Je vous remercie de me donner l'occasion de discuter aujourd'hui avec vous et les membres du comité.
Je m'appelle David Fraser, et je suis associé au sein d'un cabinet d'avocats du Canada atlantique, à savoir McInnes Cooper. Cela dit, j'insiste sur le fait que je témoigne aujourd'hui à titre personnel. Les observations et les opinions que je formulerai aujourd'hui n'engagent en rien le cabinet au sein duquel je travaille ni les clients ou organisations avec lesquels je fais affaire.
J'exerce depuis maintenant plus de 12 ans dans les domaines du droit d'Internet et du droit de la protection de la vie privée. Au fil des ans, j'ai représenté toutes sortes de clients, notamment des victimes de cyberintimidation, des personnes dont des photos intimes ont été diffusées en ligne et des fournisseurs de services, auxquels je prodigue également des conseils.
Toutefois, en la matière, l'affaire la plus importante à laquelle j'ai été lié concernait une jeune fille de 15 ans ayant été victime de cyberintimidation. J'ai fait partie de l'équipe d'avocats de mon cabinet qui a porté cette affaire devant la Cour suprême du Canada. C'était la première fois que ce tribunal était appelé à se pencher sur le phénomène de la cyberintimidation, et ses juges se sont unanimement prononcés en faveur de la protection des intérêts de cette victime de cyberintimidation à caractère sexuel. En outre, j'ai conseillé des gens accusés de cyberintimidation. J'espère que l'expérience que j'ai acquise dans le cadre de ces activités où j'ai été amené à voir les choses selon divers points de vue me permettra de contribuer à la très importante tâche dont doit s'acquitter le comité, à savoir l'étude du projet de loi .
Tout d'abord, de façon générale, je dois dire que je suis déçu que le projet de loi englobe deux éléments qui sont liés, mais dont la nature est très différente, à savoir, d'une part, la diffusion d'images intimes, et, d'autre part, de façon plus globale, les pouvoirs en matière d'application de la loi. Ces deux éléments soulèvent des questions très importantes qui méritent d'être passées au crible, mais ce que nous constatons, c'est que le débat touchant les pouvoirs octroyés aux services de police relègue au second plan la discussion touchant la cyberintimidation. Cela dit, nous avons un projet de loi à examiner, et je serai heureux de vous faire part de mes réflexions à son sujet.
On a avancé que le projet de loi , s'il avait été en vigueur, aurait pu sauver Amanda Todd, Rehtaeh Parsons et d'autres jeunes. Une telle affirmation sonne bien et est percutante, mais la réalité est beaucoup plus compliquée. La création, la possession et la diffusion de pornographie juvénile est un crime aujourd'hui et l'était à l'époque. Cela vaut également pour la création, la possession et la diffusion d'images voyeuristes, de même que pour l'extorsion, le harcèlement criminel et l'agression sexuelle. Cependant, il y a une lacune que nous devons combler, et elle a trait à la diffusion malicieuse d'images intimes sans le consentement de la personne figurant sur ces images, peu importe son âge.
Cela dit, nous devons être extrêmement prudents au moment de définir cette infraction. La réalité, qu'elle nous plaise ou non, c'est que de jeunes gens et des adultes prennent des photos d'eux-mêmes et les partagent volontairement avec leurs partenaires intimes. De telles images numériques peuvent facilement être diffusées sans le consentement de la personne qui y figure. Nous voulons criminaliser le fait pour quelqu'un de diffuser en ligne des photos de son ex-petite-amie sans son consentement, ce que l'on désigne sous le nom de « pornographie de vengeance ». Nous voulons que le fait de diffuser des photos d'un partenaire ou d'un ancien partenaire intime représente un acte criminel. Dans chacun de ces cas, le diffuseur doit ou aurait dû obtenir le consentement de la personne figurant sur les images en question.
Nous devons toutefois faire preuve de prudence. Nous ne devons pas criminaliser par inadvertance un comportement qui n'est pas répréhensible. Supposons qu'une personne trouve en ligne une photo d'une personne nue — je crois comprendre qu'il y a sur Internet des photos de personnes nues — et l'envoie à un ami, sans rien savoir des circonstances où cette photo a été prise. La personne qui y figure peut être un mannequin professionnel, et elle a pu être affichée en ligne par la personne même qu'on peut y voir. Il n'y a aucune façon de savoir si son consentement a été obtenu, s'il avait été convenu, au moment où la photo a été prise, qu'elle devait demeurer confidentielle. La personne qui l'a diffusée — en l'occurrence l'accusé — ne disposait d'aucun moyen d'établir cela ni de communiquer avec la personne sur l'image afin d'obtenir ces informations. Par conséquent, la véritable difficulté concerne les tiers qui ne connaissent pas la personne figurant sur l'image et n'ont aucune idée des circonstances où elle a été prise.
Les dispositions du projet de loi énoncent un critère relatif à l'insouciance. À mon avis, cette norme n'est pas assez élevée. L'insouciance s'appliquerait à une personne qui aurait dû s'informer, mais a opté pour l'aveuglement volontaire. Toutefois, vu le nombre astronomique d'images se trouvant sur Internet, il n'est pas possible de s'informer. Cela revêt une importance particulière pour les fournisseurs de service, qui n'ont aucun moyen de connaître ou de découvrir les circonstances où une image a été prise ou diffusée en ligne. Nous devons être extrêmement méticuleux au moment d'élaborer les dispositions législatives de manière à ce qu'elles résistent à l'épreuve des tribunaux, et la norme relative à l'insouciance risque d'être invalidée ou de transformer en criminels des gens dont les actes ne sont pas véritablement répréhensibles.
En ce qui a trait au volet du projet de loi qui concerne les pouvoirs de la police, j'aimerais tout d'abord parler des pouvoirs relatifs aux données de transmission. Le projet de loi crée une ordonnance de communication de données de transmission et un mandat pour un enregistreur de données de transmission. D'aucuns ont affirmé que les dispositions relatives aux données de transmission avaient pour but d'accroître la portée des pouvoirs dont les services de police disposent actuellement — et qui, je suis très heureux de le constater, s'assortissent d'une surveillance judiciaire — en ce qui concerne les communications téléphoniques et de les rendre applicables aux communications sur Internet. Pour l'essentiel, il s'agirait de simplement modifier ou moderniser un pouvoir actuel de la police sans trop troubler le statu quo.
Bien que cela puisse être un objectif très raisonnable, on doit faire preuve d'une très grande prudence au moment de le réaliser, vu que les données de transmission liées à Internet sont très différentes de celles liées au bon vieux réseau téléphonique, où les données de transmission indiquent le numéro d'origine et le numéro de destination de la communication, de même que si la communication a été établie et, le cas échéant, sa durée.
Dans le cas d'Internet, le nombre et la nature des renseignements contenus dans la signalisation hors bande sont radicalement différents — ils comprennent l'adresse IP de l'ordinateur d'origine et de l'ordinateur de destination de la communication, de même que de l'information concernant le navigateur et l'ordinateur utilisé et l'adresse URL, à savoir celle du site auquel on a accédé, et qui peut divulguer du contenu, même si, selon leur définition, les données de transmission sont censées exclure le contenu.
Les données de transmission nous permettent également de déterminer le type de communication qui a été effectué, par exemple un courriel, un message en temps réel, un partage de fichiers entre pairs ou un autre type de communications. Ainsi, ces données fournissent beaucoup plus de précisions à propos de la communication qu'un simple numéro de téléphone.
Grâce aux données de transmission interceptées, les organismes d'application de la loi sauront si leur cible a utilisé un moteur de recherche, a consulté le site d'une encyclopédie ou s'est rendu sur un site de poker en ligne ou un site d'information médicale. De surcroît, ces données leur fourniront des indications beaucoup plus précises sur le lieu où se trouve la personne qu'elles surveillent. Tous ces renseignements sont considérablement plus détaillés que ceux que l'on peut obtenir à propos de communications conventionnelles par téléphone.
Comme toutes les personnes ici présentes le savent probablement, nous utilisons aujourd'hui les ordinateurs de façon tout à fait différente de la manière dont nous utilisions les téléphones il y a de cela 15 ans. Nous nous en servons pour vérifier l'orthographe des textes que nous rédigeons et pour trouver de l'information. Nous les utilisons à des fins beaucoup plus nombreuses que celles pour lesquelles nous nous servions de nos téléphones. Ainsi, les ordonnances de communication de données de transmission en révéleront beaucoup plus à propos d'une personne. Même si leur définition exclut le contenu, les données de transmission nous en disent davantage à propos de ce qui se passe.
J'estime que l'on pourrait remédier à cela en faisant passer la norme applicable à ces données de celle des « motifs raisonnables de soupçonner » à celle des « motifs raisonnables de croire », ou alors reformuler la définition des données de transmission de manière à ce qu'elle concorde avec l'intention des dispositions, à savoir moderniser les dispositions relatives à la téléphonie afin qu'elles soient applicables aux communications sur Internet.
Je tiens également à souligner que toutes ces ordonnances — et, je le répète, je suis heureux qu'elles soient assujetties à une surveillance et à une approbation judiciaires — ne s'assortissent d'aucun mécanisme permettant d'aviser après coup la personne visée du fait qu'on a recueilli de l'information à son sujet, comme cela se passe, si je ne m'abuse, dans le cas des ordonnances d'écoute électronique, et, à coup sûr, dans le cas des ordonnances de perquisition. J'estime qu'un tel mécanisme devrait être intégré aux ordonnances de communication dont nous parlons.
Enfin, j'aimerais aborder très brièvement la question de l'immunité accordée aux fournisseurs de service en vertu du projet de loi. Je crois que cela pose de graves problèmes. À mon avis, ces dispositions ont été très astucieusement rédigées. On nous dit que cela est précisé simplement pour plus de sûreté, mais les choses vont plus loin que cela. Tout ce que nous savons nous indique autre chose.
Les dispositions énoncent que la personne qui communique des données qu'aucune règle de droit ne lui interdit de communiquer bénéficie de l'immunité en matière civile. Seuls le droit pénal et d'autres dispositions réglementaires établissent des interdictions concernant la divulgation de renseignements, mais il est possible de fournir de l'information qu'aucune règle de droit ne nous interdit de fournir, mais d'être tout de même exposé à une responsabilité civile. La responsabilité civile n'a pas été instaurée sans raison — il se peut qu'aucune règle de droit ne m'interdise d'emboutir accidentellement votre voiture avec la mienne, mais si je le fais, je devrai vous verser des dommages-intérêts pour le préjudice que je vous ai causé.
Une disposition en matière d'immunité qui énoncerait que vous ne pouvez pas intenter une poursuite contre moi si je pose un acte qui n'est pas interdit par la loi serait invalidée. Elle serait supprimée. Par conséquent, j'estime que la disposition en question doit être retirée du projet de loi — il n'est pas possible de la corriger, et elle ne fera qu'encourager les organismes d'application de la loi à aller trop loin.
En conclusion, même si nous ne sommes pas ici pour examiner le projet de loi , Loi sur la protection des renseignements personnels numériques, je soulignerai que ses dispositions sont en phase avec celles relatives à l'immunité que je viens d'évoquer. Je suis préoccupé par le fait que, pris ensemble, les deux projets de loi accroîtront la quantité de renseignements auxquels peuvent accéder non seulement les organismes d'application de la loi, mais aussi les autres justiciables civils et d'autres instances. Je suis conscient du fait que ce que je mentionne ne relève pas du comité, mais je tenais à signaler que le projet de loi et le projet de loi s'inscrivent dans une même logique, et qu'il conviendrait d'examiner leurs rapports réciproques.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Les dispositions concernant la cyberintimidation représentent un important progrès, et si on les peaufine de manière adéquate, elles permettront de régler ce grave problème. Quant au reste du projet de loi, il faut l'examiner de très près pour faire en sorte qu'il ait les effets prévus, et rien de plus. Il doit fournir aux policiers les outils appropriés, en plus d'instaurer des seuils adéquats, de même que des exigences redditionnelles et une surveillance judiciaire appropriées, et ce, sans repousser les limites relatives à la protection des renseignements personnels.
J'ai très hâte de discuter plus avant de cette question avec vous. Merci.
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Fantastique. Je vous remercie de m'accueillir.
Je vais d'abord vous fournir quelques brefs renseignements à propos de moi. Je m'appelle Fahd, et je suis originaire d'Ottawa, où je vis depuis à peu près 16 ans. J'ai l'habitude de dire que j'ai grandi au sein des Clubs garçons et filles. J'ai commencé à les fréquenter il y a à peu près 10 ans. J'y fais maintenant du bénévolat. En fait, aujourd'hui, je suis à la fois bénévole et membre du personnel. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous à propos du projet de loi .
Comme certains d'entre vous le savent peut-être, les Clubs garçons et filles du Canada sont des chefs de file en matière de fourniture de programmes de qualité visant le développement sain des enfants et des jeunes. Notre association regroupe 99 clubs englobant plus de 200 000 enfants et les membres de leur famille dans plus de 650 points de service communautaires situés un peu partout au Canada. Notre association a donc une vaste portée, nous travaillons après d'une foule de jeunes et nous comprenons réellement les problèmes auxquels ils font face et auxquels nous devons remédier.
Je vous dirai tout d'abord que nous voyons d'un très bon oeil les mesures qui ont été prises pour lutter contre les torts causés par la cyberintimidation. Nous sommes préoccupés par les répercussions profondes de la cyberintimidation, et nous croyons que le projet de loi propose de remédier à l'une de ses manifestations nuisibles et au partage non consensuel d'images intimes.
À l'heure actuelle, les jeunes qui diffusent des images intimes de mineurs — qui sont parfois leurs propres pairs — se voient accusés d'infractions liées à la pornographie juvénile. À notre avis, le projet de loi fournit une solution beaucoup plus appropriée que celle du dépôt d'accusations pénales liées à la pornographie, et, pour cette raison, nous vous remercions. Le projet de loi représente un progrès très positif à cet égard.
Nous croyons comprendre que le projet de loi a également soulevé des préoccupations relatives à la protection de la vie privée. Il faut protéger les jeunes de la cyberintimidation, mais on doit également protéger et respecter leur vie privée. Comme nous ne sommes pas des spécialistes de la question, nous nous contenterons de vous encourager à écouter, bien entendu, les préoccupations et les observations formulées par les experts de la question de la protection des renseignements personnels pour veiller à ce que les dispositions législatives protègent non seulement les jeunes de la cyberintimidation, mais également leurs droits relatifs à la vie privée.
Il y a trois éléments principaux que j'aimerais aborder. J'espère que vous parviendrez à suivre ma pensée — il m'arrive parfois de partir dans toutes les directions.
Tout d'abord, j'aimerais parler de l'importance que revêt le fait de consulter certains jeunes auprès desquels nous travaillons. Le fait de proposer des dispositions législatives est une excellente chose, mais les jeunes ont parfois une vision différente des autres de la manière dont fonctionne le monde d'Internet. Ensuite, j'aborderai la question de la coordination des efforts à l'échelle du Canada — je dirai quelques mots à propos des diverses lois adoptées dans d'autres provinces. Internet ne connaît malheureusement aucune frontière, et il s'agit d'un élément que nous devons prendre en considération. Enfin, j'évoquerai la question du recours à la justice réparatrice par opposition aux sanctions pénales.
Commençons par la question des consultations. Les jeunes sont plus branchés que les adultes. Tout le monde ici sait cela, plus particulièrement ceux qui ont des enfants. Les jeunes sont plus branchés que ne le sont les membres de toutes les générations qui les ont précédés. Une étude menée récemment par MediaSmarts auprès de 5 000 jeunes de la 4e à la 11e année de toutes les provinces et territoires a révélé l'ampleur de l'accès des jeunes à Internet — 99 % d'entre eux ont accès à Internet à l'extérieur de l'école. Ils forment une génération numérique. Une proportion de 24 % des élèves de quatrième année possèdent leur propre téléphone cellulaire, et cette proportion augmente à 85 % pour ce qui est des élèves de 11e année. La réalité, c'est que les jeunes ont accès à tout. Ils utilisent Internet pour socialiser avec leurs pairs et pour trouver de l'information concernant le sport, la sexualité et la santé. Ils testent leurs limites, n'est-ce pas? C'est naturel. Ça va de soi. Ainsi, en raison de la connectivité accrue et des nouvelles normes sociales entourant les communications électroniques, les jeunes s'exposent à la cyberintimidation.
Comme David l'a mentionné, beaucoup de jeunes sont victimes de cyberintimidation, et ce sont eux qui seront le plus touchés par le projet de loi. Je vous recommande donc de consulter les jeunes et de comprendre en tous points ce qu'ils ont vécu et les effets qu'ils croient que le projet de loi aura sur eux.
Le deuxième élément que je veux aborder a trait au fait que la volonté de contrer la cyberintimidation a donné lieu à des mesures législatives hétéroclites à l'échelle du Canada. Cette situation risque vraiment de confondre les enfants et les jeunes quant à leurs responsabilités et leurs droits et aux répercussions juridiques de leurs gestes.
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne et le Groupe de travail du Comité de coordination des hauts fonctionnaires sur le cybercrime recommandent tous deux que le gouvernement fédéral chapeaute les efforts de coordination visant à contrer la cyberintimidation, notamment au moyen d'une stratégie nationale de prévention, d'activités d'éducation juridique et de l'instauration d'une citoyenneté numérique. Peu importe les décisions et les mesures qui seront prises, nous sommes d'avis que les chefs de file doivent prendre les choses en main, coordonner le message et s'assurer que le gouvernement fédéral joue un rôle de tout premier plan.
La nouvelle campagne du gouvernement intitulée « Non à la cyberintimidation » est fantastique. Nous avons besoin de merveilleuses initiatives de ce genre, qui seraient encore plus positives si elles mettaient à contribution des organisations comme les Clubs Garçons et Filles, lesquels fournissent des services à quelque 200 000 jeunes. De telles campagnes sont importantes puisqu'elles contribuent vraiment à éduquer les jeunes et à les faire progresser.
Enfin, j'aborderai la question de la justice réparatrice. Il nous plaît de croire que nous pouvons éduquer nos jeunes, mais le fait est que, en dépit des efforts que nous déployons, ils transgresseront toujours les règles. Nous avons tous été jeunes. Nous travaillons auprès des jeunes ou nous en avons nous-même — ce qui n'est pas encore mon cas —, et nous savons que, tôt ou tard, ils désobéiront à un ordre. On peut imaginer que le fait de punir un jeune de sixième année parce qu'il a transmis à quelqu'un par téléphone cellulaire une photo qu'il avait reçue d'un ami... Il me semble illogique d'accuser ce jeune de diffusion de pornographie juvénile et de lui imposer les sanctions juridiques liées à un tel acte. Je sais que bon nombre d'entre vous sont d'accord avec cela.
Ainsi, nous avons mis en oeuvre des programmes de justice réparatrice. Ils encouragent les contrevenants à assumer la responsabilité et les lourdes conséquences de leurs actes criminels et à rendre des comptes à leur sujet. Ce type d'intervention convient parfaitement aux personnes ayant diffusé des images intimes sans intention malicieuse grave et sans le consentement de la personne figurant sur les images en question.
Les Clubs Garçons et Filles de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, du Yukon et de l'Ontario proposent depuis plusieurs années aux jeunes des programmes de justice réparatrice qui connaissent un franc succès. Au cours des dernières années, des personnes ayant diffusé des « sextos » ont participé à ces programmes.
La Police provinciale de l'Ontario a récemment proposé aux Clubs Garçons et Filles de Kawartha Lakes de collaborer avec elle dans les cas où des jeunes sont accusés d'avoir diffusé de tels messages. Ce service de police adressera aux clubs les cas de jeunes âgés de 12 à 17 ans. Le programme de justice réparatrice des clubs est bien établi, et son bilan est très bon.
Le service de police régional de Durham soumettra lui aussi aux Clubs Garçons et Filles de sa région les cas de sextos dans le cadre de son programme de préinculpation. À ce jour, ce club a traité quelques cas. Il prépare chaque fois un plan individuel puisque les activités de justice réparatrice se déroulent chaque fois d'une manière adaptée au cas du jeune concerné.
De toute évidence, comme nous le savons tous, l'éducation joue un rôle important, et nous devons informer les personnes mineures à propos des conséquences auxquelles ils s'exposent s'ils transmettent des images intimes, et du fait qu'ils risquent d'être accusés de possession de pornographie juvénile s'ils reçoivent de telles images. Une fois qu'ils apprennent cela, ils changent leur façon d'agir et comprennent que la diffusion d'images d'une telle nature a des répercussions juridiques.
Comme je l'ai dit, une foule de nos programmes sont peaufinés en fonction des jeunes. Ils sont spécialement conçus pour eux et adaptés à leurs besoins. Les sanctions qui seront prises à leur égard sont fixées selon la gravité de l'infraction. Bien souvent, nous avons affaire à des jeunes qui posent des actes sans intention malicieuse font l'objet d'accusations qui ne sont pas appropriées dans leur cas.
En résumé, j'insiste sur le fait que nous devons protéger la vie privée de nos enfants tout en les protégeant de la cyberintimidation.
Nous devons consulter les jeunes à propos de l'importance du projet de loi, des effets qu'il aura sur eux et des mesures que nous pouvons prendre pour veiller à ce qu'il les protège.
Nous devons coordonner nos efforts à l'échelle du Canada pour faire en sorte que tout le monde soit sur la même longueur d'ondes et que tout le monde comprenne qu'Internet ne connaît aucune frontière.
Adoptons une démarche axée sur la justice réparatrice plutôt que sur les sanctions pénales.
Merci.
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Merci de m'avoir invitée à participer à la réunion d'aujourd'hui.
Je remercie également les autres témoins, qui ont dit des choses utiles de façon très éloquente.
Je m'appelle Steph Guthrie et je suis militante féministe et conceptrice indépendante de stratégies numériques. Au cours de la dernière année, je me suis exprimée à maintes occasions — de vive voix et par écrit — à propos du problème auquel on prétend s'attaquer au moyen du projet de loi .
Bien que les médias désignent généralement ce texte législatif sous l'appellation de « projet de loi sur la cyberintimidation », j'estime pour ma part que certaines de ses dispositions visent plus particulièrement ce que l'on nomme la pornographie de vengeance, expression que je déteste tant en raison de son inexactitude que de son sensationnalisme à caractère sexuel. Cela dit, peu importe la manière dont on désigne ce phénomène, il renvoie à la diffusion d'images sexuellement explicites sans le consentement des personnes qui y figurent. Il arrive que ces images aient été obtenues au moyen de procédés relevant du piratage informatique, mais dans bien des cas, les personnes concernées ont consenti à partager de façon privée les images en question avec une personne, par exemple leur partenaire sexuel, lequel a ensuite trompé leur confiance et trompé leurs attentes généralement et évidemment implicites en matière de discrétion en transmettant les images en question à d'autres personnes.
La violation du consentement éclairé est au coeur du préjudice causé par un tel acte. Si je consens à partager de façon privée une image avec une personne, ce consentement n'est pas transférable. Si j'avais su que cette personne montrerait l'image à des tiers, je n'aurais vraisemblablement pas consenti à la lui montrer en premier lieu. Ainsi, le consentement que j'accorde à une personne est très manifestement subordonné au respect du caractère privé de l'image partagée.
À mes yeux, le consentement éclairé fait partie intégrante du respect de la vie privée. De fait, dans son influent cadre sur la protection intégrée de la vie privée, la commissaire à la protection de la vie privée de l'Ontario, Ann Cavoukian a indiqué que le consentement explicite et donné librement était la pierre d'assise de la protection des renseignements personnels numériques. Ce principe peut être appliqué au partage non consensuel d'images intimes, façon lourde et malhabile — il faut le reconnaître — de décrire ce qui constitue, en fin de compte, une agression cybersexuelle. Une personne qui n'a pas consenti explicitement à ce qu'une image d'elle soit transmise à d'autres personnes est la victime d'une agression cybersexuelle. Quant à l'agresseur, il a simplement considéré que le consentement qui lui a été accordé pouvait être transféré à d'autres fins, et que cela lui permettait de divulguer l'image.
Comme vous le diront certainement d'autres intervenants qui participeront à l'étude du projet de loi, un tel acte a des effets dévastateurs. La plupart des victimes sont des femmes, mais les hommes ne sont pas à l'abri d'une agression cybersexuelle pouvant détruire leur vie. Les images diffusées hanteront les victimes durant leurs entrevues d'emploi et leurs premiers rendez-vous, et jusqu'à la laverie automatique. Dans certains cas, le cyberagresseur incite à la violence et au harcèlement criminel contre sa victime, publie des renseignements personnels à son sujet et diffuse de l'information touchant la date et l'heure de leurs activités professionnelles afin d'encourager leurs « admirateurs » à s'y présenter.
Quoi qu'il en soit, l'agression nuit à la capacité de la victime de vivre une vie normale et facile puisqu'elle doit vivre constamment avec l'idée que les gens qu'elle rencontre dans le cadre de ses activités quotidiennes possèdent peut-être à son sujet des informations intimes qui ont été diffusées sans son consentement. Même si la victime sait qu'elle n'a rien fait de mal, elle doit composer avec les jugements et les perceptions fausses des autres et leur intrusion dans sa vie privée. Cela a pour effet de limiter la capacité d'une multitude de victimes de mener une vie libre, sûre et heureuse.
J'ai la chance de ne pas avoir été attaquée et tourmentée de cette façon, mais cela pourrait m'arriver. Il n'est pas rare que les autorités et les médias critiquent les adolescents qui font preuve d'un piètre jugement et d'une faible maîtrise de leurs impulsions en transmettant ce qu'il est convenu d'appeler des « sextos », mais cela ne correspond pas à la réalité. Selon un sondage Harris, mené en 2012, pas moins de 40 % — il ne s'agit pas de la majorité, mais cela représente le pourcentage le plus élevé — de ceux qui transmettent des images intimes ont de 18 à 34 ans, et 20 % des adultes envoient des textos à caractère sexuel. En fait, d'après un sondage McAfee, cette proportion serait plutôt de 50 %, et je suis prête à parier que bien plus de 50 % d'entre nous ont vu leur confiance trahie par un partenaire amoureux ou sexuel.
Bon nombre d'entre nous peuvent être victimes d'agression cybersexuelle, et bon nombre d'entre nous le seront. Après avoir été tourmentée pendant des mois par ses pairs et s'être butée à l'indifférence des autorités à l'égard de l'agression sexuelle — d'abord physique, puis en ligne — qu'elle avait subie, Rehtaeh Parsons s'est suicidée. Par la suite, le premier ministre Stephen Harper a déclaré qu'il fallait cesser de qualifier d'« intimidation » de tels actes, qui, dans certains cas, sont tout simplement assimilables à des actes criminels.
Je suis tout à fait favorable à l'adoption d'une démarche axée sur la justice réparatrice comme celle évoquée par mon collègue, mais à l'époque où ce suicide s'est produit, j'ai mené une campagne vigoureuse en faveur de l'adoption de mesures législatives visant à contrer les agressions cybersexuelles et j'ai souvent entendu des décideurs des secteurs politique et juridique jeter le blâme sur les victimes. Les commentaires du premier ministre Harper ont donc fait naître en moi un optimisme prudent.
Comme de nombreux Canadiens, j'ai ensuite pris conscience du fait que la majeure partie du projet de loi ne concernait pas vraiment les actes dont Rehtaeh Parsons a été victime. Une série de dispositions convenables visant à modifier le Code criminel afin de contrer les agressions cybersexuelles sont enfouies dans le texte législatif. J'estime que ces modifications posent quelques problèmes mineurs — que les autres témoins ont pertinemment relevés et dont je parlerai assurément de façon plus approfondie durant la période des questions et réponses —, mais je crois que le projet de loi C-13 jette les fondements d'une bonne loi sur les agressions cybersexuelles. Cela dit, il faut fouiller longtemps parmi une kyrielle de modifications de portée générale afin de trouver des dispositions ressemblant davantage à celles sur l'accès légal qui étaient contenues dans le projet de loi de 2012. À cette époque, on avait dit aux Canadiens que le fait de s'opposer à ce projet de loi revenait à cautionner la pornographie juvénile.
On a évité de reprendre dans le présent projet de loi quelques-uns des éléments les plus excessifs de l'ancien projet de loi , et j'en suis ravie. Toutefois, le projet de loi accroît considérablement la capacité de l'État de surveiller les Canadiens sans avoir à s'inquiéter de la surveillance embêtante exercée par l'appareil judiciaire.
L'une des dispositions les plus troublantes du projet de loi tenait à ce qu'il autorisait les services de police à exiger et à obtenir des renseignements sur les utilisateurs sans obtenir au préalable un mandat de perquisition. Ces dispositions ont été adroitement reformulées de façon plus modérée, de sorte que le projet de loi prévoit plutôt que la police peut demander qu'on lui fournisse de l'information, et que la personne ou l'organisation à qui elle adresse cette demande peut s'y conformer volontairement. Cependant, la disposition suivante accorde l'immunité en matière civile à quiconque divulgue sur demande de la police des renseignements concernant une autre personne. En raison de cette immunité, les fournisseurs de services Internet ou les autres particuliers n'ont à peu près plus de raison de rejeter la demande qui leur est faite.
En outre, il est permis de s'interroger sur la mesure dans laquelle une personne peut se sentir obligée de fournir des informations aux policiers même si, en principe, elle est libre de le faire ou non, vu ce que représentent pour nous les agents d'application de la loi, à savoir des figures de pouvoir et d'autorité.
La semaine dernière, une série de reportages accablants diffusés dans les médias ont indiqué que les sociétés canadiennes du secteur des télécommunications se livraient déjà allègrement à la pratique consistant à divulguer volontairement aux policiers de l'information sur les utilisateurs. En 2011, l'État a soumis un million de demandes d'accès à l'information sur les utilisateurs, et ce, sans obtenir de mandats, c'est-à-dire en contournant l'application régulière de la loi. De toute évidence, l'ensemble de ces renseignements ont été obtenus sans le consentement des personnes concernées.
La majeure partie du projet de loi ne concerne pas vraiment les agressions cybersexuelles, mais je trouve intéressant de constater que ses dispositions violent les principes de confidentialité même qu'elles visent à protéger. Par exemple le principe du consentement donné librement et explicitement. La plupart d'entre nous ne consentiraient pas librement et explicitement à ce que l'État accède à une partie ou à l'intégralité des données que possèdent à leur sujet leurs fournisseurs de services Internet, si on leur offrait un véritable choix à ce chapitre.
Nous accordons notre consentement à nos fournisseurs de services Internet. Quant aux services de police, s'ils veulent obtenir des renseignements nous concernant parce qu'ils nous soupçonnent d'être impliqués dans des activités criminelles, ils peuvent obtenir, à cette fin, un mandat de perquisition. C'est à cela que la plupart d'entre nous nous attendons.
Le projet de loi inscrit dans la loi le principe de la transférabilité du consentement en octroyant l'immunité à quiconque fournit de l'information à notre sujet et viole notre vie privée sans motifs juridiques convenables.
Les restrictions de la liberté individuelle imposées par le projet de loi comportent des similitudes frappantes avec celles qu'impose une agression cybersexuelle, même si ces restrictions sont évidemment d'une nature différente à bien des égards. L'État pourrait lui aussi nous suivre à nos entrevues d'emploi, à nos premiers rendez-vous ou à la laverie automatique. Les dispositions du projet de loi restreindront la capacité des Canadiens de vivre une vie normale et simple, car ils vivront constamment avec l'idée que l'État, sous ses multiples incarnations, possèdent à leur sujet des informations intimes qu'il a obtenues sans leur consentement. Même s'ils savent qu'ils n'ont posé aucun acte répréhensible, ils devront composer avec les jugements et les perceptions fausses de l'État, de même qu'avec son intrusion dans leur vie.
Si le projet de loi est adopté sous sa forme actuelle, la capacité d'une kyrielle de Canadiens de mener une vie libre, sûre et heureuse sera restreinte. C'est la raison pour laquelle — et cela me fait de la peine de le dire — je ne peux pas soutenir le texte législatif de la manière dont il se présente aujourd'hui, et ce, malgré le fait que j'aie passé une année à réclamer une loi criminalisant les agressions cybersexuelles. Il faut séparer les éléments du projet de loi qui portent directement sur les agressions cybersexuelles de ceux qui portent sur d'autres questions, et les traiter dans le cadre d'autres projets de loi. Il s'agit de sujets différents.
Cela serait dans l'intérêt supérieur des Canadiens, et je crois qu'il serait plus juste à l'égard des victimes d'agressions cybersexuelles de ne pas mêler leur cause à une autre qui sert davantage la soif de pouvoir de l'État que les intérêts des Canadiens.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins qui sont ici avec nous pour venir nous aider, je l'espère, à améliorer le projet de loi .
D'entrée de jeu, j'aimerais quand même préciser, tant à M. Fraser qu'à Mme Guthrie, que nous partageons votre opinion quant au fait qu'il aurait été préférable de scinder le projet de loi. Les représentants des Clubs garçons et filles du Canada disent aussi la même chose. On a présenté une motion à la Chambre pour scinder le projet de loi, et ce, exactement aux mêmes articles mentionnés dans le mémoire des Clubs garçons et filles du Canada. Malheureusement, ça n'a pas fonctionné.
À chacun son expertise, mais il y a des gens extrêmement spécialisés en matière de vie privée, d'écoute électronique ou dans toutes sortes de domaines. Malheureusement, on devra s'atteler à la tâche et regarder toutes les dispositions.
[Traduction]
Je suis désolée de jouer les rabat-joie, mais nous avons demandé au gouvernement de le faire, et il a refusé. Cela dit,...
[Français]
vous avez relevez des points assez intéressants concernant certaines de mes préoccupations. J'aimerais peut-être qu'on en parle un peu plus en profondeur.
Je ne veux pas ignorer ce qu'on dit les représentants des Clubs garçons et filles du Canada. J'ai entendu leur message. On s'était d'ailleurs rencontrés. Cela s'inscrivait justement dans la volonté de scinder le projet de loi. La plupart des gens voient beaucoup moins de problèmes dans la première partie, mais ils en voient d'énormes dans la deuxième.
Monsieur Fraser, vous avez parlé de la question du fardeau de la preuve. Selon moi, la question du fardeau de la preuve, ce sont les motifs raisonnables de soupçonner versus la notion de motifs raisonnables et probables de croire. Ce sont pour ceux qui ont pratiqué le droit criminel des termes un peu plus familiers.
Pour les fins du comité, j'aimerais que vous précisiez la distinction entre les deux. Je ne sais pas si vous avez lu les réponses du ministre. Selon lui, la question que le fardeau de la preuve portant sur les motifs raisonnables et probables de soupçonner semble déjà bien acceptée par les tribunaux.
Je vous pose la même question, madame Guthrie.
Monsieur Fraser, j'aimerais aussi que vous me précisiez votre position sur la question de l'immunité. Je ne suis pas certaine de l'avoir bien saisie.
Au paragraphe 487.0195(1), on mentionne qu'en autant « qu’aucune règle de droit n’interdit à celle-ci ». À quoi se réfère-t-on particulièrement? La Charte est-elle touchée par ça? Si j'ai le droit à la vie privée, le fait de distribuer de l'information privée me concernant contreviendrait-il à ça? N'y aurait-il donc pas cette immunité?
J'aimerais que vous nous précisiez de façon un peu plus claire et précise quels sont les cas couverts où cette immunité ne s'appliquerait pas, s'il y en a? J'aimerais voir s'il y a autant de danger que la plupart des experts en matière de vie privée nous le disent par rapport au paragraphe 487.0195(1).
Si un autre témoin a des opinions à nous faire valoir sur la question, il est le bienvenu.
:
Merci beaucoup, et merci de m'avoir posé ces deux questions précises.
En droit pénal canadien, il y a un certain nombre de situations dans lesquelles les agents d'application de la loi peuvent s'adresser à un juge de paix ou à un juge et s'acquitter du fardeau de la preuve, quel qu'il soit, pour obtenir une quelconque ordonnance, qu'il s'agisse d'une ordonnance d'écoute électronique, d'un mandat de perquisition ou d'une ordonnance de communication.
Il y a divers seuils à atteindre. En règle générale, cela dépend du degré d'intrusion de la mesure. Pour une chose comme un mandat de perquisition permettant l'entrée dans une maison — pour que les agents de police puissent par exemple défoncer une porte —, la norme de compréhension doit être très élevée. Les agents de police procèdent en fonction de bons renseignements, de renseignements très fiables et portant raisonnablement à croire — pas seulement à soupçonner ou à penser — qu'un crime a été commis, est en train d'être commis ou va l'être, et que l'ordonnance est nécessaire pour obtenir l'information.
Dans d'autres types de processus contraignants, la norme ne sera pas aussi élevée, car on comprend que la nature des renseignements obtenus suppose une intrusion moins grande. Il y a une différence entre le fait d'entrer dans la chambre à coucher de quelqu'un et de fouiller dans son coffret de sécurité dans une banque, par exemple. Le jugement est pris en compte.
Ce que je disais au sujet de cet enregistreur de données de transmission, c'est qu'il faut reconnaître que, si la norme des motifs raisonnables de soupçonner s'applique, comme les tribunaux l'ont affirmé, aux métadonnées téléphoniques, dans le cas des données de signalisation téléphonique, je ne crois pas que cette norme soit appropriée, vu la nature différente de l'information.
En outre, l'application de cette norme ne résisterait peut-être pas à l'examen des tribunaux, vu la nature de l'information qui est divulguée. Dans ce genre de situation, tout n'est jamais très tranché. Il y a toujours des nuances.
La seconde question que vous avez posée et que je suis content que vous ayez posée concerne l'immunité, et vous avez parlé de la charte en particulier. Dans ce cas-ci, c'est un jeu qui se joue à deux, et les agents d'application de la loi doivent demander l'information aux fournisseurs de télécommunication. Le Code criminel le permet. La police peut demander ce qu'elle veut, quoiqu'elle ne puisse pas toujours légitimement obliger la personne ou l'organisation à qui elle s'adresse à accéder à sa demande. Elle demande aux fournisseurs de services de télécommunication de lui communiquer l'information volontairement.
Les fournisseurs de services de télécommunication ne fondent pas vraiment leurs décisions sur la Charte. Les agents de police doivent la respecter. La Charte s'applique lorsqu'il s'agit de déterminer si la preuve recueillie est admissible en cour, mais les sociétés de télécommunication ne sont pas concernées.
Elles vont donc se poser deux ou trois questions. Juridiquement, puis-je transmettre l'information demandée? Est-il interdit de le faire? Est-ce que je m'expose à une poursuite civile?
L'un des défis auxquels nous faisons face est donc le suivant. Nous n'avons pas le texte devant nous, mais le projet de loi va modifier la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, la LPRPDE, et, plus précisément, l'alinéa 7(3)c.1), qui fait présentement l'objet d'un examen de la Cour suprême du Canada visant à déterminer si les fournisseurs de services Internet peuvent transmettre les renseignements sur leurs clients à la suite d'une demande non assortie d'un mandat ni autorisée judiciairement, et, le cas échéant, dans quelles circonstances elles peuvent le faire.
Je sais que certaines sociétés de télécommunication du Canada transmettent bel et bien des renseignements de ce genre sans mandat. Leur décision est fondée sur l'interprétation d'une partie extrêmement ambiguë de cette loi, qui permet à une entreprise — parce que nous savons que la police peut demander ce qu'elle veut — de divulguer de l'information sans consentement à un organisme d'application de la loi qui affirme — pas sous serment ni de façon confirmée — que les renseignements ont trait à une enquête relative à une infraction aux lois fédérales ou provinciales, ou à un manquement à une entente et que l'organisme a indiqué la source de l'autorité légitime étayant son droit d'obtenir les renseignements en question.
La Cour suprême du Canada se penche donc actuellement sur cette question de l'autorité légitime. Certaines sociétés de télécommunication et certains services de police jugent que l'exercice des fonctions policières suffit à établir l'autorité légitime étayant le droit d'obtenir l'information. D'autres estiment que cela ne suffit pas. Pour eux, l'autorité légitime doit être autre chose, quelque chose d'obligatoire.
Certaines sociétés de télécommunications pèchent par excès de prudence. D'autres préfèrent communiquer l'information aux services de police. Toutefois, lorsqu'elles se demandent si elles devraient le faire ou non, l'autre question qu'elles se posent, c'est celle de savoir si elles s'exposent à des poursuites. Transmettre l'information alors qu'elles n'y sont pas tenues par la loi, mais qu'il existe une loi sur la protection des renseignements personnels et des enjeux relatifs à la protection de la vie privée pourrait constituer une intrusion dans l'intimité, qui ouvre droit à des dommages-intérêts d'après la Cour d'appel de l'Ontario.
Je pense donc que ce qui se passe ici, c'est que la disposition a été incluse par prudence, pour enlever de l'équation...
:
La première question qui m'est venue à l'esprit lorsque j'ai vu cela et que j'ai entendu le débat a été la suivante: si c'est déjà dans la loi, pourquoi mettons-nous cet article dans le projet de loi? C'est une question qui va de soi. Il faut bien que l'article ait un but.
En le disséquant et en analysant tous ses éléments, on constate que l'article dit que la personne ne sera pas tenue responsable d'avoir fait quelque chose qui n'est pas interdit, et non quelque chose qu'elle était légitimement en mesure de faire.
Le libellé des lois importe. Je n'ai pas besoin de le préciser pour quiconque ici présent. Mais le libellé a une incidence importante dans ce cas-ci. Il permet à la personne qui demande l'information de dire à la société de télécommunication qu'il ne lui arrivera rien si elle la lui transmet, qu'elle peut simplement la lui transmettre.
Dans le domaine du respect de la vie privée, il est question de degrés, d'attentes et de choses de ce genre. En théorie, donc, suivant les autres arguments avancés, un organisme d'application de la loi pourrait demander à une société de télécommunication de lui transmettre le nom, l'adresse, le numéro de téléphone, l'adresse IP et l'adresse électronique de chacun de ses clients. Il peut légitimement présenter cette demande. Selon cette interprétation extrême de la LPRPDE, la société de télécommunication pourrait transmettre les renseignements demandés. Je dirais qu'elle serait civilement responsable de l'infraction d'intrusion dans l'intimité prévue par la loi. Elle n'est pas empêchée de transmettre l'information selon cette interprétation de la LPRPDE, qui ne lui interdit pas de le faire.
Cette interprétation lui permettrait donc de le faire, et je ne suis pas sûr que nous devrions encourager ce genre de comportement. Si vous arrivez à convaincre un juge que vous avez le droit de transmettre l'information à des fins légitimes, allez-y allègrement, puisque c'est votre droit. Pour ma part, cependant, je dois dire que cette espèce de communication en coulisses, dans l'ombre et sans responsabilité m'inquiète beaucoup.
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Merci beaucoup d'avoir posé la question.
Je suis d'accord pour dire que, dans presque toutes les situations où le gouvernement ou des organismes d'application de la loi obtiennent des renseignements au sujet d'une personne et que cette personne n'est pas informée au moment où les renseignements sont obtenus, elle devrait être avisée dans les six mois — six mois me semblent être un délai raisonnable —, à moins que l'organisme d'application de la loi ou l'organisme gouvernemental n'arrive à convaincre un juge que le fait d'aviser la personne au moment en question nuirait à une enquête en cours.
Les cas où l'information est divulguée et obtenue par les services de police et où des accusations sont portées ne m'inquiètent pas. Ces cas finissent par faire surface, en cour ou ailleurs, donc il y a une certaine responsabilité et une certaine transparence.
Ce qui me préoccupe, et ce que les Canadiens devraient savoir, je crois, c'est la fréquence à laquelle des renseignements concernant les Canadiens sont obtenus, avec ou sans mandat, sans que des accusations ne soient jamais portées. Si nous y regardons de près, ce genre de situation peut donner lieu à l'obtention trop fréquente d'information. Les organismes d'application de la loi obtiennent peut-être de l'information sur énormément de gens, tellement, en fait, qu'on pourrait dire qu'ils procèdent à tâtons pour essayer d'attraper deux ou trois suspects, mais en demandant trop d'information.
Je pense qu'il est crucial que tout le monde ici présent, mais aussi tous les Canadiens, disposent de l'information nécessaire pour bien comprendre ce qui se passe, de sorte que nous puissions tenir un débat en bonne et due forme sur la question. Nous avons été témoins de prises de position très catégoriques et fortes au cours des dernières années. Il y a eu le projet de loi et les révélations au sujet de l'Agence des services frontaliers du Canada, ce chiffre de 1,2 million — nous avons vu la quantité d'encre que ces questions ont fait couler. Toutefois, tous n'ont jamais l'information nécessaire pour bien comprendre. Ce qui se dit ne fait qu'alimenter des chicanes fondées sur des positions dogmatiques.
Si nous savions ce qui se passe et si les gens le savaient, nous pourrions tenir un débat beaucoup plus éclairé et utile sur la question, ce qui permettrait d'adopter de meilleures lois et d'assurer une meilleure surveillance, et les pouvoirs policiers seraient appropriés dans toutes les circonstances.
Je suis tout à fait partisan de la transparence, et cela inclut non seulement les chiffres regroupés, mais aussi les avis individuels.
:
Je pense qu'il est probablement dangereux de me demander de résumer le projet de loi ou mes préoccupations.
Une voix: Vous avez une minute.
Des voix: Oh, oh!
M. David Fraser: Merci beaucoup.
C'est une question compliquée que nous étudions. Le volet de la cyberintimidation est un phénomène compliqué et compte un très grand nombre de pièces mobiles. J'ai entendu beaucoup de nuances. La question des pouvoirs d'enquête de la police est compliquée parce que nous devons nous assurer d'établir le bon équilibre. Il faut que les policiers puissent faire leur travail. Ils ont un rôle absolument essentiel à jouer dans notre société.
Nous avons également des libertés fondamentales qui sont inhérentes à la façon dont nous voulons nous organiser dans cette société. Ainsi, dans les deux cas, il s'agit de parvenir à établir le bon équilibre. La cyberintimidation, la distribution d'images intimes sans le consentement de la personne dans le but de causer un préjudice à cette personne fait du tort aux gens et occasionne des problèmes, et nous voulons, dans les bonnes circonstances, punir les bonnes personnes.
Dans la deuxième moitié du projet de loi, les trois derniers quarts du projet de loi, nous voulons en fait donner à la police les pouvoirs appropriés, dans les bonnes circonstances, et la capacité de surveillance nécessaire pour le faire. Nous faisons face à certaines questions compliquées et nuancées avec beaucoup d'éléments mobiles... cela s'articule avec la pornographie juvénile, et les pouvoirs relatifs aux ordonnances de communication s'articulent avec les mandats de perquisition et d'autres choses de ce genre... le comité a donc une lourde tâche à accomplir, probablement au cours des cinq prochaines semaines environ, pour parvenir à bien formuler ces deux parties.
Je vous suggérerais de consacrer cinq semaines à une partie, puis cinq semaines à l'autre, mais cela va gâcher votre été.
Des voix: Oh, oh!
:
Je trouve intéressantes les questions de M. Dechert.
Je pense que les gens craignent qu'il y ait une espèce de laissez-faire, de laisser-aller, parce que ça va vite, parce que l'information est accessible, parce qu'on peut utiliser son Z30 très rapidement et obtenir toutes sortes d'informations. À un moment donné, cela risque d'être un peu bordélique parce qu'on peut maintenant obtenir ces mandats par des moyens fort différents de ceux utilisés au début de ma pratique, il y a 30 ans. On peut obtenir des mandats de bien des façons. Je pense que les inquiétudes de M. Dechert, qui l'amènent à vouloir élargir la portée de certaines aspects, me semblent peu fondées.
Cependant, il a dit une chose qui m'a fait un peu réagir sur le coup. Évidemment, le projet de loi nous a été vendu comme étant la réponse aux événements dramatiques qui ont conduit au décès d'Amanda Todd, de Rehtaeh Parsons, de Jamie Hubley, etc. Les représentants de Clubs garçons et filles du Canada pourraient certainement nous soumettre plusieurs cas dramatiques.
Si on considère le projet de loi , la question à 100 $ est celle que la mère d'Amanda Todd a posée: le projet de loi C-13 aurait-il permis de sauver Amanda? Elle a répondu oui, parce qu'elle est optimiste. J'aimerais comme elle pouvoir répondre oui, mais on aura l'occasion d'en reparler avec elle la semaine prochaine.
Toutefois, dans l'optique de ce que disait M. Dechert,
[Traduction]
elle a pris des mesures.
[Français]
À mon avis, les membres du gouvernement font erreur quand ils pensent que si le projet de loi est adopté, les jeunes qui seront l'objet de quelque chose de dramatique sur Internet auront le réflexe d'appeler la police. On semble croire que certains penseront pouvoir récupérer la photo qu'ils auront envoyée à quelqu'un. En contrepartie, cette personne aura envoyé sa belle image, mais elle est peut-être le plus grand pédophile que la Terre ait porté. Je pense qu'on en met beaucoup dans ce contexte en ce qui a trait au projet de loi C-13. Je n'ai pas l'impression que c'est ce qui se produira, ce sera
[Traduction]
le statu quo.
[Français]
Comment nos forces de l'ordre vont-elles réagir sur le plan de l'éducation? Vont-elles aller se promener dans différents endroits? Y aura-t-il une police de l'Internet? Va-t-elle se promener pour aller voir ces choses? Va-t-elle poser les gestes qui devront être posés, comme elle le fait quand elle se déplace dans nos quartiers avec ses voitures? Va-t-elle consulter les sites de la cyberplanète? Je ne suis pas sûre que les jeunes vont se dire que puisque le projet de loi a été adopté,
[Traduction]
appelons la police.