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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 022 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 6 mai 2014

[Enregistrement électronique]

(1100)

[Traduction]

    Mesdames et messieurs, je déclare ouverte la séance no 22 du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
    Conformément à l'ordre du jour et à l'ordre de renvoi du lundi 28 avril 2014, nous examinons aujourd'hui le projet de loi C-13, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur la concurrence et la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle.
    Nous accueillons aujourd'hui trois groupes de témoins. Nous entendrons M. David Fraser, associé au sein du cabinet d'avocats McInnes Cooper, qui témoignera à titre personnel; nous entendrons aussi Marlene Deboisbriand, vice-présidente du Club garçons et filles, Services aux membres, et Fahd...
    Quel est votre nom de famille, Fahd?
    Fahd Alhattab, qui représente lui aussi les Clubs garçons et filles.
    Enfin, je tiens à remercier Steph Guthrie, qui participera à la réunion par vidéoconférence.
    Où vous trouvez-vous, madame Guthrie?
    Je me trouve aujourd'hui à Toronto.
    Je vous salue et je vous remercie de m'avoir invitée à prendre part à votre réunion.
    Je suis heureux de constater que le système audio fonctionne.
    Chaque groupe de témoins disposera de 10 minutes pour présenter des observations préliminaires. Le reste du temps sera consacré à la période de questions et de réponses.
    Monsieur Fraser, vous avez la parole.
    Je vous remercie de me donner l'occasion de discuter aujourd'hui avec vous et les membres du comité.
    Je m'appelle David Fraser, et je suis associé au sein d'un cabinet d'avocats du Canada atlantique, à savoir McInnes Cooper. Cela dit, j'insiste sur le fait que je témoigne aujourd'hui à titre personnel. Les observations et les opinions que je formulerai aujourd'hui n'engagent en rien le cabinet au sein duquel je travaille ni les clients ou organisations avec lesquels je fais affaire.
    J'exerce depuis maintenant plus de 12 ans dans les domaines du droit d'Internet et du droit de la protection de la vie privée. Au fil des ans, j'ai représenté toutes sortes de clients, notamment des victimes de cyberintimidation, des personnes dont des photos intimes ont été diffusées en ligne et des fournisseurs de services, auxquels je prodigue également des conseils.
    Toutefois, en la matière, l'affaire la plus importante à laquelle j'ai été lié concernait une jeune fille de 15 ans ayant été victime de cyberintimidation. J'ai fait partie de l'équipe d'avocats de mon cabinet qui a porté cette affaire devant la Cour suprême du Canada. C'était la première fois que ce tribunal était appelé à se pencher sur le phénomène de la cyberintimidation, et ses juges se sont unanimement prononcés en faveur de la protection des intérêts de cette victime de cyberintimidation à caractère sexuel. En outre, j'ai conseillé des gens accusés de cyberintimidation. J'espère que l'expérience que j'ai acquise dans le cadre de ces activités où j'ai été amené à voir les choses selon divers points de vue me permettra de contribuer à la très importante tâche dont doit s'acquitter le comité, à savoir l'étude du projet de loi C-13.
    Tout d'abord, de façon générale, je dois dire que je suis déçu que le projet de loi C-13 englobe deux éléments qui sont liés, mais dont la nature est très différente, à savoir, d'une part, la diffusion d'images intimes, et, d'autre part, de façon plus globale, les pouvoirs en matière d'application de la loi. Ces deux éléments soulèvent des questions très importantes qui méritent d'être passées au crible, mais ce que nous constatons, c'est que le débat touchant les pouvoirs octroyés aux services de police relègue au second plan la discussion touchant la cyberintimidation. Cela dit, nous avons un projet de loi à examiner, et je serai heureux de vous faire part de mes réflexions à son sujet.
    On a avancé que le projet de loi C-13, s'il avait été en vigueur, aurait pu sauver Amanda Todd, Rehtaeh Parsons et d'autres jeunes. Une telle affirmation sonne bien et est percutante, mais la réalité est beaucoup plus compliquée. La création, la possession et la diffusion de pornographie juvénile est un crime aujourd'hui et l'était à l'époque. Cela vaut également pour la création, la possession et la diffusion d'images voyeuristes, de même que pour l'extorsion, le harcèlement criminel et l'agression sexuelle. Cependant, il y a une lacune que nous devons combler, et elle a trait à la diffusion malicieuse d'images intimes sans le consentement de la personne figurant sur ces images, peu importe son âge.
    Cela dit, nous devons être extrêmement prudents au moment de définir cette infraction. La réalité, qu'elle nous plaise ou non, c'est que de jeunes gens et des adultes prennent des photos d'eux-mêmes et les partagent volontairement avec leurs partenaires intimes. De telles images numériques peuvent facilement être diffusées sans le consentement de la personne qui y figure. Nous voulons criminaliser le fait pour quelqu'un de diffuser en ligne des photos de son ex-petite-amie sans son consentement, ce que l'on désigne sous le nom de « pornographie de vengeance ». Nous voulons que le fait de diffuser des photos d'un partenaire ou d'un ancien partenaire intime représente un acte criminel. Dans chacun de ces cas, le diffuseur doit ou aurait dû obtenir le consentement de la personne figurant sur les images en question.
    Nous devons toutefois faire preuve de prudence. Nous ne devons pas criminaliser par inadvertance un comportement qui n'est pas répréhensible. Supposons qu'une personne trouve en ligne une photo d'une personne nue — je crois comprendre qu'il y a sur Internet des photos de personnes nues — et l'envoie à un ami, sans rien savoir des circonstances où cette photo a été prise. La personne qui y figure peut être un mannequin professionnel, et elle a pu être affichée en ligne par la personne même qu'on peut y voir. Il n'y a aucune façon de savoir si son consentement a été obtenu, s'il avait été convenu, au moment où la photo a été prise, qu'elle devait demeurer confidentielle. La personne qui l'a diffusée — en l'occurrence l'accusé — ne disposait d'aucun moyen d'établir cela ni de communiquer avec la personne sur l'image afin d'obtenir ces informations. Par conséquent, la véritable difficulté concerne les tiers qui ne connaissent pas la personne figurant sur l'image et n'ont aucune idée des circonstances où elle a été prise.
    Les dispositions du projet de loi énoncent un critère relatif à l'insouciance. À mon avis, cette norme n'est pas assez élevée. L'insouciance s'appliquerait à une personne qui aurait dû s'informer, mais a opté pour l'aveuglement volontaire. Toutefois, vu le nombre astronomique d'images se trouvant sur Internet, il n'est pas possible de s'informer. Cela revêt une importance particulière pour les fournisseurs de service, qui n'ont aucun moyen de connaître ou de découvrir les circonstances où une image a été prise ou diffusée en ligne. Nous devons être extrêmement méticuleux au moment d'élaborer les dispositions législatives de manière à ce qu'elles résistent à l'épreuve des tribunaux, et la norme relative à l'insouciance risque d'être invalidée ou de transformer en criminels des gens dont les actes ne sont pas véritablement répréhensibles.
    En ce qui a trait au volet du projet de loi qui concerne les pouvoirs de la police, j'aimerais tout d'abord parler des pouvoirs relatifs aux données de transmission. Le projet de loi C-13 crée une ordonnance de communication de données de transmission et un mandat pour un enregistreur de données de transmission. D'aucuns ont affirmé que les dispositions relatives aux données de transmission avaient pour but d'accroître la portée des pouvoirs dont les services de police disposent actuellement — et qui, je suis très heureux de le constater, s'assortissent d'une surveillance judiciaire — en ce qui concerne les communications téléphoniques et de les rendre applicables aux communications sur Internet. Pour l'essentiel, il s'agirait de simplement modifier ou moderniser un pouvoir actuel de la police sans trop troubler le statu quo.
    Bien que cela puisse être un objectif très raisonnable, on doit faire preuve d'une très grande prudence au moment de le réaliser, vu que les données de transmission liées à Internet sont très différentes de celles liées au bon vieux réseau téléphonique, où les données de transmission indiquent le numéro d'origine et le numéro de destination de la communication, de même que si la communication a été établie et, le cas échéant, sa durée.
(1105)
    Dans le cas d'Internet, le nombre et la nature des renseignements contenus dans la signalisation hors bande sont radicalement différents — ils comprennent l'adresse IP de l'ordinateur d'origine et de l'ordinateur de destination de la communication, de même que de l'information concernant le navigateur et l'ordinateur utilisé et l'adresse URL, à savoir celle du site auquel on a accédé, et qui peut divulguer du contenu, même si, selon leur définition, les données de transmission sont censées exclure le contenu.
    Les données de transmission nous permettent également de déterminer le type de communication qui a été effectué, par exemple un courriel, un message en temps réel, un partage de fichiers entre pairs ou un autre type de communications. Ainsi, ces données fournissent beaucoup plus de précisions à propos de la communication qu'un simple numéro de téléphone.
    Grâce aux données de transmission interceptées, les organismes d'application de la loi sauront si leur cible a utilisé un moteur de recherche, a consulté le site d'une encyclopédie ou s'est rendu sur un site de poker en ligne ou un site d'information médicale. De surcroît, ces données leur fourniront des indications beaucoup plus précises sur le lieu où se trouve la personne qu'elles surveillent. Tous ces renseignements sont considérablement plus détaillés que ceux que l'on peut obtenir à propos de communications conventionnelles par téléphone.
    Comme toutes les personnes ici présentes le savent probablement, nous utilisons aujourd'hui les ordinateurs de façon tout à fait différente de la manière dont nous utilisions les téléphones il y a de cela 15 ans. Nous nous en servons pour vérifier l'orthographe des textes que nous rédigeons et pour trouver de l'information. Nous les utilisons à des fins beaucoup plus nombreuses que celles pour lesquelles nous nous servions de nos téléphones. Ainsi, les ordonnances de communication de données de transmission en révéleront beaucoup plus à propos d'une personne. Même si leur définition exclut le contenu, les données de transmission nous en disent davantage à propos de ce qui se passe.
    J'estime que l'on pourrait remédier à cela en faisant passer la norme applicable à ces données de celle des « motifs raisonnables de soupçonner » à celle des « motifs raisonnables de croire », ou alors reformuler la définition des données de transmission de manière à ce qu'elle concorde avec l'intention des dispositions, à savoir moderniser les dispositions relatives à la téléphonie afin qu'elles soient applicables aux communications sur Internet.
    Je tiens également à souligner que toutes ces ordonnances — et, je le répète, je suis heureux qu'elles soient assujetties à une surveillance et à une approbation judiciaires — ne s'assortissent d'aucun mécanisme permettant d'aviser après coup la personne visée du fait qu'on a recueilli de l'information à son sujet, comme cela se passe, si je ne m'abuse, dans le cas des ordonnances d'écoute électronique, et, à coup sûr, dans le cas des ordonnances de perquisition. J'estime qu'un tel mécanisme devrait être intégré aux ordonnances de communication dont nous parlons.
    Enfin, j'aimerais aborder très brièvement la question de l'immunité accordée aux fournisseurs de service en vertu du projet de loi. Je crois que cela pose de graves problèmes. À mon avis, ces dispositions ont été très astucieusement rédigées. On nous dit que cela est précisé simplement pour plus de sûreté, mais les choses vont plus loin que cela. Tout ce que nous savons nous indique autre chose.
    Les dispositions énoncent que la personne qui communique des données qu'aucune règle de droit ne lui interdit de communiquer bénéficie de l'immunité en matière civile. Seuls le droit pénal et d'autres dispositions réglementaires établissent des interdictions concernant la divulgation de renseignements, mais il est possible de fournir de l'information qu'aucune règle de droit ne nous interdit de fournir, mais d'être tout de même exposé à une responsabilité civile. La responsabilité civile n'a pas été instaurée sans raison — il se peut qu'aucune règle de droit ne m'interdise d'emboutir accidentellement votre voiture avec la mienne, mais si je le fais, je devrai vous verser des dommages-intérêts pour le préjudice que je vous ai causé.
    Une disposition en matière d'immunité qui énoncerait que vous ne pouvez pas intenter une poursuite contre moi si je pose un acte qui n'est pas interdit par la loi serait invalidée. Elle serait supprimée. Par conséquent, j'estime que la disposition en question doit être retirée du projet de loi — il n'est pas possible de la corriger, et elle ne fera qu'encourager les organismes d'application de la loi à aller trop loin.
    En conclusion, même si nous ne sommes pas ici pour examiner le projet de loi S-4, Loi sur la protection des renseignements personnels numériques, je soulignerai que ses dispositions sont en phase avec celles relatives à l'immunité que je viens d'évoquer. Je suis préoccupé par le fait que, pris ensemble, les deux projets de loi accroîtront la quantité de renseignements auxquels peuvent accéder non seulement les organismes d'application de la loi, mais aussi les autres justiciables civils et d'autres instances. Je suis conscient du fait que ce que je mentionne ne relève pas du comité, mais je tenais à signaler que le projet de loi C-13 et le projet de loi S-4 s'inscrivent dans une même logique, et qu'il conviendrait d'examiner leurs rapports réciproques.
    Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Les dispositions concernant la cyberintimidation représentent un important progrès, et si on les peaufine de manière adéquate, elles permettront de régler ce grave problème. Quant au reste du projet de loi, il faut l'examiner de très près pour faire en sorte qu'il ait les effets prévus, et rien de plus. Il doit fournir aux policiers les outils appropriés, en plus d'instaurer des seuils adéquats, de même que des exigences redditionnelles et une surveillance judiciaire appropriées, et ce, sans repousser les limites relatives à la protection des renseignements personnels.
    J'ai très hâte de discuter plus avant de cette question avec vous. Merci.
(1110)
    Monsieur Fraser, je vous remercie de vos commentaires. Nous aurons assurément des questions à vous poser un peu plus tard.
    Nous allons maintenant entendre Mme Deboisbriand, des Clubs garçons et filles du Canada.
    Vous avez la parole, vous pouvez partager comme vous le souhaitez avec votre collègue le temps qui vous est alloué.
    Je vais laisser Fahd s'adresser à vous. Il s'agit d'un jeune membre de nos clubs.
    La parole est à vous. Vous avez 10 minutes.
    Fantastique. Je vous remercie de m'accueillir.
    Je vais d'abord vous fournir quelques brefs renseignements à propos de moi. Je m'appelle Fahd, et je suis originaire d'Ottawa, où je vis depuis à peu près 16 ans. J'ai l'habitude de dire que j'ai grandi au sein des Clubs garçons et filles. J'ai commencé à les fréquenter il y a à peu près 10 ans. J'y fais maintenant du bénévolat. En fait, aujourd'hui, je suis à la fois bénévole et membre du personnel. Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser à vous à propos du projet de loi C-13, Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité.
    Comme certains d'entre vous le savent peut-être, les Clubs garçons et filles du Canada sont des chefs de file en matière de fourniture de programmes de qualité visant le développement sain des enfants et des jeunes. Notre association regroupe 99 clubs englobant plus de 200 000 enfants et les membres de leur famille dans plus de 650 points de service communautaires situés un peu partout au Canada. Notre association a donc une vaste portée, nous travaillons après d'une foule de jeunes et nous comprenons réellement les problèmes auxquels ils font face et auxquels nous devons remédier.
    Je vous dirai tout d'abord que nous voyons d'un très bon oeil les mesures qui ont été prises pour lutter contre les torts causés par la cyberintimidation. Nous sommes préoccupés par les répercussions profondes de la cyberintimidation, et nous croyons que le projet de loi C-13 propose de remédier à l'une de ses manifestations nuisibles et au partage non consensuel d'images intimes.
    À l'heure actuelle, les jeunes qui diffusent des images intimes de mineurs — qui sont parfois leurs propres pairs — se voient accusés d'infractions liées à la pornographie juvénile. À notre avis, le projet de loi fournit une solution beaucoup plus appropriée que celle du dépôt d'accusations pénales liées à la pornographie, et, pour cette raison, nous vous remercions. Le projet de loi C-13 représente un progrès très positif à cet égard.
    Nous croyons comprendre que le projet de loi C-13 a également soulevé des préoccupations relatives à la protection de la vie privée. Il faut protéger les jeunes de la cyberintimidation, mais on doit également protéger et respecter leur vie privée. Comme nous ne sommes pas des spécialistes de la question, nous nous contenterons de vous encourager à écouter, bien entendu, les préoccupations et les observations formulées par les experts de la question de la protection des renseignements personnels pour veiller à ce que les dispositions législatives protègent non seulement les jeunes de la cyberintimidation, mais également leurs droits relatifs à la vie privée.
    Il y a trois éléments principaux que j'aimerais aborder. J'espère que vous parviendrez à suivre ma pensée — il m'arrive parfois de partir dans toutes les directions.
    Tout d'abord, j'aimerais parler de l'importance que revêt le fait de consulter certains jeunes auprès desquels nous travaillons. Le fait de proposer des dispositions législatives est une excellente chose, mais les jeunes ont parfois une vision différente des autres de la manière dont fonctionne le monde d'Internet. Ensuite, j'aborderai la question de la coordination des efforts à l'échelle du Canada — je dirai quelques mots à propos des diverses lois adoptées dans d'autres provinces. Internet ne connaît malheureusement aucune frontière, et il s'agit d'un élément que nous devons prendre en considération. Enfin, j'évoquerai la question du recours à la justice réparatrice par opposition aux sanctions pénales.
    Commençons par la question des consultations. Les jeunes sont plus branchés que les adultes. Tout le monde ici sait cela, plus particulièrement ceux qui ont des enfants. Les jeunes sont plus branchés que ne le sont les membres de toutes les générations qui les ont précédés. Une étude menée récemment par MediaSmarts auprès de 5 000 jeunes de la 4e à la 11e année de toutes les provinces et territoires a révélé l'ampleur de l'accès des jeunes à Internet — 99 % d'entre eux ont accès à Internet à l'extérieur de l'école. Ils forment une génération numérique. Une proportion de 24 % des élèves de quatrième année possèdent leur propre téléphone cellulaire, et cette proportion augmente à 85 % pour ce qui est des élèves de 11e année. La réalité, c'est que les jeunes ont accès à tout. Ils utilisent Internet pour socialiser avec leurs pairs et pour trouver de l'information concernant le sport, la sexualité et la santé. Ils testent leurs limites, n'est-ce pas? C'est naturel. Ça va de soi. Ainsi, en raison de la connectivité accrue et des nouvelles normes sociales entourant les communications électroniques, les jeunes s'exposent à la cyberintimidation.
    Comme David l'a mentionné, beaucoup de jeunes sont victimes de cyberintimidation, et ce sont eux qui seront le plus touchés par le projet de loi. Je vous recommande donc de consulter les jeunes et de comprendre en tous points ce qu'ils ont vécu et les effets qu'ils croient que le projet de loi aura sur eux.
(1115)
    Le deuxième élément que je veux aborder a trait au fait que la volonté de contrer la cyberintimidation a donné lieu à des mesures législatives hétéroclites à l'échelle du Canada. Cette situation risque vraiment de confondre les enfants et les jeunes quant à leurs responsabilités et leurs droits et aux répercussions juridiques de leurs gestes.
    Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne et le Groupe de travail du Comité de coordination des hauts fonctionnaires sur le cybercrime recommandent tous deux que le gouvernement fédéral chapeaute les efforts de coordination visant à contrer la cyberintimidation, notamment au moyen d'une stratégie nationale de prévention, d'activités d'éducation juridique et de l'instauration d'une citoyenneté numérique. Peu importe les décisions et les mesures qui seront prises, nous sommes d'avis que les chefs de file doivent prendre les choses en main, coordonner le message et s'assurer que le gouvernement fédéral joue un rôle de tout premier plan.
    La nouvelle campagne du gouvernement intitulée « Non à la cyberintimidation » est fantastique. Nous avons besoin de merveilleuses initiatives de ce genre, qui seraient encore plus positives si elles mettaient à contribution des organisations comme les Clubs Garçons et Filles, lesquels fournissent des services à quelque 200 000 jeunes. De telles campagnes sont importantes puisqu'elles contribuent vraiment à éduquer les jeunes et à les faire progresser.
    Enfin, j'aborderai la question de la justice réparatrice. Il nous plaît de croire que nous pouvons éduquer nos jeunes, mais le fait est que, en dépit des efforts que nous déployons, ils transgresseront toujours les règles. Nous avons tous été jeunes. Nous travaillons auprès des jeunes ou nous en avons nous-même — ce qui n'est pas encore mon cas —, et nous savons que, tôt ou tard, ils désobéiront à un ordre. On peut imaginer que le fait de punir un jeune de sixième année parce qu'il a transmis à quelqu'un par téléphone cellulaire une photo qu'il avait reçue d'un ami... Il me semble illogique d'accuser ce jeune de diffusion de pornographie juvénile et de lui imposer les sanctions juridiques liées à un tel acte. Je sais que bon nombre d'entre vous sont d'accord avec cela.
    Ainsi, nous avons mis en oeuvre des programmes de justice réparatrice. Ils encouragent les contrevenants à assumer la responsabilité et les lourdes conséquences de leurs actes criminels et à rendre des comptes à leur sujet. Ce type d'intervention convient parfaitement aux personnes ayant diffusé des images intimes sans intention malicieuse grave et sans le consentement de la personne figurant sur les images en question.
    Les Clubs Garçons et Filles de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, du Yukon et de l'Ontario proposent depuis plusieurs années aux jeunes des programmes de justice réparatrice qui connaissent un franc succès. Au cours des dernières années, des personnes ayant diffusé des « sextos » ont participé à ces programmes.
    La Police provinciale de l'Ontario a récemment proposé aux Clubs Garçons et Filles de Kawartha Lakes de collaborer avec elle dans les cas où des jeunes sont accusés d'avoir diffusé de tels messages. Ce service de police adressera aux clubs les cas de jeunes âgés de 12 à 17 ans. Le programme de justice réparatrice des clubs est bien établi, et son bilan est très bon.
    Le service de police régional de Durham soumettra lui aussi aux Clubs Garçons et Filles de sa région les cas de sextos dans le cadre de son programme de préinculpation. À ce jour, ce club a traité quelques cas. Il prépare chaque fois un plan individuel puisque les activités de justice réparatrice se déroulent chaque fois d'une manière adaptée au cas du jeune concerné.
    De toute évidence, comme nous le savons tous, l'éducation joue un rôle important, et nous devons informer les personnes mineures à propos des conséquences auxquelles ils s'exposent s'ils transmettent des images intimes, et du fait qu'ils risquent d'être accusés de possession de pornographie juvénile s'ils reçoivent de telles images. Une fois qu'ils apprennent cela, ils changent leur façon d'agir et comprennent que la diffusion d'images d'une telle nature a des répercussions juridiques.
    Comme je l'ai dit, une foule de nos programmes sont peaufinés en fonction des jeunes. Ils sont spécialement conçus pour eux et adaptés à leurs besoins. Les sanctions qui seront prises à leur égard sont fixées selon la gravité de l'infraction. Bien souvent, nous avons affaire à des jeunes qui posent des actes sans intention malicieuse font l'objet d'accusations qui ne sont pas appropriées dans leur cas.
    En résumé, j'insiste sur le fait que nous devons protéger la vie privée de nos enfants tout en les protégeant de la cyberintimidation.
    Nous devons consulter les jeunes à propos de l'importance du projet de loi, des effets qu'il aura sur eux et des mesures que nous pouvons prendre pour veiller à ce qu'il les protège.
    Nous devons coordonner nos efforts à l'échelle du Canada pour faire en sorte que tout le monde soit sur la même longueur d'ondes et que tout le monde comprenne qu'Internet ne connaît aucune frontière.
    Adoptons une démarche axée sur la justice réparatrice plutôt que sur les sanctions pénales.
    Merci.
(1120)
    Merci, monsieur.
    Très bien. Merci de ces commentaires. Les membres vous poseront des questions un peu plus tard.
    Le dernier témoin que nous entendrons aujourd'hui est Mme Guthrie, qui s'adressera à nous par vidéoconférence.
    Vous avez la parole.
    Merci de m'avoir invitée à participer à la réunion d'aujourd'hui.
    Je remercie également les autres témoins, qui ont dit des choses utiles de façon très éloquente.
    Je m'appelle Steph Guthrie et je suis militante féministe et conceptrice indépendante de stratégies numériques. Au cours de la dernière année, je me suis exprimée à maintes occasions — de vive voix et par écrit — à propos du problème auquel on prétend s'attaquer au moyen du projet de loi C-13.
    Bien que les médias désignent généralement ce texte législatif sous l'appellation de « projet de loi sur la cyberintimidation », j'estime pour ma part que certaines de ses dispositions visent plus particulièrement ce que l'on nomme la pornographie de vengeance, expression que je déteste tant en raison de son inexactitude que de son sensationnalisme à caractère sexuel. Cela dit, peu importe la manière dont on désigne ce phénomène, il renvoie à la diffusion d'images sexuellement explicites sans le consentement des personnes qui y figurent. Il arrive que ces images aient été obtenues au moyen de procédés relevant du piratage informatique, mais dans bien des cas, les personnes concernées ont consenti à partager de façon privée les images en question avec une personne, par exemple leur partenaire sexuel, lequel a ensuite trompé leur confiance et trompé leurs attentes généralement et évidemment implicites en matière de discrétion en transmettant les images en question à d'autres personnes.
    La violation du consentement éclairé est au coeur du préjudice causé par un tel acte. Si je consens à partager de façon privée une image avec une personne, ce consentement n'est pas transférable. Si j'avais su que cette personne montrerait l'image à des tiers, je n'aurais vraisemblablement pas consenti à la lui montrer en premier lieu. Ainsi, le consentement que j'accorde à une personne est très manifestement subordonné au respect du caractère privé de l'image partagée.
    À mes yeux, le consentement éclairé fait partie intégrante du respect de la vie privée. De fait, dans son influent cadre sur la protection intégrée de la vie privée, la commissaire à la protection de la vie privée de l'Ontario, Ann Cavoukian a indiqué que le consentement explicite et donné librement était la pierre d'assise de la protection des renseignements personnels numériques. Ce principe peut être appliqué au partage non consensuel d'images intimes, façon lourde et malhabile — il faut le reconnaître — de décrire ce qui constitue, en fin de compte, une agression cybersexuelle. Une personne qui n'a pas consenti explicitement à ce qu'une image d'elle soit transmise à d'autres personnes est la victime d'une agression cybersexuelle. Quant à l'agresseur, il a simplement considéré que le consentement qui lui a été accordé pouvait être transféré à d'autres fins, et que cela lui permettait de divulguer l'image.
    Comme vous le diront certainement d'autres intervenants qui participeront à l'étude du projet de loi, un tel acte a des effets dévastateurs. La plupart des victimes sont des femmes, mais les hommes ne sont pas à l'abri d'une agression cybersexuelle pouvant détruire leur vie. Les images diffusées hanteront les victimes durant leurs entrevues d'emploi et leurs premiers rendez-vous, et jusqu'à la laverie automatique. Dans certains cas, le cyberagresseur incite à la violence et au harcèlement criminel contre sa victime, publie des renseignements personnels à son sujet et diffuse de l'information touchant la date et l'heure de leurs activités professionnelles afin d'encourager leurs « admirateurs » à s'y présenter.
    Quoi qu'il en soit, l'agression nuit à la capacité de la victime de vivre une vie normale et facile puisqu'elle doit vivre constamment avec l'idée que les gens qu'elle rencontre dans le cadre de ses activités quotidiennes possèdent peut-être à son sujet des informations intimes qui ont été diffusées sans son consentement. Même si la victime sait qu'elle n'a rien fait de mal, elle doit composer avec les jugements et les perceptions fausses des autres et leur intrusion dans sa vie privée. Cela a pour effet de limiter la capacité d'une multitude de victimes de mener une vie libre, sûre et heureuse.
    J'ai la chance de ne pas avoir été attaquée et tourmentée de cette façon, mais cela pourrait m'arriver. Il n'est pas rare que les autorités et les médias critiquent les adolescents qui font preuve d'un piètre jugement et d'une faible maîtrise de leurs impulsions en transmettant ce qu'il est convenu d'appeler des « sextos », mais cela ne correspond pas à la réalité. Selon un sondage Harris, mené en 2012, pas moins de 40 % — il ne s'agit pas de la majorité, mais cela représente le pourcentage le plus élevé — de ceux qui transmettent des images intimes ont de 18 à 34 ans, et 20 % des adultes envoient des textos à caractère sexuel. En fait, d'après un sondage McAfee, cette proportion serait plutôt de 50 %, et je suis prête à parier que bien plus de 50 % d'entre nous ont vu leur confiance trahie par un partenaire amoureux ou sexuel.
    Bon nombre d'entre nous peuvent être victimes d'agression cybersexuelle, et bon nombre d'entre nous le seront. Après avoir été tourmentée pendant des mois par ses pairs et s'être butée à l'indifférence des autorités à l'égard de l'agression sexuelle — d'abord physique, puis en ligne — qu'elle avait subie, Rehtaeh Parsons s'est suicidée. Par la suite, le premier ministre Stephen Harper a déclaré qu'il fallait cesser de qualifier d'« intimidation » de tels actes, qui, dans certains cas, sont tout simplement assimilables à des actes criminels.
    Je suis tout à fait favorable à l'adoption d'une démarche axée sur la justice réparatrice comme celle évoquée par mon collègue, mais à l'époque où ce suicide s'est produit, j'ai mené une campagne vigoureuse en faveur de l'adoption de mesures législatives visant à contrer les agressions cybersexuelles et j'ai souvent entendu des décideurs des secteurs politique et juridique jeter le blâme sur les victimes. Les commentaires du premier ministre Harper ont donc fait naître en moi un optimisme prudent.
(1125)
    Comme de nombreux Canadiens, j'ai ensuite pris conscience du fait que la majeure partie du projet de loi C-13 ne concernait pas vraiment les actes dont Rehtaeh Parsons a été victime. Une série de dispositions convenables visant à modifier le Code criminel afin de contrer les agressions cybersexuelles sont enfouies dans le texte législatif. J'estime que ces modifications posent quelques problèmes mineurs — que les autres témoins ont pertinemment relevés et dont je parlerai assurément de façon plus approfondie durant la période des questions et réponses —, mais je crois que le projet de loi C-13 jette les fondements d'une bonne loi sur les agressions cybersexuelles. Cela dit, il faut fouiller longtemps parmi une kyrielle de modifications de portée générale afin de trouver des dispositions ressemblant davantage à celles sur l'accès légal qui étaient contenues dans le projet de loi C-30 de 2012. À cette époque, on avait dit aux Canadiens que le fait de s'opposer à ce projet de loi revenait à cautionner la pornographie juvénile.
    On a évité de reprendre dans le présent projet de loi quelques-uns des éléments les plus excessifs de l'ancien projet de loi C-30, et j'en suis ravie. Toutefois, le projet de loi accroît considérablement la capacité de l'État de surveiller les Canadiens sans avoir à s'inquiéter de la surveillance embêtante exercée par l'appareil judiciaire.
    L'une des dispositions les plus troublantes du projet de loi C-30 tenait à ce qu'il autorisait les services de police à exiger et à obtenir des renseignements sur les utilisateurs sans obtenir au préalable un mandat de perquisition. Ces dispositions ont été adroitement reformulées de façon plus modérée, de sorte que le projet de loi C-13 prévoit plutôt que la police peut demander qu'on lui fournisse de l'information, et que la personne ou l'organisation à qui elle adresse cette demande peut s'y conformer volontairement. Cependant, la disposition suivante accorde l'immunité en matière civile à quiconque divulgue sur demande de la police des renseignements concernant une autre personne. En raison de cette immunité, les fournisseurs de services Internet ou les autres particuliers n'ont à peu près plus de raison de rejeter la demande qui leur est faite.
    En outre, il est permis de s'interroger sur la mesure dans laquelle une personne peut se sentir obligée de fournir des informations aux policiers même si, en principe, elle est libre de le faire ou non, vu ce que représentent pour nous les agents d'application de la loi, à savoir des figures de pouvoir et d'autorité.
    La semaine dernière, une série de reportages accablants diffusés dans les médias ont indiqué que les sociétés canadiennes du secteur des télécommunications se livraient déjà allègrement à la pratique consistant à divulguer volontairement aux policiers de l'information sur les utilisateurs. En 2011, l'État a soumis un million de demandes d'accès à l'information sur les utilisateurs, et ce, sans obtenir de mandats, c'est-à-dire en contournant l'application régulière de la loi. De toute évidence, l'ensemble de ces renseignements ont été obtenus sans le consentement des personnes concernées.
    La majeure partie du projet de loi C-13 ne concerne pas vraiment les agressions cybersexuelles, mais je trouve intéressant de constater que ses dispositions violent les principes de confidentialité même qu'elles visent à protéger. Par exemple le principe du consentement donné librement et explicitement. La plupart d'entre nous ne consentiraient pas librement et explicitement à ce que l'État accède à une partie ou à l'intégralité des données que possèdent à leur sujet leurs fournisseurs de services Internet, si on leur offrait un véritable choix à ce chapitre.
    Nous accordons notre consentement à nos fournisseurs de services Internet. Quant aux services de police, s'ils veulent obtenir des renseignements nous concernant parce qu'ils nous soupçonnent d'être impliqués dans des activités criminelles, ils peuvent obtenir, à cette fin, un mandat de perquisition. C'est à cela que la plupart d'entre nous nous attendons.
    Le projet de loi C-13 inscrit dans la loi le principe de la transférabilité du consentement en octroyant l'immunité à quiconque fournit de l'information à notre sujet et viole notre vie privée sans motifs juridiques convenables.
    Les restrictions de la liberté individuelle imposées par le projet de loi C-13 comportent des similitudes frappantes avec celles qu'impose une agression cybersexuelle, même si ces restrictions sont évidemment d'une nature différente à bien des égards. L'État pourrait lui aussi nous suivre à nos entrevues d'emploi, à nos premiers rendez-vous ou à la laverie automatique. Les dispositions du projet de loi restreindront la capacité des Canadiens de vivre une vie normale et simple, car ils vivront constamment avec l'idée que l'État, sous ses multiples incarnations, possèdent à leur sujet des informations intimes qu'il a obtenues sans leur consentement. Même s'ils savent qu'ils n'ont posé aucun acte répréhensible, ils devront composer avec les jugements et les perceptions fausses de l'État, de même qu'avec son intrusion dans leur vie.
    Si le projet de loi C-13 est adopté sous sa forme actuelle, la capacité d'une kyrielle de Canadiens de mener une vie libre, sûre et heureuse sera restreinte. C'est la raison pour laquelle — et cela me fait de la peine de le dire — je ne peux pas soutenir le texte législatif de la manière dont il se présente aujourd'hui, et ce, malgré le fait que j'aie passé une année à réclamer une loi criminalisant les agressions cybersexuelles. Il faut séparer les éléments du projet de loi C-13 qui portent directement sur les agressions cybersexuelles de ceux qui portent sur d'autres questions, et les traiter dans le cadre d'autres projets de loi. Il s'agit de sujets différents.
    Cela serait dans l'intérêt supérieur des Canadiens, et je crois qu'il serait plus juste à l'égard des victimes d'agressions cybersexuelles de ne pas mêler leur cause à une autre qui sert davantage la soif de pouvoir de l'État que les intérêts des Canadiens.
    Merci.
(1130)
    Madame Guthrie, je vous remercie de vos observations.
    Nous allons maintenant passer à la période de questions et de réponses.
    Chers collègues, comme l'un des témoins participe à la réunion par vidéoconférence, il serait utile que vous mentionniez à qui s'adressent les questions que vous poserez.
    Mme Boivin, du Nouveau Parti démocratique, sera la première personne à prendre la parole.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
     Je remercie tous les témoins qui sont ici avec nous pour venir nous aider, je l'espère, à améliorer le projet de loi C-13.
    D'entrée de jeu, j'aimerais quand même préciser, tant à M. Fraser qu'à Mme Guthrie, que nous partageons votre opinion quant au fait qu'il aurait été préférable de scinder le projet de loi. Les représentants des Clubs garçons et filles du Canada disent aussi la même chose. On a présenté une motion à la Chambre pour scinder le projet de loi, et ce, exactement aux mêmes articles mentionnés dans le mémoire des Clubs garçons et filles du Canada. Malheureusement, ça n'a pas fonctionné.
    À chacun son expertise, mais il y a des gens extrêmement spécialisés en matière de vie privée, d'écoute électronique ou dans toutes sortes de domaines. Malheureusement, on devra s'atteler à la tâche et regarder toutes les dispositions.

[Traduction]

    Je suis désolée de jouer les rabat-joie, mais nous avons demandé au gouvernement de le faire, et il a refusé. Cela dit,...

[Français]

vous avez relevez des points assez intéressants concernant certaines de mes préoccupations. J'aimerais peut-être qu'on en parle un peu plus en profondeur.
    Je ne veux pas ignorer ce qu'on dit les représentants des Clubs garçons et filles du Canada. J'ai entendu leur message. On s'était d'ailleurs rencontrés. Cela s'inscrivait justement dans la volonté de scinder le projet de loi. La plupart des gens voient beaucoup moins de problèmes dans la première partie, mais ils en voient d'énormes dans la deuxième.
    Monsieur Fraser, vous avez parlé de la question du fardeau de la preuve. Selon moi, la question du fardeau de la preuve, ce sont les motifs raisonnables de soupçonner versus la notion de motifs raisonnables et probables de croire. Ce sont pour ceux qui ont pratiqué le droit criminel des termes un peu plus familiers.
    Pour les fins du comité, j'aimerais que vous précisiez la distinction entre les deux. Je ne sais pas si vous avez lu les réponses du ministre. Selon lui, la question que le fardeau de la preuve portant sur les motifs raisonnables et probables de soupçonner semble déjà bien acceptée par les tribunaux.
    Je vous pose la même question, madame Guthrie.
    Monsieur Fraser, j'aimerais aussi que vous me précisiez votre position sur la question de l'immunité. Je ne suis pas certaine de l'avoir bien saisie.
    Au paragraphe 487.0195(1), on mentionne qu'en autant « qu’aucune règle de droit n’interdit à celle-ci ». À quoi se réfère-t-on particulièrement? La Charte est-elle touchée par ça? Si j'ai le droit à la vie privée, le fait de distribuer de l'information privée me concernant contreviendrait-il à ça? N'y aurait-il donc pas cette immunité?
    J'aimerais que vous nous précisiez de façon un peu plus claire et précise quels sont les cas couverts où cette immunité ne s'appliquerait pas, s'il y en a? J'aimerais voir s'il y a autant de danger que la plupart des experts en matière de vie privée nous le disent par rapport au paragraphe 487.0195(1).
    Si un autre témoin a des opinions à nous faire valoir sur la question, il est le bienvenu.
(1135)

[Traduction]

    Merci beaucoup, et merci de m'avoir posé ces deux questions précises.
    En droit pénal canadien, il y a un certain nombre de situations dans lesquelles les agents d'application de la loi peuvent s'adresser à un juge de paix ou à un juge et s'acquitter du fardeau de la preuve, quel qu'il soit, pour obtenir une quelconque ordonnance, qu'il s'agisse d'une ordonnance d'écoute électronique, d'un mandat de perquisition ou d'une ordonnance de communication.
    Il y a divers seuils à atteindre. En règle générale, cela dépend du degré d'intrusion de la mesure. Pour une chose comme un mandat de perquisition permettant l'entrée dans une maison — pour que les agents de police puissent par exemple défoncer une porte —, la norme de compréhension doit être très élevée. Les agents de police procèdent en fonction de bons renseignements, de renseignements très fiables et portant raisonnablement à croire — pas seulement à soupçonner ou à penser — qu'un crime a été commis, est en train d'être commis ou va l'être, et que l'ordonnance est nécessaire pour obtenir l'information.
    Dans d'autres types de processus contraignants, la norme ne sera pas aussi élevée, car on comprend que la nature des renseignements obtenus suppose une intrusion moins grande. Il y a une différence entre le fait d'entrer dans la chambre à coucher de quelqu'un et de fouiller dans son coffret de sécurité dans une banque, par exemple. Le jugement est pris en compte.
    Ce que je disais au sujet de cet enregistreur de données de transmission, c'est qu'il faut reconnaître que, si la norme des motifs raisonnables de soupçonner s'applique, comme les tribunaux l'ont affirmé, aux métadonnées téléphoniques, dans le cas des données de signalisation téléphonique, je ne crois pas que cette norme soit appropriée, vu la nature différente de l'information.
    En outre, l'application de cette norme ne résisterait peut-être pas à l'examen des tribunaux, vu la nature de l'information qui est divulguée. Dans ce genre de situation, tout n'est jamais très tranché. Il y a toujours des nuances.
    La seconde question que vous avez posée et que je suis content que vous ayez posée concerne l'immunité, et vous avez parlé de la charte en particulier. Dans ce cas-ci, c'est un jeu qui se joue à deux, et les agents d'application de la loi doivent demander l'information aux fournisseurs de télécommunication. Le Code criminel le permet. La police peut demander ce qu'elle veut, quoiqu'elle ne puisse pas toujours légitimement obliger la personne ou l'organisation à qui elle s'adresse à accéder à sa demande. Elle demande aux fournisseurs de services de télécommunication de lui communiquer l'information volontairement.
    Les fournisseurs de services de télécommunication ne fondent pas vraiment leurs décisions sur la Charte. Les agents de police doivent la respecter. La Charte s'applique lorsqu'il s'agit de déterminer si la preuve recueillie est admissible en cour, mais les sociétés de télécommunication ne sont pas concernées.
    Elles vont donc se poser deux ou trois questions. Juridiquement, puis-je transmettre l'information demandée? Est-il interdit de le faire? Est-ce que je m'expose à une poursuite civile?
    L'un des défis auxquels nous faisons face est donc le suivant. Nous n'avons pas le texte devant nous, mais le projet de loi S-4 va modifier la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, la LPRPDE, et, plus précisément, l'alinéa 7(3)c.1), qui fait présentement l'objet d'un examen de la Cour suprême du Canada visant à déterminer si les fournisseurs de services Internet peuvent transmettre les renseignements sur leurs clients à la suite d'une demande non assortie d'un mandat ni autorisée judiciairement, et, le cas échéant, dans quelles circonstances elles peuvent le faire.
    Je sais que certaines sociétés de télécommunication du Canada transmettent bel et bien des renseignements de ce genre sans mandat. Leur décision est fondée sur l'interprétation d'une partie extrêmement ambiguë de cette loi, qui permet à une entreprise — parce que nous savons que la police peut demander ce qu'elle veut — de divulguer de l'information sans consentement à un organisme d'application de la loi qui affirme — pas sous serment ni de façon confirmée — que les renseignements ont trait à une enquête relative à une infraction aux lois fédérales ou provinciales, ou à un manquement à une entente et que l'organisme a indiqué la source de l'autorité légitime étayant son droit d'obtenir les renseignements en question.
    La Cour suprême du Canada se penche donc actuellement sur cette question de l'autorité légitime. Certaines sociétés de télécommunication et certains services de police jugent que l'exercice des fonctions policières suffit à établir l'autorité légitime étayant le droit d'obtenir l'information. D'autres estiment que cela ne suffit pas. Pour eux, l'autorité légitime doit être autre chose, quelque chose d'obligatoire.
    Certaines sociétés de télécommunications pèchent par excès de prudence. D'autres préfèrent communiquer l'information aux services de police. Toutefois, lorsqu'elles se demandent si elles devraient le faire ou non, l'autre question qu'elles se posent, c'est celle de savoir si elles s'exposent à des poursuites. Transmettre l'information alors qu'elles n'y sont pas tenues par la loi, mais qu'il existe une loi sur la protection des renseignements personnels et des enjeux relatifs à la protection de la vie privée pourrait constituer une intrusion dans l'intimité, qui ouvre droit à des dommages-intérêts d'après la Cour d'appel de l'Ontario.
    Je pense donc que ce qui se passe ici, c'est que la disposition a été incluse par prudence, pour enlever de l'équation...
    Monsieur Fraser, la période de questions dure seulement cinq minutes.
    Toutes mes excuses.
    Je suis sûr qu'on va vous poser une autre question qui vous permettra de finir votre réponse.
    Toutes mes excuses. J'ai l'habitude de présenter des exposés magistraux dans une école de droit.
    Monsieur Dechert.
(1140)
    Merci, monsieur le président.
    Merci, à chacun de nos invités d'être venus et de nous faire profiter de leur expertise.
    Monsieur Fraser, j'aimerais commencer par vous. Vous avez mentionné dans votre déclaration préliminaire que vous étiez heureux de voir ajouter au Code criminel l'infraction de distribution non consensuelle d'images intimes. Vous nous avez ensuite fait part de vos opinions concernant certains pouvoirs d'enquête abordés dans le projet de loi C-13.
    Connaissez-vous le contenu du rapport du Groupe de travail sur la cyberdélinquance, qui est composé d'experts de chacune des provinces et de chacun des territoires? Connaissez-vous les recommandations de ce groupe de travail?
    Êtes-vous d'accord avec les recommandations du groupe de travail concernant les pouvoirs d'enquête des services de police?
    Dans l'ensemble, oui. Pour autant que cela s'assortisse d'une surveillance judiciaire adéquate, je pense que les services de police devraient disposer des outils dont ils ont besoin pour mener des enquêtes sur les crimes commis en ligne ou hors ligne.
    Connaissez-vous les faits de l'affaire Amanda Todd?
    Oui.
    Nous savons que cette affaire est devant les tribunaux, et nous ne disposons pas de toute l'information. Nous savons toutefois qu'une personne résidant aux Pays-Bas a été accusée. Nous avons entendu dire que l'information ayant mené à l'arrestation de cette personne et aux accusations subséquentes a été fournie par les autorités américaines.
    Connaissez-vous les pouvoirs des autorités américaines en matière d'enquête sur ce genre de crimes?
    Je ne suis pas un avocat américain, mais j'ai certainement joué un rôle dans les affaires auxquelles les autorités américaines ont pris part.
    Les fonctionnaires du ministère de la Justice nous ont dit par exemple la semaine dernière que les autorités américaines disposaient de pouvoirs de conservation des données provenant d'Internet. Elles ont ce pouvoir depuis au moins 15 ans. Celui-ci n'existe pas actuellement dans le Code criminel du Canada. Pensez-vous qu'il devrait être prévu par le Code?
    Oui. La seule condition que j'ajouterais... « condition » n'est pas le bon mot. Selon le libellé actuel du projet de loi C-13, ce pouvoir permet à un agent d'application de la loi qui exige la conservation des données en question d'imposer toute condition qu'il juge appropriée, ce qui est un pouvoir discrétionnaire trop vaste et trop vague.
    Je pense que les conditions comme l'interdiction de divulgation et des choses de ce genre devraient être imposées par un juge.
    Cependant, en ce qui concerne les ordonnances de préservation, les services de police ne doivent-ils pas respecter une norme plus élevée relativement à la divulgation de l'information?
    Au bout du compte, il s'agit de demander aux gens concernés de préserver l'information pour que l'organisme d'application de la loi ait le temps et la possibilité d'obtenir le mandat voulu, et c'est tout à fait sensé.
    D'accord.
    Si une autre affaire comme l'affaire Amanda Todd survenait... Et, d'après ce que j'ai compris, l'homme qui est accusé l'a convaincue de lui fournir une image intime. Il lui a ensuite demandé de lui fournir des images intimes encore plus révélatrices en la menaçant de publier l'image qu'elle lui avait donnée sur une page Facebook. Grâce à sa page Facebook à elle, il savait qui ses amis étaient, quelle école elle fréquentait, etc.
    Sans les dispositions que le projet de loi C-13 vise à ajouter au Code criminel, si Amanda Todd ou une personne se trouvant dans la même situation qu'elle était en mesure de s'adresser à la police après avoir fourni la première image, mais avant de subir de l'intimidation, comment un agent de police pourrait-il retrouver l'intimidateur et l'empêcher de publier la première image, de menacer la victime et de la forcer à lui fournir d'autres images?
    Vous posez la question dans le contexte précis de l'absence d'ordonnance de préservation.
    Je suis d'accord avec les pouvoirs de préservation prévus par le projet de loi. D'après ce que je comprends, à l'heure actuelle, la plupart des sociétés de télécommunication collaborent volontairement. Chose certaine, j'ai pris part à des affaires civiles dans le cadre desquelles nous avons exigé ou demandé la préservation de l'information afin d'obtenir une ordonnance du tribunal pour identifier la personne, notamment l'affaire que nous avons portée devant la Cour suprême du Canada, et les sociétés de télécommunication ont collaboré avec nous.
    L'information diffusée en ligne — les fichiers journaux en question — arrivent généralement à expiration après 30, 60, 90 ou 180 jours, alors si on est en mesure d'obtenir l'ordonnance dans cet intervalle, on s'en tire généralement bien. C'est dans les cas où l'enquête finit par prendre plus de temps et porter sur diverses pistes que le facteur temps devient crucial. Je suis cependant d'accord pour dire qu'il s'agit d'un outil qu'il est important d'avoir et qu'il n'est pas particulièrement intrusif, tant qu'il ne s'accompagne pas d'un vaste pouvoir discrétionnaire de l'assortir de conditions.
    Vous avez mentionné que les données provenant d'Internet qui sont fournies dans des situations de ce genre contiennent souvent des renseignements sur les allées et venues de la personne et le lieu exact où elle se trouve, surtout lorsqu'elle utilise un appareil mobile.
    Croyez-vous qu'il est important que la police dispose de ce pouvoir pour arrêter la personne qui menace d'utiliser les images en question à des fins illégales?
(1145)
    À mon sens, la police devrait pouvoir obtenir à peu près toute information qui n'est pas confidentielle, pour autant que ce pouvoir s'accompagne d'une autorisation judiciaire adéquate. Assurément.
    Ces renseignements incluant le lieu où se trouve la personne peuvent donc être divulgués, et le projet de loi C-13 relève la norme, qui devient celle des motifs raisonnables de croire — est-ce exact? — pour ce qui est de ce qu'on appelle un mandat de localisation.
    Il y a toutes sortes d'éléments à prendre en compte, mais, à première vue, je serais d'accord avec ce que vous venez de dire.
    Estimez-vous que c'est raisonnable?
    Je crois que oui. Oui, je pense que c'est raisonnable.
    De quels autres pouvoirs la police a-t-elle besoin selon vous pour mener des enquêtes adéquates dans les cas de ce genre? Si vous n'êtes pas d'accord avec l'une ou l'autre des suggestions du Groupe de travail sur la cyberdélinquance, vous pourriez peut-être nous en faire part.
    Je ne les ai pas devant moi, mais je crois qu'avec les ordonnances de communication et des mandats de perquisition généraux ainsi qu'avec des ordonnances d'écoute électronique précises, il est généralement possible d'obtenir la majeure partie de l'information nécessaire dans ce genre de situation. Il y a ensuite les mesures concernant l'installation de dispositifs de localisation et des choses de ce genre. Mais, en fait, ces appareils ne servent à rien pour la plupart des crimes cybernétiques. Ils sont utiles dans le cas de crimes commis dans le monde réel, en trois dimensions.
    Je m'attends toutefois à ce que les dispositions du projet de loi prévoient la plupart des outils d'enquête nécessaires, et, comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, je suis heureux que ces outils s'accompagnent d'une surveillance judiciaire. La seule question qu'il reste à régler en détail est la suivante: dans certains cas, vu la nature de l'information, est-ce que la norme appropriée est celle des motifs raisonnables de soupçonner, ou est-ce qu'il s'agit plutôt de celle des motifs raisonnables de croire?
    C'est votre dernière question.
    D'accord.
    Comparons l'agression sexuelle ordinaire, non liée à Internet, et la cyberintimidation. Si une personne en voit une autre tenter de commettre une agression sexuelle ou soupçonne raisonnablement qu'elle est sur le point de le faire, a-t-elle le droit de divulguer cette information à la police?
    Vous voulez dire si une personne marche dans la rue...
    Disons que cela se passe dans une résidence privée. Vous avez vu quelqu'un dans cette résidence privée faire quelque chose qui, d'après ce que vous croyez, donnera lieu à une agression sexuelle criminelle.
    Je téléphonerais au 911.
    Très bien. Et auriez-vous une responsabilité à assumer si vous vous étiez trompé?
    Non.
    Qu'est-ce qui est différent dans le cas de la possibilité qu'une cyberagression sexuelle soit commise, pour reprendre l'expression utilisée par Mme Guthrie, c'est-à-dire que vous voyez quelque chose et que vous possédez de l'information qui, d'après ce que vous croyez, pourrait mener à une agression de ce genre? Devriez-vous avoir une responsabilité civile à assumer si vous vous trompez, même s'il se peut que vous...
    Monsieur Fraser, vous n'avez pas à répondre à cette question. Le temps dont il disposait est écoulé.
    J'ai fait preuve de générosité à l'égard des deux intervenants, et je vais être généreux aussi avec notre collègue libéral et lui accorder le même temps. Il y aura de nombreuses occasions de donner suite à la question qui vient d'être posée.
    Là-dessus, merci de vos questions et de vos réponses.
    La parole est à M. Casey, du Parti libéral.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à tous les témoins.
    Monsieur Alhattab, madame Guthrie, j'ai particulièrement aimé ce que vous avez dit au sujet de la justice réparatrice. Je pense que c'est un sujet qui devrait être abordé beaucoup plus souvent.
    Je suis d'accord avec M. Fraser pour dire que les principaux problèmes que pose le projet de loi ont trait au fait qu'il s'agit d'une nouvelle incarnation du projet de loi C-30. Mme Guthrie a parlé de cela assez longuement elle aussi.
    Monsieur Fraser, j'aimerais que nous parlions de l'article que vous avez mentionné, le nouvel article 487.0195 qui est proposé, ainsi que de la divulgation d'information volontaire, sans mandat, secrète et non consensuelle. Vous avez un peu parlé des types d'information qui sont accessibles en fonction d'une norme juridique réduite. Je sais que, lorsque vous avez dressé la liste des renseignements accessibles, vous ne parliez pas de ce qui peut être obtenu sans mandat.
    Pour le bénéfice de tous ici présents, pourriez-vous simplement nous dire ce qui est accessible sans mandat? Qu'est-ce que les sociétés de téléphonie peuvent légitimement divulguer de façon volontaire sous la protection de la LPRPDE?
(1150)
    J'ai tendance à ne pas être d'accord avec l'interprétation de la loi selon laquelle quiconque a un insigne détient l'autorité légitime. Permettez-moi de vous dire ce qui est régulièrement divulgué sans mandat dans les affaires de ce genre. Il s'agit dans de nombreux cas d'affaires portées devant les tribunaux. Il n'y a qu'à consulter les bases de données juridiques et à chercher les demandes présentées en vertu de la LPRPDE.
    Les enquêteurs ont une adresse IP. Ils sont en mesure d'obtenir une adresse de protocole Internet liée à une personne d'intérêt, et il se peut que ce soit parce qu'ils croient que cette personne diffuse de la pornographie juvénile. La plupart des activités qui ont lieu en ligne exposent l'adresse IP de l'ordinateur utilisé à tout autre ordinateur auquel il est connecté. Les connecteurs ont donc cette adresse IP, mais ne savent pas à qui elle appartient. À l'aide des bases de données publiques ils peuvent déterminer quel est le fournisseur de services Internet. Ils peuvent dire ce qui suit à ce fournisseur: « Nous avons une adresse IP. Nous voulons savoir à qui elle appartient. Nous n'avons pas suffisamment d'information pour convaincre un juge, mais sachez que cela est lié à une enquête sur l'exploitation d'enfants ou à quelque chose de ce genre. »
    Si la demande est présentée par écrit, certaines sociétés de télécommunication canadiennes transmettent l'information. D'autres demandent aux enquêteurs d'obtenir un mandat, parce qu'elles ne sont pas sûres d'être autorisées à transmettre l'information en vertu de la LPRPDE. Voilà ce qui se passe, essentiellement. À ma connaissance, aucune société de télécommunication ne transmet de contenu. Si les enquêteurs demandent le contenu d'une boîte de courriels quelconque, ils ne l'obtiendront pas sans mandat. Nous avons entendu dire dans le cadre des débats relatifs au projet de loi C-30 qu'il ne s'agit pas de renseignements personnels. C'en est. Je crois que les activités en ligne doivent être protégées, et je pense que la plupart des Canadiens seraient d'accord avec moi. Je crois que le débat tient en majeure partie à cette question.
    Le ministre a comparu devant le comité la semaine dernière, et il a dit que l'immunité prévue par l'article en question n'est pas nouvelle. Elle existe depuis 2004. Elle est établie dans la common law. Elle est également prévue par le Code criminel.
    Que pensez-vous de cela? Est-ce quelque chose de nouveau? Les gens qui tiennent à leur vie privée devraient-ils être préoccupés? S'agit-il d'une atteinte de plus par rapport à ce qui existait avant le projet de loi C-13?
    La première question qui m'est venue à l'esprit lorsque j'ai vu cela et que j'ai entendu le débat a été la suivante: si c'est déjà dans la loi, pourquoi mettons-nous cet article dans le projet de loi? C'est une question qui va de soi. Il faut bien que l'article ait un but.
    En le disséquant et en analysant tous ses éléments, on constate que l'article dit que la personne ne sera pas tenue responsable d'avoir fait quelque chose qui n'est pas interdit, et non quelque chose qu'elle était légitimement en mesure de faire.
    Le libellé des lois importe. Je n'ai pas besoin de le préciser pour quiconque ici présent. Mais le libellé a une incidence importante dans ce cas-ci. Il permet à la personne qui demande l'information de dire à la société de télécommunication qu'il ne lui arrivera rien si elle la lui transmet, qu'elle peut simplement la lui transmettre.
    Dans le domaine du respect de la vie privée, il est question de degrés, d'attentes et de choses de ce genre. En théorie, donc, suivant les autres arguments avancés, un organisme d'application de la loi pourrait demander à une société de télécommunication de lui transmettre le nom, l'adresse, le numéro de téléphone, l'adresse IP et l'adresse électronique de chacun de ses clients. Il peut légitimement présenter cette demande. Selon cette interprétation extrême de la LPRPDE, la société de télécommunication pourrait transmettre les renseignements demandés. Je dirais qu'elle serait civilement responsable de l'infraction d'intrusion dans l'intimité prévue par la loi. Elle n'est pas empêchée de transmettre l'information selon cette interprétation de la LPRPDE, qui ne lui interdit pas de le faire.
    Cette interprétation lui permettrait donc de le faire, et je ne suis pas sûr que nous devrions encourager ce genre de comportement. Si vous arrivez à convaincre un juge que vous avez le droit de transmettre l'information à des fins légitimes, allez-y allègrement, puisque c'est votre droit. Pour ma part, cependant, je dois dire que cette espèce de communication en coulisses, dans l'ombre et sans responsabilité m'inquiète beaucoup.
    Revenons sur la question de la responsabilité. À titre de client d'une société de téléphonie, je n'ai donc jamais la possibilité de consentir ou non à la communication de mes renseignements personnels lorsque qui que ce soit en fait la demande. Je n'ai pas non plus le droit de savoir que les renseignements me concernant ont été divulgués à qui que ce soit.
    J'ai posé la question au ministre, et il m'a répondu que cela relève du contrat conclu entre la société et le client.
    Qu'en pensez-vous?
    C'est une mauvaise interprétation de la LPRPDE. Si les services de police ou qui que ce soit d'autre demande de l'information et que celle-ci est fournie en vertu de l'alinéa 7(3)c.1) de la LPRPDE, puis que le client demande à la société de télécommunication si elle a transmis ses renseignements personnels, le fournisseur de services doit demander à l'organisme d'application de la loi la permission de transmettre l'information. Cela n'a rien à voir avec les conditions de service acceptées par le client. C'est la loi qui interdit la divulgation dans ce cas-ci.
    Des milliers de demandes de renseignements sur les clients sont présentées. Nous avons entendu le chiffre de 1,2 million de demandes la semaine dernière. Dans la vaste majorité de ces cas, à moins que des accusations ne soient portées et que les renseignements ne fassent partie de la preuve communiquée par la Couronne, la personne concernée ne s'en rend jamais compte. Elle n'a aucune idée de ce qui se passe. Tout ça se passe donc dans l'ombre, et j'estime que la responsabilité devant la personne concernée est d'une importance capitale.
(1155)
    Il vous reste quelques secondes.
    N'est-il pas vrai qu'il n'y a pas de demandes individuelles, en fait? Ce qui se passe, en réalité, c'est que les sociétés de téléphonie et les fournisseurs de services Internet créent un dossier distinct qu'ils mettent à la disposition des services de police. Il n'y a donc pas de demande individuelle. Ils ont établi leur propre protocole d'accès.
    N'est-ce pas ainsi que les choses se passent?
    D'après ce que je comprends, une grande partie de ces 1,2 million de demandes ont trait à une base de données spéciale des services de police qui est essentiellement la même chose que Canada 411, et les renseignements qu'elle contient ne sont pas de nature privée. Ce sont des choses qui seraient déjà dans l'annuaire téléphonique, mais c'est simplement qu'elles sont à jour et qu'elles sont accessibles.
    Je ne m'inquiète pas trop de cet ensemble de demandes. Ce qui m'inquiète beaucoup plus, ce sont les demandes plus intrusives qui sont cachées dans le reste et à l'égard desquelles nous ne bénéficions d'aucune transparence.
    Merci beaucoup de vos réponses.
     Notre prochain intervenant est M. Goguen, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à tous les témoins d'être venus témoigner aujourd'hui, et merci à Mme Guthrie, qui a fait le long trajet depuis Toronto.
    Je veux donner suite à la question de M. Dechert. Il n'a pas obtenu la réponse qu'il voulait, non pas parce que vous ne pouviez pas la lui donner, mais plutôt parce que vous n'avez pas eu la possibilité de le faire. Il vous donnait l'exemple d'une personne qui est témoin d'une agression sexuelle et qui compose le 911, en quoi est-ce différent du fait qu'un fournisseur d'adresse IP communique volontairement certains renseignements? Pourquoi y aura-t-il une responsabilité dans un cas et pas dans l'autre? Je ne vois vraiment pas de différence entre les deux cas. Est-ce une question d'attente raisonnable en matière de protection de la vie privée ou...? J'ai besoin de vos lumières.
    Je veux bien essayer de vous éclairer, mais je ne pense pas qu'il y ait du tout d'analogie entre les deux cas. La raison est la suivante: comme simple citoyen, si je suis témoin d'un crime, la loi ne m'oblige pas à le faire, mais je peux assurément prendre le téléphone, composer le 911 et signaler ce crime.
    Mais si vous soupçonnez... Je veux dire...
    Ou même si je soupçonne qu'un crime est en train d'être commis: tout particulier peut le faire. C'est que je ne suis pas visé par la LPRPDE. Je ne suis pas une organisation assujettie aux lois en matière de protection de la vie privée, et je n'ai pas de relation contractuelle m'obligeant à préserver la confidentialité des renseignements concernant les gens que je vois. Ce dont vous parlez, par contre... En outre, si je téléphone au 911, c'est de mon propre chef. C'est moi qui décide de le faire, et, en réalité, la loi ne m'oblige pas à le faire; je peux perversement rester là à regarder. La question n'est cependant pas là.
    Lorsque les services de police frappent à la porte d'une organisation visée par les lois en matière de respect de la vie privée et lui demandent de leur remettre volontairement de l'information, l'organisation doit se poser les questions suivantes: « Puis-je faire cela? Les conditions de l'entente que j'ai conclue avec mon client me permettent-elles de faire cela? Les lois sur les télécommunications me permettent-elles de le faire? Les lois relatives à la protection de la vie privée me le permettent-elles? »
    Si tout le monde ici présent estime que les lois en matière de protection de la vie privée et la situation que je viens de décrire posent problème, vous devez en débattre et régler le problème dans le cadre de ces lois, plutôt que dans le cadre d'un projet de loi qui, d'après ce qu'on nous dit, ne fait que réaffirmer le statu quo, alors qu'en réalité il modifie la situation en instaurant des choses de ce genre.
    Pour l'instant, rien ne permet d'obliger le fournisseur à communiquer l'information. Il peut très bien dire non, refuser de fournir l'information et demander à la police d'obtenir un mandat, n'est-ce pas? Rien n'oblige les fournisseurs à transmettre l'information, n'est-ce pas?
    Le fournisseur peut le faire, et à mon avis il devrait le faire, mais, encore une fois, la distinction entre la personne qui signale le crime et celle à qui on demande la preuve est importante.
    Très bien. Vous avez clairement établi la distinction. C'est bien.
    Qu'en est-il des ententes conclues entre les clients et les fournisseurs? À votre connaissance, les fournisseurs concluent-ils des ententes — vous semblez très bien connaître le sujet — les autorisant à divulguer des choses qui pourraient être illégales?
    Certainement, et je répète que la distinction tient au fait que c'est la police qui demande l'information, au lieu que l'organisation la fournisse de son propre chef... Souvent, dans les cas connus où la police a demandé des renseignements sur les clients sans mandat, lorsque le procès a enfin lieu, c'est non pas la société de télécommunication qui subit le procès...
(1200)
    Exactement.
    ... c'est la personne accusée, pour les activités quelconques auxquelles elle s'est livrée. La Couronne fera valoir les conditions d'utilisation établies par le fournisseur de services Internet s'il est avantageux pour elle de le faire.
    Dans certains cas, le fournisseur de services Internet indique clairement dans ses conditions de service qu'il se réserve le droit de transmettre de l'information au service de police dans certaines situations déclenchant la transmission, l'idée étant non pas que cela ait quoi que ce soit à voir avec le fournisseur de services, mais plutôt que cela réduit l'attente en matière de vie privée du client à l'égard de ses droits protégés par la Charte, dont l'article 8.
    Cela tient un peu de la fiction juridique, parce que je ne sais pas si quiconque ici présent a déjà lu les conditions de service de son fournisseur...
    Des voix: Oh, oh!
    C'est la raison pour laquelle j'ai posé la question.
    ... mais il est clair que cela a été invoqué comme justification de la réduction des attentes. J'imagine que c'est un jeu qui se joue à trois, dans ce cas-ci.
    Oui, et je me demande si cela suffirait à dégager la société de télécommunication de la responsabilité civile. Probablement pas.
    Cela dépend de la forme de responsabilité. Chose certaine, une personne peut consentir, pour autant qu'il s'agisse d'un consentement éclairé, à ce qui constituerait autrement une intrusion dans l'intimité. Si vous acceptez que quelqu'un vous fasse quelque chose qui constituerait autrement une atteinte à la vie privée, ce serait probablement la défense utilisée dans le cadre de toute poursuite judiciaire. Il ne s'agit pas réellement de l'immunité, mais votre cause serait vouée à l'échec, et le résultat est donc le même.
    Les dispositions contractuelles rendent peut-être l'immunité superflue, si leur libellé est suffisamment précis.
    Peut-être, et si on souhaite obtenir ce résultat, comme je l'ai dit, on pourrait modifier la LPRPDE, ou encore on pourrait convaincre les sociétés de télécommunication d'écrire dans leurs conditions de service que l'information sera transmise en vrac, ce que les Canadiens ne souhaitent pas, je crois.
    Votre façon d'envisager la question est très équilibrée. Je vois que vous n'êtes pas contre les pouvoirs policiers et la préservation de l'information pour autant que le degré d'intrusion soit assorti d'une supervision correspondante. Je trouve votre position bien raisonnée.
    Je serais curieux de savoir ce que vous pensez d'une situation où, par exemple, une image est transmise à un tiers qui n'a aucun moyen de savoir... Vous avez dit que la norme était celle de la négligence et qu'elle n'était pas suffisamment élevée. Quelles normes proposez-vous?
    Permettez-moi de retrouver ce que j'ai dit exactement dans ma déclaration préliminaire. Je pense que le critère doit être que la personne savait ou aurait dû savoir que la personne photographiée n'avait pas donné son consentement. Je pense que, dans beaucoup de cas, c'est lorsqu'il s'agit de la première personne qui diffuse les images ou d'une personne qui connaît la victime que l'acte est le plus flagrant et qu'il devient une infraction criminelle.
    J'imagine que ce que vous dites, c'est que la quantité de choses qui circulent dans Internet... Je veux dire... cette norme de la négligence est loin d'être suffisamment élevée en raison du volume même de choses qui sont transmises sur les ondes, j'imagine.
    Non, je pense que ma conclusion vient en fait du caractère répréhensible de la conduite.
    L'intention coupable.
    L'intention coupable: lorsque la personne savait, quand elle a en réalité trahi la confiance de l'autre. Pour moi, c'est à ce moment-là que la culpabilité criminelle intervient.
    Une personne qui n'a aucune idée de ce qui se passe et qui n'a aucune raison de le savoir? On ne criminalise pas ce genre de conduite.
    Vous avez raison.
    Merci.
    Merci d'avoir posé ces questions.
    Je vous remercie de vos réponses.
    Notre prochain intervenant est Mme Boivin.

[Français]

    Je vais permettre à Mme Guthrie de participer à la discussion. On ne voudrait pas que les gens de Toronto s'ennuient trop.
    Il me semble avoir lu des propos de votre part sur le fardeau de la preuve en ce qui concerne le consentement. On veut amender l'article 162 en y ajoutant le paragraphe 162.1(1), qui se lit ainsi:
Quiconque sciemment publie, distribue, transmet, vend ou rend accessible une image intime d’une personne, ou en fait la publicité, sachant que cette personne n’y a pas consenti ou sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non, est coupable :
    Ce qui m'intéresse, dans ce paragraphe, c'est le fardeau de la preuve. Normalement, c'est la Couronne qui doit fournir toutes les preuves de l'infraction. Il me semble avoir lu quelque chose sur le fait qu'il faudrait que ce soit l'accusé qui ait le fardeau de prouver qu'il a obtenu le consentement ou qu'il s'est soucié de savoir si la personne en cause y avait consenti ou non. Faudrait-il que cet aspect soit précisé par un amendement?

[Traduction]

    Vous avez la parole, madame Guthrie.
    J'ai déjà pensé que, si l'accusé n'était pas en mesure de fournir la preuve qu'il avait obtenu le consentement relativement à la diffusion publique de l'image en question, il devrait être visé par le texte législatif élaboré, quel qu'il soit. Je dirais que, depuis l'époque où j'ai écrit cela, ma position a changé, et je partage maintenant l'opinion de M. Fraser sur la question.
    Je pense cependant que la disposition concernant la négligence est un peu dangereuse; la meilleure façon de rédiger la disposition serait de la remplacer par quelque chose du genre « savait ou aurait dû savoir » ou « une personne raisonnable présumerait » que la personne n'avait pas donné son consentement à l'égard de la conduite en question.
    La raison est la suivante: il faudrait viser les gens qui, par exemple, pourraient diffuser une image provenant d'un site Web conçu précisément pour le partage d'images non consensuelles et présentées ainsi. Malheureusement, il y a tout un marché pour ce genre de choses. Si une personne visite un site Web qui se présente comme étant un endroit où on peut trouver des images de personnes qui n'ont pas consenti à la diffusion de leur image, eh bien, si on partage une image provenant de ce site, même si on n'a pas de connaissance directe du consentement de la personne figurant sur les images, on devrait savoir qu'elle n'a pas donné son consentement.
    Je proposerais donc le libellé formulé par M. Fraser.
(1205)
    La disposition devrait être modifiée, dans ce sens.

[Français]

    Merci, madame Guthrie.

[Traduction]

    Je vais revenir à vous, monsieur Fraser.

[Français]

    J'aimerais que vous précisiez le type d'amendement que vous aimeriez voir par rapport au paragraphe 487.0195 (1), lorsque c'est fait sans autorisation ou volontairement. Est-ce seulement dans ces cas que les personnes devraient être mises au courant?
    Cela me ramène à l'époque où notre comité a étudié le projet de loi C-55 sur l'écoute électronique. Les membres du comité s'en souviendront peut-être. La Cour suprême avait dit que le Code criminel présentait une lacune à cet égard, car les gens ne savaient jamais qu'ils avaient été mis sous écoute électronique.
    C'est bien beau ce qu'on dit aujourd'hui, mais plusieurs cas ne conduiront à aucune accusation. Il y a peut-être de l'information qui circule quand même. Devrait-il y avoir des dispositions précises en ce qui a trait à tous les cas où des accusations ont été portées. Là, il est évident qu'on finirait par le savoir parce que la Couronne sera obligée de dévoiler les informations. Quel genre de dispositions devrait-on inclure dans le projet de loi C-13 afin de s'assurer que les gens seront mis au courant dans un délai raisonnable qu'ils ont fait l'objet d'une écoute électronique? Si je me souviens bien, je pense qu'on avait prévu un délai de 90 jours.
    Devrait-il y avoir un automatisme afin que les gens sachent que leurs informations ont été transmises, que ce soit à la suite de l'obtention d'un mandat ou non?

[Traduction]

    Merci beaucoup d'avoir posé la question.
    Je suis d'accord pour dire que, dans presque toutes les situations où le gouvernement ou des organismes d'application de la loi obtiennent des renseignements au sujet d'une personne et que cette personne n'est pas informée au moment où les renseignements sont obtenus, elle devrait être avisée dans les six mois — six mois me semblent être un délai raisonnable —, à moins que l'organisme d'application de la loi ou l'organisme gouvernemental n'arrive à convaincre un juge que le fait d'aviser la personne au moment en question nuirait à une enquête en cours.
    Les cas où l'information est divulguée et obtenue par les services de police et où des accusations sont portées ne m'inquiètent pas. Ces cas finissent par faire surface, en cour ou ailleurs, donc il y a une certaine responsabilité et une certaine transparence.
    Ce qui me préoccupe, et ce que les Canadiens devraient savoir, je crois, c'est la fréquence à laquelle des renseignements concernant les Canadiens sont obtenus, avec ou sans mandat, sans que des accusations ne soient jamais portées. Si nous y regardons de près, ce genre de situation peut donner lieu à l'obtention trop fréquente d'information. Les organismes d'application de la loi obtiennent peut-être de l'information sur énormément de gens, tellement, en fait, qu'on pourrait dire qu'ils procèdent à tâtons pour essayer d'attraper deux ou trois suspects, mais en demandant trop d'information.
    Je pense qu'il est crucial que tout le monde ici présent, mais aussi tous les Canadiens, disposent de l'information nécessaire pour bien comprendre ce qui se passe, de sorte que nous puissions tenir un débat en bonne et due forme sur la question. Nous avons été témoins de prises de position très catégoriques et fortes au cours des dernières années. Il y a eu le projet de loi C-30 et les révélations au sujet de l'Agence des services frontaliers du Canada, ce chiffre de 1,2 million — nous avons vu la quantité d'encre que ces questions ont fait couler. Toutefois, tous n'ont jamais l'information nécessaire pour bien comprendre. Ce qui se dit ne fait qu'alimenter des chicanes fondées sur des positions dogmatiques.
    Si nous savions ce qui se passe et si les gens le savaient, nous pourrions tenir un débat beaucoup plus éclairé et utile sur la question, ce qui permettrait d'adopter de meilleures lois et d'assurer une meilleure surveillance, et les pouvoirs policiers seraient appropriés dans toutes les circonstances.
    Je suis tout à fait partisan de la transparence, et cela inclut non seulement les chiffres regroupés, mais aussi les avis individuels.
    Merci de vos questions et de vos réponses.
    Notre prochain intervenant est M. Wilks.
    Merci beaucoup, monsieur le président, et merci aux témoins d'être venus.
    Je veux faire porter mes questions sur l'autorité ou les pouvoirs policiers qui existent actuellement et sur ce que seront les pouvoirs policiers après l'adoption du projet de loi C-13. Je me réfère à mes connaissances et à mon expérience au sein de la GRC. Pour avoir eu la chance de jouer le rôle d'auteur d'affidavits et d'enquêtes sur la partie VI, je peux vous dire, même si vous le savez probablement déjà, que ce n'est pas une tâche agréable à assumer.
    Reportons-nous au début d'une enquête. Nous pouvons utiliser un crime sexuel ou lié à la drogue comme exemple, puisque ce sont les deux types de crimes qui donnent normalement lieu à une interception, d'après ce qui s'est passé jusqu'à maintenant.
    Si je m'adresse à Bell, à Rogers, à Shaw, à Telus — à qui que ce soit, peu importe — à titre d'agent de police, seriez-vous d'accord pour dire que la première chose que je dois éviter de faire, c'est de compromettre l'enquête? Êtes-vous d'accord pour dire que je ne devrais pas compromettre l'enquête?
(1210)
    Je m'attendrais à ce que, à titre d'agent d'application de la loi, vous ne souhaitiez pas compromettre votre enquête.
    C'est exact. Poussons donc le raisonnement un peu plus loin.
    Même si je dirais que la plupart des agents de police, moi y compris, ne connaissons pas très bien la LPRPDE, nous savons très bien jusqu'où nous pouvons aller et où nous devons nous arrêter. Nous savons que si je m'adresse à vous, disons, et que vous travaillez pour un fournisseur de télécommunication, je peux vous dire que j'enquête sur telle ou telle chose et que je sais que vous avez en votre possession des renseignements qui pourraient nous aider à faire avancer l'enquête.
    Je peux vous dire que je n'ai moi-même jamais demandé l'information en question. Ce que j'ai demandé, c'est que le détenteur ne la détruise pas et ne la déplace pas. Cependant, vu l'absence de loi à ce chapitre pour l'instant, on ne peut pas le faire; c'est essentiellement volontaire. Voilà comment cela fonctionne.
    Donc pour ce qui est de la transmission volontaire de renseignements, le fait est qu'il n'existe rien à l'heure actuelle pour aider la police à préciser les choses ou à mieux se protéger et à mieux protéger les sociétés de télécommunication contre la capacité de préserver l'information. Il n'y a tout simplement aucun moyen de le faire.
    Assurément; je suis d'accord. Il n'y a pas d'autorité permettant d'obliger quelqu'un à préserver l'information.
    C'est fait volontairement.
    C'est ce que je comprends.
    Avec les formulaires 5001, 5002 et 5003, le projet de loi passe des motifs raisonnables de soupçonner... dont l'ordonnance de préservation dit: « Je veux que vous gardiez l'information en votre possession jusqu'à ce que j'aie obtenu un mandat. »
    Assurément.
    Très bien. Il n'y a rien de mal à cela.
    Non.
    J'ai simplement un peu de mal à suivre lorsque j'entends parler des 1,2 million d'éléments de données qui sont volontairement... et pourtant il n'y a aucun autre moyen pour la police de mener une enquête. Il n'y a tout simplement rien. Le projet de loi vient donc préciser sa capacité de demander la préservation des données, au lieu que celle-ci soit volontaire. Cela lui donne une certaine légitimité pour s'adresser aux tribunaux en lui disant qu'elle a suivi les règles, puisque, plus souvent qu'autrement, ce qui se produit — et vous serez d'accord ou non —, lorsqu'on s'adresse aux tribunaux, c'est qu'il y a beaucoup de présomptions en raison du manque de données que la police puisse utiliser et présenter.
    Je ne comprends donc tout simplement pas pourquoi nous craignons que ce qui sera mis en place par le projet de loi C-13 soit pire que ce qui est en place à l'heure actuelle.
    Je ne dis pas que j'ai des préoccupations au sujet des pouvoirs de préservation.
    Donc lorsque vous parlez du chiffre de 1,2 million d'éléments de données liés à la transmission volontaire entre ce que vous présumez être un organisme d'application de la loi ou un autre et une société de télécommunication, qu'est-ce qui vous préoccupe par rapport à la préservation dans le projet de loi C-13?
    Je crois avoir répété plusieurs fois que la question de la préservation ne me préoccupe pas du tout. Je pense qu'il est important de ne pas confondre la préservation et la transmission de l'information. D'après ce que je comprends, ce chiffre de 1,2 million n'a rien à voir avec la préservation. Il concerne l'information qui a été fournie.
    Je pense que ce qui nous nuit à tous, c'est le fait de ne pas vraiment savoir ce que ce chiffre de 1,2 million représente. Il y a là-dedans des ordonnances de communication et aussi des ordonnances d'interception...
    Vous seriez donc d'accord pour dire que nous confondons l'enjeu et le projet de loi en tant que tel qui est devant nous?
    Je pense en tout cas qu'il y a beaucoup de choses dans ce projet de loi et qu'il peut être facile d'en confondre les différents éléments. Chose certaine, il serait très important d'examiner chacun de ces éléments de très près.
    Une ordonnance de préservation n'est pas de même nature qu'une ordonnance de communication. Je pense que cela ne fait aucun doute. L'ordonnance de préservation sert à tout agent d'application de la loi qui est autorisé par la loi à exiger qu'une personne conserve l'information, c'est tout. Je crains que cette ordonnance puisse s'assortir de toute condition voulue par l'agent, mais, mis à part cela, il s'agit d'une chose différente d'une autorisation d'intercepter, laquelle est différente d'une autorisation d'exiger qu'une personne fournisse les données de transmission connexes, les données de localisation et toutes les choses de ce genre.
    Simplement pour être clair, et simplement pour être bien compris, j'espère, je dirais que l'exigence de préservation en soi ne pose aucun problème à mes yeux. Je pense en fait qu'il s'agit d'une lacune de notre système actuel qui devrait être comblée.
(1215)
    Êtes-vous d'accord avec l'idée que le critère évolue avec l'enquête, passant de motifs raisonnables et probables de soupçonner à motifs raisonnables et probables de croire?
    C'est votre dernière question, monsieur Wilks.
    Et est-ce que l'ordre vous satisfait?
    C'est un spectre, et c'est vraiment propre aux circonstances, mais ce spectre a à mon avis trait non seulement à l'évolution de l'enquête, mais aussi au caractère intrusif des mesures.
    Merci beaucoup. Merci de ces questions et de ces réponses.
    Notre prochain intervenant est Mme Péclet, du Nouveau Parti démocratique.

[Français]

    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je pense que la présente discussion démontre à quel point il aurait été nécessaire de scinder le projet de loi. Jusqu'ici, je n'ai pas beaucoup entendu parler de cyberintimidation, mais plutôt d'accès à l'information et de choses assez techniques qui, malheureusement, font fi de ce que le jeunes vivent et de ce que les personnes sur le terrain ont peut-être besoin.
    Ma première question, qui est technique, s'adresse aux trois témoins. Devrait-on établir à quel âge une personne pourrait consentir à la distribution d'images? En ce moment, dans le projet de loi, cette balise n'existe pas.

[Traduction]

    La question s'adresse aux trois témoins; nous pouvons peut-être commencer par le Club Garçons et Filles.

[Français]

    Oui, nous croyons qu'il devrait y avoir un âge de consentement.
    Quel est cet âge? À notre avis, il faut en discuter avec les jeunes pour avoir une opinion bien informée, pour bien connaître leurs différentes opinions, pour bien savoir quelle est la perception de leurs propres intentions et comment la loi peut les affecter. Pour nous, il est important que l'on détermine un âge de consentement. Cela devrait être déterminé à la suite d'une conversation avec les jeunes.

[Traduction]

    Madame Guthrie, souhaitez-vous répondre à la question?
    J'aimerais savoir si la limite d'âge a trait davantage au volet de la cyberagression sexuelle ou au volet de la surveillance des renseignements personnels par l'État.
    Voulez-vous préciser votre question, Ève?
    À quel âge une victime pourrait-elle légalement donner son consentement à la distribution d'images intimes?
    D'accord. C'est une très bonne question à laquelle il est important de réfléchir.
    Je pense comme la représentante des Clubs Garçons et Filles que les jeunes doivent être consultés à ce sujet.
    Un bon point de départ, ce serait d'examiner à quel âge les jeunes sont en mesure de consentir à l'activité sexuelle en général au Canada. C'est à partir de là que je recommanderais de lancer le débat, mais je pense vraiment qu'il faudrait tenir aussi des discussions avec les jeunes.
    Je pense que, dans la plupart des cas, les jeunes ne sont pas consentants à ce que les images soient diffusées publiquement. Je ne pense pas que vous trouveriez beaucoup de cas où ils affirment être assez vieux pour que les images soient partagées avec toute leur école sans qu'ils ne le sachent. Il est important de parler d'un âge minimal, mais, en réalité, je ne pense pas que la chose joue un rôle très important, vu la façon dont le crime en question se déroule.
(1220)
    Monsieur Fraser, avez-vous quelque chose à dire là-dessus?
    Je partage ces sentiments, et je n'ajouterais qu'une chose: lorsqu'il s'agit de gens de moins de 18 ans, les images sont considérées comme étant de la pornographie juvénile, ce qui fait intervenir d'autres moyens juridiques de traiter la diffusion non consensuelle ou autre de ces images.

[Français]

    Ma deuxième question s'adresse à Mme Deboisbriand, de l'organisme Clubs garçons et filles du Canada.
    Lors de votre présentation, vous avez parlé de mettre l'accent sur la justice réparatrice. Vous avez dit également que l'éducation était vraiment la clé de ce genre de stratégie.
    Au bénéfice de tous les députés ici présents, j'aimerais que vous nous parliez de ce que vous avez vécu sur le terrain, des expériences que les jeunes vivent et de ce que vous aimeriez voir comme dispositions en matière de justice réparatrice. Ce ne sera peut-être pas inclus dans le projet de loi C-13, mais ce pourrait l'être lors d'une prochaine mesure gouvernementale.
    Je vous remercie de la question.
    Parlons d'abord d'éducation.
    La majorité des jeunes de moins de 17 ans ou de 18 ans ne comprennent pas vraiment la portée de leurs gestes quand il s'agit de changements qui se passent très rapidement. On a parlé dans notre mémoire des différences entre les provinces. Par exemple, il existe chez nous le Conseil national des jeunes des CGFC. Ces jeunes s'envoient des textos tous les jours. D'un bout à l'autre du pays, il n'y a pas de différences, il n'y a pas de frontières provinciales ou territoriales.
    Il faut mettre en place un système d'éducation faisant en sorte que les jeunes comprennent bien la portée de leurs gestes et les conséquences de ceux-ci, particulièrement quand on parle de partage de photos intimes, etc. Pour nous, cela commence par l'éducation.
    Dans les clubs qui ont des programmes de justice réparatrice, on fonctionne sur le mode un à un. On s'assoit avec le jeune et on essaie de voir jusqu'à quel point il a pris conscience de ses actions. Le jeune ou la jeune a-t-il ou a-t-elle pris conscience de l'impact de son geste sur la victime? Le jeune est-il conscient du fait que la victime n'avait peut-être pas consenti au partage de photos? Beaucoup de questions sont posées lors d'une première entrevue.
    On établit un plan de ce qu'on va faire avec ce jeune. C'est vraiment un plan individuel, qui dépend de la réponse à toutes ces questions. Ce pourrait être de demander à ce jeune de se déplacer dans des écoles pour parler de son expérience, expliquer comment il ou elle a vécu l'expérience et quelles ont été les conséquences. Il pourrait s'agir de réparations plus larges, c'est-à-dire des heures de travail communautaire dans des organismes qui s'occupent probablement de ce genre de défi. C'est vraiment ajusté et planifié pour répondre aux besoins du client, du jeune qui est accusé.

[Traduction]

    Merci beaucoup de ces questions et ces réponses.
    Notre prochain intervenant est M. Seeback, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Fraser, je voudrais simplement revenir rapidement sur une chose. Lorsque vous dites que le critère des motifs raisonnables de soupçonner pose problème à vos yeux, c'est relativement aux données de transmission, et non à l'ordonnance de préservation, n'est-ce pas?
    Vous avez tout à fait raison.
    D'après ce que je comprends, lorsque la norme appliquée est la moins élevée, c'est-à-dire celle des motifs raisonnables de soupçonner, c'est à des données précises et limitées, plutôt qu'à l'article de dérogation général, c'est-à-dire l'article 487.012 proposé. L'ancienne norme, soit celle des motifs raisonnables de croire, est maintenue pour cet article.
    Ai-je raison d'établir cette distinction, et, le cas échéant, en quoi la norme moins élevée pose-t-elle problème à vos yeux pour les éléments d'information très précis? Les mesures concernant les données de routage, par exemple, visent à obtenir de l'information comme les numéros de téléphone, mais cette information ne peut inclure de contenu; les mesures concernant la communication de données financières se limitent aux renseignements financiers de base comme le numéro de compte et la date à laquelle le compte a été ouvert.
(1225)
    Je n'ai pas mon exemplaire du Code criminel sur moi, alors je vais présumer que ce que vous dites est exact.
    Voici d'où vient ma préoccupation: nous prenons le critère des motifs raisonnables de soupçonner, qui est probablement un bon critère lorsqu'il s'agit d'information de routage, d'information de base sur les comptes bancaires, et nous l'appliquons maintenant à ce qu'on appelle les données de transmission, ce qui va au-delà des systèmes téléphoniques habituels, des systèmes de routage et des choses de ce genre. Les mesures envisagées ont donc pour effet d'exposer davantage d'information, plus d'information sur ce que la personne fait. Ce n'est pas seulement une question de quantité, puisque je crée davantage de données de signalisation Internet en une journée que de données téléphoniques, et qu'elles vous renseignent davantage; ces données ne portent pas sur le contenu des communications, mais elles donnent une bien meilleure idée de ce que fait la personne. Elles peuvent donc être plus intrusives.
    Je pense que, lorsque le degré d'intrusion augmente, il faut adopter une norme plus élevée, ou encore qu'il faut réduire le degré d'intrusion pour garder le même critère. Pour que ce soit tout à fait clair, les données de transmission ne contiennent que l'adresse IP d'origine, éventuellement l'adresse IP de destination, l'heure de la transmission, et c'est tout. Il n'y a rien qui soit lié à l'information relative au protocole, rien qui soit lié à la nature de la communication — non pas à son contenu, mais bien à sa nature —, et rien qui soit lié à des choses de ce genre.
    S'il ne s'agissait que de données de transmission très précises et pas très intrusives, comme dans les exemples que j'ai donnés, c'est-à-dire les numéros de téléphone, le numéro de compte bancaire et le moment où le compte a été ouvert, si c'est limité de cette façon, êtes-vous à l'aise avec la norme des motifs raisonnables de soupçonner?
    Oui. Si nous pouvons prendre la définition du terme « données de transmission » et la modifier de manière à ce que le degré d'intrusion qu'il suppose soit le même que celui des exemples que vous venez de donner, je serais satisfait de cette définition.
    Merci.
    De combien de temps est-ce que je dispose?
    Il vous reste quatre minutes.
    M. Kyle Seeback: Il m'en reste quatre?
    Le président:Il vous reste trois minutes.
    Trois? Super.
    Il vous reste deux minutes.
    Des voix: Oh, oh!
    M. Kyle Seeback: Cela n'arrête pas de changer. Maintenant, une minute...
    Chaque mot vaut une minute.
    Vous avez trois minutes.
    D'accord.
    Je m'adresse aux représentants du Club Garçons et Filles: je pense que le genre de travail que vous faites est excellent. Avez-vous des cours ou de l'information que vous transmettez aux jeunes dans le cadre de votre propre stratégie de lutte contre l'intimidation? Le cas échéant, pourriez-vous nous en parler un peu?
    Oui, avec plaisir.
    Le 7 mai est la journée nationale d'appartenance, comme nous avons choisi de l'appeler, pour le Club Garçons et Filles. C'est positif. La façon de contrer l'intimidation, c'est de parler d'appartenance; nous célébrons donc une journée d'appartenance avec une entreprise partenaire.
    Par ailleurs, d'un point de vue plus pratique, un certain nombre de séances sont tenues dans divers clubs de partout au pays, et nous avons 99 clubs. Certains se trouvent dans des centres très urbains, d'autres dans des collectivités très rurales; par conséquent, les programmes offerts dans les clubs varient d'une collectivité à une autre. Dans la plupart des clubs, on offre de l'aide aux devoirs, des collations et ce genre de choses. Ce sont des programmes communs à l'ensemble du pays.
    Nous effectuons de plus en plus de cybersensibilisation auprès des jeunes enfants, et nous commençons à les sensibiliser plus jeunes que jamais auparavant; ainsi, dans la plupart des clubs, les enfants commencent le programme de cybersensibilisation dès six ans, en première année. S'ils participent à des programmes parascolaires, des programmes de sensibilisation leur sont offerts, et, au fil des ans, ces programmes et leur contenu s'intensifient, bien entendu, et nous abordons le partage d'images intimes. Évidemment, nous n'en parlons pas avec les enfants de six ans, mais nous avons commencé à le faire avec nos jeunes de 12 ans.
    Vous avez parlé de vos programmes de justice réparatrice et de choses comme ça. Avez-vous observé un profil particulier pour ce que nous avons appelé un cyberintimidateur ou est-ce que n'importe quel jeune peut simplement finir par faire un mauvais choix? Quelle a été votre expérience à ce sujet?
    Personnellement, d'après ce que j'ai observé chez certains des jeunes avec qui je travaille, je suppose qu'il y a peut-être une distinction entre un jeune qui envoie une image... pas dans le but de tenter de faire de la cyberintimidation en tant que telle, mais parce qu'il est tombé sur cette image, qu'il en a parlé à des amis, qui l'ont poussé — « oh, oui, envoie-la-nous » — et il la leur a envoyée. Dans ces cas-là, il peut s'agir de n'importe qui, de jeunes adolescents de 12 ou 13 ans, parfois, ou d'adolescents aussi âgés que les finissants du secondaire, voire même des étudiants au collégial.
    En ce qui concerne la cyberintimidation en tant que telle, je pourrais dire que j'ai établi le profil d'une certaine personne, d'un certain type de personne, qui serait susceptible d'y avoir recours et qui serait de cette nature, mais...
(1230)
    La seule chose que j'ajouterais, c'est que nous travaillons souvent avec les intimidateurs au même titre qu'avec les victimes d'intimidation. Même s'il n'y a aucun profil habituel, souvent, il s'agit de jeunes qui ont eu la vie dure et qui n'ont pas acquis de confiance en soi. La cyberintimidation provient souvent d'un manque de confiance en soi et est utilisée comme moyen de gagner du respect. Bon nombre des conditions sont les mêmes que celles qui mènent les jeunes à se joindre à un gang. C'est une façon de gagner du respect, c'est un moyen de ressentir une certaine force, de ressentir une certaine puissance.
    Ainsi, nous travaillons beaucoup avec des jeunes que nous avons désignés comme des auteurs d'intimidation... qui sont eux-mêmes les auteurs d'intimidation. Nous travaillons avec eux pour étudier ce qui entraîne ces comportements et comment renverser la vapeur, pour ainsi dire.
    Je vous remercie beaucoup de ces questions et de ces réponses.
    Notre prochain intervenant est M. Jacob, du Nouveau Parti démocratique.

[Français]

    Je vous remercie, monsieur le président. Je remercie également les témoins de leur présence parmi nous aujourd'hui.
    Ma première question s'adresse aux représentants de Clubs garçons et filles du Canada.
    J'aimerais savoir si vous avez été consultés dans le cadre de l'élaboration du projet de loi C-13.
    Pas vraiment. Nous avons fait certaines approches et nous avons eu quelques rencontres, mais je pense que c'était une consultation plutôt limitée. Par contre, nous apprécions grandement l'occasion qui nous a été donnée de présenter un mémoire concernant le projet de loi.
    Je me rends compte que vous travaillez à l'élaboration de programmes pertinents pour les jeunes en ce qui a trait à la cyberintimidation. À ce que je sache, c'est un work in progress. Avez-vous obtenu une augmentation des ressources nécessaires à la grandeur du pays?
    Vous me voyez sourire. Oui, nous avons connu une augmentation des ressources pour ces programmes parce que les besoins augmentent et changent très rapidement. Les ressources additionnelles viennent surtout de grands partenaires corporatifs, des entreprises, qui nous aident dans notre travail. Malheureusement, le financement des différents paliers de gouvernement n'est dans aucun cas à la hausse.
    Vous avez parlé d'enfreintes à la vie privée auxquelles le projet de loi C-13 peut donner lieu. J'aimerais que vous exprimiez votre perception à cet égard.
    Je pourrai répondre dans le même sens que mes deux collègues qui ont témoigné aujourd'hui. Pour nous, cette enfreinte à la vie privée est la même chez les jeunes que chez les adultes. La différence, c'est que les jeunes sont moins conscients que les adultes du fait qu'il y a un élément touchant la vie privée au sein même du projet de loi. La plupart des jeunes n'en sont pas conscients et ne sont pas non plus conscients de la flexibilité qu'établit le projet de loi, ni des répercussions possibles sur leur vie privée en tant qu'adolescents ou jeunes adultes.
    Je vous remercie. Vous avez également parlé de l'importance de l'éducation et de la justice réparatrice. J'aimerais que vous me parliez également de l'importance de la prévention.
    J'en ai parlé tout à l'heure avec un de vos collègues du comité. Dans le contexte de la cyberintimidation, on travaille beaucoup avec les jeunes qui en sont victimes, mais on travaille aussi avec les jeunes qui font eux-mêmes de l'intimidation. Pour pouvoir prévenir et pour que ça n'arrive pas à nouveau, il est important de travailler aussi avec celui ou celle qui fait de l'intimidation.
    Les tendances changent rapidement. On voit beaucoup de cyberintimidation chez les jeunes filles. Souvent, on pense que c'est un phénomène de jeunes garçons, mais ce n'est pas qu'un phénomène de jeunes garçons. Les jeunes filles ne sont pas juste victimes d'intimidation, elles-mêmes font de l'intimidation. En somme, on travaille de plus en plus autant avec les filles que les garçons.
    Pour nous, l'éducation c'est, naturellement, celle à l'endroit des jeunes eux-mêmes. Cependant, il y a aussi un élément d'éducation à l'endroit des parents et des familles de ces jeunes. Souvent, on travaille dans des quartiers où il y a beaucoup de nouveaux arrivants. Les parents ne sont pas nécessairement aussi avancés au plan technologique que le sont leurs enfants. Ainsi, il est important de bien travailler avec l'ensemble des gens qui entourent ces jeunes pour qu'ils comprennent bien les conséquences de l'intimidation, des gestes posés, du transfert de photos, etc.
    Donc, notre approche relative à l'éducation passe par l'entourage du jeune et inclut le jeune.
(1235)

[Traduction]

    Rapidement, pour donner suite à la question de l'éducation: la raison pour laquelle nous nous concentrons vraiment sur l'éducation est que nous ciblons les causes fondamentales des motifs pour lesquels une personne aurait recours à la cyberintimidation. Pourquoi une personne enverrait-elle une photo? Pourquoi une personne se sentirait-elle poussée à partager la photo?
    L'exemple que nous utilisons auprès d'un grand nombre de nos intervenants qui travaillent auprès des jeunes est celui-ci: disons que je vous donne à résoudre un problème mathématique très compliqué et que je vous dis que, si vous n'arrivez pas à le résoudre, je vais vous punir. Si vous n'avez pas les compétences nécessaires pour le faire, vous n'y arriverez pas, quelle que soit la punition et la mesure dans laquelle elle sera sévère. Même si je vous dis que je vais vous donner un million de dollars pour résoudre cette question mathématique, il est probable que, si vous n'avez pas les compétences nécessaires, vous ne la résoudrez pas.
    C'est le même problème. Bien souvent, il s'agit d'un manque de compétence. Ces jeunes n'ont pas la compréhension et n'ont pas reçu l'éducation nécessaire; par conséquent, quelle que soit la récompense que nous leur offrions pour les inspirer ou quelles que soient les conséquences, s'il leur manque cet élément d'éducation, cela ne changera rien.

[Français]

    Ma prochaine question est pour Me Fraser.
    J'aimerais que vous me résumiez, par ordre de priorité, les problèmes concernant le projet de loi C-13 dont vous avez parlé tout au long de votre présentation.

[Traduction]

    Je pense qu'il est probablement dangereux de me demander de résumer le projet de loi C-13 ou mes préoccupations.
    Une voix: Vous avez une minute.
    Des voix: Oh, oh!
    M. David Fraser: Merci beaucoup.
    C'est une question compliquée que nous étudions. Le volet de la cyberintimidation est un phénomène compliqué et compte un très grand nombre de pièces mobiles. J'ai entendu beaucoup de nuances. La question des pouvoirs d'enquête de la police est compliquée parce que nous devons nous assurer d'établir le bon équilibre. Il faut que les policiers puissent faire leur travail. Ils ont un rôle absolument essentiel à jouer dans notre société.
    Nous avons également des libertés fondamentales qui sont inhérentes à la façon dont nous voulons nous organiser dans cette société. Ainsi, dans les deux cas, il s'agit de parvenir à établir le bon équilibre. La cyberintimidation, la distribution d'images intimes sans le consentement de la personne dans le but de causer un préjudice à cette personne fait du tort aux gens et occasionne des problèmes, et nous voulons, dans les bonnes circonstances, punir les bonnes personnes.
    Dans la deuxième moitié du projet de loi, les trois derniers quarts du projet de loi, nous voulons en fait donner à la police les pouvoirs appropriés, dans les bonnes circonstances, et la capacité de surveillance nécessaire pour le faire. Nous faisons face à certaines questions compliquées et nuancées avec beaucoup d'éléments mobiles... cela s'articule avec la pornographie juvénile, et les pouvoirs relatifs aux ordonnances de communication s'articulent avec les mandats de perquisition et d'autres choses de ce genre... le comité a donc une lourde tâche à accomplir, probablement au cours des cinq prochaines semaines environ, pour parvenir à bien formuler ces deux parties.
    Je vous suggérerais de consacrer cinq semaines à une partie, puis cinq semaines à l'autre, mais cela va gâcher votre été.
    Des voix: Oh, oh!
    Je vous remercie beaucoup pour ces questions et ces réponses.
    Notre prochain intervenant est M. Brown du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    Ma première question s'adresse aux représentants du Club Garçons et Filles. Une chose dont, selon moi, nous n'avons pas beaucoup parlé aujourd'hui, et au sujet de laquelle j'ai pensé que vous pourriez nous présenter vos réflexions, concerne les conséquences et la fréquence de la cyberintimination.
    Je pense que Mme Guthrie a parlé du fait qu'elle était de plus en plus fréquente, mais je suis certain que vous l'avez observé dans vos clubs.
    Vous pourriez peut-être, d'une part, nous parler de la fréquence de la cyberintimidation et nous faire part de vos réflexions par rapport à vos observations et, d'autre part, de ses conséquences sur les jeunes.
    Voulez-vous commencer?
    Oui.
    En fait, nous avons réalisé un projet amusant avec certains des jeunes. Ils ont créé une vidéo sur la cyberintimidation et la lutte contre l'intimidation au sein d'un club, et le projet a été une excellente occasion pour eux d'acquérir des connaissances à ce sujet. Cependant, ce dont nous nous sommes rendu compte, c'est qu'un pourcentage très élevé de jeunes (près de 80 %), sont touchés par la cyberintimidation.
    Il y a le fait que nous avons notre téléphone cellulaire en tout temps. Au Club Garçons et Filles, nous tentons de décourager les jeunes d'utiliser un téléphone cellulaire, car, même au Club, quand ils se sentent les bienvenus et qu'ils sont dans un endroit où ils se sentent chez eux, ils pourraient recevoir des messages qui les affectent, et qui les affectent dans leur lieu physique, alors qu'ils les reçoivent virtuellement. Lorsqu'il est question de cyberintimidation, qu'ils soient chez eux, dans un local du club ou à l'école, endroits qui pourraient tous être des milieux stimulants et réconfortants où ils ont de très bons modèles de comportement, parfois, la difficulté se trouve dans leurs poches.
    La cyberintimidation affecte les enfants et les jeunes sur le plan de leur scolarisation. Elle les affecte dans leurs relations avec les autres. Je pense que cela va jusqu'à la question que ma collègue a soulevée au sujet de la confiance. La confiance est difficile à mesurer, mais on peut voir une énorme différence entre le jeune qui a confiance en lui et en ses capacités et celui qui est constamment victime d'intimidation et qui n'a pas le même charisme.
(1240)
    La seule chose que j'ajouterais, c'est que les chiffres sont un peu trompeurs. Encore une fois, cela dépend de la façon dont on définit le terme « cyberintimidation ». Dans le contexte de ce projet de loi, il y a une définition. Quand nous mentionnons les proportions de 80 ou de 85 % d'enfants et de jeunes touchés par la cyberintimidation, nous ne parlons plus du sextage et du partage d'images intimes. Nous parlons aussi de gens qui ne font qu'être méchants.
    Quand j'ai mentionné que les filles étaient les intimidatrices, il ne s'agit souvent pas de sextage ni de partage d'images, c'est qu'elles sont très méchantes. Il s'agit de ce dont certains d'entre nous, selon notre âge, faisions l'expérience dans la cour d'école. Maintenant, ça vous suit 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, parce que c'est dans votre poche, dans votre sac à main ou dans votre sac à dos. Les chiffres peuvent être assez confondants si on inclut le simple fait d'être méchant par rapport à...
    Dans nos clubs, nous avons de moins en moins tendance à observer ce que j'appellerais la cyberintimidation extrême, ce que nos collègues appelaient agression sexuelle en ligne. Ce genre de choses est moins répandu, parce que nos jeunes sont dans nos clubs, dans un endroit sécuritaire et sont occupés à participer à des programmes. Les chiffres ont donc tendance à être moins importants.
    J'ai une question de suivi pour Mme Guthrie.
    Vous avez mentionné que le projet de loi comportait des aspects que vous aimiez vraiment concernant la cyberintimidation. Ce que vous craigniez, c'était qu'il contienne trop de dispositions, mais je voulais que vous repreniez les principaux points des parties que vous aimez. Je pense qu'il serait utile de savoir quelles parties du projet de loi, selon vous, sont très efficaces.
    Tout d'abord, j'ai été contente de voir que les dispositions concernant la cyberagression sexuelle ont été ajoutées à l'article sur le « voyeurisme » dans le Code criminel. Je vois effectivement beaucoup de parallèles entre ces deux types de comportement. Je pense qu'ils vont bien ensemble et que c'était un endroit approprié pour l'ajouter.
    J'aime également l'idée qu'il soit énoncé dans le projet de loi que le sujet de l'image doit avoir... Si, au moment où l'image a été saisie, il avait une attente raisonnable de protection de la vie privée, ainsi qu'au moment du partage de l'image ou de la perpétration de l'infraction, je pense que l'inclusion de ces deux éléments englobe bien des choses et bloque relativement toutes les échappatoires.
    Il y a beaucoup d'aspects que j'ai aimés. C'était surtout la formulation « sans se soucier » de savoir si la personne y a consenti que je considérais comme problématique.
    L'autre élément qui pourrait poser problème est proposé dans l'alinéa 162.1(2)c). Je suis préoccupée par la latitude avec laquelle un juge pourrait interpréter le fait que le sujet avait ou non une attente raisonnable de protection de sa vie privée au moment de la perpétration de l'infraction.
    En tant qu'intervenante dans ce domaine, j'ai vu beaucoup de gens intenter des poursuites en justice pour ce genre de choses, que ce soit au titre des lois sur le harcèlement ou des lois concernant la pornographie juvénile. Le fait que des agents d'application de la loi... J'ai déjà vu cela, certainement aux États-Unis, et peut-être ici également. Dans certains cas, même le juge décide simplement, parce que, personnellement, il pense que vous n'auriez pas dû partager ces images, vous ne pouviez pas avoir une attente raisonnable de protection de votre vie privée au moment de la perpétration de l'infraction. Par conséquent, je pense que la disposition pourra être interprétée.
    Madame Guthrie, j'apprécie vos points de vue sur le système judiciaire et l'application de la loi, mais je veux poser une question de suivi. Êtes-vous au courant du rapport fédéral-provincial-territorial qui a été publié en juillet 2013 pour demander la prise de mesures supplémentaires? Plus particulièrement, il recommandait que l'on donne aux agents d'application de la loi de meilleurs outils pour combler les lacunes.
    Je me demande si vous avez lu le rapport et si vous appuyez les recommandations qui ont été formulées dans ce rapport.
(1245)
    Je n'ai pas lu ce rapport. Il faudra que j'y jette un coup d'oeil. Je vous remercie de l'avoir porté à mon attention.
    De mon point de vue, je pense que, la plupart du temps, le problème est moins lié aux outils qui sont à la disposition des agents d'application de la loi qu'aux attitudes propres à chaque agent et peut-être à celles qui sont encouragées par la culture de l'application de la loi, laquelle blâme souvent les femmes victimes d'agression sexuelle plutôt que l'auteur de l'infraction.
    Je vous remercie de vos réponses.
    Selon l'horaire, le prochain intervenant est M. Dechert, du Parti conservateur, encore. Je vais tenter de vous limiter à cinq minutes.
    D'accord. Merci, monsieur le président. Je vais tenter d'être bref.
    Monsieur Fraser, honnêtement, je suis toujours préoccupé et confus au sujet de votre crainte à l'égard de l'immunité en matière civile d'un fournisseur des services Internet ou d'une autre entité qui communique certains renseignements à la demande d'une autorité policière. Pardonnez-moi, je suis plus du type analogique que numérique, comme le sont, je présume, la plupart des parents au Canada.
    Laissez-moi formuler les choses de la manière dont je les comprends. Si je vois une activité suspecte autour de la maison de mon voisin, je peux prendre le téléphone, composer le 911, parler à un policier et lui dire qu'il y a peut-être une personne qui tente d'entrer par effraction dans la maison de mon voisin. La police enquête. J'avais tort. C'était le jardinier. C'était un réparateur. Est-ce que je m'expose à une responsabilité civile parce que je l'ai signalé?
    Si vous avez agi de bonne foi, non, vous ne vous y exposez pas.
    Donc, si un policier m'aborde pour me demander si j'ai remarqué une activité suspecte récemment autour de la maison de mon voisin et que je mentionne y avoir vu une personne louche la veille et qu'une voiture était stationnée dans l'entrée et que je lui donne le numéro d'immatriculation que j'avais inscrit, les policiers vont aller trouver cette personne. Si, en fait, cette personne ne tentait pas d'entrer par effraction dans la maison et que, encore une fois, il s'agissait du réparateur ou du jardinier, suis-je responsable sur le plan civil d'avoir fourni ces renseignements au policier quand il me les a demandés?
    Non, vous ne l'êtes pas, pour deux raisons. Premièrement...
    Il ne me reste pas beaucoup de temps, alors laissez-moi aborder la prochaine question parce que je pense qu'elle est plus importante.
    Passons au monde numérique. Une personne comme Amanda Todd transmet une photo à quelqu'un, probablement de façon consensuelle, mais elle a été dupée...
    Forcée: je n'appellerais pas ça consensuel.
    C'est une jeune personne. Elle ne sait pas à qui elle a affaire sur Internet. Elle donne une image intime. À ce moment-là, elle prend des mesures et fait part de ses préoccupations. Elle dit qu'elle a donné une image à quelqu'un et qu'elle n'est pas certaine de ce que cette personne va en faire.
    Aux termes du projet de loi C-13, les tribunaux sont essentiellement investis du pouvoir d'imposer une injonction contre l'utilisation ultérieure de cette image et d'ordonner la destruction de l'image. Comment pouvez-vous faire cela si vous ne savez pas qui détient cette image? Elle s'est adressée à la police. Les policiers se sont adressés à son fournisseur de services Internet et ont dit: « pouvez-vous nous dire d'où provenait ce message? » Si le fournisseur communique les renseignements sans mandat, vous pensez qu'il devrait être responsable, d'un point de vue civil, de l'avoir fait, si, en fin de compte, la personne qui avait pris cette image n'avait pas encore commis d'infraction et n'avait peut-être pas l'intention d'en commettre une? Pourquoi devrait-il assumer une responsabilité civile à l'égard d'un acte qui, nous pouvons sûrement en convenir, sert le bien public?
    La question qui me préoccupe, dans cette situation, est la suivante: qu'est-ce que le bien public? La protection de cette jeune femme contre un préjudice ou la protection de la vie privée de la personne qui détient son image intime?
    Vous avez deux minutes pour répondre à la question.
    D'accord. Ce sera difficile.
    Dans cette situation hypothétique, vous comparez des pommes et des oranges. Il s'agit de situations très, très différentes. Vous me demandez également de commenter un exemple précis, alors que, en fait, cet agent de police aurait eu des motifs raisonnables et probables de s'adresser à un juge ou à un juge de paix pour obtenir une ordonnance de communication qui aurait rendu toute la question de l'immunité théorique.
    Je vais vous interrompre. Le temps presse. Nous savons tous que, sur Internet, cette image pourrait être diffusée à des millions de personnes en un clin d'oeil. La police pourrait ne pas avoir eu le temps de s'adresser au juge pour obtenir ce mandat, mais elle veut découvrir où se trouve cette personne afin de pouvoir la joindre et lui dire: « n'envoyez cette image nulle part. »
    Il y a des juges accessibles par téléphone 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, dans notre pays. Si vous croyez... sauf s'il s'agit d'une urgence. Tous les fournisseurs de services de télécommunications donnent les renseignements lorsqu'il est clairement indiqué que l'urgence de la situation l'exige — un enlèvement, toutes les menaces imminentes à la vie — par conséquent, si vous pouvez les en convaincre, tout va bien. Absolument. Et ils devraient les fournir.
    Mais chacun doit se demander, en ce qui concerne ses actes, qu'il collabore avec les agents d'application de la loi ou avec quelqu'un d'autre, si d'autres intérêts juridiques sont en cause. Il est certain que la seule personne qui intenterait une poursuite dans cette situation serait le suspect. Serait-il susceptible de le faire? Cela fait probablement partie du calcul qu'il ferait pour prendre cette décision, et cela fait probablement partie du calcul qu'un certain nombre de compagnies de télécommunications ont effectué pour décider si elles allaient ou non fournir les renseignements au sujet de leurs clients, sans mandat. En réalité, une personne accusée de pornographie juvénile devra se rendre devant les tribunaux et intenter une poursuite contre nous: quelle est la probabilité que cela se produise? Mais je ne pense pas que nous devrions étendre l'application de ce principe à tout le monde.
    Il est certain que, si les policiers disaient qu'ils s'intéressaient vraiment à ce dont les journalistes parlent aux gens sur la Colline, et que, par conséquent, ils demandent à toutes les compagnies de téléphone de leur fournir le registre des appels effectués par tous les députés, d'un point de vue légal, ils peuvent en faire la demande et peut-être que, d'un point de vue légal, les compagnies de téléphone peuvent fournir ces renseignements, mais devraient-elles être absolument immunisées contre toute accusation de complicité dans le cas de ce type de comportement? Je ne pense pas. C'est donc une question de degré, dans un grand nombre de ces cas.
(1250)
    Votre temps est écoulé. Vous disposerez d'une autre plage, si vous en voulez une.
    Madame Boivin, du Nouveau Parti démocratique, vous avez cinq minutes.

[Français]

    Je trouve intéressantes les questions de M. Dechert.
     Je pense que les gens craignent qu'il y ait une espèce de laissez-faire, de laisser-aller, parce que ça va vite, parce que l'information est accessible, parce qu'on peut utiliser son Z30 très rapidement et obtenir toutes sortes d'informations. À un moment donné, cela risque d'être un peu bordélique parce qu'on peut maintenant obtenir ces mandats par des moyens fort différents de ceux utilisés au début de ma pratique, il y a 30 ans. On peut obtenir des mandats de bien des façons. Je pense que les inquiétudes de M. Dechert, qui l'amènent à vouloir élargir la portée de certaines aspects, me semblent peu fondées.
    Cependant, il a dit une chose qui m'a fait un peu réagir sur le coup. Évidemment, le projet de loi C-13 nous a été vendu comme étant la réponse aux événements dramatiques qui ont conduit au décès d'Amanda Todd, de Rehtaeh Parsons, de Jamie Hubley, etc. Les représentants de Clubs garçons et filles du Canada pourraient certainement nous soumettre plusieurs cas dramatiques.
     Si on considère le projet de loi C-13, la  question à 100 $ est celle que la mère d'Amanda Todd a posée: le projet de loi C-13 aurait-il permis de sauver Amanda? Elle a répondu oui, parce qu'elle est optimiste. J'aimerais comme elle pouvoir répondre oui, mais on aura l'occasion d'en reparler avec elle la semaine prochaine.
    Toutefois, dans l'optique de ce que disait M. Dechert,

[Traduction]

elle a pris des mesures.

[Français]

    À mon avis, les membres du gouvernement font erreur quand ils pensent que si le projet de loi C-13 est adopté, les jeunes qui seront l'objet de quelque chose de dramatique sur Internet auront le réflexe d'appeler la police. On semble croire que certains penseront pouvoir récupérer la photo qu'ils auront envoyée à quelqu'un. En contrepartie, cette personne aura envoyé sa belle image, mais elle est peut-être le plus grand pédophile que la Terre ait porté. Je pense qu'on en met beaucoup dans ce contexte en ce qui a trait au projet de loi C-13. Je n'ai pas l'impression que c'est ce qui se produira, ce sera

[Traduction]

le statu quo.

[Français]

    Comment nos forces de l'ordre vont-elles réagir sur le plan de l'éducation? Vont-elles aller se promener dans différents endroits? Y aura-t-il une police de l'Internet? Va-t-elle se promener pour aller voir ces choses? Va-t-elle poser les gestes qui devront être posés, comme elle le fait quand elle se déplace dans nos quartiers avec ses voitures? Va-t-elle consulter les sites de la cyberplanète? Je ne suis pas sûre que les jeunes vont se dire que puisque le projet de loi C-13 a été adopté,

[Traduction]

appelons la police.

[Français]

    Je pense que vous avez raison. Selon moi, si le projet de loi C-13 est adopté, cela ne fera pas en sorte que les jeunes auront le réflexe d'appeler les forces policières. En fait, la plupart d'entre eux ne le sauront même pas. C'est comme ça chez les jeunes.
    Cependant, je me sens coupable de répondre cela, parce que si un ou une jeune pose un geste qui empêche une situation dramatique comme celles qu'on a vues ou que vous avez mentionnées, il y aura là quelque chose d'important à conserver. C'est la raison pour laquelle on indique, dans le mémoire qu'on a soumis, que nous n'y sommes pas opposés. On ne peut pas être contre cela mais, en même temps, il ne faut pas s'imaginer que ce sera une solution magique et que cela va mettre fin à des situations comme celles qu'on a connues. Le fait de penser cela serait un peu excessif.

[Traduction]

    D'accord, allez-y.
    En deux secondes, je pense qu'il faudrait établir des mesures de suivi...
(1255)
    La sensibilisation, par exemple, ou le fait de s'assurer que...
    Qui va en informer les jeunes? Je travaille auprès des jeunes — au Club Garçons et Filles — et je découvre qu'un des jeunes auprès de qui je travaille a des difficultés. Je connais bien le projet de loi C-13 et je lui dirais: « d'accord, parlons de ce que nous allons faire à ta maman et à ton papa. » Je suis un enseignant ou un entraîneur, et j'en entends parler... Et nous en entendons parler, parfois, et nous en voyons, mais nous ne savons pas toujours quelle est la prochaine mesure à prendre.
    Ils ne le savent pas toujours non plus. Parfois, ils ont honte ou ils ne sont pas trop certains de ce qu'ils veulent faire. Ils ont l'impression d'avoir fait quelque chose de mal. Cela ne serait peut-être pas si facile.
    Il faudra beaucoup plus que le projet de loi C-13.
    Merci beaucoup.
    Notre prochain intervenant est M. Dechert, pour cinq minutes, tout au plus.
    Monsieur Casey, il restera environ trois minutes, si vous voulez la dernière question.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Fraser, dans votre pratique, représentez-vous des fournisseurs de services Internet ou d'autres groupes liés à Internet?
    Oui.
    Si la police demandait à l'un d'entre eux, dans une situation où, disons, une jeune femme avait fourni une image intime à quelqu'un de façon consensuelle, mais que, ensuite, elle était devenue préoccupée en raison d'autres messages texte échangés avec la personne qui détenait l'image, par la possibilité que cette personne l'affiche quelque part sur Internet... et qu'elle ne sait ni qui est cette personne ni où elle se trouve.
    Disons que Rogers est son fournisseur de services Internet et que vous représentez Rogers. Si la police demande à Rogers de fournir des renseignements qui lui permettraient de découvrir l'identité de la personne qui détient cette image, que conseilleriez-vous à votre client de faire?
    C'est toujours difficile de parler d'une situation hypothétique avec seulement un ensemble de faits limités.
    Je comprends.
    Dans la situation que vous avez décrite, l'image est sur le point d'être diffusée à grande échelle, ce qui causerait...
    Elle pourrait présumer qu'elle l'est.
    On croit qu'elle l'est.
    Il en ressort qu'il s'agit d'une situation très difficile. La responsabilité civile ne serait probablement pas la première chose qui viendrait à l'esprit.
    Disons seulement qu'il s'agit d'un fournisseur de services Internet anonyme plutôt que de nommer des noms précis. Ils ne veulent probablement pas être traînés dans une situation où ils ne peuvent pas se défendre.
    Le fournisseur a passé un contrat avec son client. Il bénéficie également de la protection prévue par la common law s'il fournit des renseignements quand on soupçonne qu'un acte criminel est sur le point d'être commis.
    Dans cette situation — encore une fois, je ne peux parler que pour moi-même — je crois qu'un préjudice réel est lié à la diffusion de ce genre d'images. J'ai vu de mes propres yeux ce qu'elles peuvent faire à une jeune personne, et j'ai vu ce qu'elles peuvent faire à un adulte. Je pencherais pour que la compagnie fournisse ces renseignements. Ce serait mon impulsion. Je saurais qu'il y aurait peut-être un certain risque lié à cette décision, mais, pour moi, étant donné la gravité de la situation, ce n'est pas une affaire frivole, et j'aurais tendance à fournir ces renseignements.
    Dans cette situation, vous seriez d'accord pour que le fournisseur de services Internet ait l'immunité en matière civile s'il s'avère que les policiers avaient tort, qu'aucun acte criminel n'avait été commis ou n'était sur le point d'être commis.
    Je ne lui accorderais pas l'immunité.
    Vous ne lui accorderiez pas l'immunité.
    Non. Je dirais qu'il a agi de bonne foi, et il ne serait pas responsable, mais je ne lui accorderais pas l'immunité.
    Cela l'exposerait à une possibilité de poursuite, n'est-ce pas?
    Certainement. On marche dans la rue et on s'expose à des possibilités de poursuite.
    Il y a une distinction entre le fait de ne pas être responsable et d'avoir l'immunité. L'immunité, c'est une couverture; ça dit que, quoi que vous fassiez, personne ne peut le contester.
    Ne craignez-vous pas que certains fournisseurs de services Internet disent: « s'il est possible que je fasse l'objet d'une poursuite qui coûterait des milliers de dollars à mon entreprise » — je suis avocat, vous êtes avocat et nous savons tous combien coûtent les avis juridiques dans ce pays et combien coûte la tenue d'un procès — « à moins d'être vraiment certain qu'une infraction est sur le point d'être commise et qu'un grand préjudice serait causé, je ne vais pas fournir les renseignements. Je vais exiger que la police obtienne un mandat. » En raison de cette décision, durant ce court intervalle précédant l'obtention du mandat par un agent de police, il est possible que l'image soit publiée et qu'un préjudice soit causé à cette personne.
    Seriez-vous d'accord avec cela?
    Il est certain que, à tout moment, il y aura une foule de considérations. Cependant, là où je veux en venir, et je veux m'assurer de l'expliquer clairement, c'est que la raison pour laquelle il existe une possibilité de responsabilité, c'est parce que l'intérêt d'une autre personne est en jeu et qu'une autre personne pourrait subir un préjudice. À ce moment décisif, je veux que le fournisseur de services Internet, qui qu'il soit, ne pense pas seulement qu'au policier qui se tient là ni à la personne qui est au bout du fil et à la victime, mais qu'il pense aussi à ses clients.
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    Mais il a passé un contrat avec le client, n'est-ce pas?
    C'est tout, Bob...
    Eh bien, il est certain qu'il doit y réfléchir. Toutefois, cet amendement annulerait toute responsabilité qui pourrait être prévue dans le contrat. Ainsi, je pense qu'on prend des décisions appropriées quand on a tous les intérêts différents à l'esprit.
    Merci de ces questions et réponses.
    Notre dernier intervenant, pour quelques minutes, est M. Casey.
    Merci, monsieur le président.
    Je veux revenir à vous, monsieur Fraser. Jeudi, le ministre et certains fonctionnaires ont assisté à la réunion du comité. Ils étaient réticents à parler du lien entre le projet de loi S-4 et le projet de loi C-13 ou ils ont carrément refusé d'en parler.
    Pourquoi le ministre, pourquoi ses fonctionnaires devraient-ils se soucier du lien entre le projet de loi S-4 et le projet de loi C-13, et pourquoi devrions-nous nous en soucier?
    Les lois sont intimement liées. Les trois quarts du projet de loi que nous avons devant nous sont liés, dans certains cas, à la communication de renseignements à la police par des fournisseurs de services de télécommunications et aux circonstances dans lesquelles la police peut les exiger et en fait la demande, puis à cette immunité qui est octroyée à ces fournisseurs de services de télécommunications et à laquelle ils ont droit.
    Ce n'est qu'un côté de la médaille, et l'autre côté est réglementé par la LPRPDE, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Il y a donc deux forces en jeu, et, en fait, elles sont interreliées. Nous espérons donc que, quand le projet de loi S-4 sera examiné, ils vont, en fait... même si, selon ce que je comprends, le ministre et les fonctionnaires du ministère de la Justice n'étaient pas disposés à en parler.
    À tout moment du processus d'examen de la LPRPDE, dont le projet de loi S-4 est le point culminant, les avocats du ministère de la Justice étaient présents et agissaient au nom de la sécurité publique et représentaient d'autres personnes, surtout lorsqu'il s'agissait des dispositions du paragraphe 7(3), et je ne voudrais vraiment pas... Parce qu'ils interagissent, si on regarde un rouage séparément d'un autre rouage, on ne verra pas comment ils fonctionnent ensemble, et cela doit faire l'objet d'une discussion approfondie.
    Merci beaucoup.
    Je remercie nos témoins du jour. C'était une excellente discussion sur le projet de loi C-13 et sur les problèmes auxquels le comité fait face.
    Jeudi, cette semaine, le ministre et des fonctionnaires viendront parler du budget principal, puis nous reprendrons le traitement du projet de loi C-13, probablement au moins jusqu'à la première semaine de juin. Ensuite, nous procéderons à l'étude article par article. Par conséquent, surveillez-le bien. C'est le calendrier.
    Sur ce, la séance est levée.
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