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La séance est ouverte. Les journalistes doivent donc quitter la salle avec leurs caméras et leurs appareils photo. Merci beaucoup.
Nous entamons la 30e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Conformément à l'ordre de renvoi du lundi 28 avril 2014, nous étudions le projet de loi , Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur la concurrence et la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle.
Pour la première heure qui est télévisée, nous avons le plaisir d'accueillir les représentants du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, dont M. Therrien.
Bienvenue, monsieur le commissaire. Veuillez présenter les fonctionnaires qui vous accompagnent. Vous avez 10 minutes, puis nous passerons aux questions et réponses.
Je vous cède la parole, monsieur.
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Merci, monsieur le président.
Membres du comité, bonjour.
Je vous remercie de nous avoir invités à présenter notre point de vue au sujet du projet de loi .
Je suis accompagné de Patricia Kosseim, avocate générale principale, et de Megan Brady, conseillère juridique.
Aujourd'hui, j'aborderai le volet du projet de loi qui concerne la cyberintimidation avant de m'attarder aux éléments qui confèrent de nouveaux pouvoirs en matière d'enquête, puisque ces deux éléments ont des répercussions sur la vie privée.
Dès le départ, et sans équivoque, le commissariat se réjouit du fait que le gouvernement agisse pour intervenir à l'égard de la cyberintimidation et de l'usage abusif d'images personnelles intimes. Il s'agit d'un enjeu social important qui préoccupe grandement les Canadiennes et les Canadiens.
Il est clair que l'usage d'Internet a altéré plusieurs de nos points de vue traditionnels en matière de vie privée. Une sensibilisation accrue, une réforme du cadre législatif, ainsi que des discussions publiques doivent jouer un rôle dans la résolution du problème. Il importe, à notre avis, de se doter d'une approche globale axée autant sur la sensibilisation de la population, comme dans le cas de la nouvelle initiative gouvernementale « Non à la cyberintimidation », que sur des efforts importants concernant l'éducation en matière de culture numérique.
Selon nous, il faut que les enfants, les parents et les enseignants aient tous accès à des ressources éducatives qui les aident à expliquer les cyber-risques et à montrer une utilisation responsable de la technologie, ainsi qu'un comportement éthique dans les interactions en ligne.
Le gouvernement a témoigné de son engagement à l'égard de la culture numérique dans le cadre de sa récente stratégie Canada numérique 150. Dans le cadre de cet effort, nous aimerions que se poursuivent le dialogue et les mesures de sensibilisation visant les jeunes et les éducateurs.
La cyberintimidation présente manifestement de graves risques pour la dignité individuelle et la vie privée de tous les citoyens qui utilisent les réseaux sociaux et les communications en ligne. Nous sommes donc d'avis qu'il faut que la criminalisation de la distribution non consensuelle d'images intimes et que l'élargissement des dispositions existantes du Code criminel concernant les communications harcelantes envoient un signal clair. Nous devons aussi veiller à ce que la cyberintimidation entraîne de graves conséquences.
Évidemment, il subsiste toujours des questions complexes concernant la protection de la vie privée qui sont associées à plusieurs des mesures proposées et plus particulièrement à celles qui concernent certains de nouveaux pouvoirs en matière d'enquête. Nous convenons que les lois doivent être modernisées, mais nous avons des réserves concernant certaines des mesures du projet de loi. Étant donné le caractère technique de ces modifications, le commissariat a soumis au comité des observations écrites détaillées.
Permettez-moi maintenant de résumer brièvement nos principales préoccupations.
J'aimerais d'abord réitérer mon point de vue. En raison de la complexité des enjeux qui vous ont été présentés lors de votre examen, je recommanderais de diviser le projet de loi en ses deux parties constituantes.
Du point de vue de la protection de la vie privée, les dispositions liées aux infractions ne soulèvent pas de grandes controverses et pourraient être traitées rapidement par la Chambre des communes avant de les référer au Sénat. Par contre, puisque des renseignements personnels sensibles et d'importants pouvoirs policiers sont en jeu, les composantes liées au régime d'accès légal méritent un examen des plus approfondis et pourraient bénéficier d'un examen ciblé.
[Traduction]
Nous sommes avant tout préoccupés par les seuils d'autorisation, monsieur le président. L'accès aux données constitue une activité beaucoup plus intrusive que la conservation des données. Même si le doute raisonnable peut constituer un seuil adéquat pour la conservation des données, nous estimons que le Parlement devrait examiner attentivement le seuil proposé pour l'autorisation judiciaire d'accéder à certaines données. L'écart par rapport à la norme constitutionnelle de motifs raisonnables et probables exige des explications et des justifications claires de la part du gouvernement, et appelle une approche prudente.
Un large éventail de nouveaux pouvoirs sont liés au projet de loi , au sens duquel les renseignements sensibles deviendraient plus accessibles aux organismes d'application de la loi et à de nombreuses autres autorités gouvernementales, et ce, selon un seuil juridique abaissé au doute raisonnable.
Les données de transmission sont un bon exemple de la façon dont les autorités peuvent obtenir des dossiers délicats à l'aide d'un seuil juridique réduit dans le cadre du nouveau régime. Le motif raisonnable de soupçonner pour accéder aux données de transmission utilise le précédent établi par la norme actuelle requise pour utiliser l'enregistreur de numéros de téléphone, l'ENT. Cependant, les renseignements et les dossiers qui constituent les données de transmission au sens du projet de loi permettraient de révéler beaucoup plus qu'un simple relevé des appels téléphoniques.
Nous sommes d'avis que la suspicion constitue un seuil trop peu contraignant pour des renseignements si révélateurs, à une époque numérique où chaque transaction, chaque message, chaque recherche réalisée en ligne, voire chaque appel ou mouvement laisse une trace électronique. Nous suggérons donc que le projet de loi applique la norme traditionnelle des motifs raisonnables et probables de croire pour ce qui est des dispositions selon lesquelles l'accès à l'information serait accordé. Il s'agit de la norme qui devrait être appliquée jusqu'à ce que des arguments plus convaincants en faveur d'un seuil réduit soient présentés et examinés de façon approfondie.
En deuxième lieu se pose la question de la multiplicité des responsables qui peuvent invoquer de tels pouvoirs. En vertu des pouvoirs d'enquête et des dispositions prévus dans le projet de loi , tant les agents de la paix que les fonctionnaires publics de tous les niveaux de compétence au Canada se verraient largement investis de la gamme complète des nouveaux pouvoirs. Bien que bon nombre d'organismes d'application de la loi et de sécurité disposent de solides mécanismes de reddition de comptes, d'autres organes gouvernementaux couverts par cette définition ne disposent pas de contrôle dédié et d'exigences en matière de transparence. Nous trouvons cela particulièrement inquiétant.
En troisième lieu, il y a la question clé de l'immunité juridique. Le projet de loi contient une modification prévoyant qu'une personne ou qu'une organisation jouit d'une immunité juridique si elle conserve volontairement des données ou si elle fournit un document à la demande d'un enquêteur, sans l'autorisation d'un tribunal. Nous nous inquiétons du fait que cette formule très générale pourrait entraîner une augmentation du nombre de divulgations volontaires et de demandes informelles. Cela touche particulièrement les entreprises du secteur privé qui, autrement, ne peuvent divulguer des renseignements personnels sans consentement sous la LPRPDE ou sous toute autre législation substantiellement similaire. En fait, une telle mesure pourrait équivaloir à un accès permissif sans l'approbation et la surveillance des tribunaux.
Les Canadiens s'attendent à ce que leurs fournisseurs de services préservent le caractère confidentiel des renseignements les concernant et à ce que ces renseignements personnels ne soient pas communiqués à des autorités gouvernementales sans consentement explicite, autorité légitime claire ou mandat.
[Français]
Enfin, se pose la question des mécanismes de responsabilisation et de transparence adaptés aux nouvelles formes de surveillance.
Dans le projet de loi, il n'y a aucune exigence en matière de reddition de comptes sur l'étendue du recours à l'un ou l'autre des nouveaux pouvoirs. J'estime qu'il s'agit là d'une question inquiétante, particulièrement compte tenu de la multiplicité des agents qui pourront exercer de tels pouvoirs et des répercussions possibles de l'immunité juridique. La reddition de comptes permanente fait partie de la structure de surveillance de nombreuses autres administrations. Nous sommes d'avis que le Canada devrait se doter de mesures permanentes similaires en matière de reddition de comptes.
Je vous remercie de votre attention.
Je répondrai avec plaisir aux questions des membres du comité.
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Merci beaucoup, monsieur le président. Je remercie également le commissaire d'être présent parmi nous aujourd'hui.
Je voudrais simplement faire écho aux propos de mon collègue.
C'est merveilleux d'avoir eu plusieurs heures de débats à la Chambre des communes et en comité. Toutefois, je pense qu'il est important de mentionner que les experts ont été en gros tous d'accord sur un fait. Selon eux, l'étude du projet de loi aurait dû se faire de manière plus approfondie en ce qui a trait aux dispositions relevant de l'accès à l'information. Malheureusement, nous n'avons pas pu prendre en considération les dispositions contenues dans d'autres projets de loi, notamment le projet de loi .
Bien que nous ayons fait une bonne étude, nous aurions pu l'approfondir encore davantage. Nous aurions pu prendre en considération d'autres projets de loi qui pourraient avoir un impact sur l'application des dispositions du projet de loi .
Ma première question touche votre présentation. Vous avez parlé du manque de mécanismes de reddition de comptes. Justement, le projet de loi n'inclut pas de mécanismes de surveillance ni de dispositions pour faire connaître l'information aux personnes dont les données ont été partagées.
Par exemple, l'article 184.4 du Code criminel a été invalidé par la Cour suprême non pas parce que ce mécanisme permettait un partage de l'information obtenue sans mandat par de l'écoute électronique, mais plutôt parce que l'application de cet article ne prévoyait pas de mécanismes de surveillance ni de mécanismes de notification. Les gens qui ont été mis sous écoute par les policiers n'en ont jamais été mis au courant.
Je ferai une comparaison avec l'article 188. Ce dernier prévoit un examen rapide par un juge en raison de facteurs d'urgence. Donc, la Cour suprême avait jugé que l'article 188 était valide, parce qu'il y avait un mécanisme de surveillance.
Pourriez-vous parler davantage de la nécessité, dans le projet de loi , de respecter, d'une part, l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés et, d'autre part, de respecter le jugement de la Cour suprême prescrivant un tel mécanisme?
Nous avons entendu précédemment le témoignage de M. David Butt qui représentait la Kids' Internet Safety Alliance. C'est un ancien procureur qui a plaidé de nombreuses causes devant la Cour suprême du Canada.
Il nous a dit différentes choses au sujet du projet de loi. Il nous a indiqué que nous devrions nous demander précisément quels droits à la protection de la vie privée déjà existants sont supprimés par le projet de loi , et qu'en fait, il n'y en a aucun.
Il a ajouté que le projet de loi n'élargit pas le pouvoir des policiers d'obtenir des renseignements sans ordonnance judiciaire préalable. Alors, toute allégation laissant entendre que le projet de loi permet un cyberespionnage plus invasif sans mandat relève de la légende urbaine.
Pour ce qui est plus particulièrement de l'article 25, il s'est demandé si la police pouvait exiger des fournisseurs de services Internet qu'ils lui communiquent volontairement de l'information au sujet du profil Internet d'un individu. Encore là, ça se limite à très peu de choses — simplement le nom de l'abonné et son adresse. C'est tout.
Il était d'avis que ce projet de loi et la disposition dont nous discutons ont simplement pour effet de codifier l'article 25 et la jurisprudence afférente. Êtes-vous d'accord avec cette évaluation?
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Merci, monsieur le président.
Effectivement, nous avons présenté un amendement à l'article 3 du projet de loi, qui vise à remplacer les lignes 21 et 23 du paragraphe 162.1(1) du Code criminel, qui commence ainsi: « Quiconque sciemment publie, distribue, transmet, vend ou rend accessible une image intime d’une personne, ou en fait la publicité, [...] ». Le reste du paragraphe serait substitué par les mots suivants: « dans l'intention de nuire, de gêner, d'intimider ou de harceler cette personne, est coupable [...] ».
La raison en est bien simple. Plusieurs personnes en ont parlé, mais ce sont les représentants de l'Association du Barreau canadien qui ont été les plus éloquents à cet égard. Ils ont parlé de la notion dont il est question à l'article 3 du projet de loi , qui dit ceci: « [...] sachant que cette personne n’y a pas consenti ou sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non, est coupable [...] ».
Selon eux, il serait préférable de se recentrer sur la question de la mens rea, c'est-à-dire sur l'intention coupable.
C'est un peu ce qui était recherché par les différents ministres lors de la conférence fédérale-provinciale-territoriale, c'est-à-dire créer une infraction liée à la distribution de l'image. À cause des tristes événements qui se sont produits au Canada, l'image a surtout été utilisée pour intimider, harceler, nuire ou gêner.
À mon avis, il serait plus clair, plus précis et plus facile pour les forces de l'ordre et les procureurs de la Couronne de déposer des actes d'accusation si l'article 3 ne présentait pas un flou juridique.
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Merci, monsieur le président.
Puisqu'il semble qu'au cours des derniers mois, certains membres du comité ont peut-être oublié la raison de ma présence, je veux seulement vous rappeler que ce n'était pas mon idée. Je n'ai pas demandé à ce que l'on procède ainsi. J'ai été convoquée conformément à une recommandation et, en fait, à une motion qui a été adoptée par le comité, et à des motions identiques qu'ont adoptées 20 autres comités.
J'arrive d'une séance d'un comité où l'on a étudié le projet de loi . J'avais fourni des amendements pour l'étude article par article afin de m'assurer qu'on ne m'empêche pas d'exercer mes droits contenus dans O'Brien et Bosc. Toutefois, concernant ces 20 motions qui ont été adoptées, qui j'imagine nous sont provenues du CPM, puisque leur contenu est identique... Dans ce cas, je présente mes amendements de fond à l'étape du rapport. C'est pourquoi je suis ici et que je parlerai à tout le monde de mes amendements. Je suis ravie d'en avoir la possibilité.
Ce que l'Association du Barreau canadien a dit au sujet du libellé actuel m'a plu. C'est pourquoi mon amendement est identique à celui du NPD. Il correspond à ce qu'on nous a recommandé. Mme Boivin et moi avons un certain nombre de choses en commun. Nous avons presque la même date d'anniversaire et en plus, nous sommes toutes les deux avocates. On ne devrait pas rejeter d'emblée l'avis de l'Association du Barreau canadien.
Le concept de responsabilité criminelle comporte le mens rea, une intention. Le libellé actuel du projet de loi est tellement général que dans l'exemple hypothétique qu'a utilisé l'Association du Barreau canadien, un individu pourrait être déclaré criminellement responsable pour avoir prêté son ordinateur portatif à quelqu'un d'autre, une personne qui, par une série d'événements, ouvre des fichiers et finit par partager accidentellement des images, alors que ce n'était pas l'intention de la personne à qui appartient l'ordinateur. L'ère d'Internet ouvre la porte à toutes sortes d'actes commis par inadvertance — et non par négligence et non intentionnellement — et donc, puisque le terme cyberintimidation est très clair et qu'il suppose l'intention de faire du tort à d'autres personnes, il faut que cela recèle l'intention des différents aspects de la criminalité. C'est pourquoi mon premier amendement, Parti vert-1, est un amendement qui vise à faire en sorte que nous ne piégeons pas par erreur des personnes innocentes.
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Je veux simplement répéter au gouvernement l'importance de réfléchir avant de rejeter du revers de la main cet amendement extrêmement important.
Des témoins qui représentaient les victimes ont comparu devant notre comité. Ils ont dit qu'il était extrêmement important que cette partie soit adoptée, mais qu'elle puisse aussi passer le test des tribunaux. Le danger que l'on perçoit, et ce n'est pas juste pour être
[Traduction]
casse-pieds. Des spécialistes ont jugé qu'elle était tellement floue que je crains que tout ce que le gouvernement croit qu'elle accomplit dans la lutte contre la cyberintimidation sera complètement anéanti, pour la seule raison...
En tant qu'avocate, je vois tellement de façons de se sortir de l'article 3 qu'il est incroyable que le gouvernement ne prenne pas le temps d'y réfléchir et de comprendre l'importance de régler le vrai problème: la distribution d'images intimes dans le but de harceler, d'intimider, de gêner et d'ennuyer. Ce sont les mots qui reflètent ce que c'est. Quand je pense à Rehtaeh Parsons, à Amanda Todd, je constate que c'est exactement ce que vous voyez dans ces cas.
C'est vraiment dangereux. Je pense que c'est un avertissement important pour le gouvernement de ne pas être trop têtu et de ne pas exiger que ce soit leurs mots ou rien du tout. En toute honnêteté, pour toutes les victimes, c'est une chose à laquelle je crois vraiment. Si nous voulons bien faire notre travail, du moins pour cette partie, nous devons nous assurer de ne pas donner de munitions aux gens qui affronteront les avocats devant les tribunaux.
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Monsieur le président, je me contenterai de dire que le gouvernement n'appuie pas l'amendement. Nous croyons que le critère approprié est celui d'insouciance.
Des témoins, y compris des témoins liés aux victimes, nous ont donné un certain nombre d'exemples de ce critère. L'UNICEF donne l'exemple hypothétique d'une personne qui prêterait son portable, dans lequel elle conserve des images intimes de son amie, en recommandant à la personne à qui elle le prête de ne pas regarder les photos et de ne rien faire avec. Si, contrairement à ces recommandations, cette personne regardait, puis distribuait les photos, ce serait, comme le craint l'UNICEF, un exemple de la façon dont on attraperait des jeunes.
Nous croyons honnêtement que c'est un exemple évident du piège dont nous essayons de les protéger. L'insouciance est un état mental bien connu en droit criminel. Nous ne croyons pas que cela criminalise un comportement négligent, et, comme un témoin a dit, il n'hésite pas à rappeler régulièrement à son fils de 10 ans le critère d'insouciance.
Monsieur le président, voilà pourquoi, pour protéger les droits de ceux dont on distribue les images sur Internet, nous n'appuierons pas cet amendement.
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Je voudrais, en faisant appel à ce qui est cher à M. Dechert, faire valoir que les amendements PV-3, PV-4 et PV-5 concernent le même problème, un problème de fond. Croyez-moi, ces amendements répondent à ce problème. Je n'ai pas l'intention de parler plus d'une minute et je n'essaierai pas de l'étirer à trois.
Ce problème auquel nous avons fait allusion dans nos deux amendements précédents, PV-1 et PV-2, ainsi que dans l'amendement NDP-1, est que le projet de loi ratisse trop large. Son libellé le rend susceptible de criminaliser des activités qui dépassent son intention. Nous ne voulons pas, par exemple, incriminer des journalistes qui publient une image qui est d'intérêt public, si, normalement, ils publient des images, par exemple, de célébrités, de personnalités très connues. Ce n'est pas de la cyberintimidation. Nous pouvons avoir d'autres motifs de ne pas aimer ce qu'ils font, mais ce n'est pas l'intention de la loi.
Dans son mémoire, l'Association du Barreau canadien a révélé que le libellé du projet de loi risquait de rendre les médias frileux au point d'empêcher la publication d'images d'intérêt public, dans la crainte d'être incriminés de cyberintimidation. Les amendements PV-3, PV-4 et PV-5 visent à empêcher essentiellement de criminaliser ce que nous considérerions normalement comme du journalisme. Nous pouvons ne pas aimer ces images. Dieu seul sait à quel point j'aurais été heureuse de ne jamais voir Rob Ford fumer du crack dans son sous-sol. Mais cette image, non pas qu'elle n'ait pas été intime... Vous comprenez où je veux en venir.
Par ce projet de loi, nous ne voulons vraiment pas traiter les journalistes en criminels, et c'est ce à quoi pourvoient ces amendements.
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Merci, monsieur le président.
Cet amendement répond au problème qui, encore une fois, en raison du libellé du projet de loi, fait que, dans l'ignorance de la réalité d'Internet, on pourrait incriminer des personnes qui n'ont aucun moyen de connaître la teneur de ce qu'ils communiquent. Plus précisément, on pourrait incriminer les fournisseurs d'accès à Internet alors qu'ils sont de simples fournisseurs neutres de services. En fait, ils peuvent fournir un moteur de recherche qui indexe le contenu de divers sites Web en ignorant ce qui s'y trouve. Leur raison d'être n'est pas de répandre des images intimes sans le consentement des intéressés. D'après nous, cette responsabilisation de fournisseurs neutres... C'était certainement l'opinion, je tiens à le souligner, de l'Association du Barreau canadien, qui croit si déraisonnable cette disposition qu'elle ne lui donne aucune chance de survie à une contestation fondée sur la Charte des droits et libertés ou à un examen sous la loupe de la même Charte. On ne peut certainement pas déceler de trace de culpabilité morale ou d'intention coupable de la part des fournisseurs d'accès à Internet qu'on pourrait prendre en application de cet article.
Mon sixième amendement tente de répondre à ce problème, en suivant l'avis de l'association du barreau qui figure à la page 8 de son mémoire, pour qu'aucun fournisseur de services de télécommunications, d'outils d'information et ainsi de suite ne soit tenu criminellement responsable d'une infraction de cet article.
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Merci, monsieur le président.
Cet amendement touche la question des peines à vie auxquelles sont condamnés certains contrevenants. C'est, encore une fois, ce que craint l'association du barreau, mais, pour ma part, je suis préoccupée par l'interdiction absolue d'accéder pendant longtemps à Internet. Pour être légale, une interdiction générale ne devrait pas dépasser cinq ans. En effet, Internet est loin d'être une futilité dans notre société. L'interdiction, pour le reste de sa vie, d'utiliser Internet pourrait, par exemple, empêcher un particulier de remplir des demandes d'emploi sur un site Internet.
Je suis entièrement en faveur de peines adaptées au crime et de peines convenables et adéquates pour un cyberintimidateur, mais nous devrions sûrement prévoir des exemptions. C'est la raison pour laquelle, dans l'amendement, il est question d'« exemptions qu'ils estiment nécessaires pour éviter qu'il soit indûment porté atteinte aux intérêts du contrevenant, peut interdire à celui-ci d'utiliser Internet ou tout autre ». Je pense qu'il est inutile d'expliquer davantage.
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Merci, monsieur le président.
Le gouvernement n'appuiera pas cet amendement. Comme Mme May le saura, le tribunal, en rendant une ordonnance d'interdiction, peut tenir compte des circonstances personnelles de l'accusé au moment de la détermination de la peine. Elle saura aussi qu'une condition imposée peut être cassée ultérieurement si les circonstances le justifient, par exemple, comme elle le laisse entendre, pour obtenir un emploi ou quelque chose de cette nature.
Monsieur le président, l'ironie que je trouve dans cet amendement vient du fait que, d'ordinaire l'opposition nous demande d'accorder plus de pouvoirs discrétionnaires aux juges, alors que, dans ce cas, elle nous demande le contraire.
Pour ces raisons, monsieur le président, nous n'appuierons pas cet amendement.
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Merci, monsieur le président.
La préoccupation est la même ici. L'amendement PV-8 fait en sorte que l'interdiction puisse être ordonnée pour toute période « raisonnable », qui est ensuite énoncée.
J'aimerais brièvement répondre à la remarque de Bob. Je ne crois pas que la proposition de l'amendement précédent ou du présent amendement diminue le pouvoir discrétionnaire du tribunal. On demande à celui-ci de rendre une ordonnance quant à ce qu'il juge « raisonnable », et sur les « conditions ou exemptions qu'il estime nécessaires », dans l'amendement précédent.
Encore ici, les juges ont un certain pouvoir discrétionnaire, mais le Parlement a pour rôle d'orienter l'application de la loi. Je pense que personne ici ne voudrait qu'une personne jugée criminellement responsable qui a reçu une peine appropriée et qui l'a purgée ne puisse pas poursuivre sa réhabilitation parce qu'elle n'aurait pas accès à des emplois sur le Web, entre autres.
Voilà pourquoi mon amendement permet au tribunal d'imposer une interdiction en fonction de ce qui est raisonnable dans les circonstances.
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Merci, monsieur le président.
Puisque le jour de ma fête approche, j'ai tendance à être généreuse. Je dirai ceci: Great minds think alike.
L'amendement NPD-2 s'inscrit dans ce qu'on vient d'entendre au cours des dernières minutes. Le comité a entendu les témoignages de différents groupes qui ont comparu devant le comité.
Il est pertinent que le , qui a présenté plus souvent qu'autrement des projets de loi prévoyant des peines minimales obligatoires, laisse une certaine discrétion à la cour.
Je ne parle pas ici de peines minimales, mais plutôt d'imposer un plafond. C'est l'objectif recherché par le projet de loi . On a bien fait de stipuler « pour la période que le tribunal juge appropriée », mais si on précisait que cette période ne pourrait excéder cinq ans, ce serait beaucoup plus raisonnable. Dans ce contexte, cela servirait aussi de guide
Y a-t-il d'autres interventions au sujet de l'amendement NDP-2? Puisqu'il n'y en a pas, que tous ceux qui sont en faveur se manifestent.
(L'amendement est rejeté. [Voir le Procès-verbal])
Le président: Cela signifie bien sûr que l'amendement PV-9 est retiré de la liste.
Il n'y a pas d'autres propositions concernant l'article 3, et aucun amendement n'a été adopté.
(L'article 3 est adopté avec dissidence.)
(Les articles 4 à 7 inclusivement sont adoptés avec dissidence.)
(Article 8)
Le président: Nous sommes maintenant saisis de l'amendement NDP-3.
La parole est à vous, madame Boivin.
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Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui.
À la lecture du projet de loi , j'ai remarqué avec intérêt que l'article 12 modifiait la disposition sur les crimes haineux du Code criminel pour y ajouter d'autres motifs illicites de discrimination. Je trouvais que c'était une bonne occasion de proposer un amendement afin d'ajouter « l'identité de genre » à cet article du Code criminel.
Voilà qui constitue la moitié de mon projet de loi d'initiative parlementaire , qui a été adopté en Chambre il y a plus d'un an, et qui stagne au Sénat. C'est aussi la moitié du projet de loi d'initiative parlementaire antérieur qui avait été adopté lors de la législature précédente. Le Parlement a donc voulu deux fois inclure l'identité de genre à la disposition sur les crimes haineux du Code criminel.
Lorsque la question a été portée à l'attention du ministre pendant sa comparution devant le comité, celui-ci a dit à Mme Boivin, je crois, qu'il n'y voyait aucun problème, en principe. J'avais donc bon espoir de pouvoir faire adopter l'amendement au sein du comité, et jusqu'à il y a quelques minutes, la majorité des membres présents avaient voté en faveur du projet de loi. Mais je suis maintenant inquiet, car on dirait que quelque chose a changé du côté du gouvernement. Les transgenres sont les membres de notre société qui risquent le plus d'être victimes d'un crime haineux, et il est plus que temps de les inclure à l'article sur les crimes haineux du Code criminel. Cela permettra certainement de sensibiliser le public, de favoriser la dénonciation et d'aider à protéger un des groupes de notre société qui a le plus de difficultés, comme je l'ai dit.
J'espère que le changement qui s'est opéré chez les députés du gouvernement devant nous ne dénote pas une intention de rejeter l'amendement, puisque cela irait à l'encontre de la volonté que le Parlement a manifestée à deux reprises déjà. J'ai quand même assez bon espoir.
Merci.
:
Je pense que M. Dechert vient justement de prouver pourquoi nous aurions dû diviser le projet de loi. Bien honnêtement, on commence à... Le titre du projet de loi n'est pas encore décidé, mais lorsqu'on voit que son titre abrégé est la « Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité », et qu'il vise surtout à créer une infraction pour la distribution d'images intimes, l'argument que je viens d'entendre sur les pêches et divers aspects.... J'en comprends qu'on profite de l'occasion pour mettre à jour pratiquement tous les outils imaginables, mais justement: ce n'est pas nécessairement ainsi qu'on nous a présenté le projet de loi ni l'objectif qu'il devait poursuivre. Pour reprendre les paroles de la mère d'Amanda Todd, le danger ici, c'est que le projet de loi s'éloigne de son objectif essentiel et central. Voilà donc d'excellents exemples.
Je propose cet amendement pour essayer de le circonscrire davantage à ce que nous devions faire. Honnêtement, si nous voulons modifier tous les outils qu'ont
[Français]
des agents de la paix et des fonctionnaires publics
[Traduction]
pour n'importe quelle loi, voilà qui prouve aussi ce que disait le commissaire à la vie privée, que nous venons d'entendre.
Nous avons besoin d'une étude beaucoup plus vaste et approfondie sur la cyberintimidation, puisque le projet de loi est réputé s'attaquer à ce problème. Or, on me parle de pêches et de toutes sortes de choses. Voilà ce que je trouve le plus dangereux avec ce projet de loi. Puisque c'est la cyberintimidation que nous avons étudiée, je doute que nous ayons les compétences nécessaires sur la façon dont les choses se passent dans tous ces autres secteurs, que ce soit parmi les députés ou même chez les témoins que nous avons entendus. Or, ce n'est pas là-dessus que porte le projet de loi. Je trouve un peu triste qu'il ne soit pas plus ciblé, au moins. Puis si nous voulons apporter d'autres mises à jour, nous pourrons soumettre la proposition au comité approprié pour qu'il s'en charge, plutôt que d'apporter les modifications au sein d'un projet de loi sur la cyberintimidation du Comité de la justice.
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Au sujet de notre amendement, il est important de mentionner ceci. Lors de sa conférence de presse, alors qu'il a présenté le projet de loi , le ministre de la Justice a exprimé clairement — et il exprime encore clairement — que ce projet de loi ne veut que venir légiférer sur une matière spécifique, à savoir la cyberintimidation. Je fais référence ici à plusieurs articles.
Il est donc important de rappeler que le ministre de la Justice a mentionné à plusieurs reprises que projet de loi n'est pas un projet de loi omnibus et que son seul but était de légiférer en matière de cyberintimidation. J'ai posé des questions à des associations de policiers et, selon elles, il était clair que l'application de la loi devait être confiée aux agents de la paix.
Toutefois, le secrétaire parlementaire nous dit que ce ne serait pas exclusivement les agents de la paix qui seront chargés de l'application de la nouvelle loi. Il y aura aussi des gens de la police militaire ou des agents des douanes. En fait, ce que le secrétaire parlementaire est en train de nous dire — et je vois qu'il le confirme —, c'est que les dispositions prévues dans le projet de loi ne seront pas seulement utilisées par les policiers, mais également par d'autres personnes qui n'ont pas nécessairement reçu la formation nécessaire à ce sujet.
Les différents témoins que j'ai questionnés à ce sujet m'ont dit que les gens qui n'ont pas la formation requise pour exercer ces pouvoirs ne devraient pas être appelés à les exercer. En ce moment, je suis inquiète parce qu'on nous dit que les pouvoirs donnés à la police seront beaucoup plus grands et seront également exercés par des fonctionnaires publics fédéraux visés par la définition du terme « fonctionnaire public », prévue à l'article 2.
Je sonne aujourd'hui l'alarme. Les gens qui craignaient l'exercice de ce genre de pouvoirs doivent être conscients qu'ils seront conférés à tous les fonctionnaires publics et non seulement aux agents de la paix.