:
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, merci de me laisser témoigner devant vous sur le projet de loi , la Loi visant à combattre la contrebande de tabac.
Tout d'abord, je tiens à mentionner que les modifications précises au Code criminel qui sont proposées dans le projet de loi ne changent pas grand-chose aux activités quotidiennes de l'Agence des services frontaliers du Canada. Toutefois, nous n'en prenons pas moins la contrebande de tabac très au sérieux, et nous appuyons l'objectif du projet de loi, qui est de souligner l'ampleur du problème.
Le marché des cigarettes illicites au Canada n'est plus celui des années 1990. En ces temps-là, on voyait surtout des cigarettes canadiennes exportées ou en franchise de droits. Aujourd'hui, ce sont plutôt des cigarettes de marques autochtones fabriquées illégalement que l'on transporte par la voie terrestre, ou encore des cigarettes de marques étrangères, chinoises par exemple, qui entrent chez nous par la poste, par la mer ou par les airs.
[Français]
Entre janvier et octobre 2013, l'ASFC a effectué presque 2 000 saisies de tabac totalisant plus de 21 000 cartouches de cigarettes, 192 000 kg de tabac haché fin, 29 kg de cigares et 1 235 kg d'autres produits du tabac, comme le tabac à mâcher et le tabac à priser.
Le marché du tabac de contrebande est très lucratif et les activités visant à entraver et à empêcher la circulation et l'entrée au pays des marchandises illicites nécessite une participation active des partenaires tant à l'échelle nationale qu'à l'étranger.
L'ASFC collabore avec d'autres ministères, organismes d'exécution de la loi, organisations internationales et gouvernements étrangers sur des questions opérationnelles et analytiques relatives au crime organisé et au marché criminel de la contrebande. Parmi ses nombreux partenaires, l'agence collabore quotidiennement avec la GRC et le service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis sur des questions d'exécution de la loi. La coopération et la collaboration entre nos divers organismes sont établies depuis longtemps et elles vont bien au-delà des questions liées au tabac.
[Traduction]
Avec leurs partenaires américains, l'ASFC et la GRC font partie des Équipes intégrées de la police des frontières. De plus, l'agence et la GRC collaborent à une foule d'opérations mixtes anticontrebande, ce qui leur donne une compréhension commune des capacités, des intentions, des points faibles et des limites des réseaux criminels — compréhension qui, à son tour, les aide à perturber ces réseaux et leur chaîne d'approvisionnement.
Le démantèlement des réseaux criminels impliqués dans la circulation transfrontalière du tabac illicite dépend d'une information et d'un renseignement fiables.
[Français]
L'ASFC a mis en place un programme de renseignement solide et complet auquel la collectivité élargie du renseignement participe et dont elle bénéficie. Cela permet d'appuyer nos activités en matière d'exécution de la loi grâce à des renseignements opportuns, exacts et appropriés.
[Traduction]
Par le plan d'action Par-delà la frontière et sa propre initiative de modernisation de la gestion frontalière, l'ASFC modernise son fonctionnement afin de prendre ses décisions avant que les personnes et les marchandises concernées n'arrivent à la frontière. L'initiative profite grandement aux efforts du gouvernement du Canada contre la contrebande de tabac, puisqu'elle vise une exécution de la loi fondée sur le renseignement. Du coup, elle favorise aussi le commerce et les voyages légitimes. Au fond, gérer la frontière de façon moderne, cela veut dire honorer nos responsabilités envers la sécurité et la prospérité nationales, des responsabilités qui sont plus larges qu'avant.
[Français]
Bien que les informations et les renseignements soient nécessaires, ils ne suffisent pas, en soi, à assurer une exécution efficace de la loi à la frontière. L'agence compte sur un agencement de formation des agents et de la technologie afin d'empêcher les marchandises illicites, y compris les produits du tabac, de traverser la frontière.
[Traduction]
Pour conclure, monsieur le président, l'ASFC reconnaît les défis posés par la circulation transfrontalière du tabac de contrebande, ainsi que la nécessité d'une approche multidisciplinaire pour y répondre. Nous allons continuer de miser sur toutes les ressources à notre disposition pour savoir reconnaître le tabac de contrebande à la frontière et pour l'empêcher d'entrer. Nous allons maintenir la collaboration avec nos partenaires, surtout la GRC, pour appliquer les nouvelles dispositions législatives quand elles entreront en vigueur.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
:
Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Tout d'abord, je tiens à m'excuser d'être arrivé juste à temps.
Merci de m'avoir invité à parler du projet de loi , la Loi visant à combattre la contrebande de tabac. À titre de directeur des centres de coordination de la police fédéral de la GRC, je supervise la convergence des activités d'application de la loi menées par la GRC pour lutter contre la contrebande de tabac. Le projet de loi vise à créer une nouvelle infraction pour le trafic du tabac de contrebande, assortie de peines plus lourdes.
Afin d'aider le comité à examiner le projet de loi , j'aimerais faire un survol de l'ampleur du problème actuel, ainsi que des activités de répression menées par la GRC.
[Français]
La contrebande de tabac demeure une grave menace pour la sécurité publique et, si rien n'est fait pour la réprimer, des organisations criminelles continueront d'en tirer profit au détriment de la sécurité des Canadiens.
[Traduction]
La contrebande du tabac est depuis longtemps une priorité de la GRC. Pour contrer ce type de criminalité en plein essor, le ministère de la Sécurité publique a lancé en 2008 la Stratégie de lutte contre le tabac de contrebande. La stratégie fixe des priorités afin de réduire l'offre et la demande de tabac de contrebande à l'échelle nationale, ce qui a eu une incidence positive et mesurable sur le marché de la contrebande du tabac au Canada. Depuis son lancement en 2008, la GRC a déposé quelque 4 925 accusations et perturbé 66 groupes criminels organisés impliqués dans le marché de la contrebande du tabac.
[Français]
Des organisations criminelles sont impliquées dans la production, la distribution et le trafic de tabac de contrebande et exploitent des communautés des Premières Nations. Dans ces dernières, le trafic de tabac illicite s'accompagne de violence et de tactiques d'intimidation.
[Traduction]
Outre les points d'entrée canado-américains, la contrebande de tabac est très présente dans les régions frontalières de Cornwall et de Valleyfield, le plus gros de l'activité ayant lieu entre les points d'entrée, ce qui présente des difficultés particulières pour l'application de la loi. En 2012, les produits du tabac saisis en cours d'expédition étaient transportés dans des voitures, des motoneiges, des véhicules tout terrain et des bateaux.
Mais les contrebandiers utilisent aussi la voie aérienne et le service postal.
[Français]
Cornwall, en Ontario, est l'une des régions au pays où la contrebande de tabac est la plus forte. C'est pourquoi la GRC fait partie de plusieurs groupes d'enquête conjoints avec des organisations partenaires telle l'Agence des services frontaliers du Canada. Nous travaillons ainsi avec la police mohawk d'Akwesasne, le ministère ontarien des Finances et l'Agence des services frontaliers du Canada, comme je viens de le mentionner, afin de lutter contre le crime organisé impliqué dans la contrebande de tabac et d'autres activités criminelles.
[Traduction]
En avril 2010, la GRC a mis sur pied l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé — Initiative anticontrebande. Basé à Cornwall, ce groupe est chargé de cibler les opérations criminelles impliquées dans la production et la distribution de tabac de contrebande, en collaboration avec ses partenaires d'application de la loi.
[Français]
En 2011, le gouvernement s'est engagé à endiguer la contrebande de tabac en créant un groupe anticontrebande à la GRC. La GRC s'emploie à mettre ce groupe sur pied et prévoit qu'il sera entièrement doté et opérationnel d'ici le printemps 2014. Il renforcera la capacité d'enquête sur le crime organisé et la contrebande transfrontalière de tabac, en plus de cibler les producteurs de tabac sans scrupules et les fabricants illicites. Il comptera également une équipe spéciale affectée à la sensibilisation des producteurs de tabac et des fournisseurs de matières brutes utilisées dans la fabrication des produits du tabac.
[Traduction]
Comme je viens de l'expliquer, la GRC collabore avec d'autres partenaires d'application de la loi sur plusieurs fronts afin de s'attaquer à la contrebande du tabac.
Merci encore de m'avoir invité à prendre la parole devant vous. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Je comprends qu'il est difficile pour vous de répondre à cette dernière question. Il est difficile de connaître la quantité qu'on n'attrape pas lorsqu'on ne la saisit pas. Toutefois, on peut dire que vous saisissez 100 % de ce que vous trouvez.
Des voix: Oh, oh!
M. Blaine Calkins: Je comprends qu'il est difficile de répondre à des questions de ce genre.
Monsieur Leckey et inspecteur Cormier, je vous remercie. Pouvez-vous transmettre ma reconnaissance, au nom de mes électeurs, pour votre travail? Je représente une vaste circonscription rurale du centre de l'Alberta. Nous avons un certain problème concernant des saisies considérables de cigarettes de contrebande qui ont été récupérées auprès d'une bande des Premières Nations qui entreposaient les cigarettes dans des installations appartenant à la bande dans la réserve. En raison de certaines questions relatives aux taxes d'accise provinciales, la saisie et la confiscation ont été considérables. Je sais à quel point ce travail est difficile.
Monsieur Leckey, vous avez parlé d'un nombre élevé de saisies en 2012, c'est-à-dire environ 2 300 saisies totalisant plus de 3 millions de dollars. Quelle est la situation en 2013? Les renseignements fournis par la bibliothèque dévoilent qu'à la fin de l'année 2007-2008, il y avait une augmentation du montant relatif aux produits de contrebande entrants. Il y a eu la déclaration du groupe de travail de la GRC et la stratégie dont on a parlé, et il semble que ce montant diminue, mais il s'agit encore d'un problème considérable.
Où en sommes-nous en 2013? Pourriez-vous faire le point sur la situation?
:
C'est très intéressant. D'après l'information dont je dispose, la production en Ontario et au Québec s'intensifie pour les cultures commerciales légales qui poussent au Canada. Si ce marché se développe, c'est grâce à nos marchés d'exportation dans des pays comme la Chine et la Corée. Nous avons plus de contrebande qui entre et plus de production légale qui sort.
Une fois cette loi adoptée, l'ASFC sera tenue d'intervenir en vertu de la Loi sur l'accise. Sans les dispositions dont nous parlons aujourd'hui, si vous attrapiez quelqu'un, vous devriez remettre l'enquête à la GRC. Pourtant, sans le Code criminel et les modifications qui sont proposés aujourd'hui, la seule façon pour vous d'entreprendre une enquête et de porter des accusations serait de passer par la Loi sur l'accise.
Désormais, nous avons des dispositions du Code criminel qui, je l'espère, seront adoptées par le Parlement. Je serais intéressé de voir qui voterait contre. Le fait est que vous devriez transmettre cela précisément à la GRC. Je ne pense pas qu'au Canada nous ayons un corps policier qui soit responsable en vertu de la Loi sur l'accise. Maintenant, en revanche, à tous les ports d'entrée, qu'il s'agisse de la GRC ou d'autres corps policiers locaux, tous les agents de police peuvent enquêter et porter des accusations en vertu du Code criminel.
Pourriez-vous nous indiquer comment cela va changer la nature de vos relations? Je sais que vous avez d'étroites relations avec la GRC à l'heure actuelle, mais vous devrez étendre ces liens à d'autres forces de police, lorsque ces autres forces de police seront les autorités les plus proches pour vous aider à ce sujet.
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Oui, et il y a différents volets à cette question.
Tout d'abord, il y a la façon dont le tabac illicite est produit. Bon nombre de personnes ne savent pas tout ce que cela comporte. Une partie du tabac qui est produite est balayée de planchers et, pourrait, à l'insu des usagers, contenir des matières fécales de souris ou d'autres substances.
De plus, nous connaissons tous les effets du tabac. Cela fait des années qu'on en fait la publicité. Il y a les effets sur la santé des individus ainsi que les retombées sur les jeunes, essentiellement, qui sont exposés au tabac. Il y a un certain nombre de facteurs qui sont reliés à la santé et à la sécurité des Canadiens et aussi à leur bien-être et à leur sécurité globale.
Lorsque nous parlons d'organisations criminelles qui sont impliquées et qui s'adonnent à de la violence et à des tactiques d'intimidation, comme je l'ai décrit dans mon intervention précédente, ce sont là des choses qui ont des répercussions sur la sécurité des Canadiens.
Merci beaucoup de nous avoir invités à vous faire part de nos commentaires sur le projet de loi.
Comme vous le savez peut-être, nous avons prononcé une allocution sur le même sujet, le printemps dernier, devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Je m'appelle Brian David Tahononsoka:tha et je suis du clan de la bécasse. Je suis chef élu au Conseil des Mohawks d'Akwesasne, un gouvernement élu pour la partie Nord de la communauté d'Akwesasne.
La communauté d'Akwesasne est située à environ 120 kilomètres au sud-est d'Ottawa. Elle se trouve à environ 120 kilomètres de Montréal. Le territoire est situé le long du fleuve Saint-Laurent, près de la ville de Cornwall. Il est traversé par la frontière internationale entre les États-Unis et le Canada.
Comme la plupart d'entre vous le savent, il s'agit d'un environnement de travail où se côtoient plusieurs autorités. Une partie de notre communauté se situe aux États-Unis, une partie, au Canada, une partie, dans la province du Québec et une autre, en Ontario. Il ne s'agit pas là de notre propre découpage, mais de l'évolution constitutionnelle du Canada, avec le Haut et le Bas-Canada, qui sont devenus par la suite le Québec et l'Ontario. Naturellement, la frontière internationale a créé une ligne internationale qui traverse notre communauté. D'où certaines des situations auxquelles nous sommes confrontés.
Étant donné notre situation géographique unique en son genre et notre proximité des centres urbains comme Ottawa, Toronto, Syracuse, Boston et Philadelphie, les familles criminelles s'en donnent à coeur joie et tirent parti de cette région géographique stratégique pour faire des aller-retour de marchandises et traverser la frontière. Le gros de ces activités s'est produit au début des années 2000 jusqu'à environ 2009. D'après le témoignage précédent, je crois comprendre que ces activités ont atteint un sommet en 2009 et que les choses se sont peu à peu ralenties, probablement grâce aux interventions des organismes d'application de la loi à la frontière, comme l'ASFC.
Je vais être franc avec vous et vous dire qu'en partie, notre problème — et vous avez tous un exemplaire de mon allocution, à titre de référence — c'est que notre communauté a fait d'énormes investissements pour veiller à ce que le fleuve Saint-Laurent soit un endroit sûr pour les loisirs. Le fleuve signifie beaucoup pour nous. Il définit probablement notre identité et qui nous sommes. La plupart d'entre nous ont grandi avec ce fleuve. Le fleuve a été un moyen de subsistance pour nous. Nous y avons pêché. Nous avons fait du piégeage sur ses rives. Nous nous sommes servis du fleuve comme voie de transport.
Tout au long de notre histoire, il y a eu des vagues d'activités semblables. Ainsi, dans les années 1930, la prohibition avait créé le trafic d'alcool vers les États-Unis. Dans les années 1960, c'était le tour des drogues douces et de l'essence. Aujourd'hui, nous nous retrouvons avec ce que les autorités estiment être la contrebande de tabac. Et je dis « les autorités », car c'est une façon détournée de dire que nous ne considérons pas vraiment qu'il s'agit de contrebande tant que le tabac n'a pas quitté le territoire.
L'investissement que nous avons effectué visait à faire le ménage dans la région du fleuve pour qu'on puisse retrouver un sentiment d'appartenance et nous adonner à nos activités ancestrales, 24 heures sur 24. Il fut un temps où il était très dangereux pour les membres de notre communauté de se rendre sur le fleuve la nuit pour, admettons, pêcher ou naviguer en pleine nuit, car nous ne savions pas qui s'y trouvait. Il pouvait y avoir des gens d'Akwesasne, de Montréal ou de n'importe quelle famille criminelle qui faisait affaire dans cette région. Il s'agissait simplement d'un endroit dangereux. Depuis, nous y avons remis de l'ordre.
Si je dis cela, c'est parce que, selon certains, le aura pour effet d'encourager les gens qui ont beaucoup à perdre à s'adonner à des activités de trafic.
Au contraire, le projet de loi permettra d'identifier les personnes qui n'ont vraiment pas grand-chose à perdre, les personnes à risque élevé. Il encouragera les organisations criminelles familiales à retourner dans la région du fleuve et à rendre l'endroit dangereux à nouveau. C'est ce qui nous préoccupe. La loi que propose le Canada aura un impact sur notre collectivité. Nous nous devons d'alerter le gouvernement lorsqu'une situation a des conséquences négatives pour la collectivité. Vous êtes le gouvernement.
Voici un autre problème qui se pose: l'objectif du Canada est de — comment le dire? — dissocier directement les organisations criminelles familiales au Canada. Du moins, c'est l'objectif déclaré aux audiences du Sénat. S'il en est ainsi, pourquoi étudions-nous une loi qui s'attaque aux contrebandiers? Pourquoi ne nous penchons-nous pas sur une loi qui vise les organisations criminelles familiales? Pourquoi n'envisageons-nous pas une loi comme la loi RICO aux États-Unis? Pourquoi n'y a-t-il pas une loi qui vise les organisations criminelles familiales au Canada? Pourquoi envisageons-nous une loi qui est au bas de l'échelle, qui a peu d'impact et qui ne vise que les symptômes associés à ce genre d'activités?
J'estime qu'il faudrait envisager une loi qui est beaucoup plus dynamique et plus directe, mais je sais qu'il en revient au Canada de voir comment aborder la question. Nous sommes ici, car nous sommes préoccupés par l'impact que cela aura sur nos collectivités.
Ceci pourrait avoir des conséquences négatives quant à la façon dont on maintient l'ordre dans nos collectivités. Nos services de police n'ont pas reçu d'augmentation importante depuis 2004, et c'était à l'époque un service sous-financé. Les services de police ont été établis essentiellement pour assurer la patrouille routière. Nous n'y arrivons pas dans la collectivité. Vous le voyez dans les manchettes: 60 % des activités se déroulent sur le fleuve. Nous ne sommes pas outillés pour effectuer des patrouilles maritimes; pourtant, on nous demande de mener des activités et d'en être responsables sans qu'on nous fournisse un financement suffisant et équitable. C'est un problème.
J'ai une autre question légèrement différente à soulever auprès de vous. Il y a quelque temps, la Cour suprême a rendu une décision dans l'affaire Gladue, si je ne me trompe pas. En gros, la cour a statué que si une personne autochtone était reconnue coupable d'un crime, il fallait que le juge tienne compte, dans la détermination de la peine, des aspects culturels et socioéconomiques. Cette décision a été mise en application. Il y a maintenant un accord bilatéral entre Akwesasne et le Québec, ainsi qu'entre Akwesasne et l'Ontario pour des programmes de déjudiciarisation et de travaux communautaires.
Le projet de loi n'en tient pas compte. En fait, il semble contrecarrer l'intention qui sous-tend les principes de l'arrêt de la Cour suprême. À preuve, il prévoit des peines minimales et maximales. Le juge n'a plus le pouvoir discrétionnaire de déjudiciariser certains cas en vue de les renvoyer à la collectivité. Le projet de loi les criminalise. C'est une façon subtile d'aller à l'encontre de l'intention explicite de la décision qu'avait rendue la Cour suprême à l'époque.
Ces questions nous préoccupent au plus haut point. Voilà donc certains des aspects pratiques qui ne se trouvent pas dans le projet de loi . Si le Canada veut l'adopter, il faudra se poser la question très pratico-pratique: qu'entend-on par « tabac »? Comment l'avez-vous défini? Le tabac est-il simplement du tabac? Qu'en est-il du tabac cérémonial? Que se passera-t-il lorsqu'un résidant d'Akwesasne cultive du tabac spirituel et décide d'en faire le commerce avec les Six Nations ou Kahnawake? Quelqu'un a dit que la police saurait faire la distinction, mais ce n'est pas le cas. Le tabac cérémonial est une culture tout à fait différente, et cet aspect n'est même pas traité dans la loi.
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Je pourrais soulever parler de certaines de nos recommandations.
Nous comprenons ce que le Canada essaie de faire en réaction à la contrebande de tabac non réglementé. Akwesasne essaie aussi de rectifier la situation, mais nous nous y prenons d'une façon différente. Grâce à l'élaboration d'une structure de gouvernance et à nos efforts conjugués, nous pourrons trouver une meilleure voie d'avenir. Voici donc nos recommandations en réaction au projet de loi .
Premièrement, respectez les initiatives en cours entre l'Ontario et le Québec à Akwesasne. J'espère que les initiatives répondront aux nombreuses questions qui se posent dans des domaines tels que la fabrication, la vente en gros et au détail et le commerce avec d'autres Premières Nations.
Deuxièmement, permettez l'élaboration de structures de gouvernance et d'une loi sur le tabac pour Akwesasne. Les efforts concertés à cette fin sont beaucoup plus efficaces que l'imposition d'amendes plus lourdes et de peines d'emprisonnement obligatoires, car cela ne fera qu'augmenter le nombre de détenus autochtones, lesquels sont déjà surreprésentés dans les prisons.
Troisièmement, établissez un protocole fédéral avec Akwesasne, protocole qui reconnaît les programmes de justice d'Akwesasne tels que le programme Kanikonri:io ou le programme Good Minds, qui est déjà en vigueur. Ce protocole pourrait servir de partenariat pour trouver ensemble des solutions à la question de la gouvernance du tabac.
Si vous devez dépenser de l'argent au maintien de l'ordre, investissez dans les services de police des Premières Nations. Nous avons des îles qui couvrent une distance de 23 milles et qui touchent la frontière du Québec, au lac Saint-François. Le gouvernement s'attend à ce que notre service de police maintienne l'ordre dans cette région, car nous ne voulons pas céder nos compétences. Vous avez obtenu des réponses lors de la comparution des représentants de l'ASFC et de la GRC. J'ai récemment siégé, pendant deux mandats, à la commission de police et j'ai expliqué au chef de police que la façon dont la GRC reçoit du financement passe par les statistiques. Nous avons remis toutes les saisies de tabac à la GRC. C'est inacceptable. Nos services de police sont sous-équipés et manquent d'effectifs, et vous vous attendez à ce que nous soyons aussi efficaces que les autres corps de police. Nous n'y arrivons pas dans les conditions actuelles.
En Ontario, nous sommes membres de toutes les associations de police, des groupes de police autochtones et des commissions de police canadiennes. Nous avons des besoins qui sont supérieurs à ceux d'autres régions, mais le Canada n'en tient pas compte. Nous demandons l'aide du Canada depuis de nombreuses années déjà. Nous avons posé des questions. L'aide se fait toujours attendre.
Le projet de loi criminalisera toute une génération de Mohawks. Vous savez que nous habitons à la frontière et qu'un grand nombre de personnes travaillent de part et d'autre de cette frontière. Nous sommes les constructeurs de gratte-ciel aux États-Unis et au Canada. On voit les grands immeubles, mais on ne voit jamais les hommes qui y travaillent. C'est des gens de chez nous. Une grande majorité d'entre eux travaillent à New York. Si vous les criminalisez, ils ne pourront pas travailler, car il existe des exigences en matière de permis des autorités portuaires de New York, qui contrôlent les ponts et la plupart des édifices dans la grande région de Manhattan. Il n'y aura plus d'emplois. Ce n'est pas ce que vise le projet de loi. Cela nous ramènera à l'époque de la Grande Dépression et ouvrira une toute autre boîte de Pandore, d'où surgiront d'autres activités illégales.
Si le Canada veut aider, il faudra financer ce programme. Financez nos besoins pour que nous puissions lutter contre cette activité illégale. Vous perdez des millions de dollars en impôts. Une partie des recettes fiscales perdues, comme le révèlent vos statistiques, pourrait grandement contribuer à mettre un terme à ce qui nous préoccupe tous autour de cette table.
Merci.
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Merci de m'avoir invitée à témoigner devant vous aujourd'hui.
Je suis Gina Deer. Je suis une des chefs et je viens de Kahnawake. J'ai déposé mon document, alors je ne soulèverai que quelques points.
Les Premières Nations se sont vu imposer un grand nombre de problèmes qui ont freiné leur progrès vers la pleine reconnaissance et la réalisation de leurs droits et intérêts. Songeons, entre autres, aux séquelles des pensionnats, à l'expropriation traumatisante et illégale des terres ainsi qu'à l'héritage et à l'imposition continue de la Loi sur les Indiens et d'autres lois qui ne tiennent pas compte de notre histoire, de nos droits et de nos doléances. Le projet de loi compte parmi ces problèmes.
Les Mohawks de Kahnawake ont des droits intrinsèques et des droits ancestraux en ce qui concerne la production, le transport, le commerce, la vente et la réglementation des produits du tabac. Les Mohawks de Kahnawake font valoir leurs droits intrinsèques, mais aussi leurs droits ancestraux en vertu du droit canadien.
Les Mohawks de Kahnawake ont mené, depuis toujours, des activités de production, de transport, de vente et de réglementation des produits du tabac à diverses fins, notamment pour des pratiques culturelles, pour leur usage personnel, à des fins de subsistance personnelle, pour le commerce et pour des gains commerciaux. Ces pratiques font et ont toujours fait partie intégrante de notre culture distincte en tant que Mohawks.
Le projet de loi propose une violation de nos droits intrinsèques et de nos droits ancestraux garantis par traités relativement à la production, au transport, à la vente et à la réglementation des produits du tabac. L'application de l'article 121.1 proposé du Code criminel du Canada et l'imposition de peines minimales obligatoires connexes aux Mohawks de Kahnawake constitueraient une violation injustifiée de leurs droits intrinsèques et de leurs droits ancestraux issus de traités.
Le projet de loi mettra des gens en prison. Qu'on se rappelle les pensionnats autochtones, qui avaient servi à institutionnaliser notre peuple, nos enfants. Cela a causé une grande rupture dans notre collectivité. On ne pouvait pas faire des choses simples comme serrer ses enfants dans ses bras. Les effets ont perduré, et c'est à ce moment-là que le gouvernement s'est excusé de son acte.
Et pourtant, le projet de loi permettra d'institutionnaliser à nouveau notre peuple. Il jettera en prison des mères et des pères. Voilà une autre rupture dans la famille. Les enfants souffriront à nouveau, car ils grandiront sans un père. Savez-vous ce que c'est que de grandir sans un parent, sans une mère ou un père? Voilà l'effet qu'aura le projet de loi sur nos collectivités et sur notre peuple. Combien de temps faudra-t-il pour que le Canada se rende compte que là n'est pas la solution?
Il existe déjà une concentration démesurée d'Autochtones dans les prisons canadiennes. Les représentants du milieu carcéral ont reçu des recommandations sur les mesures à prendre afin d'aider à la réinsertion des détenus, mais en vain. Je ne comprends pas comment ils en arrivent à croire que la solution consiste à mettre en prison des gens qui font valeur leurs droits.
À Kahnawake, nombreux sont ceux qui ont compris qu'ils ont le droit de faire le commerce du tabac, tant et aussi longtemps qu'ils le font sur leur propre territoire; cela ne constitue pas un crime, car ils n'ont pas la responsabilité de percevoir des impôts. Ce sont ceux qui viennent dans la collectivité pour acheter les produits qui doivent verser les taxes dues. Personne ne croyait qu'on commettait ainsi un crime.
Nous avons une économie saine dans la région de Kahnawake. Il y a neuf municipalités qui profitent de ce commerce, pas seulement Kahnawake. On n'a qu'à voir le développement économique, les magasins, l'économie croissante à Châteauguay, à Candiac et à Ville Sainte-Catherine pour constater que cela a eu des conséquences positives pour tout le monde.
On parle des criminels et des organisations criminelles. Toutefois, ils ne se sont pas infiltrés seulement dans l'industrie du tabac. Regardez ce qui se passe à Montréal. Il y a aussi la commission Charbonneau. Les criminels se sont infiltrés partout. On les trouve à côté de nous, de l'autre côté du fleuve, chez nos voisins. Et pourtant, c'est Kahnawake qui semble être perçu comme un endroit où l'on retrouve du crime organisé. Kahnawake travaille très fort pour que cela ne soit pas le cas.
Kahnawake propose comme solution, entre autres, que le Canada collabore avec notre collectivité et reconnaisse que c'est Kahnawake qui a une compétence sur son territoire. Permettez-nous de créer des lois qui lutteront contre la criminalité. C'est ce que Kahnawake souhaite que nous fassions. Nous devons créer des lois et des règlements dans notre collectivité afin d'assurer notre protection et celle d'une industrie qui a été créée à Kahnawake.
L'histoire montre que c'est nous, les Premières Nations, qui avons introduit le tabac. Par la suite, ce produit a été présenté à la Reine, en Angleterre. Cela provenait des Autochtones. Un jour, un aîné m'a dit: « Gina, peux-tu imaginer ce qui se passerait si la fabrication de mocassins générait beaucoup d'argent? Qu'est-ce qu'ils feraient à ce moment-là? » Au cours de l'histoire, notre peuple a toujours eu en sa possession du tabac, et on va maintenant nous criminaliser pour faire quelque chose que nous avons toujours fait.
Nous estimons qu'il est de la responsabilité du Canada de travailler avec Kahnawake, de nation à nation ou de gouvernement à gouvernement. Le Canada a octroyé des permis aux gens à Kahnawake. Il leur a donné des permis pour qu'ils deviennent des fabricants de tabac. Puis, des représentants gouvernementaux sont venus à Kahnawake et ont fait des inspections dans nos installations. Ils ont ensuite perçu des taxes et ils sont partis. Ils n'ont pas rempli leurs obligations, car ils auraient dû s'asseoir avec Kahnawake, le Canada et le Québec pour discuter du transport du tabac. On nous avait donné le droit de le produire, mais pas le droit de le transporter. Cela n'a pas de bon sens. C'est illogique. Une fois, certains Autochtones ont essayé de le transporter, mais ils se sont fait arrêter.
Nous sommes déjà venus sur la Colline. Cette question a déjà fait l'objet de discussions. Cette mesure législative s'appelait auparavant le projet de loi .
Nous aimerions nous prévaloir de cette occasion pour parler de trois points qui ont été soulevés par des sénateurs au cours de l'exposé que le Conseil des Mohawks de Kahnawake leur a fait un peu plus tôt cette année.
Tout d'abord, il y a le lien entre l'industrie du tabac dans les terres autochtones et le crime organisé. Je viens de vous en parler.
Le président: Il vous reste environ une minute.
Chef Gina Deer: D'accord.
Ensuite, il y a la vente aux mineurs. Et c'est là que devrait intervenir la mise en oeuvre des lois et des règlements. Kahnawake travaille là-dessus, et la collectivité milite pour une telle réglementation, surtout avec l'arrivée de ce projet de loi. Il s'agit, en ce moment, d'une préoccupation fort importante à Kahnawake.
Pour conclure, nous proposons que le gouvernement fédéral saisisse l'occasion de travailler avec les Premières Nations pour résoudre cet enjeu et qu'il empêche ou retarde l'adoption du projet de loi ou encore, qu'il suspende la mise en oeuvre de ces modifications jusqu'à ce qu'on en arrive à une entente au sujet du régime réglementaire.
Voilà.
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Merci pour la question.
Reculons de quelques années. Il y a deux ou trois ans, nos jeunes ne pouvaient pas trouver d'emploi au sein de notre collectivité et dans les environs, et il ne s'agissait pas seulement des Mohawks d'Akwesasne. Partout dans la région, il y a un taux de chômage très élevé. À cause du chômage, il y avait des gens compétents et instruits qui participaient au transport de produits du tabac sur le fleuve Saint-Laurent et ailleurs, et qui se faisaient prendre. C'était des gens qui, autrement, auraient eu des emplois. S'ils avaient eu la possibilité d'avoir un emploi à long terme, qui assurait une sécurité pour leurs familles, ils ne seraient probablement jamais allés sur le fleuve. D'autres pourraient soutenir que la solution au problème est le développement économique.
Là où je voulais en venir selon l'autre argument, c'est que si le projet de loi augmente le risque associé à cette activité particulière, les gens qui ont beaucoup à perdre, que ce soit sur le plan de leur investissement dans leur éducation, de leur position dans la structure sociale ou de leur famille, ne participeront probablement pas à cette activité, ce qui est peut-être bon. L'envers de la médaille, c'est que cela laisse un vide. Qui va participer à ce genre d'activités? Ce ne sera pas les gens qui ont beaucoup à perdre. Ce sera plutôt les gens qui n'ont rien à perdre, en d'autres mots, les criminels endurcis qui sont des membres de familles criminelles. Où allons-nous les retrouver? Nous allons les retrouver sur le fleuve Saint-Laurent.
Au moins, la dernière fois, nous avions quelque chose de gérable. Cette fois, nous pourrions être aux prises avec une guerre sur le fleuve. Nous avons des craintes quant à la sécurité de notre collectivité. C'est l'impact négatif du projet de loi .
Est-ce que cela répond à votre question, monsieur?
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Nos localités, les parties prenantes en quelque sorte, les localités qui jouxtent Akwesasne des deux côtés de la frontière, sont confrontées aux mêmes problèmes que nous. Akwesasne n'est pas la seule collectivité touchée.
Dans les comtés de St. Lawrence et de Franklin, les localités sont submergées de drogues qui entrent aux États-Unis en provenance du Mexique. Les drogues passent par Brooklyn, à New York. La situation est tellement grave que les responsables américains ont envoyé un shérif de New York ainsi qu'un chef de police pour venir voir ce qui se passe à la frontière d'Akwesasne. Ils produiront un rapport dont vous ne verrez jamais la couleur.
Voilà ce que je veux dire. Le Canada fait ses enquêtes. Les États-Unis font les leurs. Rien n'est mis en commun. Nous sommes pris au milieu de tout cela, et nous tentons d'obtenir de l'aide des deux côtés. Vous ne faites qu'édicter des lois, criminaliser ceux qui sont pris au milieu, là où passent les gens.
Le problème était à son apogée, et l'Agence des services frontaliers du Canada vous a présenté tout à l'heure des statistiques. Nous habitons une baie du Saint-Laurent. Les gens frappaient aux portes de toutes les maisons qui possédaient un bateau amarré sur le fleuve. C'était vos gens, du Québec, de l'Ontario, des Italiens, des étrangers, qui demandaient: « Pouvez-vous apporter ceci de l'autre côté du fleuve? Pouvez-vous m'aider à faire ceci? Pouvez-vous m'aider à faire cela? » Les hommes travaillent à l'étranger, et les femmes sont celles qui doivent composer avec la situation. Il y a des répercussions sur les femmes au plan psychologique en raison de l'absence des hommes.
Voilà le type de commerce qui se trame dans nos collectivités. Ils brassent des affaires à Akwesasne et dans toutes les autres villes qui sont suffisamment grandes pour accueillir ces individus aux activités illicites. Pourtant, vous voulez criminaliser les passeurs sans chercher à régler le vrai problème.
La population d'Akwesasne, vous feriez aussi bien de la rayer de la carte, car voilà leur situation sur le plan des relations publiques. Nous tentons de mettre sur pied une économie légitime par le développement, une économie honnête, du financement pour le développement. Mais il nous faut nous battre pour l'obtenir. Nous avons demandé de l'aide au gouvernement du Canada afin de renverser la vapeur et pour que les gens puissent retourner au travail comme avant. Redonnons-leur des emplois. Ils étaient fiers de leur métier de monteur de charpentes métalliques. Lorsqu'on travaille sur une charpente, à 60, 70 ou 100 étages de hauteur, on est plus près du créateur qu'ici-bas. On se retrouve au-dessus des oiseaux qui, auparavant, transmettaient nos messages. On se retrouve seul face au créateur. Voilà ce que nous demandons, un retour à ce style de vie.