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Bonjour. C'est un plaisir pour moi de comparaître devant vous de nouveau afin de vous aider à poursuivre votre examen des dispositions linguistiques du Code criminel. Comme vous le savez, j'ai comparu le 27 mai 2013 devant ce même comité lorsque celui-ci entamait son examen.
Permettez-moi d'abord de me présenter de nouveau. Je suis Renée Soublière, avocate-conseil et coordonnatrice du contentieux au sein de la Direction des langues officielles, direction qui fait partie du secteur du droit public du ministère de la Justice du Canada.
Je suis accompagnée de Me Michel Francoeur, qui est directeur et avocat général de cette direction. Me Francoeur fera état des gestes concrets que pose le ministère de la Justice dans un souci d'appuyer le respect des dispositions linguistiques du Code criminel. Je suis également accompagnée de Me Robert Doyle, qui est chef du Secrétariat de la haute direction du Service des poursuites pénales du Canada. Me Doyle agit notamment à titre de secrétaire national du Comité fédéral-provincial-territorial des chefs des poursuites pénales. Il pourra donc répondre à toute question que vous aimeriez poser sur la mise en oeuvre des dispositions linguistiques du Code criminel.
Tout d'abord, j'aimerais rappeler le rôle que je joue au sein de la Direction des langues officielles, qu'on appelait auparavant la Section du droit des langues officielles. Je fais partie d'une équipe de juristes spécialisés chargée de fournir des conseils juridiques au gouvernement sur toute question de droit linguistique découlant notamment de la Charte canadienne des droits et libertés, de la Loi sur les langues officielles ou du Code criminel.
L'équipe est également chargée de l'élaboration de la position du procureur général et du gouvernement du Canada dans les affaires linguistiques portées devant les tribunaux. Enfin, c'est mon équipe qui a la responsabilité de fournir des avis et des conseils quant aux orientations politiques en matière linguistique, notamment à l'égard de toute proposition de modification législative touchant les droits linguistiques.
À ce titre, c'est la Section du droit des langues officielles, comme on l'appelait à l'époque, qui a élaboré les orientations ayant mené à l'adoption de la Loi sur les langues officielles de 1988, y compris les modifications aux articles 530 et 530.1 du Code criminel. Comme vous le savez, ceux-ci octroient à l'accusé le droit à un procès dans la langue officielle de son choix.
C'est également à ce titre que mon équipe a participé, de concert avec nos collègues de la Section de la politique en matière de droit pénal, à l'élaboration des modifications législatives contenues dans le projet de loi , qui a été adopté en 2008. J'ai eu l'occasion et le privilège d'agir à titre de chargée de projet et de participer à toutes les étapes, soit à la conception des orientations, aux consultations, à la rédaction du projet de loi et à l'étude en comité. J'ai d'ailleurs comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles le 28 novembre 2007, au moment où il entamait son étude du projet de loi .
Si j'ai cru important de vous rappeler encore une fois le rôle et le mandat de la section dans laquelle je travaille, c'est pour que vous compreniez les limites de mes propos d'aujourd'hui. Cela me fera plaisir de discuter des dispositions de la partie XVII du Code criminel, de vous fournir le contexte qui sous-tend les modifications de 2008 et de répondre aux questions que vous pourriez avoir à cet égard. Toutefois, ma présentation d'aujourd'hui ne portera ni sur la mise en oeuvre ni sur l'application des dispositions du Code criminel, parce que mon équipe ne joue aucun rôle à cet égard.
Si le comité le permet, je commencerai par présenter de façon générale les articles 530 et 530.1. J'expliquerai ensuite l'origine et le contenu des modifications législatives adoptées en 2008.
Avant de ce faire, il me paraît important de souligner quatre points.
D'abord, comme l'a dit l'ancien juge Bastarache de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Beaulac, les articles 530 et 530.1 du Code criminel illustrent parfaitement la progression des droits linguistiques par des moyens législatifs, selon le paragraphe 16(3) de la Charte. En effet, le Parlement fédéral, dans l'exercice de son pouvoir sur le droit criminel et la procédure en matière criminelle, a adopté un bon nombre de mesures législatives visant à étendre les droits linguistiques des accusés devant les tribunaux, dont les articles 530 et 530.1.
Deuxièmement, il m'apparaît utile de rappeler l'objet de l'article 530. Toujours selon l'ancien juge Bastarache dans l'arrêt Beaulac, l'article 530 vise d'abord et avant tout à donner un accès égal aux tribunaux de juridiction criminelle aux accusés qui parlent l'une des deux langues officielles du Canada, afin d'aider les minorités de langue officielle à préserver leur identité culturelle.
Troisièmement, il faut noter que le droit de tout accusé de subir son procès dans l'une ou l'autre des langues officielles n'est pas nouveau. En effet, le droit d'un accusé de subir son procès dans la langue officielle de son choix a d'abord été reconnu dans la toute première Loi sur les langues officielles, en 1969. En 1978 et encore en 1988, le Parlement a jugé utile d'élargir la portée des droits linguistiques d'un accusé et de venir préciser les modalités découlant d'un procès criminel devant se dérouler dans la langue de la minorité.
Le 1er janvier 1990, les dispositions dont on parle, soit les articles 530 et 530.1, sont entrées en vigueur partout au pays. Depuis cette date, toute personne accusée en matière criminelle peut donc subir son procès dans la langue officielle de son choix, où qu'elle se trouve au pays. Concrètement, cela veut dire que les différentes juridictions au pays doivent être en mesure de répondre à des demandes de procès en langue minoritaire et avoir l'infrastructure institutionnelle adéquate afin de fournir des services dans les deux langues de façon égale.
Quatrièmement, les modifications de 2008 n'avaient pas pour objet de modifier les dispositions de façon substantielle. Le but premier des modifications de 2008 était de clarifier certaines dispositions, de codifier l'état actuel de la jurisprudence et de combler certaines lacunes qui avaient été relevées par la jurisprudence et des études portant sur ces dispositions.
Passons maintenant au contenu précis des articles 530 et 530.1. Quels sont les droits et obligations corollaires prévus à ces dispositions? Je ne sais pas si vous avez les dispositions du Code criminel devant vous, mais il serait utile que vous les ayez à portée de la main.
Commençons par l'article 530.
Le paragraphe 530(1) prévoit qu'à la demande d'un accusé dont la langue est l'une des deux langues officielles du Canada, le juge peut rendre une ordonnance pour que l'accusé subisse son procès devant un juge ou un juge et un jury qui parlent la langue officielle qui est celle de l'accusé ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles.
Le paragraphe 530(2) vise la situation où la langue de l'accusé n'est pas l'une des deux langues officielles. Dans ce cas, le juge, sur demande de l'accusé, peut rendre une ordonnance pour que l'accusé subisse son procès devant un juge ou devant un juge et un jury qui, de l'avis du juge, permettra à l'accusé de témoigner le plus facilement ou, là encore si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles.
Selon le paragraphe 530(3) tel qu'il a été modifié en 2008, le juge devant qui l'accusé comparaît pour la première fois veille à ce que l'accusé soit avisé de son droit de subir un procès dans la langue officielle de son choix.
Avant l'adoption du projet de loi , seul un accusé qui n'était pas représenté par un procureur avait le droit d'être avisé de ce droit. Donc, la modification de 2008 a imposé au juge l'obligation de veiller à ce que tous les accusés, représentés ou non par un procureur, soient avisés de leur droit de demander un procès dans la langue officielle de leur choix.
Le paragraphe 530(4) permet au tribunal devant lequel l'accusé doit subir son procès de rendre l'ordonnance prévue aux paragraphes 530(1) et 530(2) lorsque ce dernier n'a pas présenté sa demande dans les délais prescrits dans le code.
Le paragraphe 530(5) précise qu'une ordonnance prévoyant que l'accusé doit subir son procès devant une cour qui parle une des deux langues officielles peut être modifiée pour que ce dernier soit jugé par un tribunal qui parle les deux langues, et vice-versa.
Enfin, le paragraphe 530(6) traite des cas où des coaccusés qui ne parlent pas la même langue officielle exercent leur droit respectif d'être jugés par un juge ou par un juge et un jury qui parlent leur langue officielle. Autrement, ils seraient jugés conjointement, mais en vertu du paragraphe 530(6), ces circonstances peuvent justifier la tenue du procès devant un juge ou un jury qui parlent les deux langues officielles.
Avant de passer à l'article 530.1, permettez-moi de mentionner l'ajout, en 2008, du paragraphe 530.01(1). Cette nouvelle disposition prévoit que, sur demande d'une personne accusée dont la langue officielle est le français ou l'anglais, le poursuivant est tenu de faire traduire les portions des dénonciations et des actes d'accusation demandées dans la langue officielle de cette personne et de lui remettre les documents traduits dans les meilleurs délais.
Avant l'adoption du nouveau paragraphe 530.01(1) en 2008, seules les parties préimprimées des formulaires figurant à la partie XXVIII du Code criminel étaient remises aux accusés dans les deux langues officielles. Les sections que remplissait le dénonciateur étaient rédigées et fournies à l'accusé dans la langue officielle de la personne ayant rempli le formulaire en question. Certains tribunaux avaient jugé inconcevable qu'un accusé ne jouisse pas du droit d'obtenir les documents d'une telle importance dans la langue officielle de son choix. En conséquence, ils avaient exigé que ces documents soient traduits à la demande de l'accusé.
L'ajout d'une nouvelle disposition au Code criminel, au moyen du projet de loi , a contribué à refléter l'état de la jurisprudence.
Passons maintenant à l'article 530.1 et examinons les dispositions qu'il prévoit.
Premièrement, l'accusé, son avocat ainsi que les témoins ont le droit d'utiliser l'une ou l'autre langue officielle au cours de l'enquête préliminaire et du procès.
Deuxièmement, l'accusé et son avocat peuvent utiliser l'une ou l'autre langue officielle dans les actes de procédure, l'enquête préliminaire et le procès.
Troisièmement, les témoins ont le droit de témoigner dans l'une ou l'autre langue officielle à l'enquête préliminaire et au procès.
Quatrièmement, l'accusé a droit à ce que le juge présidant l'enquête préliminaire ou le procès parle la même langue officielle que lui ou, dans le cas d'une ordonnance de procès bilingue, les deux langues officielles.
Cinquièmement, l'accusé a droit à ce que le poursuivant, quand il ne s'agit pas d'un poursuivant privé, parle la même langue officielle que lui ou, dans le cas d'une ordonnance de procès bilingue, les deux langues officielles.
Sixièmement, le tribunal est tenu d'offrir des services d'interprétation à l'accusé, à son avocat et aux témoins, tant à l'enquête préliminaire qu'au procès.
Septièmement, le dossier de l'enquête préliminaire et celui du procès doivent comporter la totalité des débats dans la langue officielle originale, la transcription de l'interprétation, s'il y a eu interprétation des débats, ainsi que toute la preuve documentaire, et ce, dans la langue officielle de sa présentation.
Huitièmement, le tribunal doit assurer la disponibilité du jugement ou de la décision, y compris l'exposé des motifs, dans la langue officielle de l'accusé.
[Traduction]
Permettez-moi de vous exposer brièvement les raisons qui ont motivé les modifications de 2008.
La mise en oeuvre des dispositions concernant les droits linguistiques du Code criminel a entraîné des difficultés pratiques et juridiques ponctuelles, comme le montre la jurisprudence qui s'est établie au fil du temps. Un certain nombre de rapports et d'études réalisés par divers intervenants ont également confirmé la nécessité d'améliorer et de clarifier certaines dispositions du Code criminel relatives à la langue du procès.
Plus particulièrement, en novembre 1995, le commissaire aux langues officielles a publié une étude intitulée « L'utilisation équitable du français et de l'anglais devant les tribunaux du Canada ». L'étude comprenait 13 recommandations visant à renforcer et à promouvoir les droits linguistiques dans les tribunaux, et plus particulièrement dans le cadre de procès criminels.
En réponse à cette étude, le ministère de la Justice a élaboré un document de travail. En novembre 1996, un document préparé par notre section, intitulé « Vers une consolidation des droits linguistiques dans l'administration de la justice au Canada », a été publié et distribué à grande échelle.
Le document, préparé en réponse aux recommandations du commissaire, avançait un certain nombre de propositions qui devaient servir de point de départ afin d'entreprendre des consultations publiques. On a procédé à des consultations publiques de novembre 1996 à avril 1998. Puis, en mai 1999, la Cour suprême du Canada a rendu un arrêt dans l'affaire Beaulac, décision qui portait précisément sur les dispositions linguistiques du Code criminel que nous étudions.
Dans l'arrêt Beaulac, la Cour suprême a reconnu que l'application et l'interprétation des dispositions linguistiques entraînaient effectivement des difficultés. La Cour suprême a émis des commentaires précis au sujet des mécanismes de publication des droits linguistiques des accusés, des délais alloués pour se prévaloir des droits énoncés aux articles 530 et 530.1, et de l'application de ces dispositions dans le cadre de procès bilingues.
À la lumière de la décision de la Cour suprême, nos recommandations ont été révisées et substantiellement modifiées. Nous avons procédé à de nouvelles consultations au sujet de la teneur des modifications proposées, et ces changements législatifs se sont finalement retrouvés dans un projet de loi qui comprenait également d'autres modifications relatives au droit criminel.
Les modifications de 2008 aux dispositions relatives à la langue du procès sont donc le résultat d'un long processus auquel divers intervenants ont participé. Elles visaient principalement à apporter des solutions réalistes et équilibrées à un certain nombre de problèmes qui avaient été relevés et à veiller à ce que les dispositions linguistiques du Code criminel soient efficacement mises en oeuvre.
[Français]
Je sais qu'à la suite de notre comparution en mai dernier, votre comité a communiqué avec les provinces et les territoires afin de leur demander de vous fournir leurs commentaires sur la mise en oeuvre des dispositions linguistiques du Code criminel, notamment sur la mise en oeuvre des modifications législatives de 2008. Je sais que vous avez reçu certaines réponses. Je crois comprendre aussi que certaines provinces seront appelées à comparaître. Je suis certaine que cela va vous être extrêmement utile.
Je vous remercie de votre attention. Je vais céder la parole à mon collège Me Francoeur.
[Traduction]
Merci.
Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les membres du comité, d'entrée de jeu, il me paraît important de préciser que le 27 mai 2013, il y a donc environ 10 mois, j'ai comparu devant ce comité, en compagnie de ma collègue Me Soublière, afin de brosser un tableau à grands traits des mesures administratives et financières prises par le ministère de la Justice en vue d'appuyer la mise en oeuvre des dispositions sous étude ainsi que des dispositions existantes au moment des modifications. Je reviendrai brièvement sur ces mesures. Je pourrai aussi vous donner des renseignements plus précis sur les mesures prises, notamment au moyen de subventions et de contributions.
Dans un premier temps, il est important de rappeler qu'en raison du partage des compétences législatives entre le fédéral et les provinces, l'action du gouvernement fédéral dans la mise en oeuvre des dispositions du Code criminel est limitée. Bien que le fédéral ait une compétence exclusive à l'égard des modifications apportées au Code criminel, dont Me Soublière vous a parlé tout à l'heure, et de la procédure en matière pénale, ce sont principalement les provinces qui ont compétence dans le cas de poursuites sous le régime du Code criminel.
J'aimerais cependant souligner une différence. Dans les territoires, les poursuites criminelles sont intentées par le Service des poursuites pénales du Canada, dont mon collègue Me Doyle pourra vous parler, si nécessaire.
Les provinces et les territoires sont responsables de la constitution et de l'organisation des tribunaux de juridiction criminelle. Cela signifie qu'en vertu des dispositions faisant l'objet de la présente étude, les provinces doivent s'assurer qu'elles ont les ressources institutionnelles et humaines nécessaires au sein de leur système de justice afin de permettre aux accusés de subir leur procès dans la langue officielle de leur choix.
Cela dit, dans le respect de ses compétences et dans les limites de ses moyens, le ministère de la Justice travaille avec ses partenaires provinciaux et territoriaux afin de les épauler dans la mise en oeuvre des obligations linguistiques prévues au Code criminel.
Le ministère de la Justice appuie les provinces et territoires par l'entremise de deux initiatives: l'initiative d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles et le Fonds pour l’application de la Loi sur les contraventions.
La première initiative se décline en deux composantes. La première composante est d'ordre financier. Il s'agit du Fonds d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles, qui est doté d'une enveloppe d'environ 40 millions de dollars, laquelle a été renouvelée dans le cadre de la Feuille de route pour les langues officielles du Canada 2013-2018. La deuxième composante est non financière. Ce sont les activités de collaboration et de consultation avec nos partenaires gouvernementaux et non gouvernementaux.
Je vais dire un mot de plus sur le Fonds d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles. La feuille de route 2013-2018, qui a été approuvée par le gouvernement et le Conseil du Trésor en décembre, a trois piliers: l'éducation, l'immigration et les communautés. Dans le domaine de la justice, le fonds en question fait partie de la feuille de route et a pour objectif d'améliorer l'accès aux services de justice dans la langue minoritaire, mais aussi d'améliorer la compréhension des droits linguistiques par les citoyens canadiens et par la ou les communautés juridiques.
À titre d'illustration, dans le cadre du Fonds d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles, le ministère de la Justice a mis sur pied un volet de formation afin d'appuyer les intervenants du système de justice dans la fourniture de services aux Canadiens dans la langue officielle de leur choix, plus particulièrement dans le domaine du droit criminel.
[Traduction]
Le volet de formation du fonds sert à aider ceux qui travaillent déjà au sein du système de justice à acquérir et à améliorer leurs compétences linguistiques.
À ce jour, le fonds d'appui a servi à financer le perfectionnement professionnel de divers intervenants du système de justice, y compris des procureurs de la Couronne provinciaux, des greffiers provinciaux, des agents de probation, des magistrats, pour ne nommer que ceux-là.
Le programme de formation linguistique pour les juges provinciaux parrainé par le Conseil canadien des juges en chef, sous la direction du juge en chef de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick, est un exemple concret d'un projet financé par le fonds dans le cadre du volet de formation.
En plus de contribuer financièrement au fonds d'appui, le ministère de la Justice joue également un rôle dans l'élaboration du programme. Depuis 2010, soit depuis quatre ans, le ministère de la Justice travaille de concert avec la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick à l'élaboration du programme, notamment à la création d'outils de formation et à l'établissement de l'approche axée sur des cas réels, des tribunaux fictifs, en quelque sorte.
Depuis la mise en oeuvre du programme en 2011, environ 120 juges ont participé au programme de formation linguistique.
[Français]
Un autre exemple précis de projet découlant du fonds est la mise sur pied, en 2010, du Centre canadien de français juridique, basé à Winnipeg. La création de cet organisme a permis de consolider la capacité institutionnelle d'offrir un éventail plus large d'activités de formation aux différents intervenants des systèmes judiciaires.
C'est ainsi que chaque province et territoire peut trouver au sein de son appareil judiciaire les intervenants francophones ou francophiles prêts à entreprendre la formation linguistique spécialisée en terminologie juridique. Il s'agit de professionnels qui ont déjà une connaissance du français et qui, par l'entremise du Centre canadien de français juridique, acquièrent et maintiennent leurs connaissances et leurs habiletés. Ils développent également la confiance nécessaire pour remplir leurs fonctions dans la langue officielle de l'accusé lorsque ce dernier en fait la demande en vertu de l'article 530 et des suivants du Code criminel. De plus, des discussions ont été entamées afin de voir si le même type d'activités de formation peut être offert aux intervenants anglophones et anglophiles du système judiciaire du Québec.
Par ailleurs, jurisource.ca est un portail créé par l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario et financé à même notre fonds. Il a été lancé à l'hiver 2013 à l'intention des professionnels de la justice oeuvrant dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Il rassemble en un seul endroit une variété de ressources visant à accroître la capacité du système de justice et de ses intervenants à offrir des services liés à la justice dans les deux langues officielles.
Je dirai maintenant un mot sur les activités de collaboration et de consultation impliquant les provinces et territoires ainsi que les organismes non gouvernementaux.
Depuis plusieurs années, il existe un groupe de travail fédéral-provincial-territorial ainsi qu'un comité consultatif sur l'accès à la justice qui créent des espaces d'échange et de collaboration où l'on peut soulever, le cas échéant, les questions, les bonnes pratiques, les enjeux ou les défis touchant l'accès à la justice, y compris ce qui relève du Code criminel.
Il existe également un groupe consultatif qui travaille avec les organismes non gouvernementaux, notamment mais pas exclusivement les associations de juristes d'expression française. Il y a également la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law.
Je parlerai maintenant de ce qu'on appelle le Fonds pour l'application de la Loi sur les contraventions, qui a été créé pour appuyer la mise en oeuvre de cette loi fédérale. Ce fonds aussi a pour objectif un meilleur accès à la justice dans les deux langues officielles. En outre, il y a la mise en oeuvre du régime fédéral des contraventions, en vertu duquel le ministère doit veiller au respect des dispositions linguistiques du Code criminel. Le régime prévu par la Loi sur les contraventions constitue une solution de rechange à la procédure sommaire prévue au Code criminel pour la poursuite des infractions fédérales dites réglementaires. L'objectif est de simplifier et de raccourcir les procédures, de façon à ce qu'elles soient moins coûteuses que si elles avaient été intentées en vertu du régime du Code criminel. Dans ce dernier cas, la procédure est en effet plus lourde, même lorsqu'il s'agit de la procédure sommaire prévue à la partie XXVII du Code criminel. Il est important de savoir que le régime fédéral des contraventions est mis en oeuvre par l'entremise des régimes pénaux provinciaux, lesquels sont incorporés par renvoi dans le droit fédéral, ainsi qu'au moyen d'accords signés avec les provinces.
[Traduction]
En 2001, dans l'affaire Commissaire aux langues officielles contre le Canada, on a demandé à la Cour fédérale de clarifier la portée des droits linguistiques applicables aux contraventions fédérales et aux infractions à la loi. L'affaire mettait en cause l'Ontario, la première province à mettre en oeuvre la Loi sur les contraventions. Cette décision reste, à ce jour, la seule à avoir été rendue sur la question.
Dans cette décision, la cour a statué que le gouvernement fédéral peut avoir recours à des mécanismes existants pour les infractions provinciales lors de poursuites en matière de contraventions fédérales. Il doit toutefois s'assurer que toutes les activités judiciaires et extrajudiciaires — en dehors des tribunaux — et tous les services offerts à l'intérieur et à l'extérieur des tribunaux relativement aux contraventions fédérales sont conformes aux dispositions du Code criminel et de la Loi sur les langues officielles. Autrement dit, le Parlement peut, s'il le désire, incorporer des mécanismes provinciaux dans la loi fédérale, mais cela ne soustrait pas le gouvernement fédéral à son devoir de veiller à ce que les provinces, lors de poursuites en matière de contraventions fédérales, respectent et mettent en oeuvre les dispositions linguistiques du Code criminel et de la Loi fédérale sur les langues officielles.
C'est pourquoi on a mis sur pied le fonds pour les contraventions. Il s'agit d'un fonds de 45 millions de dollars sur cinq ans, soit environ 9 millions de dollars par année, qui sont alloués aux provinces signataires d'ententes avec le gouvernement fédéral afin d'utiliser les régimes provinciaux pour intenter des poursuites relatives aux contraventions fédérales. Le nombre de signataires de telles ententes s'élève à sept provinces et une municipalité. Cinq d'entre elles reçoivent des sommes provenant du fonds. Les deux autres, soit l'Ontario et le Québec, n'ont pas demandé de financement.
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Monsieur le président, je ferai tout d'abord un résumé de l'exposé que j'ai fait en mai. J'y ajouterai quelques éléments, à la lumière des réponses des provinces.
Je suis chef du Secrétariat de la haute direction du Service des poursuites pénales du Canada et secrétaire national du Comité fédéral-provincial-territorial des chefs des poursuites pénales, qui est parfois saisi des dispositions linguistiques du code et de leur application.
De plus, j'ai travaillé de l'autre côté pendant près de 20 ans, à titre d'avocat de la défense, et j'ai représenté des clients majoritairement francophones un peu partout en Ontario, de 1983 à 1998. J'ai surtout travaillé dans l'est de la province, mais également à Sudbury, à Pembroke, à Kingston, à Brockville et à Toronto.
Je vous en avais déjà parlé la dernière fois, et je juge bon de le répéter: lorsqu'une personne est accusée, ses priorités sont d'être mise en liberté sous caution et de ne pas être reconnue coupable des accusations qui ont été portées contre elle. C'est pourquoi elle fera tout ce qui lui semble nécessaire afin d'obtenir ce résultat, même si cela signifie, par exemple, qu'elle doit embaucher un avocat anglophone unilingue spécialisé en la matière dans sa région.
Habituellement, lorsqu'une personne est accusée ou arrêtée, elle a droit d'appeler un avocat, et on lui fournit une liste d'avocats criminalistes. La liste comprend parfois des noms francophones, mais d'autres fois, non, et il y a également des avocats qui, tout comme moi, ont un nom anglophone mais sont bilingues. Les personnes accusées peuvent tomber ou non sur des avocats bilingues.
Elles peuvent aussi avoir entendu parler d'un expert. Dans certains domaines, notamment la conduite avec facultés affaiblies et les infractions liées à la drogue, certains membres du barreau local ont la réputation de vraiment s'y connaître, et, évidemment, d'obtenir de bons résultats pour leurs clients. Et si les clients doivent renoncer aux droits qui leur sont garantis dans la partie XVII du code, eh bien tant pis. Comme vous le savez, de nombreux francophones qui vivent à l'extérieur du Québec parlent un anglais correct ou excellent. C'est pourquoi ils acceptent facilement de subir leur procès en anglais si cela leur permet d'avoir accès aux meilleurs avocats. Et même lorsque leur avocat est bilingue, ils préfèrent parfois ne pas invoquer les dispositions linguistiques du code, de peur d'irriter le juge ou le système, ce qui risquerait de ne pas jouer en leur faveur. C'est mon premier point.
Mon deuxième point a été soulevé par James Cornish, le sous-procureur général adjoint de l'Ontario, dans sa réponse au greffier du comité. Les droits linguistiques ne sont pas toujours communiqués à l'accusé de la même manière. En mai, j'ai indiqué au comité qu'il y avait un surplus de juges et de procureurs bilingues au Canada, mais comme le dit M. Cornish, les ressources ne sont pas nécessairement disponibles là où se trouve la demande. Parfois, c'est le locuteur d'une langue minoritaire qui décide de retenir les services d'un avocat anglophone, mais il se peut également qu'il lui soit impossible de trouver un expert dans sa localité, que le juge, le procureur, et ainsi de suite... parfois les ressources sont absentes.
[Français]
Le problème principal relève de l'appariement entre les ressources disponibles et la demande, là où il y a demande. Aucune solution complète n'a encore été trouvée pour ce problème.
L'autre problème que j'aimerais soulever touche les procès dits bilingues. Sauf dans l'Est de l'Ontario et au Nouveau-Brunswick, il est assez rare que des procès se tiennent entièrement dans la langue de la minorité linguistique. La situation est la même pour les procès en anglais au Québec. C'est tout simplement parce que, dans bien des cas, les témoins dans une affaire, que ce soit l'agent de police qui a effectué l'arrestation, la personne qui a fait l'enquête ou les témoins oculaires, peuvent être majoritairement anglophones. Prenons l'exemple d'une affaire qui se serait déroulée à Brockville. Si l'accusé est un Québécois ou une Québécoise francophone de passage, il ou elle pourra peut-être trouver un avocat bilingue, mais il va s'agir d'un procès bilingue, en fin de compte.
Le procès peut aussi être bilingue parce qu'il y a plus d'un accusé. Dans les services des poursuites, nous essayons de faire en sorte qu'une même affaire donne lieu à un seul procès. En d'autres mots, si au cours d'une descente policière, de la drogue et des armes sont découvertes, il n'y aura pas un procès différent pour chacun des 30 accusés. Nous allons essayer de n'en tenir qu'un ou deux pour l'ensemble des accusés, donc de réunir ceux-ci. Certains accusés invoquent la partie XVII du Code criminel et demandent qu'on respecte leurs droits linguistiques, mais d'autres ne le font pas, parce que leur langue est celle de la majorité.
Comment gère-t-on, alors, des questions telles que les objections à la présentation de la preuve? Si, par exemple, une personne témoigne dans une langue donnée et que, tout à coup, le procureur veut s'objecter à ce que dit ce témoin parce que c'est du ouï-dire ou pour toute autre raison valable juridiquement, comment le juge va-t-il répondre? Comment les autres procureurs, autrement dit les avocats, affectés à ce dossier vont-ils répondre et dans quelle langue le feront-ils?
Ce sont toutes des questions pour lesquelles il n'y a pas de réponse complète et qui, dans certains cas, donnent lieu à des dérives. Souvent, les avocats affectés au dossier sont très bilingues, mais il peut arriver qu'un collègue de l'avocat représentant un client francophone soulève une objection en anglais et que, voulant participer au débat, l'avocat de l'accusé s'exprime en anglais. Il s'ensuit que l'accusé francophone ne comprend plus ce qui se dit. Ce sont des problèmes auxquels il est difficile de trouver des solutions. Il faut fonctionner au cas par cas. Il devient donc important, tant pour le juge qui préside le procès que pour le procureur, d'adhérer aux dispositions des articles 530 et 530.1.
[Traduction]
En outre, il est important que les avocats de la Couronne s'en tiennent à des directives précises afin de guider leurs interventions dans de telles situations. Par exemple, le Service des poursuites pénales du Canada s'en remet, à l'heure actuelle, à un imposant cartable de lignes directrices, le manuel du Service fédéral des poursuites du ministère de la Justice. Ce manuel comprend un chapitre entier consacré au bilinguisme et aux procédures qui se déroulent dans la langue de la minorité. On tente d'y prévoir tous les scénarios qui peuvent se produire dans le cadre d'un procès criminel, d'une enquête préliminaire, ou encore d'une enquête sur le cautionnement. L'objectif est d'orienter les mesures à prendre dans chaque situation.
Je tenais simplement à ajouter ces quelques remarques, à la lumière des commentaires reçus depuis le mois de mai.
Je suis prêt à répondre à vos questions, mais c'est en gros le message que j'avais à vous transmettre.
L'Île-du-Prince-Édouard n'a pas de procureur bilingue, si bien que la province fait appel soit au Service des poursuites pénales du Canada, soit au bureau de Moncton, où tous les procureurs sont bilingues, soit au Service des poursuites pénales du Nouveau-Brunswick, qui est un service provincial. Dès qu'on ordonne la tenue d'un procès en français à l'Île-du-Prince-Édouard, ce sont des procureurs du fédéral ou du Nouveau-Brunswick qui s'en occupent.
Nos procureurs s'en sont principalement chargés ces derniers temps, et nous n'avons pas eu vent de problèmes particuliers. J'imagine que cela poserait problème si... C'est pourquoi nous avons mis sur pied un groupe de travail fédéral-provincial sur l'accès à la justice, qui traite de la question des procès devant jury.
Il y a également eu des cas, comme ceux survenus en Colombie-Britannique il y a quelques années, où l'on réclamait un procès en français devant jury, en sachant pertinemment que le système ne serait pas en mesure d'accéder à cette demande. On espérait alors que les accusations seraient retirées ou suspendues. De telles situations se sont bel et bien produites.
Je fais partie de ce groupe de travail, et les administrateurs des tribunaux ont soulevé la question. Ils ont indiqué que tout va bien pour l'instant, mais qu'ils entrevoient des problèmes à l'horizon, car ils seraient incapables de trouver 12 citoyens honnêtes suffisamment bilingues.
La situation ne pourrait survenir qu'à très peu d'endroits au pays, car la Colombie-Britannique a adopté une politique de centralisation pour que les procès devant jury se tiennent tous au même endroit. Sauf erreur, il me semble que c'est à Surrey. Par conséquent, tous les procès bilingues devant jury se dérouleront dans cette ville, et la province défraiera les personnes de leur déplacement, au lieu d'avoir à trouver des citoyens bilingues dans les localités du nord de la Colombie-Britannique, ce qui est une mission impossible.
On a également soulevé la question des interprètes... Mais on a dit que ceux qui ont répondu... Au Comité des chefs des poursuites pénales, Terre-Neuve a évoqué d'éventuels problèmes au Labrador. Il n'y en a pas eus pour l'instant. La province peut trouver un juge et un procureur, mais elle n'est pas certaine en ce qui concerne le personnel du tribunal, et elle serait peut-être obligée...
D'un autre côté, tous ces acteurs sont membres d'un groupe fédéral-provincial. Ils peuvent faire appel aux autres membres du groupe pour faire face à de telles situations. Ils sont donc convaincus d'être en mesure d'accéder à la demande. Par contre, ils n'ont peut-être pas les ressources nécessaires dans le cas d'un procès devant jury, et voilà où ça achoppe.
Sans oublier tous les petits détails dont il faut tenir compte lorsque l'on tente de mener un procès bilingue, et si la plupart des témoins parlent la langue de la majorité, mais que l'accusé réclame un procès dans la langue de la minorité... Prenons l'exemple d'une enquête préliminaire. Il n'y a que la Couronne qui soumet sa preuve; la défense ne soumet rien. De toute évidence, cette enquête préliminaire se déroulera principalement en anglais, car, la plupart du temps, tous les témoins sont anglophones. Au bout du compte, cela ressemble au service d'interprétation que l'on pourrait offrir à un locuteur polonais, puisque l'appareil judiciaire est tenu de veiller à ce que l'accusé comprenne les procédures. Hormis les observations des avocats, le français est très peu employé dans de tels cas.