Monsieur le président, membres distingués du comité, merci beaucoup de donner l'occasion à notre organisme de présenter un exposé sur le projet de loi .
Je m'appelle Lianna McDonald. Je suis la directrice générale du Centre canadien de protection de l'enfance, un organisme de bienfaisance enregistré qui fournit des programmes et des services nationaux liés à la sécurité personnelle de tous les enfants.
Je suis accompagnée aujourd'hui de deux de mes collègues: Mme Signy Arnason, directrice de Cyberaide.ca; et Monique St. Germain, notre avocate générale.
Notre objectif, aujourd'hui, est de fournir des renseignements et d'exprimer notre appui à l'égard du projet de loi , un projet de loi qui aidera à s'attaquer à la distribution non consensuelle d'images intimes. Nous allons livrer des témoignages découlant de notre rôle de gestionnaires de Cyberaide.ca, la ligne de dénonciation nationale du Canada où on peut déclarer les cas d'exploitation sexuelle en ligne des enfants.
Ce dont nous avons été directement témoins, et cela, trop souvent, c'est de l'intersection entre l'exploitation sexuelle, les technologies et l'intimidation. Depuis près de 30 ans, notre organisme travaille de près avec les familles, les forces de l'ordre, les éducateurs, les services de protection de l'enfance, l'industrie et d'autres intervenants pour assurer la protection de l'enfance. Dans le cadre de l'administration de Cyberaide.ca, nous avons reçu plus de 110 000 signalements de cas de violence sexuelle et d'exploitation des enfants. Ces signalements ont mené à plus de 550 arrestations par la police et au retrait de nombreux enfants d'environnements marqués par la violence.
C'est dans le cadre de ces travaux que nous avons été témoins des comportements les plus brutaux à l'égard des enfants, de l'enregistrement de scènes de violence sexuelle ou physique explicite contre de très jeunes enfants par des prédateurs adultes aux adolescents qui essaient de survivre aux conséquences sur les médias sociaux de l'affichage d'une photo de nature sexuelle en passant par des jeunes qui essaient de vivre avec les conséquences d'un crime sexuel qui a été enregistré. Il n'est pas facile d'être un jeune de nos jours.
Il y a plusieurs années, nous avons constaté un changement des types de signalements exposés sur la ligne de dénonciation. Nous avons commencé à remarquer que des jeunes qui avaient été victimes déclaraient eux-mêmes l'incident. Nous nous sommes vite rendu compte qu'il fallait intervenir et, par conséquent, nous avons créé un certain nombre de ressources de prévention. Nous avons rendu toutes ces ressources accessibles, avec deux ou trois exemples qui sont très pertinents pour cette question précise.
Même ces ressources et d'autres ressources sont importantes, nous savons que ce n'est pas suffisant. La technologie est devenue une arme puissante et la munition de choix des personnes qui veulent se cacher sous le couvert de l'anonymat. Les nouvelles technologies font en sorte qu'il est beaucoup plus facile de harceler les gens et de participer au Far-Web, où les préjugés continus au sujet de la délinquance sexuelle entrent en collision avec des attentes irréalistes touchant les comportements des adolescents, le tout alimenté par une utilisation inappropriée des technologies.
Même si, évidemment, nous en savons assez pour ne pas jeter le blâme uniquement sur les technologies, nous devrions vraiment être déterminés à comprendre son rôle dans la perpétration des infractions et à décider de quelle façon nous choisirons, en tant que pays, de régir et de moderniser nos lois de façon appropriée pour nous attaquer aux nouveaux types de comportements criminels.
Aujourd'hui, nous soulevons cette question du point de vue de la protection de l'enfance. De quelle façon protégeons-nous les droits à la vie privée des enfants? Et, plus précisément, de quelle façon nous attaquons-nous à l'atteinte à la vie privée de ces jeunes qui sont actuellement des victimes? Lorsque les jeunes deviennent des victimes et que les technologies ont été utilisées pour immortaliser le méfait sexuel, le traumatisme est encore plus profond. Le passé persiste dans le présent.
Pour ces raisons, nous sommes favorables au projet de loi C-13, et je veux souligner trois points principaux.
Premièrement, nous croyons fermement que l'infraction liée à la distribution d'images intimes est beaucoup plus appropriée qu'une infraction de pornographie juvénile lorsque la personne sur l'image et la personne qui la distribue ont toutes deux moins de 18 ans. Les infractions de pornographie juvénile ont été conçues et créées pour s'attaquer à un comportement et à des images qui sont vraiment différents de ce dont on parle aujourd'hui.
Deuxièmement, nous considérons que l'infraction doit s'appliquer aux victimes de tout âge. Notre organisme reçoit des signalements et des communications de nombreux jeunes adultes qui ont ce genre de problèmes. Les préjudices à la réputation et à la vie sexuelle découlant de la distribution non consensuelle d'images intimes sont importants, peu importe l'âge.
Troisièmement, il faut que de telles images soient retirées et effacées rapidement pour réduire au minimum les préjudices pour la personne qui en est le sujet.
Nous sommes favorables aux dispositions du projet de loi qui facilitent ces mesures. Selon nous, il est aussi extrêmement utile de permettre aux victimes potentielles de présenter une demande d'engagement imposé par un tribunal contre le distributeur potentiel pour prévenir toute distribution.
Je vais maintenant laisser ma collègue Signy Arnason vous présenter rapidement quelques statistiques et faits. Ensuite, Monique St. Germain abordera certaines critiques du projet de loi.
:
Je vous remercie de m'accueillir parmi vous aujourd'hui pour venir vous parler du projet de loi , la Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité.
J'aimerais commencer avec un bref aperçu du mandat de mon bureau.
Créé en 2007, le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels reçoit et examine les plaintes des victimes. Nous favorisons et facilitons l'accès aux programmes et aux services fédéraux pour les victimes d'actes criminels en les renseignant et en les aiguillant, nous faisons la promotion des principes fondamentaux de la justice auprès des victimes d'actes criminels, nous sensibilisons les intervenants dans le domaine de la justice pénale et les décideurs au sujet des besoins et des préoccupations des victimes et nous déterminons les questions systémiques et les questions nouvelles qui ont une incidence négative sur les victimes d'actes criminels. En fait, nous aidons les victimes individuellement et collectivement.
Le projet de loi couvre de nombreuses questions liées aux télécommunications et à la criminalité, y compris la création d'une nouvelle infraction au Code criminel concernant la distribution non consensuelle d'images intimes; la modernisation du Code criminel; et la prestation de nouveaux outils d'enquête aux organismes chargés de l'application de la loi. Étant donné mon mandat et le temps limité dont nous disposons aujourd'hui, je limiterai mes commentaires aux articles du projet de loi qui touchent directement les victimes, et j'aborderai brièvement l'importance pour les organismes d'application de la loi d'avoir à leur disposition les outils dont ils ont besoin pour empêcher la perpétration d'actes criminels.
Ceci étant dit, j'appuie entièrement les dispositions du projet de loi que créent une nouvelle infraction relative à la distribution non consensuelle d'images intimes ainsi que les nouvelles mesures du Code criminel qui sont liées à cette infraction, y compris accorder le pouvoir aux juges de rendre une ordonnance d'interdiction pour limiter l'accès du délinquant à Internet ou à des réseaux numériques; accorder le pouvoir aux juges d'ordonner que des images intimes soient retirées d'Internet; permettre à un juge d'ordonner la confiscation d'ordinateurs, de téléphones cellulaires ou de tout autre appareil utilisé dans la perpétration de l'infraction; rembourser les dépenses engagées par les victimes pour retirer les images intimes d'Internet ou d'un autre média; et accorder le pouvoir aux juges de rendre une ordonnance interdisant à une personne de diffuser des images intimes.
Si le projet de loi est adopté, il aidera à fournir les outils nécessaires pour réduire la cyberintimidation et à offrir aux victimes le soutien dont elles ont grandement besoin.
La cyberintimidation est un problème assez récent, mais dont les conséquences sont dévastatrices. Les Canadiens peinent à trouver les meilleures façons de la comprendre et, surtout, d'y mettre fin. La cyberintimidation, comme nous l’avons entendu, touche énormément de personnes: dans un sondage mené en 2007 auprès de jeunes de 13 à 15 ans, plus de 70 % ont déclaré avoir subi de l'intimidation en ligne, et 44 % ont déclaré avoir intimidé une personne au moins une fois. Les enseignants canadiens ont classé la cyberintimidation au premier rang d'une liste de six enjeux préoccupants; 89 % ont indiqué que l'intimidation et la violence sont des problèmes graves dans nos écoles publiques. Je sais que des témoins sont venus vous parler de leur expérience personnelle intense avec la cyberintimidation.
Je tiens à prendre quelques instants pour souligner le courage et le leadership dont ils ont fait preuve afin de participer à cet important dialogue public, malgré toutes les émotions que cela ait pu éveiller chez eux. À travailler directement avec les victimes, j'ai appris que peu importe les difficultés qu'elles doivent surmonter, les victimes sont prêtes à venir parler de leur expérience pour le bien-être collectif, pour s'assurer que d'autres n'aient pas à souffrir comme elles.
Nous savons tous que l'intimidation, y compris la cyberintimidation, peut avoir des répercussions graves et permanentes sur les victimes. Ce qui distingue la cyberintimidation, c'est la vitesse fulgurante et la portée du méfait. En quelques minutes seulement, des images intimes ou personnelles peuvent inonder les réseaux et parcourir le monde, exposant de façon permanente les victimes.
Nous savons aussi qu'essayer de contenir une image qui est devenue « virale » est tout un exploit, et c’est même parfois impossible. Même lorsque les victimes travaillent avec des professionnels pour supprimer une image, on ne peut jamais être certain qu'il n'y a pas quelqu'un quelque part qui l'a encore et qui la diffusera de nouveau. Ce que nous ne comprenons pas encore réellement, c'est le sentiment d'être à jamais vulnérable et exposé, et les répercussions à long terme du fardeau émotionnel qui vient avec.
Les crimes liés à la technologie et les crimes connexes évoluent plus rapidement que notre capacité à comprendre pleinement leurs répercussions sur les victimes à long terme. Les personnes qui se font harceler montrent une perte d'intérêt pour les activités scolaires et un plus grand taux d'absentéisme, présentent des travaux scolaires de qualité inférieure et obtiennent des notes inférieures, et ont plus tendance à abandonner des cours et à faire l'école buissonnière.
Faire face au problème peut être tout aussi difficile. Pour cette raison, j'appuie l'ajout des « images intimes » à l'article 164.1 du Code criminel tel que le propose le projet de loi, car cela permettra aux juges d'ordonner le retrait d'images intimes du Web, ainsi que la proposition du projet de loi d'accorder aux juges le pouvoir de rendre une ordonnance interdisant à une personne de diffuser des images intimes.
Mais lorsqu'une ordonnance n’est pas rendue, retirer les images du Web n'est pas une mince affaire. Pour bien des gens, l'idée de retirer les images du Web peut être déconcertante; comment ça fonctionne? Comment je m'y prends? Qui peut m'aider?
Dans certains cas, il vaut mieux faire appel aux connaissances et aux services de professionnels pour obtenir des résultats plus certains et efficaces. Cependant, le recours à des sociétés privées peut entraîner des coûts importants, et les victimes ne devraient pas en être responsables. Une victime ne devrait jamais avoir à acquitter les coûts liés au retrait d'images. Une telle situation serait tout simplement inacceptable.
Ainsi, j'appuie la disposition du projet de loi qui prévoit le remboursement des dépenses engagées par les victimes pour retirer l'image intime d'Internet ou d'un autre média.
Bien que j'appuie les éléments du projet de loi liés au dédommagement, je crois qu'il faut: prolonger la période pouvant être visée par une demande de dédommagement; envisager la mise en place de mesures de rechange pour aider les familles qui ne peuvent payer les coûts directs liés au retrait d'une image; et inclure une disposition sur la façon dont les victimes recevront de l'information et une orientation en ce qui concerne les options relatives au retrait d'une image et le moment où elles les recevront et pour ce qui est du moment où elles peuvent demander un remboursement ou examiner ces questions.
Je crois comprendre qu'au titre du projet de loi, les dédommagements ne s'appliqueraient qu'aux dépenses engagées avant le prononcé de la peine. Une telle approche est problématique à quelques égards.
Notamment, il est possible qu'une victime dont la capacité financière est restreinte n'ait pas recours à des services de professionnels étant donné la possibilité qu'il n'y ait pas de déclaration de culpabilité ou qu'elle n'obtienne pas de remboursement dans le cadre du dédommagement.
Également, même si elles sont prêtes à courir un tel risque, certaines victimes n'ont pas les fonds nécessaires ou une carte de crédit leur permettant d'absorber la dépense temporairement. Autrement dit, les victimes qui n'ont pas les moyens de payer les services directement ou d'attendre un remboursement n'auront pas accès au même niveau de service et de protection que les autres. Il y aurait donc une inégalité au chapitre de l'aide offerte aux victimes.
Enfin, comme un certain temps pourrait s'écouler avant que la victime apprenne l'existence d'une aide professionnelle ou que l'entreprise en question effectue et facture les travaux, il est probable que certaines dépenses seront engagées après le prononcé de la peine. Selon ce que je comprends, au titre du projet de loi, les dépenses engagées par les victimes après cette étape ne pourraient pas faire l'objet d'un remboursement.
Bien que j'appuie les intentions qui sous-tendent le projet de loi, je recommande au comité d'envisager la modification de la section sur le dédommagement afin de mieux répondre aux besoins de toutes les victimes, peu importe leur situation financière, pour ce qui est de l'aide au retrait d'images.
Pour ce qui est des victimes qui ont les moyens et la possibilité de retenir les services de professionnels afin de retirer les images et de demander un dédommagement, il sera essentiel de leur fournir bien à l'avance des renseignements sur leurs droits et les processus à cet égard. Je ne vois pas très bien comment et quand on signalera aux victimes leur droit de demander une ordonnance de retrait ou de présenter une demande de dédommagement. Je comprends par contre qu'il s'agit de détails liés à la mise en oeuvre du projet de loi et qu'il est possible qu'on ne les examine qu'à cette étape. Cependant, je crois qu'il est important de souligner aux députés que si on ne met pas les victimes au courant de leurs droits et options suffisamment à l'avance, il est possible qu'elles ne puissent pas profiter d'importantes occasions de traiter les préjudices subis et d'obtenir l'aide dont elles ont besoin et qu'elles méritent.
Avant de conclure, je souhaite parler brièvement des éléments du projet de loi qui semblent être les plus sujets à controverse, à savoir ceux qui portent sur les outils d'enquête et l'équilibre entre les pouvoirs et la protection de la vie privée.
Les questions relatives à la protection de la vie privée et les outils d'enquête techniques ne relèvent généralement pas de mon mandat. Il est bien de souligner que les victimes avec qui nous avons discuté ne s'entendent pas sur ce volet du projet de loi. J'ai parlé à des victimes qui appuient fortement des mesures accrues pour aider les forces de l'ordre à mener des enquêtes et selon qui les outils inclus dans le projet de loi sont équilibrés et nécessaires. Mais, tout comme vous, j'ai également entendu le point de vue de victimes qui ne souhaitent pas que ces éléments soient adoptés, car elles craignent qu'ils minent le droit à la vie privée des Canadiens.
À mon avis, il faut établir un équilibre, et le dialogue que tiennent les Canadiens est très utile. Afin de favoriser une réduction de la cyberintimidation et de protéger les éventuelles victimes, il faut fournir aux agents d'application de la loi les bons outils pour qu'ils soient en mesure de mener des enquêtes rapidement et efficacement. Je crois que le projet de loi prévoit des outils importants qui aideraient les forces de l'ordre à enquêter sur ces cas et j'appuie l'ensemble des modifications législatives qui visent la conservation des données nécessaires aux enquêtes et qui permettraient ainsi à des affaires importantes d'aboutir.
En conclusion, j'appuie de nombreux éléments du projet de loi et je félicite le gouvernement d'avoir déposé un projet de loi qui pourrait faciliter le traitement des affaires de cyberintimidation et aider les victimes à retirer des images intimes du domaine public. Toutefois, comme je l'ai déjà mentionné, je recommande qu'on amende les dispositions portant sur le dédommagement afin de garantir que toutes les victimes aient les mêmes droits et possibilités d'avoir recours à de l'aide professionnelle et au remboursement des dépenses. Je recommande également qu'on précise comment et quand on informera les victimes de leurs droits.
Je vous remercie de votre attention.
[Français]
Merci.
:
Merci, monsieur le président.
Bonjour, comme vous venez de l'entendre, je m'appelle Michael Geist. Je suis professeur en droit à l'Université d'Ottawa. J'ai comparu à de nombreuses reprises devant des comités dans le cadre de séances qui portaient sur les politiques numériques, y compris celles touchant la vie privée, mais je suis ici aujourd'hui à titre personnel pour vous parler de mes propres points de vue.
Comme vous le savez peut-être, j'ai été critique des projets de loi sur l'accès légal qui ont été présentés par les gouvernements libéraux et conservateurs. Cependant, je veux commencer en soulignant que le fait de critiquer les projets de loi sur l'accès légal ne signifie pas qu'on est opposé à s'assurer que les organismes d'application de la loi ont les outils dont ils ont besoin pour lutter contre la criminalité en ligne.
Comme Mme McDonald peut le confirmer, lorsque son organisation a lancé le projet Cleanfeed Canada en 2006, j'ai appuyé publiquement cette initiative, qui ciblait la pornographie juvénile en tentant d'établir un système pour protéger les enfants, maintenir la liberté d'expression et contenir un cadre de surveillance efficace.
Dans le cadre du projet de loi , il y a un travail semblable à faire afin de s'assurer de ne pas sacrifier indûment et inutilement notre droit à la vie privée au nom de la lutte aux méfaits en ligne. Comme Mme O'Sullivan vient de le dire, il faut trouver un juste équilibre, et comme Carol Todd l'a dit au comité, nous ne devrions pas avoir à choisir entre la vie privée et notre sécurité.
Puisque j'ai peu de temps, permettez-moi de commencer en affirmant que je suis favorable aux demandes des témoins précédents, qui souhaitent que le projet de loi soit divisé afin qu'on puisse s'attaquer à la cyberintimidation de façon efficace, comme nous venons de l'entendre, et que nous puissions examiner de plus près la question de l'accès légal. De plus, je suis favorable aux demandes que l'on a entendues relativement à un examen exhaustif de la vie privée et de la surveillance au Canada.
Je pourrai discuter davantage de ces enjeux durant la période de questions, mais je veux me concentrer sur les préoccupations liées à la vie privée associées au projet de loi. Ainsi, je vais laisser la question des dispositions sur la cyberintimidation à d'autres, comme les témoins que nous venons d'entendre.
En ce qui concerne la protection de la vie privée, j'aimerais me concentrer sur trois enjeux: la disposition sur l'immunité en cas de communication volontaire; le faible seuil lié aux mandats pour les données de transmission; et l'absence d'exigences redditionnelles et en matière de communication.
Pour commencer, il y a la création d'une disposition sur l'immunité en cas de communication volontaire de renseignements personnels. Je crois que cette disposition sur l'immunité doit être examinée à la lumière de cinq faits. Pour commencer, la loi permet déjà à des intermédiaires de communiquer des renseignements personnels volontairement dans le cadre d'une enquête. C'est le cas dans la LPRPDE et le Code criminel.
Deuxièmement, les intermédiaires communiquent des renseignements personnels de façon volontaire sans mandat de façon excessivement fréquente. La récente révélation touchant les 1,2 million de demandes présentées à des entreprises de télécommunications pour obtenir des renseignements sur leurs clients en 2011 seulement, touchant ainsi au moins 750 000 comptes d'utilisateurs, nous donne une idée de l'impact sur la protection de la vie privée des cas de communication volontaire.
Troisièmement, les renseignements communiqués ne se limitent pas aux renseignements de base des abonnés. En effet, le comité a reçu un témoin du milieu de l'application de la loi, un représentant de la GRC qui a souligné ce qui suit:
À l'heure actuelle, certains types de données, comme les données de transmission et de suivi, peuvent être obtenus par la divulgation volontaire d'un tiers...
En fait, puisque la LPRPDE est aussi ouverte, le contenu peut aussi être divulgué volontairement tant que cela n'exige pas d'interception.
Quatrièmement, les intermédiaires n'informent pas les utilisateurs de la communication, ce qui fait en sorte que des centaines de milliers de Canadiens ne sont pas informés. Contrairement à certaines des discussions que nous avons entendues, il n'y a pas d'exigence liée à l'information dans le projet de loi pour régler ce problème.
Cinquièmement, cette disposition sur la communication volontaire devrait aussi, je crois, être examinée parallèlement au manque de modifications importantes dans le projet de loi qui, ensemble, permettraient d'appliquer les dispositions sur la communication volontaire sans mandat à toutes les organisations.
Compte tenu de ce contexte, j'aimerais faire valoir que la disposition est une erreur et devrait être retirée. Elle accroît de façon incontestable la probabilité de communication volontaire au moment où, justement, les Canadiens sont de plus en plus préoccupés par de telles activités. En outre, on le fait sans définir d'exigences redditionnelles, sans surveillance ni transparence.
À ceux qui font valoir que cela ne fait que confirmer le droit actuel, permettez-moi de dire qu'il y a au moins deux changements importants, tous les deux préoccupants.
Le premier, c'est qu'on élargit la teneur de la notion de « fonctionnaire public » pour y inclure des intervenants comme les employés du CSTC et du SCRS et d'autres fonctionnaires. Après les révélations de Snowden, des préoccupations se font sentir à l'échelle mondiale au sujet du manque de responsabilité lié aux activités de surveillance, et cela risquerait d'accroître la fréquence de ces activités.
Deuxièmement, le Code criminel inclut actuellement une exigence de bonne foi et de raisonnabilité de la part de l'organisation qui communique volontairement l'information. Cette nouvelle disposition sur l'immunité n'inclut pas ces exigences, ce qui fait qu'on pourrait accorder l'immunité même lorsque la communication de renseignements n'est pas raisonnable.
Bref, cette disposition n'est pas nécessaire pour lutter contre la cyberintimidation et ce n'est pas non plus une disposition qu'il faut mettre à jour pour combattre la cybercriminalité. En fait, j'aimerais faire valoir qu'elle va à l'encontre des affirmations du gouvernement touchant la surveillance par les tribunaux. Je crois qu'il faut la retirer du projet de loi.
Le deuxième enjeu sur lequel j'aimerais m'arrêter, est le faible seuil touchant la délivrance d'un mandat relatif aux données de transmission. Comme vous le savez, le projet de loi contient un faible seuil touchant les « motifs de soupçonner » relativement aux mandats concernant les données de transmission, et, comme beaucoup de personnes l'ont souligné, le genre d'informations visées par de tels mandats est plus couramment appelé des métadonnées. Certains ont essayé de faire valoir que les métadonnées ne sont pas des renseignements de nature délicate, mais ce n'est tout simplement pas le cas.
Il y a eu un peu de confusion, pendant les séances, au sujet du volume de métadonnées incluses dans les données de transmission. Je tiens à dire que cela dépasse de loin la question de savoir qui a téléphoné à qui et combien de temps a duré la conversation. Cela comprend des informations très délicates touchant les communications entre ordinateurs, comme l'ont justement expliqué les représentants des services d'application de la loi aux membres de votre comité.
Ce type de métadonnées ne reflète peut-être pas le contenu du message, mais son contenu en renseignements personnels est très important. À la fin de l'année dernière, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt R. c. Vu, a statué sur l'importance des renseignements personnels associés aux métadonnées générées par un ordinateur. Elle a noté ce qui suit:
Dans le contexte d'une enquête criminelle, cependant, elles peuvent également donner aux enquêteurs accès à des détails intimes sur les intérêts, les habitudes et les identités d'un utilisateur en fonction d'un registre créé involontairement par l'utilisateur...
Des représentants du milieu de la sécurité ont également commenté l'importance des métadonnées.
Le général Michael Hayden, ancien directeur de la NSA et de la CIA, a dit: « Nous tuons des gens à cause des métadonnées. »
Stewart Baker, ancien avocat général à la NSA, a déclaré ceci:
Les métadonnées disent absolument tout sur la vie d'une personne. Quand vous avez suffisamment de métadonnées, vous n'avez pas vraiment besoin de contenu.
De nombreuses études ont confirmé les commentaires de MM. Hayden et Baker. Par exemple, certaines études font état d'appels à des organismes religieux qui permettent de tirer des inférences concernant la religion d'une personne et d'appels à des organismes médicaux qui permettent de tirer des inférences touchant l'état de santé de cette personne. De fait, un mémoire à un tribunal américain récent, signé par quelques-uns des plus grands experts mondiaux de l'informatique, relatait ce qui suit:
Les métadonnées téléphoniques révèlent des informations à caractère privé et délicat au sujet des gens. Elles peuvent révéler leur affiliation politique, leurs pratiques religieuses et leurs fréquentations les plus personnelles. Elles permettent de savoir qui a téléphoné à une ligne d'aide de prévention du suicide et qui a téléphoné à son député; qui téléphone au bureau local du Tea Party et qui téléphone au service de planification des naissances. Le regroupement des métadonnées téléphoniques — touchant une seule personne sur une période donnée, des groupes de personnes, ou d'autres ensembles de données — augmente davantage le caractère délicat de l'information.
Voilà quels sont leurs commentaires — les commentaires des experts en sécurité de ce milieu.
De plus, la commissaire à la protection de la vie privée du Canada vient de publier une étude sur les répercussions sur les renseignements personnels des adresses IP, où elle dit qu'elles peuvent servir à observer les gens de façon très personnelle.
En outre, on voit jusque dans un rapport du ministre de la Justice, qui semble servir de fondement stratégique au projet de loi , une recommandation visant la création de nouveaux outils d'enquête qui « garantiraient que le degré de protection augmente avec l'étendue du droit à la vie privée en jeu ».
Étant donné l'étendue du droit à la vie privée lié aux métadonnées, l'approche proposée dans le projet de loi en ce qui concerne les mandats visant les données de transmission devrait être modifiée et remplacée par la norme des « motifs raisonnables de croire ».
Ma troisième question concerne la transparence des rapports. Il faut se préoccuper de l'absence de transparence, de divulgation et d'exigence redditionnelle touchant la communication sans mandat. Cette question s'appuie à la fois sur la LPRPDE et les principes de l'accès légal, mais le projet de loi empire les choses. Les révélations fracassantes que nous avons obtenues au sujet des demandes et de la divulgation de renseignements personnels — dans la plupart des cas, sans surveillance des tribunaux ni mandat — montrent du doigt une faiblesse extraordinairement troublante des lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels.
La plupart des Canadiens n'étaient pas au courant de ces divulgations et ils ont été choqués d'apprendre à quelle fréquence elles étaient utilisées. Les projets de loi présentés au Parlement visent l'élargissement de leur portée. À mon avis, cela fait de nous tous des victimes, car des renseignements personnels nous concernant pourraient être divulgués souvent sans que nous en ayons connaissance ou sans notre consentement explicite. Quand nous demandons aux entreprises de télécommunications du Canada d'être plus transparentes, comme c'est le cas dans d'autres pays, elles rétorquent que les règlements adoptés par le gouvernement les en empêchent.
J'espère que le comité modifiera les dispositions qui rendent davantage possible la divulgation sans mandat. Mais, même dans le cas contraire, il devrait assurément augmenter le niveau de transparence en rendant obligatoires les avis aux abonnés, la tenue d'un registre des demandes d'accès à des renseignements personnels et la publication régulière de rapports sur la transparence. Ces exigences pourraient être ajoutées au projet de loi en vue d'atténuer les préoccupations associées à la divulgation volontaire sans mandat. De plus, de tels rapports ne nuiraient pas aux enquêtes et seraient susceptibles d'augmenter la confiance du public à l'égard des organismes d'application de la loi ainsi qu'à l'égard des fournisseurs de services de communication.
J'aimerais, pour conclure, avec tout le respect que je lui dois, rappeler un incident personnel impliquant un membre de votre comité, M. Dechert, qui met en relief la pertinence de ces questions.
Nombre d'entre vous se souviendront qu'il y a plusieurs années, M. Dechert a lui-même été victime d'une atteinte à la vie privée: ses courriels personnels ont été envoyés aux journalistes et ont par la suite été largement repris par les médias. Cet incident relie ensemble plusieurs enjeux que j'ai essayé de mettre en lumière.
Premièrement, la question du droit à la vie privée se pose même quand vous n'avez rien à cacher et que vous n'avez rien fait de mal. Le préjudice causé dans le cas qui nous occupe, même s'il n'y a pas eu d'acte répréhensible, prouve que la victimisation est possible si les renseignements personnels ne sont pas protégés de manière adéquate.
Deuxièmement, une grande partie de ces renseignements risquent d'être dévoilés de manière volontaire. De fait, l'élargissement de la définition d'agent de police signifie que, en théorie, les adversaires politiques eux-mêmes pourraient demander la divulgation volontaire d'informations de ce type et avoir quand même l'immunité. En outre, dans de tels cas, aucun avis n'est prévu.
Troisièmement, et c'est peut-être ce qui est le plus important, le contenu des courriels qui ont été divulgués était dans la plupart des cas non pertinent. Ce sont les métadonnées — avec quelle personne le sujet a communiqué, à quel moment, à quel endroit et combien de temps a duré la conversation — qui auraient permis de tirer les inférences qui l'ont été par erreur dans le cadre de cet incident. Le droit à la vie privée résidait dans ces métadonnées, et c'est pourquoi un seuil trop bas est à ce point inapproprié.
Ce type de préjudice visant les renseignements personnels peut faire de quiconque une victime. Comme je l'ai déjà dit, nous savons qu'au moins 750 000 comptes d'utilisateurs canadiens font l'objet chaque année d'une divulgation volontaire — c'est un cas toutes les 27 secondes. Voilà pourquoi nous devons nous assurer que les lois prévoient des mesures de protection appropriées contre l'utilisation à mauvais escient de nos renseignements personnels, et voilà pourquoi il faudrait modifier le projet de loi .
Je m'appelle James Turk. Je suis le directeur général de l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université. Cette association représente 68 000 professeurs qui travaillent dans 124 universités et collèges du Canada.
Cela fait longtemps que nous nous préoccupons de la législation en matière d'accès légal et de ses formulations successives. J'aimerais attirer votre attention sur trois points qui nous préoccupent dans le projet de loi .
Le premier point, comme M. Geist l'a mentionné, touche la réduction du seuil juridique s'appliquant à la communication de dossiers personnels. Le second point concerne le fait que le projet de loi prévoit que les fournisseurs de services Internet qui conservent des données ou qui les communiquent de manière volontaire ne pourront pas être poursuivis au civil ni au criminel. Le troisième point qui nous préoccupe, c'est l'ajout des mots « origine nationale » dans la définition de « groupe identifiable » du Code criminel. Cette section du Code criminel est celle qui traite des discours haineux. Elle rend possible la criminalisation du discours politique.
Je vais d'abord parler de la première question, c'est-à-dire l'abaissement du seuil. Les dispositions actuelles du projet de loi touchant les ordonnances de communication des données de transmission et des données de localisation rabaissent le seuil — comme vous le savez, je l'espère — des « motifs raisonnables de croire » aux « motifs raisonnables de soupçonner ». Il s'agit possiblement de l'étape qui suivra un ordre ou une ordonnance de préservation des données de transmission. Le seuil plus élevé — le seuil actuel —, les « motifs raisonnables de croire », s'applique toujours aux ordonnances de communication qui excluent les données de transmission; cela veut dire que, si vous voulez avoir accès au contenu, votre demande doit respecter la norme des « motifs raisonnables de croire ». Mais si vous désirez obtenir les métadonnées, il vous suffit de respecter le critère des « motifs raisonnables de soupçonner ».
Étant donné le nombre de requêtes présentées au Canada, récemment, et compte tenu de ce que nous savons sur ce qui se passe aux États-Unis... Vous vous rappellerez qu'en juin 2013, la cour constituée en vertu de la FISA, aux États-Unis, avait demandé à l'entreprise Verizon de fournir à la NSA les métadonnées de tous ses clients des États-Unis, y compris les métadonnées associées aux appels téléphoniques locaux. Ainsi, la NSA a pu recueillir et conserver toutes les métadonnées associées aux appels téléphoniques faits aux États-Unis, qui ont abouti ou non, à partir d'un téléphone, d'un téléphone cellulaire ou d'un téléphone intelligent.
Je suis d'accord avec M. Geist sur le fait que les métadonnées peuvent réduire la pertinence du contenu. Les données que nous laissons derrière nous quand nous utilisons les technologies de la communication et qui touchent l'heure et la durée de la communication, l'appareil utilisé et la géolocation, entre autres, sont un formidable moyen de porter atteinte au droit à la vie privée d'une personne.
Prenons un exemple: un membre de votre comité téléphone à quelqu'un et, une semaine plus tard, se rend dans un édifice à bureaux. Un peu plus tard, il téléphone à une autre personne et, une semaine plus tard, se rend dans un autre édifice à bureaux. Dans cet exemple, quelles informations pourrions-nous tirer de l'analyse des métadonnées? Eh bien, quand on les compare à un profil donné, les métadonnées concernant le téléphone et les appareils utilisés par ce politicien permettraient aux intervenants d'un organisme gouvernemental de savoir que le premier interlocuteur était un médecin et le premier édifice à bureaux abritait le cabinet de ce médecin. Le deuxième interlocuteur était un médecin spécialiste et le second bureau, le cabinet de ce spécialiste.
Et maintenant? Nous savons que ce politicien a consulté deux médecins. Tout ce que les intervenants de l'organisme gouvernemental auraient à faire, ensuite, c'est d'examiner les activités du politicien sur Internet pour avoir une bonne idée de la maladie dont il souffre ou qui le préoccupe. Il est peut-être allé sur Internet pour s'informer sur le cancer colorectal, la maladie de Parkinson ou le VIH.
On peut facilement soutenir que, dans cet exemple, les métadonnées — deux appels à deux médecins, deux visites à deux médecins, l'activité sur Internet pendant la même période — sont aussi explicites que le contenu des communications. Le projet de loi abaisse le seuil s'appliquant à la surveillance par l'État des visites de ce politicien aux médecins, mais conserve un seuil plus élevé pour les courriels que ce politicien pourrait envoyer à son épouse au sujet de son problème de santé.
Je peux vous donner une foule d'autres exemples pour montrer que l'analyse des métadonnées peut être considérée comme une invasion. Les communications entre un époux et une épouse peuvent révéler de nombreux aspects de leur relation — l'endroit où ils vivent, l'endroit où ils travaillent, l'heure à laquelle ils se couchent, l'heure à laquelle ils se lèvent, le moment où ils quittent la maison, leur présence ensemble à la maison.
L'accès aux métadonnées permet également de déterminer selon une probabilité raisonnable que deux personnes ont noué des liens étroits, par exemple lorsque les appareils qu'ils utilisent se trouvent au même endroit plusieurs soirs de suite. Il permet également de savoir si une personne a un problème de consommation, par exemple si elle téléphone fréquemment aux Alcooliques anonymes. Il permet également de savoir si une personne envisage de se faire avorter, si elle téléphone à une clinique d'avortement, ou si elle a des problèmes de jeu, si elle téléphone fréquemment à un preneur de paris ou à un service d'aide.
Autrement dit, les fournisseurs de services Internet conservent les métadonnées pendant de longues périodes. La collecte et l'analyse de ces données, compte tenu du grand bassin des métadonnées, permet de faire des associations avec des événements qui se produisent dans le monde réel. Il est ainsi plus facile d'établir un profil et de porter atteinte au droit à la vie privée de certaines personnes sans avoir à demander à un niveau supérieur la permission de mettre un téléphone sur écoute. Un seuil moins élevé, quand il est question des métadonnées, ouvre la porte à une surveillance de masse.
Notre seconde préoccupation est l'immunité des fournisseurs de services Internet qui communiquent des données personnelles. La Cour suprême, comme vous le savez, a réservé son jugement quant à la constitutionnalité des requêtes de l'État visant à obtenir des renseignements sur un abonné sans mandat en vertu de la LPRPDE. Nous nous attendons à ce que la Cour rende sa décision bientôt, dans l'affaire R. c. Spencer.
Les progrès de la technologie et la valeur des métadonnées pour la surveillance par l'État font que les fournisseurs de services Internet constituent, à bien des égards, les chiens de garde des renseignements personnels des Canadiens. En prévoyant une exemption de responsabilité pénale ou civile pour les fournisseurs de services Internet, on invite ces derniers à favoriser une surveillance invasive par l'État plutôt que de les inciter à protéger les renseignements personnels des Canadiens par des moyens politiques et légaux. Je m'attendrais à ce que Telus, Bell ou Rogers considèrent qu'il est dans leur intérêt primordial de protéger le caractère confidentiel et privé des renseignements sur leurs abonnés. Ce projet de loi les encouragerait à se considérer comme des partenaires de la surveillance exercée par l'État sur leurs propres clients.
Mon dernier commentaire concerne l'expansion de la définition de discours haineux qui englobe le discours politique. Le projet de loi , comme je l'ai dit en commençant, ajoute les mots « origine nationale » à la définition de « groupe identifiable » du Code criminel. Cette section du Code criminel porte sur le discours haineux. En incluant l'origine nationale à la définition des groupes identifiables, on fait en sorte que certains types de discours — par exemple les discours critiques à l'égard d'un gouvernement national, celui d'Israël, de Cuba ou de l'Ukraine — pourraient être considérés comme des discours haineux. Nous n'avons pas à revenir très loin en arrière, seulement aux années 1980, pour voir une disposition semblable utilisée pour poursuivre des personnes qui critiquaient le régime de l'apartheid en Afrique du Sud.
Comme l'ont fait d'autres témoins qui ont comparu devant votre comité, nous vous encouragerions à scinder le projet de loi. Combattre la cyberintimidation, c'est un objectif louable, mais donner à un gouvernement davantage de pouvoirs de surveillance sur ses citoyens pourrait perturber l'équilibre entre la liberté et l'autonomie individuelles et le pouvoir de l'État. Cette tension fondamentale des sociétés démocratiques doit être examinée avec prudence sans se priver de multiplier les consultations et en se préoccupant de la protection des renseignements personnels.
Faire le contraire — refuser de scinder le projet de loi et de tenir compte des préoccupations que M. Geist et moi-même avons soulevées — représentera pour le gouvernement du Canada, au mieux, un exercice futile. Des lois excessives seront contestées devant les tribunaux pendant les 5 ou 10 prochaines années et, à notre avis, seront au bout du compte déclarées invalides parce qu'elles violent les droits constitutionnels des Canadiens. Dans le pire des cas, le refus de scinder le projet de loi et de revoir ces sections entraînera une augmentation des pouvoirs de surveillance du gouvernement au détriment de la liberté et de l'autonomie individuelles, et les citoyens canadiens en paieront le prix.
Merci beaucoup.