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Aux termes des dispositions de l'article 108(2) du Règlement, nous procédons à une séance d'information sur la situation en Égypte, et je tiens rapidement à souhaiter une nouvelle fois la bienvenue à nos amis des Affaires étrangères.
Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir témoigner.
Madame Vidricaire, voilà un bon nombre de fois que vous venez nous voir, et je vous en remercie. Je ne sais pas si vous arrivez encore à travailler, car vous êtes constamment devant notre comité. Je vous prie de m'en excuser.
Nous accueillons aujourd'hui Barbara Martin, directrice générale, Direction générale du Moyen-Orient et du Maghreb; Marie Gervais-Vidricaire, directrice générale, Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction; et enfin Jeffrey McLaren, directeur, Direction du Golfe et du Maghreb.
Je vous souhaite à tous trois la bienvenue.
Je crois savoir, madame Martin, que vous allez nous présenter un exposé. Nous allons l'entendre immédiatement car nous ne disposons que d'une demi-heure.
Madame Martin, vous avez la parole.
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Monsieur le président, membres du comité, je veux vous remercier de la chance qui m'est offerte de prendre la parole devant vous aujourd'hui.
[Traduction]
Mon nom est Barbara Martin et je suis la directrice générale à la Direction générale du Moyen-Orient et du Maghreb au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
Aujourd'hui, je vous fournirai une mise à jour des récents développements en Égypte, y compris concernant les chrétiens coptes en Égypte. L'Égypte entreprend une période critique dans sa transition vers une gouvernance démocratique. Comme le reste du monde, le gouvernement du Canada surveille la situation de très près.
En janvier et février dernier, il fut inspirant de surveiller alors que le peuple égyptien de tous âges, religions et horizons de la vie exigeait courageusement ce que les gens de partout dans le monde réclamaient : liberté, démocratie, droits de la personne, la primauté du droit et une chance pour réussir une vie meilleure. Les Égyptiens ont provoqué des changements politiques transformateurs par le biais de manifestations pacifiques, et non en s'appuyant sur la violence et sur le terrorisme.
L'Égypte, pays de 82 millions d'habitants et ancienne civilisation avec une culture vive et riche, est depuis longtemps un leader modéré des mondes arabe, africain et musulman. Elle a de forts antécédents de diversité religieuse.
Elle a également été un important partenaire dans le processus de paix au Moyen-Orient dans le respect du traité de paix signé de longue date et grâce à une coopération avec Israël sur les questions de sécurité. Par conséquent, les événements en Égypte ont des répercussions importantes sur les autres pays de la région, sur l'économie mondiale, et sur la sécurité internationale — y compris celle des Canadiens.
Dans le contexte du réveil arabe, le dénouement en Égypte est susceptible de nuire aux transitions en cours dans d'autres pays. Les développements en Égypte au cours des prochains mois et des prochaines années sauront influencer la région, et le monde — tel que nous le connaissons. Voilà pourquoi il est important que le Canada demeure engagé avec l'Égypte.
Le Canada et l'Égypte continuent d'entretenir des liens solides et de longue date à tous les niveaux. Nos solides relations avec l'Égypte sont fondées sur des liens importants que nous entretenons de personne à personne et sur des liens dynamiques aux secteurs du commerce bilatéral et de l'investissement. On estime que quelque 55 000 Canadiens ont des racines en Égypte et qu'environ 100 000 Canadiens y voyagent chaque année. L'Égypte importe quelque 630 millions de dollars en produits et services du Canada.
Nos solides relations avec l'Égypte nous permettent aussi de nous parler en toute franchise, comme devraient le faire des amis. Nous avons exprimé à l'Égypte notre souhait de voir une transition pacifique et sérieuse vers la démocratie, ainsi que notre inquiétude face aux tensions sectaires croissantes.
Vous vous souviendrez qu'il y a eu une attaque contre des chrétiens coptes à la sortie d'une messe à Nag Hammadi en janvier 2010, ainsi qu'un bombardement d'une église à Alexandrie pendant la célébration de la messe du Nouvel An au début de cette année, dont les deux incidents ont été condamnés résolument par le Canada.
Très récemment, de violents affrontements ont eu lieu au Caire le 9 octobre entre les forces de sécurité égyptienne et des manifestants chrétiens coptes. Vingt-sept personnes, la plupart des chrétiens coptes, ont été tuées et plus de trois cents ont été blessées, dans l'un des incidents les plus troublants et violents depuis la chute de l'ancien régime.
Le ministre Baird a émis une déclaration exprimant sa profonde inquiétude et faisant appel à l'Égypte pour assurer la liberté de religion et pour protéger les minorités religieuses. À la demande du ministre Baird, dimanche, le chargé d'affaires canadien a rencontré l'évêque Youannes, évêque général et secrétaire auprès de sa sainteté le pape Shenouda III à la cathédrale Saint-Marc pour lui faire part des inquiétudes et de l'appui du Canada. Le ministre des affaires étrangères avait demandé également que l'ambassadeur du Canada en Égypte discute avec le pape, un peu plus tôt cette année, d'attaques antérieures.
Il lui a également fourni une copie de la résolution adoptée par la Chambre des communes qui condamne les attaques, exhorte le gouvernement à traduire en justice les auteurs de la violence, et fait appel au Conseil des droits de la personne de l'ONU afin qu'il mène une enquête sur le sort des chrétiens coptes égyptiens et émette un rapport public sur ses conclusions.
Le ministre a également évoqué la situation des chrétiens coptes au cours de son allocution à l'Assemblée générale des Nations Unies, ainsi que lors des consultations publiques relatives au nouveau Bureau des libertés religieuses le 3 octobre.
Les chrétiens coptes, qui représentent environ 10 p. 100 du peuple de 82 millions en Égypte, ont été une partie intégrante de la société égyptienne depuis le Ve siècle après Jésus-Christ. Au fil des siècles, les coptes et les musulmans ont coexisté pacifiquement et, aujourd'hui, l'écrasante majorité d'Égyptiens appuient la tolérance religieuse. Mais les divisions sectaires entre musulmans et coptes, ainsi que les tensions entre le conseil militaire au pouvoir et la communauté copte ont été exacerbées par cet incident ainsi que par ceux plus tôt cette année.
Ces incidents violents proviennent des extrémistes qui n'acceptent pas la pluralité religieuse du pays. Il revient aux Égyptiens de prévenir que l'intolérance et la violence deviennent la voie de l'avenir. Il ne s'agissait pas de la raison de leur révolution. Des Égyptiens de toutes confessions, musulmans et coptes, ont défilé ensemble à Tahrir pendant la révolution, sur le seul fondement du slogan « Nous sommes tous des Égyptiens ».
De même, après les affrontements du 9 octobre, des centaines de musulmans et de chrétiens ont participé à une marche de solidarité pour inciter les Égyptiens de toutes confessions à travailler ensemble pour mettre fin à la violence sectaire. Nous nous sommes donc réjouis de l'engagement du gouvernement égyptien à traduire en justice les responsables de la violence, et à déposer un projet de loi qui donne plus de poids aux sanctions pour discrimination.
[Français]
Le processus menant à un gouvernement civil démocratique entre dans une phase critique. L'étape entreprise en mars dernier fut positive alors que 77 p. 100 des Égyptiens ont voté en faveur d'un amendement constitutionnel qui a raccourci le mandat présidentiel, créé une limite de deux mandats et restreint la possibilité de déclarer et de renouveler un état d'urgence.
C'est également un signe positif que le conseil militaire au pouvoir se soit engagé à respecter un calendrier pour la transition vers un régime civil. Il est prévu que les élections législatives débuteront le 28 novembre, se tiendront en trois étapes et se termineront en mars 2012. Après les élections législatives, une nouvelle constitution sera rédigée et suivront des élections présidentielles prévues vers la fin de 2012 ou le début de 2013. Il sera important de s'assurer que ces élections sont libres et équitables.
Nous comprenons que les élections seront suivies par le magistrature égyptienne. Toutefois, nous croyons que la présence d'observateurs internationaux indépendants est de mise. Même le Canada a des observateurs internationaux lors de ses élections. Nous sommes déçus que le Conseil suprême des forces armées ait adopté une loi en juillet qui interdit la présence des observateurs électoraux internationaux, bien que nous prenons note de la possibilité que des témoins aient le droit de participer à ces élections.
Nous reconnaissons que d'importants défis peuvent se présenter alors que les Égyptiens travaillent pour définir les bases politiques et économiques de la nouvelle Égypte. Il faudra maintenir une stabilité tout en assurant les libertés fondamentales, voir aux intérêts des partis laïcs et les équilibrer avec ceux des partis basés sur la religion, favoriser une culture de pluralisme et de respect des droits de la personne et maintenir de bonnes relations avec les voisins régionaux.
[Traduction]
De plus, l'Égypte fait face à des défis économiques, y compris un fort taux de chômage, particulièrement chez les jeunes, les réserves étrangères à la baisse et une perte nette de revenus provenant du tourisme suite à la révolution. Son leadership devra renouveler les efforts nécessaires pour libéraliser l'économie et s'attaquer à la corruption.
En réponse aux défis économiques de l'Égypte, la programmation de l’ACDI se concentre à stimuler une croissance économique durable en créant un meilleur environnement pour le développement des petites et moyennes entreprises. Lors de sa visite au Caire en mars, le ministre a annoncé que le Canada allait fournir 11 millions de dollars en nouveau financement pour aider l'Égypte dans sa transition économique.
Le Canada est également impliqué activement dans le Partenariat de Deauville, avec ses partenaires du G8. Dans le cadre de ce partenariat, les banques multilatérales de développement ont annoncé qu'elles allaient contribuer jusqu'à 20 milliards de dollars sur trois ans pour appuyer l'Égypte et la Tunisie. Le Canada est un principal actionnaire dans ces banques et nous nous tenons prêts à coordonner l'aide aux besoins.
Il est peu probable que le processus de transition de l'Égypte vers la démocratie se fasse en douceur. On peut s'attendre à cette probabilité, alors que les Égyptiens tentent de trouver de nouveaux terrains d'entente, de définir la nature de leur société et de tracer la voie de l'avenir du gouvernement. Non seulement nous souhaitons que le gouvernement égyptien écoute la voix courageuse du peuple égyptien et réponde à son désir d'un nouvel avenir, mais nous souhaitons également voir l'Égypte maintenir sa position de chef de file parmi les États arabes, africains et musulmans.
Le Canada demeurera un partenaire important pour l'Égypte et nous nous tenons prêts à aider et encourager son peuple et son gouvernement alors qu'ils doivent relever les défis qui les attendent.
Je tiens à remercier le comité de m'avoir donné la possibilité de vous parler aujourd'hui, et je suis prêt à répondre à vos questions, en compagnie de Jeff et de Marie, qui sont ici avec moi.
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Nous avons axé toutes nos activités en Égypte sur l'évolution démocratique parce que nous considérons que c'est très important pour garantir la stabilité à long terme de ce pays. Nous avons mis en place un certain nombre de projets.
Le premier d'entre eux est le projet Droits et démocratie, d'un montant d'environ 130 000 $, qui vise à informer les journalistes, ainsi qu'une bonne centaine de chroniqueurs sur Internet. Nous connaissons l'importance des médias sociaux en Égypte et dans la région. L'opération avait pour but de former ces responsables dans la perspective du référendum constitutionnel qui a eu lieu en mars et afin de préparer les prochaines élections.
Nous avons aussi un partenariat avec Médias en coopération et en transition. Il s'agit d'une ONG implantée en Allemagne. Ce projet avait là encore pour but de renforcer la capacité des médias indépendants et de familiariser le public avec les normes démocratiques et les processus électoraux. Bien entendu, la cause des femmes était prise en compte étant donné qu'il faut supposer que la moitié de la population est composée de femmes. C'est un élément important. Le but est de former les journalistes et de leur montrer comment on peut recueillir toutes sortes d'informations sur les programmes politiques, les positions des différents partis ainsi que celles des intervenants de la vie politique. Il s'agit avant tout d'une formation.
En plus de cela, nous avons par ailleurs un projet régional dans le cadre du programme d'intervention rapide en cas de conflits violents et du programme d'encadrement électoral du département des affaires politiques des Nations Unies. Il s'agit là d'un projet pluriannuel. Ce projet a pour but d'aider la communauté internationale à s'engager rapidement et à prendre des mesures préventives avant que les conflits prennent de l'ampleur et deviennent coûteux, et à favoriser le processus électoral dans les pays de la région. Cela englobe l'Égypte. Nous avons versé 600 000 $ dans le cadre de ce projet.
Enfin, j'aimerais signaler que nous venons d'entériner un projet au sein du Centre parlementaire. Ce projet permettra d'apporter une aide et de transférer des compétences à une institution nationale égyptienne dans certains domaines précis de la démocratie parlementaire, permettant à un nouveau Parlement égyptien de diriger le pays de manière responsable tout en relevant les défis qui s'offrent à ce pays.
Pour l'instant, voilà les programmes que nous avons mis en place.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être revenus ce matin.
Vous avez raison, monsieur le président, il faudrait peut-être leur donner un bureau près de la colline du Parlement.
Il semble qu'on vous demande souvent de revenir. J'en suis très heureux.
Monsieur le président, j'ai des questions à poser dans deux domaines précis. J'ai envie de les poser toutes en même temps et Mme Martin ou Mme Gervais-Vidricaire pourront éventuellement y répondre.
J'ai eu le plaisir de vous entendre dire que notre chargé d'affaires avait rencontré les responsables égyptiens pour leur communiquer la résolution adoptée par le Parlement et leur faire part des préoccupations de notre gouvernement face à la violence et aux persécutions des coptes en Égypte. J'ai aussi apprécié le fait que notre chargé d'affaires ait rencontré sur place le chef de l'église. Je suis curieux de savoir ce que le chef de l'église copte a déclaré aux responsables canadiens lorsqu'ils se sont rencontrés.
Mais ce qui m'intéresse surtout, au sujet de la persécution de la communauté copte, c'est de savoir ce qu'a fait le Canada aux Nations Unies. Il me semble que l'intervention des Nations Unies est essentielle lorsqu'il s'agit de faire enquête et de prononcer des sanctions — non pas les sanctions habituelles, mais l'éventualité d'un rassemblement de la communauté internationale, nos alliés dans la région — en faisant état de nos préoccupations au nom de la communauté internationale.
Je me demande si notre ministre, le ou tout autre responsable a fait état, par exemple, de nos préoccupations, au secrétaire général des Nations Unies ou à des hauts responsables de cette organisation. Que peuvent faire les Nations Unies en compagnie du Canada pour attirer, il faut l'espérer, l'attention sur cette situation très regrettable? C'est une question qui concerne la communauté copte.
La deuxième partie de ma question porte de manière plus générale sur nos relations avec l'Égypte. Je me félicite qu'on ait poursuivi les relations gouvernementales ces derniers mois au niveau du ministère des affaires étrangères, et probablement à tous les niveaux, avec les responsables du gouvernement égyptien. Toutefois, avons-nous eu des entretiens à un très haut niveau avec les membres du Conseil militaire suprême? Est-ce que le ministre ou ses hauts représentants au sein du ministère qui se sont déplacés dans cette région ont eu des entretiens avec les très hauts responsables du Conseil militaire en place? Cela, indépendamment des voies de communication normales qui passent par l'intermédiaire du ministère des affaires étrangères.
Dans l'affirmative, je serais curieux de savoir si par ce moyen — pour aller dans le même sens que la question posée par M. Dechert —, nous avons fait part de nos préoccupations concernant la persécution de la communauté copte et aussi au sujet de cette décision assez étrange de ne pas accepter des observateurs internationaux lors de l'élection. Voilà qui paraît assez décevant; on est censé faciliter la transition vers un régime plus démocratique.
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Je vais introduire rapidement le sujet, pour que ceux qui ne connaissent pas les coptes comprennent bien qui nous sommes.
Laissez-moi tout d'abord vous remercier de nous avoir invités pour entendre nos doléances au sujet de la situation en Égypte. Je me sens très fier, en ma qualité de Canadien, de voir que tout le monde ici, dans ma nouvelle patrie, se préoccupe de ce qui se passe dans ma patrie d'origine.
Les coptes constituent la plus ancienne communauté chrétienne vivant au Moyen-Orient, et même dans le monde. L'église copte a pris naissance en l'an 42, après la résurrection du Christ, par l'entremise de Saint Marc, qui s'est rendu en Égypte pour fonder cette église. À l'époque, la société égyptienne était l'héritière des pharaons et était soumise à l'occupation de l'empire romain.
En une cinquantaine d'années, presque toute l'Égypte avait reçu le message chrétien et l'Égypte était devenue une société entièrement chrétienne vers l'an 200 après la résurrection du Christ, ce qui s'est fait très rapidement étant donné que les médias Internet et autres moyens de communication que nous possédons aujourd'hui n'existaient pas à l'époque. Ce fut très rapide: le message a été reçu et les descendants des pharaons s'y sont conformés.
Les termes « Égyptien » et « Égypte » dérivent du grec Aegyptos. Le terme « copte » a été employé à partir de l'invasion de l'Égypte par les musulmans venus d'Arabie saoudite en 641 du fait de l'affaiblissement de l'empire romain. Les Égyptiens n'ont pas résisté à l'invasion car ils voulaient en finir avec l'empire romain. Les musulmans ont qualifié les Égyptiens de « coptes » car ils n'arrivaient pas à prononcer le mot « Aegyptos », cette appellation a perduré et l'on a fini normalement par utiliser la traduction de « copte » en anglais à partir du XVIIe siècle.
Les coptes sont donc les descendants du peuple des pharaons. Ils ont conservé ce nom en tant que chrétiens d'Égypte pendant tout ce temps. Lorsque l'islam est apparu en Égypte, les chrétiens ont eu à choisir entre trois possibilités: payer un impôt pour rester chrétiens, se convertir à l'islam ou se faire tuer. Ceux qui étaient en mesure de payer l'impôt ont gardé leur foi, payant pour rester chrétiens. Les gens qui n'avaient pas les moyens se sont convertis à l'islam. Il y a eu aussi des martyrs qui ont été tués par les envahisseurs de la religion islamique.
Depuis ce temps, les chrétiens ont subi plusieurs persécutions. Je peux affirmer avec fierté que s'ils ont réussi à subsister pendant 2000 ans, c'est parce qu'ils ont une croyance chevillée au corps et qu'ils tiennent fortement à rester sur leur sol. Ils constituent une société distincte au sein de la population égyptienne parce que ce sont les Égyptiens d'origine.
À l'ère moderne, à compter du XIXe siècle, les coptes ont bénéficié d'une courte période de prospérité après l'arrivée de Méhémet Ali en Égypte. Ils ont pu construire leurs propres églises et leur art a continué à fleurir. Mais cette embellie n'a pas duré plus d'un siècle et une autre persécution s'est ensuivie. Ces Égyptiens ont subi de nombreuses persécutions dans l'Égypte moderne. Il est bien établi qu'ils n'ont pas été en mesure d'occuper des postes élevés au sein du gouvernement et qu'il leur est bien difficile d'atteindre les objectifs qu'ils se sont fixés. Pour construire une église ou même pour faire des rénovations, ils ont besoin d'obtenir un décret du président lui-même, même lorsqu'il s'agit de réparer un simple robinet.
Ces dernières années, les meurtres de chrétiens se sont multipliés sous les yeux du gouvernement, qu'il s'agisse du gouvernement antérieur ou du gouvernement actuel. Je vous ferai remarquer que lors de toutes les fêtes chrétiennes, que ce soit à Pâques, à Noël ou dans d'autres circonstances, on voit de nombreuses forces de police arrêter les chrétiens qui célèbrent ces fêtes. Par contre, on n'a jamais entendu parler d'un chrétien s'attaquant à une mosquée en Égypte. Cela nous montre à quel point ils sont pacifiques.
Voilà un bref résumé de la situation des coptes en Égypte.
Les coptes ont entrepris d'immigrer au Canada dans les années 1950, soit après 1952, date du coup d'État de l'armée égyptienne sous la direction de Nasser. À l'époque, la moitié de la richesse égyptienne était entre les mains des chrétiens et ces derniers risquaient de se voir spolier de tous leurs biens. Par conséquent, les plus chanceux, ou les riches, se sont mis à émigrer en Europe, en Australie, au Canada et aux États-Unis. Une autre vague d'immigration a suivi après 1973, après la deuxième guerre et l'arrivée de Sadate, lorsque les islamistes se sont soulevés contre les chrétiens.
Les coptes au Canada ont la réputation d'être très instruits. Ils sont les plus instruits de tous les groupes d'immigrants arrivant au Canada et ils se situent au deuxième rang au niveau de la richesse.
Voilà ce que l'on peut dire au sujet des coptes. Je sais que c'est très court, mais tout est dit, je l'espère.
Je vous remercie.
Merci de m'avoir invité pour discuter de cette question. Je considère qu'il est très important de savoir que nous sommes ici à cause des derniers événements, qui se caractérisent avant tout par le fait que les forces armées, la police, les islamistes, tous ces groupes, ont agi selon un seul critère, qui est celui de la religion. Nous allons maintenant faire la lumière sur les raisons pour lesquelles les forces armées ou le gouvernement provisoire ont agi comme ils l'ont fait.
Je ne vais pas trop m'attarder sur les événements parce qu'ils ont été consignés dans bien des médias, mais je m'attarderai sur les causes et sur les raisons pour lesquelles cette situation s'est produite en Égypte.
Après l'invasion de l'Afrique du Nord par les Arabes en 641, les musulmans ont persécuté les Égyptiens à qui mieux mieux, mais les deux communautés ont réussi à coexister jusqu'en 1970, date à laquelle Sadate a institué le deuxième article de la constitution, faisant de la charia la source de la législation. Les conceptions de chacun concernant la marche du pays en ont été automatiquement changées.
Il est important d'examiner la question dans le cadre de l'islamisme militant en Égypte. Il est facile de comprendre que plus il y a d'islamisme en Égypte, plus les droits des minorités seront violés. Avec la charia, par définition, tout non-musulman est considéré comme un citoyen de deuxième classe. Le fait d'intégrer la charia à la constitution amène automatiquement à définir chacun selon qu'il est musulman ou chrétien. Toutes les lois vont se répercuter sur votre condition de musulman ou de chrétien; elles vont définir l'identité de chacun.
En Égypte, nous traitons de la discrimination dans le cadre légal. Une fois la charia en place, elle influe automatiquement sur la liberté de religion, le droit international et bien d'autres dispositions. En dépit de la présence de l'article 2 de la constitution, la charia a permis l'adoption dans cette même constitution des articles 40 et 46. Le premier nous dit que nous sommes tous égaux dans ce pays. L'article 46 dispose que chacun a le droit de pratiquer sa religion. Toutefois, après l'assassinat de Sadate, ces articles ont été suspendus et les tribunaux ont la possibilité de juger comme ils l'entendent. La tendance est de s'en tenir à l'article 2 de la constitution, qui correspond à la charia.
En ce qui a trait au droit international, le président est habilité à signer tout accord international, avec n'importe quel pays, mais l'accord ne s'applique que tant que n'intervient pas la charia. Si l'accord se conforme à la charia, il va être accepté, sinon, il est caduc. C'est pourquoi le gouvernement égyptien est prêt à signer n'importe quel accord mais, lorsqu'il s'agit de l'appliquer, rien ne va plus à partir du moment où il ne se conforme pas à la charia.
Quant à la discrimination au niveau local, elle s'exerce dans quatre domaines: les conversions, les difficultés quotidiennes, le droit de la famille et la construction d'églises.
Au sujet des conversions, tout musulman qui change de religion et devient apostat bénéficie d'une certaine période pour se repentir. S'il ne se repent pas, une peine de prison — ou même la mort — est requise. S'il le veut, un chrétien peut se convertir à l'islamisme, mais il ne peut pas revenir sur sa décision. S'il le fait, s'il revient à sa première croyance, sa carte d'identité mentionnera qu'il avait précédemment adopté l'Islam. Il sera automatiquement repéré dans toutes les circonstances de la vie.
De nombreuses personnes ont adopté la religion chrétienne, mais elles ont été arrêtées et torturées — en prison, dans les aéroports, partout. Je ne vais pas vous exposer les différents cas; nous pourrons en discuter plus tard.
Selon le droit de la famille, un musulman peut épouser un chrétien, mais ce dernier doit se convertir à l'islam, une personne musulmane mariée avec un non-musulman devant divorcer et considérer son conjoint comme apostat. Les enfants doivent être musulmans. S'il le faut, les enfants seront enlevés à leur mère et remis à une autre personne ou à une mère de substitution pour être élevés selon les principes du Coran et de la charia.
Quant à la construction des églises... c'est une longue histoire. En 1856, on a adopté une loi aux termes de laquelle la construction d'une église devait être autorisée par le président ou par le gouvernement du pays. En 1999, le président Moubarak a assoupli ces dispositions en autorisant la possibilité de faire des réparations. En 2005, il est revenu sur cette décision en déclarant qu'il appartenait aux autorités des différentes régions d'autoriser ou non les constructions. Jusqu'à présent, nous n'avons rien vu de nouveau, parce que cela relève du gouvernement.
En ce qui a trait aux postes de responsabilité, selon la charia, un non-musulman ne peut prétendre avoir de l'autorité sur un musulman, et par conséquent il est automatiquement exclu qu'un chrétien puisse être ambassadeur, professeur ou occuper une autre charge de rang équivalent. Voilà maintenant de nombreuses années qu'existe cette discrimination inavouée. Les gens vous disent: « Quel dommage. Vous avez d'excellentes qualifications, mais vous êtes chrétien. On ne peut pas vous donner ce travail. » Par conséquent, à l'heure actuelle, tous ceux qui ont des projets, qui possèdent de l'argent en Égypte et qui sont chrétiens s'efforcent d'engager des coptes, et l'inverse est tout aussi vrai. Dans la pratique, on cherche à obliger les entrepreneurs chrétiens à engager tout autant des musulmans que des chrétiens, mais le contraire n'est pas vrai.
Pour conclure, je ne crois pas vraiment qu'on puisse qualifier ce qui se passe dans le monde arabe de printemps arabe. Je parlerai de printemps islamiste. Il nous faut nous pencher de près sur la question, car à commencer par la Tunisie, l'Algérie et l'Arabie saoudite, dans toute cette région, on adopte la charia. Toutes les institutions internationales, y compris les Nations Unies, doivent s'intéresser à la question, pas nécessairement en termes démocratiques, parce qu'en réalité la situation est grave, préoccupante, étant donné que les grands principes et le vocabulaire que nous employons dans une société démocratique n'ont pas nécessairement le même sens dans ces pays.
Il faut faire très attention. J'en resterai là pour l'instant.
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Bonjour. Je vous remercie de nous accueillir ce matin. Au risque d'employer les mêmes mots que mes collègues, je dirai que je suis, moi aussi, fier d'appartenir à un pays civilisé qui respecte les droits de l'homme et qui est reconnu pour cela. Je suis également fier de voir que le gouvernement actuel bouge. Je donnerai des exemples plus tard. Mon intervention portera surtout sur le rôle que le Canada pourrait jouer.
Avant d'aborder certaines suggestions et certaines réalités concernant le rôle que le Canada a joué à ce jour dans ce dossier, j'aimerais souligner un point. Les attaques contre les coptes constituent la mise en pratique d'un continuel enseignement de la haine envers les non-musulmans dans une Égypte où les autorités ferment les yeux et où les Frères musulmans et les salafistes gangrènent la société et fanatisent les masses depuis des décennies. C'est une réalité fondamentale, et elle touche le coeur du problème. On parle ici de l'éducation et de la psychologie d'un peuple.
Le renversement de Mubarak et la reprise en main du pouvoir par l'armée n'ont pas du tout rétabli la sécurité pour les coptes. Les violences anti-chrétiennes en Égypte sont le fait d'Égyptiens musulmans extrémistes animés par une christianophobie similaire à la haine antisémite qui fit fuir d'Égypte, dans les années 1950, les juifs égyptiens. Je vous donne un exemple de cet enseignement. Dans les plus hautes sphères de la société, dans l'enceinte de la plus prestigieuse université du monde musulman, soit l'Université al-Azhar, au Caire, le Jihad contre les juifs et les chrétiens est dépeint comme un devoir collectif des musulmans pour la défense et l'expansion de l'Islam. Les islamistes mentionnent une sourate, un chapitre du Coran intitulé « La table servie ». Celui-ci, qui souligne l'hostilité et la collusion des infidèles — on parle ici des mécréants ou des infidèles, donc des chrétiens — dit ce qui suit: « Ils sont amis les uns des autres. Celui qui, parmi vous, les prend pour amis, juifs et chrétiens, est des leurs ».
Là se trouve la véritable origine des pogroms anti-coptes et de la haine anti-chrétienne en Égypte. Cela s'applique également aux pays arabes et musulmans gagnés depuis des années par le virus du totalitarisme islamiste anti-occidental et de la christianophobie obscurantiste. C'est un petit résumé, mais ça représente la vie quotidienne.
Concernant le rôle du Canada, j'aimerais souligner une première mondiale dans le dossier copte. Cette première mondiale a été guidée par l'actuel premier ministre du Canada, le très hon. Stephen Harper. Il s'agit de la sensibilisation des chefs d'État du G8 au dossier copte. On l'a vu au mois d'avril dernier lors de la réunion des ministres des affaires étrangères du G8, puis au mois de mai, auprès des chefs d'État. Même en avril, dans le communiqué final du Canada dans le cadre du G8, on a fait mention pour la première fois du dossier copte.
Aussi, j'espère que la création du nouveau bureau spécial sur la liberté de religion fera vraiment la fierté des communautés religieuses minoritaires de par le monde et qu'il ne sombrera pas dans le politiquement correct.
Je crois qu'un tel bureau ne vaut rien si le politiquement correct est là.
Nous avons plusieurs suggestions sur le rôle du Canada. Nous ne tenons pas nécessairement à toutes ces suggestions, mais cela permet la réflexion.
La carte géographique sociale et politique du Moyen-Orient est en train de changer dramatiquement. Je ne parle pas seulement de l'Égypte. Hier, la Tunisie a élu un parlement à majorité musulmane. Hier, la Libye a déclaré officiellement la charia comme base de sa législation. L'Égypte à côté s'en vient. En Palestine, il y a moins de 5000 chrétiens. Le Liban n'est plus majoritairement chrétien comme il l'était jusqu'à vers la moitié des années 1960. La Syrie, on ne sait pas, mais si jamais le pouvoir en place est mis de côté, on pense que les islamistes seraient là également. On connaît déjà l'Irak, l'Iran et l'Arabie Saoudite. On peut voir facilement ce que devient le Moyen-Orient.
La place des chrétiens coptes au Moyen-Orient est vraiment stratégique pour l'Occident, le Canada, les États-Unis et pour les valeurs chrétiennes occidentales. Ils constituent la minorité chrétienne la plus importante, pas simplement dans cette région, mais dans tous les pays musulmans du monde. C'est pourquoi on a suggéré la création d'une unité opérationnelle d'un groupe de travail concernant les chrétiens du Moyen-Orient. Je sais qu'il y a une telle unité au ministère des Affaires étrangères concernant les communautés musulmanes d'ici. Le Moyen-Orient mériterait d'avoir ce genre d'unité opérationnelle.
Nous suggérons aussi la création d'un groupe de travail sur l'Égypte qui pourrait travailler uniquement sur ce qui se passe en Égypte. On s'attend à ce qu'il y ait énormément de changements dans la politique et la société égyptienne. Je pense qu'un groupe de travail concernant l'Égypte serait une bonne chose.
Il a été question de réagir avec vigueur lorsque la situation l'exige, parce que le 10 octobre, soit le jour suivant les assassinats, le Canada ou le ministère des Affaires étrangères a émis un communiqué que j'ai trouvé décevant. J'ai envoyé immédiatement une lettre au ministre des Affaires étrangères.
Je vais vous dire pourquoi. Le 7 janvier 2010, le Canada a été le premier pays à condamner l'assassinat de sept coptes sortant de l'église. Je vous lis ces phrases: « Le Canada condamne l'attentat perpétré contre des chrétiens coptes à Nag Hammadi. » Il est dit également ceci: « Nous encourageons le gouvernement égyptien à poursuivre ses efforts pour traduire en justice les auteurs de ce crime, [...] ». C'est très bien.
Le 1er janvier 2011, suite à l'attentat contre l'église, les autorités canadiennes ont écrit, et je cite: « Le Canada condamne cette récente attaque sauvage d'extrémistes contre la communauté copte d'Égypte. »
Le 9 mai 2011, le premier ministre Stephen Harper a dit ce qui suit: « Le gouvernement du Canada condamne fermement les violences exercées contre les chrétiens coptes en Égypte. Nous soutenons la communauté chrétienne copte et son droit de pratiquer sa religion en toute sécurité et à l'abri de la persécution. » C'est très bien.
Par contre, la déclaration du 10 octobre mentionne ceci: « Le Canada demande avec insistance à toutes les parties concernées [...] ». Je regrette.
On ne peut pas mettre la victime et l'assassin sur le même plan. C'est décevant. Le mot « condamnation » ne figurait pas dans ce communiqué et il en allait de même pour les mots « forces armées ». Pourtant, ce sont les forces armées qui ont tué. Par contre, la semaine suivante, il y a eu la nouvelle motion, et j'ai alors envoyé une lettre de remerciements au à ce sujet.
En tant que Canadien, copte et Égyptien, je demanderais au Canada, dans le cas d'un dossier comme celui-là, d'agir plutôt que de simplement réagir. Il ne faut pas attendre qu'il y ait un attentat pour agir. Je pense que ce dossier mérite qu'on le suive et qu'on mette en vigueur des mécanismes pour tenter d'éviter ce genre de barbarie.
Merci.
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Il est clair que la violence interreligieuse en Égypte n'est pas un phénomène récent. Ça fait partie de l'existence. Déjà en 1992, des dizaines de coptes avaient été tués. Dans ce contexte, en quoi consiste le rôle du Canada?
L'Égypte s'apprête à mettre en oeuvre des systèmes démocratiques et à élire un gouvernement dans un contexte de violence croissante. Or comment cette menace risque-t-elle d'influencer la capacité des groupes minoritaires ou modérés — il ne s'agit pas seulement de chrétiens, en effet, mais aussi de musulmans modérés qui ne sont pas des islamistes — d'obtenir une représentativité au sein du nouveau parlement?
Selon vous, qu'est-ce que le Canada peut faire pour soutenir la mise sur pied d'institutions démocratiques qui incluent les minorités? Vous avez parlé de la façon dont vous voyez le rôle du Canada face à ces événements, mais concrètement, le Canada va soutenir économiquement le domaine du travail pour les gens qui sont en chômage. Mais que pouvons-nous faire du côté de l'éducation, par exemple? Comme nous le savons, les textes scolaires pour les enfants égyptiens — et c'est le cas aussi de la télévision publique — banalisent la propagande xénophobe et stigmatisent les juifs ainsi que les chrétiens, complices des sionistes et des étrangers. Comment faire en sorte, avec l'aide du Canada, de changer cela?
Vous avez aussi parlé de la création d'un comité de travail concernant les chrétiens au Moyen-Orient. On fait face à des problèmes de nos jours et l'éducation est donc à la source des solutions. Ces conflits culturels motivés par les préjugés et l'intolérance sont nourris par des systèmes de désinformation. Nous avons vu comment les Égyptiens avaient réussi, surtout grâce notamment à l'Internet et aux médias sociaux, à décloisonner leur esprit et à voir au-delà de la propagande locale.
Qu'est-ce que le Canada peut faire pour soutenir le déploiement de médias nouveaux et indépendants de même que la poursuite d'un dialogue entre les Égyptiens et le reste du monde?
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Vous touchez de façon concrète au coeur du problème. Je n'ai pas eu le temps de mentionner l'éducation tout à l'heure. Vous avez touché à cela et, à mon humble avis, c'est là où tout le travail doit être fait.
Je vous donne un exemple. Dans les écoles élémentaires, on apprend — quand je dis « on », ça peut être à la maison ou de la part d'autres personnes — aux petits enfants à ne pas jouer avec l'autre sans savoir s'il est chrétien ou musulman. Je pense qu'il y a un travail important à faire sur le plan de l'éducation. Comment le faire? C'est une très longue question sur laquelle il faudra se pencher. C'est une des raisons pour lesquelles, dans mes suggestions, je parlais de la création d'un groupe de travail sur l'Égypte. Un point comme celui-là demanderait beaucoup de réflexion.
Un peu plus tôt, quand elle était ici, la présidente a mentionné des points que j'avais moi-même notés. Il faudrait que le Canada travaille auprès des autorités égyptiennes afin d'essayer de diminuer le nombre de chômeurs. On a parlé de cela ce matin. Je vous donne un exemple. L'Égypte a vraiment besoin d'un système efficace de petites et moyennes entreprises et le Canada possède l'expertise nécessaire à cet égard.
Le Canada peut aider l'Égypte dans le domaine de l'agriculture. Il peut aider les Égyptiens à mieux profiter de leurs terres, par exemple. C'est très important, parce que l'Égypte continue à être un pays agricole. Le Canada peut aussi apporter une aide dans tout autre domaine qui permettrait la création d'emplois.
Pour terminer sur ce que vous disiez, madame, au sujet de l'éducation, je dirai que ça ne se fera pas du jour au lendemain. Ça prendra des générations. En réalité, c'est un changement de mentalité.
Vous avez parlé de tolérance. Saviez-vous que le mot « compromis » n'a pas d'équivalent en langue arabe? Je ne vais pas m'attarder à la raison de cet état de fait. Par contre, je vous parlerai de psychologie. Il y a des musulmans modérés, c'est vrai. Il y en a parmi mes amis. Je les respecte et je les aime beaucoup. Le problème dans le monde musulman, même au Canada, est que la majorité modérée est silencieuse. Il va falloir trouver des façons de communiquer avec ces majorités silencieuses, que ce soit au Canada, en Égypte ou dans les autres pays musulmans. Il faudra faire en sorte que cette majorité silencieuse ait une voix. Je pense que si la majorité silencieuse modérée a une certaine voix, cette voix prendra certainement petit à petit le dessus sur les extrémistes.
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Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, de l'intérêt que vous portez à la question.
Lorsque les chefs de gouvernement du Commonwealth se sont réunis à port d'Espagne, à Trinité-et-Tobago, en octobre 2009, on craignait que le Commonwealth perde une partie de sa crédibilité en n'insistant pas clairement sur ses valeurs fondamentales et en ne faisant pas tout son possible pour rappeler les enjeux qui touchent les 54 membres du Commonwealth et les 2,4 milliards de personnes qui en sont les citoyens.
À ce titre, ils ont mis sur pied le groupe appelé des personnalités éminentes, chargé de conseiller les membres de la conférence, qui va débuter à la fin de la semaine, et de proposer des mesures susceptibles de renforcer l'influence du Commonwealth et de mieux protéger ses valeurs fondamentales, telles que l'état de droit, la démocratie et les droits de la personne, et de faire en sorte que le Commonwealth soit globalement plus efficace, tant au niveau de son secrétariat à Londres qu'à celui de l'affectation des ressources.
Nous signalons à l'attention des membres du Commonwealth que le secrétariat du Commonwealth a un budget de quelque 40 millions de livres britanniques par an. C'est un peu moins de 80 millions de dollars canadiens. Son personnel compte environ 275 à 300 personnes, travaillant dans les bureaux de Marlborough House à Londres, en Angleterre. Nous avons un organisme du Commonwealth au Canada, siégeant à Vancouver, qui fait du téléenseignement dans tout le Commonwealth, dans de nombreuses langues, pour appuyer la politique générale de développement et d'expansion économique.
Notre groupe s'est réuni sous la présidence de Tun Abdullah Badawi, l'ancien premier ministre de la Malaisie. Notre groupe comptait des représentants de toutes les régions du Commonwealth. Sa composition était très diversifiée.
Les membres siégeant au sein de ce groupe étaient les suivants: Emmanuel Akwetey, chef du Centre d'études démocratiques du Ghana; Patricia Francis, de la Jamaïque, directrice du Centre du commerce international, qui siège à Genève; Asma Jahangir, militante des droits de la personne et des droits civils au Pakistan, qui a été emprisonnée à plusieurs reprises en défendant l'indépendance de la justice et qui a reçu l'année dernière le prix Diefenbaker, attribué au meilleur défenseur des droits de la personne au niveau international; Sam Kavuma, président ougandais du Commonwealth Youth Caucus; le juge Michael Kirby, ancien juge en chef de la Haute Cour de Victoria, en Australie; sir Malcolm Rifkind, aujourd'hui député au Parlement du Royaume-Uni, président du comité parlementaire sur la sécurité nationale et ancien ministre de la défense de l'administration Thatcher; sir Ronald Sanders, ancien haut commissaire de la Guyane à Londres; et enfin Ieremia Tabai, ancien premier ministre des Kiribati, dans l'océan Pacifique, l'un des plus petits pays du Commonwealth.
J'ai eu l'insigne privilège de collaborer avec tous ces gens. Nous avons tenu cinq réunions, la plupart du temps à Londres, et une fois à Kuala Lumpur, et nous avons publié un rapport de plus de deux cents pages contenant 106 recommandations. Ce rapport devrait être officiellement rendu public un peu plus tard dans la semaine, mais dès le mois de mai de cette année nous avons consigné nos principales recommandations sur le site Internet du secrétariat du Commonwealth.
Auparavant, nous avions reçu plus de 350 mémoires que nous ont fait parvenir des groupes de tout le Commonwealth. Lorsque nous avons fait état de nos principales recommandations et de nos premières réflexions sur le site Internet, nous avons reçu en conséquence 150 autres mémoires provenant des gouvernements du Commonwealth, de différents groupes et de particuliers. Nous avons donc fait de notre mieux pour que la procédure soit transparente et ouverte à tous.
Les principales recommandations — il y en a 106 et je ne vous les ai pas passées toutes en revue parce que je sais que votre temps est précieux — portent en fait sur les grands objectifs de l'organisation. Nous considérons qu'il nous faut rassembler toutes les déclarations faites au cours des années par le Commonwealth en ce qui concerne les droits de la personne et la démocratie, l'état de droit et la protection des droits des femmes, et les intégrer à une charte du Commonwealth pour que tout le monde comprenne bien quelles sont nos valeurs fondamentales.
Nous demandons la création d'un commissariat du Commonwealth à la démocratie, à l'état de droit et aux droits de la personne, qui se chargera de donner directement des conseils lorsque, par exemple, des pays veulent rejoindre le Commonwealth, afin de savoir s'ils respectent les valeurs fondamentales de la démocratie, l'état de droit et les droits de la personne, tout en donnant par ailleurs des indications précises lorsque des pays qui sont toujours membres du Commonwealth s'écartent de ces valeurs fondamentales.
Les membres du comité n'ont pas oublié la position ferme adoptée par le Commonwealth sur la question de l'apartheid, lorsqu'il s'est opposé à la politique suivie à l'époque par Mme Thatcher et qu'il a appuyé les efforts de démocratisation de l'Afrique du Sud. Récemment, le Commonwealth a suspendu les îles Fidji en raison d'un coup d'État militaire. Le Pakistan a été temporairement suspendu lorsqu'on ne savait pas avec certitude s'il y aurait une dictature militaire ou une véritable démocratie. Une fois que ce pays est revenu à la démocratie, il a été réinvité à faire partie de l'organisation. Les députés se souviendront aussi de la Rhodésie.
Nous jugeons avoir besoin d'un commissaire opérant à plein temps sur ces questions pour que lorsque, par exemple, des pays adoptent des lois qui s'en prennent aux homosexuels, ce qui s'est déjà vu, ou qui enfreignent d'une manière ou d'une autre les principes fondamentaux des droits de la personne, le commissaire puisse intervenir et faire en sorte que la question soit abordée ou que l'on envisage de revenir éventuellement sur l'appartenance à terme de ce pays au Commonwealth étant donné la politique adoptée sur la question des droits de la personne. C'est ce qui pourrait permettre, par exemple, si ce poste était créé, d'aborder la situation du Sri Lanka dans les circonstances actuelles.
Nous avons aussi considéré qu'il fallait des critères précis d'examen par ce Groupe d'intervention ministériel du Commonwealth pour qu'il y ait des seuils d'intervention précis, ainsi par exemple lorsqu'une élection est annulée sans consultation avec l'opposition. C'est ce qui s'est passé dans un pays en particulier, alors que le Commonwealth se chargeait d'envoyer des observateurs pour le jour de l'élection et que tous les représentants de l'opposition ont été arrêtés trois semaines avant. Il faut des seuils d'intervention automatique pour que le groupe d'intervention ministériel du Commonwealth puisse envisager des mesures disciplinaires ou d'autres solutions éventuelles.
Nous avons très fortement recommandé que l'on agisse en faveur des petits pays du Commonwealth auprès des grandes institutions financières internationales — et certains des pays les plus petits et les plus pauvres du monde appartiennent au Commonwealth — pour garantir un traitement équitable de ces pays.
Nous estimons aussi qu'il convient que le secrétaire général ait un mandat précis des chefs de gouvernement, qui lui sera conféré, il faut l'espérer, lorsque ces derniers se réuniront cette semaine à Perth, pour qu'il puisse intervenir avec force et précision si l'on déroge aux valeurs fondamentales de l'organisation, sans devoir attendre qu'il y ait d'abord un consensus.
Enfin, nous avons fait une série de recommandations touchant les jeunes et les femmes. Nous souhaitons la création d'une organisation de la jeunesse au sein du Commonwealth, afin de permettre aux jeunes de trouver du travail, de se réaliser et de s'instruire — en faisant du sport aussi — dans tous les pays du Commonwealth pour qu'ils puissent bénéficier de notre patrimoine commun et des possibilités offertes à tous.
Nous cherchons en particulier à faire en sorte que les gouvernements abrogent les lois frappant d'illégalité l'homosexualité, que l'on retrouve dans nombre de pays du Commonwealth et qui permettent difficilement d'adopter de bons programmes de traitement pour lutter contre le VIH/sida. Il est bien triste de constater que les statistiques des pays du Commonwealth en matière de VIH/sida sont très mauvaises et que les chiffres y sont pires qu'ailleurs. Cela nous paraît une priorité essentielle.
Nous avons aussi fait des recommandations touchant les jeunes entrepreneurs et les stages de formation à l'intérieur du Commonwealth, en mettant plus particulièrement l'accent sur la participation des femmes et la remise en question, dans certains pays du Commonwealth, des lois qui portent préjudice aux femmes d'une façon totalement inique.
Ce sont là les grandes orientations de notre rapport, monsieur le président. Je suis tout disposé à répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.
Le premier objectif est de s'appuyer sur le réseau des bourses du Commonwealth... qui existe depuis de nombreuses années, et qui a permis aux jeunes de tout le Commonwealth de faire des études de maîtrise dans les différents pays et de revenir ensuite chez eux en ayant cette expérience. Il s'agit de reprendre ce principe et de se dire qu'il serait très bon que les jeunes du Commonwealth, entre l'école secondaire et l'université, par exemple, puissent disposer d'un programme établi sur le modèle d'organisations comme Jeunesse Canada Monde ou d'autres organisations du Commonwealth qui y seraient associées.
Les jeunes pourraient ainsi passer du Canada au Ghana, ou encore de l'Inde à un pays des Antilles, pour y faire un séjour de six mois, soit en tant qu'entrepreneurs, soit pour y compléter leur formation, ou encore pour faire un stage quelconque dans une entreprise ou une organisation à but non lucratif. Ils tireraient un grand profit de cette expérience au sein du Commonwealth et pourraient se servir utilement, une fois rentrés chez eux, des compétences acquises.
Vous n'ignorez pas, d'ailleurs, que le Canada est l'un des pays qui a pris des dispositions, dans le cadre de sa politique d'immigration, pour faire en sorte que les jeunes étrangers qui viennent étudier dans ce pays puissent demander à y rester pour y travailler. De toute évidence, lorsqu'on rattache cette exigence de mobilité des jeunes aux politiques actuelles d'immigration plus ou moins strictes selon les pays, on voit à mon avis tout ce qu'implique votre question.
Il est clair que tout le monde autour de la table, les dix participants, y croient. Nous souhaitons que tous les citoyens du Commonwealth puissent bénéficier de la richesse de l'expérience de ses différents pays, de la diversité des cultures et des langues, de la grande diversité des religions et des manifestations culturelles. Le monde en sera meilleur et le Canada en sera plus fort.
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Oui — et pas devant tout le comité.
Des voix: Oh, oh!
L'hon. Dominic LeBland: Je vous remercie, sénateur, du travail que vous avez fait lors de la préparation de ce rapport. Je considère que ce que l'on a vu des recommandations, et vous avez évoqué une publication plus officielle, renforce ce que nous savons de l'engagement du Canada au sein du Commonwealth et du rôle de chef de file que nous avons toujours joué au sein de cette organisation importante. Le travail que vous avez accompli à cet égard s'inscrit à mon avis dans cette grande tradition.
Je tenais à vous poser deux questions précises — sans préjuger, bien entendu, de ce qui va se dire lors de la rencontre des chefs de gouvernement dans quelques jours. Avez-vous une idée, d'après les propos tenus par vos collègues au sein du groupe de discussions, ou en fonction des entretiens auxquels vous avez assisté en Australie, d'où risquent de provenir les résistances en ce qui concerne les recommandations? Je considère que ces recommandations sont exhaustives et plutôt justifiées.
Autrement dit, qui va s'y opposer? Je pense que nous savons plus ou moins quels seront les pays, mais avez-vous une idée de l'ampleur de l'opposition à certaines de ces recommandations et de l'origine de celle-ci?
Ensuite, toujours dans le même ordre d'idées, quelle sera l'influence du Commonwealth, et des chefs de gouvernement en particulier, qui pourra s'exercer sur ces membres récalcitrants ou sur certains pays qui, de toute évidence, vont poser plus de problèmes que d'autres? Le Commonwealth pourra-t-il encore influencer nombre de ces pays sur les questions que vous avez évoquées précédemment? Pouvons-nous continuer à exercer une influence et des pressions pour paver la voie aux changements que nous souhaitons?
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Je vous remercie de cette question.
Je traiterai tout d'abord de la deuxième partie. Lord Howell, le ministre britannique chargé des affaires du Commonwealth, a déclaré il y a trois semaines lors d'une réunion des ministres des affaires étrangères du Commonwealth à l'ONU, que si des pays voulaient faire partie du Commonwealth, c'était entre autres parce que cette affiliation impliquait une certaine stabilité gouvernementale, un certain respect de l'état de droit à un et un certain respect des droits de la personne.
Il faut bien voir que lorsque des entreprises cherchent un pays pour investir, s'efforcent de trouver une stabilité pour veiller aux intérêts de leurs actionnaires en se dotant d'une infrastructure de bâtiments ou en apportant toute autre forme de contribution, l'appartenance au Commonwealth compte. Par conséquent, le principal moyen de pression dont dispose le Commonwealth en tant qu'organisation sur l'un quelconque de ses membres susceptible de ne pas respecter les valeurs fondamentales reconnues, c'est finalement la possibilité d'une exclusion.
C'est ce qui s'est passé lors de la lutte contre l'apartheid. C'est ce qui s'est passé au sujet de la Rhodésie. C'est ce qui s'est passé concernant les îles Fidji. Lorsque cette exclusion a lieu, elle a des effets significatifs. Ce moyen de pression fait que les pays qui sont tout à fait en faveur de ce rapport — et je pense qu'il y a une forte majorité — oeuvrent auprès de leurs collègues qui se sentent moins bien disposés.
Le point d'achoppement, pour les pays qui sont réticents, c'est surtout le poste de commissaire aux droits de la personne, à l'état de droit et à la démocratie. Je pense qu'ils craignent que ce commissaire ne juge publiquement de la qualité de leur démocratie et leur cause davantage de soucis, de difficultés au plan international. Pour certains, je le sais, le terme de « commissaire » fait penser au commissaire de police.
En réalité, il importe moins de savoir si l'on va qualifier ce commissaire de haut représentant, d'envoyé spécial ou d'ambassadeur ad hoc que de lui confier un mandat clair lui permettant de traiter de ces questions et d'opérer, non seulement... Comme on a pu le voir pour certaines élections africaines qui ont eu lieu récemment, une équipe d'observateurs a suivi le déroulement des opérations en Ouganda, par exemple. Cette équipe d'observateurs était dirigée par l'ex-vice-premier ministre de la Barbade, Mme Billie, qui a déclaré que tout s'était bien passé. Lorsqu'on a examiné le scrutin et compté les bulletins de vote, tout semblait s'être déroulé normalement, ou conformément aux règles établies par Hoyle.
Il reste cependant des problèmes de fond concernant l'égalité entre les adversaires, le financement des partis et le fonctionnement du système. On a donc établi un calendrier de travail au sein du Commonwealth en collaboration avec nos collègues ougandais pour améliorer la qualité de leur loi électorale et renforcer le système.
Il nous apparaît donc que le commissaire du Commonwealth que nous réclamons pourrait opérer utilement de cette manière. Pourrait-il, en dernière analyse, amener à exclure un pays? Oui, c'est possible, mais à notre avis ce n'est pas nécessaire si les deux camps sont disposés à faire de véritables progrès ensemble.
Sur le plan financier, certains pays vont s'inquiéter du coût de nos recommandations. Nous avons considéré autour de la table — tous les ressortissants des différents pays qui ont pris part au projet — que lorsqu'on dispose d'un budget de quelque 80 millions de dollars canadiens par an, il n'est pas vraiment coûteux d'en redistribuer environ 5 p. 100 pour respecter les nouvelles priorités du Commonwealth. C'est faisable.
Évidemment, il faut un secrétariat en mesure de répondre à ses obligations et disposé à faire des changements. Partout dans le monde, les gouvernements qui financent le Commonwealth font des changements en raison de la situation financière et économique actuelle. Nous ne pensons pas que l'on puisse en dispenser le secrétariat.
Voilà, monsieur LeBlanc, quels sont les deux grands secteurs d'opposition. Publiquement, le seul pays qui s'élève contre les recommandations est le Sri Lanka; je crois qu'on l'a consigné aujourd'hui dans certains journaux du Sri Lanka. Sinon, un certain nombre de tractations restent en cours, même au moment où je vous parle. Je ne peux pas vous dire ce qui en sortira, mais je crois savoir que les discussions sont très serrées.