:
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous entreprenons notre étude sur la situation au Mali. Je veux vous présenter les témoins qui sont avec nous aujourd'hui.
Nous recevons Kerry Buck, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Elle est directrice politique et sous-ministre adjointe de la Sécurité nationale, Afrique, Amérique latine et les Antilles. Bienvenue, Kerry. Nous recevons également Patricia Malikail, directrice générale de la Direction générale de l'Afrique, au MAECI, de même que Lisa Helfand, directrice de la Direction des opérations de la paix et de la politique sur les États fragiles. C'est donc un groupe du MAECI.
Du ministère de la Défense nationale, nous accueillons le major-général Jonathan Vance, directeur d'état-major, État-major interarmées stratégique. Bienvenue, monsieur.
De l'ACDI, nous avons David Morrison, vice-président principal de la Direction générale des programmes géographiques. Bienvenue aussi à nos collègues de l'ACDI.
Madame Buck, nous allons d'abord entendre votre déclaration liminaire. Nous céderons ensuite la parole à M. Vance et à M. Morrison avant de passer à la séance de questions et réponses.
Madame Buck, la parole est à vous.
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Merci beaucoup, monsieur le président, de me donner l'occasion de prendre la parole devant le comité et de vous faire part de notre point de vue sur ce dossier.
La situation au Mali illustre bien les enjeux complexes avec lesquels composent de nombreux pays africains. Le pays est aux prises avec trois crises, chacune distincte, mais toutes étroitement liées.
[Français]
La première est la crise politique qui découle du coup d'État du 22 mars dernier.
La deuxième crise est l'occupation de la portion nord du pays par des groupes terroristes tels qu'Al-Qaïda au Maghreb islamique, le mouvement salafiste Ansar Dine et le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest, qui a déstabilisé le Mali et qui représente une menace pour la région du Sahel et l'ensemble de la communauté internationale.
La troisième est la crise humanitaire qui perdure à la suite de la sécheresse dans le Sahel en 2011 et de la crise alimentaire et nutritionnelle qui en découle.
[Traduction]
À titre de renseignement, il convient de mentionner que le Mali compte parmi les pays les plus pauvres de la planète. Le gouvernement peut difficilement maîtriser la portion Nord du pays et, au cours des dix dernières années, des groupes terroristes ont pu mener leurs activités en toute liberté dans cette région. Le nord du Mali est la partie la plus pauvre du pays, et les Touaregs ont une histoire parsemée de griefs et de rébellions contre le gouvernement central.
En janvier 2012, le principal groupe rebelle touareg du Mali, appuyé par des groupes extrémistes, a attaqué les forces maliennes et commencé à progresser à partir du Nord. L'armée malienne s'est effondrée.
Le 22 mars, des soldats insatisfaits de l'appui du gouvernement pour réprimer la rébellion au Bord ont pris contrôle de leurs casernes menant au coup d'État du capitaine Sanogo à Bamako, mettant fin à 20 années de régimes démocratique.
Divers groupes ont réussi à chasser les forces du gouvernement malien des deux tiers du territoire au Nord du pays. Les groupes terroristes ont ensuite défait le principal groupe rebelle touareg du Mali, puis pris le contrôle d'une vaste région géographique (d'une superficie un peu plus grande que l'Alberta).
La prise de pouvoir de la portion Nord du pays n'a fait qu'exacerber la dynamique déjà précaire de la crise humanitaire qui prévaut dans le nord du Mali et qui a touché à ce jour plus de 4 millions de personnes, y compris près de 2 millions de personnes qui habitent dans cette portion du pays.
[Français]
Le Canada a des intérêts au Mali.
Quant à l'aide au développement, mon collègue David Morrison va vous décrire l'engagement canadien mis en oeuvre par l'ACDI.
[Traduction]
Le Canada a des intérêts commerciaux au Mali, et il compte fermement sur le rétablissement d'un régime démocratique au pays. Il appelle à un retour à l'ordre constitutionnel et à l'adoption d'une feuille de route en vue d'élections libres, justes et crédibles.
L'an dernier, la communauté internationale a observé avec une grande inquiétude la prise de contrôle de près des deux tiers du territoire malien par des groupes terroristes et extrémistes et d'autres groupes armés. Le retranchement de ces groupes dans le Nord du Mali a entraîné de la violence, des abus des droits de la personne et l'oppression des populations locales, tout en menaçant de perturber la stabilité du Mali, de ses voisins et de toute la région du Sahel.
Le 20 décembre, la Résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations Unies a autorisé le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA).
La mission a le mandat de prendre toutes les mesures nécessaires, conformément au droit humanitaire international et au droit international en matière de droits de la personne, et en respectant la souveraineté du Mali, pour contribuer à rebâtir les forces de défense et de sécurité maliennes; aider les autorités nationales à reprendre le contrôle des zones du Nord qui sont entre les mains des terroristes, des extrémistes et d'autres groupes armés; aider à stabiliser le pays et à asseoir l'autorité de l'État; aider les autorités à protéger la population; et finalement, contribuer à la création d'un climat sûr qui serait propice à l'acheminement de l'aide humanitaire et au retour des populations déplacées, de même que protéger son personnel et la mission.
Alors que le Conseil de sécurité des Nations Unies a autorisé le déploiement de la MISMA, dans la première semaine de janvier, des groupes islamistes se sont rapprochés de la capitale, Bamako, afin de raffermir leur emprise sur l'ensemble du territoire malien. Cette avancée aurait offert aux terroristes du monde entier un refuge encore plus sûr pour s'entraîner, planifier leurs assauts et mener avec efficacité des attaques contre nos plus proches alliés et nos intérêts stratégiques mondiaux.
[Français]
À la demande du gouvernement malien et conformément à la résolution 2085, la France a lancé une opération militaire afin d'appuyer les forces de défense et de sécurité maliennes dans leurs efforts visant à faire reculer les groupes islamistes lourdement armés et à préparer le terrain pour le déploiement de la MISMA. Le Canada s'est immédiatement rallié à la communauté internationale pour appuyer la France, qui a agi rapidement afin de freiner l'offensive islamiste.
Le premier ministre a déclaré: « Nous sommes très préoccupés par la situation au Mali. Le développement de toute une région essentiellement consacrée au terrorisme en plein centre de l'Afrique représente une grave préoccupation pour nous tous. »
Le Canada a entendu l'appel de l'un de ses plus proches alliés et a fourni un gros transporteur aérien en guise de soutien logistique à ces opérations. Mon collègue le major-général Vance va vous donner des détails là-dessus.
Le soutien direct qu'accorde le Canada à la France contribuera à stabiliser le Mali, à affaiblir l'ennemi et à faciliter la transition vers l'établissement efficace de la MISMA.
Par ailleurs, le premier ministre a précisé que le Canada n'avait pas l'intention de faire directement partie des opérations de combat.
[Traduction]
En marge du Sommet de l'Union africaine qui a eu lieu cette semaine, la communauté internationale a promis de verser 455 millions de dollars à l'appui des efforts internationaux visant à contrer le mouvement islamiste au Mali et dans la région du Sahel. Le Canada y était représenté par l'honorable , ministre de la Coopération internationale. Le ministre Fantino a annoncé le versement d'une somme additionnelle de 13 millions de dollars en aide humanitaire. Ces nouveaux fonds seront acheminés par l'entremise d'ONG et d'organisations internationales afin d'aider les personnes les plus vulnérables.
Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous ai parlé des trois crises qui sont interreliées. Le Canada s'attaque à chacune d'entre elles. Nous sommes résolus à aider le Mali à revenir à un gouvernement élu. Mardi de cette semaine, l'Assemblée nationale du Mali a adopté une feuille de route. Le président intérimaire a convoqué des élections qui auront lieu d'ici juillet 2013. Le Canada suivra de près la mise en oeuvre de cette feuille de route. Nous répondons aussi aux besoins humanitaires en soutenant également des organismes des Nations Unies, le Mouvement de la Croix-Rouge et des ONG.
Finalement, pour ce qui est de la sécurité, nous offrons un soutien logistique à l'opération française en déployant un C-17 — comme je l'indiquais, mon collègue, le général Vance, va vous en parler — et nous continuons de fournir de la formation, du matériel ainsi que de l'assistance technique et juridique, comme nous le faisons depuis un certain temps dans d'autres États dans la région, et cela comprend la formation sur le droit humanitaire international et l'éthique militaire, afin d'accroître leur capacité opérationnelle à prévenir et à contrer les activités terroristes, conformément aux normes internationales relatives à l'antiterrorisme et aux droits de la personne.
Parmi les projets menés actuellement en Afrique de l'Ouest, mentionnons la formation militaire des forces armées nigériennes dans le cadre de l'exercice Flintlock, la formation offerte par la Gendarmerie royale du Canada ainsi que des projets régionaux de formation relative à l'application de la loi et à la sécurité frontalière, donnée par Interpol.
[Français]
Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international coordonne un effort pangouvernemental visant à intervenir de manière globale dans la crise au Mali et au Sahel au moyen d'une aide ciblée qui a une valeur ajoutée pour le Canada. Les efforts canadiens seront coordonnés avec ceux des partenaires internationaux, dont les Nations Unies, et répondront aux besoins du peuple malien à l'égard de la paix et de la sécurité.
[Traduction]
Monsieur le président, je vais maintenant céder le micro à mon collègue, David Morrison, de l'ACDI. Il va vous parler brièvement de l'engagement de l'ACDI à l'égard de l'aide au développement et de l'aide humanitaire.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Bonjour à tous.
Depuis plusieurs années, le Canada fait partie des principaux partenaires de développement du Mali. En moyenne, à partir de 2007, le Canada a versé plus de 100 millions de dollars annuellement en appui au développement du Mali. Jusqu'à tout récemment, le Mali progressait sur le chemin du développement dans plusieurs domaines, notamment en matière d'éducation et de gestion des finances publiques, et ce, en partie grâce à l'appui du Canada.
[Traduction]
Par exemple, l'appui du Canada a contribué à l'augmentation du nombre d'enfants de moins de un an complètement immunisés contre cinq maladies infantiles. Le pourcentage est passé de 69 p. 100 en 2007, à 92 p. 100 en 2010. On note également que les élèves du Mali ont eu accès à des manuels scolaires comme jamais auparavant: l'appui du Canada a permis de remettre 1,2 million de manuels scolaires aux élèves maliens, garçons et filles, au cours des dernières années. À la suite de la suspension des programmes d'aide prévoyant des versements directs au gouvernement du Mali en mars 2012, l'ACDI a continué d'offrir un appui crucial pour répondre aux besoins des personnes les plus vulnérables sur le plan de la sécurité alimentaire, de la nutrition, de la vaccination et de l'accès aux services de base en santé et en éducation.
Par exemple, l'ACDI contribue actuellement, par l'entremise d'organisations internationales et canadiennes présentes au Mali, à assurer le maintien des services essentiels aux populations vulnérables du Sud du pays, notamment en santé et en éducation.
[Français]
Ces initiatives visent à la fois à renforcer la stabilité du pays et à préparer les Maliens et les Maliennes à résister aux chocs à venir. Ce type d'appui est essentiel pour éviter les troubles sociaux dans le sud du pays, où habite 90 % de la population et où se trouve le siège du gouvernement de transition. La stabilité du sud permet de concentrer davantage d'efforts sur le nord du pays, où la situation sécuritaire est préoccupante.
[Traduction]
L'ACDI fournit également un appui important par l'entremise de ses partenaires du secteur humanitaire pour répondre aux besoins des personnes touchées par les crises alimentaires et nutritionnelles qui continuent de sévir, ainsi que par le plus récent conflit qui fait rage au nord du Mali. Au cours de la dernière année, le financement canadien a permis à nos partenaires d'obtenir les résultats suivants: de la nourriture et de l'aide alimentaire à quelque 1,3 million de personnes au Mali, de même qu'à 142 000 réfugiés au Niger, en Mauritanie et au Burkina Faso; de l'eau et des services d'assainissement qui ont sauvé la vie de plus de 49 000 personnes; des interventions ayant pour but de sauver des vies, par exemple l'évaluation des enfants souffrant de malnutrition et leur orientation vers les services de soins appropriés, ainsi que des mesures visant à protéger les moyens de subsistance et à favoriser la survie, notamment la distribution de semences et d'outils à 58 000 personnes; des transferts en espèces et des programmes de travail rémunéré à 3 000 familles vulnérables touchées à la fois par la crise alimentaire et par le conflit dans le nord du Mali.
Comme ma collègue du MAECI l'a mentionné, plus tôt cette semaine, à la Conférence des donateurs sur le Mali de l'Union africaine tenue le 29 janvier à Addis-Abeba, le ministre Fantino a annoncé un montant de 13 millions de dollars supplémentaires pour des initiatives visant à répondre aux besoins humanitaires urgents. Ces initiatives permettront entre autres d'offrir à des personnes déplacées par le conflit de l'aide alimentaire et nutritionnelle d'urgence, des abris, des soins de santé de base, de l'eau et des services d'assainissement.
En conclusion, le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine et les efforts consentis pour régler la situation sécuritaire contribuent grandement à un retour à la légitimité et à la stabilité pour le gouvernement du Mali. Des efforts concertés doivent donc être consentis pour améliorer la situation actuelle au pays.
Malgré la suspension de l'aide directe au gouvernement du Mali qui est toujours en vigueur, nous maintenons notre important programme de développement au Mali en collaboration avec nos partenaires afin de répondre aux besoins des Maliens les plus vulnérables, en particulier les femmes et les enfants. Nous continuerons également à répondre aux besoins humanitaires selon l'évolution de la situation.
:
Monsieur le président, honorables membres du comité, je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour discuter avec vous de la contribution des Forces canadiennes aux opérations menées au Mali.
Mon allocution portera sur trois principaux aspects. Je ferai d'abord une description de la mission qu'accomplissent les Forces canadiennes pour soutenir les opérations au Mali. Je citerai ensuite les dates marquant les principales étapes de la contribution des Forces canadiennes à cette mission. Finalement, je donnerai quelques statistiques de base sur l'apport des Forces canadiennes à cette mission jusqu'à présent et sur leurs réalisations dans ce contexte.
[Traduction]
Les Forces armées canadiennes ont pour mission de fournir un soutien logistique et stratégique aux forces françaises déployées au Mali, pour appuyer ainsi nos alliés et montrer que le gouvernement du Canada souscrit à la nécessité de stabiliser la situation dans ce pays. Afin de remplir cette mission, les Forces canadiennes fournissent un avion de transport lourd CC-177 Globemaster. Cet appareil, communément appelé C-17, aide les Français à transporter des équipements et du personnel militaires entre leur pays et la capitale malienne, Bamako.
[Français]
Je vous donne maintenant les dates marquant les principales étapes de la contribution des Forces canadiennes, plus particulièrement l'affectation de l'avion de transport C-17 à l'appui de nos alliés français.
[Traduction]
Le 14 janvier, le chef d'état-major de la Défense a reçu une lettre du ordonnant aux Forces canadiennes de fournir un avion de transport C-17 pour soutenir les lignes de communications stratégiques de la France pendant une période initiale d'une semaine.
[Français]
L'avion de transport C-17 a effectué son premier vol entre la France et Bamako le 17 janvier. La période susmentionnée où les Forces canadiennes ont fourni un service de mobilité aérienne a donc pris fin le 23 janvier.
Le lendemain, le gouvernement du Canada a annoncé qu'il offrirait ce service pendant trois autres semaines, ce qui portera la durée totale du déploiement à 30 jours. La mission prendra donc fin le 15 février.
[Traduction]
À l'heure actuelle, environ 40 membres des Forces canadiennes participent à cette mission. Ils travaillent depuis la Base aérienne de Le Tubé, située près d'Istres, en France. En date d'aujourd'hui, l'avion C-17 a effectué 13 missions et transporté, outre des militaires français, 775 000 livres de matériel entre la France et Bamako, dont des véhicules blindés, des fournitures médicales et des munitions.
Le coût total prévu du déploiement de notre C-17 pendant un mois est de 18,6 millions. Les coûts supplémentaires sont estimés à 11,7 millions. Veuillez noter que les coûts réels ne seront connus qu'environ 60 jours après la fin de l'opération.
[Français]
L'avion de transport C-17 a grandement aidé à acheminer des fournitures essentielles entre la France et le Mali. En outre, le succès que les Forces canadiennes ont connu au cours de cette mission a reposé sur les efforts de nos militaires qui ont collaboré de près avec leurs homologues français pour faire en sorte que le soutien nécessaire soit assuré sans interruption jusqu'à la fin de l'engagement actuel du Canada.
Merci beaucoup.
:
Effectivement, la situation touche à la fois le Mali et la région.
Pendant 20 ans, avant le coup d’État, le Mali a été une démocratie, une démocratie fragile, certes, mais une des plus vantées d’Afrique. L’instabilité politique du pays et sa division ont fait en sorte que… On parle ici d’une division géographique, mais aussi ethnique et de plus en plus religieuse depuis environ un an. Cela ne favorise pas le retour à la démocratie au pays. Comme je l’ai souligné dans ma déclaration, il y a eu d’importants développements à ce chapitre; les Touaregs, au Nord, ne se rangent plus du côté des islamistes, et d’importantes démarches vers un retour à la démocratie ont été amorcées dans le Sud.
La situation touche le Mali, mais aussi la région du Sahel, puisqu’au cours des dernières années, le Nord du Mali, le Niger, la Mauritanie et certaines régions de l’Algérie sont devenus un refuge pour les groupes extrémistes.
Les frontières dans cette région sont très poreuses et ça ne date pas d'hier. Certains groupes ethniques et des entreprises de passage de clandestins circulent librement au Sahel, mais la communauté internationale s’inquiète de la hardiesse accrue des groupes terroristes dans la région. Cette hardiesse découle en partie de l’argent et des armes qui ont circulé dans le cadre du conflit en Libye avant l’intervention de l'armée libyenne. Cette circulation d’argent et d’armes provenant de la Libye et d’autres pays qui dure depuis un bon moment profite aux groupes islamistes.
Le fait que le Sahel soit devenu un refuge pour les terroristes inquiète depuis longtemps la communauté internationale. Sans trop entrer dans les détails, comme je l’ai souligné dans ma déclaration, le Canada est actif depuis de nombreuses années dans cette région en matière de programmes de sécurité et de lutte contre le terrorisme.
Parallèlement, j’ai mentionné, et je crois que M. Morrison l’a fait également, qu’il y a une crise humanitaire au Sahel, une crise alimentaire qui accentue la vulnérabilité de la population dans la région.
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Je vais commencer, et le général Vance pourra enchaîner.
Je vais d’abord vous fournir le contexte. Il y a un an, avant que le nord du Mali ne se déclare comme un état islamiste distinct, le MNLA, un des principaux groupes touaregs, s’était affilié à al-Qaida et à d'autres groupes. Après cette déclaration, les groupes extrémistes islamistes se sont séparés du MNLA, ils ont expulsé des villes les membres du mouvement et ont pris le contrôle. Je reviendrai au MNLA dans quelques instants.
Il existe quatre groupes extrémistes islamistes armés ou groupes terroristes plus ou moins liés entre deux à divers degrés. Il y a d’abord al-Qaida, au Maghreb, considéré par le Canada et les Nations Unies comme un groupe terroriste. Ensuite, il y a le MUJWA, que l’on appelle aussi le MUJAO, le Mouvement pour l’unité et le djihad en Afrique occidentale. Il s’agit d’un groupe dérivé du groupe AQMI, dont l’idéologie est d'encourager le djihad partout en Afrique occidentale. Il y a aussi Ansar Dine, un mouvement salafiste touareg qui cherche à imposer la charia au Mali. Toutefois, selon nos informations, cette faction est en train de se diviser. Puis il y a le groupe Signataires par le sang créé par Mokhtar Belmokhtar, un autre groupe dissident. Je tiens à souligner que ces groupes sont très différents du MNLA , un mouvement principalement laïc qui désire un État indépendant pour les Touaregs.
Ce qui s’est produit récemment sur le plan politique est très important. Le MNLA a dit publiquement ce week-end qu’il appuyait l’intervention de l’armée française. Il a également dit qu’il désirait reprendre les discussions avec le gouvernement malien sur une possible réconciliation. Le président du Mali a été très clair sur deux points: il est disposé à discuter avec le MNLA; et lui, les leaders islamistes et d’autres membres de la population malienne ont indiqué que les autres groupes extrémistes ne sont pas les bienvenus à la table de négociation, notamment le mouvement Ansar Dine qui a participé aux efforts de médiation il y environ un an. Il s’agit d’une séparation importante entre les groupes représentant les intérêts des Touaregs et les groupes islamistes. C’est un signe important d’un rapprochement politique. La CEDEAO a pris part à un effort de médiation, au Burkina Faso, une étape clé à la réunification du pays.
:
Certainement. De façon générale, je pense qu'on peut dire que la France a monté en très peu de temps des opérations offensives d'un grand professionnalisme, et qui se sont révélées particulièrement efficaces jusqu'à maintenant.
En très peu de temps, ces opérations ont servi surtout à freiner la progression des insurgés vers le Sud, comme Mme Buck l'a mentionné, mais aussi à renverser la vapeur à un point tel qu'ils sont maintenant repoussés au nord de Gao et de Timbuktu, et même jusqu'à Kidal, où le Mouvement national de libération de l'Azawad, ou MNLA, est très présent.
À n'en pas douter, certains éléments terroristes invétérés d'AQMI, c'est-à-dire Al-Qaïda au Maghreb islamique, ou de groupes rebelles d'extrémistes musulmans ont été éliminés par attrition. De façon générale, les insurgés ont commencé à être repoussés et expulsés des villes dès le début des opérations. Mais malgré l'usure des forces, les rebelles sont encore nombreux, surtout dans la région montagneuse à la frontière de l'Algérie.
La France cherchera à tirer parti de tout rapprochement politique et utilisera ce temps pour faciliter l'arrivée des forces de la MISMA, la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine. Celle-ci prendra en charge les opérations au Mali dans le but de défendre le pays et de définir les paramètres d'une mission d'entraînement pendant que l'Union européenne préparera sa propre mission d'entraînement visant à reconstituer les forces maliennes.
En terminant, je tiens à préciser que les relations entre les tribus et les groupes sont extrêmement complexes, comme vous le savez. Je pense que nous avons très bien réussi à les comprendre jusqu'à maintenant, mais nous ne pouvons pas encore nous prononcer sur les répercussions qu'aura la situation au Mali sur la menace de l'islam radical dans la région.
Je pense que la démarche et le plan suivis sont tout à fait sensés. Reste à voir quelles en seront les répercussions. Dans l'ensemble, on constate une montée de l'extrémisme islamiste dans la région. Si la tendance se maintient, le dénouement sera positif pour le Mali, mais la situation régionale demeure bel et bien préoccupante.
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Je vais répondre à la question sur la participation du Canada, et je demanderai à ma collègue, Leslie Norton, de parler de la crise au Sahel et de l'intervention humanitaire.
L'ACDI a un programme de développement à long terme qui vise à bâtir un avenir meilleur pour les Maliens, et nous intervenons également à court terme, lorsque des crises surviennent, ce dont ma collègue vous parlera.
Vous avez tout à fait raison; nous sommes présents au Mali depuis un certain temps déjà. C'est l'un des pays que l'ACDI a ciblé en 2009. Il représente une partie très importante du portefeuille. Le programme est axé sur certains volets que j'ai mentionnés dans ma déclaration préliminaire: les soins de santé et l'éducation à notre rubrique sur la préparation d'un meilleur avenir pour les enfants et les jeunes. C'est la partie essentielle de notre programme, mais nous tentons également de renforcer la gestion des finances publiques et le système de justice. Vous admettrez que les deux volets font partie intégrante du bon fonctionnement d'un pays démocratique.
En ce qui concerne l'accès ou le renforcement des capacités auquel nous participons dans le secteur de la justice, depuis plus d'une décennie, nous travaillons à ce que l'on pourrait considérer comme la partie demande de la question, soit informer les Maliens qu'ils ont accès à un système de justice officiel pour résoudre leurs conflits et qu'ils n'ont pas à se faire justice eux-mêmes. Du côté des ressources, nous travaillons avec les structures officielles du système de justice, par exemple, en formant des Maliens sur l'administration des tribunaux, la gestion des dossiers, le pain et le beurre d'un système de justice qui fonctionne.
Vous parliez du vérificateur général. C'est un projet phare pour le Canada parce qu'il fait participer le Bureau du vérificateur général du Canada, qui aide directement celui du Mali, de sorte qu'il y ait un encadrement adéquat des dépenses publiques. Je crois que le Mali est le seul pays de l'Afrique francophone qui a choisi d'adopter le modèle canadien de fonction de vérification, qui est plus indépendante que celle du modèle français, que bon nombre d'autres pays ont adopté.
Il s'agit d'un ensemble de priorités à plusieurs volets à long terme pour le Mali. Avant de céder la parole à ma collègue, permettez-moi d'ajouter que bien que nous ayons suspendu l'aide directe au gouvernement du Mali en mars 2012, nous continuons, par exemple, à faire vacciner les enfants et à leur fournir des livres scolaires pour faire en sorte qu'ils ne perdent pas des années cruciales à cause de l'instabilité qui règne actuellement au pays.
Leslie.
:
Merci. C'est une bonne question. Pour être honnête, la situation est tellement instable qu'elle est difficile à évaluer présentement, mais je vous dirais deux choses.
Au cours de la dernière année, la communauté internationale a examiné des rapports faisant état d'actes de violence vraiment très graves contre la population civile dans le nord du pays. Ils découlent en partie d'une idéologie extrémiste. Ces actes ont été commis contre divers peuples, pas seulement les Touaregs, mais aussi d'autres groupes tribaux ou ethniques du Nord. Des actes de violence ont aussi été commis contre des musulmans plus laïcs dans le Nord. C'est une division entre une idéologie extrémiste, au nom de laquelle des gens commettent des actes de violence, et différents groupes religieux qui n'approuvent pas cette idéologie, dont des musulmans modérés. De toute évidence, certains actes visent aussi des minorités religieuses.
De plus, ces groupes commettent des actes graves contre les femmes, et on rapporte un grand nombre d'actes de violence sexuelle et d'autres atteintes aux droits des femmes et des enfants.
Il y a des problèmes très graves sur lesquels la communauté internationale axe ses efforts depuis un an. L'ONU continue à surveiller la situation. Je sais qu'à deux ou trois reprises, elle a lancé quelques missions de surveillance pour obtenir des renseignements. Le Canada continuera à surveiller les problèmes.
Cette semaine, le Conseil des droits de l'homme a discuté de la situation au Mali à Genève. Le Canada est intervenu, et nous avons également appuyé une déclaration de la francophonie à ce sujet. Nous avons parlé des violences commises par des groupes extrémistes dans le nord du pays. Nous avons également soulevé des préoccupations au sujet de dernières nouvelles selon lesquelles les troupes maliennes prenaient des mesures extrajudiciaires. C'est ce qu'on commence à rapporter. Nous avons dit très clairement, tout comme le disent la communauté internationale et le gouvernement malien, que ces violences ne seront pas tolérées.
Comme je l'ai dit, on s'est concentré sur les violences commises par les groupes extrémistes dans le Nord en raison de leur très grande gravité.
Ma question s'adresse tout d'abord à M. Morrison.
Selon des calculs approximatifs, il semble que le gouvernement du Canada a dépensé plus d'un demi-milliard de dollars pour aider le Mali depuis 2007. Les témoignages livrés aujourd'hui et d'autres indiquent que ces dépenses aident la population, mais il faut prendre du recul et penser à la sécurité, à l'échec des forces armées, au coup d'État et, bien sûr, aux insurgés qui viennent maintenant d'ailleurs dans la région et peut-être d'ailleurs dans le monde.
Je ne vous demande pas de présumer comment l'argent a été dépensé, mais dans le cadre de l'évaluation de l'ACDI — et Mme Buck peut répondre également —, le Canada peut-il faire mieux en ce qui a trait à la sécurité sur le terrain, qui relève de l'armée ou de la police, dans les pays où nous investissons beaucoup de fonds publics? Si nous dépensons de l'argent pour la société civile, l'éducation et les questions de santé, le gouvernement doit être en mesure de protéger ses frontières et sa population pour éviter le genre de situation qui se déroule maintenant.
Je comprends qu'il y a beaucoup de facteurs, surtout pour ce qui est des insurgés, mais cette préoccupation est-elle prise en compte? L'évaluation va-t-elle y accorder une importance accrue pour les pays non seulement en Afrique, mais partout dans le monde? Les institutions qui profitent des investissements doivent se maintenir à moyen et à long terme.
Bonne question. Je demanderais à Kerry de dire à quel point c'est rapidement devenu une menace à la sécurité. C'est un aspect clé de la réponse à fournir.
Comme je l'ai dit dans l'exposé, 90 p. 100 des gens vivent dans le Sud. Je pense que tous les donateurs sont conscients de la situation qui sévit dans le Nord, mais ils se concentrent sur le bon travail qui peut toujours se faire dans le Sud. C'est la position de l'ACDI.
Nous devons prendre en compte que le Mali était un pays démocratique jusqu'à tout récemment. Selon un large consensus dans la communauté internationale, le Mali faisait aussi les bons choix concernant le développement de sa population. Le Canada y a beaucoup investi, mais je dirais que les retombées des investissements réalisés dans les soins de santé et l'éducation, les domaines dont j'ai parlé dans l'exposé, vont durer toute une vie pour les Maliens.
La vaccination des enfants doit se faire dans la première année de vie. Les investissements dans les livres pour permettre aux enfants d'apprendre lorsqu'ils sont à l'école et aux écoles de rester ouvertes vont profiter aux Maliens.
Concernant le pays en général et les lacunes potentielles en matière de sécurité, je répète que tout s'est passé très vite. Malgré tout ce qui est arrivé, je pense que nos investissements dans le Sud sont judicieux et qu'ils vont continuer de rapporter à l'avenir.
Kerry.
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La question est vraiment intéressante, parce que plusieurs types d'organisations sont à pied d'oeuvre, au Mali. La CEDEAO, qui représente les États de l'Afrique de l'Ouest est l'une des communautés économiques régionales qui fait partie de l'Union africaine. Immédiatement après le coup de mars, elle a condamné très énergiquement les coups d'État. Elle a très vivement préconisé le retour à l'ordre constitutionnel sous peine de sanctions imposées par elle.
Cette intervention a été bien accueillie. La communauté internationale lui en a su gré. C'est l'une des raisons pour lesquelles, actuellement, au Mali, le gouvernement intérimaire respecte l'ordre constitutionnel.
La CEDEAO a continué a jouer un rôle de premier plan, affirmant qu'elle voulait aller au Mali non seulement pour affronter la menace dans le Nord mais aussi pour stabiliser les institutions dans le Sud. C'est ainsi que les choses se sont passées, avec, certainement, le soutien de l'Union africaine. En décembre, cela a conduit à l'autorisation du déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (la MISMA).
Parlons un peu de cette MISMA, qui a été autorisée par l'ONU. On lui a demandé d'être en place pendant un an, pour contribuer à la reconstruction des forces armées et de la défense maliennes. Elle compte dans ses rangs des éléments maliens. C'était pour appuyer les autorités maliennes dans la reprise des régions du Nord tombées aux mains des terroristes. C'est en train de se faire avec l'aide des Français.
Elle était aussi censée aider à des mesures de stabilisation pour appuyer les autorités maliennes dans le maintien de la sécurité et le renforcement de l'autorité de l'État — le volet politique de l'action en cours au Mali. Elle était censée aider les autorités maliennes à instaurer un climat de sécurité pour la prestation d'une aide humanitaire par les civils et le retour volontaire des personnes déplacées à l'intérieur du pays et des réfugiés. Voilà tout le travail à faire.
La conférence des donateurs qui a eu lieu sous les auspices de l'Union africaine, le mardi 29 janvier, a suscité une réaction tout à fait remarquable de la part de la communauté internationale, de la CEDEAO, mais aussi des pays africains qui, comme le Tchad, ne font pas partie de la CEDEAO.
Je pense que, dans ce pays, on travaille à différents niveaux. Il faut retenir qu'il existe une coordination réelle entre la CEDEAO, le niveau au-dessus, celui de l'Union africaine, et celui qui chapeautera l'ensemble, aux Nations Unies.