:
Bonjour, monsieur le président, chers membres du comité.
[Traduction]
Merci de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui pour parler du projet de loi qui vise à accroître la protection des enfants victimes d'infractions sexuelles et veiller à ce que les victimes ne soient pas de nouveau traumatisées par des contacts non souhaités avec leur agresseur.
Voici tout d'abord un bref aperçu du mandat de notre Bureau. Comme vous le savez sans doute, le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels a été créé en 2007 pour donner une voix aux victimes au niveau fédéral. Il s'acquitte à cette fin de son mandat, qui est le suivant: recevoir et examiner les plaintes de victimes; fournir des renseignements et des orientations aux victimes d'actes criminels en vue de promouvoir et de leur faciliter l'accès aux programmes et aux services fédéraux; promouvoir les principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité; faire mieux connaître au personnel de la justice pénale et aux décideurs les besoins et les préoccupations des victimes; déceler les problèmes systémiques et nouveaux qui influent négativement sur les victimes d'actes criminels. L'aide que le Bureau procure aux victimes se présente de deux façons: individuelle et collective. Il aide les victimes de manière individuelle, en leur parlant au quotidien, en répondant à leurs questions et en traitant leurs plaintes. Il les aide de manière collective, en étudiant des questions importantes et en présentant au gouvernement du Canada des recommandations sur la façon d'améliorer ses lois, ses politiques et ses programmes, de façon à mieux soutenir les victimes d'actes criminels.
Je commence mes commentaires sur le projet de loi en affirmant mon appui à l'objet de ce projet de loi, et je salue les efforts de M. Warawa visant à faire reconnaître davantage les victimes d'actes criminels dans le système canadien. Le projet de loi comprend deux volets dont je voudrais parler aujourd'hui: l'ajout dans les ordonnances d'interdiction rendues en vertu de l'article 161 d'obligations visant les délinquants ayant commis des actes criminels de nature sexuelle contre des enfants de moins de 16 ans et la réduction ou la suppression des contacts non souhaités entre les victimes et les délinquants leur ayant causé un préjudice.
À l’égard du premier article du projet de loi, j'appuie bien sûr des mesures visant à protéger les enfants victimes et l'intention de cet amendement. Cependant, je tiens à signaler deux points à approfondir. Le premier est le libellé du projet de loi, lequel interdit aux délinquants de se trouver à moins de deux kilomètres de la maison d'habitation de la victime, en l'absence du père, de la mère, d'un tuteur ou de toute autre personne qui en a la garde ou la charge légale. À l'évidence, l'intention est ici de protéger la sécurité de la victime et aussi de la protéger de tout traumatisme supplémentaire. Cependant, j'ai lu dans les diverses transcriptions et dans les débats sur le projet de loi que M. Warawa rapporte qu'une famille de sa circonscription était traumatisée en permanence, sachant que le délinquant ayant causé un préjudice à son enfant vivait tout près. Il faut souligner que dans de telles affaires, ce n'est non seulement la personne ayant directement subi l'attaque ou le préjudice qui souffre du traumatisme de voir ou de s'attendre à voir le délinquant mais aussi les membres de la famille et les êtres chers. En gardant ceci à l'esprit, je propose que même si le sens de cet article est louable, les victimes bénéficieraient d'une protection accrue s'il prévoyait simplement qu'il soit interdit au délinquant de se trouver à moins de deux kilomètres de la maison d'habitation de la victime, où que se trouvent les parents ou tuteurs.
Le Bureau a été saisi de plusieurs dossiers semblables — y compris dans des affaires sans rapport avec des enfants — dans lesquels la proximité du délinquant causait énormément d'anxiété, de gêne et de traumatisme récurrent à la victime. Au cours du présent exercice, nous avons eu depuis avril 10 dossiers de victimes inquiètes de la proximité du délinquant leur ayant causé le préjudice et inquiètes pour leur propre sécurité. Tout en comprenant que ma remarque se situe hors de la portée des amendements possibles apportés à ce projet de loi, je tiens à faire valoir au comité que si cet article était appliqué de façon plus large, de nombreuses victimes, pas seulement celles de moins de 16 ans, pourraient en bénéficier.
Je souligne par ailleurs que le délinquant à qui il est interdit de se trouver à moins de deux kilomètres de la maison d'habitation de la victime — surtout si le délinquant n'a aucune connaissance antérieure de l'adresse ou du lieu de résidence de la victime — il ou elle saura, dans une certaine mesure, où habite la victime. Ce point n'est pas anodin. Ici encore, même si j'appuie sans réserve le sens, je remarque que le texte ne prévoit aucun détail sur la façon dont le délinquant sera notifié de la ou des zones à éviter, ni sur la mesure dans laquelle la vie privée et le lieu de résidence de la victime peuvent être ou seront protégés. Il sera donc impératif, dans la mise en œuvre et l'élaboration plus approfondie de ces changements, de mettre en place des garanties procédurales rigoureuses afin d'assurer la protection de la vie privée des victimes, surtout dans les affaires où le délinquant n'a aucune connaissance antérieure de leur adresse ou de leur lieu de résidence.
La deuxième partie du projet de loi, qui vise à éliminer les contacts non souhaités et potentiellement traumatisants entre les victimes et le délinquant leur ayant causé le préjudice, accomplit ce qui manque souvent dans notre système de justice: tenir compte en amont des besoins des victimes et y répondre. Cette condition aurait certes pu avoir été imposée auparavant, mais c'est un grand pas en avant à mon avis que d'obliger l'autorité compétente à tenir compte des victimes. Ce qui aussi est important à ce propos, c'est que cela prévoit une certaine souplesse judiciaire de façon à autoriser les contacts s'ils peuvent s'avérer souhaitables. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire des suppositions au nom des victimes. Nous savons qu'en réalité, la majorité de la criminalité n'est pas le fait d'inconnus. Selon l'étude dans de nombreux sites effectuée par le ministère de la Justice sur les organismes de services aux victimes — à l'aide du profil instantané de la journée en 2006 — 61 % des victimes d'agression sexuelle étaient de la famille du délinquant ou d'anciens partenaires intimes de celui-ci et 80 % des victimes d'agressions sexuelles violentes étaient de la famille du délinquant ou d'anciens partenaires intimes de celui-ci.
De plus, toujours selon l'étude, les Canadiens sont plus susceptibles de subir un préjudice de la part de quelqu'un de leur famille que de la part d'inconnus. Dans les homicides résolus en 2009, 33,6 % des victimes ont été tuées par un membre de leur famille. À propos des contacts avec les délinquants, selon le Regroupement canadien d'aide aux familles des détenu(e)s, environ 30 % des victimes inscrites décident de rester en contact avec le délinquant leur ayant causé le préjudice, surtout si le délinquant est de leur famille.
Si l'on considère que la victimisation a souvent lieu dans le contexte de la famille, il devient crucial de prévoir une certaine souplesse pour les possibilités de réparation. Cependant, on ignore pour l'instant quelle procédure serait mise en place pour obtenir le consentement des victimes à la communication, et si ce consentement pourrait à tout moment être susceptible de révocation.
Je propose que soit mise en place une procédure administrative très précise pour que les victimes puissent consentir à la communication et qu'elles puissent à tout moment révoquer leur consentement.
À ce sujet et à la lecture des débats, je me rends compte que l'on s'est demandé si le fait d'exiger que les juges donnent par écrit les motifs de leur décision de ne pas imposer de restrictions au contact entre le délinquant, les victimes ou les témoins représenterait une charge lourde. Dans le cas des juges, la possibilité de verser leur déclaration au dossier ne restreint pas indûment la possibilité pour les victimes d'obtenir ces renseignements, puisque les transcriptions d'audience sont accessibles.
Je tiens toutefois à préciser que nous ne devons pas perdre de vue que les juges ne sont pas les seules autorités compétentes. Dans les cas de libération conditionnelle ou de permission de sortir sans escorte et où la Commission des libérations conditionnelles du Canada est l'autorité compétente, tout ce qui n'est pas consigné par écrit ne pourra être communiqué à la victime, ce qui réduit ou limite les renseignements auxquels les victimes peuvent avoir accès à l'égard du délinquant qui leur a nui à elles et à leur sécurité personnelle.
Si les autorités compétentes sont des directeurs de pénitencier, aucun renseignement n'est jamais communiqué aux victimes, exception faite de la décision finale rendue. Il s'agit d'un problème plus vaste dont s'occupe le Bureau. Pour ce qui est du projet de loi, je pense toutefois que les directeurs de pénitencier, aussi appelés directeurs d'établissement, devraient également être tenus de communiquer par écrit aux victimes les motifs de la non-imposition d'une ordonnance de non-communication ou de restrictions géographiques.
Quand ces conditions n'ont pas été imposées, les victimes devraient avoir le droit de le savoir, elles devraient pouvoir en connaître les raisons, afin de mieux comprendre la façon dont leur sécurité a été prise en compte et les risques possibles auxquels elles peuvent être confrontées, notamment celui de contacts avec le délinquant.
Finalement, je vous fais part enfin de deux propositions d'amendement relatives à des aspects plus techniques du projet de loi. Il y a en premier lieu le fait que l'ordonnance de surveillance de longue durée ne figure pas sur la liste des circonstances dans lesquelles il doit y avoir imposition de l'ordonnance de non-communication. L'ordonnance de surveillance de longue durée s'applique aux infractions de nature sexuelle, y compris celles commises contre des enfants; il s'agit d'une ordonnance particulière visant à autoriser une certaine surveillance pendant 10 ans au plus, après l'expiration du mandat, dans les cas où l'on craint la récidive.
Étant donné le sens du projet de loi, je porte à votre attention une proposition d'amendement en vue d'y inclure l'ordonnance de surveillance de longue durée.
Il y a en deuxième lieu l'article intimant au délinquant de s'abstenir de communiquer, directement ou indirectement, avec toute personne — victime, témoin ou autre — identifiée dans l'ordonnance, sauf si la victime consent à la communication, ou d'aller dans un lieu qui y est mentionné.
Selon ce scénario, et du fait de l'emploi de « ou », le délinquant qui observe la partie un ne serait pas forcément tenu par la loi d'observer l'autre condition. C'est pourquoi j'estime qu'il pourrait être plus efficace de supprimer « ou » et de le remplacer par « et », ce qui autoriserait les cas dans lesquels il y a à la fois ordonnance de non-communication et application de restrictions géographiques.
En résumé, j'appuie l'adoption du projet de loi C-489, et je vous incite à tenir compte des points que j'ai soulevés aujourd'hui pour apporter à son libellé quelques amendements mineurs mais importants.
Pour terminer, je souligne combien il est important de veiller à ce que la vie privée et la sécurité des victimes soient une priorité au moment de la mise en application de ces articles. Nous devons absolument nous assurer que les garanties procédurales nécessaires fassent partie de la mise en œuvre de ces nouvelles mesures et que les victimes soient prises en considération et protégées.
Je vous remercie de votre attention. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
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Merci. Bonjour monsieur le président, bonjour mesdames et messieurs.
Je m'appelle Michael Spratt et je suis avocat de la défense. J'exerce ma profession ici à Ottawa au cabinets d'avocats Webber Goldstein Abergel. Je comparais aujourd'hui en qualité de représentant de la Criminal Lawyers' Association. Vous le savez sans doute, la Criminal Lawyers' Association a été fondée en 1971 et compte plus de 1000 avocats de la défense de partout au Canada. C'est un grand plaisir d'être ici pour apporter notre contribution à l'examen de cet important projet de loi.
La Criminal Lawyers' Association appuie les lois qui sont nécessaires, équitables, constitutionnelles et fondées sur des preuves. Compte tenu de ces principes, je peux annoncer que nous appuyons le sens et les objectifs du projet de loi, mais je voudrais soulever quelques points que nous trouvons préoccupants dans le libellé, puis quelques problèmes potentiels au plan de la mise en oeuvre.
Cela dit, je voudrais, à titre d'exemple, aborder particulièrement les articles 1 et 2 qui traitent des ordonnances et des conditions de probation obligatoires.
Premièrement, l'article 1 du projet de loi vise à ajouter l'option d'une restriction géographique entre le délinquant et la victime. En principe cela ne pose absolument aucun problème. La condition n'est pas obligatoire; elle sera prise en considération et peut être appliquée. Le Code criminel donne effectivement au juge le pouvoir discrétionnaire d'ajouter des conditions ou des exceptions à la restriction géographique, ce que nous jugeons positif.
Je pense que la question que l'on se pose en toute logique est comment a-t-on décidé des deux kilomètres. Je conviens qu'il est important d'avoir la possibilité d'imposer une telle restriction géographique et que c'est quelque chose dont les juges devraient tenir compte. Mais si un juge peut exercer un pouvoir discrétionnaire pour ce qui est des exceptions et des conditions, pourquoi ne peut-il pas l'exercer pour imposer un rayon géographique? Il est évident que dans certains cas on peut opter pour un plus petit rayon et dans d'autres un rayon plus grand. Les juges sont au courant des faits liés aux affaires, de la situation des délinquants et, ils doivent bien sûr — en vertu de nos lois régissant la détermination de la peine — entendre le point de vue de la victime. Les juges chargés de déterminer la peine sont les personnes les mieux placées pour imposer la restriction géographique appropriée, qu'elle soit de 500 mètres, d'un kilomètre, de deux kilomètres ou plus.
Il est vrai que notre mémoire indique qu'un projet de loi trop précis qui fait ensuite l'objet d'une application générale pose toujours problème. Cela peut créer des difficultés au niveau de la mise en oeuvre et également de l'application de la loi. Nous sommes pour l'approche plus souple, soit un projet de loi général pouvant être ensuite appliqué à des cas précis au moyen du pouvoir judiciaire discrétionnaire. Un cercle d'un rayon de deux kilomètres peut s'avérer trop grand dans des petites villes, en raison de leur superficie.
Bien sûr, le problème existe aussi dans des grandes villes, un rayon de deux kilomètres peut être trop grand compte tenu des centaines de milliers de personnes qui y vivent et du nombre important d'endroits. Cela est particulièrement vrai pour le nombre d'endroits, souvent côte à côte dans des zones urbaines, qui offrent des programmes visant à faciliter la réinsertion sociale des délinquants, et ce dans l'intérêt de tous. Ottawa est l'un des meilleurs exemples de ce genre de situation.
Le Code criminel prévoit que les juges seront en mesure d'ajouter des exceptions aux conditions. Cependant, si on constate qu'un rayon géographique précis ou de deux kilomètres est un problème et que pour résoudre le problème, on ajoute une exception après l'autre; cette démarche n'est pas la solution idéale. Franchement, une telle situation se traduit par davantage d'incertitude et d'erreurs de détermination de la peine. Finalement, il sera beaucoup plus difficile d'appliquer la condition. Pour régler ces problèmes, il serait préférable de recourir au pouvoir judiciaire discrétionnaire; c'est ce que nous préconisons dans notre mémoire. Somme toute, les juges devraient pouvoir imposer une restriction géographique fondée sur des preuves et appuyée par les faits liés au cas. Cette exception géographique ne devrait pas être décidée en vase clos, mais en salle d'audience.
Passons aux conditions de probation à l'article 2. Cet article fait référence à une condition de non-communication obligatoire entre le délinquant et la victime, des témoins ou d'autres personnes identifiées. Encore une fois, l'inclusion d'une exception dans cette ordonnance mandatoire est positive. Il est vrai que l'article 732.1 du Code criminel prévoit déjà l'imposition de conditions de ce genre, bien qu'elles ne soient pas obligatoires. Dans la plupart des cas, et en tant qu'avocat de la défense très sollicité, je peux vous dire que les tribunaux imposent régulièrement ces conditions. Par exemple, dans les cas de violence conjugale, on donne toujours à la victime la possibilité de s'exprimer, et si elle souhaite ne pas avoir de contact, une condition de non-communication est imposée. Je n'ai jamais vu une mesure allant dans le sens contraire.
Dans les cas de vols qualifiés, d'introductions par effraction, de fraudes et même de vols dans les magasins à grande surface, il y a presque toujours des dispositions qui interdisent la communication entre le contrevenant et la victime, qu'il s'agisse d'une personne ou d'une grande surface. Même si la victime veut communiquer avec le contrevenant, une condition de non-communication est tout de même imposée par les tribunaux, sauf dans les cas où la victime fournit un consentement écrit et révocable.
Bien franchement, d'après ce que je vois au tribunal, je pense que les modifications proposées ne sont pas tout à fait nécessaires.
Le libellé de l'exception que l'on trouve dans la mesure législative est une question plus pratique dont il faut tenir compte. L'exception prévoit que la personne visée donne son consentement et qu'une exception peut être établie. La question est de savoir si le consentement doit être donné lorsque la condition est imposée ou s'il peut être donné plus tard. Par exemple, la condition peut-elle être qu'on doit s'abstenir de communiquer avec la personne sauf si elle y consent, et que la victime peut donner son consentement au moment de l'imposition de la peine et l'annuler plus tard, ou encore que la victime ne peut donner un consentement avant un certain temps? Selon moi, c'est une question qui doit être clarifiée.
Je crois que la dernière interprétation est probablement la bonne. Je présume que selon l'interprétation des rédacteurs, la victime peut donner ou annuler son consentement, non seulement au moment de l'imposition de la peine, mais aussi plus tard. Cela semble logique, puisqu'on permet une certaine latitude et, au bout du compte, on donne du pouvoir à la victime. On éviterait ainsi les situations absurdes où une victime donne son consentement au moment de l'imposition de la peine, mais ne veut pas de communication plus tard, et est incapable d'annuler son consentement en raison de l'imposition d'une condition. C'est un point d'interprétation qui peut nécessiter des éclaircissements.
En fin de compte, le Code criminel est déjà une loi très compliquée et très lourde. On doit se poser la question suivante: si ces mesures sont mises en place, si la latitude existe déjà, est-il nécessaire d'ajouter des conditions supplémentaires ou obligatoires au Code criminel? Évidemment, cette question relève du Parlement. Mais à mon avis, le pouvoir discrétionnaire et l'exercice de ce pouvoir assurent déjà un bon équilibre à cet égard.
Je vais maintenant parler brièvement des motifs. Le paragraphe 2(2) oblige le tribunal à donner les motifs par écrit. Certaines personnes ont dit que les tribunaux ne sont pas tenus de fournir un motif à l'imposition de conditions, mais ce n'est pas tout à fait vrai. Il est vrai qu'il n'y a pas d'obligation d'origine législative en l'occurrence dans le Code criminel pour exiger que des motifs soient appliqués, mais il y a des obligations en common law, et les tribunaux sont tenus de donner les motifs justifiant les décisions importantes. Je dirais que s'écarter d'une condition obligatoire ou utiliser son pouvoir discrétionnaire pour ne pas imposer une condition demandée par un procureur relativement à la communication avec les victimes est le genre de situation qui obligerait les tribunaux à fournir les motifs en common law. Dans cette optique, je doute que la modification contenue dans le paragraphe 2(2) soit vraiment nécessaire.
Sur le plan pratique — et je comprends qu'il existe une différence entre les commissions des libérations conditionnelles et les tribunaux de première instance —, lorsqu'il s'agit de tribunaux de première instance, l'exigence relative aux motifs écrits est inutile. Les motifs donnés de vive voix devraient suffire. Il n'y a aucune raison valable d'exiger des motifs écrits. J'estime que si cette disposition est incluse... évidemment le fait d'ajouter d'autres dispositions indiquant que des motifs sont requis ne va pas changer la façon de faire, mais je proposerais un amendement visant à permettre également les motifs donnés de vive voix.
Les motifs sont exposés de vive voix dans des décisions très importantes liées à la culpabilité ou à l'innocence. Les motifs rendus oralement sont suffisants lors de l'imposition de longues peines d'emprisonnement. Les motifs rendus oralement sont consignés et devraient suffire. C'est important dans les tribunaux achalandés, où prendre le temps de transcrire ce qu'une personne dit — en fait, ces motifs rendus oralement sont déjà transcrits — est long et retarde le processus, ce qui n'est vraiment pas souhaitable. Voilà pourquoi je dis que les motifs donnés de vive voix devraient suffire.
Cela étant dit, je pense que l'intention et les objectifs du projet de loi sont louables et que bon nombre des mesures que le projet de loi vise à imposer existent déjà dans nos tribunaux.
Je demande instamment au comité de clarifier le libellé de certaines dispositions du projet de loi et peut-être d'envisager l'utilisation du pouvoir discrétionnaire, qui est déjà intégré à certaines de ces exceptions et dispositions, afin de permettre une application plus adaptée aux faits en cause, pour que l'on puisse prendre tous les faits en considération d'entrée de jeu.
Merci.
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Je vous remercie tous les deux de votre présence.
Tout le monde s'entend pour dire que ce projet de loi est rempli de bonnes intentions. Par contre, dans les détails, il pose certains problèmes. Le gouvernement, l'opposition officielle et les témoins qui ont comparu devant nous ont tous constaté que l'application de l'article relatif aux 2 km pourrait être problématique. J'apprécie vos commentaires, et vous serez probablement heureux de savoir que des amendements seront présentés au moment de notre examen du projet de loi article par article.
J'aimerais que vous fassiez plus de commentaires. Madame O'Sullivan, nous apprécions vraiment le travail que vous faites. Vous êtes un peu
[Traduction]
le protecteur des victimes, et elles en ont vraiment besoin.
[Français]
Plusieurs personnes sont venues nous parler ici, et nous réalisons que ce qu'elles vivent n'est pas facile. Le système de justice peut leur sembler parfois si froid, si inhumain, ce qui est un peu malheureux. C'est pourquoi toute tentative en vue de trouver un équilibre et de leur redonner un peu d'importance à l'intérieur du processus est importante. Ces gens sont souvent démunis et seuls dans ce processus; ce n'est pas facile pour eux. Avec ces dispositions, ils seront peut-être plus en sécurité, mais je ne suis pas certaine qu'ils se sentiront comme partie prenante du processus.
Dans votre discours, vous avez dit qu'avec ce projet de loi, on tenait davantage compte des victimes. Est-ce suffisant? Que pouvons-nous faire de plus? Nous essayons de voir ce que nous pourrions faire de plus pour donner aux victimes le sentiment que justice a été rendue à leur égard.
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Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins d'être là.
Madame O'Sullivan, on vous a peut-être dit que la dernière fois que nous nous sommes penchés sur ce projet de loi, les parents des victimes se sont manifestés. Il s'agissait d'un témoignage très bouleversant au sujet d'une victime qui avait subi les abus de son agresseur pendant une longue période. Elle avait trouvé le courage de traîner le délinquant en justice. Après avoir passé quelques mois en prison, le délinquant a reçu la permission de retourner à la maison, laquelle était située juste en face de l'endroit où vivait la victime. Tous les jours, elle le voyait. Tous les jours, les parents de la victime le voyaient.
Pour moi et, je crois, pour d'autres membres de notre comité, ce témoignage a vraiment mis en évidence l'impact que l'infraction a pu avoir non seulement sur la victime, mais aussi sur les autres membres de la famille, et nous a révélé l'existence d'un processus de guérison auquel doivent s'astreindre la victime, la famille et d'autres personnes du voisinage lorsque sont commis des crimes de cette nature.
Que pensez-vous de l'argument formulé par certaines personnes, dont M. Easter et d'autres encore, voulant que le système soit adéquat dans la plupart des cas? Combien de personnes sont vraiment visées par ce projet de loi? Si ce dernier n'aide pas une grande quantité de gens en rendant absolument obligatoire pour les tribunaux de tenir compte de l'impact qu'aura l'emplacement physique de l'agresseur sur la victime, pourquoi s'en soucier?
En pensant aux victimes que vous rencontrez, quel est votre point de vue à propos de cet argument?
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Eh bien, l'impact est énorme, de toute évidence. Si nous voulons des collectivités saines et sécuritaires, nous devrons rechercher l'équilibre et voir au bien-être de tous. Si nous, les acteurs du système judiciaire, adoptons le point de vue de la victime et tenons compte de ce qu'elles ont à dire et de leurs besoins, cela aidera également les familles.
Voici le genre de choses que nous entendons lorsque les gens viennent nous voir. Ils demandent: « Ont-ils seulement tenu compte des risques et de ma sécurité? » Dans la même veine, ils demanderont comment la décision a-t-elle pu être prise de relâcher le délinquant alors qu'il vit à un coin de rue de chez eux, ou juste en face, dans leur voisinage immédiat, et l'impact qu'il pourra avoir sur eux...
Au moins, maintenant, les décideurs seront tenus d'examiner ces données. Ils devront être proactifs. Ils devront coucher par écrit pourquoi ils prennent ces décisions, et cette information sera disponible. Cela signifie qu'ils devront parler avec les victimes. Ils devront entendre ce qu'elles ont à dire sur leurs inquiétudes et leur sécurité. Les victimes pourront ainsi croire que leur sécurité sera prise en compte au moment de prendre la décision. Je crois que c'est un grand bond en avant.
J'ai quelques statistiques avec moi. Par exemple, j'ai recommandé que l'on répertorie et que l'on examine les ordonnances de surveillance de longue durée. Je peux vous dire qu'en date du 15 avril 2012, les tribunaux avaient imposé 768 ordonnances de surveillance de longue durée. De ce nombre, 71 % s'étendaient sur une période de 10 ans. À l'heure actuelle, 680 délinquants ont une ordonnance de surveillance de longue durée. De ce nombre, 463, ou 68 %, ont présentement à leur dossier au moins une condamnation pour infraction sexuelle.
J'ai aussi des données d'un rapport statistique de Statistique Canada sur les crimes chez les adultes au Canada pour 2011-12. En 2011 et 2012, la période de probation était la peine la plus fréquemment donnée dans les tribunaux pour adultes, soit dans 45 % des causes. Le rapport indique que 45 % des peines étaient une période de probation et que 4,6 % étaient des condamnations avec sursis.
Ils se servent de ces chiffres, si je ne me trompe pas. J'ai mon assistant de recherche avec moi. Est-ce que c'est 110 885? Est-ce le bon chiffre?
Certaines données sont disponibles dans ce rapport. Je parle du rapport Statistiques sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes au Canada. Il y a des données à ce sujet, mais je veux quand même appuyer ces commentaires par ceci: il s'agit en fait de se soucier de la façon dont la victime d'un crime peut savoir de façon proactive que sa sécurité est prise en compte lorsque ces décisions sont prises en matière de libération, notamment lorsque le délinquant est renvoyé dans sa collectivité.
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Vous soulevez là un très bon point.
Comme je l'ai dit, il faut mettre en place des garanties procédurales, particulièrement lorsque le délinquant ne connaît pas l'adresse de la victime.
Le Canada est un pays très vaste. Comme bien des gens ici présents l'ont souligné, il y a toutes sortes de collectivités: les petites localités rurales, les collectivités situées dans le Nord, celles qui ne sont accessibles que par avion et, enfin, les grands centres urbains. Pour ce qui est d'imposer une restriction géographique, on pourrait, par exemple, demander que la victime donne un consentement préalable par écrit pour signifier qu'elle accepte la limite de deux kilomètres. Je pense qu'il y a lieu d'élargir le rayon.
Ce sont là certaines des procédures dont on devrait tenir compte, particulièrement lorsque le délinquant ne sait pas où réside la victime. Selon moi, tout le monde ici reconnaît que c'est une question de bon sens dans les cas où un délinquant est réinséré dans la société.
Je veux surtout que nous nous assurions que les garanties procédurales mises en place sont accompagnées d'un processus qui tient compte des victimes.
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D'après mon expérience, je peux vous dire qu'on ne divulgue jamais à un délinquant l'adresse de résidence de la victime. Cela va à l'encontre du but recherché, et cela ne se fait pas.
N'empêche que certaines dispositions peuvent semer la confusion. Par exemple, si le délinquant ne sait pas que la victime se trouve dans un rayon de deux kilomètres de chez lui, cela peut entraîner des problèmes, entre autres, sur le plan de l'application de la loi.
Lorsqu'on émet une ordonnance de probation, on informe automatiquement l'agent de probation ou la police de l'adresse du délinquant. En cas de changement d'adresse, le délinquant doit en informer les autorités. Il ne fait aucun doute que la police et les agents de probation sont au courant de cette information, qui peut aussi être communiquée à la victime.
Les mesures à l'étude sont certes bien intentionnées, et je ne veux pas qu'on pense que, selon moi, le système fonctionne bien la plupart du temps et qu'on n'a pas besoin de ces mesures. Ces mesures pourraient corriger certaines imperfections, et on en trouve des exemples dans le système; toutefois, si ces mesures ne sont pas mûrement réfléchies et dûment appliquées, elles peuvent créer d'autres imperfections.
Voilà le juste milieu qu'il faut viser, et c'est ce que j'essaie de montrer dans mes observations.
À l'article 1, le premier changement prévu par cet amendement serait l'ajout des mots « ou à moins de toute autre distance prévue » de la victime « ou de tout autre lieu mentionné dans l'ordonnance », immédiatement après les mots « deux kilomètres » dans l'alinéa proposé 161(1)a.1) de l'article 1.
Cet amendement exigerait quand même que les tribunaux tiennent compte de la restriction géographique de deux kilomètres, mais leur permettrait d'imposer une restriction géographique supérieure ou inférieure à cette distance, lorsqu'il est raisonnable de le faire. Par exemple, il pourrait être inapproprié d'imposer une interdiction de deux kilomètres lorsqu'un délinquant vit dans une petite localité. Dans pareils cas, une telle restriction empêcherait les délinquants de rentrer chez eux. Dans d'autres cas, une restriction géographique supérieure à deux kilomètres pourrait s'avérer appropriée. Alors, cet amendement répond en quelque sorte à la préoccupation soulevée, à juste titre, par un de nos témoins.
Le deuxième changement proposé consiste à modifier l'alinéa proposé 161(1)a.1) de l'article 1 en supprimant la mention selon laquelle le délinquant sait ou devrait savoir que la victime est présente ou qu'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle soit présente en l'absence du père, de la mère ou d'un tuteur.
Il y a de quoi s'inquiéter du point de vue de l'application de loi et de l'information. Selon la version actuelle, cette partie de l'article 1 rendrait l'application difficile, car elle ne fournit pas au délinquant une capacité réaliste, dans bien des cas, de se conformer à la condition. Il serait difficile d'intenter des poursuites en cas d'accusations d'infractions, d'autant plus qu'on n'a pas une certitude suffisante que la victime sera protégée par les conditions imposées.
La deuxième nouvelle condition que le projet de loi propose d'ajouter à l'article 161 interdit le délinquant de se trouver dans un véhicule personnel avec un enfant de moins de 16 ans hors de la présence du père, de la mère ou d'un tuteur.
En somme, le gouvernement propose de supprimer cette disposition, étant donné que l'alinéa 161(1)c) du Code criminel — qui est entré en vigueur en août 2010 dans le cadre du projet de loi — traite déjà de cette question et interdit tout acte non supervisé avec un enfant de moins de 16 ans. On s'en est déjà occupé; voilà pourquoi cet alinéa n'est pas nécessaire.
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Eh bien, j'ignore ce qui s'est passé exactement. Je pense que des erreurs sont commises dans les tribunaux. C'est la raison pour laquelle nous avons des dispositions relatives aux appels. Je ne sais pas si c'est une question qui peut faire l'objet d'un appel. Les juges sont humains. Mais chose certaine, d'après mon expérience, je suis d'avis...
L'article 161 vise à faire en sorte que les tribunaux règlent ces questions. Ils y parviennent généralement très bien et commettent très rarement des erreurs. Selon moi, cela ne cadrerait pas tout à fait avec la façon dont nous espérons que ce soit appliqué dans les tribunaux.
Cela dit, il se peut, dans de rares cas, que le tribunal néglige d'imposer une condition et n'expose pas les motifs de sa décision. Serait-il raisonnable de les obliger à préciser leurs motifs? Je suis d'accord avec le témoin précédent. Je ne sais pas si cette exigence ajouterait grand-chose, et je pense qu'elle pourrait avoir des répercussions négatives, car lorsque nous commençons à multiplier les exigences imposées aux tribunaux, il peut devenir difficile de s'y retrouver, et les juges passent alors plus de temps à consulter le code et à s'assurer qu'ils respectent les exigences au lieu d'exercer leur discrétion comme il se doit.
Je ne dis pas que c'est une très mauvaise idée. Nous n'y avons pas encore longuement réfléchi. Lorsque nous avons reçu l'avant-projet de loi, nous nous sommes penchés sur ce qu'il fait et où il fallait apporter des améliorations pour accroître l'uniformité et la clarté. Ce n'était pas l'un des éléments que nous avons examiné attentivement.
Tout ce que je peux dire, c'est que je conviens que cette exigence aura d'énormes répercussions. Est-ce que les tribunaux pourraient tout de même commettre cette erreur, même si l'amendement était apporté? Et quelle en serait l'incidence au bout du compte? Qu'est-ce que le tribunal ferait par après? Je pense qu'il s'agirait d'une erreur administrative, et il n'y aurait pas d'appel, même si je suppose que la victime pourrait insister pour que la condition fasse l'objet d'un appel.
Je ne sais pas trop quelle en serait l'incidence.