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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 021 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 15 février 2012

[Enregistrement électronique]

(1535)

[Traduction]

    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous commençons notre étude sur le rôle du secteur privé dans la réalisation des intérêts du Canada en matière de développement international.
    Nous ne disposons que d'une heure et nous accueillons deux excellents témoins. Tout d'abord, de la Grameen Foundation, nous recevons Alex Counts, président-directeur général. Bienvenue, Alex; nous avons hâte d'entendre votre exposé.
    Nous accueillons aussi Katleen Félix, de Fonkoze, un autre excellent organisme; nous avons donc hâte de l'entendre aussi.
    Puisque nous n'avons qu'une heure, nous allons commencer immédiatement.
    Alex, pourquoi ne pas commencer avec vous? Nous allons ensuite entendre Katleen et après, les membres du comité vous poseront quelques questions.
    Alex, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président, et merci aux membres du comité. Je suis très heureux d'être ici pour vous parler de cet important dossier.
    Si je devais résumer mes commentaires, je dirais tout d'abord que les deux domaines auxquels j'ai le plus participé — qui sont, premièrement, le microfinancement ou la prestation de services financiers aux pauvres, et deuxièmement, la technologie, surtout la technologie de l'information au service du développement et de la réduction de la pauvreté — sont tous les deux des exemples caractéristiques dans lesquels le secteur privé joue un rôle dans le développement international aux côtés du secteur public. Il peut aussi constituer une plateforme ou servir de partenaire à d'autres acteurs du secteur privé qui y participeront à l'avenir, et j'en parlerai un peu plus en détail dans quelques minutes.
    Le deuxième point, c'est que la façon dont le secteur privé peut interagir avec le secteur public et les activités de développement international résiste vraiment aux efforts de catégorisation, car on ne peut pas dire « les choses devraient être de cette façon-ci ou de cette façon-là ». Chaque secteur, chaque pays et chaque période sont uniques, et ces relations, à notre avis, devraient être ajustées à mesure que les temps et les secteurs changent. Je ne ferai aucune déclaration importante sur la façon dont les choses devraient être, car cela dépend vraiment du contexte.
    Le microfinancement est un parfait exemple de la façon dont le secteur privé peut se donner une fonction sociale. Pendant ma jeunesse, j'ai été témoin de l'évolution du microfinancement au Bangladesh, et je dois dire que le Canada a joué un rôle très important dans la croissance du microfinancement. Les choses auraient pu être très différentes pour la Banque Grameen, le BRAC et d'autres organismes du Bangladesh sans l'appui de l'ACDI, en ce qui concerne la maturité et la force du secteur du microfinancement là-bas. Le Bangladesh est aujourd'hui très différent de ce qu'il était lorsque j'y suis arrivé pour la première fois à la fin de 1988. Le secteur privé y est maintenant beaucoup plus actif et l'infrastructure globale du pays plus dynamique, et la pauvreté a beaucoup diminué. Tous ceux qui ont examiné la situation, y compris Jeffrey Sachs de l'Université Columbia, peuvent constater que le microfinancement est probablement l'une des deux ou trois raisons principales qui ont fait en sorte que le pays a tellement évolué ces 25 dernières années.
    En fait, nous avons mené une recherche bibliographique de toutes les études d'impact du microfinancement, intitulée Measuring the Impact of Microfinance, et l'une de ces nombreuses études a démontré que pendant une période de trois ans il y a environ dix ans, le taux de pauvreté a diminué trois fois plus rapidement dans les districts du Bangladesh dans lesquels le microfinancement s'accroissait rapidement comparativement aux districts où il évoluait très lentement. Je pense donc qu'il s'agit d'un facteur important dans la réduction de la pauvreté au Bangladesh.
    À l'avenir, je pense que le microfinancement, dont profitent maintenant plus de 150 millions de familles pauvres dans le monde, pourra représenter un solide partenaire pour d'autres acteurs du secteur privé qui souhaitent participer au développement international, et j'en parlerai dans un instant.
    Nous voyons le microfinancement comme une plateforme, un partenaire, un moyen par lequel nous pouvons soutenir d'autres interventions. Par exemple, les panneaux solaires. Il ne s'agit pas d'une nouvelle technologie, mais il est très rare que les pauvres d'un pays puissent se permettre d'en acheter et de se raccorder au réseau, et ainsi obtenir de l'électricité propre et peu dispendieuse. Toutefois, une organisation soeur de la Banque Grameen, appelée Grameen Shakti — ce qui signifie « énergie rurale » — a mis sur pied une entreprise aux débuts très modestes, mais qui est maintenant rentable, car elle vend un millier de systèmes solaires domestiques par jour aux gens qui vivent dans les régions rurales du Bangladesh.
    La technologie existait déjà, mais la mise sur pied de l'infrastructure nécessaire pour financer les pauvres afin qu'ils puissent emprunter l'argent pour s'acheter l'équipement, l'utiliser et comprendre les avantages de l'énergie solaire a été possible seulement parce que l'infrastructure du microfinancement était déjà en place. Le microfinancement, qui consiste essentiellement en la prestation de services bancaires sur une base commerciale aux pauvres, permet l'entrée sur le marché d'un grand nombre d'autres gens qui vendent leurs produits — que ce soit des soins de santé, des produits éducatifs ou énergétiques — et permet aux pauvres de se les payer et de comprendre pourquoi ces produits peuvent les aider.
    Le microfinancement fait certainement face à des problèmes de réglementation dans certains pays, surtout au Bangladesh et en Inde, et il est ironique que certains organismes de réglementation et politiciens l'aient accusé d'exploiter les pauvres en prélevant un intérêt, alors que ces deux pays profitent des taux d'intérêt de microfinancement les plus bas dans le monde.
    La politique est parfois très éloignée de la réalité un peu partout — excepté, je présume, au Canada.
    Je vais maintenant parler des services d'information. Nous pensons que non seulement les pauvres n'ont pas accès aux services financiers dont ils ont besoin, mais qu'ils n'ont pas non plus accès aux renseignements dont ils ont besoin ou à la capacité de communiquer avec les autres, par exemple leur famille, leurs partenaires commerciaux ou les membres de leur famille qui vivent à l'étranger.
    L'histoire du succès du microfinancement remonte à loin. Lorsque j'ai créé Grameen Foundation il y a 15 ans, nous avons pu observer que la Banque Grameen s'est associée à Telenor, une société de télécommunications norvégienne, afin de mettre sur pied une compagnie de téléphone au Bangladesh, qu'on a plus tard appelé Grameenphone. Il s'agit d'une compagnie à vocation purement commerciale, appartenant au secteur privé et à but lucratif, mais elle a été jumelée à une organisation soeur à vocation sociale afin d'équiper jusqu'à 300 000 clients de la Banque Grameen de téléphones cellulaires, afin d'en faire des téléphones payants humains dans leur village. Il s'agit d'un exemple vraiment unique de la façon d'intégrer l'infrastructure du microfinancement à une marque, d'utiliser une nouvelle technologie, qui était en voie d'être privatisée, et de le faire de façon à non seulement réussir sur le plan commercial, mais aussi permettre à des centaines de milliers de femmes de se lancer en affaires. Cela a été un succès retentissant. Cette compagnie est devenue la plus importante du Bangladesh, et l'effort en vue d'implanter les femmes dans le secteur des téléphones payants a été très rentable pour ces dernières.
    La Grameen Foundation — que j'ai créée — a repris ce modèle en Ouganda, et s'est associée à MTN, un fournisseur de télécommunications du secteur privé. En fait, il s'agit du plus important exploitant de réseaux mobiles de l'Afrique. Nous nous sommes ensuite installés en Ouganda. Nous avons commis quelques erreurs, ce qui a rendu nos débuts difficiles, mais au bout du compte, nous avons créé une entreprise rentable qui a équipé plus de 80 000 Ougandais, surtout des femmes, pour en faire des exploitants de téléphones payants. Ces personnes se sont habituées à être le centre de renseignements et de communications de leur village.
    Ensuite, cette activité commerciale a commencé à perdre de la vigueur. C'est ainsi que les affaires fonctionnent dans le secteur privé: ce qui est à la mode une année ne génère aucun intérêt l'année suivante. Nous avons décidé d'utiliser ce que nous avions appris et de profiter de l'infrastructure en place pour que ces femmes ne soient pas seulement en mesure d'utiliser le téléphone pour faire des appels, mais aussi pour télécharger des renseignements sur les pratiques exemplaires en agriculture, en santé et en commerce. Nous avons transformé ce que nous appelions les exploitants des centres téléphoniques des villages en travailleurs et travailleuses du savoir de la collectivité; nous en avons maintenant 1 000.
    En ce moment, en Ouganda, nous nous concentrons sur l'agriculture. Nous envisageons d'étendre ce modèle en Colombie, en Indonésie, en Tanzanie et peut-être à d'autres endroits, où un agriculteur partenaire — il y en a maintenant 1 000 qui sont actifs — exerce deux fonctions. Tout d'abord, en se servant du téléphone pour consulter la base de données sur les pratiques exemplaires en agriculture, il peut se procurer des renseignements en temps opportun sur les prix du marché, sur la façon de lutter contre une maladie et sur les engrais appropriés, et ensuite communiquer ces renseignements directement aux agriculteurs au moment où ils en ont besoin. Cette pratique reprend les choses là où l'agent de vulgarisation agricole les avait laissées — car cet agent ne vient peut-être qu'une fois par année — en utilisant la puissance du téléphone et de la base de données à laquelle il donne accès.
    Deuxièmement, ce système rassemble des renseignements au sujet des agriculteurs, par exemple leurs produits, leurs besoins et ce qu'ils veulent acheter et vendre, et quand ils veulent le faire. J'ai littéralement vu l'un de ces agriculteurs partenaires effectuer un levé à l'aide de son téléphone, et le télécharger au moment où il finissait, avec les coordonnées GPS de l'endroit où il se tenait. Ces renseignements sont ensuite exploités par des entreprises de Kampala où, par exemple, les dirigeants d'une brasserie veulent savoir où ils peuvent acheter de l'orge pour fabriquer de la bière. Il existe beaucoup d'autres exemples de ce genre.
    L'une des raisons qui expliquent pourquoi les entreprises ne travaillent pas avec les pauvres et ne contribuent pas davantage au développement international, c'est qu'elles ne disposent pas d'information en temps réel sur les femmes pauvres qui sont présentes sur le marché ou sur les agriculteurs de subsistance — ce dont ils ont besoin, ce qu'ils veulent, ce qu'ils désirent acheter et ce qu'ils souhaitent vendre. Le téléphone mobile, lorsqu'il est utilisé par les gens qui sont dans les champs, c'est-à-dire les pauvres, peut représenter une façon de recueillir et de rassembler ces renseignements sans s'exposer à une grande partie des frictions qui peuvent survenir entre le secteur privé et les pauvres. Cela permet aussi de créer des partenariats qui profiteront aux deux parties.
    Enfin, j'aimerais terminer en précisant que le président de notre conseil d'administration, qui dirige une grande entreprise à Silicon Valley et qui a déjà occupé un poste très important chez Microsoft, a déclaré que dans le domaine de la philanthropie ou du développement international, la personne la plus facile à tromper, c'est soi-même.
(1540)
    En effet, il est très facile de se féliciter soi-même et de se dire qu'on a trouvé une solution venant du secteur privé — qui a pour effet de réduire la pauvreté ou autre chose —, mais il devrait exister un mécanisme de reddition de comptes permettant de vérifier si c'est vraiment le cas.
    Grameen Foundation et Fonkoze, à laquelle je participe aussi, utilisent un outil de reddition de comptes qui mesure les progrès accomplis en vue de réduire l'indice de pauvreté. Il s'agit d'un outil de sondage très simple qui vérifie si les gens font seulement du surplace ou s'ils se sortent vraiment de la pauvreté.
    Encore une fois, s'il s'agit du but visé par les solutions issues du secteur privé ou du secteur public, il faut qu'il soit fondé non sur des cas isolés, l'espoir ou l'intuition, mais sur des données objectives. Il existe un très grand nombre d'outils sur le marché, y compris le nôtre, qui peuvent nous aider à y parvenir.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Counts.
    Nous allons maintenant passer à Mme Félix.
(1545)

[Français]

    Je vous remercie de nous avoir invités aujourd'hui pour parler du rôle du secteur privé.
    Je vais faire mon intervention en français. Je suis une francophone de Montréal. J'ai grandi à Montréal et j'ai étudié à HEC Montréal. Pour moi, c'est un grand honneur d'être ici aujourd'hui et de pouvoir partager avec vous notre expérience en Haïti.
    J'ai déposé des documents en français et en anglais. J'en ai d'autres ici qui sont seulement en anglais, soit le rapport annuel de Fonkoze et celui sur l'impact social de Fonkoze.

[Traduction]

    Le rapport sur l'impact social et le rapport annuel sont ici, et j'ai aussi quelques dépliants sur Zafèn; j'en parlerai un peu plus tard.

[Français]

    On m'a dit qu'il fallait que je m'occupe des deux en même temps, alors c'est ce que je vais essayer de faire. Il manque des photos, mais ce n'est pas grave.
    D'abord, Fonkoze est une institution de microfinance en Haïti qui existe depuis plus de 16 ans. Nous avons plus de 270 000 clients pour l'épargne et plus de 60 000 pour le crédit. Les principes de base avec lesquels nous fonctionnons sont que les femmes sont les piliers de l'économie. On ne peut pas seulement faire un prêt, il faut aussi accompagner la personne dans sa lutte contre la pauvreté. Si on lui donne seulement de l'argent, cela ne va pas fonctionner.
     De plus, on parle du fait que tous les Haïtiens doivent participer à l'économie haïtienne. Donc, dans une commune ou dans une section communale, on s'assure que tout le monde y participe, même ceux qui sont très pauvres et qui n'ont pas forcément la capacité de se joindre à une activité d'affaires. On les inclut dans le processus. On va en parler un peu plus tard.
    Il n'y aura pas de démocratie en Haïti sans une démocratie financière. C'est quand même assez important. Père Joseph, qui est le fondateur de Fonkoze, a toujours dit qu'il n'y aura pas de démocratie en Haïti si on n'a pas accès à la finance ou si les gens ne peuvent pas faire de l'épargne, avoir accès à l'assurance ou accéder au crédit pour faire fonctionner leur entreprise. Cela peut sembler anodin, mais c'est la réalité. La personne pauvre, avant même qu'elle ne puisse penser à voter et à avoir une activité politique, doit premièrement penser à l'accès à la finance.
    Le dernier pilier est celui où je suis la plus active à Fonkoze: c'est au chapitre de la diaspora haïtienne. On dit qu'il n'y aura pas de possibilités en Haïti tant que la diaspora, soit les Haïtiens qui vivent à l'étranger ou les migrants qui ont quitté le pays, ne s'impliquera pas également dans l'économie haïtienne. Donc, on facilite leurs efforts. On sait qu'ils envoient 1,8 milliard de dollars par année en transferts.
     Comment peut-on faciliter ces transferts? Il est certain que la plupart des transferts sont destinés à la consommation. Toutefois, une partie de ces transferts est destinée à l'investissement. Or, les investissements ne sont pas toujours heureux. Il peut donc y avoir des problèmes à cet égard. On travaille à trouver la façon d'accompagner les gens et de faciliter ces investissements pour qu'ils ne soient pas perdus.
    J'ai déjà donné les grandes lignes. Nous avons 46 sections partout au pays, nous avons plus de 900 employés, et 99 p. 100 de nos clients sont des femmes. Nous avons plus de 60 000 clients pour le crédit; c'est 16 millions de dollars en portefeuille-crédit. Nous avons 270 000 clients pour l'épargne; c'est 26 millions de dollars de portefeuille-épargne de la part des gens qui épargnent avec nous. Pour ce qui est des transferts — c'est la partie de la diaspora —, l'année dernière, il y a eu 96 millions de dollars en transferts, et nous avons environ 34 millions de dollars d'actifs à Fonkoze.
    En somme, l'objectif de Fonkoze est de vaincre la pauvreté. Vous pouvez voir toutes les sections que nous avons. Je vous ai mentionné qu'il y avait 46 sections; nous couvrons le pays. C'est très important de se rappeler ce territoire, parce que quand vous parlez de partenariat avec le secteur privé et quand mon collègue parle d'une infrastructure de microfinance existante, c'est une infrastructure qui peut permettre la mise en marché et faciliter certaines interventions en matière de santé, par exemple, ou d'autres interventions. C'est une infrastructure qui existe, et comme toutes les sections sont dotées d'ordinateurs et de satellites, elles peuvent communiquer entre elles. C'est une infrastructure assez importante. Encore une fois, avec 900 employés, ce n'est pas une petite organisation.
    Vous voyez beaucoup de petits points. Nous avons plusieurs centres de crédit: nous en avons 1 750 dans le pays. Ce sont des groupes de femmes qui se réunissent pour recevoir le crédit, mais aussi pour recevoir de la formation en matière de finances et de santé. Ce n'est pas forcément une formation financière. Elle peut toucher un autre secteur.
     Tous ces centres sont actifs. Il y a des réunions toutes les semaines ou toutes les deux semaines. Voici une perspective assez importante, pour que vous constatiez que nos agents de crédit traversent des rivières et des montagnes. Je voulais vous montrer cette photo à cet égard. Dans certains cas, ils risquent leur vie pour rejoindre nos clients. Voici un exemple de groupe.
     Comme je vous le disais, il ne s'agit pas seulement de microcrédit, mais aussi de microépargne, de microassurance, de microcapital, de transferts de fonds, de même que de tout ce qui est non financier. On parle ici d'éducation financière et de leadership pour faire en sorte que les gens puissent se lever, parler de leurs problèmes et chercher des solutions. Ça fait partie des enjeux abordés par les groupes.
    J'ai traduit ce qu'on appelle « Staircase out of Poverty », soit les produits et services de Fonkoze pour sortir de la pauvreté. Je ne vais pas trop entrer dans les détails, compte tenu du temps qui m'est alloué, mais nous offrons plusieurs produits aux clients, selon le niveau où ils se trouvent. Certains sont très pauvres et n'ont pas la capacité de gérer une entreprise. Ils se situent vraiment trop bas dans l'échelle de pauvreté. Une intervention d'une durée d'environ 18 mois, qui demande la participation d'un gestionnaire de cas, est d'abord nécessaire. Ils rencontrent ce gestionnaire chaque semaine pour parler affaires. Ils apprennent à lire et à écrire ou au moins à signer leur nom. Nous faisons aussi des transferts d'actifs. Nous leur donnons de petites chèvres qui font partie de ce qu'on appelle le cheptel vif. Nous leur montrons à créer une petite entreprise, mais nous ne pouvons pas leur accorder de crédit immédiatement. Il faut d'abord les réinsérer. C'est ce qu'on appelle le programme Chemen Lavi Miyò. C'est indiqué par la ligne mauve qui est en bas.
    Quand ils terminent ce programme, ils ont normalement plus de stabilité. Leur maison est plus stable. Les enfants vont à l'école et mangent assez régulièrement. Ils sont capables de faire face aux problèmes de tous les jours. Cette stabilité leur permet d'adhérer à un processus de crédit ou peut-être de travailler, ce qui est assez important. On s'est rendu compte qu'en se limitant au crédit solidaire, donc en travaillant avec les groupes, on laissait derrière beaucoup de gens qui ne pouvaient pas accéder à ce genre de crédit ou qui, s'ils y accédaient, ne réussissaient pas à prospérer.
    Quand la phase du groupe solidaire est terminée, que tous les processus ont été suivis, les gens peuvent accéder au crédit personnel, dans le secteur officiel. Cette étape est importante. En effet, tout ce qui précède n'est pas de nature officielle, mais ça le devient à partir de cette étape. Les gens ont accès à divers types de crédit. C'est le moment où les garanties additionnelles sont présentées. Nous pouvons offrir différents produits à ces personnes. C'est une approche assez intégrée dans le cadre de laquelle on cible vraiment les gens selon le niveau qu'ils occupent dans la société et leur capacité d'accès à la finance.
    Pour ce qui est de la promesse que nous faisons, nous la mesurons dans le cadre du rapport d'impact social que nous nous engageons à produire chaque année. Nous vérifions si ça fonctionne ou non, mais nous promettons à nos gens qu'ils vont avoir une sécurité alimentaire, que les enfants vont aller à l'école, qu'ils vont apprendre à écrire malgré leur âge — voyez cette dame: elle est tout de même assez âgée, mais elle a appris à lire et à écrire — et qu'ils vont avoir un toit en tôle, un plancher en ciment et des latrines, ce qui est quand même assez important. Ils pourront accumuler des actifs. Ils vont aussi pouvoir envisager l'avenir avec plus de confiance. Le fait d'être en réseau leur permet de régler certains problèmes sans attendre l'aide internationale. Comme je vous le disais, nous mesurons aussi l'impact social.
    Pour ce qui est des gens au Canada avec qui nous faisons le plus affaire, je ne sais pas si vous connaissez le ROCAHD, soit le Regroupement des organismes canado-haïtiens pour le développement. Il existe depuis plus de 20 ans. Quand père Joseph a eu l'idée de fonder une institution de microfinance, les premiers à avoir cru en Fonkoze sont les gens du ROCAHD, cette association d'Haïtiens du Canada. Ce sont d'eux que Fonkoze a obtenu son premier prêt en capital: il était de 12 000 $.
    J'ai trouvé cette approche très intéressante, d'autant plus qu'en considérant ces investissements faits par des Haïtiens à l'étranger, nous nous demandons comment améliorer les flux. C'est donc une bonne chose qu'ils aient eu le flair de voir que cela pouvait fonctionner.
    Depuis 2010, la Fondation KANPE, avec le groupe de musique Arcade Fire, amasse des fonds et travaille avec nous dans un village en particulier qui s'appelle Bay Tourib, dans le Plateau central, où on a coordonné le programme CLM, c'est-à-dire Chemen Lavi Miyò, qui s'adresse aux plus pauvres, avec Zanmi Lasanté, qui s’appelle en anglais,
(1555)

[Traduction]

Partenaires en santé, dont Paul Farmer est l'un des fondateurs.

[Français]

    Pour ce qui est du grand public, Zafèn est un programme destiné aux petites et moyennes entreprises. C'est un peu comme Kiva, mais vraiment consacré aux petites et moyennes entreprises. Vous pouvez le consulter en ligne et voir quelles entreprises sont disponibles et ce qu'elles cherchent comme prêts. Vous pouvez faire votre prêt en ligne.
    Parmi les pays les plus actifs chez nous, le Canada arrive au deuxième rang. Le nombre de contribuables canadiens qui participent à cela est en croissance chaque jour. C'est toujours surprenant de voir le nombre de visites que l'on a.
    En ce qui concerne l'intérêt du Canada, je pense que l'on devrait avoir une discussion sur la microassurance. Je ne veux pas allez trop vite sur ce sujet, je veux seulement mentionner que c'est un volet qu'il faudrait peut-être aborder. Si votre comité est intéressé, on pourrait envoyer des gens qui peuvent parler de la microassurance. Développement international Desjardins, ou DID, est sur le marché afin de voir les possibilités de microassurance agricole. De notre côté, nous avons fait de la microassurance catastrophe.
    On a aussi l'assurance-vie. Le modèle d'assurance fonctionne s'il y a du volume. Par exemple, si DID commençait à développer sa propre assurance, on se ferait concurrence. C'est sûr que les gens en profiteraient, mais il y aurait plus de profit si on pouvait s'entendre sur un seul modèle d'assurance pour couvrir la même population. J'aimerais donc lancer cette flèche, cette suggestion de se pencher sur la microassurance. On a vraiment développé un modèle assez intéressant. Il y a même d'autres pays à part Haïti qui étudient ce modèle et le demandent.
    Pour terminer en ce qui concerne Zafèn, je dirai que nous avons un fonds d'investissement qui peut être intéressant, si vous êtes intéressés à appuyer les petites et moyennes entreprises. Je parle ici non pas des microentreprises, mais de celles qui créent les emplois, qui génèrent plus de quatre ou cinq emplois, et qui ont un retour sur la communauté. C'est ce que l'on examine.
    Également, c'est intéressant de voir que la diaspora suggère elle aussi des entreprises dans lesquelles investir. Celles qui sont viables, nous les aidons par l'entremise de Zafèn. Cette approche serait donc une façon d'appuyer la diaspora haïtienne au Canada.
    Finalement, il y a toujours la question de ceux qui sont le plus vulnérables. Quand on parle de développement à grande échelle, il ne faut jamais oublier les indigents, les plus pauvres. Le programme Chemen Lavi Miyò a fait ses preuves. J'ai des statistiques que je peux partager avec vous si vous avez des questions. Encore là, c'est quelque chose qui peut être appliqué très facilement. J'inviterais aussi DID à considérer un partenariat à cet égard.
    Voilà où j'en suis. Merci.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Nous allons commencer avec le NPD.
    Allez-y, madame Groguhé; vous avez sept minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Merci à vous deux pour votre exposé et vos commentaires très intéressants.
    Tout d'abord, je voudrais rappeler que depuis que le comité étudie cette question du développement, le NPD a voulu mettre l'accent sur le secteur privé, qui peut avoir un rôle à jouer en matière de développement, mais surtout sur les questions de reddition de comptes et de transparence, pour s'assurer que ces programmes réduisent la pauvreté de façon durable. Je pense que c'est une dimension dont il faut tenir compte et qui est essentielle pour que les actions en matière de développement se fassent de la façon la plus constructive et qu'elles puissent vraiment toucher leur cible, c'est-à-dire les pauvres et les plus pauvres.
    Ma question concerne les principales conditions qui seraient, d'après vous, nécessaires à la réussite des opérations de microfinance. Est-ce que des défis particuliers ou des pratiques exemplaires ont été cernés à partir de l'expérience en Haïti? Quels sont-ils?
(1600)
    Je vais revenir à mon petit tableau. En matière de microfinance, je vous ai dit un peu plus tôt que nous avions remarqué, en faisant une étude comparée des divers programmes pour déterminer lesquels réussissaient et lesquels ne réussissaient pas, qu'il était très important de connaître notre client, de savoir à quel niveau il se situait. Prenons l'exemple très concret d'une personne qui a faim, qui ne peut pas manger tous les jours. La sécurité alimentaire est très importante. Cette personne ne peut pas se joindre à un groupe solidaire et s'engager de façon soutenue dans une activité d'affaires. Il faut d'abord stabiliser cette situation.
     Nous avons fait une segmentation du marché. Quand nous arrivons dans un village, nous vérifions qui sont les gens très pauvres. Nous demandons à ceux qui sont pauvres de nous montrer ceux qui sont plus pauvres encore. Nous essayons de les regrouper de façon à déterminer comment nous allons travailler avec eux. En collaboration avec l'organisme BRAC, le CGAP et la Fondation MasterCard, nous avons développé le programme Chemen Lavi Miyò. Nous avons mis sur pied un projet-pilote afin de voir si ça améliorerait la situation en matière de crédit. Les gens veulent faire des affaires et que ça réussisse, mais s'ils ne sont pas équipés pour le faire, il faut leur offrir de la formation nécessaire. Il faut pouvoir travailler avec eux à différents égards. C'est la raison pour laquelle nous avons développé ces quatre programmes: Chemen Lavi Miyò, Ti Kredi, les groupes solidaires et le développement d'entreprises. Nous travaillons maintenant avec Zafèn.
    Nous nous sommes rendu compte que les gens travaillant dans le domaine de l'agriculture, par exemple, devaient diversifier leurs revenus. Ils ne peuvent pas tirer leur gagne-pain uniquement de l'agriculture et des animaux d'élevage. Ils doivent avoir des chèvres et des cochons, et s'ils peuvent avoir en plus un petit commerce, c'est encore mieux. Ça leur procure d'autres revenus, et si jamais un coup dur survient, ils peuvent continuer à payer leur crédit. En outre, c'est bon pour leur estime personnelle.
    Je pense que ce sont des pratiques transposables. Il faut savoir segmenter son marché. Ce ne sont pas des mesures à taille unique. Il faut vraiment faire cette étude pour chacun des pays. Dans le cas d'Haïti, nous arrivons à faire un bon ciblage d'une région à l'autre grâce à la grille d'évaluation qui a été développée.
    Vous mettez beaucoup d'accent sur l'accompagnement, l'éducation et la nécessité d'éviter le surendettement, qui est une question importante. On sait ce qui s'est passé en Inde. Ça a malheureusement eu des répercussions négatives. Le microcrédit est parti en trombe, mais finalement, des gens se sont retrouvés endettés. Malheureusement, il y a eu des suicides, etc. C'est pourquoi cette dimension est également importante.
    J'aimerais poser une question à M. Counts. Vous avez parlé d'outils de transparence, de responsabilité, et de l'importance de disposer de ces outils. Pouvez-vous nous dire exactement quels sont ces outils et comment vous les utilisez?

[Traduction]

    Je le ferai avec plaisir, et merci d'avoir posé la question.
    Je pense que la question du surendettement, que vous avez mentionnée, est très importante. L'une des pratiques exemplaires émergentes dans l'industrie, c'est de créer des bureaux de crédit pour faire en sorte que si un prêteur accorde un prêt à quelqu'un qui est déjà endetté, il peut comprendre et suivre certaines lignes directrices d'autoréglementation.
    Cela dit, ce n'est pas une solution miracle. Il y a un bureau de crédit au Pérou depuis la fin des années 1990, et pourtant on trouve des foyers de surendettement là-bas. Ce n'est donc pas la solution.
    Aussi, je pense que les discussions sur le suicide d'emprunteurs indiens ont été grandement exagérées. En fait, les seules études sérieuses qui ont été menées sur le sujet ont démontré que le taux de suicide — qui est un évènement tragique, même s'il n'y en a qu'un — parmi les clients du microfinancement semble être beaucoup plus bas que parmi la population rurale en général, en Inde. De plus, un grand nombre de facteurs sont à l'origine d'une telle tragédie, et non seulement le microfinancement. C'est devenu un problème important, mais on ne l'a jamais correctement caractérisé à l'aide de données objectives.
    En ce qui concerne notre outil — c'est-à-dire relativement aux progrès accomplis en vue de réduire l'indice de pauvreté, comme vous l'avez mentionné —, à notre avis, il était très important de quantifier les résultats de toutes les initiatives qui s'attaquent à la pauvreté, car il est si facile de se contenter de parler du processus et de ne pas mentionner les résultats.
    Nous nous sommes associés à la Ford Foundation et à une succursale de la Banque mondiale appelée GCAP qui, comme je le sais, a collaboré aussi avec Fonkoze, afin de mettre au point un outil très simple, c'est-à-dire un sondage contenant 10 questions taillées sur mesure pour chaque pays, et qui se fondent sur les données de leur recensement. Ces données correspondent souvent à des centaines de questions; des statisticiens sélectionnent donc celles qui sont directement liées au niveau de pauvreté d'une personne, et ensuite celles qu'on peut le plus facilement observer dans un foyer, afin qu'il soit possible de répondre correctement au sondage en 10 minutes ou moins. Jusqu'à maintenant, nous avons complété ce processus pour 46 pays.
    Cet outil est utilisé par les organismes de microfinancement et par un grand nombre d'autres organismes qui tentent de réduire la pauvreté. On l'utilise lorsqu'une personne obtient son premier prêt, et elle répond ensuite à ce sondage chaque année, lorsqu'elle contracte un nouveau prêt. Ces organismes sont ensuite soumis à des vérifications aléatoires pour s'assurer que le champ de force ne change pas les données dans le but de faire mieux paraître les choses. Cela nous donne un aperçu des tendances générales, par exemple, si ces organismes s'occupent d'abord des plus pauvres — c'est d'ailleurs une question —, et ensuite si ces pauvres réussissent à améliorer leur situation et sont en voie de se sortir de la pauvreté.
    Plus de 150 organismes de microfinancement les plus importants dans le monde utilisent cet outil, et nous développons certains outils en ligne afin de les aider à obtenir des renseignements sur les entreprises, car il ne s'agit pas de les pointer du doigt et de leur dire qu'elles ne font pas un bon travail — même si cela se fait —, mais plutôt de déterminer, même au sein d'un organisme, si on réduit beaucoup plus la pauvreté d'un côté du pays que de l'autre. Si c'est le cas, nous voulons en connaître les raisons.
    Ce genre de transparence et de coup d'oeil sur le taux de réussite dans la réduction de la pauvreté est assez nouveau, mais il est très facile et économique d'y arriver grâce à cet outil et à des outils similaires qui existent sur le marché.
(1605)
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer à Mme Brown; vous avez sept minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci aux témoins d'être ici aujourd'hui.
    Monsieur Counts, j'ai eu l'occasion, il y a trois ans, d'aller au Bangladesh et de passer une heure avec Muhammad Yunus. J'ai un exemplaire autographié de son livre, et nous avons eu une discussion très intéressante.
    La population du Bangladesh est d'environ 140 millions d'habitants. Depuis que le pays a acquis son indépendance, il y a 40 ans, la population s'est accrue à un rythme effréné; on aura donc bientôt d'énormes défis à relever, là-bas.
    J'ai eu l'occasion de visiter quelques projets de la Banque Grameen. Je dois vous dire que j'ai aussi eu l'occasion de visiter un grand nombre des projets de la Banque BRAC, car on nous les a aussi fait visiter.
    J'aimerais que vous partagiez avec nous certaines des histoires que j'ai eu l'occasion d'entendre. Par exemple, une femme a commencé par un prêt lui permettant de s'acheter cinq poulets, et je pense qu'elle possède maintenant la moitié du village. Elle a une maison de trois chambres à coucher pour loger sa famille, ainsi que l'eau courante, et elle est propriétaire de plusieurs petits magasins. J'aimerais que vous nous racontiez certaines de ces histoires. Le microfinancement est présent au Bangladesh depuis environ 20 ans, alors pourriez-vous nous raconter l'histoire de certaines personnes qui ont commencé par un prêt obtenu grâce au microfinancement et qui ont fini par créer de vraies entreprises, et pouvez-vous nous décrire quelles sont les répercussions engendrées non seulement sur cette personne, mais aussi sur sa famille et sur sa collectivité en général?
    Oui. Avec plaisir.
    Nous croyons fermement que les données nous disent ce qui se passe, mais les histoires peuvent donner l’impression aux gens qu’il existe de véritables possibilités de réaliser des progrès du côté de la pauvreté. Je suis donc heureux de vous en raconter quelques-unes.
    Lorsque j’étais au Bangladesh, je travaillais pour Grameen et ma femme était employée par BRAC. Nous avions une union pour le moins étrange. J’ai une grande admiration pour les deux organismes.
    Durant l’écriture de Small Loans, Big Dreams, j’ai vécu une bonne partie des deux ans dans un village bangladais. Ce ne sont pas tous les emprunteurs qui ont connu le même succès, mais il y avait une famille hindoue qui produisait de manière traditionnelle des sucreries avec du lait. Le fromage cottage est la matière première des sucreries indiennes, comme nous sommes à même de le constater dans les restaurants indiens ici au Canada. La famille a manqué de capital et a abandonné l’entreprise. Ses membres devaient travailler dans les champs de propriétaires de terres.
    Cette famille a obtenu un prêt initial de 70 $, et le tout a grandi au fil du temps. Elle a dû vendre ses vaches, en raison d’une crise ou d’un désastre naturel, mais elle a commencé à acheter du lait au marché, à vendre du fromage cottage, à faire des sucreries et à les vendre au marché. Le vent a tourné lorsque la famille a signé un contrat avec une entreprise de Dacca, qui se trouve à environ 90 kilomètres, pour lui livrer chaque jour environ un ou deux sacs polochons remplis de fromage cottage. Cela représentait environ 80 livres, si je ne m’abuse. L’entreprise familiale est devenue florissante. La famille vendait des sucreries localement et vendait la matière première pour les faire dans la capitale.
    Pour vous démontrer l’initiative des pauvres gens, permettez-moi de vous parler de la grève des transports qui a duré 14 jours en 1996. L’opposition avait arrêté tous les moyens de transport motorisés. À l’exception de 10 miles qui se faisaient en vélo, la famille livrait le fromage cottage en autobus. J’étais coincé dans la capitale, mais lorsque je suis revenu après la grève, j’ai demandé à la famille ce qui s’était passé, si elle avait perdu le contrat et comment elle avait fait.
    Les membres de la famille m’ont regardé comme si je venais de leur poser la plus étrange des questions. Ils m’ont dit que chaque jour ils finissaient de travailler un peu plus tôt et chargeaient les 80 livres de fromage cottage sur leurs vélos. Ils parcouraient les 90 kilomètres les séparant de la capitale en vélo, livraient les sacs et revenaient en vélo le lendemain matin pour répéter l’opération.
    Voilà une famille dont les hommes avaient été réduits à travailler pour un salaire de moins d’un dollar par jour. Cependant, grâce à un petit capital qui leur a permis de renouer avec un talent qui avait pratiquement été oublié, la famille a une entreprise florissante qui crée des liens commerciaux avec les producteurs laitiers de la région.
    Comme vous pouvez le voir, le préjugé concernant les pauvres, à savoir qu’ils sont des gens superstitieux et lâches qui attendent que les autres fassent tout pour eux, ne tient pas la route dans cet exemple.
(1610)
    Au Bangladesh, Grameen et BRAC offrent tous les deux des services de soins de santé par l’entremise de shasta shabika. J’aimerais que vous nous disiez comment cet aspect influe sur la croissance des entreprises au Bangladesh.
    Grameen a ses propres mesures en matière de santé. Je pense, par exemple, à un hôpital ophtalmologique à but lucratif qui fait des chirurgies de la cataracte et des centres de santé attachés à certaines divisions de Grameen qui recouvrent jusqu’à 90 p. 100 de leurs coûts. BRAC a une différente approche, qui a maintenant été exportée en Ouganda. Cet organisme forme des femmes pour vendre des médicaments sans ordonnance et d’autres produits de santé. On va un peu plus loin pour aider les gens à comprendre l’importance de la médecine moderne et leur remettre des recommandations pour rencontrer des médecins locaux.
    Comme c’est le cas dans les sociétés riches, mais ce l’est encore plus dans un tel contexte, il y a beaucoup de mythes autour des soins de santé, de l’éducation et du monde moderne. Qui est mieux placé pour démystifier le tout auprès des pauvres que leurs semblables? En aidant une personne à lancer une entreprise qui offre des produits de soins de santé et des renseignements relativement aux soins de santé, c’est probablement la meilleure façon de démystifier certaines croyances qui empêchent les gens d’adopter leurs propres solutions.
    Nous avons probablement le temps pour une autre série.
    Allez-y, monsieur Eyking.
    Merci aux témoins de leur présence. Vous donnez vraiment un bon coup de main à ceux qui en ont besoin.
    J’ai deux ou trois questions pointues, mais aussi quelques questions de nature générale.
    Les fonds que vous utilisez proviennent de pays donateurs. Proviennent-ils aussi de donateurs? Comment obtenez-vous votre argent?
    Nous pourrions vous répondre brièvement tous les deux.
    À mon avis, beaucoup d’organismes de microfinance obtiennent à leurs débuts des fonds de riches donateurs nationaux ou étrangers. Au fil du temps, étant donné la quantité limitée de capital provenant de dons, les organismes doivent emprunter de l’argent aux banques commerciales. Ils ont peut-être beaucoup de liquidités, mais ils n’ont pas de mécanisme de distribution dans les zones rurales et ne connaissent pas le marché. Voilà pourquoi la Fondation Grameen a conçu un programme de garantie d'emprunt qui a facilité l’octroi de prêts d’une valeur de plus de 200 millions de dollars provenant de bbanques locales pour microfinancer les organismes et aider au processus.
    La dernière étape, et Fonkoze en est un parfait exemple, consiste à développer ses capacités de manière à pouvoir accepter des dépôts pour faire en sorte que les IMF puissent non seulement octroyer des prêts, mais aussi servir d’intermédiaire et ainsi aider les membres des collectivités locales à épargner. Nous avons conclu un incroyable partenariat avec la ICICI Bank, la plus importante banque privée en Inde, et un important organisme de microfinance qui recueille l’épargne des gens à titre d’agent pour cette banque, parce qu’ils n’ont pas le droit de le faire eux-mêmes.
    Il s’agit d’un excellent modèle de partenariat avec le secteur privé, mais il a également été nécessaire d’avoir le soutien d’un organisme de bienfaisance, soit la Fondation Bill et Melinda Gates, pour préparer le terrain, concevoir la technologie et élaborer des partenariats pour concrétiser le projet. Actuellement, l’organisme attire chaque mois 5 000 nouveaux épargnants indiens.
(1615)
    Quels sont vos taux d’intérêt?
    Ils varient évidemment beaucoup en fonction du contexte économique et de l’inflation. Je vais vous donner l’exemple que je raconte le plus souvent, soit celle de la Grameen Bank.
    Pour les prêts commerciaux, le taux d’intérêt est de 20 p. 100. Donc, si nous tenons compte de l’inflation, ce taux d’intérêt est inférieur à celui d’une carte de crédit d’un consommateur américain. Le taux d’intérêt pour les prêts étudiants est de 5 p. 100, et il est de 8 p. 100 dans le cas de prêts résidentiels. Nous octroyons aussi des prêts aux mendiants qui sont francs d’intérêt; il s’agit de l’équivalent pour Grameen du Chemen Lavi Miyò.
    Bref, nos taux varient entre 0 et 20 p. 100.
    Quel est le taux de défaut de paiement?
    Il est de l’ordre de moins de 3 p. 100, ce qui est en fait la norme, sauf lorsqu’il y a des désastres naturels. Normalement, dans le cas Grameen, ce taux se situe à moins de 1,5 p. 100.
    J’ai déjà participé à des projets, mais il s’agissait principalement d’initiatives de coopération. Comme vous l’avez évoqué, il faut de telles initiatives dans bon nombre de collectivités en question. Ce serait le cas, par exemple, pour un puits, un système d’irrigation ou des installations de stockage.
    Financez-vous également des initiatives de coopération?
    Nous finançons de telles initiatives. Plus récemment, nous l’avons fait par l’entremise de Zafèn; il s’agit de notre programme de prêts pour les PME dans le cas de projets sociaux. Nous avons donc adopté une approche se fondant davantage sur les initiatives de coopération — Fonkoze par l’entremise de Zafèn. Actuellement, il s’agit de prêts francs d’intérêt durant 14 mois.
    Cela pourrait changer, parce que tout dépend de la provenance du financement. Qui sera prêt à subventionner un tel projet sur une aussi longue période? Nous avons reçu des subventions pour le faire au cours des deux dernières années, mais nous ne serons pas capables de continuer de fonctionner ainsi. Cependant, à l’heure actuelle, il s’agit toujours de prêts francs d’intérêt.
    Fonkoze a également offert son soutien à diverses étapes à certaines coopératives et associations d’agriculteurs. Nous y allons au cas par cas, mais nous avons aussi des prêts pour eux.
    Il semble que les femmes utilisent davantage les services pour diverses raisons. La plupart des pays en question ont été dévastés par des conflits, et les hommes étaient enrôlés dans les armées. Les femmes semblent être plus proactives.
    Constatez-vous un changement d’attitude parmi les garçons et les jeunes hommes, à savoir qu’ils prennent conscience qu’ils peuvent prendre les choses en main, profiter de certaines initiatives et briser la tradition établie par leur père, en raison des circonstances? Le constatez-vous?
    Pour ce qui est de la création d’entreprises, on remarque que de plus en plus d’hommes contractent des prêts, parce qu’ils ont des actifs en garantie et sont organisés. Ils ont peut-être hérité de certains biens de leurs parents.
    La pauvreté en Haïti touche davantage les femmes. Dans les zones rurales, vous risquez fort probablement de voir des femmes qui élèvent cinq ou six enfants sans mari. C’est un enjeu social avec lequel la société doit composer. Selon moi, voilà également pourquoi nous ciblons davantage les femmes. Elles sont les piliers des familles; en leur octroyant des prêts, on sait qu’elles s’assureront vraiment du bien-être de tout le monde.
    Pour ce qui est des prêts aux jeunes, qu’en pensez-vous? Nous voyons plus de jeunes hommes maintenant.
(1620)
    J’ai deux points très brefs à mentionner en lien avec mon expérience au Bangladesh. La plupart des prêts faits aux femmes — les prêts sont majoritairement contractés par des femmes — sont en fait en lien avec des entreprises familiales. Beaucoup de gens, comme le mari et les enfants d’âge adulte, participent à l’entreprise, et cela peut également devenir une activité après l’école pour les jeunes enfants. Selon moi, les hommes et les garçons participent, mais il semble être très important que ce soient les femmes qui tiennent les cordons de la bourse. Cela semble être une partie très essentielle du succès du microfinancement, même s’il s’agit d’une entreprise familiale.
    L’autre chose que Grameen a été en mesure de faire grâce à ses profits a été de mettre en place un programme de prêts aux étudiants. L’organisme accorde du financement à une dizaine de milliers d’enfants d’emprunteurs, ce qui permet à ces jeunes de poursuivre des études universitaires, alors que par le passé ils auraient probablement décroché dès l’école secondaire. Voilà un autre élément important en vue de préparer le succès de la prochaine génération.
    Je vais mettre votre temps de parole sur pause un instant. Nous avons des problèmes avec les microphones.
    Alex, je vous prierais de vous déplacer de ce côté. Vous devrez partager le même microphone. Je m’en excuse.
    Si nous réinitialisons le tout, nous perdrons du temps. La séance est presque terminée; c’est la meilleure solution.
    Monsieur Eyking, il vous reste environ une minute.
    Alex, vous avez fait allusion au processus pour sortir de la pauvreté, et je vais peut-être y revenir plus tard.
    Parlez-moi un peu du cadre, du plan directeur. Est-ce seulement pour les organismes? Le faites-vous aussi pour les petits pays? Est-ce pour les donateurs et les bénéficiaires? Parlez-m’en.
    Il y a deux éléments, et Katleen pourra compléter. Il s’agit de l’un des 150 organismes qui se servent de l’indice, même si les gens ont ajouté des questions à l’enquête qui leur sont propres.
    En gros, il s’agit d’une façon scientifique, fondée sur l’indice de passage du seuil de pauvreté, d’utiliser les données du recensement national pour calibrer une enquête spéciale de 10 questions en vue de déterminer l’endroit où se situe une famille par rapport au seuil de pauvreté.
    Il y a deux raisons qui expliquent pourquoi nous l’utilisons et pourquoi plus de 100 organismes le font également. Premièrement, cela permet aux responsables d’un groupe de microfinance, ainsi qu’aux investisseurs et aux donateurs de savoir si leurs initiatives sont couronnées de succès. Deuxièmement, les gens des organismes savent ainsi également non seulement si les emprunteurs remboursent leurs prêts, mais aussi s’ils progressent et réussissent à se hisser au-dessus du seuil de pauvreté.
    L’indice nous permet de le faire très facilement, en particulier si on verse les renseignements dans une banque de données et qu’on sait comment les analyser. De plus, grâce à l’indice, on peut obtenir de l’intelligence économique, ce qui nous permet d’adapter continuellement nos produits, parce que les gens pauvres ne forment pas un groupe homogène; ils n’ont pas besoin des mêmes produits et ils ne répondent pas aussi bien aux produits financiers que les gens riches.
    L’indice nous donne l’occasion de mettre en oeuvre des projets pilotes et de faire des études de marché sur ce qui pourrait être vraiment financièrement rentable, en plus de nous fournir des renseignements en ce qui concerne la réduction de la pauvreté.
    Katleen, voulez-vous ajouter quelque chose?
    Non. Je crois que vous avez très bien résumé la situation.
    J’ai avec moi le rapport sur l’impact social, et nous y en parlons un peu.
    C’est de ce document que vous parliez.
    Oui.
    J’aimerais le consulter.
    Je serais heureuse de vous en remettre une copie.
    Je crois que le rapport résume bien le tout. C’est un excellent outil. Nous avons abandonné certains produits que nous considérions comme utiles. Je pense, notamment, aux prêts résidentiels. Nous pensions que les gens contracteraient un tel prêt, par exemple, pour construire un toit, une toilette ou couler un plancher de ciment, mais après avoir fait l’enquête, nous avons réalisé que les gens étaient trop pauvres pour rembourser les prêts. Cela ne faisait qu’ajouter à leur niveau d’endettement; ils avaient de la difficulté à nous rembourser. C’était trop pour eux, et nous avons donc décidé d’annuler ce programme à la lumière des conclusions de l’enquête.
    C’est très important de vérifier si on les aide vraiment à se relever ou si on les tire vers le bas. Voilà l’un des éléments que l’enquête nous a appris. C’est donc un outil pertinent.
(1625)
    Merci.
    Monsieur Dechert, allez-y.
    Merci, monsieur le président. Merci, madame Félix et monsieur Counts, de votre présence et de l’excellent travail de vos organismes.
    J’ai récemment eu l’occasion avec Mme Laverdière et le ministre des Affaires étrangères de visiter Haïti. Nous y avons, notamment, rencontré des représentants de Desjardins et de la Banque Scotia pour discuter de leurs activités en Haïti. Bien entendu, il s’agit de deux établissements financiers canadiens très prospères.
    J’aimerais vous entendre sur la façon dont les entreprises canadiennes, comme la Banque Scotia et Desjardins, pourraient contribuer à développer la capacité financière en Haïti et ailleurs en collaborant avec le gouvernement canadien par l’entremise de l’ACDI et les organismes de microfinance, comme Fonkoze ou Grameen?
    Cela me pose problème depuis un moment déjà, parce qu'il est important que nous établissions des partenariats sur le terrain. En fin de compte, l'important, ce n'est pas Desjardins ou Fonkoze; c'est le peuple haïtien et son accès au financement.
    À mon avis, la microassurance est une des choses qu'il est très important d'examiner. En notre qualité d'institutions financières, nous devons oublier que nous sommes des entités distinctes et étudier le marché. Il s'agit d'un marché de huit ou neuf millions tout au plus. Ce n'est pas le Bangladesh. Nous n'avons pas ce volume; nous devons donc, en fonction du marché, déterminer si nous voulons offrir de l'assurance contre les catastrophes, de l'assurance vie ou de l'assurance maladie. Nous devons en discuter ouvertement et décider de quelle façon nous allons procéder et fixer un prix qui conviendra aux Haïtiens. C'est une chose.
    Deuxièmement, il y a l'accès au financement. Par rapport aux PME — les petites et moyennes entreprises —, il est très important de ne pas seulement leur donner accès au financement. Il faut aussi leur offrir du soutien aux entreprises, un soutien de qualité, par secteur.
    Par exemple, nous oeuvrons tous dans le secteur de l'agriculture. Zafèn reçoit des milliers de demandes dans ce domaine. Nous devons envisager d'offrir du soutien aux entreprises. Nous pourrions avoir un bureau de soutien aux entreprises, ou un organisme comme la BDC. Je ne sais pas. Quelque chose de ce genre pourrait être intéressant pour les PME en Haïti. Nous pourrions collaborer pour trouver des façons d'aider l'ensemble des PME, des petites entreprises en croissance et des projets sociaux, tant en agriculture que dans d'autres secteurs.
    Encore une fois, comme je l'ai dit, l'autre aspect, ce sont les personnes extrêmement pauvres. Au Canada, pour les personnes très pauvres et celles qui ne peuvent travailler, nous avons la sécurité sociale. Comment pouvons-nous intégrer cela à nos activités jusqu'à ce que le gouvernement s'en charge? Nous devons penser aux répercussions sociales. Je pense que nous pouvons collaborer à cet égard.
    Je pense que nous pouvons collaborer sur ces trois aspects. Il y en a probablement d'autres, mais voilà où j'en suis.
    Allez-y, monsieur Counts.
    Premièrement, comme Katleen l'a indiqué très clairement, la microassurance représente un potentiel énorme. Certaines sociétés d'assurances canadiennes pourraient établir des partenariats avec les organismes de microcrédit qui sont présents sur le terrain. Après une minutieuse préparation, Swiss Re, en collaboration avec Fonkoze, a assuré 60 000 familles haïtiennes contre les catastrophes naturelles. Donc, si un tremblement de terre ou une importante inondation devait se produire demain en Haïti — Dieu nous en préserve —, les clients de Fonkoze seraient assurés. Pour cela, le talent, les intervenants et l'expertise du secteur privé doivent être mis à contribution sur le terrain.
    J'ai parlé d'un programme de garantie de prêts. À la Grameen Foundation, nous avons établi un partenariat avec Citibank et neuf familles qui, ensemble, ont versé ou donné 31 millions de dollars en garantie, en cas de manquement. Nous avons ainsi créé un fonds commun pour les garanties de prêts qui a permis de recueillir des centaines de millions de dollars, et il n'y a eu aucun manquement. Citibank a trouvé de nouveaux clients ou renforcé ses liens avec ses clients existants. Les banques locales sont entrées en scène et il y a eu un apport de capitaux dans le secteur du microcrédit. Citibank a réalisé des profits — si minimes soient-ils — sur chaque transaction. De plus, la Grameen Foundation supporte 70 p. 100 de nos coûts grâce aux frais payés par les groupes de microcrédit. En fin de compte, le gouvernement américain — USAID —, même s'il est parfois lent à réagir, a versé 32 millions de dollars au fonds commun pour doubler les fonds versés par les garants.
    Eh bien, nous ne suffisons pas à la demande. Rien n'empêche une banque canadienne d'établir des partenariats avec des Canadiens bien nantis qui veulent faire autre chose que de simplement donner leur argent et de créer un mécanisme, en collaboration avec l'ACDI. Nous sommes favorables à la concurrence. Les banques locales doivent savoir qu'elles sont soutenues par un organisme international qui partage le risque et qui les assure qu'elles peuvent faire confiance à un fournisseur de services financiers qu'elles ne connaissent peut-être pas, mais qui démontre probablement une grande compétence en matière de prestation de services auprès des pauvres.
(1630)
    Merci.
    Me reste-t-il du temps?
    Le temps est écoulé. Je suis désolé.
    Nous allons replacer les microphones et passer au groupe de témoins suivant. J'aimerais remercier Alex et Katleen d'être venus nous parler de leurs organismes.
    Nous allons suspendre la séance pour cinq minutes.
(16:30)

(1635)
    Je demanderais à tout le monde de reprendre place pour que nous puissions poursuivre. Je crois que la sonnerie se fera entendre à 17 h 15; nous devons donc nous dépêcher.
    Du ministère des Affaires étrangères, nous accueillons Alex Bugailiskis, qui est négociatrice en chef, Accord de partenariat stratégique Canada-UE, et John Kur, directeur général, Direction générale de l'Europe et de l'Eurasie. Ils sont venus nous parler de l'accord de partenariat stratégique. Je voudrais vous rappeler que si nous voulons parler de commerce, il faudra probablement attendre à une séance ultérieure. En ce moment, nous pouvons parler de l'accord de partenariat stratégique. Nous tenterons de centrer nos questions sur cet aspect.
    Vous avez tous les deux un exposé, et c'est Alex qui commencera. Je demanderais aux députés de ne pas toucher aux microphones.
    Alex, je vous cède la parole pour que vous puissiez faire votre exposé, puis nous passerons directement aux questions.

[Français]

    Je vous remercie de m'avoir invitée à faire le point aujourd'hui sur l'accord de partenariat stratégique entre le Canada et l'Union européenne.

[Traduction]

    Je suis heureuse de vous annoncer que les discussions sur l'accord de partenariat stratégique vont bon train et que nous nous attendons à conclure l'accord plus tard cette année.
    Permettez-moi de vous en dresser un bref historique.

[Français]

    Le Canada et l'Union européenne partagent un long et riche passé de coopération. En effet, le Canada est l'un des plus anciens et des plus solides partenaires de l'Union européenne. Nous avons même été le premier pays à signer une entente officielle avec l'Union européenne. Il s'agit d'un traité sur l'utilisation pacifique de l'énergie atomique, en 1959.
    Nos discussions actuelles de haut niveau se fondent sur l'Accord-cadre de coopération commerciale et économique entre le Canada et les Communautés européennes signé en 1976. Cet accord, qui visait à resserrer les relations commerciales et économiques entre le Canada et l'Union européenne, a été le premier de ce type à être conclu entre la communauté et un pays industrialisé. Cependant, cet accord portait presque exclusivement sur la coopération économique.

[Traduction]

    Or, comme vous pouvez l’imaginer, l’UE et le Canada ont beaucoup changé depuis 35 ans. L'Union européenne est passée de 9 à 27 États membres, et l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2010 a entraîné la création de nouvelles structures juridiques et organisationnelles, dont le Service européen pour l'action extérieure. Ce service tient lieu, en pratique, de ministère des Affaires étrangères de l’Union européenne, et est habilité à négocier et à signer, au nom de l'Union et de ses États membres, des ententes obligatoires en droit.
    Nous avons signé plus de 30 ententes avec l’UE sur toute une gamme de sujets, depuis le transport aérien et les pêches jusqu'à l'enseignement supérieur et la jeunesse, et nous en négocions actuellement cinq autres, dont un accord économique et commercial global.
    Afin de gérer ces relations croissantes avec l'UE, nous tenons régulièrement des sommets où se réunissent nos dirigeants ou nos ministres des Affaires étrangères, et nos hauts fonctionnaires participent chaque année à la rencontre du Comité mixte de coopération, où ils examinent la totalité de nos activités bilatérales. Pendant l’année, des consultations thématiques et régionales officielles ou informelles sont également tenues entre les responsables des affaires étrangères. On y aborde divers sujets, depuis le désarmement jusqu'à la situation au Moyen-Orient, en passant par les droits de la personne.
    Compte tenu de ces nombreux changements et du potentiel d'accroissement de la coopération politique qui existe actuellement entre le Canada et l'Union européenne, celle-ci a proposé de négocier un accord-cadre qui facilitera la coopération politique dans les secteurs d'activités actuels ou futurs. Le Canada a accepté l'invitation, et je suis entrée en fonction comme négociatrice en chef en septembre 2011.
    Le Canada et l'UE partageant une longue tradition de coopération stratégique, nous avons décidé, sur la proposition de l’Union européenne, d'intituler cet accord-cadre « l’Accord de partenariat stratégique Canada-Union européenne ». Nous avons tenu trois séries de négociations et trois discussions par vidéoconférence et nous espérons conclure nos négociations en 2012.

[Français]

    L'accord de partenariat stratégique se fonde sur des valeurs et des principes communs au Canada et à l'Union européenne, en l'occurrence la paix et la sécurité internationales, la démocratie, les droits de la personne, la primauté du droit et le développement durable, et cerne des domaines et des mécanismes pour le renforcement de notre dialogue, de notre coopération et de notre coordination à l'appui de ces objectifs.
    Après consultation auprès des ministères fédéraux, nous avons déterminé que plusieurs avantages découleraient de la conclusion de l'accord de partenariat stratégique, dont l'amélioration des consultations et de la coordination dans les forums multilatéraux comme l'ONU, l'ouverture de nouveaux dialogues dans des domaines comme la coopération pour le développement, et le renforcement du rôle du comité mixte de coopération, de façon à accroître la portée et la cohérence de nos engagements.

[Traduction]

    Comme l'Accord de partenariat stratégique servira de base de la coopération politique entre l’UE et le Canada pendant de nombreuses années, son libellé doit combiner habilitation et ouverture sur l’avenir. Le texte doit aussi éviter les secteurs relevant spécifiquement des provinces et des territoires, ou posant un risque de chevauchement avec d'autres ententes. À cette fin, j'ai tenu régulièrement des téléconférences avec des représentants des provinces et des territoires, qui ont fait preuve d’une grande coopération et d’un engagement profond. Je leur ai soumis le libellé proposé de l'accord, afin de m'assurer qu'il ne touchait pas à leurs champs de compétence.
    Nous avons divisé le texte en cinq grandes sections. La première s'intitule « Fondement de la coopération » et énonce les grands principes, valeurs et objectifs sous-jacents à notre coopération dans quatre domaines: « Droits de la personne, libertés fondamentales, démocratie et primauté du droit »; « Paix et sécurité internationale et multilatéralisme efficace »; « Développement économique et durable » et « Justice, liberté et sécurité ».
    Chacune de ces sections contient des articles qui décrivent les mécanismes qui nous permettront de renforcer notre dialogue et notre coordination à l'appui des droits de la personne, de la non-prolifération, de la stabilité macroéconomique, du développement durable et de la protection environnementale, et de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Nous y soulignons aussi l'importance de multiplier les contacts entre les personnes, et notamment d'organiser des délégations régulières de nos parlementaires respectifs.
    L'objectif de l’accord est de nous permettre de mettre en commun nos idées et nos pratiques exemplaires, afin que nous puissions en tirer des apprentissages et promouvoir ainsi plus efficacement nos valeurs communes dans les autres pays et régions du monde. Par ailleurs, nous sommes conscients qu'il faut éviter les nouvelles dépenses, et prôner plutôt la cohérence et la coordination de nos efforts pour en améliorer l'efficacité.
    Comme nous sommes du même avis sur la majorité des points de nos politiques étrangères, nous nous entendons déjà en principe, après cinq mois de négociation, sur environ 90 p. 100 du texte. Nous nous attendons à finaliser par vidéoconférence, au cours des prochains mois, les quelques points encore en suspens.
    L'un d'entre eux concerne le règlement des différends: le Canada a proposé un texte qui met l'accent, pour des règlements rapides et constructifs, sur le recours aux éléments de preuve, au dialogue et à la consultation d'experts.
    L'UE étudie actuellement la proposition du Canada, et devrait nous répondre d'ici quelques semaines. La prochaine série de négociations — par vidéoconférence — devrait avoir lieu en mars, et je m'attends à ce que nous progressions à grands pas vers la finalisation de l'accord d'ici la fin de l'année.

[Français]

    Une fois établi le texte définitif de l'accord de partenariat stratégique, et après avoir obtenu les approbations nécessaires du Cabinet, l'accord de partenariat stratégique sera déposé à la Chambre des communes pendant 21 jours de séance, conformément à la Politique du Canada sur le dépôt des traités devant le Parlement. Au cours de cette période, les députés pourront en débattre ou voter sur une motion à son sujet. Les Parlements du Canada et de l'Europe sont informés du déroulement des négociations par l'entremise de l'Association parlementaire Canada-Europe et de la délégation du Parlement européen pour les relations avec le Canada.

[Traduction]

    Avec votre aide, nous espérons pouvoir conclure dès cette année un accord qui conférera une nouvelle voix et une nouvelle vision à la croissance et à l’évolution continues de la relation entre le Canada et l’UE, et resserrera les liens qui nous unissent, afin que nous puissions relever ensemble les défis les plus urgents qui nous attendent aujourd'hui et demain en matière de politique étrangère.

[Français]

    Merci de votre attention. Je suis disposée à répondre à vos questions.

[Traduction]

    Je suis accompagnée d'un éminent collègue, John Kur, qui est le véritable spécialiste des questions européennes. Donc, si vous avez des questions sur des sujets très précis, je lui céderai rapidement la parole.
    Merci beaucoup.
    Nous allons commencer par Mme Laverdière.
    Merci beaucoup, monsieur le président.

[Français]

    Merci beaucoup à vous deux pour la très intéressante et complète présentation.
    En fait, j'aimerais obtenir plus de détails, notamment en ce qui a trait au développement durable. Je comprends donc que toute une section touche les questions de développement durable, et je me demandais si vous pouviez nous donner un peu plus de détails relativement à cette question.
    Merci beaucoup, madame Laverdière. Je suis ravie de répondre à votre question, mais je vais le faire en anglais afin de m'assurer de vous donner une réponse claire.

[Traduction]

    C'est le cas, en effet. Vous êtes bien informée.
    La section sur le développement durable traite de diverses questions relatives à la coopération, en particulier par rapport à nos efforts et nos activités dans les pays du tiers-monde ou les pays en voie de développement. On indique que la stabilité économique est le fondement, bien entendu, de la création de la richesse, ce qui s'inscrit dans la même veine que la discussion que vous avez eue plus tôt au sujet de Haïti. La section traite aussi de questions plus larges liées à l'environnement et les changements climatiques.
    Ce sont des discussions qui sont déjà entamées entre le Canada et l'UE. En réalité, l'accord de partenariat stratégique vise simplement à réaffirmer et souligner notre engagement à poursuivre et approfondir ce dialogue et, en particulier, à améliorer notre coordination.
    Encore une fois, Haïti est un exemple parfait des efforts importants qui ont été faits tant du côté de l'Union européenne que du Canada pour mobiliser des ressources considérables. Nous devons nous assurer qu'elles sont utilisées à bon escient et de façon à éviter les chevauchements.
    Essentiellement, voilà l'objectif de cette section de l'accord.

[Français]

    Merci.
    J'aimerais savoir si l'ACDI prend part elle aussi aux discussions avec la Communauté européenne. C'est une question évidente, mais...

[Traduction]

    En fait, madame Laverdière, nous avons eu des discussions avec diverses parties intéressées au sein du gouvernement fédéral, dont l'ACDI, naturellement.
    La coopération pour le développement est un domaine qui n'a pas fait l'objet de discussions approfondies. Il y a eu des discussions informelles à l'échelle régionale et en marge d'une tribune multilatérale, mais il n'y a pas eu de discussions officielles. C'est un des résultats souhaités de l'accord stratégique: nous voulons être en mesure d'améliorer et d'approfondir le dialogue.

[Français]

    Je vous pose une dernière question avant de céder la parole à mes collègues.

[Traduction]

    Par rapport à la question du règlement des différends, quelle est la pierre d'achoppement?
    Ce n'est pas vraiment un obstacle. Habituellement, c'est la dernière étape de la négociation. On s'entend sur le texte et à la fin, bien entendu, il faut s'entendre sur la façon d'interpréter, de définir et de mettre en oeuvre cet accord. C'est là où nous en sommes: nous nous entendons déjà, à notre avis, sur 90 p. 100 du texte. Nous sommes rendus au point où il faut déterminer comment faire pour s'assurer qu'il n'y aura aucun problème lié à l'interprétation de nos divers engagements et qu'il sera possible de compter sur des mécanismes par lesquels nous pourrons discuter en cas de divergence d'opinions.
    Nous avons présenté une proposition à l'Union européenne. Elle est fondée sur une pratique de longue date qui, essentiellement, consiste à résoudre ces questions de façon diplomatique et constructive, mais nous avons aussi insisté sur l'utilisation de données factuelles pendant le processus de prise de décision.
    Nous avons bon espoir de parvenir à un accord d'ici un mois ou deux et, comme je l'ai dit, de conclure cette année.
    Il ne fait aucun doute que dans le cadre des négociations sur l'AECG, la section sur le règlement des différends a fait l'objet de longues discussions. Toujours dans la même veine, je me demande si vous pourriez me donner des détails sur la forme que prendra la section sur le règlement des différends dans cet accord-cadre.
    Avec plaisir. Manifestement, c'est très différent de ce qu'on trouve dans un accord de libre-échange, où les actions qui sont prises ou non entraînent des conséquences bien plus facilement observables et pour lesquelles il pourrait y avoir des sanctions. On parle d'un accord politique. Essentiellement, il s'agit d'une question de discussion et de capacité de parvenir à une entente dans les cas où on penserait déceler des différences dans la mise en oeuvre des divers accords de coopération. Cela semble si bureaucratique, n'est-ce pas, John?
    Je pense que le processus est assez simple. En cas de différend par rapport à n'importe quel engagement, comme sur la mise en oeuvre de notre accord de coopération dans une région donnée — sur le terrain —, la question serait soulevée par l'intermédiaire des hauts fonctionnaires, en marge de n'importe laquelle de nos réunions.
    Il y a aussi — et cela se poursuivra — un comité mixte de coopération, qui se réunit chaque année. La dernière réunion a eu lieu en janvier. Il s'agit véritablement du meilleur endroit où soulever, dans un contexte comme celui-ci, toute question relative à l'interprétation ou l'application.
    Cherchez-vous un mécanisme permettant de vérifier l'application de l'accord?
    Je soulève la question parce que vous avez cité les accords conclus avec des pays d'Amérique centrale et du Sud, en indiquant qu'ils ne prévoyaient aucune mesure contraignante. Ainsi, il n'y a aucun moyen d'amener ces gouvernements à respecter l'engagement qu'ils ont pris de surveiller le respect des droits de la personne.
    Je pense que le concept d'accord-cadre est intéressant. J'ai rencontré la délégation européenne lorsqu'elle nous a rendu visite pour la première fois cet automne. Je me demande vraiment ce que serait l'aspect contraignant par rapport au règlement des différends.
    Monsieur Kur, voulez-vous…
    Le point le plus intéressant à souligner à mon avis est qu'il n'y a rien de fondamentalement nouveau dans l'accord de partenariat stratégique. Il s'agit d'engagements et de dialogues à haut niveau sur divers thèmes qui existent depuis longtemps et se poursuivront. Nous cherchons à les renforcer aux termes de l'accord et peut-être de trouver de nouveaux thèmes.
    À propos de votre remarque sur les obligations, la plupart de celles qui ont été prises dans l'accord de partenariat stratégique se rapportent en fait aux accords internationaux. Ainsi, l'Union européenne et le Canada réaffirment leur engagement par rapport aux obligations qui existent déjà au niveau international. Dans le domaine des droits de la personne, il s'agirait du Pacte relatif aux droits civils et politiques ou du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
    J'aurais du mal à vous donner des exemples d'un différend réel entre le Canada et l'Union européenne. Il pourrait simplement s'agir de renforcer le dialogue sur les mesures que nous prenons au Conseil des droits de l'homme de l'ONU, par exemple, pour faire en sorte que l'examen périodique universel soit davantage pris au sérieux par les membres. Il y a une différence qualitative entre cela et, par exemple, un accord commercial.
    S'il s'agissait du non-respect, par une partie, d'un engagement international — parce que cela arrive —, est-ce que le processus consisterait tout simplement à se réunir, à boire quelques verres de bière ou de vin, et à régler la question?
    En fait, votre question est très pertinente.
    Nous imaginerions un processus dans le cadre duquel, si l'une des parties a des inquiétudes, on en discuterait. Vous avez raison. Le règlement de ces questions relève des comités et conseils internationaux auxquels nous avons confié cette mission.
    Ce qui est très utile dans un accord comme celui-ci, c'est qu'il est conclu entre deux instances, l'Union européenne et ses 27 États membres, et le Canada, qui partagent les mêmes valeurs et principes. Si nous avions toutefois des inquiétudes sur les répercussions de certaines mesures, nous pourrions certainement les faire valoir et faire en sorte que des mesures appropriées soient prises dans le cadre de mécanismes internationaux.
    Merci beaucoup.
    Nous allons passer à M. Dechert, qui a sept minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Je vous remercie de votre exposé.
    Je voudrais répondre, accessoirement, aux questions soulevées par M. Chisholm.
    Les différences entre un accord économique et commercial global et cet accord de partenariat stratégique ont suscité bien des confusions. Beaucoup pensent que les deux vont de pair. Pourriez-vous préciser ces différences, nous dire si les deux sont liés l'un à l'autre et nous expliquer comment les négociations sont menées de façon à éviter les chevauchements entre les deux?
    Vous avez raison. Cela suscite quelquefois des confusions. Les deux sont très différents l'un de l'autre. Il s'agit de négociations et d'accords entièrement distincts. L'accord économique et commercial global se rapporte, évidemment, aux questions commerciales liées aux échanges et à l'investissement. L'accord de partenariat stratégique est exclusivement axé sur la coopération politique, essentiellement au sein des tribunes internationales telles que l'ONU, le G8 ou le G20.
    Nous veillons scrupuleusement, comme je l'ai dit dans ma déclaration, à éviter tout chevauchement avec quelque accord que ce soit, y compris l'accord économique et commercial global. Selon les principes juridiques, il faut s'assurer qu'il n'y a aucune difficulté à interpréter les divers engagements et aucune ambiguïté. Même s'ils sont négociés en même temps, je dirais qu'il n'y a aucun lien direct entre eux. Ce sont deux accords distincts qui évoluent chacun à sa manière.
    Si un différend survient aux termes de l'accord commercial et que ce dernier est terminé, signé et ratifié, il ne serait pas réglé dans le cadre de l'accord de partenariat stratégique. L'accord commercial aura sans doute son propre mécanisme de règlement des différends.
    Selon la position canadienne, il ne devrait pas y avoir de lien, car cela a été soigneusement négocié. Il y aura un mécanisme distinct de règlement des différends pour l'accord économique et commercial global, qu'il convient de respecter.
    Je reconnais qu'il y a dans l'Union européenne de nombreux États membres différents les uns des autres. Je sais que le Canada s'est dit inquiet de ce que cet accord de partenariat stratégique avec l'Union européenne pourrait influer sur les accords bilatéraux actuellement en vigueur entre le Canada et tous les autres États membres.
    Est-ce que l'on s'est penché sur ces questions? Pouvez-vous nous donner un exemple de la façon dont elles ont été traitées?
    Vous voulez plutôt parler du chevauchement entre les compétences des États membres et celles de l'Union européenne.
    Effectivement.
    C'est en fait très intéressant que vous souleviez la question, parce que nous constatons un certain inconfort de la part de nos collègues de l'Union européenne. La situation évolue encore en ce moment et depuis le Traité de Lisbonne signé en 2009. La répartition des responsabilités et des pouvoirs entre l'Union européenne et les États membres n'a pas encore été arrêtée. Souvent dans les négociations, lorsque nous cherchons à faire préciser de quelle façon cela influe sur les États membres, on n'est même pas capable de nous répondre. C'est là un des éléments juridiques en suspens que nous aurons à établir à la fin du processus.
    On considère généralement qu'il s'agit d'un accord mixte et l'Union européenne, en tant qu'institution, a compétence en la matière. Certes, elle consulte les États membres, mais finalement c'est elle qui signera en son nom et au nom des 27 États.
    S'il y a contradiction entre l'accord bilatéral en vigueur conclu entre le Canada et, disons, le Royaume-Uni, et cet accord de partenariat stratégique, lequel a priorité?
    Là encore, la position canadienne est très claire. Nous considérons que ces accords sont distincts. Nous dirions qu'ils devraient être respectés selon leurs compétences respectives. Nous voudrions nous assurer que l'accord de partenariat stratégique est habilitant, mais aussi qu'il n'a pas de pouvoir excessif par rapport aux autres accords. Je crois que cela ne ferait que créer de l'incertitude et de l'ambiguïté.
    Très bien. Merci beaucoup.
    Je n'ai pas d'autre question, monsieur le président.
    Et si nous revenions à M. Eyking?
    Merci, monsieur le président.
    Je pense que c'est très bien d'avoir une bonne relation avec l'Europe. C'est à l'origine notre premier partenaire commercial et ces liens remontent très loin. C'est quelquefois très difficile lorsque l'on négocie. Sa population, semblable à celle des États-Unis, est dix fois plus nombreuse que la nôtre et lorsqu'on entre en négociations avec elle, on se demande quelquefois qui est en tête et qui est à la fin.
    Vous avez souligné à quel point nous partageons les mêmes valeurs. J'ai été en Europe à maintes reprises. J'ai été à Bruxelles. Il y a certainement une grande différence de philosophie, surtout entre le gouvernement conservateur et l'Union européenne. Le premier ministre a même déclaré que le Canada devait se défendre de devenir un État de style européen, etc. Lorsque nous traitons de questions d'affaires étrangères, et même de la question israélo-palestinienne, nous sommes totalement différents des Européens. Et s'agissant de l'agriculture, je ne sais pas comment nous allons faire pour combler le fossé qui nous sépare par rapport au protectionnisme et aux subventions. Prenons maintenant les pêches: la simple vente de crevettes est assortie de toutes sortes de tarifs douaniers.
    Je sais que cela fait beaucoup de choses. Mais j'ai bon espoir d'en arriver à une entente mutuelle. Ne serait-ce pas merveilleux d'avoir les mêmes échanges que ceux que nous avons avec les États-Unis?
    Au plan philosophique, le gouvernement actuel n'est pas sur la même longueur d'onde que l'Europe. J'aimerais avoir votre opinion à ce sujet. Comment s'en sortir à propos de tout ce que je vous ai mentionné? Comment aller au-delà de ces différences lorsque nous négocions?
(1700)
    Votre commentaire est extrêmement juste, mais vous comprendrez que je ne puisse pas entrer dans les détails des positions du gouvernement concernant les rapports qu'il entretient avec certains pays.
    Je pense que le diable est dans les détails. Lorsque je parle des valeurs partagées, j'entends les grandes valeurs, qu'il s'agisse de la promotion des droits de la personne, des libertés et de la démocratie, ou de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Les détails, ce sont les approches qui peuvent être différentes et c'est là que le dialogue peut commencer.
    C'est là que nous devons pouvoir échanger nos points de vue en dehors des tribunes publiques, en parler très ouvertement et très franchement dans l'espoir qu'il en ressorte — pas tout le temps, mais le plus souvent — un consensus et un accord sur l'orientation à prendre. Il y aura toujours…
    Il y a 27 États membres. Mais comme vous l'avez vu, même au sein de l'Union, il y a d'énormes différences d'opinions et d'approches sur de nombreuses politiques. C'est à ce très haut niveau de valeurs et principes communs — ceux qui nous ont fait entrer en guerre, ceux sur lesquels nous avons bâti la machinerie internationale propre au maintien et à la promotion de telles normes — que je veux parler de points de vue partagés.
    Mais vous avez entièrement raison, il y a des irritants et des différences très réelles.
    Je me rappelle que lorsque nous traitions de certains enjeux avec les États-Unis, il était assez difficile d'y intéresser même certains membres du congrès et sénateurs. Quelle est la situation avec la délégation et les parlementaires européens? Dans quelle mesure s'associent-ils à la démarche? Est-ce que cela les intéresse même?
    C'est exactement pour cette raison que l'accord de partenariat stratégique est si important. Le fait d'être reconnu par l'Union européenne comme un partenaire stratégique, et de leur faire reconnaître non seulement les possibilités et le potentiel de coopération de longue date, mais aussi future, est extrêmement important. Tout cela, en dépit des vicissitudes que connaît actuellement l'Europe, grande puissance économique mais aussi politique, puissance avec laquelle il nous faut traiter au sein de l'OTAN, du G8 et du G20.
    Il est très utile pour vous parlementaires, qui dialoguez avec d'autres députés du Parlement européen ou des parlements nationaux, de souligner et d'accueillir comme élément stratégique ce constat de relations de longue date.
    J'ai deux autres brèves questions.
    L'une a trait à l'aide étrangère. Il me semble que notre approche est légèrement différente de la leur en ce qui concerne l'Afrique et la promotion des partenariats public-privé. L'Europe ne semble pas s'y intéresser.
    La deuxième porte sur l'autre Europe, celle qui n'est pas membre de l'union. Il y a en effet des pays d'Europe qui n'en sont pas membres. Avez-vous des commentaires à ce sujet? Par ailleurs, il y a encore pas mal de pays qui ne font pas partie de notre cercle d'alliés. Quels sont nos rapports avec eux?
    Ayant demandé à John de m'accompagner, je serais plutôt désolée de ne pas lui donner la parole. Je vais donc le laisser répondre à ce sujet.
    C'est vrai, c'est avec les 27 États membres de l'Union européenne que nous avons surtout cherché à établir et à maintenir au plus haut niveau des relations bilatérales, des contacts réguliers, et des relations commerciales et d'investissement. Mais vous avez absolument raison. D'autres pays adhéreront à l'union dans un proche avenir, par exemple la Croatie l'été prochain. L'union a évidemment conclu divers accords avec ses pays voisins, je pense à la Turquie. Il y a des liens à la fois politiques et économiques et, bien sûr, l'union entretient depuis longtemps un dialogue avec la Russie.
    Conformément aux priorités du Canada, nous nous employons à faire avancer nos intérêts dans les pays d'Europe qui ne font pas partie de l'union. C'est une partie de mon travail au ministère. Nous sommes en outre étroitement associés à d'autres organismes et ministères gouvernementaux dans leur champ de compétences respectives.
(1705)
    Me reste-t-il du temps?
    Vous avez une minute.
    Même si la Turquie ne devient pas membre de l'union, nous devrions avoir un plan suivi avec elle. De par sa population, c'est l'une des économies émergentes qui connaît la plus forte croissance.
    L'autre point est évidemment l'importance qu'elle revêt par rapport à la Syrie, puisqu'elle abrite le parti d'opposition de ce pays. Je sais que nous parlons de l'Union européenne, mais quelle sera notre relation avec la Turquie avant qu'elle n'adhère à l'union, si elle y adhère ?
    Au ministère, nous avons déployé énormément d'efforts pour préserver et élargir les relations bilatérales avec la Turquie, tant au niveau du dialogue politique qu'en termes d'engagement dans les affaires commerciales et économiques.
    Comme vous le savez, la Turquie est un important pays du G20. Elle attire de plus en plus les entreprises canadiennes et c'est un marché dans lequel immédiatement… En fait, dès son arrivée aux Affaires étrangères, le ministre Baird s'est empressé d'engager un dialogue politique avec son homologue turc.
    Voilà les mesures que nous avons prises — et que nous continuerons de prendre — pour faire en sorte que les relations bilatérales restent au plus haut niveau.
    Merci beaucoup.
    Vous avez la parole, monsieur Williamson.
    Merci, monsieur le président.
    Et merci à vous d'être venus.
    Je suis quelque peu consterné d'entendre les députés de l'opposition nous ramener au débat dépassé sur la vieille Europe et la nouvelle Europe alors qu'il y a sur le continent tellement de gouvernements différents. Vous avez des nations comme le Royaume-Uni, qui est gouverné par les conservateurs, en ce moment en coalition avec d'autres partis, et d'autres gouvernés par des travaillistes. Cette idée d'une seule Europe est donc à mon avis absurde et carrément ridicule.
    Je pourrais dire, je suppose, que s'il fallait choisir entre, d'un côté, la Grèce, l'Italie et l'Espagne, et de l'autre, d'autres nations comme l'Allemagne, le Royaume-Uni, la République tchèque, la Pologne et la plupart des pays de l'Europe de l'Est, nous serions probablement du côté de celles qui essaient de garder un bilan financier solide, plutôt que du côté de celles qui tombent dans des dettes abyssales qui consument la majorité de l'Europe.
    Est-ce que vous me posez une question?
    C'est une déclaration. Il me semble que je peux utiliser mes cinq minutes comme je l'entends. Cette déclaration ne s'adresse pas à vous, mais aux témoins. Je ne vous ai pas interrompu.
    Je peux y répondre. Je ne sais pas si je devrais.
    Poursuivez, monsieur Williamson.
    J'ai cependant une question, une question qui porte sur un enjeu pratique. De quelle façon ce type de partenariat permettrait-il de résoudre ou d'arbitrer des différends d'ordre pratique?
    Je pense à la chasse aux phoques, qui en est un bon exemple. Certains Européens, tout comme certains partis d'opposition, semblent s'opposer à la participation du Canada à la chasse aux phoques, mais c'est une industrie importante, surtout sur la côte Est du pays. Cette question suscite d'énormes controverses en Europe. En quoi cette entente importe aux Canadiens ordinaires dont le seul désir est de gagner leur vie?
    Merci beaucoup.
    En fait, nous espérons que cet accord de partenariat stratégique permettra notamment de résoudre cette affaire, d'où l'importance, ici encore, d'entamer sans tarder un dialogue régulier. Nous espérons pouvoir éviter dans l'avenir certains des irritants qui émaillent les échanges au sein de l'Union européenne si nous nous réunissons plus régulièrement et bien plus tôt, avant que ces petits problèmes ne se répandent et ne s'ébruitent sur la place publique. Nous tentons d'intégrer cet instrument au partenariat stratégique pour que l'on traite les mésententes ou les différends en prenant appui sur des preuves probantes. Il faudrait tirer parti de cette occasion afin de non seulement approfondir, mais également améliorer le dialogue.
    Je ne peux prétendre qu'il s'agit d'une panacée. Nous rencontrons les mêmes écueils avec les États-Unis, notre autre partenaire commercial; nous espérons toutefois améliorer la situation dans l'avenir grâce à cet instrument.
    Merci.
    Monsieur Kur, souhaitez-vous faire un commentaire?
    Combien de temps me reste-t-il?
(1710)
    Vous disposez de deux minutes.
    Parlez-moi de la structure de gestion, à des fins strictement informatives.
    C'est Kissinger qui a dit, je crois, qu'il était prêt à appeler en Europe, du moment qu'on lui indiquait qui appeler. Il est toujours difficile de transiger avec une entité au statut quasi étatique qui jouit d'une telle indépendance. Qu'en est-il des rapports entre le pays et le continent? Procède-t-on par l'entremise de Bruxelles ou traite-t-on directement avec 27 pays?
    Je vous sais gré de me poser cette excellente question. Nous y avons été confrontés à la suite de l'adoption du Traité de Lisbonne, en Europe, adoption qui a entraîné l'instauration d'un certain nombre de nouvelles institutions au sein de l'Union européenne et de rôles divers pour les nouveaux acteurs en fonction dans les structures de l'organisme.
    Pour le Canada, il importe de maintenir ses rapports avec Bruxelles et les dirigeants et institutions de l'Union européenne, ainsi qu'avec essentiellement chacun des 27 États membres en temps opportun. Cette précaution s'est avérée nécessaire dans divers dossiers. Si l'Union européenne s'attaque à une question relevant de sa compétence, nos collègues de l'ambassade de Bruxelles, fort de l'agrément de l'Union européenne, prendront l'affaire en main pour s'assurer que la position du Canada dans le dossier est bien comprise et clairement énoncée au sein de l'Union européenne. De plus, en coordination avec notre administration centrale et nos autres collègues en poste dans les États membres de l'Union européenne, ils veilleront à ce que cette position soit correctement expliquée aux États membres. Nous avons constaté qu'on ne peut agir sur un seul plan et qu'il faut intervenir auprès tant des États membres que des institutions.
    Le Canada est en fait l'un des premiers pays à tenir un sommet avec les têtes dirigeantes de l'Union européenne après la conclusion du Traité de Lisbonne. En mai 2010, le premier ministre a eu, pour la première fois, l'occasion de se réunir à Bruxelles avec le président de la Commission européenne, M. Barroso, et le nouveau président du Conseil européen, M. Van Rompuy, afin de commencer à nouer de nouvelles relations. Quant aux parlementaires, ce sommet leur a permis de rencontrer pour la première fois le Parlement européen et d'entamer le dialogue à cet échelon.
    Nous poursuivons nos démarches au niveau officiel, bien sûr. Comme Alex l'a souligné, l'Union européenne elle-même a mis sur pied le nouveau Service pour l'action extérieure, sous la forme du ministère des Affaires étrangères créé récemment. Elle a confié la direction de ce service à Mme Ashton. Cet organe est le principal interlocuteur du ministre canadien des Affaires étrangères au sein de l'Union européenne. Ce dernier doit néanmoins rester en rapports étroits avec les ministres des États membres concernant chaque dossier.
    Merci.
    Merci, John.
    Vous avez la parole, monsieur Chisholm.
    Merci. Je ne voulais pas prendre la peine de donner suite au commentaire de John sur la désapprobation des partis de l'opposition concernant la chasse aux phoques. Sachez seulement que l'opposition officielle ne s'oppose pas à cette pratique, une position qui est, il me semble, très claire.
    Je dois toutefois admettre qu'il a soulevé une bonne question à ce sujet. Ce dossier constitue une question épineuse dans les négociations, car certains États membres veulent qu'on intervienne dans cette affaire.
    Il y a également une pression intense qui s'exerce à l'interne. La question de l'environnement suscite également beaucoup de pressions dans le dossier des sables bitumineux. Certains États membres et organes étant soumis à une pression considérable, ils soulèvent la question et veulent savoir ce qu'on fera dans ce dossier. J'aimerais donc que vous nous en disiez davantage sur la manière dont vous réglerez les questions de la chasse aux phoques et des sables bitumineux.
    En ce qui concerne le Traité de Lisbonne, l'affaire est peut-être complexe, mais je lève mon chapeau à la communauté européenne et à ses membres pour leur soif de démocratie. Ils tentent, en effet, d'accorder aux représentants du peuple un rôle significatif dans la prise de décisions importantes concernant des questions comme le commerce international.
(1715)
    John, si vous le voulez bien, je crois qu'il serait préférable que vous répondiez à ces questions, puisqu'elles ne concernent pas directement l'accord de partenariat stratégique.
    Je le ferai avec plaisir.
    En ce qui concerne la chasse aux phoques, je crois que la position du Canada dans ce dossier est bien connue à l'échelle internationale. De plus, il ne fait aucun doute que le Canada considère qu'en interdisant les produits du phoque, l'Union européenne contrevient à ses obligations commerciales internationales. C'est certainement une question dont le comité du commerce international a débattu à quelques reprises.
    Comme vous le savez certainement, le Canada a, bien sûr, déposé une contestation auprès de l'Organisation mondiale du commerce à ce sujet, et l'affaire suit son cours. Comme Alex l'a fait remarquer, il s'agit d'un bon exemple de dossier que le Canada n'hésite pas à défendre bec et ongles, devant l'OMC dans le cas présent. Cette affaire constitue un excellent exemple de cas où nous pourrons promptement entamer le dialogue une fois que des ententes comme l'accord de partenariat stratégique seront conclues.
    Vous avez également abordé la question des sables bitumineux, un autre exemple de dossier dont nous nous occupons actuellement en empruntant les voies appropriées entre le Canada et l'Union européenne afin de veiller à ce que les mesures que cette dernière pourrait mettre en oeuvre pour appliquer sa directive en matière de qualité des carburants ne soient pas discriminatoires à l'égard des sables bitumineux canadiens.
    Notre approche s'appuie sur de solides fondements scientifiques et est coordonnée en étroite collaboration avec Ressources naturelles Canada, qui dispose du savoir-faire technique et scientifique pour pouvoir bien faire comprendre la position du Canada au sein de l'UE.
     En fait, je reviendrai à la question précédente pour expliquer comment nous exposons une position. Ce dossier illustre parfaitement la façon dont le Canada, par le truchement d'échanges bilatéraux avec des États membres clés et de dialogues multilatéraux avec l'UE elle-même à Bruxelles, fait tout en son pouvoir pour défendre sa position dans le cadre d'un processus international qui se déroule en ce moment même. Le comité de l'Union européenne devrait se réunir plus tard ce mois-ci afin de se pencher sur la directive sur la qualité des carburants et peut-être prendre une décision. Voilà pourquoi nous devons agir sur les deux plans.
    J'ajouterais un dernier commentaire. Vous avez évoqué la portée du Traité de Lisbonne. Il s'agit d'un traité absolument révolutionnaire à cet égard et d'une mesure que l'Union européenne a beaucoup de difficultés à mettre en oeuvre. Vous vous souviendrez qu'il a fallu énormément de temps et d'efforts pour le faire ratifier par les divers pays membres. Je suis toutefois parfaitement d'accord avec vous quand vous affirmez que ce traité est nécessaire et qu'il a permis de moderniser les institutions de l'UE afin de tenir compte de l'élargissement de cette dernière et des nouvelles réalités de notre siècle.
    Merci beaucoup.
    C'était tout le temps dont nous disposions. Je tiens à remercier nos témoins d'avoir comparu aujourd'hui. Je suis convaincu que si nous avons d'autres questions, nous pourrons les convoquer de nouveau.
    La séance est levée.
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