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Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous poursuivons aujourd'hui notre étude sur le rôle du secteur privé dans la réalisation des intérêts du Canada en matière de développement international.
Merci aux témoins de leur présence.
Nous accueillons Bonnie Campbell, professeure, Faculté de science politique et de droit, Université du Québec à Montréal. Bonnie, bienvenue et merci de votre temps aujourd'hui.
Nous recevons aussi Nolan Watson, président et chef de la direction, fondateur, Nations Cry, qui représente aussi Sandstorm Gold and Sandstorm Metals and Energy Ltd. Nolan, je vous souhaite la bienvenue.
Commençons sans plus tarder.
Bonnie, vous avez environ 10 minutes pour présenter votre exposé. Nolan en fera autant avant que les députés posent des questions pour terminer l'heure.
Madame Campbell, la parole est à vous.
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Merci beaucoup de l'occasion de témoigner devant votre comité. Bonjour.
Mon exposé porte sur les relations entre le secteur minier et la promotion du développement socioéconomique. Il s'appuie sur plusieurs dizaines d'années de recherche et sur ma participation comme membre du groupe consultatif des Tables rondes nationales de 2006-2007 et comme membre depuis quatre ans du groupe d'études mis sur pied par la Commission économique pour l'Afrique. Ce groupe d'études a publié en décembre 2011 son rapport intitulé Les ressources minérales et le développement de l'Afrique, auquel je vais me référer.
Mon exposé, que je vous ai remis en anglais et en français, comprend trois points et six recommandations.
Premièrement, je veux scruter une prémisse omniprésente dans bon nombre de discussions à l'heure actuelle. Au Canada ou ailleurs, la réflexion et les stratégies concernant les activités minières et le développement reposent sur l'hypothèse que les investissements dans ce secteur stimuleraient la croissance, qui favorise le développement et la réduction de la pauvreté. Au Canada, cette hypothèse problématique est bien illustrée par Pierre Gratton:
La croissance durable et la prospérité à long terme sont propulsées par le secteur privé. Les penseurs d'avant-garde dans le domaine des politiques d'aide au développement savent que l'aide peut être plus efficace si elle s'aligne sur les investissements du secteur privé.
Cette affirmation est à l'origine des arguments erronés mis de l'avant pour justifier certaines stratégies. Elle montre l'absence de connaissance des débats importants qui se déroulent présentement, notamment en Afrique. Elle véhicule surtout une mécompréhension profonde des enjeux de développement international.
Commençons par un fait: les investissements dans le secteur minier ne se traduisent pas à eux seuls par le développement socioéconomique durable. En effet, il n'y a aucun exemple historique au monde de croissance et de développement socioéconomique durables et de réduction de la pauvreté réalisés grâce à des investissements privés, en l'absence de politiques et d'interventions de l'État appropriées et nécessaires pour planifier, réglementer et aiguiller ces investissements en vue d'atteindre ses propres objectifs de développement.
Deuxièmement, c'est essentiel que le Canada soit à l'écoute des réflexions et des propositions sur les politiques qui émanent de l'Afrique en ce moment. Si nous sommes préoccupés quant à la pertinence et à l'efficacité des initiatives canadiennes récentes en ce qui concerne la contribution du secteur minier au développement, il est essentiel de porter une grande attention aux recommandations des dirigeants et des experts africains, notamment la Commission économique.
La commission avance que les problèmes que connaissait le secteur des ressources naturelles il y a 30 ans existent toujours en grande partie, comme l'absence de transformation locale qui accuse sa nature coloniale. Les anciennes stratégies sont périmées et inappropriées à l'heure actuelle, parce qu'elles n'ont pas mené au développement. Un important changement de paradigme s'impose.
Mais ce n'est pas tout. La façon dont le secteur minier a été ouvert à l'investissement a entraîné de graves formes de libéralisation. En plus des résultats décevants en matière de développement, les États se sont retirés et ont transféré leurs responsabilités à l'entreprise privée. Il faut maintenant se tourner vers le secteur privé pour ce que l'on considérait comme étant du domaine public, comme la fourniture des services, les cliniques, les écoles, les routes, la sécurité ou la réglementation. Cette façon de contourner l'État a causé de nombreux problèmes, pas seulement pour le développement des collectivités, mais aussi pour les compagnies et les pays eux-mêmes.
À cause de ce transfert, on ne sait plus quelles sont les responsabilités des entreprises par rapport à celles des pays et qui doit rendre des comptes. Les collectivités doivent demander l'aide des sociétés privées. Les États sont affaiblis et incapables d'effectuer la surveillance et le suivi. En cas de conflits, les compagnies et les collectivités s'affrontent directement.
Un aspect essentiel de la question, c'est que cette déresponsabilisation des États, qui laisse entendre que les entreprises peuvent obtenir l'acceptation de la population ou légitimer leurs activités en offrant des services sociaux, risque de miner une condition à l'établissement de gouvernements responsables et le fondement des pratiques démocratiques. Les gouvernements doivent offrir des services sociaux à la population et lui rendre des comptes.
En Afrique, on conteste maintenant les piètres résultats des anciennes méthodes, du manque de participation au développement et des relations asymétriques entre les entreprises et les pays. On prétend que le secteur minier doit être le moteur de l'industrialisation. Pourtant, il n'y a aucun exemple historique au monde d'industrialisation réalisée sans politiques appropriées.
Dans son rapport, la Commission économique pour l'Afrique parle de tisser des liens et de favoriser l'intégration régionale, ce qui bien sûr ne concerne aucunement l'entreprise privée. Le modèle du passé, mené par l'industrie, est considéré comme périmé. Désormais, les politiques demandent davantage d'intervention stratégique de l'État.
Troisièmement, quel est le rôle du Canada dans les négociations avec le secteur minier en vue de contribuer au développement international?
Les stratégies de partenariat actuelles de l'ACDI, qui proposent d'utiliser les budgets de l'aide pour renforcer la responsabilité sociale d'entreprise, risquent de brouiller davantage la démarcation en matière de responsabilités et de reddition de comptes et d'aggraver les problèmes de légitimité des entreprises. De telles stratégies venant de l'étranger pourraient réduire la volonté des gouvernements d'assumer leurs responsabilités. C'est la position de la Commission économique pour l'Afrique.
Actuellement, la coordination entre la planification de l'État, les investissements et les stratégies des sociétés est insuffisante. Les nombreuses zones grises rendent difficile la surveillance pour savoir qui fournit quoi, à quelles conditions et comment évaluer les projets. Il faut adopter les cadres appropriés avant que les compagnies aillent de l'avant.
Je vais terminer très brièvement en présentant trois recommandations qui résument mon exposé.
C'est urgent et essentiel que le Canada distingue les politiques de l'ACDI qui favorisent les intérêts commerciaux et économiques des politiques qui encouragent le développement durable. Nous devons examiner les propositions des Africains. Il est impératif que le mandat de l'ACDI s'aligne sur ce que demandent les leaders africains de la Commission économique pour l'Afrique des Nations Unies et de l'Union africaine.
Il importe aussi pour nous tous de comprendre que le Canada est un leader concernant le nombre de sociétés minières, pas seulement en Afrique, mais aussi en Amérique latine. C'est extrêmement important de savoir que nous ne disposons toujours pas de mécanismes pour surveiller le comportement des entreprises, contrairement à la Suède et à la Norvège. Je pourrai donner des précisions.
La situation actuelle est très problématique. Les compagnies lancent des projets qui ne sont pas forcément régis par des cadres. Les pays concernés ne peuvent pas appliquer la loi. La répartition des responsabilités est sans doute ambiguë. Il se pourrait même très bien que de plus en plus de conflits violents soient déclenchés partout dans le monde.
Je peux vous donner des exemples que je connais de première main. J'ai des études qui ont été effectuées où je suis allée en Afrique. L'Amérique latine, la Colombie, le Pérou et le Mexique sont des cas problématiques que vous connaissez. Il ne s'agit pas de cas isolés, mais de problèmes systémiques et structurels. Jusqu'à présent, la réaction du Canada est tout à fait inadéquate. Pour ce qui est de notre réputation, nous faisons face à des accusations croissantes de violations. Aucun mécanisme ne permet d'effectuer un suivi des problèmes.
C'est indispensable que nous adoptions un cadre général et des mécanismes robustes pour surveiller le comportement des compagnies et garantir le respect des obligations. La réputation du Canada en dépend.
Je pourrai en dire plus si vous avez des questions sur ces points.
Merci.
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Merci beaucoup aux députés du Parlement. Mesdames et messieurs, je suis honoré de témoigner ici aujourd'hui.
Je vais vous parler un peu de moi. Je suis président d'une modeste organisation caritative qui construit et gère des écoles en Sierra Leone. Je suis aussi président et chef de la direction d'une compagnie minière qui investit en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. Même si j'ai été choisi parmi les 40 personnalités canadiennes de moins de 40 ans pour mes réalisations dans le milieu des affaires, la plupart des gens ne savent pas que ma carrière a failli ne jamais commencer. J'ai quitté l'Université de la Colombie-Britannique pour devenir travailleur humanitaire lorsque j'étudiais à la Faculté de commerce, mais j'ai heureusement appris avant mon départ que des affaires bien menées partout dans le monde pouvaient réduire davantage la pauvreté et en faire plus pour atteindre les objectifs de développement international que les organismes caritatifs ou le gouvernement.
Ces dernières années, je l'ai constaté moi-même en Sierra Leone, où travaillent des centaines, peut-être des milliers, d'organisations à but non lucratif et bien des organismes gouvernementaux de partout dans le monde. Malgré leur présence, le PIB de la Sierra Leone en 2010 ne s'élève qu'à 2,2 milliards de dollars; c'est très, très peu. Les trois compagnies minières britanniques qui commencent leurs activités au pays feront passer son PIB à environ huit milliards. Elles permettront de réduire davantage la pauvreté et d'atteindre plus d'objectifs de développement en Sierra Leone que ce qu'ont accompli les organismes gouvernementaux ou les organisations caritatives.
C'est pourquoi le gouvernement du Canada doit voir les entreprises comme un moteur essentiel à l'atteinte de nos objectifs de développement international.
Puisque je n'ai que quelques minutes, je vais parler de deux points à améliorer. Tout d'abord, il faut protéger les entreprises canadiennes contre la corruption à l'étranger et les risques d'expropriation, pour qu'elles prospèrent. Ensuite, comment pouvons-nous les aider à atteindre nos objectifs de développement et — c'est important — les amener à investir la majorité des fonds de développement, à la place du gouvernement du Canada?
Concernant la protection en Sierra Leone, par exemple, le dirigeant d'une entreprise canadienne qui se fait demander un pot-de-vin par un représentant du gouvernement a deux choix: soit il verse la somme exigée et purge une peine d'emprisonnement au Canada, soit son projet tombe à l'eau et ses actifs sont expropriés.
Ce n'est pas une coïncidence si les trois compagnies qui vont changer la Sierra Leone sont britanniques. Les entreprises du Royaume-Uni — dont le gouvernement est bien plus actif en Sierra Leone, sans parler de la présence de l'IMATT — ont une troisième option, si on leur demande un pot-de-vin. Étant donné qu'ils connaissent bon nombre de responsables gouvernementaux en Sierra Leone, les représentants du gouvernement britannique mis au courant de telles situations — qui se produisent souvent — vont régler les problèmes avec eux, avant que les expropriations ne deviennent réalité. C'est toujours plus facile d'empêcher une expropriation que de l'annuler lorsqu'elle a été rendue publique.
Même si je suis sûr qu'il y en a davantage, je sais qu'une compagnie canadienne a des activités en Sierra Leone. Cette compagnie s'est fait exproprier ses actifs il y a quelques mois, ce qui est plutôt ironique. J'ai appris que ses concessions venaient d'être accordées à une entreprise chinoise. Le gouvernement de la Chine est bien sûr très actif en Sierra Leone aussi.
À mon avis, le vrai problème, ce n'est pas les expropriations en tant que telles, mais le manque d'entreprises qui résulte du risque d'expropriation. Pour chaque société expropriée, des centaines d'autres ne sont pas mises sur pied, simplement parce que les investisseurs et les gens d'affaires craignent que leurs actifs soient saisis.
Par exemple, je voudrais investir des fonds de la compagnie dont je suis le chef de la direction dans une société minière qui entreprend des activités en Sierra Leone, mais je ne suis pas prêt à risquer notre capital dans une entreprise minière canadienne qui s'implanterait dans ce pays, car le risque est bien plus élevé.
Très brièvement, voici ma suggestion, bonne ou mauvaise, concernant la protection: il faut établir un organisme gouvernemental pour assurer la stabilité des entreprises canadiennes aux prises avec la corruption à l'étranger. Nous pourrons ainsi résoudre les problèmes avant que les expropriations se concrétisent et que les compagnies soient forcées de verser des pots-de-vin. Les sociétés et les investisseurs sentiront qu'ils ont du soutien lorsqu'ils décideront d'engager des fonds.
Si nous ne prenons pas de mesures semblables, on risque de voir les entreprises canadiennes choisir de demeurer au pays, plutôt que d'investir à l'étranger. Si nous voulons que ces entreprises contribuent vraiment à l'atteinte de nos objectifs de développement international, nous devons les appuyer.
Comme nous avons peu de temps, je vais passer à la deuxième possibilité d'amélioration qui réside dans les moyens à mettre en oeuvre pour que les entreprises concrétisent ces objectifs de développement tout en payant la plus grande partie de la note. Selon une étude réalisée l'an dernier par le Manning Centre, les Canadiens se fient de moins en moins au gouvernement pour accomplir directement les choses. Personnellement, je crois que nous avons un excellent gouvernement et que ce résultat ne doit pas être considéré comme une critique à l'endroit de l'administration actuelle. C'est davantage le reflet d'une frustration généralisée à l'égard des facteurs limitatifs inhérents à toute forme de gouvernement.
J'attribue pour ma part la situation à ce que j'ai appelé le « principe de Cathy ». Cathy est une orpheline du Sierra Leone. Elle avait trois ans lorsqu'elle sa mère est morte. Son père est mort également quand elle avait cinq ans. Elle a alors été placée dans un orphelinat. Comme personne ne l'a adoptée, elle est toujours dans cet orphelinat huit ans plus tard. Elle a maintenant 13 ans et se retrouve sans parents et sans avenir.
L'an dernier, mon épouse et moi sommes devenus les tuteurs de Cathy avec l'aval de la Cour suprême du Sierra Leone. Le ministère de la Sécurité sociale nous a permis de l'amener au Canada pour l'adopter ici. Nous avons acheté une maison plus spacieuse de manière à avoir une chambre supplémentaire pour accueillir celle qui devait devenir notre troisième fille. Et voilà qu'il semble que le Haut Commissariat ne nous autorisera pas à l'amener au Ghana.
Je ne soulève pas cette question pour des motifs personnels. Je veux seulement vous faire comprendre ce que j'entends par le principe de Cathy qui s'applique à des décisions qui devraient normalement être très faciles à prendre. N'importe quel quidam pourrait vous dire quelle décision s'impose dans ce dossier. Mais, pour des motifs que je comprends et que j'accepte, le fait est que toutes les fois que des instances gouvernementales commencent à craindre de prendre la mauvaise décision, elles deviennent incapables de prendre la bonne. C'est ce que j'appelle le principe de Cathy.
Je vais le répéter, car je crois que ça en vaut la peine. Toutes les fois qu'une instance gouvernementale a trop peur de prendre la mauvaise décision, elle devient incapable de prendre la bonne.
Le principe de Cathy fait en sorte que des processus décisionnels qui devraient être très simples deviennent fort complexes. C'est en raison même de ce principe que notre gouvernement doit reconnaître la nature limitative inhérente à tout gouvernement, qui entrave sa capacité à réaliser lui-même ses objectifs de développement international.
La bonne nouvelle nous vient d'une autre constatation du Manning Centre. On a découvert que les Canadiens voient de plus en plus leur gouvernement jouer un rôle de facilitation à l'égard des grand objectifs qu'il s'est fixés. En conséquence, les Canadiens estiment, et je partage cet avis, que ce rôle de facilitateur est celui qui convient pour notre gouvernement.
Dans ce contexte, j'estime que la formule de partenariat public-privé (PPP) récemment adoptée par l'ACDI au Burkina Faso, par exemple, est le modèle parfait sur lequel le gouvernement canadien devrait essayer de miser davantage à l'étranger. Je recommande donc fortement au gouvernement de continuer à explorer et à améliorer ce modèle de partenariat public-privé.
Le gouvernement pourrait notamment améliorer ce modèle en incitant les entreprises à reconnaître que les activités menées leur permettent de se donner meilleure réputation, de telle sorte que l'ACDI puisse leur demander le maximum d'argent possible. Par exemple, si une organisation caritative et le gouvernement canadien apposent leur logo sur une école de formation professionnelle construite dans le cadre d'un PPP, l'entreprise également associée au projet y gagnera beaucoup en réputation. Et j'estime que nos entreprises devraient payer pour des gains semblables. En embauchant quelques cadres supérieurs qui auraient pour unique rôle de négocier avec les entreprises, l'ACDI pourrait obtenir des centaines de milliers de dollars en financement additionnel des entreprises participant à des projets en PPP.
À cet égard, je sais que le récent partenariat public-privé au Burkina Faso a fait l'objet de critiques. Selon les journaux, certains y voyaient un financement gouvernemental de programmes sociaux au bénéfice d'une entreprise multimilliardaire. Je ne suis pas du tout d'accord avec cette façon de voir les choses. Dans la mesure où le gouvernement peut réduire sa contribution en négociant avec les entreprises pour qu'elles investissent plus, l'opinion publique sera davantage favorable, surtout dans la conjoncture actuelle où le gouvernement dispose de peu de ressources.
J'en arrive maintenant à ma conclusion. Nous avons la possibilité de mieux protéger nos entreprises pour leur permettre de prospérer sur la scène mondiale. Nous pouvons leur faciliter les choses pour qu'elles puissent concrétiser nos objectifs de développement international.
Je crois que nous sommes un grand pays. Je pense que nous avons un très bon gouvernement. Nous avons aussi d'excellentes entreprises et de formidables organismes de bienfaisance. Et je suis persuadé que nous pouvons changer le monde pour peu que nous conjuguions nos efforts.
Merci.
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Merci pour la question.
Il y a effectivement un risque très concret que certains pays dont les budgets sont insuffisants pour offrir les services sociaux nécessaires se retrouvent non seulement démotivés à agir, mais très heureux de laisser le champ libre aux entreprises ou à quiconque souhaite investir, ce qui crée une certaine ambiguïté quant aux responsabilités de chacun.
La Commission économique pour l'Afrique (CEA) s'est prononcée à ce sujet. Le chapitre 6 de son rapport porte sur la responsabilité sociale des entreprises, mais il faut d'abord et avant tout qu'un cadre soit établi. Il faut que des politiques publiques soient en place. Par exemple, si une clinique ou une école s'inscrit dans une stratégie publique, la fin de l'exploitation minière ne sonnera pas le glas des activités et les instances gouvernementales ont des comptes à rendre à l'égard des structures mises sur pied. C'est absolument essentiel.
Nous sommes à même de constater — tant du point de vue des chercheurs que des gens de la CEA — que lorsque les processus politiques locaux sont contournés, on retarde l'instauration de gouvernements capables de rendre des comptes à leurs citoyens.
C'est ce que nous avons pu observer depuis 30 ans. Il est donc grand temps que les gens reconnaissent qu'il n'y a absolument aucune raison pour que les pays africains se limitent à exporter le bauxite ou l'or à l'état brut. Ces ressources doivent être transformées sur place. Cela nécessite des stratégies, de la planification et un régime public de responsabilisation. Notre budget d'aide internationale doit servir à consolider les stratégies de développement local qui sont viables à long terme. Certains choix s'offrent donc à nous.
Malheureusement, nous faisons fausse route. Le Canada a totalement raté le coche. En Australie et en Europe, on se bouscule pour venir en aide à la CEA. Le Canada doit leur emboîter le pas, plutôt que de travailler en partenariat avec des entreprises et des ONG qui empruntent des directions opposées dans des contextes ne permettant pas les mesures requises en matière de contrôle, de suivi et d'évaluation. Nos collaborateurs au Ghana indiquent que les entreprises intègrent toutes sortes d'éléments au concept de responsabilité sociale. Il n'y a aucune façon de vérifier ce qui se fait à ce chapitre. Il n'y a aucun moyen de savoir vraiment ce qui se passe au sein d'une entreprise, parce qu'aucune norme n'a été établie. Ces normes doivent être d'inspiration locale. C'est une démarche essentielle pour que les partenariats publics-privés puissent connaître du succès.
Dans deux pays d'Afrique de l'Ouest, j'ai été stupéfaite d'apprendre que nos ambassades comptaient des spécialistes en responsabilité sociale des entreprises qui n'étaient pas des Canadiens. Lorsque j'ai essayé de leur parler du processus de table ronde, ils n'avaient aucune idée de quoi il s'agissait. Comment peuvent-ils agir comme porte-parole du Canada s'ils ne connaissent pas ces choses-là? Qui représentent-ils?
Cette question de la politique minière qui devient politique étrangère... Récemment, un journaliste en visite au Burkina Faso a communiqué avec moi parce qu'il voulait parler à des gens. Je lui ai donné des noms. Je lui ai dit de s'adresser aux gens de l'ambassade. Il m'a répondu qu'il n'était pas autorisé à le faire. Comment donc les Canadiens peuvent-ils savoir ce qui se passe là-bas? Qu'en est-il de nos politiques si nos propres journalistes ne peuvent même pas parler aux gens de l'ambassade canadienne?
Si vous le permettez, j'aimerais aussi vous raconter une histoire personnelle concernant la réputation du Canada. C'est une situation un peu pénible pour moi. Cela concerne notre réputation internationale et les événements qui l'affectent. Ma vie est remplie d'histoires qui me viennent quotidiennement du Pérou, du Ghana ou de la RDC. J'ai un fils qui vient d'obtenir son diplôme en droit à McGill. Il est en Colombie avec d'autres jeunes avocats pour étudier le phénomène de l'impunité. Il s'est rendu récemment sur le site du projet de l'entreprise Gran Columbia Gold à Marmato. Il s'est produit là-bas des choses absolument incroyables. Un jeune prêtre a été assassiné. Il y a eu également d'autres meurtres. L'exploration a été arrêtée en raison des manifestations locales. Cette entreprise canadienne va se tourner vers un autre emplacement, et il y aura encore de la violence.
Qu'est-ce qui se passe avec le Canada? C'est une autre génération qui est en train de payer le prix des abus à l'encontre des droits de la personne, des atteintes à l'environnement et de tous les agissements semblables. Et nous, les gens de notre génération, restons les bras croisés sans avoir de mécanisme obligeant nos entreprises à rendre des comptes. Depuis combien de temps est-ce que la situation perdure? Il y a eu un rapport en 2007. Il y en avait eu un en 2005. Encore aujourd'hui, nous ne sommes même pas intéressés à tenir nos entreprises responsables de leurs agissements à l'égard des droits de la personne les plus fondamentaux.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Un grand merci pour votre présence aujourd'hui. Nous vous sommes reconnaissants pour vos témoignages.
Madame Campbell, j'ai l'impression que nous n'avons pas du tout parlé aux mêmes personnes. J'ai rencontré l'automne dernier M. Ping de l'Union africaine qui s'est montré très intéressé à nouer des liens économiques avec le Canada. Il y a quelques années, je me suis rendue en Zambie où j'ai eu une rencontre avec le ministre du Commerce et de l'Industrie, l'honorable Dorcus Makgato-Malesu qui m'a fait part de la volonté de son pays de conclure une entente d'investissement étranger avec le Canada. En Éthiopie, j'ai discuté avec le ministre d'État pour les finances et le développement économique qui préconise lui aussi l'établissement de relations étroites avec les entreprises canadiennes. Nous avons parlé de la nécessité pour le gouvernement de guider le développement par le secteur privé.
J'ai eu des entretiens avec des gens de la SADC, de la CEDEAO, de COMESA et de la CAO, et ils m'ont dit se réjouir de l'apport du Canada en matière d'investissement étranger.
Il faut aussi ne pas oublier que le Canada a ratifié les Principes de l'Équateur en 2005. Nous avons un conseiller en place.
Nous ne sommes pas en train de dire que tout est parfait. Il y a encore des choses à faire, mais nous pouvons certes affirmer que les investissements canadiens dans bon nombre de ces pays sont avantageux pour leurs citoyens. Lors de notre visite en Zambie, le ministre a parlé des sommes auxquelles le pays a désormais accès grâce aux redevances de 30 p. 100 versées par bon nombre de ces entreprises. Les ministres de ces différents pays établissent des stratégies à long terme en matière de soins de la santé et d'éducation publique. Il s'agit là de structures essentielles.
Monsieur Watson, vous parliez de construire des écoles, mais puis-je vous demander si elles sont élémentaires, mon cher Watson? On peut bien s'amuser un peu.
J'ai visité la mine Essakne au Botswana. J'ai noté les mesures prises par l'entreprise IAMGOLD pour offrir aux gens une véritable formation professionnelle. Il ne s'agit pas seulement de leur faire fréquenter l'école à court terme. La formation dispensée est à long terme. On construit des cliniques hospitalières. On a construit un centre de formation professionnelle. Les gens qui y sont formés peuvent ensuite travailler à la mine. Bon nombre d'entre eux peuvent se servir de leurs compétences ailleurs au pays pour créer des entreprises, ce qui s'inscrit dans une stratégie à long terme.
Je me demandais si vous pouviez nous parler de quelques-unes des capacités que le Canada pourrait aider à développer. M. de Soto nous a souligné il y a quelques semaines la nécessité de contribuer au renforcement des capacités. Il faut aider ces pays à établir leurs structures juridiques. On doit les appuyer dans le développement des capacités nécessaires au sein de leurs structures gouvernementales. Pourriez-vous nous dire comment les investissements privés peuvent contribuer à l'atteinte de ces objectifs?
Je dois d'abord dire que j'ai parlé à de nombreux fonctionnaires de différents pays du monde. Cette année, je vais me retrouver sur tous les continents à l'exception de l'Antarctique et j'ai visité pas moins de 15 villes depuis deux mois et demi. Je crois donc avoir une assez bonne idée de ce que le tiers monde et les pays en développement attendent de nos entreprises canadiennes. Ces pays veulent accueillir nos entreprises. Celles-ci ne sont pas parfaites, et plusieurs commettent des erreurs, mais dans l'ensemble leur conduite est meilleure que celle des entreprises de la plupart des autres pays du monde. J'irais jusqu'à dire que nous n'avons rien à envier à personne. Notre gouvernement canadien est considéré comme l'un des meilleurs, si ce n'est le meilleur au monde. Alors ces pays en développement reconnaissent les avantages que peuvent leur rapporter les entreprises canadiennes et le gouvernement du Canada.
J'aimerais très brièvement abonder dans le sens de Mme Campbell lorsqu'elle affirme que le développement commercial ne peut pas se faire sans politiques publiques efficaces à l'appui. Je crois donc que nos entreprises canadiennes ont un rôle à jouer dans l'atteinte de nos objectifs de développement international, mais j'estime aussi qu'un certain degré de surveillance s'impose. Et je pense que la surveillance requise peut passer par la formule des partenariats public-privé. Ainsi, les instances gouvernementales surveillent de beaucoup plus près ce que font les entreprises canadiennes, car elles se rendent bien compte que la réputation du Canada est étroitement liée à celle de ses entreprises. Dans la mesure où les PPP offrent effectivement cette possibilité, ils pourraient être un bon moyen de veiller à la mise en place de politiques efficaces.
Pour avoir visité de nombreux pays en développement, j'ai la ferme conviction que le renforcement des capacités, tant au niveau gouvernemental que dans différentes autres institutions, figure parmi les principales contributions que les Canadiens et leur gouvernement peuvent apporter à ces pays. Par exemple, nous sommes des chefs de file mondiaux dans l'industrie minière. Pour chaque entreprise britannique présente à l'échelle internationale dans le secteur minier, le Canada en compte 10. Nous sommes, par nature, un pays international et nous avons plus d'expérience dans le secteur minier que la plupart des autres pays.
Je crois qu'il y a possibilité pour notre gouvernement canadien de commencer à travailler avec certains de ces pays en développement pour leur indiquer comment assurer la surveillance des sociétés minières. Il faut leur faire savoir quelles sont les normes environnementales minimales ainsi que les processus et les procédures à suivre pour veiller à ce que les choses se déroulent correctement. Sans que ces pays ne soient tenus d'y souscrire, nous pourrions leur faire part des différentes politiques et procédures fiscales qui ont permis au Canada de profiter au maximum des activités de ses entreprises minières. Je pense que c'est un autre aspect important: de nombreux pays en développement ont des taux d'imposition élevés, mais jugent leurs recettes fiscales insuffisantes, une situation parfois attribuable à des dispositions et des règlements inefficaces.
Il y a donc des possibilités de renforcement des capacités qui s'offrent un peu partout. Ainsi, certains de mes partenaires commerciaux ont découvert le plus important gisement de minerai de fer au monde au Paraguay. Les lois de ce pays font en sorte qu'il est impossible d'y faire de l'exploitation minière ou encore d'y posséder ou d'y maintenir des concessions. Les autorités du pays ont indiqué qu'elles allaient adopter de nouvelles lois de manière à rectifier le tir, et c'est ce qu'elles ont fait. Le Paraguay a maintenant des lois favorables à l'exploitation minière, ce qui permettra le développement de ce secteur.
C'est donc tout à fait possible et le Canada est bien placé pour faciliter les choses.
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Merci, monsieur le président.
Merci, madame Campbell, et merci, monsieur Watson, de vos exposés et de vos suggestions qui sont, à mon avis, très utiles, car elles proviennent de l'expérience considérable que vous avez acquise dans le domaine du développement international ou du mode de fonctionnement des sociétés canadiennes à l'étranger, et surtout dans l'industrie de l'extraction.
J'ai un peu de difficulté à concilier les points de vue qui, je pense, signifient de plus en plus qu'il faut choisir une proposition ou l'autre. Je crois que le secteur privé peut jouer un rôle complémentaire, c'est-à-dire être un partenaire, dans l'atteinte de certains des objectifs de développement établis par le gouvernement du Canada. Toutefois, à mon avis, on ne peut pas utiliser l'argent et les initiatives du secteur privé pour remplacer le rôle robuste que doit assumer l'acteur étatique — un organisme gouvernemental ou un ministère — dans l'établissement des relations entre les gouvernements.
Comme vous l'avez dit, madame Campbell, en ce qui a trait à certains de ces pays émergents dont l'économie est en développement, on est souvent aux prises avec des questions fondamentales relatives à la primauté du droit et à l'indépendance judiciaire. Dans un pays où les juges n'ont pas été payés depuis plusieurs années et vivent grâce aux pourboires, on peut facilement imaginer à quel point il doit être difficile de faire respecter un contrat, peu importe sa nature ou à quel point la demande peut être légitime.
J'aimerais que vous nous donniez votre avis sur la notion selon laquelle la participation et la responsabilité sociale d'entreprise du secteur privé n'entrent pas en contradiction avec les objectifs de développement international d'un pays.
Dans le même ordre d'idées, êtes-vous aussi inquiets à l'idée qu'on se retrouve soudainement dans une situation qui permet de penser — par erreur, à mon avis — qu'on peut remplacer le rôle attribué à un organisme public gouvernemental en ayant simplement recours aux fonds privés?
Je suis préoccupé par le fait que nous semblons être d'avis qu'il faut choisir une proposition ou l'autre. À mon avis, les deux propositions peuvent être complémentaires de nombreuses façons, mais on ne devrait pas se servir de l'une pour compenser l'autre, car elles peuvent toutes les deux représenter des efforts légitimes du gouvernement en matière de politique publique.
Pourriez-vous nous donner votre avis sur la question?
Cela revient à la question initiale concernant les objectifs de l'étude. Il semble y avoir une ambiguïté. S'agit-il du rôle du secteur privé dans la réalisation des intérêts du Canada — y compris les lois favorables aux activités minières, etc. —, ou s'agit-il de votre question, c'est-à-dire la promotion du développement social et économique?
Tout au long de la discussion — avec tout le respect que je vous dois, monsieur Watson —, vous avez parlé « d'objectifs de développement ». Je ne suis pas d'accord: je pense que vous parlez, en fait, de la promotion des intérêts des entreprises. Ce qui est fondamental, c'est le manque de distinction entre nos politiques en matière d'économie et de commerce, et nos politiques à l'égard de notre mandat de développement.
Cela revient à une vieille notion; l'idée selon laquelle il suffit d'investir pour favoriser le développement. Ce n'est pas le cas. C'est ce dont parle le rapport de la CEA et c'est là où la stratégie, qu'on a mis quatre ans à mettre au point, devient vraiment intéressante. Nous travaillons avec des ingénieurs miniers et des géologues — toutes sortes de gens de l'industrie minière. Ce n'est pas qu'il n'y a pas de place pour les activités minières, mais nos motivations et le sujet de l'étude doivent être très clairs.
Sommes-nous réunis pour parler de la politique de développement du Canada? Si c'est le cas, nous devrions parler de la façon dont nous respectons notre mandat de promouvoir et de renforcer les politiques des pays dans lesquels nous menons nos activités.
Cela signifie beaucoup de choses. Par exemple, ce n'est pas compatible avec ce qui se passe en ce moment. En effet, une étude menée par Ernst & Young révèle que 92 p. 100 des sociétés minières et métallurgiques font des transactions transfrontalières entre sociétés. Cet argent est soi-disant réinvesti dans les pays, mais toutes sortes de mécanismes expliquent qu'il y a, en fait, plus d'argent qui en sort. Un rapport du PNUD, publié en 2011, laisse entendre que pour 38 des 48 pays les moins développés, entre 1990 et 2004, 246 milliards de dollars sont sortis en financement illégal.
Nous devons donc examiner les flux monétaires. C'est une chose de dire que ces pays ne sont pas solides, mais selon le mode de fonctionnement du secteur coopératif, cela signifie que plus d'argent sort d'Afrique — et il y a des livres et des documents à l'appui — qu'il en entre.
Si nous voulons vraiment promouvoir le développement, nous devons entretenir beaucoup plus de scrupules à l'égard de notre éthique des affaires et à l'égard de la légitimité des cadres de réglementation. Nous avons écrit des livres sur les cadres de réglementation. On a conseillé à des pays de maintenir de faibles taux d'imposition. Les entreprises affirment qu'il faut maintenir de faibles taux d'imposition, mais elles veulent embaucher de la main-d'oeuvre contractuelle et, en même temps, mener des études sur la RSE. Ce type de position est tout à fait ambigu.
Il faut être cohérent avec ce qu'on soutient. La logique opérationnelle a le droit d'exister, mais il s'agit de quelque chose de très différent, et ce n'est pas en disant qu'on va promouvoir le développement à l'aide d'investissements qu'on y parvient. Cela ne fonctionne pas ainsi.
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Je suis heureux d'être de retour.
Merci à nos témoins.
Certaines des histoires que nous avons entendues me rappellent que ma mère a grandi dans une petite ville, non loin d'ici, qui comptait seulement une entreprise. L'économie de la ville reposait sur l'industrie des pâtes et papiers. L'entreprise fournissait le logement et pratiquement tout le reste. C'était bien à l'époque, mais on se demandait comment les choses pouvaient évoluer. Au fil du temps, on a construit des établissements, on a instauré une gouvernance et on a commencé à imposer une contribution municipale. Si vous allez dans cette ville aujourd'hui, vous pourrez observer que les pouvoirs en matière d'économie et de gouvernance sont variés, et qu'ils ne sont plus l'apanage d'une seule entreprise.
Je ne porte aucun jugement; je ne fais qu'observer la façon dont les choses ont évolué.
Il me semble que nous parlons de développement de la même façon. À mon avis, nous sommes en train de régresser, car nous voulons que les entreprises fournissent ce qui serait normalement fourni par le gouvernement. J'entends M. Watson dire qu'il est bon qu'on bâtisse une capacité. Il s'agit de la façon dont on y parvient.
J'ai dit qu'on régresse, car lorsque j'étais au Congo — nous avons parlé du Congo —, j'ai parlé aux fonctionnaires et aux ministres, et nous avons discuté de la fuite des capitaux hors du pays et du manque d'investissement. Je leur disais de faire ceci et d'envisager cela. Ils m'ont répondu de m'organiser et de parler aux autres pays, car ils faisaient face à une énorme fuite des capitaux, et ce n'est pas parce qu'ils ne les voulaient pas; c'est parce qu'on ne comprend pas leurs besoins sur le plan de la capacité.
Ma question s'adresse à vous, madame Campbell. Vous constatez que notre gouvernement a décidé de suivre la voie du partenariat avec certaines des plus grandes sociétés minières du monde, par l'entremise de l'ACDI. Je pense que vous êtes tous les deux d'accord sur le fait que le Canada a la plus importante empreinte écologique de l’exploitation minière de la planète. Mais voilà que nous avons décidé de suivre cette voie, c'est-à-dire d'établir un partenariat avec des sociétés minières afin d'aider à développer la capacité.
J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet. Si vous avez examiné la question, quelles sont les répercussions à long terme de cette façon de procéder — je pense qu'on a annoncé 26 millions de dollars l'automne dernier — et de collaborer avec les sociétés minières pour bâtir la capacité?
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Premièrement, je crois que nous perdons complètement de vue ce que le développement international signifie au Canada. Deuxièmement, nous faisons participer le gouvernement du Canada et les Canadiens à des projets dont nous ne pouvons assurer le suivi par manque de critères, et nous ne nous sommes pas dotés des mécanismes nécessaires pour vérifier ce qui se passe sur le terrain, ce qui est très dangereux.
Hier soir, j'ai lu le dernier rapport du conseil d'éthique norvégien, soit le rapport de 2011. Depuis 2008, deux des entreprises qui figurent maintenant parmi les partenaires de notre gouvernement font partie des sociétés dans lesquelles le gouvernement de la Norvège refuse d'investir ses fonds de pension. Les Norvégiens font des suivis; ils trouvent des choses très éloquentes. Je n'ai jamais compris pourquoi notre pays, dont l'investissement minier est beaucoup plus important, ne peut faire montre d'autant de rigueur dans les suivis là où nous sommes responsables en tant que peuple et en tant que gouvernement. Ce n'est pas seulement l'affaire des entreprises.
Quant à l'impact qu'aura cette politique, ce sont des projets qui établissent un permis social à court terme. Il s'agit de charité, et non de développement. Les attentes sur le continent africain ne sont plus ce qu'elles étaient il y a 25 ou 30 ans, à l'époque du plan d'action de Lagos, lorsque ces mêmes problèmes ont été soulevés. La réflexion se situe à un niveau bien différent.
La position actuelle du Canada, qui comprend bien les messages provenant de l'Afrique mais qui choisit de ne pas leur prêter attention, aura un effet très nocif, à long terme, sur notre réputation à l'échelle internationale.
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Merci, monsieur le président. J'adresse ma question à M. Watson.
Merci d'être ici et de permettre au comité de profiter de votre expertise.
Comme vous l'avez dit, vous avez vécu dans un pays qu'on appelle la Sierra Leone pendant un certain temps. J'ai vécu également dans un pays de l'Afrique de l'Ouest, un pays voisin qu'on appelle le Liberia. En fait, j'y suis demeurée pendant près de 10 ans, et mes parents ont vécu là pendant 25 ans. Mes deux fils sont nés au Liberia et ont quitté le pays en 1990, lorsqu'une guerre civile a éclaté.
J'en viens à ma question. On peut comprendre que la mise sur pied et l'exploitation des mines d'or présentent d'importants défis, puisqu'elles sont situées dans des régions éloignées largement dépourvues d'infrastructure et de soutien et que leur exploitation sécuritaire exige le concours de professionnels dûment formés. L'expertise de Sandstorm Gold ne réside pas dans la première phase d'exploitation des mines, mais bien dans l'évaluation, l'analyse et l'établissement de la valeur des actifs aurifères ainsi que dans la structuration d'ententes d'achat d'or.
L'entreprise soutient qu'elle vise à participer intimement au financement à long terme des activités de ses partenaires pour faire en sorte que chaque transaction soit rentable pour les deux parties. On peut comprendre que les pays en développement peuvent finir par dépendre de ces installations minières, puisqu'elles dictent tous les niveaux de l'interaction sociale au sein des communautés. Ma question porte sur l'attitude de Sandstorm Gold à l'égard des activités que l'entreprise mène dans les pays en développement.
À votre avis, monsieur Watson, quel rôle la responsabilité sociale d'entreprise joue-t-elle dans les activités de Sandstorm Gold? Quelles sont les conditions nécessaires à l'établissement de partenariats productifs et à long terme entre le secteur privé et les collectivités locales?
Précisons d'abord ce que fait Sandstorm. Il s'agit d'une entreprise, comme vous le dites à juste titre, mais nous fournissons les capitaux nécessaires à la mise sur pied des actifs d'une autre entreprise; nous la laissons ensuite exploiter les installations. Bien que nous ne menons pas les activités sur le terrain, nous les surveillons d'avance et nous surveillons leur évolution. Nous surveillons la conformité des opérations sur divers plans.
Nous essayons de cibler autant que possible les organisations qui, selon nous, seront capables d'exploiter la mine avec succès pendant des décennies. Dans ce sens, il faut nous assurer de faire affaire seulement avec des gens qui font un bon travail sur les plans environnemental et social et qui obtiennent l'appui de la communauté. Nous consacrons beaucoup de temps à cela. C'est notre travail.
Si nous investissons dans une entreprise qui ne répond pas à ces critères, nous risquons de perdre l'argent de nos investisseurs canadiens. C'est donc ce que nous visons.
Je suis allé dans de nombreux pays. La semaine dernière, j'étais au Pérou, où j'ai rencontré des représentants du gouvernement et des gens dans des communautés éloignées et très pauvres. On trouve là des personnes qui n'ont aucun espoir de recevoir une éducation, aucun espoir d'obtenir des installations médicales à moins que certains projets ne soient menés dans leurs collectivités. Je crois fermement, toutefois, que cette activité doit être menée de façon responsable et d'une manière qui rejaillira positivement sur le Canada dans son ensemble. C'est là une chose qui me semble très importante.
On a dit tout à l'heure que notre réputation est affectée par nos entreprises. Si nous croyons que la réputation du gouvernement du Canada n'est pas déjà ternie par ce que font les entreprises, que nous les appuyons ou non, nous nous leurrons. Ce que font les Canadiens et l'image qu'ils projettent se répercutent sur nous, point final.
C'est très important de pouvoir surveiller l'impact de leurs activités sur notre réputation, dans la mesure où nous pouvons nous impliquer, avoir des partenariats public-privé et instaurer un mécanisme de surveillance.
Le Canada a beaucoup à offrir, de même que les entreprises minières canadiennes. Le gouvernement du Canada a énormément à offrir. Je crois que si nous travaillons ensemble pour trouver les bons mécanismes... Nous en sommes aux premiers balbutiements de ce modèle, et il faut mettre en place plus de mesures de surveillance et apporter des améliorations. Mais, quoi qu'il en soit, je crois que nous sommes sur la bonne voie.
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Membres du comité, monsieur le président, merci.
Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître cet après-midi.
Conjointement avec mes collègues du MAECI et de l'ACDI, nous vous donnerons aujourd'hui un bref aperçu de la situation préoccupante au Mali à la suite du coup d'État qui s'est produit dans ce pays ouest-africain le 21 mars dernier et de la position adoptée par le Canada à l'égard de ce putsch.
[Traduction]
Le coup d'État au Mali est un recul majeur vis-à-vis des plans de développement du pays et a causé un tort sérieux à son intégrité territoriale. Il s'agit d'un coup dur pour un pays qui partage les mêmes valeurs que le Canada en matière de démocratie, de droits de la personne et de bonne gouvernance.
Vingt-deux entreprises canadiennes ont des activités au Mali et le Canada a fourni un appui dont deux instructeurs militaires à l'École de Maintien de la Paix de Bamako.
[Français]
Le 21 mars 2012, un coup d'État mené par des officiers subalternes des forces armées maliennes a mis fin à deux décennies de gouvernement démocratique. S'appelant le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'État, la junte dirigée par le capitaine Sanogo a destitué le président Amadou Toumani Touré, communément appelé ATT.
La grogne au sein des rangs inférieurs des forces armées s'est manifestée d'abord par des revendications auprès du gouvernement malien pour une meilleure rémunération et pour un meilleur armement. Cependant, les revendications ont vite glissé vers la destitution pure et simple du président ATT et des membres de son gouvernement. Ce putsch a eu lieu malgré le fait qu'une élection présidentielle à laquelle ATT n'était pas candidat devait se tenir le 29 avril prochain, soit dans 25 jours, pour élire son successeur.
Le président ATT a pu s'évader et n'a pas été fait prisonnier; il se trouve caché quelque part dans la région de Bamako. Pourtant, plusieurs personnalités, incluant des ministres, sont toujours détenues malgré des appels pressants des gouvernements régionaux pour qu'ils soient relâchés.
[Traduction]
Le pouvoir au Mali doit être rendu aux civils de façon urgente, étant donné les activités d'une alliance comprenant des combattants touaregs, le Mouvement National de libération de l'Azawad, le mouvement Salafiste Ançar Dine, le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest, Mujao et al-Qaïda au Maghreb Islamique. Ces groupes ont capturé des villes clés du nord du Mali — Kidal, Gao et Tombouctou — coupant virtuellement le pays en deux. C'est un événement sans précédent dans l'histoire du Mali depuis son indépendance.
Nous commençons d'ailleurs à recevoir des rapports faisant état de l'application d'une forme plus stricte de l'islam et de la charia. Le conflit dans le nord a aggravé une situation humanitaire déjà sérieuse causée par la sécheresse au Sahel. Les Nations Unies estiment à plus de 200 000 le nombre de personnes ayant fui depuis le début de l'année, dont un grand nombre vers les pays limitrophes. Selon l'UNHCR, plus de 23 000 personnes ont trouvé refuge au Burkina Faso, 46 000 en Mauritanie et plus de 25 000 au Niger, dont 2 000 Nigériens ayant vécu au Mali pendant des dizaines d'années. Plus de 93 000 personnes sont déplacées à l'intérieur du territoire malien.
[Français]
En ce qui a trait à l'action prise par le Canada, celui-ci a réagi rapidement et fermement pour condamner le putsch et pour exiger le retour à l'ordre constitutionnel. Le 21 mars, dès la réception des premières nouvelles du coup d'État, notre , a exprimé sa profonde inquiétude face aux attaques par certains éléments des forces armées contre le palais présidentiel. Il a demandé que les auteurs de ces attaques se retirent immédiatement et qu'ils respectent la démocratie. Il a insisté pour que les différends se règlent par le dialogue et par un processus démocratique, et non par la force, afin que la sécurité et la stabilité soient rétablies.
[Traduction]
Le 24 mars 2012, le Canada a annoncé la suspension immédiate de ses programmes d'aide impliquant des paiements directs au gouvernement du Mali. Toutefois, les programmes de l'ACDI qui dispensent une aide humanitaire directement au peuple malien, par l'intermédiaire d'organisations non gouvernementales internationales et locales, seront maintenus. Un certain nombre de pays, comme les États-Unis, la France et l'Allemagne, ont pris des mesures semblables.
[Français]
Le 30 mars 2012, le ainsi que , ont annoncé que le Canada avait participé activement à la suspension immédiate du Mali de l'Organisation internationale de la Francophonie. Ils avaient indiqué que les responsables du coup d'État devaient comprendre que la démocratie, l'ordre constitutionnel et la stabilité devaient être rétablis.
[Traduction]
Le Canada a aussi offert son aide à la CÉDÉAO, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, qui compte 15 membres. Le 27 mars 2012, les chefs de la CÉDÉAO ont réagi immédiatement en suspendant le Mali de l'organisation. La junte ayant refusé de rétablir l'ordre constitutionnel, condition imposée par la CÉDÉAO le 30 mars, l'organisation a imposé des sanctions le 2 avril. Ces sanctions comprennent le gel des avoirs du Mali à la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest et la fermeture des frontières avec les pays limitrophes, sauf pour l'aide humanitaire.
Ces mesures auront un impact immédiat sur la capacité de l'État à fonctionner et sur la disponibilité de la nourriture et du carburant, accentuant ainsi la pression sur les leaders du coup d'État afin qu'ils rendent le pouvoir. Les entreprises seront touchées par la pénurie de carburant et pourraient devoir cesser leurs activités.
La CÉDÉAO a aussi annoncé qu'elle mettrait en place une force militaire de 2 000 hommes. Les modalités de ce déploiement feront l'objet d'une discussion entre les chefs d'état-major de la défense de la CÉDÉAO le jeudi 5 avril.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies se réunissait hier pour discuter d'une déclaration qui serait faite aujourd'hui. Nous n'avons pas la version finale de la déclaration, mais nous l'attendons plus tard aujourd'hui.
Afin de respecter le temps qui m'est alloué, je m'arrêterai ici, mais si vous le souhaitez, je pourrais élaborer davantage sur la réaction des membres de la communauté internationale et sur l'avis émis par le gouvernement du Canada à l'intention des Canadiens. Évidemment, mon collègue de l'ACDI, George Saibel, est ici pour répondre aux questions relatives à l'aide humanitaire et autre.
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Je vous remercie encore une fois de votre question.
Nous avons certes offert de l'aide à la CEDEAO vendredi dernier et au cours de la fin de semaine. Nous avons contacté le chef de la commission de la CEDEAO et le président Compaoré qui, au Burkina Faso, est le principal négociateur pour cette communauté économique. De plus, le président Ouattara de la Côte d'Ivoire est également au courant de nos efforts.
La CEDEAO décide des mesures à prendre, selon moi. La situation est très instable. Tous prônent une solution politique à la crise et préconisent le désistement du capitaine Sanogo ainsi que le rétablissement de l'ordre constitutionnel. Dans l'esprit de chacun, c'est la priorité absolue.
Nous avons offert notre aide sur le plan de la médiation, et nous attendons également que la CEDEAO décide ce qu'elle veut pour le Mali, définisse la mission qui y sera menée et en détermine les modalités.
Par la suite — c'est-à-dire peut-être dès demain, lorsque les chefs d'état-major de la défense de la CEDEAO se rencontreront —, nous aurons une meilleure idée de la demande d'aide que nous pourrions recevoir.
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Merci beaucoup de votre question, monsieur le président.
Permettez-moi tout d'abord de vous donner un bref aperçu du programme qui était en cours au moment du coup d'État. Le Mali bénéficiait de l'aide du Canada et était en fait le pays qui en recevait le plus en Afrique de l'Ouest, les volumes d'aide dépassant les 100 millions de dollars par an.
L'aide était axée sur la santé et l'éducation des enfants et des jeunes. Nous oeuvrons dans ces secteurs depuis un certain temps et avions obtenu d'importants résultats. Nous avons divers critères objectifs qui permettent de mesurer les progrès concrets et tangibles que nous avons réalisés. Dans le domaine de l'éducation, par exemple, nous avons facilité la scolarisation et la qualité de l'enseignement en augmentant le nombre de manuels mis à la disposition des jeunes enfants.
Par rapport à la sécurité alimentaire, nous avons contribué aux travaux d'irrigation, à l'offre de microcrédits et au développement des marchés. Dans ce domaine aussi, nous avons à notre crédit une liste de résultats concrets et impressionnants.
Pour ce qui est de la gouvernance globale, divers programmes ont très bien fonctionné pour affirmer la démocratie, notamment grâce à une surveillance rigoureuse. Dans le cadre d'un programme phare, une relation étroite s'est nouée entre le vérificateur général du Canada et son homologue malien. Ce dialogue a acquis une très grande importance dans la surveillance des processus maliens.
Il y a eu ainsi d'importantes réalisations et programmes menés en collaboration directe avec le gouvernement du Mali, notamment grâce à des transferts financiers. Ces transferts ont cessé immédiatement après le coup d'État. Le message ainsi envoyé a été très clair en raison de l'importance des sommes qui s'élevaient à 45,6 millions de dollars et dont le pays aurait bénéficié s'il n'y avait pas eu ce coup d'État. La réaction a donc été très concrète.
Par rapport à ce que nous sommes encore en mesure de faire, les ministres Oda et Baird ont été très clairs en affirmant dans leur communiqué que nous allions suspendre les transferts financiers au gouvernement. Je viens de vous indiquer la valeur de ces transferts. L'action que nous menons encore prend la forme d'appuis accordés par l'intermédiaire des voies non gouvernementales, des ONG et des instances internationales, ainsi que de divers types d'aide humanitaire. Lorsque les circonstances le permettent, cet élément du programme se poursuit.
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Merci, monsieur le président.
[Français]
Je vous remercie beaucoup de vos présentations. J'ai eu l'occasion de discuter brièvement de ce sujet avec M. Dechert, il y a quelques semaines. Ce sujet m'intéresse beaucoup. J'ai eu l'occasion de visiter le Mali à quelques reprises. C'était pour nous, du Canada, un exemple que tout le monde citait; c'était un succès.
Comme M. Saibel le disait, des centaines de millions de dollars ont été alloués au fil du temps, et j'ai l'impression que nous avons tous cru qu'on réussissait, qu'on avait implanté des institutions qui fonctionnaient.
J'aimerais poser une simple question. Les Maliens ont peut-être été surpris comme nous, mais en un sens, cela constitue un échec pour le système d'avertissement de la communauté internationale. On dirait qu'il y a eu un manque de renseignements pour nous et d'autres partenaires, d'autres pays, d'autres alliés du Canada.
[Traduction]
J'ai le sentiment qu'il s'agit en quelque sorte d'un échec du système. Cela ne vise pas du tout le ministère des Affaires étrangères ou l'ACDI, mais la communauté internationale qui n'a eu de cesse de monter en épingle le Mali comme exemple et qui se retrouve, je crois, dans une position embarrassante alors que nous avons fièrement distribué toutes ces sommes pour renforcer les institutions démocratiques et que le vérificateur général… Si le vérificateur général doit rendre compte à une bande de gens armés de mitraillettes, dans une junte, ce n'est pas un mécanisme de rapport très efficace.
Je me demande simplement quelles leçons, nous et d'autres partenaires, tirons de cela. Comment faire en sorte de ne pas se retrouver dans une situation que je trouve regrettable? Je le répète, il ne s'agit pas de blâmer qui que ce soit, puisque c'est la communauté internationale dans son ensemble qui a été prise au piège.
Comment nous assurons-nous que les centaines de millions de dollars que nous dépensons… ou que d'autres pays que nous jugeons prioritaires ne vont pas soudainement se réveiller un beau matin avec un capitaine ou autre comme président, en nous laissant avec le sentiment que nous avons dépensé l'argent des contribuables dans des circonstances qui s'avèrent regrettables? Je me demande simplement quelles leçons nous essayons de tirer, collectivement, dans le cas où quelqu'un évalue d'autres pays, pour s'assurer que cela ne se produise pas dans d'autres… Bon, je dis: « Faire en sorte que cela ne se produise pas », mais comment peut-on prévenir ces situations? Il serait peut-être plus juste de dire qu'il faut essayer de trouver une sorte de système d'alerte avancée.