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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 024 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 5 mars 2012

[Enregistrement électronique]

(1535)

[Traduction]

    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous reprenons notre séance d’information sur la situation en Ukraine.
    Avant de présenter nos témoins, je demande aux représentants de l’opposition s’ils acceptent que d’autres députés posent des questions ou s’ils exigent qu’ils s’enregistrent officiellement. Évidemment, si nous devions voter, mais ce ne sera pas le cas, ils devraient s’enregistrer. Tout le monde est-il d’accord pour qu’ils puissent poser des questions?
    Ça ne me pose aucun problème.
    Très bien. Je leur donnerai donc la parole en temps voulu et ils n’ont pas besoin de s’enregistrer. Merci beaucoup.
    Je remercie tout de suite les témoins qui ont pris le temps de venir devant le comité pour parler de ce qui se passe en Ukraine.
    Je vais présenter les témoins en leur demandant d’indiquer les organismes qu’ils représentent, lorsqu’ils prendront la parole, et aussi de bien vouloir prononcer leur nom.
    Nous avons donc avec nous Mme Hetmanchuck, de l'Institute of World Policy.
    Merci de votre présence, madame.
    Nous avons aussi M. Kozak, président du Comité des affaires étrangères de la League of Ukrainian Canadians. Il vient de s’absenter une seconde, mais il sera bientôt de retour.
    Nous avons Mme Coynash, du Kharkiv Human Rights Protection Group.
    Bienvenue devant le comité, madame, et merci de votre présence.
    Finalement, nous avons M. Rybachuck, du United Actions Center.
    Je vous remercie à nouveau tous d’être venus aujourd’hui.
    Je vais commencer avec vous, monsieur, pour votre déclaration liminaire. Nous allons d’abord entendre toutes les déclarations et nous passerons ensuite aux questions, les députés de l’opposition et du gouvernement obtenant la parole à tour de rôle.
    Monsieur Rybachuck, merci beaucoup de votre comparution devant le comité. Je vous donne la parole pour 10 minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Mesdames et messieurs, c’est un honneur pour moi de m’adresser à vous aujourd’hui. La dernière fois que je suis venu ici, c’était il y a neuf ans, lorsque j’accompagnais le candidat à la présidence, Viktor Yushchenko. Nous avions assisté à la période des questions et le gouvernement avait dû répondre à des questions difficiles. Nous avions beaucoup apprécié le débat.
    Je n’aurais pu imaginer alors comment les choses allaient tourner, comment la campagne de Viktor Yushchenko se déroulerait, qu'il serait victime d'une tentative d'assassinat par empoisonnement et que sa principale rivale deviendrait présidente de l’Ukraine. Tout cela m’aurait été inconcevable à l’époque, mais prouve simplement que les choses peuvent changer très rapidement et que l’on peut se retrouver dans des situations totalement imprévues. Je n’aurais pu imaginer que, neuf ans après la Révolution orange, je viendrais vous parler de l’état de la démocratie et de la société civile en Ukraine. Je suis fier de pouvoir m’adresser à vous au sujet de ce qui se passe aujourd’hui dans mon pays.
    Au plan international, vous savez que l’Ukraine est quasiment prête à signer avec l’Union européenne une entente d’association politique et de libre-échange souhaitée depuis longtemps. Nous sommes prêts à signer. Sur le plan technique, tout est réglé, mais tout le monde en Europe dit que nous pourrons tirer un trait sur la ratification si nous ne faisons pas beaucoup de progrès du point de vue de la démocratie.
    Nos pourparlers avancent aussi avec le Canada pour une entente similaire. Votre premier ministre a déclaré qu’il sera cependant difficile de parvenir à une entente si les choses ne changent pas, parce que les chefs de l’opposition sont en prison. Hier, M. Poutine est redevenu président de la Russie, ce qui n’est pas de bon augure pour mon gouvernement ni pour le président Yanukovych, qui a fait campagne en promettant d’améliorer les relations avec la Russie. Nous pouvons prévoir que les pressions sur l’Ukraine vont s’intensifier afin qu’elle adhère à l’Union eurasiatique, comme M. Poutine aime l’appeler. Dans sa première déclaration, il a déclaré que la Communauté des États indépendant, c'est-à-dire ce qui restait après l’Union soviétique, serait sa priorité. Dans cette stratégie, l’Ukraine est sa première cible.
    Sur le plan intérieur, nous avons peu de raisons d’être fiers. La première élection après deux années de présidence Yanukovych fut une élection d’instances locales. Les élections locales ont subi un sérieux revers dans la mesure où le reste du monde ne les a pas jugées démocratiques. L’Ukraine fait marche arrière du point de vue de la démocratie, selon tous ses partenaires internationaux. La liberté de parole y est mise à mal. La société civile, que je représente aujourd’hui, fait l’objet de plus en plus de pressions des services secrets qui veulent contrôler son activité. Il est de plus en plus difficile de tenir des réunions pacifiques.
    Chose intéressante, pour la première fois en 20 années d’indépendance, le parti qui représente maintenant une majorité au parlement perd des voix, mais pas au profit de l’opposition. Environ 40 p. 100 des Ukrainiens n’appuient ni le gouvernement, ni l’opposition. Cela mérite réflexion. Dans n’importe quel pays, l’opposition n’est pas toujours unie. Je me souviens d’une blague allemande disant qu'il y a trois types d'ennemis: les ennemis purs et simples, les ennemis de sang et les membres d’une coalition. Je suppose que c’est un peu universel.
(1540)
    Le plus gros problème est que beaucoup d’Ukrainiens ne croient pas dans l’opposition pour remplacer le gouvernement, même si elle était unie. Cela correspond à notre propre expérience. Ce qui se passe dans la société civile aujourd’hui, c’est qu’on cherche désespérément des politiciens de qualité totalement différente pour prendre le pouvoir.
    C’est cependant très difficile. Ce que nous essayons de faire, c’est de rendre les politiciens comptables de leurs actes, notamment ceux de l’opposition, car la population espère vivement que l’opposition puisse être vraiment un pouvoir de remplacement. Si l’on veut remplacer le gouvernement, on doit rendre des comptes. On doit indiquer très clairement sur quelles bases on recrute des candidats pour les prochaines élections et comment on gouvernera différemment.
    Il y a chez nous un vaste mouvement populaire appelé Chesna, ou Honnêteté, qui appelle tous les députés ou candidats au parlement à adhérer à six valeurs démocratiques fondamentales, ce qui pourrait aider les électeurs à les considérer comme une véritable force de remplacement du gouvernement actuel. Bon nombre de campagnes civiles sont destinées à changer l’état d’esprit de l’électorat, car il est clair que, sans un tel changement, il sera impossible à de nouveaux types de politiciens d’arriver au pouvoir en Ukraine.
    Dans ce contexte, nous sommes vraiment très heureux de pouvoir nous adresser à vous aujourd’hui, de pouvoir nous adresser aux députés du pays qui fut le premier à reconnaître notre indépendance, et d’un pays qui est bien connu en Ukraine comme ayant une politique étrangère forte et indépendante. Je suis particulièrement reconnaissant — et, si vous le permettez, je veux exprimer notre sincère reconnaissance au nom de tous les Ukrainiens ici aujourd’hui — à M. Dechert, qui est à l'origine de ces audiences. Je sais que des politiciens ukrainiens s’adresseront à votre comité dans quelques jours et nous sommes donc particulièrement heureux d’avoir nous aussi l’occasion de participer à un échange de vues très franc avec vous et de répondre à vos questions.
    Merci.
(1545)
    Merci, monsieur Rybachuck.
    Je donne maintenant la parole Mme Coynash.
    Vous avez 10 minutes, madame.
    Merci. Je m’appelle Halyna Coynash et je représente le Kharkiv Human Rights Group.
    Merci, monsieur le président, de me donner la parole aujourd’hui devant votre comité. Très franchement, j’aurais préféré venir ici en touriste mais, malheureusement, j’ai des questions très graves à porter à la connaissance de votre comité.
    Ces audiences se tiennent à un moment extrêmement préoccupant du point de vue des droits de la personne en Ukraine et, de manière générale, de sa démocratie. Cela ne saurait surprendre, puisque l’Ukraine est devenue un pays où il y a des prisonniers politiques, ce qui représente un très, très grave recul pour le pays. Je sais que vous êtes tout à fait au courant au Canada des procès politiques de Yiula Tymoshenko, de l’ex-ministre de l’intérieur Youri Lutsenko, et de beaucoup d’autres.
    Les accusations portées contre Lutsenko sont triviales et totalement absurdes, à un point tel que... Veuillez m’excuser, je vais lire mon texte car, sinon, je risque de me laisser emporter par l’émotion.
    Les témoins de l’accusation ont déclaré devant le tribunal que les actes qui lui sont reprochés étaient en réalité, et sont encore, pratique courante dans son ministère, ce qui n’empêche pas qu’il a été condamné à quatre ans d’emprisonnement. Il y a eu de très graves transgressions de la règle de droit. Des témoins ont déclaré en cour qu’ils avaient subi des pressions de l’enquêteur et que ce dernier leur avait en fait dicté ce qu’ils devaient dire. Bien que tout cela ait été déclaré pendant le procès, on n’en a pas tenu compte.
    Il y a eu de terribles irrégularités dans les deux cas de Tymoshenko et de Lutsenko, ainsi que d’autres personnes aussi — comme Ivashchenko et quelques autres — concernant les raisons pour lesquelles ils ont été placés en détention. De fait, la détention est l’une des raisons pour lesquelles le cas de Lutsenko passera bientôt devant la Cour européenne des droits de l’homme. Ce n’est pas par hasard que la cour de Strasbourg a décidé de se saisir d’urgence de cette affaire et a prévu une audience publique le 17 avril, ce qu’elle ne fait pas très souvent. Cela montre à l’évidence l’importance de cette affaire à ses yeux.
    Les déclarations rapides et sans équivoque des pays occidentaux, dont le Canada, montrent clairement que personne ne se fait d’illusions sur le caractère politique de ces procès. Les démocraties occidentales sont devenues implacables après l’arrestation de Yulia Tymoshenko. Elles ont absolument raison de ne pas bouger, mais ce serait une grave erreur de croire qu’un compromis au sujet de Tymoshenko, pour autant qu’il pût être proposé, réglerait les autres problèmes.
    Ces problèmes sont extrêmement graves actuellement. Ils ne concernent pas que Tymoshenko, Lutsenko et quelques autres. Il y a déjà un certain nombre d’autres victimes de poursuites sélectives ou à caractère politique en Ukraine, et il y a aussi beaucoup d’autres tendances qui n’ont absolument pas leur place dans une démocratie fondée sur la règle de droit.
    Les preuves d’un usage sélectif similaire des poursuites pénales et de méthodes inacceptables de répression de la contestation sont écrasantes depuis très longtemps. Les deux dernières années ont été entachées par les premières élections douteuses depuis 2004 — je veux parler des élections locales d’octobre 2010 —, par de la persécution politique, par du harcèlement et par d’autres pressions exercées non seulement contre les opposants politiques mais aussi contre les militants civiques, des gens qui essayent de toutes les manières possibles de défendre leurs droits.
    Les réformes judiciaires de 2010 lancées par Yanukovych ont rendu les juges — qui n’ont jamais eu une réputation d’indépendance en Ukraine, j’en conviens — gravement dépendants et à la botte des autorités, notamment du procureur et du conseil supérieur de la magistrature, de composition éminemment contestable avec ses nombreux membres du bureau du procureur général.
(1550)
    Les détenteurs du pouvoir, y compris les autorités locales, utilisent les organismes d’application des lois, les tribunaux, les services fiscaux, les services de police, et même des services apparemment tout à fait innocents, comme le service d’hygiène publique, comme des instruments de pression ou de répression. Les médias sont également utilisés de cette manière. La liberté de réunion pacifique ne cesse d’être transgressée depuis deux ans. Les tribunaux accordent presque toujours les demandes d’interdiction de réunion, essentiellement sans aucune raison. La police anti-émeute de Berkut est utilisée de manière extrêmement brutale. Il y a eu aussi un nombre troublant d’assemblées pacifiques dont des participants ont été condamnés à des peines d’emprisonnement de 3 jours à 15 jours. Certes, ce n’est pas encore 10 ans, comme ça l’a déjà été, mais ça reste une très grave violation. Ces gens ne font qu’exercer leur droit de se réunir pacifiquement.
    Ce qui est particulièrement inquiétant dans tout cela, je suppose, c’est que les tribunaux, le procureur et tous ces gens-là agissent de concert. Mon organisation, comme beaucoup d’autres, et je suis sûre que mes collègues le confirmeront, s’élève contre ces nombreuses décisions bizarres d’interdire des manifestations et d’emprisonner des gens. Nous interjetons appel, mais nos appels sont rejetés d’office. Personne ne veut écouter.
    D’autres méthodes sont extrêmement inquiétantes. Par exemple, on utilise maintenant très fréquemment la police de la route pour empêcher les gens de se rendre aux manifestations. Elle élève des barrages routiers. Elle peut aussi utiliser d’autres méthodes... La police de la route ira simplement voir la société de transport pour lui dire gentiment — ou peut-être pas si gentiment, je n’en ai aucune idée puisque je n’y ai jamais assisté — qu’elle peut s’attendre à perdre son permis d’exploitation si elle transporte des manifestants. Ou le chauffeur d’autobus se fera soudainement arrêter par la police qui l'accusera d'être en état d’ébriété. C’est évidemment une grave infraction, mais personne n’ira vérifier s’il a vraiment consommé de l’alcool.
    Il y a eu aussi un certain nombre de poursuites contre des gens invoquant simplement leur droit de manifester, ce qui peut être tout à fait considéré comme de la persécution politique aussi. Les manifestations contre l’ébauche de code fiscal en novembre 2010 coïncidaient totalement avec la Révolution orange. C’était l’anniversaire de la Révolution orange, ce qui a manifestement déplu à certaines personnes au pouvoir. Il y a eu alors des milliers de personnes sur la Place de l’indépendance à Kiev. Les autorités n’ont pas voulu intervenir brutalement à ce moment-là. Elles ont fait quelques concessions purement symboliques puis les ont presque immédiatement annulées. Ensuite, la police anti-émeute et les autorités municipales sont apparues à l’aube et ont chassé tous les manifestants en quelques minutes. Je pense que ça ne leur a pris qu’une vingtaine de minutes.
(1555)
    Il vous reste une minute. Continuez.
    Veuillez m’excuser, je vais accélérer.
    Ce qui est important, au sujet de cette manifestation, c’est que huit personnes ont passé du temps en prison et font face à des poursuites pénales. Ces poursuites reposent sur des accusation totalement absurdes.
    Une dernière chose que je voudrais dire — je suis désolée, je ne réalisais pas que je prenais beaucoup de temps — est qu’en plus de tous ces problèmes, les médias sont sérieusement passés sous le contrôle des autorités. Cela veut dire que les gens n'ont tout simplement plus la possibilité de comprendre ce qui se passe. Il est donc crucial que des pays comme le Canada, qui nous a tellement appuyés, soient mis au courant de la nécessité d’informer, de surveiller les élections, et aussi de manière plus générale de nous appuyer et de prêter attention à ce qui se passe en Ukraine
    Je regrette d’avoir dépassé mon temps de parole. Merci beaucoup de votre attention.
    Merci beaucoup, madame Coynash.
    C'est maintenant au tour de M. Kozak.
    Je vous souhaite la bienvenue, monsieur. Vous avez 10 minutes.
    Bonjour, mesdames et messieurs.
    C’est un honneur pour moi, comme pour la League of Ukrainian Canadians, dont je préside le Comité des affaires étrangères, de comparaître devant cette auguste assemblée afin de partager respectueusement avec les honorables membres du comité permanent nos préoccupations et nos espoirs concernant notre patrie ancestrale, ainsi que certaines recommandations concernant les politiques de notre gouvernement envers l’Ukraine.
    Permettez-moi d’exprimer d’emblée notre sincère reconnaissance pour avoir organisé ces audiences. Elles sont d’autant plus pertinentes qu’elles se tiennent en même temps que la conférence internationale Ukraine at the Crossroads, qui débutera un peu plus tard cette semaine sous les auspices du Congrès des Ukrainiens canadiens et réunira de nombreux experts du Canada et du monde entier.
    Le sujet dont je parlerai à la conférence concorde avec l’un des thèmes de vos audiences, à savoir la situation actuelle en Ukraine et ses éventuelles répercussions sur l’intégration de l’Ukraine dans les structures euro-atlantiques. L’intégration euro-atlantique de l’Ukraine est une question qui dépasse largement les intérêts du pays lui-même et de son peuple. Étant donné l'emplacement géopolitique stratégique de l'Ukraine, situé à la croisée de l’Ouest et de l’Est et à la frontière de l’Union européenne et de l’OTAN, et considérant sa taille et sa population importantes, l’abondance de ses ressources naturelles ainsi que son riche capital humain et scientifique, les vecteurs stratégiques du développement futur de ce pays auront à n’en pas douter une incidence profonde sur les intérêts nationaux de nombreux pays, notamment du Canada.
    Depuis que le Canada est devenu le tout premier pays occidental à reconnaître l’indépendance de l’Ukraine, il y a plus de 20 ans, le Canada et les Canadiens jouent un rôle de plus en plus important en aidant l’État ukrainien et son peuple à prendre la place qui leur revient dans la communauté mondiale en tant qu’égaux parmi les égaux, à adopter les valeurs démocratiques et à surmonter de nombreux défis, allant des blessures causées par la catastrophe de Tchernobyl, aux traumatismes issus des années d’oppression soviétique, en particulier de l’Holodomor, le génocide par la famine.
    Cela dit, le processus d’intégration de l’Ukraine dans le monde libre et la démocratisation de sa société sont loin d’être achevés, et il serait irréaliste de penser que ces deux brèves décennies ont été suffisantes pour effacer des siècles de torts causés par l’oppression tsariste et communiste. Par conséquent, le Canada ne doit pas interrompre son rôle actif dans ce processus important. Bien au contraire, l’Ukraine et son peuple ont plus que jamais besoin de l’appui du Canada.
    Depuis qu’elle a recouvré son indépendance, en 1991, l’Ukraine a aussi fait beaucoup de progrès pour devenir un membre à part entière et un membre précieux de la communauté occidentale. Sa décision unilatérale d’abolir son arsenal nucléaire en est un exemple frappant, tout comme l’appui qu’elle dispense depuis longtemps aux initiatives de paix des Nations Unies et de l’OTAN dans le monde entier. Lors de sa Révolution orange exemplaire, démocratique et pacifique, le peuple ukrainien a prouvé au monde son engagement envers la démocratie et sa maturité civique, ce qu’ont confirmé les deux élections parlementaires qui ont suivi.
    Et puis, il y a deux ans, Victor Yanukovych, le président actuel de l’Ukraine, et son équipe sont arrivés au pouvoir. D’emblée, la situation de la démocratie s’est détériorée, et elle ne fait qu’empirer depuis. La liberté d’expression est assiégée, les persécutions à motivation politique sont devenues monnaie courante, et de nombreuses autres valeurs démocratiques fondamentales sont transgressées. Ces problèmes critiques ressortent probablement le mieux du sort fait à une personne, Yulia Tymoshenko, l’ex-première ministre de l’Ukraine, qui a été poursuivie puis emprisonnée pour des accusations à motivation politique.
    Sur le plan géopolitique, en même temps, l’Ukraine n’a cessé d’être entraînée dans la sphère d'influence de la Russie par le régime ouvertement impérialiste, manifestement antidémocratique et foncièrement anti-occidental de Vladimir Poutine et ses acolytes. Je suis certain que vous recevrez amplement de témoignages à ce sujet pendant vos audiences. Vous en avez d’ailleurs déjà entendu deux exemples aujourd’hui. M. Rybachuck a rappelé avec éloquence que M. Poutine est revenu au pouvoir pour quatre à huit années supplémentaires. Cela veut dire que les pressions s’intensifieront sur le régime ukrainien, ce qui entraînera de nouvelles menaces contre la démocratie ukrainienne.
(1600)
    Mme Coynash a superbement décrit la transgression des principes fondamentaux de la démocratie en Ukraine, surtout des droits de la personne, et je n’insisterai donc pas là-dessus.
    La question du jour, mesdames et messieurs, est de savoir comment le Canada et ses alliés occidentaux réagissent à la situation actuelle en Ukraine. Je ne peux évidemment pas aller dans les détails à ce sujet,étant donné le temps qui m’est imparti, mais je le ferai avec plaisir durant la période des questions.
    J’aimerais toutefois souligner que, nonobstant la nature des décisions prises par le gouvernement du Canada et par le Parlement canadien, les deux éléments qui suivent devraient toujours être présents à l’esprit, le plus possible de manière équilibrée.
    Premièrement, on doit tenir le gouvernement ukrainien actuel comptable de ses actes, autant aujourd’hui que demain, y compris avant et pendant l’élection législative d’octobre de cette année. Cela exigera qu’on essaie de forcer ce gouvernement à respecter les principes démocratiques.
    Deuxièmement, quelles que soient les mesures prises pour amener le gouvernement ukrainien à rendre des comptes, elles devront être soigneusement conçues et calculées pour éviter toute conséquence stratégique négative. Je tiens à souligner le caractère délicat de la situation actuelle. Les mesures prises pour appuyer le processus démocratique en Ukraine ne devraient pas entraîner l’isolement du pays. Cela aurait une incidence négative sur la population ukrainienne et ferait le jeu du régime russe actuel en poussant l’Ukraine dans son giron géopolitique et, partant, sous ses méthodes autoritaires.
    En conclusion, monsieur le président, permettez-moi de dire que ces audiences, conjuguées à la conférence Ukraine at the Crossroads, représentent une série d’événements ayant valeur de précédent à une époque cruciale pour l’Ukraine. Les Canadiens ukrainiens et tous nos concitoyens peuvent s’enorgueillir du fait que l’incidence cumulée de ces activités reliées les unes aux autres et importantes au niveau international confirmeront le leadership du Canada dans l’appui aux aspirations du peuple ukrainien pour un État vraiment occidental — fondé sur les valeurs essentielles que nous chérissons tant au Canada — et pour le renforcement de la stabilité et de la prospérité mêmes de l’Europe.
    Merci. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
(1605)
    Merci beaucoup, monsieur Kozak.
    C’est maintenant à vous, madame Hetmanchuk, pour 10 minutes.
    Merci, monsieur le président. Merci de votre invitation. C’est vraiment un grand honneur pour moi d’être ici aujourd’hui.
    Dans mes remarques liminaires, j’aimerais me concentrer sur les élections législatives qui doivent se tenir en octobre 2012 et sur la liberté de la presse.
    Quelle sera la différence entre les élections à venir et les précédentes? Tout d’abord, il y a un nouveau régime électoral, et une nouvelle loi électorale permet d'envisager un régime de représentation semi-proportionnel, la moitié des députés étant élus à partir de listes de partis, et l’autre moitié à la majorité dans les circonscriptions. C’est un pas en arrière. C’est un système qui a existé en Ukraine de 1998 à 2002.
    Pourquoi un régime semi-proportionnel ne serait-il pas accepté? Parce qu’il est plus facile de jouer avec ce qu’on appelle une ressource administrative, c’est-à-dire, en termes de tous les jours, de falsifier les résultats des élections, dans des électorats majoritaires. Dans le cas de l’Ukraine, les élections majoritaires sont une bataille de riches plutôt qu’une bataille de candidats. Le parti au pouvoir a également besoin du régime majoritaire pour faciliter les négociations de coalition dans le nouveau parlement.
    La principale question aujourd’hui n’est pas de savoir qui gagnera les élections, mais comment former une coalition parlementaire. Certains analystes pensent que le scénario de 2002 risque de se répéter, lorsque l’opposition a gagné les élections, mais que le parti dirigeant a réussi à former une majorité au parlement. Il est évident que les autorités ukrainiennes espèrent que le premier groupe de députés formera la coalition dirigeante. Le premier but du Parti des régions — le parti du président Yanukovych — est de gagner une soi-disant majorité constitutionnelle. Autrement dit, de simplement gagner 300 sièges de députés. Cela lui permettra même d’élire le président, chose dont on discute de plus en plus dans les coulisses politiques de l’Ukraine aujourd’hui.
    Il est à mon avis fort peu probable que les élections soient justes et démocratiques, même s’il est tout aussi peu probable que nous constations une falsification aussi grossière qu’en 2004, lorsqu’il y a eu la Révolution orange. Je présenterais les choses de la manière suivante: si 2004 a été caractérisée par une fraude balourde ou stupide, cette année, nous verrons peut-être de la fraude intelligente. Je suis sûre que le gouvernement ukrainien sera plus innovateur et plus créatif pour falsifier les résultats des élections. À mon avis, c’est après les élections mêmes qu’il y aura le plus de fraude, dans le processus d’instauration d’une coalition de gouvernement.
    Une autre caractéristique des prochaines élections législatives est qu’elles se tiendront dans un contexte de vive confrontation entre les autorités et l’opposition Pour la première fois de l’histoire politique ukrainienne, le chef d’opposition le plus célèbre — l’ex-première ministre Yulia Tymoshenko — aura été délibérément exclue du processus électoral. Il y a actuellement très peu de chances que Mme Tymoshenko soit remise en liberté et puisse diriger la liste de son parti, le parti Batkivshchyna.
    Le problème des prisonniers politiques a également influé considérablement sur les priorités de l’opposition avant les élections. Les chefs de l’opposition concentrent essentiellement leur énergie à la remise en liberté des prisonniers politiques, ce qui n’est pas une tâche usuelle pour l’opposition dans une lutte démocratique. En fait, en Ukraine, c’est dans une certaine mesure la société civile qui joue le rôle d’opposition.
(1610)
    Les élections seront un test sévère autant pour le gouvernement que pour l’opposition. Le test sera d'ailleurs peut-être plus décisif pour l’opposition que pour le gouvernement, étant donné que l’équipe gouvernementale, malgré toutes ses divisions intestines, réussira à exploiter la menace d’une perte de pouvoir pour aller à la bataille en équipe monolithique. L’opposition n’a pas encore démontré qu’elle est capable d’une telle unité.
    Pour ce qui est des attentes du public, nous constatons un phénomène paradoxal. Il y a d’une part une profonde conviction que ces élections seront truquées, qu’il y aura beaucoup de fraude en faveur du parti au pouvoir et que celui-ci obtiendra le résultat dont il a besoin. Par contre, il y a aussi l’espoir que les élections seront un point tournant susceptible d’infléchir le développement futur du pays
    Il me semble important de dire que 90 p. 100 de la population ukrainienne s’oppose aujourd’hui de manière flagrante au président Yanukovych. Certaines personnes sont dans l’opposition politique alors que d’autres sont dans l’opposition dite sociale. Ce sont des personnes qui s’opposent à l’abolition des avantages sociaux décidée par le gouvernement Yanukovych. Il y a aussi certaines personnes dans l’opposition intellectuelle et d’autres, dans l’opposition morale. Il y a même beaucoup de membres du gouvernement qui sont dans l’opposition au président et à sa famille, laquelle exerce une influence croissante.
    Le problème est que tous ces groupes d’opposition sont vraiment fragmentés et sont dépourvus d’un puissant message rassembleur. Pour le moment, en qualité de représentants de la société civile, nous essayons de trouver ce puissant message unique qui permettrait à tous les groupes d’opposition de s’unir.
    Je sais qu’un sujet brûlant aujourd’hui, une question brûlante, est de savoir si l’on peut s’attendre à quelque chose comme une nouvelle Révolution orange en cas de fraude électorale. Pour ma part, je partage l’opinion des experts qui soutiennent que la société ukrainienne n’est pas prête au changement. Ce ne sont pas seulement les autorités qui ne sont pas prêtes au changement, mais aussi l’opposition, parce qu’elle doit consacrer tellement d’efforts à obtenir la libération des prisonniers politiques au lieu de se concentrer sur l’élaboration d’un programme clair ou d’un plan d’action.
    Le facteur le plus important est que la population ne pense pas que l’opposition soit capable d’offrir quelque chose de radicalement différent. Les gens aimeraient aussi voir surgir de nouveaux chefs politiques. Parmi les visages plus ou moins nouveaux, mentionnons Arseniy Yatsenyuk et Vitali Klitschko.
    Arseniy Yatsenyuk, un ex-ministre des Affaires étrangères, est jugé brouillon et fuyant, comme disent certains Ukrainiens, alors que Vitali Klitschko est jugé trop peu préparé sur le plan politique. Toutefois, Klitschko est peut-être actuellement la personnalité la plus en vue dans la société ukrainienne et chez les expatriés.
    De manière générale, Yulia Tymoshenko reste le seul vrai chef d’opposition car les autres semblent tout à fait artificiels, si je peux dire.
    On demande souvent dans quelle mesure Yanukovych attache de l’importance à l’opinion du monde occidental. Ma réponse est qu’elle est importante à ses yeux tant et aussi longtemps qu’elle ne va pas à l’encontre de ses engagements et de ses intérêts personnels. Il est prêt à parler à l’Occident tant que celui-ci ne réclame pas, par exemple, la libération de Yulia Tymoshenko.
    Mon impression est que, plus on continuera de clamer « Libérez Yulia », plus celle-ci risque de rester en prison. Le président Yushchenko, durant sa présidence, et le président Yanukovych aujourd’hui, ont tous deux prouvé une chose: dès qu’ils entendent le nom Tymoshenko, rien d’autre n’a d’importance, que ce soit leur avenir politique personnel, les promesses de réforme, l’intégration européenne, l’opinion en Orient et en Occident, ou le contexte international personnel.
(1615)
    Comme j’étais journaliste, j’aimerais aussi dire quelques mots sur la liberté de la presse, en commençant par la bonne nouvelle, puisque nous en avons entendu une aujourd’hui, ce qui est devenu très rare.
    Tout d’abord, malgré les prévisions des experts, on diffuse toujours des débats politiques à la télévision ukrainienne, où des représentants du gouvernement et de l’opposition sont invités. Il y a aujourd’hui quatre émissions populaires de débats politiques sur les quatre chaînes populaires.
    Deuxièmement, on voit apparaître en Ukraine la même tendance que dans le reste du monde, où les nouveaux médias commencent à supplanter les médias traditionnels. De plus en plus d’Ukrainiens obtiennent leurs informations quotidiennes par les médias sociaux et les sites Web d’information, qui ont toujours été très populaires dans le pays. Le nombre d’usagers a augmenté par rapport aux années précédentes. Le dernier sondage montre que plus de 25 p. 100 des Ukrainiens utilisent quotidiennement le réseau Internet.
    Même les journalistes d’enquête les plus célèbres de l’Ukraine qui font des recherches sur la famille et les biens du président ne sont pas persécutés par le gouvernement.
    Je passe maintenant aux choses négatives. Il y a en Ukraine une forte tendance qui a pris naissance avec le président Kuchma et qui s'est maintenue depuis: les médias les plus populaires appartiennent aux oligarques ukrainiens, lesquels tiennent avant tout à être en bons termes avec les autorités. Au début, ils contrôlaient directement leurs organes de presse. Il était normal pour eux de téléphoner aux directeurs ou aux rédacteurs en chef des chaînes de télévision pour les menacer.
    La situation actuelle est ce que j’appelle la « berlusconisation » de l’Ukraine. Au fait, l'Italie et Berlusconi sont fréquemment donnés en exemple dans le dialogue avec l’Europe par le vice-premier ministre Khoroshkovsky, ex-directeur de la sécurité d’État et vrai propriétaire de la chaîne la plus populaire au pays.
    La principale tendance est que l’information politique a quasiment disparu de la télévision ukrainienne et des principaux organes de presse en général. Les nouvelles sont plus devenues des nouvelles de type tabloïde, parce que les directeurs de chaînes et les rédacteurs en chef évitent tout simplement d’aborder les questions controversées afin de ne pas irriter les propriétaires ou le gouvernement ukrainien. Je suis sûre que cela dépend en grande mesure de chaque directeur ou rédacteur en chef, certains d’entre eux étant tellement soucieux de conserver leur emploi qu’ils hésitent à provoquer les autorités.
    Merci, monsieur le président.
    Merci. Nous aborderons les autres sujets qui nous intéressent durant la période des questions.
    Nous allons passer aux questions en alternant entre le gouvernement et l’opposition.
    Je souhaite la bienvenue à Mme Latendresse à notre comité.
    Je veux poser une question à M. Kozak mais les autres témoins peuvent y répondre aussi.
    Dans un sens, la transition du régime communiste au régime démocratique en Ukraine et en Moldavie a été très similaire à ce qui s’est passé en Roumanie et en Bulgarie mais, comme on le constate aujourd’hui, l’Ukraine a quelque difficulté à continuer dans la voie tracée par la révolution.
    Croyez-vous que l’Europe a raté quelque chose en n’offrant pas une option claire à l’Ukraine et à la Moldavie? Croyez-vous qu’il est maintenant trop tard pour que l’Europe fasse quelque chose de concret afin d’aider l’Ukraine dans sa transition?
    Merci de votre question.
    Il n’est certainement pas facile d’y répondre. De grandes possibilités s’offraient à l’Ukraine pendant la Révolution orange, et même avant, après l’effondrement de l’URSS. Il y a peut-être deux raisons au fait qu’elles ne se sont pas matérialisées. Je pense qu’il faut admettre, comme le font les gens en Ukraine, que le leadership — ce qu’on appelle l’élite dirigeante — à l’époque de la Révolution orange n’a pas su saisir l'occasion. Les possibilités étaient là mais on n’a pas pris suffisamment de mesures concrètes.
    Par exemple, en qualité d’ex-officier militaire canadien — je suis à la retraite maintenant mais je parle d’expérience —, j’ai participé à diverses missions diplomatiques sous l’égide de l’OTAN. Après ma retraite, j’ai fait un peu de travail bénévole pour l’intégration euro-atlantique de l’Ukraine et on a alors entendu beaucoup de beaux discours du président Yushchenko et d’autres leaders de la Révolution orange, mais très peu de mesures concrètes ont été prises pour répondre aux besoins.
    J’estime que le leadership ukrainien n’a pas su saisir l'occasion et n’a pas réagi assez rapidement pour faire ce qu’il fallait afin d'intégrer le pays le plus vite possible à l’Europe.
    En contrepartie, je pense que l’Occident — l’Union européenne et l’OTAN — n’a pas non plus réagi adéquatement. Il a laissé passer l'occasion. Vous vous souvenez peut-être que, lors du sommet de Bucarest, sur la question de l’adhésion de l’Ukraine, par exemple, l’Allemagne et la France ont bloqué le plan d'action étudié et n’ont pas donné à l’Ukraine l’occasion d’adopter le plan d’adhésion à l’OTAN. Les excuses sont nombreuses. On peut parler des problèmes en Ukraine, de la démocratie, des droits de la personne, de la situation économique, etc.
    Voyez cependant les autres pays d’Europe de l’Est qui sont entrés dans l’OTAN — et il y en a beaucoup. Il y avait aussi bien des raisons de ne pas les accepter. Eux aussi avaient des problèmes de démocratie, de droits de la personne ou autres, mais l’Occident a quand même décidé de les attirer dans sa sphère d’influence — qu’il s’agisse de la Roumanie ou d’autres pays — et de leur imposer ensuite de force les valeurs démocratiques et les autres normes que l’OTAN et l’Union européenne apportent avec elles. Je crois que cela produit des résultats assez favorables. Je pense que l’Occident a eu aussi l’occasion de montrer à l’Ukraine ce qu’elle devait faire, et de lui indiquer qu’elle serait en fait bien accueillie, mais qu’il a laissé passer cette chance après la Révolution orange.
    Cela dit, je ne pense pas qu’il est trop tard. Je pense que même si le président Yanukovych, par exemple, affirme que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ne l’intéresse pas, chacun se souvient qu’il disait le contraire quand il était premier ministre. Il est donc possible qu’il change d’avis, et il est tout à fait possible que son successeur le fasse. Les Ukrainiens sont à l’évidence pro-Occident, et je pense qu’il est primordial que l’Occident et le Canada montrent aux Ukrainiens et aux forces démocratiques que l’Ukraine les intéresse, que l’Ukraine est un État européen, et que l’Occident fera tout ce qui est nécessaire pour s’assurer que l’Ukraine reste un État pro-Occident et démocratique.
    Merci.
(1620)
    Je pense avoir déjà entendu quelque chose de ce genre. Si jamais Mme Tymoshenko obtient la liberté, et ensuite M. Lutsenko et d’autres, pensez-vous que les négociations pourraient reprendre pratiquement là où elles ont été interrompues quand tout cela s’est produit?
    Pensez-vous qu’il y a toujours un espoir que ça s’améliore?
    Je le pense. Je crois que la réaction... Le mot qu’on emploie ici est « engagement ». Je sais que c’est très difficile. Il n’est pas facile pour les gouvernements démocratiques de l’Ouest de parler au gouvernement actuel de Yanukovych. Je crois qu’on parle d’engagement, d’engager le gouvernement, de lui dire qu’on souhaite l’entrée de l’Ukraine dans l’Europe — que ce soit le libre-échange avec le Canada ou avec d’autres intérêts que détient le gouvernement ukrainien — et de montrer que ces accords vont de pair avec les valeurs démocratiques, avec les principes de la démocratie, etc., avec les élections à venir. Je pense que c’est la manière d’engager le gouvernement.
    L’isolement est hors de question, à mon avis, car il aurait un effet négatif profond en poussant l’Ukraine dans la sphère d’influence russe. Cela ferait manifestement plus de mal que de bien du point de vue de la démocratie en Ukraine.
    Puis-je...?
    Je suis fondamentalement d’accord avec ce qui vient d’être dit, mais j’ajoute que tout processus de cette nature doit aussi être très focalisé sur la société civile, afin qu’elle le comprenne. La société civile ukrainienne appuie l’Occident. Elle a aussi connu toutes les années de la Révolution orange et elle sait que ses chefs ont beaucoup de choses à se faire reprocher.
    En revanche, il faut bien dire que l’Europe n’a jamais vraiment fait quoi que ce soit de très précis. On a entendu beaucoup de belles paroles, ce qui était tout à fait merveilleux, mais aucune proposition vraiment concrète. À l’heure actuelle, je pense que nous avons une situation où l’engagement... Il y a d’une part l’engagement et, d’autre part, une situation qui est vraiment — je cherche le bon mot — une impasse, puisqu’il ne peut pas y avoir d’accord s’il y a des prisonniers politiques. Il ne peut pas y avoir d’accord s’il y a de graves problèmes de droits de la personne.
    Il faut donc qu’il y ait une sorte de compréhension, au moins dans la population, de ce que signifient les élections de cette année. Elles signifient que, oui, il y a une option de soutien de l’Occident: de soutien canadien, de soutien américain et de soutien européen. Toutefois, cela exige un engagement réel envers la démocratie.
(1625)
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant au côté gouvernemental avec M. Dechert. Si je comprends bien, il partagera son temps de parole avec M. Hawn.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, mesdames et messieurs, d’être ici aujourd’hui pour nous communiquer ces informations importantes.
    Je crois que tous les Canadiens s’intéressent de très près à la situation en Ukraine. Comme je pense que vous le savez, beaucoup, beaucoup de Canadiens ont des liens familiaux avec l’Ukraine, et les liens entre nos deux pays remontent à plus d’une centaine d’années. Il est très important pour nous de voir que l’Ukraine fait de vrais progrès sur le plan de la démocratie. Nous étions tous très enthousiastes à l’époque de la Révolution orange mais, aujourd’hui, nous avons l’impression qu'on fait marche arrière.
    J’ai quelques questions à vous poser, après quoi je céderai la parole à M. Hawn.
    Tout d’abord, monsieur Rybachuck, vous avez parlé de Viktor Yushchenko et du fait qu’il a peut-être été empoisonné. Nous nous sommes laissé dire que Yulia Tymoshenko ne va pas bien. Elle est apparemment très malade aujourd’hui dans sa prison. Vous savez peut-être qu’une équipe de médecins canadiens, accompagnés de médecins allemands, lui a récemment rendu visite avec l’appui du gouvernement canadien.
    Pensez-vous que ce qui est arrivé à M. Yushchenko est en train de se reproduire avec Yulia Tymoshenko?
    Merci, monsieur Dechert.
    Non, dire cela ne serait que pure spéculation, car j’estime personnellement que l’empoisonnement de Viktor Yushchenko n'a pas été planifié et exécuté en Ukraine, ou pas seulement en Ukraine. En ce qui concerne Mme Tymoshenko, c’est une affaire purement intérieure. C’est irrationnel; c’est du suicide politique. Ce que fait le président Yanukovych n’a rien de logique. Ça n’est absolument pas logique. C’est une sorte d’obsession personnelle. C’est politiquement suicidaire, comme je l’ai dit, mais il me serait difficile d’imaginer qu'il y a là une source d’influence externe. C’est de la stupidité ukrainienne naturelle.
    Vous pensez que c’est strictement intérieur à l’Ukraine? Avez-vous des informations sur son état de santé? Pensez-vous que les informations selon lesquelles sa maladie aurait été causée par une tierce partie sont vraies?
    Vous parlez de Yulia Tymoshenko?
    Oui, de Yulia Tymoshenko. L’un de nos quatre témoins a-t-il un avis à ce sujet?
    Je le répète, ce serait purement spéculatif.
    Très bien. Je pense que nous aurons peut-être d’autres témoins dans une autre réunion qui auront plus d’informations à ce sujet.
    Que pensez-vous de l’idée que Mme Tymoshenko puisse être remise en liberté pour aller se faire soigner dans un pays occidental? Pensez-vous que ce serait une bonne idée? La population ukrainienne y serait-elle favorable?
    C’est à moi que vous posez la question, monsieur Dechert?
    À vous tous.
    Tout d’abord, comme vous le savez, le gouvernement canadien a fait plus que le nécessaire pour que des médecins aillent examiner Mme Tymoshenko. Selon mes informations, le gouvernement ukrainien n’a pas beaucoup apprécié cette initiative. Leur crédibilité a été remise en question, je suppose, et on ne les a pas autorisés à faire un examen médical complet. Donc, avant toute chose, je pense qu’il serait probablement logique qu’on les autorise à faire un examen complet pour obtenir des conclusions fermes, par un spécialiste, sur son état de santé. On verra ensuite ce qu’il faut faire mais, pour le moment, tout ce que je pourrais ajouter à ce sujet ne serait que spéculatif.
    D’accord.
    Vous savez que le premier ministre du Canada et notre ministre des Affaires étrangères ont fait des déclarations assez importantes l’an dernier sur le fait que le procès, la condamnation et l’incarcération de Yulia Tymoshenko avaient apparemment des motivations politiques. Croyez-vous que cela a eu un impact en Ukraine et a exercé une pression sur le gouvernement ukrainien? L’un d’entre vous peut-il d’abord nous dire si les Ukrainiens ont eu connaissance de ces déclarations? Pensez-vous qu’elles ont eu un effet bénéfique?
    Qui voudrait... Madame Coynash ou madame Hetmanchuk?
(1630)
    Je crains malheureusement que très peu de personnes en aient eu connaissance en Ukraine. Je doute que les autorités ukrainiennes y aient prêté beaucoup d’attention. À mon avis, les États-Unis sont le seul pays susceptible d’exercer une influence très réelle sur les autorités ukrainiennes. C’est le seul pays qui détient un pouvoir réel à ce sujet.
    Cela reflète peut-être un point de vue politique sur les États-Unis. Je n’en ai aucune idée.
    Quant à savoir si la population ukrainienne a pris connaissance de ces déclarations, je crois que les personnes qui n’utilisent pas Internet n’ont pas pu les connaître, car la télévision fausse totalement l’information. J’ai personnellement été au courant et j’ai écrit à ce sujet, mais seulement pour les organes de presse qui autorisent ce genre d’information. Les gens n’ont pas entendu parler de la condamnation ni de ce qui se passe, je tiens à le souligner vigoureusement. L’un des problèmes a souvent été que l’Occident veut formuler de vives critiques, mais dire en même temps des choses positives. Évidemment, les médias et les chaînes de télévision, qui sont très fermement sous la coupe du gouvernement, diffusent très largement les félicitations, les poignées de main et tout cela, mais pas la condamnation elle-même. Voilà le grand danger.
    Il n’y a pas de liberté de la presse en Ukraine?
    Il y a une absence totale de liberté de la presse, à mon avis. Oui, l’information est totalement faussée.
    L’autre problème, et je termine rapidement sur le sujet de Yulia Tymoshenko, c’est que, même parmi les défenseurs des droits de la personne... Je pense qu’on a été dans une certaine mesure étonné, voire indigné, que l’Occident réagisse aussi fortement à l’affaire Tymoshenko alors qu’il y a tant d’autres problèmes appelant une réaction. Certes, je sais que vous avez de nombreux autres problèmes au Canada mais, en Ukraine, les gens constatent qu'il y a d’autres poursuites à motivation politique, d’autres violations flagrantes des lois.
    Merci beaucoup.
    Je cède la parole à M. Hawn.
    Merci. Monsieur Hawn, vous pourrez intervenir au tour suivant.
    Nous passons maintenant à un représentant de l’opposition.
    Monsieur LeBlanc, vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président, et merci aux témoins. Nous venons de passer une heure très intéressante. J’apprécie beaucoup les informations que vous nous avez données et la franchise avec laquelle vous vous êtes exprimés. Cela nous est très utile et j’espère que la télédiffusion de cette séance aidera les Canadiens à comprendre et à appuyer le gouvernement et les parlementaires qui exhortent l’Ukraine à changer d’orientation. Merci aussi à vous qui avez parfois fait un long voyage pour venir nous voir. Je vous en suis très reconnaissant.
    J’ai trois questions à poser, si nous en avons le temps. Tout d’abord, madame Hetmanchuk, vous n’avez pas pu terminer votre déclaration. Le président vous a coupé la parole de manière très brutale, je pense. J’ai trouvé ça terrible.
    Des voix: Oh, oh!
    L’hon. Dominic LeBlanc: Vous n’avez pas eu le temps de terminer ce que vous disiez sur la liberté de la presse. Or, dans une démocratie, la liberté de la presse, l’accès à des voix indépendantes, c’est très important. J’ai trouvé intéressant ce que vous nous avez dit des nouveaux médias, des médias sociaux, et du fait que c’est de cette manière que beaucoup d’Ukrainiens, selon votre expérience d’ancienne journaliste, obtiennent leurs informations, mais les médias sociaux peuvent aussi être manipulés. Il est souvent plus facile de manipuler les médias sociaux que la presse traditionnelle, mais je sais qu’il y a un vrai problème de concentration des médias, de censure, et du fait que les propriétaires des médias ne veulent pas risquer d’offenser les détenteurs du pouvoir. J’aimerais vous demander si vous avez le sentiment que les Ukrainiens ont la possibilité d’obtenir des informations justes et objectives? Ce que vous avez dit des débats télévisés était intéressant. Y a-t-il d’autres voix indépendantes qui se font entendre dans les grands organes de presse? Je me demande si vous avez des suggestions à faire sur ce que le Canada — les autorités canadiennes ou la société civile canadienne, les groupes canadiens — pourrait faire pour oeuvrer avec des partenaires en Ukraine afin d’accroître ou d’aider à fournir de l’information non tendancieuse aux citoyens ukrainiens?
(1635)
    Je pense que beaucoup d’Ukrainiens ont la possibilité d’obtenir des informations non tendancieuses, à la fois des nouveaux médias... Vous savez, il y a une différence en Ukraine entre ce qu’on appelle les sites Web d’information politique et les médias sociaux. Les deux secteurs sont vraiment indépendants.
    Je n’ai jamais entendu dire que le gouvernement ait tenté d’influencer les sites Web politiques les plus populaires, mais j’ai entendu parler d’efforts déployés par le gouvernement pour se faire des amis parmi les rédacteurs et les journalistes de ces sites Web politiques ou des blogues populaires. Le premier ministre Azarov lui-même, qui est un politicien de type très soviétique, invite les blogueurs célèbres à discuter de leurs activités.
    De plus en plus de ministres ont commencé à utiliser Twitter. Par exemple, le fil de discussion Twitter du ministre des Affaires étrangères est très populaire chez les expatriés et parmi les têtes d’affiche de la société civile. Je pense que c’est beaucoup plus populaire que ses déclarations officielles.
    Que pourrait faire le Canada? C’est une bonne question. Je pense que le Canada pourrait aider les ONG qui s’intéressent aux problèmes des médias, peut-être en organisant une formation pour les journalistes. Mon institut s’occupe de politiques publiques. Nous avons mis sur pied un groupe des médias, un club des médias, à l’intention des journalistes, et nous essayons aussi de les éduquer un peu, de leur expliquer comment couvrir l’actualité.
    Il y a un autre problème aujourd’hui en Ukraine. Beaucoup de journalistes sont devenus très pragmatiques, à mon avis, voire cyniques. Beaucoup touchent des enveloppes, pas seulement de politiciens favorables au gouvernement mais aussi de politiciens de l’opposition. Tout le monde essaie de survivre. C’est aussi un problème.
    Je crois que de bons instructeurs canadiens seraient très utiles dans cette situation.
    Merci.
     Il nous reste très peu de temps.
    M. Rybachuk et plusieurs autres parmi vous ont parlé des élections qui se tiendront à l’automne. Il y a des questions de transparence à ce sujet et, bien sûr, les processus électoraux sont importants.
    Je me demande, à un niveau élémentaire, comment on peut avoir des élections libres, transparentes et justes quand les chefs de l’opposition sont en prison. Il me semble antinomique de parler d'élections quand la personne susceptible de gagner est sous les verrous. Je pense que le maire de Boston s’était fait réélire de sa prison, il y a quelques années, mais ça n’arrive pas souvent.
    C’est l’un des problèmes mais, du point de vue de l’électorat, le plus gros problème est qu’il n’y a pas eu beaucoup de possibilités d’avoir une opposition de qualité différente au cours des 10 à 15 dernières années. C’est un cercle vicieux. Si vous voulez faire de la politique, vous avez besoin d’argent. Or, l’argent est concentré dans une douzaine de familles. Ces familles les plus riches financent le gouvernement et l’opposition en même temps. Quand vous arrivez au pouvoir, si vous vous faites élire, vous n’avez pas le moyen de faire ce que vous aviez promis. On s’attend à ce que vous promettiez des réformes, mais la dernière chose que veulent ceux qui vous ont donné de l’argent, ce sont des réformes. Ils veulent revoir leur argent. C’est donc un cercle vicieux.
    La seule manière de sortir de cette impasse entre l’argent et la morale est d’exiger que les politiciens rendent des comptes. Nous avons établi six critères démocratiques, qui représentent un minimum, mais l’opposition, qui prétend être le gouvernement de remplacement, hésite à s’engager à ce sujet. Vous savez pourquoi? Parce qu’elle agit déjà de la même manière. Elle prend de l’argent. En contrepartie, elle place certaines personnes dans ses campagnes. Si elle prenait le pouvoir, ce serait toujours la même histoire. Il y a un mot spécial à ce sujet en ukrainien, qui s’applique aux gens qui changent immédiatement de position. Ils arrivent au parlement comme représentants de l’opposition, mais ensuite ils sont au gouvernement.
(1640)
    Ça s'appelle retourner sa veste, je crois.
    Une voix: Ou trahir son parti.
    Oui, ces vire-capot sont tout un problème.
    Au fait, puisque nous parlions de Mme Tymoshenko, je me trouvais là-bas lorsque le tribunal a rendu son verdict. J’étais dans la rue. Mon bureau se trouvait près du tribunal, sur la rue Kreschatik. Il y a eu alors 2 000 à 3 000 manifestants qui sont descendus dans la rue. Elle avait l’appui de 14 millions de personnes. À Kiev, elle n’avait que 40 p. 100 d'appui, et Kiev a trois millions d’habitants. Si une petite partie de ces gens descendait dans la rue, cela aurait un effet. C’est le prix de ce genre de politique, où l’opposition n’est pas très différente du gouvernement. Les gens ne lui font pas confiance et ne l’appuient pas. Ce n’est pas tant de soutien extérieur qu’ont besoin les politiciens, pour ne pas être en prison ou pour sortir de prison, mais plutôt de soutien intérieur.
    Merci.
    Monsieur Hawn.
    Merci, monsieur le président.
    Dobry den moi ukrains'kyy druzi.
    C’est un plaisir de vous avoir avec nous.
    Je voudrais parler de l’influence de Vladimir Poutine.
    Ah, ce cher ami Poutine! Oui, d’accord...
    Des voix: Oh, oh!
    Monsieur Kozak, dans quelle mesure a-t-il toujours tiré les ficelles en Ukraine? Y a-t-il une montée progressive de son influence? Jusqu’où croyez-vous qu’il pourrait aller pour ramener l’Ukraine dans la CEI?
    Merci de cette question, monsieur. Elle est très pertinente, vraiment. L’Ukraine et la Russie sont liées l'une à l'autre depuis des siècles, et leurs relations ont connu des hauts et des bas.
    En ce qui concerne M. Poutine, nous ne saurons jamais en détail tout ce qui se fait en coulisse. Après tout, il vient du KGB et il sait comment orchestrer ces choses-là, mais je pense qu’il y a beaucoup d’exemples de ce qu’il a fait pendant plusieurs années pour ramener de force l’Ukraine dans sa sphère d’influence. Il suffit de voir comment il a fermé le robinet du gaz naturel en plein hiver. C’était du chantage sous sa plus belle expression. Il y a aussi l’effet supplémentaire des pressions exercées sur l’Europe, et ensuite des pressions exercées par l’Europe sur l’Ukraine, parce qu’elle doit bien protéger ses propres intérêts économiques et géopolitiques.
    Je pense qu’il a exercé une influence pendant la Révolution orange. Il a tenté d’intervenir pendant les élections. Je pense qu’il influence l’Ukraine en ayant sa flotte dans la mer Noire, et il y a eu un certain nombre d’incidents d’agents de sécurité et d’officiers militaires russes transgressant les droits des Ukrainiens.
    Vous accueillerez mercredi M. Nalyvaichenko, l’ex-directeur du service de sécurité de l’Ukraine. Je pense qu’il sera mieux à même de répondre à vos questions sur ces violations.
    Comme l’a dit M. Rybachuk, maintenant que M. Poutine a officiellement repris le pouvoir, ce n’est un secret pour personne que l’Ukraine, qu’il considère comme sa voisine à l’étranger, sera ramenée dans sa sphère d’influence. Il veut détacher l’Ukraine de l’Occident. Il fait maintenant des pressions sur l’Ukraine au sujet du gazoduc, en essayant de prendre le contrôle de ses ressources.
    En bref, la pression est énorme et je pense qu’elle s’exerce dans plusieurs directions, sous plusieurs formes, aussi bien économiques que politiques ou sociales, et je ne parle même pas des agents d’influence.
    Une voix: La religion.
    M. Ihor Kozak: Exactement.
    Vous m’avez aussi demandé jusqu’où il pourrait aller. Je n’ai évidemment pas de boule de cristal mais, si vous prenez l’exemple de la Géorgie, vous pouvez voir à quelle vitesse il a commencé une guerre qui a dégénéré au-delà de toute proportion, nonobstant les interventions de l’Occident, de l’OTAN, etc. Considérant qu’il est déjà en Ukraine avec des forces militaires dans la mer Noire, je pense qu’il lui serait très facile de concocter une sorte de provocation, voire même de lancer une invasion militaire pure et simple, si nécessaire, s’il n’arrivait pas à ses fins autrement.
    Je crois qu’il est donc primordial que le Canada, ses alliés occidentaux et l’OTAN attirent plus fermement l’Ukraine dans leur sphère d’influence et s’assurent que cette région ne soit pas déstabilisée.
(1645)
    Ça fait peur.
    Monsieur Rybachuk, est-ce que cela constitue le plus gros problème auquel l’Ukraine et l’Occident ont eu à faire face dans les négociations pour amener l’Ukraine potentiellement dans l’OTAN, dans l’Union européenne? Il est évident que la Russie aurait du mal à accepter l’arrivée de l’OTAN à sa porte. Donc, si l'on veut faire entrer l’Ukraine dans l’Union européenne, nonobstant tout ce qui peut se passer d’autre en ce moment, ne vaudrait-il pas mieux négocier avec la Russie plutôt qu’avec... Nous devrons évidemment négocier avec l’Ukraine mais je pense qu’il est peut-être tout aussi important de négocier avec la Russie.
    Je suis souvent allé là-bas. De fait, je suis la personne à qui M. Poutine a personnellement adressé une mise en garde — j’étais alors chef de cabinet du président Yushchenko — lors d’une réunion avec lui, en disant: « Nous allons couper le gaz, et ce n’est pas du bluff. Dites simplement à votre président que c’est très sérieux. » J’ai donc eu mon expérience personnelle.
    Je peux vous dire une autre chose. M. Yanukovych a beaucoup de mal à établir une bonne relation avec M. Poutine. Vous auriez dû voir le langage gestuel de M. Poutine quand nous discutions de M. Yanukovych. Pour M. Yanukovych, le président actuel, qui avait fait campagne sur l’établissement d’une meilleure relation avec la Russie, le fait que M. Poutine soit revenu au pouvoir comme président n’annonce rien de bon du tout. Il y aura donc de sérieux problèmes de relations personnelles, en plus du reste.
    Quant à la position de l’Union européenne, il est clair qu’il y a deux facteurs à considérer à ce sujet. Si vous vous souvenez, nous avions une belle occasion après la Révolution orange, mais il y a eu ensuite le référendum en France, et le référendum aux Pays-Bas sur la Constitution, puis une crise au sein du gouvernement Orange, avec Yulia Tymoshenko, crise qui ne s’est jamais terminée. Les opposants à notre processus d’intégration en ont profité pour le bloquer.
    Très franchement, j’ai toujours déclaré à Moscou et ailleurs que, lorsque les diplomates russes affirment qu’ils voient d'un bon oeil nos aspirations européennes, mais qu’ils s’opposent fermement à l’OTAN... J’ai toujours dit ça n’a aucun sens. Dès que l’intégration à l’Union européenne deviendra une possibilité réelle, leur discours sera différent.
    Vous vous souvenez peut-être que le ministre russe de la politique étrangère, le premier ministre russe et le président ont tous déclaré que mettre l’Ukraine dans une association politique ou dans un accord de libre-échange irait à l’encontre des entités juridiques ou des intérêts russes. Ils considèrent clairement que notre intégration à l’Occident menace leur intérêt national, et ils ne s’en cachent pas.
    M. Poutine a annoncé que la CEI, très précisément l’Ukraine et le projet eurasiatique, est sa priorité absolue et qu’il va s’y concentrer. Sa première déclaration après sa réélection a été que sa priorité est la CEI et, au sein de la CEI, l’Ukraine.
    Merci beaucoup.
    Nous retournons maintenant à l’opposition.
    Madame Laverdière.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
     Je remercie les témoins qui sont parmi nous aujourd'hui. J'aimerais d'abord m'excuser d'être arrivée un peu en retard. Les médias sont très vivants, ici. Je ne voudrais pas trop m'en plaindre, mais ce sont eux qui m'ont retenue.
    J'ai tout de même pu entendre, avec beaucoup d'intérêt, une bonne partie de vos présentations. J'ai remarqué en particulier le commentaire de M. Kozak selon lequel la démocratie ne se crée pas du jour au lendemain; ça prend du temps.
    Comme on le sait, un des éléments essentiels d'une démocratie saine et vivante, c'est la société civile. C'est pourquoi j'aimerais que vous nous parliez de l'organisation de la société civile en Ukraine.
     Merci.
(1650)

[Traduction]

    Merci de votre question, madame. J’y répondrais volontiers, mais je crois que les autres témoins présents à cette table sont probablement plus qualifiés que moi pour le faire. Ils viennent directement de l’Ukraine. Ils sont très actifs dans la société civile de l’Ukraine et je pense qu’ils sont mieux à même que moi de répondre à votre question.
    La société civile est encore beaucoup plus forte et plus active en Ukraine que dans les pays voisins. Paradoxalement, deux années de présidence Yanukovych ont donné une deuxième vie à la société civile en Ukraine, je crois.
    Il y a de solides mouvements de la société civile. Oleh Rybachuk en représente une, le mouvement New Citizen. Il y a beaucoup de solidarité entre les différents militants de la société civile, entre les différents groupes de la société civile, pas seulement à Kiev mais aussi dans les régions. Je tiens d’ailleurs à souligner, comme je l’ai déjà dit, que la société civile en Ukraine joue à toutes fins utiles le rôle d’opposition parce que l’opposition ukrainienne d'aujourd’hui n’est pas unie, qu'elle est très faible et qu'elle se préoccupe avant tout d’obtenir la libération des prisonniers politiques, des chefs de l’opposition. C’est donc une force réelle et influente, et je crois qu’il serait excellent que le Canada aide la société civile ukrainienne à stimuler le secteur des ONG et les instituts de réflexion indépendants de l’Ukraine.
    J'abonde tout à fait dans le même sens, mais j'ajouterais qu’une des choses que mon organisation, le Kharkiv Human Rights Protection Group, et le Groupe d’Helsinki ukrainien font avec New Citizen et d’autres est d’essayer de consolider ce travail de la société civile et de créer des réseaux pour que les gens ne soient pas... Il y a beaucoup de situations dans lesquelles le gouvernement a simplement aboli les programmes.
    Par exemple, il y avait des choses très intéressantes qui se faisaient sous l’ancien régime, celui de Youri Lutsenko, en collaboration avec la police pour essayer de lutter contre l’impunité policière, de combattre la violence et la torture à l'intérieur des forces de police. Tout ça a été interrompu au niveau du gouvernement, et la société civile, probablement avec l’appui de quelqu’un mais pas de politiciens, a en fait réussi à préserver cela dans une certaine mesure. Il y a donc des visites dans les postes de police et on essaye de surveiller la violence commise par la police, car la situation empire. Ce genre de réseau, ce genre d’activité, est absolument vital, et tout ce qui pourra l’appuyer et en faire la publicité sera merveilleux. C’est très important.
    Merci.
    Voulez-vous ajouter brièvement quelque chose, monsieur Rybachuk? Nous sommes presque à la fin de cette intervention, mais je vous laisse le temps de répondre.
    Oui, car je viens juste de rentrer au Canada après une tournée dans 24 grandes villes ukrainiennes, partout dans le pays, pour organiser des unités de coordination de Honnêteté, le mouvement parlementaire, et je peux vous dire que nous avons été rejoints par probablement plus de 150 ONG. J’insiste sur le fait que c’est dans tout le pays. C’est comme un système nerveux existant dans des groupes Google, grâce aux nouveaux médias, et cela nous permet d’avoir confiance, d’avoir le sentiment que nous nous entraidons.
    Mon impression est que la société civile n’est pas déprimée. Les gens sont prêts à agir partout en Ukraine. Je me joins simplement à mes collègues, non pas pour formuler une demande mais plutôt pour donner un conseil, qui est qu'il faut appuyer la capacité institutionnelle des réseaux de la société civile. C’est une chose qui pourrait déboucher sur une vie politique plus saine en Ukraine. Hélas, nous avons 200 partis, mais sans grandes promesses ou différences de l’un à l’autre. On peut par contre espérer quelque chose de différent de la société civile. C’est un processus très sain qui s’est mis en marche là-bas.
(1655)
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant à M. Bezan.
    Je vous souhaite la bienvenue, monsieur. Vous avez cinq minutes.
    Merci, monsieur le président. Je suis heureux de pouvoir me joindre au comité aujourd’hui.
    Je tiens à remercier tous les témoins de leur contribution très franche et directe à ces audiences.
    Je suis fier de faire partie d’un gouvernement qui, il y a deux décennies, a fait du Canada un soutien tellement ardent de l’Ukraine, en commençant par la reconnaissance de son indépendance par Brian Mulroney en 1991. J’étais fier de faire partie de la délégation officielle qui s'est rendue là-bas dernièrement sous la direction du premier ministre Stephen Harper.
    En outre, bien sûr, le Parlement et le gouvernement ont appuyé mon projet de loi visant à reconnaître l’holodomor comme un génocide. Comme vous le savez, le mal dont souffre l’Ukraine aujourd’hui résulte de ce génocide, l’holodomor. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est que les Russes qui ont été amenés là-bas pour remplacer tous les millions d’Ukrainiens tués influent sur tout le processus politique en s'appuyant sur l’ethnicité plutôt que sur le bien de l’Ukraine.
    J’étais là-bas lors des dernières élections présidentielles. Je suis allé à Bila Tserkva et à Kiev où j’ai vu les manigances auxquelles certains se livraient. Comme beaucoup de mes compatriotes de la communauté ukrainienne qui sont ici aujourd’hui, j’ai été choqué par la manière dont les élections se sont déroulées. Il n’y avait pas de reddition de comptes. Il n’y avait aucune transparence en ce qui concerne l’inscription sur la liste des candidats. J’attendais avec optimisme certaines des réformes dont vous avez parlé, notamment en ce qui concerne un système de représentation plus directe, mais, considérant la manière dont cela a été présenté et dont les choses évoluent, on doit s’interroger sur la constitutionnalité de tout le processus.
    J’étais là avec le premier ministre, ainsi que nos collègues au fond de cette salle, pour voir comment la presse avait déjà été mise à la botte du régime Yanukovych. Essentiellement, lorsque le premier ministre Harper et notre groupe ont quitté la tombe du soldat inconnu, où nous avions déposé une gerbe, pour se rendre à pied au site du mémorial de l’holodomor, à très courte distance, la presse locale est partie. Elle n’était pas bienvenue sur ce site. Seuls les journalistes canadiens sont restés. Ce fut la même chose à Lviv, lorsque le premier ministre a déclaré avec fermeté que l’holodomor était un génocide. Aucun journaliste local n’avait été autorisé dans la salle. Il n’y avait que des journalistes canadiens. On peut donc déjà voir cette influence.
    J’ai maintenant quelque chose à vous demander. Le Canada a signé plusieurs ententes avec l’Ukraine, comme l’entente de mobilité des jeunes. Nous négocions actuellement un accord de libre-échange. Nous avons des ententes sur les transactions financières. Je connais la position des Canadiens ukrainiens sur l’idée de maintenir le gouvernement engagé. La question que je voudrais poser à nos témoins... Nous nous plaignons des mesures qui ont été prises au sujet de la liberté de la presse, au sujet des droits de la personne et au sujet d’un processus démocratique libre et transparent, mais tout le monde dit qu’il ne faut pas imposer de sanctions.
    Si vous pensez comme moi... M. Yanukovych et son entourage ministériel se disent probablement: « Regardez ce que nous avons déjà réussi à faire: nous avons mis Mme Tymoshenko en prison, nous avons mis M. Lutsenko en prison. Voyons maintenant qui d’autre nous pourrions mettre sous les verrous. Nous allons nous débarrasser de toute notre opposition politique, nous allons nous débarrasser de la liberté de la presse, et nous allons nous débarrasser des droits et libertés individuels. » Et personne ne dit rien! À mon avis, si nous n’imposons pas de sanctions, nous les récompensons. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
    Allez-y, madame Coynash.
    Je serais ravie d’en parler. Je suis tout à fait d’accord avec vous car je pense aussi que toute déclaration permettant à M. Yanukovych et à ses acolytes de penser qu'ils ont réussi à s'en tirer est extrêmement dangereuse.
    J’ajoute simplement qu’en plus de Mme Tymoshenko et de M. Lutsenko, dont tout le monde parle, il y a une autre personne, qui était manifestement un candidat aux élections parlementaires, M. Avakov, de Kharkov — il en était le gouverneur — qui a récemment été mis sur la liste internationale des personnes recherchées et qui ne retournera certainement pas en Ukraine pour participer à des élections durant lesquelles il aurait certainement été élu au parlement.
    Si c’est comme ça qu’ils veulent mener la bataille électorale, il est clair que l’engagement est problématique. Oui, il faudrait peut-être imposer certaines sanctions, mais le problème des sanctions est qu’on doit s’assurer qu’elles s'appliquent aux bonnes personnes.
(1700)
    Ou plutôt aux mauvaises.
    Oui, vous avez raison, qu’elles touchent les mauvais. Excellente correction.
    Il faut frapper les mauvais, et les frapper fort, plutôt que s’attaquer simplement au juge. Certes, nous savons depuis Nuremberg qu'obéir aux ordres est mauvais mais, en revanche, si nous savons que les gens qui ont infligé des sentences à Mme Tymoshenko et à M. Lutsenko n'ont fait qu'exécuter des ordres, alors la justice pour le meurtre de Gueorgui Gongadzé... Nous devons vraiment trouver des sanctions qui feront mal à ces personnes, à ceux qui ont donné les ordres.
    Oui, je pense que des sanctions sont peut-être bien nécessaires.
    C’est tout le temps que nous avons.
    Nous allons entamer le tour suivant en commençant avec M. Opitz. Bienvenue au comité, monsieur.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tout d’abord nos témoins. Plusieurs d’entre vous êtes venus de loin. Merci à la diaspora ukrainienne du Canada qui est incroyablement forte et qui fait entendre sa voix sur cette question. La League of Ukrainian Canadians a certainement été un chef de file, tout comme le congrès, tout comme les Amis canadiens de l’Ukraine, et tant d’autres.
    J’aimerais remercier M. Kozak, un ancien frère d’armes, d’être ici. Nous sommes tous les deux à la retraite. Il a fait un travail remarquable pour le Canada à l’OTAN, et il a même été élu une fois comme l’un des 10 ou 25 immigrants les plus remarquables du Canada. Il a fait preuve de leadership au sein de sa communauté.
    Je tiens à vous en remercier très sincèrement.
    J’ai peu de temps, alors que j’aimerais parler de tant de choses: d’énergie, des ressources naturelles de l’Ukraine, du gaz naturel, et de la possibilité pour l’Ukraine de maîtriser son avenir grâce a ses ressources naturelles. Toutes ces questions sont très importantes. Il y aurait certainement beaucoup à dire sur la présence de soldats russes en sol ukrainien. Les journalistes et les universitaires, comme on l’a vu, peuvent être intimidés et forcés de changer de position.
    Il est certain que les ONG canadiennes, comme celles que j’ai mentionnées, ont eu une profonde influence, autant au Canada qu’en Ukraine. Elles ont fait un travail énorme.
    Je vais vous poser quelques brèves questions en vous demandant d’être aussi brefs que possible dans vos réponses, car j’aimerais pouvoir en poser plusieurs.
    En ce qui concerne les élections à moyen et à long terme, que pourrait faire le Canada pour que les élections soient irréprochables à moyen et à long terme?
    Vous pourriez peut-être répondre, monsieur Rybachuk.
    Comme Tom Cruise, la réponse la plus courte est: mission impossible.
    Des voix: Oh, oh!
    Très bien.
    Qu’en pensez-vous, monsieur Kozak?
    En fait, je ne partage pas cet avis. C’est probablement la première fois que je ne suis pas d’accord avec M. Rybachuk.
    La mission est possible. Tout est possible. Je pense qu’une solution est l’engagement — c’est bien triste. Tout d’abord, faisons savoir sans ambages et clairement au président Yanukovych et à son entourage que le monde regarde, que le Canada regarde, et que tout ce qu’il négocie, y compris l’accord de libre-échange, est sur la table et pourrait être remis en question. La première chose, et la plus importante, est de le lui faire savoir avant les élections.
    Deuxièmement, je pense qu’il est important d’envoyer des observateurs en Ukraine.
    Troisièmement, je crois qu’il est important d’appuyer les organisations démocratiques en Ukraine parce qu’elles sont sur le terrain, qu’elles savent ce qu’elles font, qu’elles connaissent le système, qu’elles savent comment s'y retrouver, et qu'elles pourront nous dire la vérité. Voyez ce qui s’est passé en 2004-2005: les gens disaient qu’il était impossible d’empêcher la falsification avant la Révolution orange. Eh bien, ils se trompaient, puisque nous avons réussi à changer le cours de l’histoire à ce moment-là.
    Si c’est arrivé une fois, ça peut arriver encore. Il ne faut pas renoncer.
    Excellent. Merci.
    Madame Hetmanchuk, qui sont les députés en Ukraine? Est-ce que n’importe qui peut être candidat aux élections? Qui sont généralement les personnes au parlement?
    Qui peut...
    Qui est le député typique en Ukraine?
    C’est une question très intéressante car, avec ce système de listes de partis, nous avons eu beaucoup de personnes très intéressantes, de personnes très étranges, au Parlement. Selon le dernier sondage d’opinion, 40 p. 100 des députés d’aujourd’hui seront à nouveau candidats aux prochaines élections.
    C’est une bonne statistique car elle montre que tout le monde n’est pas nécessairement prêt à participer. Ce n’est un secret pour personne que nous avons eu dans différentes listes de partis des gens comme des chauffeurs, des assistants ou des agents de sécurité —des gardes du corps, en fait. Et je ne parle pas seulement des listes du Parti des régions mais aussi des listes des partis d’opposition. C’est la raison pour laquelle on a vu tant de gens retourner leur veste ces dernières années. C’est ce que nous appelons des tushkey.
    En outre, tous les gens d’affaires comprennent que leur sécurité personnelle pourrait être menacée sans immunité politique. Évidemment, beaucoup de gens d’affaires sont aussi intéressés à entrer au parlement.
(1705)
    C’est tout le temps que nous avons, monsieur Opitz.
    C’est maintenant au tour de Mme Latendresse, pour cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je m’adresse à M. Rybachuk. Il y a quelques années, dans une entrevue, vous laissiez entendre que la retraite politique éventuelle des trois principaux acteurs politiques — MM. Yuschenko et Yanukovych et Mme Tymoshenko — pourrait être un événement positif. J’aimerais savoir si vous pensez toujours que le renouvellement complet de tout l'échiquier politique devrait se produire maintenant.
    Sur les trois, il y en a deux qui sont déjà à toutes fins utiles hors jeu. Je veux parler de M. Yuschenko et de Mme Tymoshenko. Et c’est essentiellement parce qu’ils ont passé tellement de temps à se chamailler que M. Yanukovych est devenu président.
    Le fait est que M. Yanukovych a été élu président et qu’il a fait encore mieux que M. Yuschenko puisqu'il ne lui a fallu que deux ans pour perdre la confiance de l’électorat. Rien que deux ans. Ça veut dire que c’est probablement le prochain à partir. Le problème n’est cependant pas les personnalités. J’insiste à nouveau sur le fait que, si l’on ne change pas l’attitude des électeurs, si les gens élisent des politiciens sans avoir vérifié leur adhésion aux valeurs démocratiques fondamentales, comme nous essayons de nous en assurer durant cette campagne, rien ne changera.
    Le problème fondamental est qu'on ne rend pas de comptes. Nous avons lancé divers projets, comme Vladometr, qui veut dire « vérifier le pouvoir », pour mettre toutes les promesses des politiciens sur Internet. Nous avons recensé plus de 3 000 promesses de politiciens différents et, chaque fois qu’il y a des élections, nous les leur rappelons. L’objectif principal de notre mouvement est d’influencer la population pour qu’elle change d’attitude. Au lieu de se dire « j’aime ou je n’aime pas cette personne », nous voudrions qu’elle fasse un choix éclairé et conscient sur la base des six critères de valeurs que nous souhaitons répandre dans tout le pays.
    La même expérience dans d’autres pays a montré qu’en Roumanie, sur 225 candidats, 96 ont été exclus parce qu’ils ne satisfaisaient pas à ces critères. C’est notre ambition. C’est ce qui peut produire du changement. Sinon, nous aurons de nouveaux candidats mais avec les mêmes problèmes qu'auparavant — ils seront simplement plus jeunes — ou nous aurons de la corruption avec des têtes différentes et il n’y aura pas beaucoup de différence.
    J’aimerais avoir votre avis sur ma perception historique de l’Ukraine. J’ai l’impression que toutes les puissances occidentales ont fait preuve de myopie et de négligence envers l’Ukraine durant l’histoire, depuis 200 ou 300 ans.
    Je crois que le résultat de cette négligence des puissances occidentales a été de ne pas aider l’Ukraine à faire sa transition après l’effondrement de l’URSS. Je me demande comment on pourrait corriger cela. Si nous l’avions fait à l’époque, l’Ukraine serait en bonne situation aujourd’hui. Surtout avec le retour de M. Poutine, je ne voudrais pas être à la place de votre pays. Votre pays est un beau pays mais il est géographiquement mal placé.
    Le peuple ukrainien a beaucoup souffert. Le même scénario s’est répété durant les guerres napoléoniennes, la Première Guerre mondiale, la Deuxième Guerre mondiale et l’effondrement de l’URSS. Il est grand temps que le monde occidental réalise que l’Ukraine existe.
(1710)
    Merci beaucoup. Je suis tout à fait d’accord avec vous.
    Ce que je peux dire, c’est que, depuis environ mars 2010, quand M. Yanukovych a essentiellement violé la Constitution pour que ces vire-capots forment le gouvernement, les Ukrainiens ont très largement eu l’impression que l’Occident s’était en fait détourné de l’Ukraine et ne tenait pas particulièrement à l’appuyer.
    Je pense qu’il est maintenant important de manifester cet appui, comme l’ont dit des collègues, au niveau de la société civile, car il ne sert à rien de dire que tel ou tel politicien est meilleur que tel ou tel autre. Ils sont tous nuls. Mais la société civile tient vraiment à ce que ces valeurs démocratiques soient respectées, et elle pourrait recevoir plus d’appui.
    Aïe pour les politiciens!
    Nous passons maintenant à Mme Brown pour la dernière question du troisième tour. C’est tout le temps que nous avons pour cela, et nous devrons ensuite conclure. Il y aura encore un néo-démocrate et un conservateur. Nous allons prendre les noms car nous aurons assez de temps pour cela.
    Pensez-vous que M. Van Kesteren aura le temps de poser des questions?
    Absolument.
    Merci beaucoup d’être ici.
    Monsieur Kozak, je m’adresse d’abord à vous. Nous avons une diaspora assez importante de la communauté ukrainienne au Canada. J’aimerais savoir, parce que je n’en ai aucune idée, si ces gens ont encore le droit de voter en Ukraine? Est-ce autorisé? Plusieurs autres pays permettent à leur diaspora de participer à leurs élections. Est-ce la même chose en Ukraine? Ces gens exercent-ils une influence de cette manière?
    Que pouvez-vous me dire à ce sujet?
    C’est une très bonne question, madame, et il y a beaucoup de situations dans lesquelles j’aimerais pouvoir encore voter. Ce n’est pas le cas. Bien que le Canada accepte la double citoyenneté, l’Ukraine ne l’accepte pas. Par conséquent, une fois qu’on devient canadien, on perd le droit de voter en Ukraine.
    Cela dit, une partie importante de la population ukrainienne présente au Canada n’a pas encore pris la citoyenneté canadienne. Ces gens-là peuvent certainement voter, et je crois que beaucoup le font, par les consulats ou par l’ambassade.
    En ce qui concerne la diaspora ukrainienne, à cause de son engagement et de son soutien, je pense qu’elle exerce une influence énorme sur la situation en Ukraine. Nous sommes très actifs, et je crois pouvoir m’exprimer au nom de toute la diaspora du Canada, à tous les niveaux possibles, en disant que cela va de l’appui financier offert aux familles pour les aider dans leur lutte pendant les années où l’Ukraine était sous régime soviétique, jusqu’à aujourd’hui où un nombre considérable de Canadiens ukrainiens ont été là pour appuyer la Révolution orange, pour consolider l’indépendance. Cette audience en est d’ailleurs une preuve: elle a été organisée par la communauté ukrainienne du Canada.
    La communauté ukrainienne du Canada est très active. Ce que nous essayons de faire, c’est de diffuser les valeurs canadiennes pour essayer d’amener davantage l’Ukraine dans le giron de l’Occident et en faire un pays plus libre et plus démocratique. Nous faisons notre possible. Ce n’est pas facile mais nous le faisons.
    Deuxièmement, je regarde souvent les nouvelles internationales de la BBC parce que c’est une organisation médiatique assez objective. Je vois alors régulièrement des publicités achetées par l’Ukraine pour attirer des touristes occidentaux.
    Je crois que la Coupe du monde doit se tenir là-bas, n’est-ce pas?
    Une voix: La Coupe d’Europe.
    Mme Lois Brown: Oui, la Coupe d’Europe. Il y aura donc beaucoup de gens qui iront en Ukraine à cette occasion.
    Le gouvernement ukrainien n’est-il pas soucieux de la réputation qu’il acquiert avec tous ces événements, tout en se tournant vers l’Ouest pour attirer ce genre de tourisme et de recettes touristiques? Il n’organise pas cela pour que ce soit un événement unique. Il veut attirer des dollars occidentaux.
    Est-ce qu’il n’est pas préoccupé par la réputation qu’il va acquérir et qui risque d’entraver l’arrivée de ce genre de dollars — un stimulant économique en soi?
(1715)
    Il est préoccupé. Malheureusement, il l'est d’une manière assez particulière.
    Euronews est une chaîne qui... Je ne sais pas si vous la connaissez. Elle est semblable à la BBC et à Deutsche Welle. Malheureusement, elle a un service ukrainien qui fausse l’information de manière flagrante, et la direction le sait très bien. Je le sais parfaitement parce que je leur écris pour me plaindre depuis un certain temps. C’est donc une chose.
    Un projet de loi a été déposé récemment par l’un des députés les plus pro-russes du Parti des régions, quelqu'un de légèrement offensant, dans le but d’interdire... C’était quelque chose sur la xénophobie, le racisme, et aussi les messages politiques qui seraient diffusés avant, pendant et après les matchs de football, ce qui visait clairement l’Euro 2012. Il y aura beaucoup de choses de ce genre...
    Pour le moment, le projet n’a pas été adopté. Je ne sais pas s'il le sera. S’ils y tiennent vraiment, il le sera.
    Ces choses-là sont le mauvais côté des choses. Je pense qu’ils essayent d’employer leurs vieilles tactiques consistant à acheter simplement du supplément publicitaire dans le Washington Post et des choses comme ça. Ils payent en fait pour adresser de la propagande à l’Occident, pas pour changer la situation.
    Je voudrais ajouter un mot sur la manière dont ils expliquent cela au président Yanukovych, qui est très autoritaire. Personne n’ose probablement lui dire ce qu’il ne veut pas entendre. Leur message au sujet des diplomates ukrainiens ou de l’image de leur pays est celui-ci: « Vous êtes un type formidable, mais le monde ne le sait pas ».
    Ils essaient donc de compenser tout cela en lui montrant personnellement ces publicités télévisées, et ils dépensent de l’argent pour ça. Ils dépensent de l’argent auprès de lobbyistes. Ils ont ouvert des comptes à Bruxelles... payé des cabinets de lobbying à Washington, ils achètent d'énormes espaces publicitaires pour diffuser une belle image de l’Ukraine.
    D’après ce que vous avez dit, vous ressemblez à un naïf démocrate occidental qui espère que ses valeurs seront comprises, etc., mais ça ne marche tout simplement pas comme ça. C’est une autre galaxie. C’est une culture qui n’est pas compatible. N’essayez pas de leur imposer votre logique, ce sont des êtres très différents.
    Merci beaucoup.
    Nous entamons maintenant le dernier tour.
    C’est M. Larose qui commence, pour cinq minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je remercie nos invités d'être parmi nous.
    Comme je connais l'histoire, j'ai un immense respect pour votre pays. Vous avez beaucoup souffert, mais vous avez conservé une grande force. À mon avis, s'il y a un pays qui va réussir à s'en sortir, c'est bien le vôtre.
    J'aimerais simplement comprendre certains propos qui ont été émis aujourd'hui. Vous avez livré une présentation qui faisait ressortir la complexité de votre pays. La situation y est en effet extrêmement complexe. Pour ma part, j'ai une inquiétude en ce qui concerne la Russie, advenant le cas où vous obtiendriez ce que vous voulez, soit une meilleure démocratie pour l'avenir de votre pays.
     On parle du côté négatif des gens qui sont au pouvoir, mais est-ce qu'un pourcentage de ceux qui occupent des postes clés au sein de l'actuel gouvernement ukrainien est favorable au changement? Ça peut aider énormément. Je me pose la même question au sujet de la Russie.
     Dans le cas où vous atteindriez votre but, craignez-vous qu'avec M. Poutine, la Russie ne décide que ce résultat n'est pas le sien?
(1720)

[Traduction]

    Votre question est pertinente et complexe.
    Au sujet de la Russie, je tiens à faire une distinction. Nous ne voulons pas associer la Russie dans son ensemble au régime au pouvoir aujourd’hui. Lors des audiences de mercredi, vous entendrez Andrey Piontkovsky, l’un des chefs de file de l’opposition russe, et je pense qu’il pourra vous donner une image exacte de la situation en Russie et de la manière dont elle concerne l’Ukraine.
    À mon avis, le Russe moyen n’a aucun problème avec les aspirations démocratiques de l’Ukraine, avec l’indépendance de l’Ukraine. Ce sont des valeurs démocratiques fondamentales. Le régime au pouvoir aujourd’hui, le régime du président Poutine, considère que l’Ukraine est « l’étranger proche ». Il n’imagine pas son nouvel empire sans l’Ukraine et certains des autres pays qualifiés aussi d’étrangers proches. Pour le Russe type, cependant, il n’y a pas de problème.
    Si la Russie devient démocratique — et je crois que c’est pour bientôt —, l’Ukraine n’aura aucun problème à coexister avec elle. Les relations seront bonnes et il y aura beaucoup de commerce. Voyez le Canada et les États-Unis. À un certain moment, ils étaient en guerre mais, aujourd’hui, ils ont de très bonnes relations à tous égards. J’estime donc que c’est faisable.
    Pour ce qui est de votre deuxième question, concernant les autres personnes au sein du régime ukrainien qui sont prêtes à favoriser un changement positif, je crois qu’il y en a probablement certaines mais elles ont trop peur pour s’exprimer. Ce régime a consolidé son pouvoir rapidement après l’élection et a placé ses gens à tous les postes clés. Il y a une chaîne de commandement stricte. Je crois que ces gens font simplement ce qu’on leur dit de faire. Ils marchent au pas cadencé et ne sortent pas des rangs. Il n’y a pas beaucoup de débat démocratique dans le parti actuel, dans les régions ou dans le gouvernement de l’Ukraine.
    Ces gens-là existent peut-être mais à des postes intermédiaires ou inférieurs. La dernière tendance en Ukraine est d’adopter la notion de « famille » comme on la conçoit en Sicile. C’est aujourd’hui la famille du président, l’un de ses fils, en fait, qui nomme les détenteurs des postes clés, comme le gouverneur de la banque centrale — je viens de la banque centrale et cela me fait honte — et les ministres des finances, de la défense et de l’intérieur. Ce sont tous des membres de la famille recommandés par le fils du président, qui est en fait dentiste de profession. Un an après l’accession de son père à la présidence, il est entré dans le groupe des 100 Ukrainiens les plus riches, ce qui montre que la médecine dentaire est une profession très rentable en Ukraine.
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant à M. Van Kesteren.
    Merci, monsieur le président. Merci à tous les témoins.
    Si je jette un coup d’oeil à l’échiquier politique de la Russie, de l’ex-Union soviétique, et de l’Europe, il est évident que vous avez un public assez captif en Europe en ce qui concerne le gaz naturel. Ces dernières années, nous avons assisté à quelque chose que le monde n’a pas encore bien réalisé, je crois. Il y a une révolution en cours, la révolution du gaz de schiste. Il y en a des réserves énormes en Grèce et en Israël. Je me demande comment vous voyez le glissement de pouvoir et les alliances qui s’établiraient avec la Grèce et Israël. D’après vous, comment cela pourrait affecter votre relation avec l’Europe? Comment cela changera-t-il vos alliances avec la Russie? Quelqu’un veut-il répondre?
(1725)
    Cette journée est bien choisie pour discuter d’énergie en Ukraine. C’est la première fois de l’histoire de l’Ukraine que nous ne pouvons pas négocier les prix du gaz avec la Russie. À ma connaissance, même les gens qui sont proches de Gazprom au sein du gouvernement ukrainien, comme le ministre de l’Énergie, sont devenus des partisans de l’indépendance énergétique de l’Ukraine.
    Il y a des négociations avec la société Shell pour qu’elle vienne en Ukraine. Il y a d’autres négociations différentes, et je pense qu’il est bon que l’Ukraine et la Russie ne parviennent pas à une entente aujourd’hui, paradoxalement. Les autorités ukrainiennes ont finalement de très bonnes raisons non seulement de faire des déclarations mais aussi de mettre en oeuvre un programme d’indépendance énergétique.
    C’est un excellent sujet. Il y a beaucoup de choses à envisager en ce qui concerne l’énergie en Ukraine et en Europe. Ceux qui contrôlent le pipeline contrôlent beaucoup de choses en Europe. Pour ce qui est des importants projets de gaz de schiste, il existe à l’évidence des préoccupations environnementales et autres. Je ne veux pas entrer ici dans les détails techniques mais, si l’Ukraine obtenait au moins un certain degré d’indépendance, ce serait une très bonne chose. Cela lui donnerait un levier pour négocier avec la Russie.
    Le problème est que je n’ai encore rien vu de concret de la part du régime actuel de l’Ukraine, à part des déclarations symboliques, pour attirer ces investissements et instaurer un environnement favorable aux investissements et aux affaires. J’espère que ça changera.
    Pour ce qui est de l’énergie, la Russie a déployé beaucoup d’efforts pour tenter de prendre le contrôle du pipeline ukrainien et de toute la situation de l’énergie en Ukraine. Elle comprend parfaitement qu’elle ne contrôle pas seulement l’Ukraine mais aussi l’Europe, dans une certaine mesure.
    J'estime que l’Union européenne et les États européens ont été assez passifs à ce sujet. Je ne parle pas ici d’un point de vue ukrainien ou canadien, mais je crois que les États européens, nos alliés, devraient défendre plus activement leurs propres intérêts et compter l’Ukraine dans leurs intérêts géopolitiques. Ce n'est pas seulement l’Allemagne qui devrait passer des contrats avec la Russie. Les autres pays devraient comprendre qu’il est dans leur intérêt que l’Ukraine joue aussi un rôle très important.
    Si l’Europe devait jouer un rôle plus important dans l'indépendance énergétique de l’Ukraine, il serait dans l’intérêt même de l’Europe d’être moins tributaire de la Russie et de mieux contrôler la situation. Cela aurait alors un effet positif sur la position proactive de l’Ukraine, sur le processus démocratique en Ukraine, etc. À cet égard, on devrait insister plus pour que les États européens soient plus proactifs dans ce domaine et ne laissent pas la Russie contrôler la situation, ce qui a été le cas la plupart du temps.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Van Kesteren.
    C’est tout le temps que nous avions pour aujourd’hui. Je tiens à remercier les témoins d’être venus nous parler. Nous vous en sommes reconnaissants.
    Nous nous réunirons à nouveau mercredi pour poursuivre notre examen de la situation en Ukraine avec d’autres témoins.
    Merci beaucoup.
    Merci.
(1730)
    La séance est levée.
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