, et que, sans que je sache vraiment comment, cette intériorisation ne les entrave ».
Selon certains théoriciens, il est très important, pendant la socialisation des enfants, qu'ils connaissent leurs antécédents, pour avoir un sentiment d'appartenance, parce qu'ils ne trouveront pas de reflet d'eux-mêmes dans la culture sociale dans laquelle ils baignent actuellement, ailleurs dans la société, Mais, lorsque des jeunes s'identifient davantage à la patrie de leurs parents qu'au pays où ils sont nés, cela montre qu'ils ne se sentent pas acceptés dans ce pays. Autrement dit, ce n'est pas que les jeunes Somaliens ne veulent pas être Canadiens; ils ne se sentent pas acceptés en tant que Canadiens par leur gouvernement et par leurs camarades.
Actuellement, on ne considère pas que l'attitude à l'égard de la police soit... l'attitude à l'égard des jeunes, l'attitude à l'égard de la police ne sont pas considérées comme ayant des effets universellement positifs. Beaucoup de Somaliens de l'Alberta sont inquiets, particulièrement du nombre excessif de jeunes Somaliens en prison. On avance trois explications pour ce phénomène: le profilage racial, l'absence de programmes et le peu d'occasions d'avancement économique. À Edmonton, cependant, on a obtenu de bons résultats grâce à la collaboration avec la police et la Gendarmerie royale du Canada. À Edmonton, la police essaie de rejoindre la collectivité.
Nous essayons de réduire la violence juvénile dans notre collectivité en essayant de nous fondre dans la société en général. Cependant, nous essayons de mieux aider les individus, les familles et la collectivité à résoudre leurs problèmes sociaux, pour qu'ils fassent tous l'expérience de l'acceptation, qu'ils accèdent davantage aux ressources et qu'ils profitent davantage des chances offertes — créer un milieu où ils trouveront des appuis et des relations, un milieu où ils seront acceptés.
Nous essayons aussi de les éduquer et de leur donner de l'autonomie en nous concentrant sur les diverses tribunes qui animent le système de justice pénale — le système scolaire, le système social et le système juridique.
Par ailleurs, nous essayons d'augmenter l'appui qui permet d'améliorer d'abord l'accès, puis d'augmenter les ressources qui permettront de saisir les occasions qui se présentent — par l'élaboration de stratégies pour les jeunes visant à accroître les chances pour les Somaliens de l'Alberta, donner aux jeunes un meilleur accès aux programmes de la collectivité et accorder plus de place aux composantes culturelles de la santé.
Pourtant, nous sommes en train de nous construire un avenir meilleur au Canada. En dépit de toutes les épreuves et de toute l'agitation que nous affrontons en Alberta, aujourd'hui'hui, que nous avons affrontées dans le passé — et l'avenir nous en réserve probablement d'autres — c'est ce constat optimiste qui s'impose, tout comme notre capacité de donner à la société elle-même, et non pas uniquement à notre collectivité, entre nous.
Les Somaliens de l'Alberta regardent vers l'avenir. Ils attachent beaucoup d'importance à la réussite des enfants et des jeunes dans la collectivité. Un avenir meilleur, voilà ce en quoi ils espèrent: grâce au travail acharné, à la mise en commun des ressources, à la constitution d'un patrimoine collectif, au mentorat et, aussi, à une meilleure sécurité financière.
Vous pouvez constater tout le travail que les Somaliens effectuent sans aide de l'extérieur. Notre collectivité progresse. Nous nous faisons à l'idée que nous sommes ici pour y rester, que nous devons travailler plus fort pour faire de l'Alberta et du Canada notre foyer et établir une institution qui appuiera notre collectivité.
Après 30 ans, nos gens disent enfin qu'ils doivent défaire leur baluchon, s'acheter des maisons et tracer des plans permanents pour leur avenir en Alberta et au Canada.
Merci.
Merci de votre invitation. Aujourd'hui, mon exposé portera sur l'évolution des bandes de jeunes en organisations criminelles.
Le niveau d'organisation des bandes de jeunes varie d'une bande à l'autre. En conséquence, leur étude devrait être axée sur une démarche régionale et, plus important encore, une démarche qui tient compte de l'âge des membres de ces bandes. Cette conclusion, je la tire des travaux de recherche que j'ai menés, à titre de doctorante, auprès des bandes de jeunes à Saskatoon et ici, à Edmonton, des bandes qui étaient principalement constituées de jeunes Autochtones. Elle découle aussi de l'étude de scénarios d'évolution des bandes de Calgary au cours des deux dernières années.
Les bandes de jeunes continuent d'être un problème envahissant. Elles augmentent le taux de crimes violents, elles font peur et elles se livrent à des comportements qui font problèmes et dont la gamme va du griffonnage de tags au trafic de stupéfiants.
Les bandes ou gangs existent depuis longtemps. Il se peut que certaines d'entre elles évoluent et deviennent des organisations criminelles. Du point de vue de la police, les bandes de jeunes évoluent dans diverses directions qui font problème. Au début, beaucoup de bandes étaient largement qualifiées de groupes désorganisés. Cependant, quand les conditions deviennent optimales, des groupes peu organisés peuvent naturellement évoluer vers une certaine maturité.
La recherche sur l'évolution des organisations portent à croire que celles qui réussissent augmentent en taille et s'organisent davantage. Mais ce constat peut-il s'appliquer également aux bandes de jeunes? Très peu de recherches ont porté sur les bandes selon un point de vue canadien et, même dans ce cas, elles ont très peu porté attention au mécanisme de leur évolution.
La recherche classique s'est à peine arrêtée au phénomène. D'après elle, des bandes de rue se sont intégrées dans des organisations criminelles, mais cela ne semble pas une forme d'évolution prédominante. Un exemple de cette sorte de transformation est celle des bandes Fresh Off the Boat et Fresh Off the Boat Killers, à Calgary. Ces groupes sont des exemples d'évolution d'ensembles relativement moins organisés d'écoliers qui participent à des opérations de livraison de drogues, après contact téléphonique, en organisations criminelles structurées. D'après la police et les médias, ces groupes sont considérés comme des menaces du crime organisé parce qu'ils sont fortement impliqués dans les drogues et qu'ils recourent à la violence dans la poursuite de leurs objectifs. Leurs activités ont toujours abouti à la formation de réseaux criminels interrégionaux et internationaux. Dans leurs opérations, ils utilisent des moyens de communication et des armes modernes ainsi que des moyens de transport blindés et sophistiqués.
Au contraire, la plupart des gangs de rue formés de jeunes Autochtones à Saskatoon et à Edmonton ont très peu de cohésion. Leur cohésion leur vient de l'engagement des membres pour leur quartier et de la résistance aux étrangers. L'autorité est surtout moins centralisée, moins radicale et même, parfois, elle dépend de la situation. Elle se fonde sur l'âge, et les aînés servent de modèles.
Les signes de la possible transformation des bandes en organisations criminelles sont en grande partie subjectifs. Cette évolution a même été avancée par les reportages des médias ou suggérée par la répression policière. Des affaires qui ont fait beaucoup de bruit, comme l'affaire Jackie Tran, ici, à Calgary, les fusillades du jour de l'An, l'année dernière, à Calgary, et l'application, par l'Alberta, de sa Loi sur l'indemnisation des victimes ont contribué à intensifier ces craintes.
Les médias et les réactions politiques contribuent à la perception selon laquelle les problèmes causés par les gangs s'aggravent de plus en plus et que ces gangs sont de plus en plus organisés. Les bandes de jeunes ne sont pas des comités, des équipes ou des groupes de missions spéciales. Les membres, de jeunes hommes, s'assistent pour satisfaire leurs besoins individuels, dont beaucoup sont collectifs et certains contradictoires. Ils ne se réunissent pas pour atteindre un objectif ou partager... [Note de la rédaction: Inaudible] antérieurs. Les récompenses du grégarisme comme le statut, l'émotion, le jeu et la protection sont des motifs impérieux pour se joindre à un gang. Les gangs offrent, outre l'argent, du plaisir et de l'émotion, à la faveur de sorties ou de fêtes, ainsi que des occasions d'être en contact avec des individus populaires. Durant l'adolescence, les activités et les contacts sont très prisés.
En outre, la rareté des loisirs dans les quartiers pauvres des centres-villes laisse peu d'autres choix aux jeunes que d'être amis avec des membres de gangs.
La violence, dans le contexte des gangs, favorise beaucoup plus que le respect de la loi l'atteinte d'un statut et l'obtention du respect social. Pour les membres des bandes de jeunes, ce genre de milieu offre un service social exceptionnel. La répression policière ne tient pas compte de ce facteur.
Pour la loi, les gangs sont tous assimilables au crime organisé. On ne trouve pas de définition de gang dans le Code criminel. On n'y trouve que celle d'organisation criminelle.
D'après la définition d'organisation criminelle, au moins trois jeunes qui, de façon concertée, planifient une entrée par effraction, un vol d'auto ou l'achat de drogues en vue de les vendre à des amis, pendant une fête ou pour y apporter des joints sont probablement mêlés à des organisations criminelles. Pour rester en affaires, les groupes du crime organisé tels que les alliances de trafiquants de drogues doivent être dotés de chefs forts, de systèmes récompensant la loyauté ou sanctionnant la désobéissance, et avoir des aptitudes pour les affaires. Au contraire, beaucoup de bandes de jeunes sont instables, leur direction est éphémère, leur composition provisoire, et les membres ne sont assujettis à aucune règle comme telle.
Le fait de se concentrer sur l'avenir criminel des bandes de jeunes porte à croire que la répression de comportements criminels particuliers sera principalement efficace contre les bandes spécialisées. Cependant, la plupart des bandes de jeunes ne sont pas spécialisées. L'intensification des poursuites contre les membres de bandes de jeunes, du fait, directement ou non, d'une plus grande rigueur, risque de ne convenir que pour un petit nombre de cas.
Au contraire, à cause d'une définition imprécise de la notion de « gangs », qui les assimile, aux yeux de la police et du public, à des organisations criminelles, nous finirons, encore une fois, par jeter en prison plus de jeunes et pour plus longtemps...
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Oui, c'est moi. Merci. Ma collègue Norma interviendra pendant le temps qui nous est accordé.
Nous vous remercions beaucoup de l'occasion que vous nous donnez d'apporter notre témoignage. J'aimerais saluer les deux personnes qui nous ont précédées et prendre acte des problèmes fondamentaux qu'ils ont soulevés concernant certaines des raisons pourquoi les jeunes deviennent membres de gangs. Nous reconnaissons assurément ces raisons.
Notre mandat touche la prostitution, que nous définissons comme étant l'exploitation sexuelle de personnes vulnérables, hommes ou femmes, qui se trouvent en situation de vulnérabilité. Nous sommes vraiment préoccupées par les parasites qui vivent aux crochets des personnes vulnérables, qui profitent d'elles et qui les exploitent.
Notre connaissance du rôle des différents niveaux d'organisations criminelles est davantage anecdotique qu'étayée par des statistiques précises. Quand j'ai consulté mon confrère de l'escouade de la moralité du Service de police d'Edmonton, il m'a dit que lui non plus ne possédait pas de statistiques. En dépit des anecdotes que nous connaissons tous, ce serait un terrain où il faudrait faire plus de recherche et recueillir ces faits.
Pendant que je m'initiais à ce domaine, au milieu des années 1990, j'ai rencontré une jeune femme qui avait été amenée dans l'île de Macao par la Triade. Sa mère a été obligée de réunir une importante somme d'argent pour la racheter et la ramener à Edmonton.
Nous savons également qu'il existe différents niveaux de participation, même chez les gangs de rue non organisés et formés de jeunes. Il est facile, pour ces jeunes, d'être utilisés par des groupes criminels mieux organisés.
À Edmonton, des règlements municipaux portent sur les services de massage et d'escorte ainsi que sur les danses exotiques. Notre ville a adopté ces règlements, expressément pour permettre à la police et aux fonctionnaires chargés de l'application des règlements de surveiller la participation du crime organisé, pour s'assurer que les jeunes, ceux qui ont moins de 18 ans, ne sont attirés dans aucune de ces activités et aussi pour éloigner le proxénétisme et l'exploitation.
Nous savons que, dans la rue, également, il y a différents types de participation du crime organisé, mais personne n'a une idée de ce qui se passe sur Internet.
Je cède maintenant la parole à Norma, qui est membre du conseil. Son témoignage s'inspirera de son vécu personnel.
Merci.
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Merci de votre invitation.
Mon point de vue est très différent. Je viens du crime organisé. Quand j'étais jeune, je me suis retrouvée dans une bande de motards, où je faisais de la prostitution, je recrutais des filles, ce genre de choses.
Nous parlons de crime organisé. Kate m'a demandé si je voulais venir témoigner. Je suis sortie de la rue depuis maintenant 10 ans. J'en suis fière. Mais j'ai une connaissance directe de ce genre de vie parce que je l'ai moi-même vécu — je suis passée par là, j'ai été recrutée, j'en suis sortie.
Les filles dont on parle sont l'objet d'un trafic. Même si elles sont recrutées à Edmonton, on les envoie ailleurs, parce que si elles séjournent trop longtemps dans la même ville, elles finissent par être des biftecks trop bien connues. Dans une autre ville, où elles sont des étrangères, elles demeurent inconnues de la police.
Il y a la drogue. Il y a toute une hiérarchie dans le crime organisé. On commence au bas de l'échelle.
Les témoins qui nous ont précédées ont parlé de la façon dont on se joignait au crime organisé. La pauvreté est un facteur important — le fait d'être exclu. Un enfant qu'on repousse toujours est fortement attiré par ces bandes, parce qu'il y trouve désormais une famille. Il y est accepté. On a besoin de lui. Que ce soit pour tuer ou blesser quelqu'un, acheter ou vendre des drogues, aussi bizarre que cela paraisse, on a besoin de lui et on l'accepte. Il est accepté par la bande. C'est ce qui rend difficile la cessation de ces activités.
J'entends les propositions que l'on a faites pour améliorer les choses. J'ai entendu le juge. La longueur des procès s'explique par la volonté des accusés de savoir qui les a donnés, comme ils disent.
Je me pose des questions. Oui, on verse tout cet argent aux avocats de la défense, etc. Mais cet argent, il vient de personnes comme moi, qui ont fait la rue pour ces criminels. Mon argent a servi à payer leur défense.
J'en aurais tant à dire sur tant de choses. Je ne sais pas exactement ce que je suis autorisée à dire. Je sais qu'on m'enregistre, que mon nom sera noté. On m'a demandé si cela m'inquiétait parce que, là d'où je viens, c'est quelque chose que l'on réprouve. Je ne suis pas ici pour parler de quelqu'un d'autre, mais de moi-même. C'est pourquoi je suis heureuse d'être ici.
Je serai plus utile en répondant à vos questions, parce que je ne sais pas vraiment quoi dire.
Voilà. Merci.
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Oui, j'entends beaucoup d'opinions. Durant mes recherches, j'ai entendu beaucoup de jeunes.
Je suis moi-même immigrante, immigrante de première génération et étudiante internationale. Je suis mère d'enfants qui vont à l'école. Je vis beaucoup de choses dont nous ont parlé les autres témoins.
L'une d'elles est l'étiquetage des Somaliens. C'est un problème. Alors les bandes d'Indo-Canadiens, de Chinois sont un problème; ma question est la suivante: ce sont des immigrants de seconde génération. Pourquoi? Ne sont-ils pas citoyens canadiens?
Alors, voilà le problème. Beaucoup d'enfants, Canadiens de seconde génération comme mes enfants, nés ici, se font dire: « Bon, tu es de l'Inde, c'est parfait ». Mais quand commencera-t-on à les appeler Canadiens?
J'ai parlé des gangs qui constituent un gros problème pour la police à Calgary, des Fresh Off the Boat Killers et des Fresh Off the Boat. Les FOB. Mais les médias les appellent également « Forever Our Brother ». Ce n'est jamais le nom qui est utilisé ou qui est publié.
J'en déduis que ces gens appartiennent à un groupe qui a été victime de discrimination à l'école secondaire — effectivement, « fresh off the boat », ils sont frais débarqués, on les exclut. C'est donc eux. Mais entre eux, c'était Forever Our Brother, notre frère pour toujours. Ils se sont unis et se sont tenus ensemble. Peu importe ce qui est arrivé — trafic de drogues ayant mal tourné — l'un est devenu l'ennemi de l'autre, et ils sont devenus les Fresh Off the Boat Killers, les Tueurs frais débarqués. Nous en sommes là.
Mais oui, l'étiquette doit être... Ils sont tous nés au Canada. Pourquoi ne sont-ils pas citoyens canadiens?
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De fait, notre organisation a été fondée par des habitants d'Edmonton, qui signifiaient ainsi à notre ville, à notre maire et à notre ministre de la Justice qu'il faut intervenir pour lutter contre la demande à l'origine de la prostitution et de l'exploitation.
Dans ma communauté, la prostitution de rue et le trafic de drogue avaient envahi nos vies, et nous sommes intervenus en notre qualité de citoyens. Treize ans plus tard, nous affirmons toujours qu'il faut faire quelque chose pour contrer la demande, qui incite à l'exploitation sexuelle d'êtres vulnérables et au trafic de personnes.
En 2005, lorsque le sous-comité parlementaire sur la sollicitation était en place, nous nous sommes permis de rêver à une loi différente de celle actuellement en vigueur au pays. Nous nous sommes demandé ce qui se passerait si la population canadienne avait le courage d'affirmer qu'elle ne tolérerait pas l'exploitation des personnes vulnérables ou de celles qui se trouvent dans une situation vulnérable et qu'elle ciblerait ceux qui en profitent, s'en prennent à elles et les exploitent. Voilà une déclaration visionnaire.
Vous vous demandez s'il convient de légaliser la prostitution. Nous disons toutes les deux que non. Nous voudrions en fait que notre pays adopte une position différente, qui s'appuierait sur une vision du pays où nous voulons vivre.
En outre, j'ai eu l'occasion de me rendre aux Pays-Bas, qui sont souvent cités en exemple, et d'y rencontrer un détective adjoint. Ce dernier m'a indiqué que le gouvernement avait pensé être pragmatique, en rendant la prostitution plus sécuritaire, par exemple, mais qu'en fait, il avait créé un havre pour la mafia russe et le trafic de personnes. Il a également fait remarquer que lorsque l'État légalise et réglemente la prostitution de cette manière, il laisse à d'autres le soin de s'occuper du problème, de poser des questions, de mobiliser les intervenants et d'agir pour s'attaquer aux racines de l'injustice sociale et de l'exploitation.
Ainsi, nous demandons encore et toujours que l'on adopte une attitude différente afin de faire comprendre aux garçons qu'il est inacceptable d'utiliser les jeunes filles en grandissant. Notre organisation a commencé à décerner chaque année ce que nous appelons un prix d'« hommes d'honneur », car nous voulons récompenser ceux qui agissent comme des citoyens honorables au sein des communautés ethnoculturelles. Actuellement, les seuls dont on entend parler dans les médias sont les violeurs, les meurtriers, les trafiquants et les exploiteurs. Nous voulons contribuer à l'éducation des jeunes afin de leur présenter une vision différente de ce que cela signifie d'être une personne et un membre d'une communauté.
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Si vous posez la question à notre communauté, vous obtiendrez toutes sortes de raisons. Selon moi, il se peut que les communautés qui nous ont précédés aient eu un point commun qui leur a permis de mieux s'intégrer à la population en général. Peut-être les Vietnamiens étaient-ils unis par une identité commune fondée sur la foi ou un autre aspect acceptable. Les Libanais adhéraient peut-être à une foi commune, mais la question de la couleur est entrée en jeu.
Lorsque je demande à ma communauté quelles sont les raisons du manque d'intégration, deux aspects ressortent. Tout d'abord, nous sommes majoritairement musulmans — à 97 ou 98 p. 100; en outre, nous sommes Africains. Ces deux facteurs, la couleur et la foi, deviennent des problèmes. Ainsi, pour la majorité de ceux qui sont ici — nous sommes la diaspora africaine la plus importante au Canada —, rien n'a été fait pour résoudre certains des problèmes qui nous empêchent de devenir des Canadiens.
De façon générale, lorsque nous sommes arrivés au Canada, que ce soit en Ontario, au Québec ou en Colombie-Britannique, on nous a offert des services en fonction de notre culture. Or, ces services n'étaient valables que pour cinq ans. C'est après que la situation dérape, car rien n'a été prévu par la suite. Après 20 ans, comment les Somaliens, même s'ils sont Canadiens, remplacent-ils ces services lorsqu'ils quittent l'Ontario et s'aventurent en terrain inconnu, hors des grandes villes multiethniques? De quelles ressources disposent-ils? Ils sont toujours Somaliens, même s'ils sont ici depuis 20 ans. Et ils ont peur de ne pas être acceptés par les Canadiens, parce que ces derniers sont principalement de cultures d'inspiration judéo-chrétienne. Pour ma part, je considère que je ne peux me prétendre musulman à moins que je ne sois pratiquant. Je dois prier cinq fois par jour, sinon je ne suis pas musulman.
Mon alimentation présente également un défi. C'est un problème socio-économique, parce que dans les commerces où je m'approvisionne, les prix sont 25 p. 100 plus élevés que dans les épiceries. Alors pour ce qui est de s'intégrer...
En outre, la plupart des personnes issues d'autres communautés ethniques qui s'adonnent au trafic de stupéfiants cherchent un groupe auquel appartenir. Or, ce n'est pas le cas dans notre communauté. Ce n'est pas non plus une question de statut social. Certains des membres de notre communauté ont fort bien réussi et appartiennent à une classe sociale que je qualifierais de supérieure à la moyenne. Leurs enfants n'en risquent pas moins de tomber entre les griffes de personnes qui pourraient être des recruteurs d'al-Shabaab. Si cela arrive, je crois que c'est en raison d'un manque d'intégration.